Paul vient de terminer sa classe de troisième et rencontre Thomas qui lui propose d’intégrer l’Aigle, une école secrète pour être formé aux métiers de l’espionnage. L’adolescent, soutenu par ses parents qui ne savent cependant pas qu’il s’agit d’une école d’espionnage, accepte de s’y inscrire.
Il va suivre les cours d’un élève de seconde, ainsi que ceux traitant des bases de l’espionnage et rencontrer ses camarades Damien, Antoine, Arthur et Lucy avec qui il va nouer les prémices d’une forte amitié. Cette nouvelle vie sera emplie de grands défis, découvrir l’histoire de sa famille et affronter des situations qui l’obligeront à faire face à ses angoisses et à ses sentiments.
Paul lança la boule de cinq kilos, droit devant lui. Il resta figé quelques secondes le temps de la regarder prendre une trajectoire parfaite et légèrement arquée. Les quilles tombèrent toutes dans un fracas. Le collégien se redressa et se tourna vers ses deux amis, Louis et Antoine, avec un grand sourire. Il venait d’inscrire le coup gagnant au dernier lancer.
Paul profitait de ses vacances d’été. Il avait obtenu son brevet avec la mention très bien et sentait que ses vacances allaient être reposantes. Il n’avait rien de prévu si ce n’est de profiter du temps libre pour voir ses amis.
Les trois garçons rangèrent leurs affaires et prirent place autour d’une table, comme ils avaient l’habitude de faire après chaque partie.
Le serveur, vêtu de la chemise rayée rose et blanche d’employé du bowling, arriva devant leur table :
– Qu’est-ce que ça sera pour vous ?
Paul attendit que ses amis aient choisi. C’est Louis qui commença :
– Limonade pour moi.
Antoine continua :
– Coca.
Paul réfléchit un instant :
– Coca pour moi aussi.
Le serveur répéta, comme si cela était une nécessité pour valider la commande :
– Deux coca et une limonade, ça roule !
L’employé du bowling s’éloigna. Paul se tourna vers Louis avec un air provocateur :
– Tu vois, tu ne peux pas gagner à chaque fois, j’espère que tu t’en remettras !
Paul savait pertinemment que cette remarque agacerait son ami qui avait tendance à être susceptible. La réaction ne se fit pas attendre :
– Je t’ai laissé gagner, sinon tu aurais encore été de mauvaise humeur et tu te serais trouvé des excuses. Et puis, il faut bien que tu connaisses aussi ce que ça fait de gagner. Tu vois, je suis plutôt le gentil dans l’histoire !
Paul ne répondit que par une moue, laissant le champ libre à Antoine pour intervenir :
– Ho, arrêtez, faites comme moi, perdez, personne ne veut votre place et vous n’avez aucune surprise !
Les trois garçons éclatèrent de rire. Le serveur revint, les trois verres en équilibre sur un plateau. Il posa les boissons devant les garçons. Paul but une gorgée. Il reconnut le goût du cola bas de gamme :
– Ils pourraient faire un effort, à trois euros le verre, je préférerais un autre coca que celui de la superette du coin.
Paul regarda Antoine. Il avait ce petit sourire en coin de celui qui aimerait dire ce qu’il pense, tout en sachant que ce serait mal pris. Paul comprit exactement ce que son ami avait en tête mais insista :
– Quoi ? C’est vrai non ?
Son ami préféra ne pas entrer dans son jeu :
– Oui, oui, c’est vrai, mais ça fait quand même du bien !
– Mais ce n’est pas aussi bon que le vrai.
Louis coupa ses amis :
– Bon, vous plaignez pas, moi c’est même pas gazeux !
C’était exactement pour ces réflexions que Paul appréciait ses amis, ils n’étaient jamais dans la confrontation et avaient toujours le mot pour rire.
Lors de leur année de troisième, ils avaient passé tout leur temps ensemble, sans jamais se disputer. Bien sûr, il se taquinaient mais tous savaient qu’il n’y avait aucune méchanceté.
Louis reprit cependant, provoquant Paul :
– Et puis tu sais, tout ne peut pas être parfait comme toi.
– Parfait ? Moi ? J’en suis loin.
Cette réflexion, pourtant sur le ton de l’humour, avait atteint Paul, qui savait parfois se vexer très rapidement. Louis tenta de s’expliquer :
– Arrête, tu sais bien que tu es le petit garçon parfait, regardes-toi, t’es sportif et ça se voit, tu fais attention à ton apparence, blond aux yeux bleus, toujours bien habillé, t’as de bonnes notes, les profs t’adorent, Julie aussi, tu as tout pour toi ! Ta seule déception doit être quand ton PC ne s’allume pas assez rapidement ou quand les serveurs de Fifa sont HS !
Paul répondit sèchement :
– Certains sont gâtés par la nature, faut pas être jaloux.
Louis préféra changer de discussion, sentant que son ami avait mal pris sa réflexion. Paul retournait la phrase dans sa tête. Il n’aimait pas qu’on le voit ainsi. Il avait des facilités en cours, c’était un fait, s’il était blond et qu’il faisait attention à sa coiffure, ce n’était pas sa faute. Les profs l’appréciaient car il avait toujours appris à respecter l’autorité et la politesse, quant à Julie, les amis de Paul s’étaient mis en tête qu’ils étaient faits pour être ensemble. Pourtant, ils ne se parlaient même pas.
Paul vida son verre et le posa sur la table. Il regarda son téléphone, cela faisait trois heures qu’il était avec ses amis. Son tempérament solitaire commençait à ressortir :
– Bon, on y va ? Il est dix-sept heures, faut que je rentre.
Louis et Antoine acquiescèrent et Louis ne résista pas à lancer une dernière pique à son ami :
– La console n’attend pas !
– T’es lourd, je joue plus autant maintenant.
– On verra ce soir si tu résisteras à faire une ou deux parties avec nous.
– Avec vous ? Vous êtes trop mauvais, on sait bien que c’est moi qui tiens l’équipe !
Le sourire de Paul ne laissait aucun doute sur le second degré de cette réponse, qui amusa ses amis. Antoine enfila sa veste avant que les trois amis ne se dirigent vers le comptoir. Ils partagèrent le prix de leurs parties et des boissons avant de sortir du bowling. Il faisait bon.
Antoine et Louis partaient dans la même direction et laissèrent Paul seul, ce qui n’était pas pour le déranger.
Paul plaça ses écouteurs sur ses oreilles et sélectionna la lecture aléatoire des chansons de son téléphone. Il se dirigea vers Montparnasse en faisant un détour devant son école. Il avait passé les quatre années du collège dans cet établissement, il lui restait encore les trois années de lycée. Il aimait cette école. Les professeurs étaient compétents et l’ambiance toujours bonne. Les parents de Paul avaient tout fait pour qu’il ait une bonne scolarité.
Paul arriva devant la bouche de métro et s’arrêta. Il faisait bon, il n’était pas pressé, il décida de contourner la station et de continuer à pieds.
L’adolescent rejoignit la rue de Vaugirard. Maintenant, c’était toujours tout droit jusqu’à chez lui.
Il quittait peu à peu le quartier de Montparnasse. Il retira ses écouteurs. Finalement, il préférait le bruit de Paris à celui de sa musique.
Paul croisa la rue de la Convention. Il connaissait bien le quartier. Il passa devant le cinéma où il allait parfois, seul ou avec des amis. Il s’arrêta un instant pour regarder les affiches. Un nouveau film tiré de l’univers Marvel venait de sortir, il irait sans doute le voir.
Le garçon passa ensuite devant un magasin de jeux vidéo et y entra. Il regarda les différentes boites entreposées dans le rayon des occasions puis se tourna vers les nouveautés. Certains jeux lui firent de l’œil, mais il résista à la tentation. Soixante-dix euros, c’était tout de même un prix élevé et il préférait acheter un jeu neuf seulement lorsque celui-ci en valait la peine.
Il était rare que Paul ressorte les mains vides de ce magasin, l’argent avait tendance à lui bruler les doigts.
Paul continua sa route et passa devant l’une des antennes de l’Université Paris-Assas. Il avait le temps avant de penser aux études supérieures mais le droit était une option envisageable.
Des cris arrivèrent soudain à ses oreilles. Des enfants jouaient dans le parc attenant à l’université. Paul repensa à son enfance, lorsque lui aussi s’amusait avec ses amis dans le parc proche de chez lui.
Après le parc, Paul accéléra le pas. Il aimait les promenades mais elles avaient tendance à le lasser rapidement. Il passa sous le périphérique, tourna dans sa rue, traversa le petit parc et arriva dans le hall de son immeuble. Il passa le badge pour déverrouiller la porte et entra. Il s’arrêta et ne monta pas immédiatement chez lui, préférant tourner la tête vers le grand miroir de l’entrée. Il se regarda en repensant à la réflexion de son ami. Il savait pertinemment qu’il n’était pas laid, mais il trouvait qu’il avait encore un visage d’enfant et cela l’agaçait.
Paul monta l’étage et entra dans son appartement. Ses parents n’étaient pas encore arrivés et il ne résista pas à allumer son ordinateur en les attendant.
C’est son père, Frank, qui arriva en premier. Paul l’entendit fermer la porte en annonçant :
– Je suis rentré ! Paul ? Tu es là ?
Paul sortit de sa chambre et retrouva son père dans le salon. Il lui demanda :
– Tu as passé une bonne journée ?
– Une journée de travail. Et toi ? Tu as vu tes amis aujourd’hui ?
Frank avait toujours été discret sur son travail. Paul savait qu’il était “superviseur d’équipe” dans une société. Son travail consistait principalement à organiser des équipes de travail et à les guider pendant des projets. L’adolescent ne lui avait jamais posé plus de questions et ne chercha pas à en savoir plus cette fois-ci non plus. Il préféra répondre à la question :
– Oui, on est allé au bowling.
– C’était bien ?
– J’ai gagné, alors j’imagine que oui.
– Et demain ?
– Je ne sais pas encore, je vais voir si Louis veut venir ici.
– Tant que c’est rangé à mon retour…
La conversation fut coupée par la télévision que Frank venait d’allumer. Paul retrouva sa chambre qu’il ne quitta qu’une heure plus tard pour le dîner, lorsque sa mère fut rentrée à son tour.
Paul s’assit à sa place habituelle et se servit une grande assiette de carottes rappées. Sa mère, Maude, en profita pour demander :
– Tu vas faire quoi pendant tes vacances ?
– Aucune idée, je pense surtout voir mes amis. De toutes manières, en août on est en Italie.
Le père de Paul profita de cette occasion :
– Justement, à ce propos, je crois qu’on va devoir reporter notre voyage.
Devant les yeux interrogateurs de sa femme et de son fils, Frank reprit :
– On a un projet important en août, et je vais devoir rester pour travailler. Mais si vous voulez, partez, je peux m’en passer cette année.
Paul était déçu de cette nouvelle. Il attendait ces vacances avec impatience. Sa mère ajouta qu’elle préférait qu’ils partent ensemble, quitte à ce que ce soit pendant les vacances de printemps voire l’année suivante. L’été allait être long pour Paul.
Après le dîner et comme ses amis l’avaient prévu, Paul alluma sa console pour les retrouver.
Le trio enchaina les victoires, ce qui ne les encouragea pas à se coucher tôt.
Paul se réveilla à dix heures. Il regarda son téléphone. C’était le 28 juillet. Près de la moitié de ses vacances étaient déjà passées.
Il se leva et envoya un message à Louis :
“Slt. Dispo aujourd’hui ? Pizza à la maison ?“
Paul prit un petit déjeuner léger et alluma son ordinateur. Son téléphone vibra d’une manière inhabituelle. C’était une vibration courte, comme si le téléphone s’était éteint. L’adolescent sortit l’appareil de sa poche, il n’y avait rien. Il était bien allumé, mais sans aucune notification ou message. Paul posa son téléphone sur le bureau.
Après quelques minutes, le téléphone vibra à nouveau, cette fois d’une manière plus classique. Paul découvrit le message de Louis :
“Ok. J’arrive dans 1h“.
Paul ne répondit pas. Il se rendit sur le site d’un jeu en ligne puis regarda des vidéos sur YouTube.
Lorsque Louis arriva, ils décidèrent finalement de sortir manger au McDonald’s qui se trouvait à une dizaine de minutes à pieds. Les deux adolescents ne faisaient pas vraiment attention à ce qu’ils mangeaient. D’ailleurs, cela ne les empêchait pas de garder une bonne condition physique.
Ils sortirent de la résidence en discutant de la journée à venir et du choix du jeu qui les occuperaient pendant l’après-midi.
Arrivés au bout de la rue, Paul remarqua un individu qui dénotait des autres. Il était habillé d’un costume noir, d’une chemise blanche et portait des lunettes de soleil. Il était courant de voir des personnes sortir de leur bureau et habillées comme cela mais il y avait chez cet inconnu un détail qui troublait Paul et qu’il ne pouvait expliquer. C’était comme si cette personne lui était familière. Il avait l’air de surveiller les environs ou de rechercher quelque chose.
Les deux garçons continuèrent leur route et arrivèrent au McDonald’s. Paul s’arrêta devant une borne pour commander, Louis en trouva une seconde disponible un peu plus loin dans la pièce.
Paul sélectionna son menu. Du coin de l’œil, il repéra que la femme à sa droite prenait son ticket et quittait la borne. Elle fut remplacée par un autre client. Paul tourna la tête et reconnut l’inconnu qu’il avait repéré sur la route. L’adolescent l’avait sans doute regardé avec insistance car il lui adressa un regard suivi d’un signe de tête, comme pour le saluer. Paul ignora ce geste, se retourna rapidement vers son écran et termina sa commande. Il en était de plus en plus persuadé, il avait l’impression d’avoir déjà vu cette personne mais il était incapable de savoir à quelle occasion, ni quand cette rencontre aurait pu avoir lieu.
Les deux adolescents s’assirent autour d’une table. Le restaurant était calme, moins fréquenté qu’en période scolaire.
Louis demanda :
– Tu penses qu’on sera dans la même classe cette année ?
– J’espère, et avec Antoine.
– Oui, j’espère qu’il s’amuse bien. Tu sais où il est parti ?
– Barcelone je crois. Il faudrait qu’on sorte quand il reviendra !
– Oui, un bowling ?
– Pourquoi pas.
Paul repéra à nouveau le même homme en costume. Il s’était assis au bout de la salle de restaurant et regardait son téléphone. L’adolescent regarda de loin le plateau de ce jeune homme qui avait pris un menu. Il devait avoir vingt-cinq ans environ, les cheveux courts et noirs. Paul n’arrivait toujours pas à déterminer pourquoi cette personne l’intriguait. Il avait maintenant l’impression qu’il le suivait. Il se persuada que son esprit lui jouait des tours et termina son repas en discutant avec son ami.
L’adolescent ne prêta plus attention à cet inconnu mais, alors qu’ils s’apprêtaient à partir, Paul remarqua que l’homme avait quitté sa place avant eux. Il ressentit un étrange sentiment de soulagement.
Il fut de courte durée. Une fois sorti du restaurant, Paul le retrouva. L’homme sortait du tabac, en face de la rue. Il alluma une cigarette sans même porter un regard aux adolescents. Paul se tourna vers Louis :
– Tu as vu le mec en costume ? J’ai l’impression qu’il nous suit.
Louis chercha discrètement du regard l’inconnu dont Paul lui parlait. Il le trouva enfin :
– Lui ? Pourquoi il nous suivrait ? T’es devenu parano ?
– Il était sur notre chemin quand on est venu, il était au McDo et maintenant le revoilà, c’est bizarre non ?
– Tu veux dire que quelqu’un du quartier pourrait lui aussi manger au même endroit que nous et repartir ? Dingue !
La moquerie de son ami ne plut pas à Paul qui se ravisa :
– Tu dois avoir raison. Laisse tomber.
Paul tourna et retourna l’image de l’inconnu en tête, il cherchait un détail, un signe qui expliquerait pourquoi il avait ce sentiment. Mais l’homme était d’une grande banalité et le collégien ne voyait pas pourquoi il l’aurait déjà croisé. Louis coupa sa réflexion :
– Il est derrière.
– Quoi ?
– Le mec dont tu parlais, il est derrière nous.
Paul tourna discrètement la tête. Il le remarqua, un peu plus loin.
– Je croyais que c’était normal.
– Ça l’est, je voulais juste t’inquiéter un peu. T’as peut-être une touche !
– T’es con, c’est pas drôle.
Plus il y pensait, et plus Paul s’inquiétait de la situation. Il accéléra le pas malgré les moqueries de Louis.
Soudain, Paul entendit un cri, strident, comme si une femme venait de voir un fantôme. Il tourna la tête vers la source du bruit. Une dame d’une soixantaine d’années venait de tomber. Un homme courait vers Paul, un sac à la main. Il ne fallut pas longtemps à l’adolescent pour faire le lien entre le sac et la femme encore à terre. Paul se décala pour bloquer l’homme qui fonçait vers lui. Il réfléchissait à lui faire un croche-pied ou lui sauter dessus. Il n’eut le temps ni de l’un ni de l’autre. Le voleur mit son épaule en avant et bouscula Paul qui tomba en arrière sur le trottoir. Á terre, l’adolescent tourna la tête pour voir le voleur déséquilibré par son geste continuer sa course. Au loin, la dame criait à qui arrêterait son agresseur. Paul se releva rapidement et se mit à courir. Il ne savait pas encore ce qu’il ferait s’il le rattrapait, mais au moins il faisait quelque-chose.
Paul vit l’homme s’étaler par terre. Quelqu’un avait été plus rapide et avait eu le bon réflexe. Paul regarda celui qui avait arrêté l’agresseur. Costume noir, chemise blanche. Cette vision l’énerva presque mais c’était l’occasion ou jamais d’en savoir plus. Paul s’approcha de lui. L’inconnu avait pris sa ceinture pour attacher les mains du voleur. Il remarqua la présence de Paul :
– Merci d’avoir couru, la plupart des gens regardent sans rien faire. Je vais m’occuper de lui.
Paul hocha la tête et demanda :
– C’était vous au McDo, non ?
L’inconnu afficha un léger sourire en répondant :
– Oui, la borne à côté. Tu m’espionnes ?
– Non, non, je vous avais remarqué, c’est tout.
L’inconnu releva le voleur et sorti son téléphone avant de se tourner vers Paul :
– Allez, en route, bonne journée !
– Merci, à vous aussi !
Louis arriva. Il avait rejoint Paul en marchant :
– Ha, ça y est, il est arrêté !
– Oui.
Paul et Louis retournèrent vers la résidence. Paul était rassuré sur l’inconnu. C’était sans doute un hasard et puis il ne semblait pas malveillant. Il avait même un sourire sympathique.
Les deux garçons restèrent ensemble jusqu’à dix-huit heures avant que Louis n’annonce son départ. Paul proposa de l’accompagner jusqu’au métro. Sur la route, Louis demanda :
– Alors, tu crois qu’il habite dans le quartier ?
– Qui ça ?
– Le gars en costume de ce midi.
– Non, il doit plutôt travailler. Je ne vois pas pourquoi il sortirait de chez lui en costume sinon.
– Peut-être que tu le recroiseras !
– Et après c’est moi le parano.
– Non mais je me posais la question c’est tout.
Paul afficha un sourire satisfait. Ils arrivèrent à la station de métro et se saluèrent. L’adolescent rebroussa chemin pour rentrer chez lui. Il pensait déjà à allumer sa console pour retrouver ses amis. Une soirée entière à jouer se profilait, ce qui n’était pas pour lui déplaire.
Paul tourna dans sa rue. Il releva la tête. A quelques mètres de lui, Paul reconnut l’inconnu de l’après-midi. Il ne sut comment réagir. Il hésita d’abord à rebrousser chemin, mais c’était ridicule. Il le croiserait, lui adresserait sans doute un signe de tête et c’en serait terminé.
Paul arriva à la hauteur de l’inconnu. Il le regarda. L’homme s’arrêta :
– Re-bonjour Paul !
Paul s’arrêta net. L’inconnu l’avait appelé par son prénom. L’adolescent regarda la main tendue vers lui. Il la prit en répondant :
– Vous connaissez mon nom ?
– Moi c’est Thomas.
– Enchanté mais vous ne m’avez pas répondu, comment vous connaissez mon nom ?
– Ça n’a rien de magique, je t’ai entendu tout à l’heure, au McDo, ton ami t’a appelé par ton prénom.
La réponse ne rassura Paul qu’à moitié. Si elle se tenait, l’explication voulait aussi dire que l’homme les avait écoutés.
L’adolescent donna le change :
– Ha, je comprends mieux. Au fait, que lui est-il arrivé, au voleur de tout à l’heure ?
– J’ai appelé la police et je suis allé au commissariat avec eux. Tu veux que je te raconte ? Il y a un bar au bout de la rue, si tu veux on peut s’y arrêter pour en parler.
Paul était curieux, mais il y avait toujours en lui ce doute qui subsistait. Il avait l’intime conviction que Thomas n’était pas là par hasard, qu’il le suivait. La moquerie de Louis résonna en lui. Peut-être avait-il vu juste en lui disant qu’il avait “une touche”. Paul se demanda si c’était une bonne idée de suivre cet inconnu, même si c’était dans un endroit public. Il fut sorti de ses pensées par Thomas :
– Paul ? Excuse-moi, c’était peut-être un peu soudain comme invitation. Je suis toujours avec des jeunes de ton âge, c’est l’habitude qui parle.
– Ha, vous travaillez avec des jeunes ?
– Oui, je suis dans l’administration d’un lycée.
A nouveau, Paul fut rassuré par cette explication. Thomas ne devait pas penser à mal.
– Et vous avez des réflexes de flic ?
Thomas s’amusa de cette remarque :
– J’ai juste eu le bon geste au bon moment. Je n’ai aucun mérite. D’ailleurs, la dame a retrouvé son sac et le voleur doit encore être au commissariat. Et puis, je sais comment arrêter quelqu’un simplement, mais ça je ne t’en parlerai pas ici.
– Pourquoi ?
– Tu es bien curieux finalement ! Alors, on va le boire ce verre ? Je t’explique tout là-bas.
– Du chantage ?
– Non, une simple invitation.
La discussion était détendue, Thomas parlait avec un sourire en coin et d’un ton assuré et rassurant. Les doutes de Paul s’étaient dissipés bien qu’il se demandait encore pourquoi Thomas avait de si bons réflexes et pourquoi il souhaitait tant lui parler, et dans un bar. Cette curiosité le poussa finalement à accepter :
– Bien, allons-y mais rapidement, je suis attendu chez moi.
Cette dernière phrase de Paul eut pour effet de le rassurer. Dire qu’il était attendu était un moyen de prévenir Thomas que quelqu’un s’apercevrait rapidement de sa disparition si cela venait à arriver.
Paul suivit Thomas jusqu’au coin de la rue, ils entrèrent dans le bar que Paul connaissait bien. Dans une partie de la salle, une petite dizaine de personnes avaient les yeux fixés sur un écran de télévision qui diffusait des courses de chevaux en continu. Thomas invita Paul à s’asseoir dans un coin de la pièce, loin de l’agitation des joueurs.
– Qu’est-ce que tu prendras ?
Paul hésita et répondit :
– Un coca.
Thomas s’adressa au serveur derrière un bar :
– Vous pourrez nous apporter deux cocas s’il vous plait ?
Thomas tourna la tête vers Paul :
– Pour répondre à ta question, la police est arrivée rapidement après que j’ai attrapé le voleur, un passant avait dû les appeler. Je suis monté avec eux et nous sommes allés au commissariat. C’était une personne déjà connue pour plusieurs vols, parfois violents. Ils l’ont placé en cellule et m’ont demandé de témoigner, ça a duré une petite demi-heure puis ils m’ont laissé repartir.
– Il ira en prison ?
– Je ne suis pas juge, mais j’imagine que s’il est récidiviste, ils ne le laisseront pas tranquille. Du moins je l’espère.
Paul était curieux de connaitre Thomas, il voulait en savoir plus à son sujet sans paraitre indiscret. Il demanda :
– Vous me disiez que vous travailliez dans un lycée ?
– Oui, un lycée à quelques kilomètres d’ici. Un lycée un peu particulier.
Paul fronça les sourcils. Le mot “particulier” résonnait en lui. Il n’aimait pas son emploi pour parler des études. Il provoqua Thomas :
– Particulier ? Comme un enfant “particulier” ?
– Non, si tu sous-entends que nos étudiants sont en difficulté ou handicapés, tu n’es pas dans le vrai.
Le serveur s’approcha d’eux et posa les boissons sur la table ainsi qu’un ticket récapitulant la commande et le total.
Thomas prit son verre et le leva vers Paul qui le frappa du coin de son verre. Thomas but une gorgée et reprit :
– Ce serait même le contraire en fait, nos élèves entrent sur concours, un concours compliqué. Notre programme est plus complet que dans les autres établissements mais cela vaut le coup.
– Du privé donc ?
– Du privé, oui, sur cinq ans. Les élèves sortent avec un équivalant de bac plus deux. Comme une prépa si tu veux.
La présentation du lycée attisait la curiosité de Paul qui cherchait à ne pas la montrer. Il se demandait si Thomas n’était pas un recruteur. L’étudiant était lui aussi dans un collège privé, il allait entrer en seconde après les vacances dans le même établissement, réservé à des élèves ayant en général une bonne situation et une bonne éducation. Les parents avaient pour la plupart les moyens de payer l’établissement privé et l’éducation donnée était différente de celle du public. Là où Paul étudiait, on préparait déjà aux grandes écoles, à un futur brillant. Paul voulait prévenir Thomas qu’il connaissait ce milieu :
– Je suis aussi dans le privé. Dans le centre de Paris.
– Ha ? Tu en es content ?
– Bien sûr. Mais, dites-moi, votre école, elle est reconnue par l’État ? Ce n’est pas courant de passer cinq ans au lycée.
Paul remarqua un léger sourire sur les lèvres de Thomas qui lui répondit :
– Oui, nous sommes reconnus par l’État. Les élèves obtiennent le bac après trois ans, comme dans toute autre école. Les deux ans supplémentaires aident aussi à travailler pour l’État.
– Préparation aux hautes écoles ?
– On peut dire cela, oui.
Les réponses évasives agaçaient Paul, Thomas semblait mettre un grand mystère autour de l’établissement et l’étudiant ne comprenait pas pourquoi. Les écoles qui intégraient une prépa étaient courantes, celles qui préparaient aux grandes écoles aussi, il n’y avait pas de quoi être si fier. Paul reprit :
– Et cette école, elle s’appelle comment ?
– L’Aigle. Attends, j’ai quelque chose pour toi.
Thomas mit la main dans une poche intérieure de sa veste. Il en tira une brochure qu’il tendit à Paul :
– Tiens, tu auras quelques informations là-dedans. Mais avant que tu ne la lises, j’aimerais te poser une question. Qu’est-ce que tu aimerais faire plus tard ?
Paul réfléchit à la question. Il n’avait jamais imaginé où il se verrait après les études, ni même après la seconde. Plus jeune, il avait voulu être policier ou scientifique. Aujourd’hui, il se destinait plus à un travail dans les métiers de la justice ou la médecine :
– Je n’en sais rien, avocat peut-être.
– Très beau métier en effet. Et tu pourrais changer de lycée ?
– Certainement pas ! Je suis très bien où je suis et je ne pense pas que mes parents accepteraient.
– Bien, c’est dommage, je pense que tu as le profil pour entrer chez nous. Tu as l’air intelligent, calme, réfléchi et courageux. Il faudrait juste que tu cours un peu plus vite si tu veux rattraper des voleurs.
Thomas laissa échapper un rire timide, reprit par Paul qui demanda :
– Être courageux pour entrer dans une école ? C’est pas banal !
– En effet. Dans les métiers que tu aimerais faire plus tard, tu as pensé à travailler pour l’État ? Les services de sécurité par exemple ?
– La police ?
– Je pensais plutôt aux renseignements.
– Espion ? Pourquoi, votre lycée prépare à des études d’espionnage ?
– Notre lycée est un lycée pour futurs agents de l’État, ou “espions“, oui.
Paul dévisagea Thomas. Le sourire avait laissé place à une mine sérieuse, le regard était plus fermé. Soit il jouait très bien la comédie, soit il était vraiment sérieux. Paul se repassa la journée dans sa tête. Si Thomas était vraiment un espion, ou un recruteur pour espion, cela expliquait tout. Il l’avait suivi, il connaissait déjà Paul, il avait provoqué chacune des rencontres pour le rendre familier aux yeux de Paul, le permettant d’accepter plus facilement l’invitation à se rendre dans ce bar pour avoir exactement cette discussion. Cela expliquait pourquoi Thomas avait arrêté le voleur, ça avait même été peut-être prémédité pour voir comment Paul allait réagir. Tout se tenait. Paul devait en avoir le cœur net :
– Vous saviez depuis longtemps qu’on aurait cette discussion, n’est-ce pas ?
– On n’est jamais sûr de rien mais je l’espérais.
– Et le voleur, c’était une mise en scène ?
– Non, un coup de chance comme il en arrive parfois, il m’a facilité la tâche.
– Vous me connaissez mieux que vous ne le laissez croire, j’ai bon ?
– Oui.
Les réponses de Thomas étaient assurées, sa voix posée. Il ne semblait pas mentir. Soudain, Paul sentit un frisson chaud le parcourir. Il sentit une suée l’envahir. Il se demandait si Thomas était réellement ce qu’il prétendait être, un recruteur d’espion. Paul se ressaisit rapidement et demanda de la voix la plus calme possible :
– Pourquoi moi ?
Thomas reprit son sourire, comme s’il avait attendu cette question depuis longtemps :
– Car tu es fait pour ça, on le sait.
– Je n’en suis pas si sûr.
– Nous ne proposons jamais au hasard. Si tu nous rejoins, tu seras avec une vingtaine d’autres élèves, tous aussi doués que toi. Je suis certain que tu trouveras parfaitement une place parmi nous.
– Et si je refuse ?
– Et bien, si tu refuses, maintenant que tu connais notre existence, j’ai bien peur que nous ayons un problème. Surtout toi.
Paul se sentit menacé, il regarda Thomas dans les yeux comme pour le défier. Le recruteur avait gardé son sourire et ajouta :
– C’était une blague, Paul. Si tu refuses, nous aurons juste perdu un futur bon élément, tu continueras ta vie et nous la nôtre, tu n’entendras plus parler de nous.
– Et si j’accepte ?
– Si tu acceptes, nous ferons en sorte que tu rejoignes l’école à la rentrée. Il y aura deux semaines de cours, deux semaines de tests puis si tu es accepté tu suivras ta scolarité chez nous. Si tu es refusé, tu reviendras à ta vie actuelle. Tu retrouveras ton lycée en octobre avec une bonne explication pour ton absence d’un mois.
– Vous pensez toujours à tout, hein ?
La réflexion de Paul sembla rendre Thomas fier de lui. Il hocha la tête. Paul reprit :
– Et mes parents ?
– J’ai bien peur qu’ils aient passé l’âge des études.
– Non, mais, comment vous allez les convaincre ? Je ne suis pas sûr qu’ils tiennent à ce que je change d’école ni que je rentre dans l’espionnage.
– Je ne pense pas que le but de l’école soit une divulgation nécessaire. Cependant, je suis sûr qu’ils tiennent à ce que tu aies les meilleures études possibles. Une brochure ou une visite sur un site les aidera certainement à accepter. Ta motivation aussi.
Thomas avait vraiment pensé à tout. Paul chercha une question assez difficile pour le déstabiliser. Il n’en trouva aucune. Thomas demanda :
– Tu veux que nous t’inscrivions ?
Paul se repassa toute la discussion en tête. Tout se tenait, Thomas semblait honnête, il avait réponse à tout. C’était une chance unique mais un grand changement dans la vie de Paul. Bien entendu, il avait déjà rêvé d’être un espion, comme beaucoup d’autres jeunes, mais maintenant que cela pouvait se concrétiser, il restait hésitant. Il se demanda si les autres jeunes acceptaient immédiatement. Pour lui, c’était impossible :
– Non, je dois y réfléchir. Je ne peux pas vous donner de réponse tout de suite.
– Je comprends. Dans ce cas, appelle-moi quand tu auras fait ton choix.
– Je le ferai. Il me faudra seulement votre numéro.
– La brochure.
Paul but la dernière gorgée de son verre. Thomas laissa un billet sur la table et se leva. Il tendit la main vers Paul. Le collégien la prit :
– Au revoir alors, et merci pour cet échange.
– Á bientôt Paul, c’était un plaisir de pouvoir enfin discuter avec toi.
Paul regarda Thomas sortir du bar, mettre ses lunettes de soleil et s’éloigner. L’adolescent prit son téléphone. Il avait envie d’envoyer un message à Louis pour lui raconter mais se ravisa. Il allait garder cet échange pour lui, au moins pour le moment.
Lorsqu’il reposa son téléphone, ses doigts effleurèrent la brochure laissée par Thomas. Paul voulut la parcourir mais préféra attendre de rentrer chez lui. Il reprit ses esprits et sortit dans la rue. Il n’était qu’à quelques mètres de chez lui mais ce fut assez pour que son esprit se repasse toute sa journée. Plus il y réfléchissait et plus il était convaincu que Thomas disait la vérité. Personne n’aurait mis un plan aussi parfait en place simplement pour boire un verre avec lui, et quel aurait été le but ?
Paul arriva chez lui. Il enleva sa veste et se rendit dans sa chambre. Son esprit s’était évadé petit à petit, il imaginait maintenant l’école d’espionnage, il se voyait déjà essayer de nouvelles armes, des gadgets extrêmement sophistiqués et partir dans des pays lointains. Il se voyait déjà comme un James Bond en herbe. Déjà, au fond de lui, Paul savait qu’il avait envie d’accepter l’offre de Thomas.
Le bruit de la porte d’entrée interrompit sa pensée.
– Paul ? Je suis rentré !
– J’arrive.
Paul sortit de sa chambre et retrouva son père à l’entrée de l’appartement. Frank posa sa veste sur le dossier d’une des chaises autour de la table de la salle à manger, à côté de celle de Paul, et se tourna vers son fils :
– Tu as passé une bonne journée ?
Paul pensa sa réponse, “Oui, j’ai vu Louis, on a mangé un McDo, on a vu un homme arrêter un voleur et, ah oui, on m’a proposé d’entrer dans une école pour devenir espion” mais il préféra répondre :
– Oui, j’étais avec Louis, je suis rentré il y a peu de temps.
– C’était sympa ?
– Très, et toi, la journée de boulot ?
– Une journée de boulot.
Le père de Paul marqua une pause. Le collégien le vit poser les yeux sur sa veste, sur la brochure dépassant de sa poche. Paul s’en voulait de l’avoir laissée là, à la vue de tous. Il voulut arrêter son père mais c’était trop tard, il avait saisi la brochure et demanda en la glissant doucement hors de la poche de son fils :
– Qu’est-ce que c’est ?
Paul tenta de ne montrer aucune gêne et répondit :
– Rien, quelqu’un distribuait ces brochures, j’ai oublié de la jeter.
Frank ne répondit pas, il lisait. Paul continua comme pour le faire arrêter :
– Ce n’est qu’une publicité.
Frank posa la brochure sur la table :
– Bon, je vais me poser un peu et faire le diner.
Paul tourna les talons et retrouva sa chambre. Il ne la quitta qu’un peu plus tard, à l’heure du diner. Sa mère était déjà assise, son sourire habituel au coin des lèvres. Paul s’assit et Frank apporta l’entrée, un grand saladier de tomates puis s’assit avec eux :
– Bon appétit !
Paul et Maude répondirent d’une même voix avant que Frank ne reprenne :
– Maude, je ne t’ai pas dit, Paul veut entrer dans une nouvelle école !
Sa mère s’inquiéta :
– Comment ça ? Paul, tu n’es pas bien où tu es aujourd’hui ?
Paul n’eut pas le temps de répondre, Frank fut plus rapide :
– Il est très bien, mais il a ramené une brochure très intéressante ce soir à la maison, une école privée qui semble très bien pour lui. Écoute ça.
Frank se leva et prit la brochure qu’il avait posée. Il en fit lecture :
– “Le campus de l’Aigle est un espace de 100 hectares destinés à l’accomplissement des élèves. Plusieurs bâtiments sont dédiés aux différentes matières enseignées dans notre établissement. Vous trouverez aussi de nombreux terrains de sport, un parc, une piscine olympique et des chambres confortables”. Tu vois, ça à l’air bien ! Il y a un test d’entrée en début d’année. Je pense que ce serait très bien pour Paul de changer un peu, de sortir du confort habituel.
Maude se tourna vers son fils :
– C’est vrai ? Tu aimerais y aller ?
Paul n’avait pas réfléchi à la question. Il était toujours séduit par cette école mais appréhendait de devoir quitter ses habitudes. Il botta en touche :
– Je ne sais pas trop, ça a l’air pas mal, mais je ne suis pas sûr. Je ne sais pas si c’est mieux que mon lycée.
Frank ne laissa pas Maude répondre :
– D’après le document, ça ouvre quand même beaucoup de portes ! C’est le genre d’école privée très privée qui donne une chance dans la vie. Et l’internat te fera du bien, j’en suis sûr.
– Peut-être.
Intérieurement, Paul n’avait aucune envie d’entrer dans un internat. Il aurait voulu changer de conversation, dire qu’il n’avait pas envie d’y aller et arrêter là le débat, mais Frank poursuivit :
– Je les appellerais demain, il y a le numéro. Je prendrai quelques renseignements et nous verrons bien. Mais je reste persuadé que c’est une chance d’entrer dans cette école.
Frank débarrassa le plat de tomates et servit la suite. Paul n’arrivait pas à penser à autre chose qu’à l’Aigle et à sa rencontre avec Thomas.
Après le diner, Paul prit son assiette qu’il mit dans le lave-vaisselle. Maude quitta la table et disparut dans le couloir. Frank profita de ce moment :
– Ils t’ont démarché ?
Paul ne comprit pas immédiatement. Devant son hésitation, Frank précisa sa question :
– L’Aigle, ils ne distribuaient pas la brochure dans la rue ?
Paul se sentit piégé, il joua la carte de l’honnêteté :
– Non, j’ai rencontré quelqu’un qui y travaille. On a discuté et il m’a laissé la brochure. Mais, comment tu as deviné ?
– Je ne pense pas que ce soit le style de ces écoles de distribuer des tracts. De plus, quand je suis arrivé, tu m’as laissé entendre que tu ne l’avais pas lue, mais au diner tu semblais bien renseigné. Donc, soit tu l’avais lue, soit tu en avais discuté avec quelqu’un.
Frank semblait fier de son raisonnement. Il marqua une pause et reprit :
– Tu en as envie, n’est-ce pas ?
– Je ne sais pas, je suis partagé.
Frank prit un air sérieux. Il posa la main sur l’épaule de son fils et répondit :
– Je pense vraiment que tu devrais essayer d’y entrer. C’est une chance d’intéresser ce genre d’établissement privé élitiste. Et si ce n’est pas ton truc, il sera toujours temps de changer d’avis et de revenir ici. J’imagine qu’il y a des tests d’entrée, non ?
– Je crois oui. Et je pense que tu as raison, je vais essayer d’y entrer.
Frank retira sa main, toujours posée sur l’épaule de son fils. Paul décela un sourire sur le visage de son père, trahissant un sentiment de satisfaction et de fierté.
Maude revint et regarda son mari et son fils qui changèrent de sujet, comme si cette dernière discussion avait été un secret qu’ils s’étaient partagé.
Paul passa la soirée à réfléchir à sa décision. Les mots de son père avaient été rassurants. Le soir, avant de se coucher, il passa par la salle à manger armé de son Smartphone. Il trouva la brochure sur la table et prit des photos pour être sûr de l’avoir avec lui le lendemain. Il avait déjà l’impression d’être en mission d’espionnage, cherchant à ne pas se faire voir par ses parents.
Le lendemain soir, à l’heure du dîner, Frank annonça fièrement :
– J’ai appelé l’Aigle au téléphone aujourd’hui. Je suis tombé sur une personne très sympathique, il était ravi de m’avoir en ligne visiblement.
Paul était impatient de connaitre la suite :
– Alors ? Qu’est-ce qu’ils t’ont dit ?
– Ils veulent nous rencontrer, tous les trois. On a rendez-vous sur le campus dès samedi. C’est parfait non ?
Maude, toujours attentive à ce que chacun soit satisfait, se tourna vers Paul :
– Qu’est-ce que tu en penses, toi ?
Paul contenait sa joie. Intérieurement, sa réflexion avait fait du chemin et il se sentait prêt à poser sa candidature. Visiter le campus était un point rassurant pour lui, cela lui permettrait de s’assurer du sérieux de l’école. Il répondit avec un sourire qu’il tenta de masquer en vain :
– Que c’est une bonne idée. Au moins je verrai à quoi ressemble l’école où j’irai peut-être l’an prochain !
Les parents de Paul semblèrent ravis de cette réponse et de l’enthousiasme de leur fils.
Le lendemain, Paul se réveilla doucement. La journée s’annonçait très calme. La plupart de ses amis étaient partis en vacances et sa journée allait se résumer à des films ou des jeux sur sa console. Même Louis était indisponible.
Il s’était promis d’appeler Thomas. Il attendit onze heures et chercha la brochure. Elle avait disparue de la salle à manger et, malgré quelques recherches, Paul ne la retrouva pas. Son père avait dû l’emmener la veille à son travail. Paul retrouva les photos qu’il avait prises avec son téléphone. Il recopia le numéro de téléphone et le composa. C’était un numéro de téléphone fixe, sans doute un standard. Il se prépara à demander à parler à Thomas mais réalisa qu’il ne connaissait pas son nom de famille. Il hésita à raccrocher quand une voix masculine se fit entendre :
– Allo ?
Paul hésita et demanda :
– Bonjour, je souhaiterai joindre Thomas… Mais je ne connais pas son nom.
– Qui le demande ?
– Paul… Paul Osinski.
– Ha, bonjour Paul, c’est moi, Thomas. Comment vas-tu ?
– Bien, je vous appelais car j’ai parlé avec mes parents de la possibilité de rejoindre l’école dont nous avions discuté.
Paul ne se reconnaissait pas, il avait l’impression de passer pour quelqu’un de peu sûr de lui, hésitant. Thomas répondit :
– Oui, j’ai eu ton père au téléphone. Je suis très content que tu viennes samedi nous voir ! Je suis certain que tu te plairas ici si tu maintiens ta décision et si tu es accepté, bien entendu.
Paul eut soudain des dizaines de questions à poser. Il ne savait plus quoi dire et en sélectionna une, la plus importante selon lui :
– Comment ça va se passer, samedi ?
– Bien, je l’espère ! Nous allons te recevoir avec tes parents, leur poser quelques questions, à toi aussi. Puis, nous procéderons à ta demande d’inscription si tu le souhaites toujours.
– Merci.
– Avant que je n’oublie, tu n’as encore rien signé mais nous aimerions que tu ne parles pas du but de cette école, nous tenons à rester discrets, question de sécurité.
– Bien entendu, je comprends et je ne compte rien dire. D’ailleurs, mes parents ne savent même pas le but de ces études.
– C’est parfait. De toutes manières, tu imagines bien que personne ne te croirait et quand bien même ce serai le cas, il sera difficile pour toi de prouver notre existence.
Paul réfléchit à cette dernière phrase. Il pensa que l’Aigle était en effet préparé à cette éventualité et que, s’il parlait de l’existence d’une école pour espion, ses amis auraient vite fait de le prendre pour un menteur et riraient sans doute de lui. Il remercia Thomas avant de raccrocher.
Paul avait hâte d’être samedi. Il lui restait deux jours avant de découvrir ce qui serait peut-être sa nouvelle école. Il rêva même la nuit qu’il était un super espion, au volant d’un bolide armé de gadgets en tous genre, lui qui n’avait jamais conduit une voiture.
Paul et ses parents sortirent de chez eux à neuf heures du matin. Le centre de l’Aigle était à près d’une heure de route et ils avaient rendez-vous à dix heures trente.
La voix du GPS les guida jusqu’aux abords du centre, où Paul découvrit un grand mur gris qui en protégeait l’intérieur. Ils avaient quitté la dernière ville une dizaine de minutes plus tôt. Autour, ce n’était que des champs.
La voiture tourna dans un petit chemin, fermé par une grande grille noire. Frank arrêta la voiture devant l’interphone et baissa sa vitre pour sonner. Quelques secondes plus tard, une voix demanda :
– Bonjour, que puis-je pour vous ?
– Bonjour, nous avons rendez-vous pour l’inscription de notre fils.
– Votre nom ?
– Frank Osinski.
Pendant quelques secondes, Paul et ses parents furent dans l’attente. La voix reprit :
– Bien monsieur Osinski, vous êtes en avance. Je vais vous ouvrir. Continuez le chemin jusqu’au bout. Passez le premier bâtiment et garez-vous devant le deuxième que vous verrez. Vous pouvez ensuite entrer et vous présenter à l’accueil.
Un bruit indiqua que la communication était coupée. La grille s’ouvrit lentement et la voiture avança sur le chemin.
Ils passèrent le premier bâtiment et se garèrent devant le second, sur un petit parking, comme il leur avait été demandé.
Paul descendit en premier de la voiture. Il regarda le bâtiment devant lui. Il était sur deux niveaux, d’un blanc tirant vers le gris. Il y avait une fenêtre tous les trois mètres environ. Le bâtiment ne donnait pas envie d’entrer, on aurait dit un bâtiment militaire.
Le futur lycéen attendit ses parents et entra en premier. Il arriva dans un hall de réception d’une grande banalité. Devant lui, un grand comptoir cachait la tête d’un jeune homme.
Paul et ses parents approchèrent, c’est Frank qui entama la conversation :
– Bonjour monsieur.
Le réceptionniste leva la tête et dévisagea les trois visiteurs. Il sembla rester figé devant Frank, le père de Paul :
– Bonjour… Monsieur. Je dois vous demander votre carte d’identité s’il vous plait.
Frank sourit devant l’apparente timidité du jeune homme. Il chercha dans sa poche et sortit son permis de conduire, il le tint à l’homme en demandant :
– C’est nécessaire ?
Le réceptionniste prit le permis. Paul remarqua qu’il semblait paniqué et en déduisit qu’il n’avait pas l’habitude de s’adresser à des visiteurs. Le jeune homme se tourna ensuite vers Maude et sembla plus assuré :
– Il me faut une pièce d’identité par personne, question de sécurité.
Paul et sa mère lui donnèrent leurs documents, l’homme continua en leur donnant des badges “visiteurs” :
– Bien, vous avez un peu d’avance, vous pouvez patienter ici, on viendra vous chercher.
Paul et ses parents s’assirent sur des fauteuils rouges qui semblaient hors d’âge. Ils patientèrent près d’une demi-heure avant qu’une femme, brune, élancée et un franc sourire aux lèvres n’arrive dans la pièce et se dirige vers eux. Elle tendit la main à Paul :
– Bonjour monsieur Osinski, je suis Annabelle Maillard. Je suis la responsable des études des élèves de première année.
Paul prit la main tendue vers lui et se leva. La responsable des études poursuivit, s’adressant aux trois visiteurs :
– Avant de commencer les entretiens, souhaitez-vous visiter une partie du campus ?
Maude répondit par l’affirmative. Annabelle Maillard se tourna vers le comptoir :
– Monsieur Matovic, pourriez-vous faire la visite et me prévenir lorsqu’elle sera terminée ?
Le jeune homme derrière le comptoir releva la tête puis se leva. Il s’approcha de Paul et lui serra la main :
– Bonjour, je suis Mike, je suis élève ici en quatrième année mais je suis aussi chargé de l’accueil pendant les vacances. Il tourna le regard vers Frank mais revint immédiatement sur Paul, comme s’il avait voulu que le père de Paul valide sa phrase.
Frank mis à l’aise l’étudiant :
– Bonjour Mike, nous vous suivons alors ?
– Heu… Oui. Venez.
Paul et ses parents passèrent par une porte vitrée, face à l’entrée du hall. Le campus dénotait avec le premier bâtiment. Paul se retrouvait dans une cour carrée, avec en son centre une belle fontaine.
Trois autres bâtiments entouraient cette cour.
Mike conduisit d’abord les visiteurs dans le bâtiment de droite et leur fit monter un étage. Là, il ouvrit une porte :
– Voici nos salles de classes. Paul, c’est là où tu passeras une bonne partie de tes journées. Comme tu le vois, nous sommes plutôt bien équipés.
Paul regarda les rangées de bureaux et de chaises en bois. C’était un mobilier classique pour une salle de classe. Cependant, un rétroprojecteur était fixé au plafond et pointait vers un tableau blanc numérique. La salle était bien équipée, sans être extraordinaire.
La visite se poursuivit au rez-de chaussée. Le grand couloir ne comportait que deux portes menant au même endroit. C’était une grande bibliothèque.
La modernité du campus avait été en apparence oubliée dans cette pièce. Le parquet au sol était de la même couleur que les grandes bibliothèques remplies d’ouvrages en tous genre. Au centre de la grande pièce, plusieurs tables massives étaient surplombées de petites lampes aux abat-jours verts.
Dans le fond de la bibliothèque un autre espace avec des tables rondes semblaient propices aux travaux de groupes.
Frank observa :
– C’est une belle bibliothèque. On y trouve quel type de livres ?
Mike répondit :
– De tout, à la fois ceux qui peuvent nous aider dans nos études, mais aussi des romans, des bande dessinées, des revues… Nous recevons aussi plusieurs journaux chaque jour. Comme nous restons en général cinq ans en internat, nous avons aussi besoin d’avoir de quoi nous occuper pendant nos temps libres. Il est possible de louer les ouvrages que l’on souhaite. Bien entendu, la responsable de la bibliothèque peut aussi commander de nouveaux livres sur demande.
Paul fut impressionné par la bibliothèque, très différente du CDI de son collège. Ici, il avait une impression de calme, comme s’il était hors d’une école.
Dans le bâtiment suivant, Paul découvrit d’abord l’auditorium, en sous-sol. Il était grand. La large scène faisait face à plus de trois cents sièges rouges. C’est là que les élèves étaient réunis lors de la rentrée ou de conférences.
A l’étage, l’adolescent découvrit les chambres des élèves de première année. Des pièces larges pour trois personnes avec salle de bain individuelle. Paul avait eu peur de devoir être trop proche de ses camarades et de ne pas avoir de tranquillité. Cependant, cela avait été étudié et chaque espace personnel était séparé par des pans de deux mètres, permettant d’avoir une certaine intimité, malgré l’absence de porte entre chaque espace.
Mike accompagna les visiteurs dans la cour :
– Le troisième bâtiment concerne les cours de science, nous avons des salles adaptées mais nous ne pouvons pas y accéder pour le moment. Je vous propose d’avancer à l’arrière, vers la cour et les équipements sportifs.
Le campus de l’Aigle proposait des espaces que Paul n’aurait jamais osé imaginer dans une école. Il découvrit un grand stade avec quelques gradins, un parc arboré, une piscine olympique et deux gymnases à côté desquels il y avait des salles de musculation. Devant l’admiration de l’adolescent après cette visite, Mike ajouta :
– Tous ces équipements sont en libre accès en dehors des heures de cours. Nous ne nous ennuyons pas ici et nous avons la liberté d’aller où nous souhaitons dans le campus. Bien entendu, nous avons d’autres pièces mais je pense que nous avons fait le tour du nécessaire. Je pense aussi que vous allez être attendus. Paul, tu les découvriras en revenant ici pour ta rentrée, il faut toujours garder une part de mystère !
Paul et ses parents étaient ravis de cette visite. Ils furent raccompagnés dans le hall où Anabelle Maillard, la responsable des études, les retrouva.
Celle qui les avait accueillis s’adressa aux parents de Paul :
– Je vous emprunte votre fils un instant, mon collègue va arriver pour s’occuper de vous. Nous nous retrouverons juste après.
Paul suivit Annabelle Maillard dans un long couloir jusqu’à un petit bureau. Il s’assit face à la responsable des études qui commença :
– Bien, je suis ravie de te rencontrer, Paul. Thomas Duchesne m’a dit que vous vous étiez rencontrés près de chez toi. Aujourd’hui, je vais te poser quelques questions, rien de très compliqué tu verras. Si tu as des questions à me poser, n’hésites pas, j’y répondrai dans la mesure de mes possibilités.
Paul s’appliquait à écouter chacun des mots d’Annabelle. Il était aussi ravi d’avoir enfin connu le nom de famille de Thomas. La responsable des études poursuivit :
– Pour commencer, peux-tu me dire ce que tu sais au sujet cette école ?
Paul eut un moment d’hésitation. Il n’en savait que très peu et la réponse qu’il préparait lui semblait soudain absurde. Il se lança finalement :
– On m’a dit que c’était une école en cinq ans, que je pourrais y passer le bac, que le niveau est très bon et que je devrais y trouver ma place après avoir passé les tests d’entrée.
Annabelle sembla soudain étonnée. Elle eut un rictus gêné avant de reprendre :
– Mais sur le but de la formation ? Monsieur Duchesne n’a rien dit de particulier ?
– Si, bien sûr, il m’a dit que je suivrais des cours d’espionnage.
Le rictus se changea en sourire franc. Annabelle semblait se détendre. Elle posa à Paul une série de questions, très simples pour commencer, sur son âge, sa famille, ses habitudes. Elle s’assura aussi que le fonctionnement de l’école convienne à Paul, notamment l’obligation d’internat sans sortir du campus pendant plusieurs semaines. Paul n’était jamais parti longtemps sans ses parents. Il appréhendait cette séparation mais était aussi décidé à intégrer cette école. Il expliqua qu’il ne connaissait pas l’internat, il était toujours rentré après les cours mais que cette idée ne lui déplaisait pas, qu’il n’y avait aucune raison pour que cela ne lui convienne pas.
A chaque fois qu’il donnait une réponse, la responsable des études écrivait quelques mots sur son ordinateur portable. Paul aurait aimé savoir ce qu’elle écrivait mais c’était impossible. Il espérait que rien de négatif ne sorte de cet entretien.
Paul fut ensuite interrogé sur ses résultats scolaires, ses amis, ses passions. Il fut le plus franc possible. Il se doutait que son profil n’avait rien d’extraordinaire mais il pensa que cela ne lui porterait pas préjudice.
Après plus d’une demi-heure de questions, Annabelle remercia Paul et se leva. Elle pria Paul de le précéder dans le couloir et le raccompagna jusqu’au hall d’entrée où elle lui demanda de patienter avant de disparaitre.
Paul était toujours dans l’espoir de réussir cette entrée. Il savait que ses parents étaient eux-aussi en train de répondre à diverses questions et espérait que tout se passe bien. Il tentait d’imaginer quelles étaient les questions que l’on pouvait poser à ses parents et conclut sur le fait qu’elles devaient être proches de celles qu’Annabelle Maillard lui avait posé.
Une dizaine de minutes plus tard, des bruits de pas approchèrent par un autre couloir qui donnait sur le hall. Paul releva la tête et reconnut Thomas. Il était vêtu d’un costume noir et d’une chemise blanche. Paul le vit sourire lorsque leurs regards se croisèrent. Thomas approcha et serra la main de Paul en le saluant :
– Bonjour Paul, j’espère que tu n’as pas trop attendu. Tu peux venir avec moi ? Nous allons continuer les entretiens.
Paul emboita le pas de Thomas. Ils arrivèrent rapidement dans un nouveau bureau. Paul retrouva ses parents et s’assit sur la dernière chaise disponible. Thomas prit place devant eux. Il prit un air fermé :
– Bien, je vous remercie pour les entretiens précédents. Paul, j’ai reçu les notes d’Annabelle à l’instant. J’ai eu l’occasion d’échanger avec tes parents et je suis certain que tu trouveras ta place parmi nous. Cependant, nous devons encore statuer sur ta demande, si tu souhaites toujours rejoindre cette école. Cela se passera donc en deux temps. Nous allons remplir aujourd’hui une fiche d’inscription puis tu nous feras parvenir tes bulletins des deux dernières années. Le conseil des Sages statuera sur ta demande et nous t’enverrons un courrier avec notre réponse. As-tu des questions ?
Paul réfléchit, il se représenta mentalement le chemin qui lui restait à parcourir avant que son inscription soit enfin finalisée. Il imagina aussi le Conseil des Sage et visualisait de vieux barbus autour d’une table ronde. Il répondit finalement :
– Oui, deux questions. Je souhaiterai savoir comment se passe l’inscription et vous parliez d’un conseil des Sages… Qu’est-ce que c’est au juste ?
– Pour répondre à ta première question, nous allons simplement compléter une fiche d’inscription qui sera enregistrée dans ton dossier, ce sera très rapide. Le conseil des Sages a un rôle très important dans notre école. C’est lui qui enregistre les candidatures comme tu l’as compris, mais il est aussi là pour accorder les diplômes internes à l’école, il octroi les bourses d’études et convoque les élèves en cas de sanction disciplinaires. Il est composé du directeur, du recteur, d’un ancien élève, d’un observateur extérieur et d’un professeur élu pour l’année. En fonction des cas, il peut être rejoint par un responsable des études, un élève de la classe concernée et un autre professeur. Mais tout ce fonctionnement est très administratif. Tu as d’autres questions ?
– Oui, quand recevrai-je la réponse ?
– La prochaine réunion du CS, le Conseil des Sages, aura lieu dans dix jours. Si ton dossier est complet d’ici là, tu peux t’attendre à une réponse dans un peu plus de deux semaines.
– Bien, je crois que je n’ai plus d’autres questions.
Thomas se tourna vers les parents de Paul qui, par un signe de tête, confirmèrent qu’ils n’avaient aucune autre question. Thomas se tourna à nouveau vers leur fils :
– Parfait. Si tu es toujours d’accord, nous allons remplir ta demande d’inscription.
Paul hocha de la tête. Thomas pianota sur son ordinateur et une feuille sortit de l’imprimante. Il la tendit à Paul :
– Voilà la demande d’inscription. Je te laisse la remplir avec tes parents.
Maude et Frank s’approchèrent de leur fils. Ils parcoururent tous trois la feuille et Paul prit un stylo dans un mug devant lui, qui avait perdu sa fonction initiale d’accueillir du café.
La demande d’inscription était très classique et reprenait l’état civil de Paul. Il lui fallut moins de cinq minutes pour la compléter et y inscrire sa signature.
Paul fit glisser la feuille dûment remplie vers Thomas qui la scanna immédiatement sans vérifier ce que Paul avait inscrit :
– J’ai tout. Nous en avons terminé pour aujourd’hui. Paul, n’oublie pas de me faire parvenir tes bulletins au plus vite afin que le CS puisse prendre une décision rapidement. J’espère que nous nous reverrons très bientôt !
Thomas se tourna vers les parents de Paul :
– Peut-être avez-vous quelques questions ?
Maude et Frank répondirent par la négative.
Le quatuor sortit du bureau.
Thomas raccompagna les visiteurs jusqu’à l’accueil où Paul et ses parents échangèrent leurs badges contre leur pièce d’identité auprès de Mike.
Une femme arriva au même moment. Paul échangea un regard et un sourire avec le garçon de son âge qui l’accompagnait. Il semblait sympathique. Ses quelques taches de rousseur lui donnaient un air candide. Il avait des yeux marrons malicieux et les cheveux bruns, surmontés d’une casquette. Paul se demanda s’il venait lui aussi pour une inscription.
Paul et ses parents saluèrent et remercièrent chaleureusement Thomas avant de ressortir et d’embarquer dans leur véhicule.
Frank démarra la voiture et sortit du campus :
– C’est vraiment un bel endroit. Paul, ça te plait ?
Paul répondit par l’affirmative, il était déjà impatient d’avoir la réponse du Conseil des Sages et était décidé à envoyer ses bulletins dès son arrivée chez lui.
Paul avait convenu avec ses parents qu’ils ouvriraient le courrier ensemble. Comme Maude rentrait la dernière, c’est elle qui le récupérerait en arrivant. Cependant, c’est Paul qui ouvrirait la lettre de réponse.
Il était tellement impatient que chaque soir il espérait voir une lettre lui étant adressée. Mais, l’Aigle tenait visiblement ses délais. Après deux semaines d’attente, Maude entra dans l’appartement en annonçant :
– Paul, une lettre est arrivée pour toi !
Le futur lycéen sortit en trombe de sa chambre. Il salua sa mère et regarda la lettre posée sur la table de la salle à manger. Il s’assit devant et la prit entre ses mains. Il sentait son cœur battre particulièrement fort dans sa poitrine. Ses parents s’assirent face à lui. Délicatement, il détacha le rabat de l’enveloppe et en sortit une feuille pliée en trois. Il la déplia lentement. Sur l’en-tête, Paul découvrit un logo, un Aigle, les ailes déployées et tenant entre ses pattes un globe terrestre. Á l’arrière du globe, dépassant de chaque côté, un drapeau français et un européen. Cela ressemblait plus à un logo d’une unité militaire qu’à celui d’une école. Sous le logo, des lettres d’or formaient les mots “Semper Vivat” que Paul, ayant quelques notions rudimentaires de latin, traduisit par “Qu’il vive pour toujours”. Cet en-tête l’impressionna. Il lut à haute voix, prenant soin de ne pas découvrir le moindre mot avant ses parents :
“Monsieur Osinski,
Par la présente, nous souhaitons vous informer que le Conseil de Sages de l’école de l’Aigle a bien pris connaissance de votre demande d’inscription. Comme chacune des candidatures, celle-ci a été étudiée avec le plus grand intérêt par nos membres.
Après débat, chacun des membres a été amené à voter sur cette candidature dont vous trouverez le résultat ci-dessous :
Candidat : Paul Osinski
Année d’entrée : 1ère
Votants : 7
Voix exprimées : 7
Avis favorables : 7
Avis défavorables : 0
Non exprimés : 0
Nous avons donc le plaisir de vous annoncer que votre candidature a été acceptée à l’unanimité.
Vous voudrez bien vous présenter le premier dimanche du mois de septembre au Centre de l’Aigle à quinze heures trente afin de procéder à votre rentrée qui aura lieu à seize heures précises.
Dans le cas où vous renonceriez à rejoindre l’école, nous vous serions reconnaissants de nous prévenir par voie postale au plus vite.
Dans l’attente de vous revoir lors de votre rentrée, veuillez agréer, monsieur, nos salutations les plus cordiales.
Paul ne retint pas sa joie, pas plus que ses parents. Frank sortit des gâteaux apéritifs et une bouteille de Champagne qu’il avait achetée en vue de cette occasion.
C’est au moment où la bouteille fut ouverte et que Paul vit le champagne couler dans son verre qu’il prit conscience qu’il allait changer de vie. Le confort de son appartement allait laisser place à une chambre partagée avec des camarades qui lui étaient encore inconnus. Il quittait le collège pour entrer au lycée, Il allait devoir goûter à l’indépendance et n’était pas sûr d’y être prêt.
Frank leva son verre vers celui de Paul pour trinquer puis l’étudiant se tourna vers sa mère. Maude avait un sourire aux lèvres. Paul sentait la fierté de ses parents, il ne fallait pas les décevoir. Frank but une gorgée :
– Bon, Paul, tu as hâte de commencer ?
– Oui, je crois, l’école à l’air très bien mais j’aurais aimé en voir un peu plus lors de notre visite.
Malgré la visite du campus, Paul avait surtout l’impression d’avancer à l’aveugle. Il ne savait pas comment se passerait la vie sur le campus et redoutait de ne pas y être à son aise, ce qui renforçait son appréhension.
Ce soir-là, lorsqu’il se coucha, Paul prit conscience du confort de son lit. Sa tête reposait sur un oreiller moelleux et demain il pourrait se réveiller tard. Moins d’un mois plus tard, ce ne serait plus pareil.
Cette nuit-là, il se rêva à nouveau en espion. Il était dans un hôtel luxueux, vêtu d’un smoking et observait, caché derrière un journal, deux hommes qui discutaient un peu plus loin. Son but était de récupérer des codes permettant le lancement d’une bombe nucléaire. Il reconnut l’un des deux hommes, c’était celui qui l’avait recruté, Thomas Duchesne.
Malgré l’attente, le premier dimanche de septembre arriva rapidement.
La voiture avançait déjà sur le chemin. Paul s’était levé à six heures du matin pour être sûr d’être à l’heure. Il était quinze heures et vingt minutes. Paul se rappela la première fois qu’il avait vécu cette scène, lors de son inscription. Cette fois, il ne repartirait pas le jour-même. Cette fois, ses parents repartiraient sans lui, le laissant avec de nouveaux camarades, de nouveaux professeurs et une nouvelle vie, l’inconnu. Cette pensée eut l’effet d’angoisser Paul, il avait soudain envie de demander à ses parents de faire demi-tour, de rentrer, de se rendre dans son ancien établissement retrouver ses amis, partir loin.
Frank roulait au pas, derrière une autre voiture, une Volkswagen grise. Ils avancèrent comme la fois précédente pour se garer sur le parking devant l’entrée. Il y avait bien plus de monde, des voitures qui passaient et repartaient. Des parents qui déposaient leur enfant.
Les parents n’étaient pas autorisés à rester.
Frank gara la voiture et ouvrit sa portière. Cette fois, Paul y était. Il eut l’impression que sa gorge se noua un peu plus. Il regarda sa mère ouvrir le coffre de la voiture et en sortir sa valise. Elle avança vers lui et approcha sa joue. Paul l’embrassa avant d’embrasser son père. Il ne les reverrait que dans plusieurs semaines mais il avait déjà l’impression que ce serait une éternité.
Frank posa la main sur la valise de Paul :
– Bien, il est temps d’y aller. Bon courage à toi, on viendra te rechercher. J’espère que tu t’amuseras bien mais n’oublie pas de travailler !
Paul hocha la tête :
– Oui, ne vous inquiétez pas. Et si j’ai l’occasion je vous appelle !
Maude acquiesça :
– Tout se passera bien, ne t’inquiètes pas.
Paul savait qu’elle disait cela autant pour le rassurer que pour se rassurer elle-même.
Paul avait toujours été proche de ses parents, en particulier de sa mère. Ce moment de séparation était difficile pour tous les deux.
Son père regarda l’établissement et adressa un dernier sourire à Paul avant de monter en voiture, imité par Maude.
Paul regarda la voiture s’éloigner doucement sur le chemin. Soudain, rien ne semblait plus exister autour de lui.
Il revint à la réalité et se tourna vers le bâtiment d’accueil. D’autres élèves s’y pressaient. Paul prit une inspiration et avança. Il passa la porte d’entrée. Le hall était bien moins vide que lors de son inscription. Il s’avança vers l’agent d’accueil qui n’était pas celui de la fois précédente. Il semblait cependant aussi jeune :
– Bonjour, je viens pour la rentrée.
L’homme releva la tête :
– Bien sûr, en première année j’imagine ?
– J’entre en seconde, oui.
Souriant, l’inconnu répondit :
– C’est bien cela, c’est ce que nous appelons la première année. Tu peux déposer tes affaires dans la première salle du couloir. Elles seront déposées dans ta chambre. Si tu n’as pas mis ton nom dessus, tu auras des étiquettes à ta disposition. Ensuite, il faudra te rendre à l’auditorium, c’est dans le bâtiment en face quand tu es dans la cour, au sous-sol. Si tu as besoin de renseignements, tu as des élèves de cinquième année prêts à t’aider.
Paul se figura l’ensemble des informations :
– Merci beaucoup.
Paul arriva dans la salle indiquée. Il prit deux étiquettes sur lesquelles il écrivit son nom. Il colla la première sur sa valise et la seconde sur son sac.
Un garçon entra dans la pièce et demanda :
– C’est bien ici qu’on peut déposer nos valises ?
Paul releva la tête et découvrit un garçon souriant et visiblement timide. Il avait des cheveux roux clairs, des yeux verts et des tâches de rousseur sur les joues. Sa bouche légèrement pincée trahissait son doute et son hésitation. Paul termina de placer son sac sur sa valise :
– Oui, c’est bien ici. Tu peux la laisser à côté de la mienne si tu veux.
Celui qui faisait certainement sa première rentrée en même temps que Paul s’avança :
– Merci. Moi c’est Arthur.
– Enchanté, Paul.
Les deux garçons échangèrent une poignée de main. Arthur semblait sympathique et Paul espérait le retrouver dans sa classe.
Paul laissa Arthur terminer d’étiqueter sa valise et sortit de la pièce. Il attendit son nouveau camarade et ils se dirigèrent ensemble vers la cour qu’ils traversèrent en regardant les trois bâtiments qui les entouraient.
Ils entrèrent dans le bâtiment face à l’entrée. Paul se souvint que les chambres étaient à l’étage mais, cette fois, il descendit l’escalier pour arriver à l’auditorium. Il y avait quelques élèves qui semblaient attendre en file devant la porte. Au-dessus de celle-ci, un écriteau doré sur lequel on pouvait lire en lettre noires “Auditorium Victor Hugo“.
Paul s’approcha et se plaça derrière de dernier élève de la file. Le garçon se retourna, Paul le reconnut, c’était lui qui était arrivé alors que Paul repartait du campus, le jour de son inscription. Le garçon l’avait aussi reconnu :
– Salut ! C’est toi qui avais ton inscription avant moi !
Paul sourit timidement :
– Oui je pense.
– Moi c’est Damien !
– Enchanté, moi c’est Paul.
– On sera dans la même classe, c’est cool !
Damien semblait être un garçon vif, peut-être un peu trop aux yeux de Paul qui avait toujours eu besoin de calme lors des moments pendant lesquels il ne se sentait pas à l’aise.
Damien était cependant sympathique et avenant. Cette fois, il ne portait pas de casquette et Paul remarqua sa coiffure brune qui lui tombait sur le front, juste au-dessus de ses yeux marrons, petits et pétillants.
Damien s’approcha d’une table placée devant l’entrée et gardée par un garçon que Paul reconnut, Mike, qui lui avait fait visiter le campus lors de son inscription.
L’ainé demanda :
– Tu peux me donner ton nom ?
Paul entendit la réponse de son camarade :
– Damien Grillon.
Mike chercha dans une liste et cocha une case :
– Je t’en prie, entre.
Damien disparut et Paul s’approcha de la table d’accueil. Mike le reconnut :
– Bonjour Paul !
Il vérifia sa liste et, comme précédemment, indiqua par une croix que l’élève était bien présent :
– Entre, ça va bientôt commencer.
Paul le remercia et passa les portes de l’auditorium qui semblait plus grand encore que lors de la première visite qu’il avait faite.
Il fut impressionné par l’endroit, plongé dans une semi-obscurité. Les murs étaient constellés de petits points lumineux qui se poursuivaient sur le plafond. Paul reconnut le ciel étoilé tel qu’il pouvait être vu une nuit d’été depuis Paris, la pollution lumineuse en moins. La scène, à l’avant, était grande et large à tel point qu’elle pouvait certainement accueillir un orchestre philharmonique au complet. Elle était entourée de larges murs sur lesquels étaient dessinés le logo de l’école dans des tailles disproportionnées. Face à la salle, en gradins, les sièges rouges accueillaient déjà quelques élèves placés au centre de la salle.
– Bon, Paul, tu viens ?
La voix de Damien sortit le lycéen de sa contemplation. Il se tourna vers lui. Paul hocha la tête et le suivit dans les escaliers pour s’approcher de la scène. Ils s’assirent au septième rang, au centre de la salle, non loin d’autres jeunes de leur âge.
Paul jeta un regard sur la grande salle derrière lui, les rangs étaient vides. Le groupe d’élève paraissait minuscule comparé à la taille de la pièce.
Les derniers entraient et, quelques minutes plus tard, trois personnes arrivèrent sur la scène. Paul n’avait jamais vu le premier mais reconnut Thomas Duchesne et Annabelle Maillard, qui s’étaient occupés de son inscription.
L’inconnu était plus âgé que les deux premiers. Petit, les cheveux courts couvrant un crâne qui avait tendance à se dégarnir à en croire la hauteur de son front. Il avait le ventre rond, caché par une chemise blanche, recouverte d’un gilet rouge sans manche, laissant deviner à son col une cravate verte. Un style dépassé mais qui lui allait particulièrement bien, se mariant avec ses petites lunettes rondes qui accentuaient des yeux bas.
Les trois personnes s’arrêtèrent au centre de la scène et l’inconnu prit la parole :
– Bonjour à tous.
Un bruissement courut parmi les étudiants. Certains répondaient à l’inconnu d’un “bonjour” timide. Il continua :
– Je suis Samuel Guyot, directeur de cet établissement. Je suis très content de vous accueillir aujourd’hui dans votre nouveau “chez vous”. Vous allez passer, je l’espère, cinq années ici, dans le campus de l’Aigle. Vous aurez sans nul doute de très bons moments et je sais que vous avez hâte de faire connaissance. Pour le moment, le temps de cette petite réunion informative, j’aimerais que vous observiez le plus respectueux silence.
Le directeur marqua un temps d’arrêt, comme pour s’assurer que sa demande allait bien être respectée. Il se tourna vers la seule femme du trio :
– Je vous présente Annabelle Maillard votre responsable des études. La plupart d’entre vous l’ont rencontrée lors de l’inscription. A ses côtés, Thomas Duchesne, lui aussi responsable de vos études. Je vous vois venir, vous allez me demander pourquoi deux responsables des études. Ce n’est pas dû uniquement à leur incapacité de tous vous gérer, rassurez-vous. Tous deux sont des personnes aguerries et de confiance et travailleront ensemble pour que vous passiez une bonne année. Cependant, soyez certains qu’ils ne manqueront pas de sévir dans le cas où vous auriez l’idée saugrenue de faire un écart de conduite. Je vous le déconseille fortement par ailleurs. Vous pouvez donc aller les voir lorsque vous aurez besoin de conseils ou d’aide pour votre vie sur le campus et son organisation.
Le directeur laissa passer une seconde de silence qui lui permit de scruter à nouveau l’assemblée. Il se tourna vers Thomas :
– Mon cher Thomas, je vous laisse poursuivre ?
Thomas s’approcha du directeur qui lui tendait le micro. Sa voix résonna dans l’auditorium :
– Merci. Je vais vous donner quelques informations sur la vie sur le campus. Comme vous l’avez remarqué, nous avons la chance d’être dans un magnifique endroit dans lequel vous vous sentirez rapidement, je l’espère, comme chez vous. Ce sera d’ailleurs votre lieu de vie pendant dix mois. Vous trouverez dans des dossiers nominatifs à l’issue de cette présentation les chambres qui vous sont assignées ainsi que votre emploi du temps et la liste de vos professeurs. Les cours sont bien entendus obligatoires et la ponctualité une de nos valeurs premières. La seule raison pour laquelle vous pourriez rater un cours est si le médecin présent à l’infirmerie vous dispense de cours. Le médecin, comme l’ensemble du personnel de l’Aigle, est présent en permanence, de jour comme de nuit. Au sujet des nuits, justement, vous devez être dans vos chambres à vingt-deux heures sauf indications exceptionnelles. Nous avons des équipes de surveillance la nuit bien entendu, qui rendraient toute tentative d’escapade vaines. L’ensemble des salles de sport et de détente vous sont ouvertes en dehors des heures de cours, c’est-à-dire avant huit heures du matin et après dix-huit heures. Si vous avez des questions, mon bureau, ainsi que celui de Madame Maillard, vous seront ouverts et se situent au premier étage du bâtiment d’accueil.
Paul remarqua le regard dur de Thomas, un regard qu’il ne lui connaissait pas. Sa présentation était presque militaire. Il se radoucit cependant ensuite :
– Pendant que j’ai le micro, je vais aussi vous expliquer votre premier mois. Comme vous le savez, il est décisif pour vous car vous passerez vos premiers examens à l’issu de celui-ci. Ces examens sont primordiaux car détermineront votre maintien parmi nous ou le retour à votre vie précédente, une vie qui, je n’en doute pas, était parfaitement à votre goût. Pas de compétition pendant ce mois-ci. Soyez bon et vous resterez. Nous n’avons pas de “Quota” contrairement à ce que vous pourriez entendre de la bouche de vos ainés qui sauront toujours être particulièrement taquins à votre égard. Ce mois à venir sera une découverte pour vous et vous permettra de vous habituer à votre nouvelle vie. Vous logerez dans des chambres avec deux de vos camarades. Lever à sept heures, petit déjeuner puis cours à huit heures. Le matin, vous suivrez les cours classiques d’une classe de seconde avec le programme de l’État. L’après-midi, les matières seront quelque peu… différentes de vos habitudes. Je vous laisserai les découvrir sur votre emploi du temps. Comme l’a dit notre cher Directeur, vous pouvez venir me voir dans mon bureau pour toute question. Les cours commenceront dès demain. Pour aujourd’hui, installez-vous dans votre chambre et faites connaissance avec vos nouveaux camarades et avec le campus. Nous nous recroiserons bientôt.
Thomas Duchesne fit un signe à Annabelle Maillard qui indiqua d’un geste de la main qu’elle ne souhaitait rien ajouter.
La présentation de rentrée touchait à sa fin. Calmement, les nouveaux élèves sortirent de l’auditorium par la seconde porte. A la sortie, Mike les attendait devant une table sur laquelle étaient posés des dossiers qu’il distribuait au fur et à mesure du passage des élèves. Paul s’avança et prit le sien. Mike commenta :
– Ton numéro de chambre est inscrit en haut, sur l’étiquette. Elle sera normalement au deuxième étage de ce bâtiment.
– Merci.
Paul s’avança vers la sortie et laissa passer une jeune fille qui le remercia :
– Merci ! Tu es dans quelle chambre ?
Paul dévisagea la jeune fille qui serait dans sa classe. Son sourire illuminait son visage amical, tout comme ses yeux vert-bleus surmontant un petit nez rond. Sa chevelure brune tombait sur ses épaules.
Paul répondit enfin après avoir vérifié sur son dossier :
– 4221. Et toi ?
– Je suis dans la 4202.
Les deux jeunes montèrent l’escalier ensemble. La jeune fille en profita :
– Comment tu t’appelles ?
– Paul, et toi ?
– Lucy. Lucy Nahoum.
– Paul Osinski.
– Enchanté ! J’espère qu’on se retrouvera rapidement !
Les deux camarades arrivèrent devant la porte de la chambre de Lucy. Paul continua quelques mètres avant d’arriver devant la chambre 4221. Il ouvrit la porte.
Il arriva dans un petit couloir qui menait à une petite pièce carrée. Il découvrit trois lits, contre trois murs. Tous étaient précédés d’un petit bureau et cachés derrière une fine cloison qui s’arrêtait à mi-hauteur de la pièce.
Damien était penché sur sa valise et se retourna en entendant Paul arriver :
– Non, c’est pas vrai ? Tu es dans cette chambre ?
Paul se força à sourire avant de répondre :
– Oui, la 4221.
Damien semblait toujours enthousiaste :
– Super ! J’ai pris ce lit-là, je te laisse choisir le tiens. Tes affaires doivent être dans le placard de l’entrée.
Paul ouvrit le grand placard et trouva son sac et sa valise. Il les sortit et les posa sur une chaise, près d’un lit.
Il laissa le dossier blanc sur son bureau le temps de sortir ses affaires puis l’ouvrit enfin.
Il y trouva plusieurs feuilles. La première était un récapitulatif de son état civil, la seconde les règles de savoir-vivre du campus – au nombre de douze -, la troisième son emploi du temps et la quatrième un plan de l’établissement. Il y avait aussi un gros dossier reprenant l’histoire de l’école que Paul décida de garder pour plus tard. Il prit l’emploi du temps. Il détaillait chaque heure de chaque jour de la semaine. Paul remarqua rapidement qu’il était bien plus rempli que ceux qu’il avait pu connaitre au collège. Il y avait cinq couleurs sur son emploi du temps de cette année. Il comprit rapidement que le gris correspondait aux temps libres, que l’on trouvait tous les soirs, le dimanche et une partie du samedi après-midi, la couleur orange symbolisait les repas, le bleu les matières “classiques”, le vert les heures d’études et le jaune des matières spécifiques à l’Aigle, tous les après-midi et le samedi matin. Il avait cours tous les jours de huit heures à dix-sept heures, suivis de deux heures d’étude. Le samedi, il aurait cours de neuf heures à treize heures et étude de quatorze à seize heures. Les heures de sport étaient nombreuses, beaucoup trop pour Paul. Le repos et les vacances étaient bel et bien terminés.
Paul se tourna vers Damien :
– Tu as vu l’emploi du temps ?
– Oui, chargé…
Paul resta pensif, il se demanda s’il allait tenir plus d’une semaine à ce rythme. Déjà, son ancienne vie lui manquait.
La porte de la chambre s’ouvrit, un jeune garçon de son âge entra. Paul reconnut celui qui avait déposé ses affaires en même temps que lui, Arthur, qui sembla rassuré de le voir. Il se présenta auprès de Damien, ce qui permit à Paul de savoir que son nom de famille était Rivière.
Arthur s’installa dans le dernier compartiment disponible.
Paul retourna à son sac. Il l’ouvrit et en sortit quelques affaires qu’il posa sur son bureau.
Damien demanda :
– Vous allez faire quoi aujourd’hui ?
Paul répondit depuis son côté de la chambre :
– Il va bientôt être l’heure de diner, je vais terminer de ranger mes affaires avant d’y aller. J’avais prévu de visiter le campus mais ce sera pour plus tard.
Il s’agaça de revoir d’anciens tocs ressurgir. Depuis tout petit, lorsqu’il était stressé, il avait besoin de ranger des affaires au millimètre près. Il sortit une règle de vingt centimètres qu’il posa à égal distance de deux bords de la table, puis fit de même avec un carnet de note. Il vida ensuite sa valise dans un petit meuble, à peine assez grand pour accueillir ses affaires. Là encore, il eut besoin de déplier et replier ses vêtements pour s’assurer que tout soit en ordre dans le meuble. Il le referma et s’assit sur le lit. Il attendit que ses deux compagnons de chambre aient terminé de ranger leurs affaires avant de regarder l’heure sur son téléphone. Il était dix-huit heures. Ils avaient encore une bonne heure à attendre avant de pouvoir se rendre au self pour leur premier déjeuner sur le campus. Paul avait déjà faim :
– Vous pensez que ce sera bon la cantine ici ?
Damien haussa les épaules :
– Toujours mieux que là où j’étais avant ! D’ailleurs, vous venez d’où, vous ? Moi je suis de Lyon.
Arthur répondit :
– Rennes.
Paul conclut :
– Paris.
Damien sembla s’amuser de cette réponse :
– Et bah au moins t’es pas loin.
– Non, une heure d’ici.
Les trois garçons continuèrent de faire connaissance jusqu’à l’heure du déjeuner. Paul apprit ainsi qu’Arthur venait d’une famille aisée, qu’il avait été recruté par l’un de ses professeurs de troisième et qu’il avait toujours eu des facilités en cours. Damien, quant à lui, n’en avait pas dit beaucoup sur sa famille. Il venait d’un collège public de Lyon. Il s’apprêtait à entrer dans un lycée proche de chez lui lorsque son cousin, qui était plus âgé que lui de sept ans, lui avait parlé de l’Aigle. Tom, le cousin de Damien, était un jeune informaticien qui travaillait dans une grande société. Damien n’avait jamais su comment il avait entendu parler de ce campus, il soupçonnait son cousin de cacher une profession d’espion mais, même s’il trouvait ça “trop cool“, il admettait volontiers que Tom n’avait pas vraiment la carrure pour partir en mission à travers le monde.
Après cette discussion, Paul commençait à apprécier ses deux camarades de chambre. S’il avait trouvé que Damien était très vif, il semblait aussi capable de discussions calmes et réfléchies. Il ne connaissait pas encore beaucoup de monde, mais Paul se dit que la plupart des élèves avaient été scrupuleusement sélectionnés et qu’ils seraient pour la plupart bienveillants.
Le trio se rendit au self à dix-neuf heures. Il descendit jusqu’au rez-de-chaussée, passa devant l’escalier qui menait à l’amphithéâtre et sortit du bâtiment des chambres.
Pour arriver au réfectoire, sous la cour centrale, il fallait passer par l’un des bâtiments de cours et descendre au sous-sol.
C’était une grande pièce, peu décorée. Déjà de nombreux élèves commençaient à manger, attablés. Paul fut le premier du trio à prendre un plateau et choisir une place à l’une des grandes tables de la salle. C’était bon, comme ce qu’il avait pu manger dans son ancien établissement.
Damien semblait toujours curieux de tout, c’est naturellement lui qui entama à nouveau la conversation :
– Vous pensez que ce sera quoi, nos examens de fin du mois ?
Paul réalisa qu’il n’en avait aucune idée. C’est Arthur qui répondit :
– Aucune idée, surement des épreuves écrites.
– Ce serai trop cool qu’on ait une vraie mission, un peu comme à l’armée, quand ils s’entrainent !
– Te fais pas d’illusion, Damien, c’est une école, ils ne mettront pas notre vie en danger.
Damien sembla déçu par la réponse d’Arthur. Paul s’amusait des airs de Damien. Il était expressif et l’ensemble du spectre de ses émotions pouvait se lire sur son visage.
Lorsqu’ils eurent terminé de déjeuner, Paul, Damien et Arthur prirent le temps de marcher dans le campus, en particulier dans les grands espaces derrière les bâtiments principaux, proche du stade, des gymnases, de l’infirmerie et de la forêt. Paul appréciait ce lieu et repéra des endroits tranquilles où il pourrait passer un moment loin de l’agitation des autres élèves.
Les trois camarades de la chambre 4221 attendaient devant la salle de classe. Paul avait hâte de découvrir cette nouvelle matière, “Géopolitique”. Pourtant, il sentait une certaine appréhension, caractérisée par des mouvements révélateurs de son stress. Il se passait machinalement la main dans les cheveux, sa respiration n’était pas aussi naturelle qu’à l’accoutumée. Les rentrées avaient toujours provoqué chez lui une forme d’angoisse.
Une femme d’un âge avancé et d’une grande élégance s’approcha. Elle avait un physique élancé, un air strict et sec mais portait un sourire rassurant. Elle salua les élèves et ouvrit la porte pour que la classe puisse entrer.
Paul s’assit à côté de Damien, au milieu de la salle. Il y avait une vingtaine d’élèves qui attendaient le début du cours.
Le professeur attendit que le silence se fasse avant de se présenter :
– Je suis madame Girard et serai votre professeur de géopolitique cette année. Je sais que personne ici n’a jamais fait de géopolitique, mais ce sera une formidable découverte, vous verrez…
Déjà, Paul décrochait. Les présentations de professeur l’avaient toujours ennuyé. Il retint simplement le fait que cette matière traitait de la diplomatie dans plusieurs pays, leur géographie, leur type de gouvernement et leur passé.
Ce premier cours se concentrait sur la situation de la France, son passé et ses relations diplomatiques au vingtième siècle, surtout pendant les deux guerres.
Paul avait pensé qu’il serait à l’aise mais découvrait soudain qu’il ne connaissait finalement que peu de chose sur l’histoire de son pays. Il eut une nouvelle bouffée d’angoisse qu’il calma rapidement. Personne dans cette classe ne connaissait cette matière, tous les élèves en étaient au même point et il suffirait à Paul de travailler un peu pour rester au niveau. Pour une fois, il n’avait pas d’avance sur ses camarades. C’était pour lui un défi de taille.
Madame Girard termina son cours :
– Bien, ce sera tout pour aujourd’hui.
Paul termina d’écrire sa dernière phrase. Il avait mal au poignet. Il aurait voulu profiter de ce cours pour discuter avec Damien, faire un peu plus connaissance mais il n’avait pas levé son stylo de toute l’heure.
Paul resta dans ses pensées. C’est Damien qui le sortit de son égarement :
– C’est quoi le cours d’après ?
Paul chercha dans sa mémoire avant de répondre :
– Indépendance, c’est à l’étage du dessus.
– Nan mais ça je sais mais ça veut dire quoi “Indépendance” ?
– Aucune idée, ils vont peut-être nous apprendre à nous débrouiller sans nos parents.
Le nom de cette matière avait aussi intrigué Paul mais il s’était fait une raison, il découvrirait cela pendant le cours.
Paul et Damien entrèrent dans la salle après Arthur. Paul adressa un sourire à Lucy, déjà assise au centre de la pièce. Le professeur était déjà là, Monsieur Michot, une trentaine d’année, grand, trapu. Paul se dit qu’il ferait un très bon rugbyman.
Comme pour le cours précédent, Paul s’assit à côté de Damien. Pour ce premier jour, cela le rassurait. Arthur, quant à lui, les avaient laissés pour se mettre au premier rang, un trait de caractère qui agaçait Paul sans qu’il ne sache vraiment pourquoi. Arthur ressemblait à un premier de la classe, bon en tout. C’était peut-être pour Paul un peu de jalousie, mais il n’avait jamais apprécié ceux qui tentaient de se faire bien voir par tous les moyens.
Le cours commença dans un grand silence, trahissant la hâte des élèves d’en connaitre un peu plus sur leur nouvelle matière :
– Bonjour jeunes gens. Je suis Jacques Michot. Je serai votre professeur d’indépendance pour cette année. Quelqu’un sait-il ce qu’est l’indépendance ?
Paul regarda autour de lui. Un seul élève levait la main, Arthur. Paul aurait pu le parier. Le professeur pointa du doigt le camarade de chambre de Paul qui tenta une réponse :
– C’est être indépendant, ne pas être soumis à une autorité, pouvoir être seul et autonome.
Paul décela un sourire sur le visage du professeur qui hocha la tête de haut en bas :
– C’est pas mal. Je vais vous apprendre en effet à vous débrouiller seul. Seul sans faire n’importe quoi. Avec moi, vous allez apprendre à survivre dans des conditions difficiles, à sortir de votre zone de confort. Et nous allons commencer dès maintenant. Je vais prendre tous vos prénoms et vous mélanger. Je me doute qu’en ce premier jour, vous ne vous connaissez pas encore et vous vous êtes placé avec des personnes avec qui vous avez pu échanger ne serait-ce que quelques minutes. Peut-être des camarades de chambres. Tenez, vous, monsieur.
Paul avait été visé par son professeur, il répondit :
– Oui ?
– Pourquoi vous êtes-vous placé à côté de votre camarade ?
Paul fut honnête :
– Nous sommes dans la même chambre.
Il y eut un bruissement dans la salle, des rires timides. Le professeur s’adressa à nouveau à ses élèves :
– C’est un comportement classique, je parie que c’est ce que vous avez tous fait. Changeons cela, vous verrez que vous en ressortirez avec de nouveaux amis et que vous aurez mis à profit ce cours d’une meilleure manière. Le maitre mot est de refuser le confort.
Le professeur prit le nom de chacun des élèves un par un. Après que Damien eut donné son nom, le professeur pointa à nouveau Paul de son stylo qui se présenta :
– Paul Osinski.
Le professeur nota et releva la tête vers Paul. Il marqua un temps avant de répéter son nom comme s’il l’avait déjà entendu :
– Osinski… Je vois. C’est donc vous.
Paul resta sans rien dire. Cette remarque, courte mais pleine d’insinuation, lui fit soudain se poser de nombreuses questions. Ce professeur semblait déjà le connaitre, pourtant, Paul savait qu’il ne l’avait jamais rencontré.
Monsieur Michot passa à l’élève suivant sans plus de commentaire. Lorsqu’il eut terminé, il pointa les différentes chaises en citant les noms des élèves qui se hâtaient de prendre leur nouvelle place. Paul se retrouva au premier rang, devant le professeur à côté d’un élève qui s’appelait Antoine, Antoine Chaille. Paul, timide, n’était pas à l’aise d’être obligé de changer de place et de quitter Damien, mais ce n’était que pour une heure.
Le premier exercice amusa Paul. Le professeur avait demandé à chacun de prendre une feuille à côté de ses notes de cours et, pendant l’heure, de noter toutes les impressions qu’il aurait sur son voisin. Une manière d’observer et de se faire une opinion sur le monde qui nous entoure, selon le professeur. Paul avait d’abord regardé avec insistance Antoine, essayant d’imprimer son visage. C’était un garçon assez grand, fin, aux cheveux bruns et courts. Il semblait aimable, discret et sympathique.
Paul décida d’observer du coin de l’œil ses gestes pour noter toutes ses impressions au fur et à mesure.
Le cours portait sur l’introduction à l’orientation, un cours très simple qui traitait de l’utilisation d’une boussole, la position des étoiles et le suivi de traces. Paul avait compris que l’intérêt du cours n’était pas dans les paroles du professeur. M. Michot avait voulu que chacun soit à l’aise pour observer son voisin.
Au fil de l’heure, Paul analysa Antoine. Il vit rapidement qu’il était gaucher. Le regard fixe d’Antoine lui fit dire qu’il était quelqu’un de concentré et attentif à ce qu’on lui disait, mais aussi peu capable de faire plusieurs choses à la fois.
Malgré qu’il ait pensé que l’exercice était facile, Paul ne put en dire beaucoup plus au sujet de son voisin. Il pensait qu’il devait avoir du succès auprès des filles mais ce trait de caractère n’était sans doute pas ce que le professeur recherchait.
Le point le plus délicat pour Paul était d’observer son voisin sans qu’il ne s’en rende compte et prendre des notes sans qu’il ne puisse les lire.
A la fin du cours, les élèves rendirent leurs copies. Tous avaient l’air embêté et peu avaient vraiment réussi à trouver à dire sur leurs camarades.
Paul rangea ses affaires et sortit pour attendre Damien et Arthur. C’est Antoine qui sortit quelques secondes après lui et lui demanda timidement :
– Salut, excuse-moi, je me demandais ce que tu avais trouvé sur moi.
Paul répondit en souriant :
– Pas grand-chose en fait. J’ai vu que tu étais gaucher, c’est déjà ça. J’ai remarqué que tu étais attentif au cours, j’en ai aussi déduit que tu étais d’un naturel à te concentrer et peut-être qu’il était compliqué pour toi de faire plusieurs choses à la fois. J’ai bon ?
Antoine s’amusa de cette réponse :
– Pas vraiment, je suis droitier déjà, mais j’avais envie que tu te trompes, c’est réussi. Ensuite, je suis concentré, mais ça ne m’a pas empêché de voir que tu cherchais tes mots, tu as eu du mal parfois à noter le cours en me regardant et tu étais énervé de ne pas trouver grand-chose. Ha, et tu as un toc, tu es obligé de tout bien ranger.
Cette réponse agaça Paul qui tenta de ne pas le montrer mais Antoine surenchérit :
– Et là, tu es énervé car tu n’aimes visiblement pas te tromper. Ou alors c’est parce que j’avais raison sur ton toc. Mais ne le prends pas mal, je l’ai remarqué mais pas noté. Excuse-moi d’avoir été un peu direct.
Paul se calma. Antoine était visiblement doué :
– Bravo. Mais comment tu as fait ? Tu avais toujours les yeux fixés sur le prof.
A nouveau, Antoine accompagna sa réponse d’un grand sourire :
– L’avantage du tableau blanc, c’est que ça réfléchit, mal, mais ça réfléchit. J’ai pu ainsi voir quand tu faisais certains gestes. Ensuite, ma calculatrice était posée devant moi, elle aussi à un écran réfléchissant et bien plus précis. Le reste, je n’ai fait que sentir certains gestes ou jeté des regards aux bons moments, quand tu écrivais par exemple, car c’était un moment où tu étais trop concentré pour voir que je te regardais.
Paul fut admiratif :
– Je n’ai rien à dire, c’est très fort.
– Tu n’as rien dit d’autre sur moi alors ?
Antoine sembla déçu que Paul n’ait rien trouvé de plus. Le lycéen fut presque vexé et tenta :
– Je me suis dit que tu ne devais pas avoir trop de problème avec les filles, mais ça je ne l’ai pas noté.
Antoine s’amusa à nouveau de la réponse de Paul sans pour autant la commenter. Paul pensa que son camarade était d’un naturel à sourire facilement.
Arthur sortit de la salle, accompagné de Damien avec qui il retrouva Paul qui leur présenta Antoine. Les quatre garçons regardèrent leur emploi du temps. Ils avaient deux heures d’étude que Paul mit à profit en relisant ses cours de la journée. L’ambiance était studieuse entre les quatre garçons qui n’échangèrent que quelques mots. Antoine s’était naturellement intégré dans le trio de la chambre 4221.
Lors du diner, immédiatement après l’étude, les échanges furent plus amicaux. Paul eut l’occasion d’en apprendre un peu plus sur Antoine. C’était un garçon qui avait un grand sens de l’humour, discret mais qui savait avoir des phrases très amusantes. Il avait une bonne répartie et n’hésitait pas à faire de l’humour provocateur sans en penser un mot, surtout sur la gente féminine.
Les quatre garçons restèrent ensemble pendant le temps libre d’après diner. La température douce leur permit de rester dehors et ils discutèrent de leur premier après-midi. Tous les quatre avaient été déroutés par leurs deux premiers cours mais étaient excités à l’idée du mois qui se profilait devant eux. Ils prirent leur emploi du temps pour discuter de leurs attentes dans chacune des matières. Ils avaient tous des préférences différentes. Arthur préférait les matières classiques, Damien voulait connaitre les matières d’espionnage, Antoine, bon nageur, était ravi d’avoir natation chaque semaine et Paul était surtout impatient d’avoir ses premiers cours d’histoire et de physique-chimie, ses matières fortes.
Le soir venu, Antoine quitta ses camarades et retrouva sa chambre, à quelques portes de celle de ses trois amis.
Paul, Damien et Arthur prirent place dans leur lit respectif. Ils commencèrent à discuter mais la fatigue se fit rapidement sentir. La journée avait été chargée, le rythme n’était plus celui des vacances et, pour Paul, la concentration de la journée l’avait épuisé. Après quelques minutes, Damien éteignit la lumière principale de la chambre qui fut plongée dans l’obscurité et dans un grand silence.
Paul pensa à son appartement, son lit confortable et sa chambre. Ses sentiments étaient contradictoires. Sa chambre lui manquait mais il aimait être là. Il était persuadé que sa scolarité se passerait bien, et il se rassura doucement. Sa dernière pensée fut pour ses parents qu’il ne verrait pas pendant au moins un mois. C’était la première fois qu’il se retrouvait si longtemps sans eux.
La fatigue le gagna. Paul ferma les yeux et s’endormit.
Les matinées plaisaient à Paul. Il retrouvait des cours qu’il connaissait et le niveau, qui pouvait paraître élevé pour quelques élèves, convenait parfaitement au nouveau lycéen. Le mardi matin, il avait ainsi enchainé les deux cours de langues – anglais et espagnol – puis deux heures de physique-chimie et une heure de mathématiques. Ces cinq heures de cours n’avaient pas été une torture pour lui, contrairement à Damien qui n’était pas habitué à un rythme soutenu et qui semblait avoir besoin de plus de concentration que Paul pour ces matières scolaires.
Paul était le plus clair de son temps avec ses trois camarades, Damien, Arthur et Antoine. Ils s’entendaient parfaitement bien et Paul avait rapidement changé d’avis sur Damien. Au-delà de son côté parfois agité, il était d’une profonde gentillesse. Antoine, discret le lundi après-midi, avait lui aussi trouvé sa place dans ce petit groupe bien qu’il ne soit pas dans la même chambre que ses amis. Arthur, enfin, avait rapidement compris que ses connaissances n’impressionneraient pas les trois autres garçons. Il les gardait pour les cours ou les révisions et n’était jamais avare de conseils pour aider ses trois amis.
La mardi après-midi, ce fut aussi l’occasion de découvrir une nouvelle matière, “Exploration“. Paul était certain que cette matière allait lui plaire. Si elle pouvait se rapprocher des connaissances apprises en cours d’indépendance, l’exploration se ferait la plupart du temps en plein air, et mettrait les étudiants face à de nouveaux défis d’orientation, d’acclimatation dans de nouveaux milieux et surtout de dépassement de soi lors de promenades qui étaient loin du plaisir de celles que Paul faisait parfois avec sa famille. Cette fois, ce serait tantôt avec des sacs chargés, tantôt avec un temps à respecter et parfois à vélo. Le premier cours avait été très simple puisque les étudiants étaient d’abord restés dans la salle de classe. Ils avaient écouté la présentation de la matière et posé leurs questions. Pendant la deuxième partie du cours, ils avaient découvert une partie du campus, une grande forêt qui serait parfois leur terrain de jeu pendant ce cours. Pour cette introduction, il leur avait simplement fallut en faire le tour dans un temps très large. Paul, Damien, Arthur et Antoine avaient fait l’exercice ensemble.
Le dernier cours du mardi était une heure de natation. En réalité, le temps de se changer prenait facilement dix minutes ce qui réduisait le temps dans l’eau. Les élèves avaient été impressionnés par la piscine, située sous le gymnase, derrière le bâtiment des chambres. C’était une piscine olympique, très profonde.
Paul avait pu découvrir à cette occasion qu’Antoine était en effet un très bon nageur, bien plus que Damien qui n’était pas un grand amateur d’eau.
Le mercredi, après une journée de cours, les élèves avaient terminé une heure plus tôt. Le cours intitulé “accompagnement” ne commencerait qu’après la période des tests, ce qui était pour arranger tous les élèves. Après trois jours de cours, ils étaient tous fatigués par leur programme. Les cours de sport qui s’enchainaient le mardi et le mercredi les avaient épuisés et ils savaient que ce n’était pas terminé.
Le jeudi matin, Paul s’était d’ailleurs réveillé avec des courbatures. Il était ravi de voir que le sport avait visiblement commencé à faire effet mais se jura de s’appliquer pendant les étirements. Ce matin-là, dans la salle du petit déjeuner, Paul remarqua un étrange silence, révélant que tous les élèves étaient dans le même état que lui.
Heureusement, le jeudi matin, ils n’avaient que quatre heures de cours et une heure de temps libre avant le déjeuner. Paul quitta ses amis pour se reposer dans sa chambre une demi-heure. Il fut ensuite plus à même d’entamer l’après-midi qui commençait par une heure de renforcement musculaire. Paul fut très rapidement au bout de ses capacités. Le professeur, Lucas Rouanet, était un homme compréhensif. Pour ce premier cours, il jaugeait les élèves sans les forcer à se dépasser. Paul devinait que cette clémence de la part de son professeur changerait au fil des semaines.
Le plus doué des quatre amis dans les exercices de cet après-midi était incontestablement Antoine. Damien et Arthur abandonnaient généralement un peu avant Paul.
Les élèves avaient ensuite une heure sur l’histoire de l’espionnage. Le professeur était ravi du silence qui régnait dans sa salle et devait remercier ses collègues professeurs de sport. Les élèves faisaient un effort presque impossible pour ne pas tomber de sommeil.
Pour la dernière heure de la journée, les élèves de la première année avaient rendez-vous avec leur tuteur, chacun dans une salle différente. Aucun ne connaissait à l’avance quel serait leur référent et ils le découvrirent sur des feuilles affichées à l’entrée du bâtiment 2. Sur la liste, le nom de chaque élève correspondait à un tuteur différent, parfois un professeur de leur classe, parfois un professeur qui leur était inconnu mais enseignait en deuxième ou troisième année.
Paul chercha son nom et trouva son référent. C’était Thomas Duchesne. Paul était ravi de cette nouvelle. Il le connaissait déjà et avait pu discuter avec lui avant même son entrée dans l’école. Il savait qu’il s’entendrait bien avec lui.
Paul retourna auprès de ses amis qui avaient déjà trouvé leur tuteur sur la liste. Damien l’accueilli :
– Alors, t’es avec qui ? Moi j’ai Bianchi, le prof de sport, c’est pas de bol !
Paul ne put cacher son sourire devant cette nouvelle. En effet, Damien n’était pas le meilleur élève en sport, il était dans la moyenne sans pour autant porter un grand intérêt aux matières physiques. Paul répondit :
– J’ai Thomas Duchesne.
Le silence se fit. Antoine fixa Paul avec un regard que Paul prit pour du dédain, avant qu’Antoine ne s’explique :
– Duchesne ? T’as de la chance toi ! Le responsable des études. Enfin je suis avec Miss Annabelle Maillard, je ne sais pas à quoi m’attendre, elle est capable du pire comme du meilleur !
Paul acquiesça, elle avait su se montrer sympathique à son inscription, mais avait souvent un air froid et avait rapidement acquis la réputation d’une femme impitoyable avec les élèves.
Arthur était avec la professeur de mathématique, ce qui lui convenait parfaitement.
Antoine n’avait visiblement pas digéré que Paul soit avec Thomas Duchesne et renchérit :
– Comment ça se fait que tu sois avec Duchesne ?
– Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? C’est du hasard, tu es bien avec l’autre responsable.
– Oui, c’est vrai, mais quand même !
Paul taquina son ami :
– T’es jaloux ?
Paul crut voir les joues d’Antoine rosir, touché.
– Je ne suis pas jaloux, désolé, mais se faire bien voir de Duchesne, c’est s’assurer une belle année.
Paul savait qu’Antoine avait raison. Duchesne était sans doute plus facile qu’Annabelle Maillard et il participait à toutes les décisions. Mais Paul avait une autre idée en tête. En début de semaine, son professeur d’indépendance avait insinué le connaitre et Paul voulait faire la lumière sur cette histoire. Thomas était la personne idéale pour poser la question.
Paul quitta ses amis pour se rendre dans le bureau de Thomas, dans le bâtiment un, où le rendez-vous avait lieu.
Le jeune élève frappa trois coups sur la porte du bureau. Il attendit quelques secondes avant que la porte ne s’ouvre. Thomas l’accueillit :
– Entre, Paul, comment vas-tu ?
– Bien, merci, et vous ?
– Parfaitement bien. Je t’en prie, assieds-toi.
Thomas avait désigné l’une des belles chaises en bois devant son bureau.
Paul s’assit et regarda les murs couverts de bibliothèques. Dans une partie de la grande pièce, on trouvait deux beaux canapés en cuir se faisant face autour d’une table basse en verre.
Paul remarqua la douce odeur d’encens qui régnait dans la pièce calme. Il avait l’impression de ne plus être dans le campus malgré la fenêtre derrière le bureau donnant sur la cour centrale. Il était certain que les autres entretiens se faisaient dans des lieux moins agréables.
Thomas s’assit face à Paul et entama la conversation :
– Alors, Paul, comment se passe cette première semaine ? La vie sur le campus te plait ?
– Oui, beaucoup.
Paul marqua une pause, repensant à son premier jour qui avait parfois été un peu délicat et reprit :
– Enfin, un peu compliqué lundi et mardi, je n’ai pas l’habitude de l’internat.
– Tu vas t’y faire, et si tu as un souci, je suis là pour t’aider.
Thomas avait dit cela d’une voix calme, détendue. Paul appréciait ce ton qui le mettait à l’aise. Il répondit :
– Oui, merci.
– Et les cours ? Je sais que c’est parfois difficile de découvrir de nouvelles matières. Ça te plait ?
– Oui, en particulier la géopolitique et l’histoire.
– Ça ne m’étonne pas. Et le sport ?
– C’est dur, mais je vais m’y faire.
Paul gardait en tête la question qu’il voulait absolument poser à son tuteur et se lança :
– Mais j’ai eu une remarque étonnante d’un professeur, lundi.
Thomas fronça les sourcils. Paul savait que ce n’était pas un amateur des conflits internes et qu’il ferait tout pour les résoudre. Paul le rassura :
– Rien de grave, mais lorsque j’ai dit mon nom, j’avais l’impression que le professeur me connaissait. Pourtant, je suis certain de ne jamais l’avoir vu.
Thomas pinça son menton de ses doigts avant de répondre :
– Peut-être un homonyme ?
– Il y a peu de risque.
– Ne t’inquiète pas, je pense qu’il a dû avoir un élève du même nom, ou un nom ressemblant. Osinski, c’est d’origine polonaise, ça, non ?
– Oui, en effet, pourquoi ?
– Il a sans doute eu un élève qui avait un nom proche. De toutes manières, ça ne me semble pas important et tu dois te concentrer sur ton objectif du moment, avoir tes examens, c’est tout ce qui compte.
– Oui, c’est vrai.
Thomas Duchesne s’assura :
– Il n’a pas eu de remarque déplacée au moins ?
– Non, non aucune.
– Parfait. Après ces quelques jours de cours, je suis content que tu te plaises ici. Tu veux toujours poursuivre sur le campus, n’est-ce-pas ?
Le ton de Thomas s’était radouci. Il avait posé les mains sur le bureau et regardait Paul avec un large sourire. Paul répondit comme une évidence et comme pour se persuader lui-même de sa réponse :
– Oui, je me plais bien ici.
Thomas libéra Paul rapidement. Il n’y avait pas beaucoup à dire après seulement trois jours de cours. Paul avait été rassuré par la réponse à sa question et il semblait plausible en effet que son nom ait rappelé à son professeur celui d’un ancien élève ou même d’une personne hors de l’Aigle. Cependant, un doute subsistait en Paul et il se promit que si cette situation venait à se représenter, il n’hésiterait pas à demander directement des explications à l’intéressé.
Paul retrouva ses amis à l’étude. Ils avaient tous eu une bonne expérience avec leur tuteur. Damien était même ravi de ne pas avoir eu à parler de sport avec le professeur d’EPS qui le suivait.
Le vendredi passa comme les jours précédents, rapidement. Heureusement, l’après-midi, les élèves avaient un cours de sport collectif. Cette fois, c’était du basket, un sport que Paul appréciait et dans lequel il n’était pas mauvais. Ce fut pour lui une détente dans cette semaine chargée.
Le dernier cours s’appelait “théorie équipement”. Damien avait imaginé qu’on leur expliquerait comment se servir d’armes miniatures mais il était loin de la vérité. Paul trouvait que le cours s’apparentait plus à un cours de technologie comme il en avait eu au collège. Ils y apprendraient les circuits électriques, la construction détaillée d’une caméra et son fonctionnement, le son, et, parfois, leur utilisation dans le cadre d’une mission d’espionnage.
Cette éventualité paraissait bien lointaine à Paul. Même s’il avait très envie de devenir un espion, cela ne serait pas avant cinq ans, à la sortie de ses études, et seulement s’il réussissait sa scolarité et à la condition de ne pas finir dans un bureau, comme la plupart des espions en France.
Ce vendredi soir, lorsque Paul, Damien et Arthur regagnèrent leur chambre, bien que fatigués, ils échangèrent sur leur première semaine qui touchait à sa fin. Bien sûr, ils avaient encore cours le lendemain matin, notamment une conférence, mais le programme était allégé.
Ils n’éteignirent leur lumière qu’une heure plus tard. Paul chercha le sommeil, imaginant déjà son futur à parcourir le monde.
Paul apprécia de se réveiller une heure plus tard en ce premier samedi, mais la dure réalité du campus se rappela à lui lorsqu’il dut se dépêcher d’avaler un petit-déjeuner pour arriver à son premier cours du jour, à nouveau un cours de sport. Cette fois, ce n’était pas le cours au programme de son année de seconde mais un cours permettant aux élèves de ne pas se relâcher pendant le weekend.
Paul sentit ses courbatures se réveiller mais se força à faire les exercices demandés. Il était hors de question pour lui de ne pas être à la hauteur.
Ce dernier cours de sport de la semaine était suivi d’une conférence de deux heures. Chaque semaine, un intervenant venait présenter un aspect de son métier et donc du futur métier des élèves qui l’écoutaient avec attention.
Pour cette première conférence, c’était un espion qui avait fait ses études dans la même école qu’eux, près de vingt ans auparavant. Il était parti pour de nombreuses missions à travers le monde et forçait le respect des élèves. L’auditorium était silencieux et seule la voix de l’intervenant résonnait dans les hauts parleurs.
Après cette conférence, Paul et ses amis retrouvèrent le réfectoire pour leur déjeuner. Le lycéen prit un steak haché accompagné d’un plâtrée de pâtes.
Il fallut un grand courage à Paul pour ne pas céder à la tentation de retrouver sa chambre et aller aux deux heures d’étude qui attendaient les élèves.
A seize heures, leur semaine de cours fut réellement terminée. Paul regagnât sa chambre. Il était satisfait de ne plus avoir de travail pour le weekend et content d’avoir enfin du temps pour se reposer. Il se coucha sur son lit et s’endormit.
L’étudiant ne se réveilla qu’une heure plus tard. Il avait l’impression que tout autour de lui était irréel et il lui fallut près d’un quart d’heure pour émerger complétement. Il sentit soudain une grande tristesse qu’il mit sur le compte de la fatigue. Le rythme était dur à suivre, son appartement lui manquait cruellement. Il avait l’impression qu’il ne retrouverait jamais son ancienne vie, son ami Louis paraissait un souvenir. Pourtant, cela ne faisait qu’une semaine qu’il était arrivé à l’Aigle et, si sa vie de collégien appartenait bien au passé, il aurait l’occasion de revoir Louis pendant ses prochaines vacances. Paul se calma et sa tristesse passa doucement.
Il se leva et sortit de sa chambre. Il descendit les deux étages menant au rez-de-chaussée et se retrouva dans la cour. Il faisait bon. Le soleil était encore haut et le réchauffa. Doucement, le moral commençait à remonter bien qu’il fut encore loin du parfait bonheur.
Paul se demanda où pouvaient être ses amis. Il rejoignit la fontaine et s’assit sur la margelle. Des étudiants allaient et venaient devant lui.
Paul réfléchit. Il serait étonnant de les retrouver dans une salle de sport. Le lycéen jeta un regard alentour.
– Alors, tu dormais ?
Paul reconnut la voix de Damien derrière lui et se retourna :
– Ha, désolé, je vous cherchais. Tu es tout seul ?
– Oui, j’allais venir te réveiller mais je t’ai vu ici. Tu as bien dormi ?
– Ça va, mais le réveil est pas simple. Et puis j’ai faim.
– Ça tombe bien, un troisième année nous a fait découvrir le foyer. Bien sûr personne ne nous en a parlé avant et faut vraiment le chercher. Viens, suis-moi ! En plus tout est gratuit !
Paul se leva. L’air enjoué de Damien et l’idée de cette nouvelle découverte lui avaient rendu le sourire.
Il suivit Damien vers le bâtiment des chambres, descendit au sous-sol et passa devant l’auditorium. Les deux garçons empruntèrent un grand couloir ressemblant à un couloir de métro. Damien se tourna vers Paul :
– Tu savais que tous les bâtiments étaient reliés par un souterrain ? Comme ça quand il fait froid, on n’a pas besoin de sortir ! On peut accéder à tous les gymnases, le self, les salles de classes, les chambres…
Paul le coupa :
– J’ai compris le concept quand tu m’as dit “tous les bâtiments” tu sais ?
Damien arrêta sa phrase. On pouvait lire sur son visage que la voix sèche et la remarque dure de son ami l’avait déçu. Il continua de marcher avant de reprendre :
– Dormir te réussit pas visiblement.
– Désolé, je suis encore fatigué, j’arrive pas trop à m’y faire et… enfin j’ai pas l’habitude.
– Coup de blues ?
– Ouais.
Damien s’arrêta et se tourna vers Paul :
– Tu sais, si tu as besoin, tu peux parler, t’es plutôt du style discret mais avoir un coup de blues ça arrive, surtout quand on n’est pas habitué. Enfin, je n’ai jamais su trop quoi dire mais on est dans la même chambre, on est amis donc si tu veux discuter, tu peux compter sur moi.
C’était exactement ce que Paul appréciait chez Damien, derrière ses airs toujours joyeux, il était toujours prêt à aider. Paul remercia Damien qui se remit en route.
Ils tournèrent à gauche et arrivèrent devant un grand escalier. Il menait au bâtiment trois mais les garçons continuèrent dans le corridor. Ils tournèrent à droite dans un autre couloir, plus exigu et marchèrent encore quelques secondes. Paul demanda :
– C’est un vrai labyrinthe ici, t’es sûr que t’es pas perdu ?
– T’inquiète, on y arrive.
Paul commençait à entendre quelques bruits. Après un dernier tournant, ils se retrouvèrent face à une grande double porte rouge, ouverte à deux battants. Paul regarda la grande pièce devant lui. Des vieux canapés en cuir sur lesquels des élèves jouaient aux cartes, des tables autour desquelles certains discutaient en buvant des boissons chaudes. Le parquet au sol et les murs boisés faisaient penser à un vieux pub irlandais. Paul remarqua dans le fond un petit groupe qui jouait aux fléchettes. De l’autre côté, un grand comptoir était gardé par un jeune garçon qui devait avoir une vingtaine d’années. Damien entraina Paul vers lui :
– Tu veux quoi ?
Paul observa les grands panneaux au mur au-dessus du comptoir et s’adressa au serveur :
– Heu… Un chocolat chaud s’il vous plait.
– Bien m’sieur !
Celui qui devait être employé ici se retourna pour préparer la commande de Paul. Il lui servit rapidement. Paul demanda :
– Je vous dois combien ?
Le serveur s’amusa de cette question avant de répondre :
– Allez, aujourd’hui c’est pour moi ! Et puis tout est gratuit ici. A condition que tu me tutoies. Je suis Augustin, je suis en quatrième année. Ici on se relaie pour servir les autres. Toi tu viens d’arriver non ?
– Oui.
Une autre voix se fit entendre à côté de Paul qui reconnut Mike, l’élève de quatrième année qui avait activement participé à sa rentrée :
– Tu verras, ici c’est une famille, on est là pour s’aider les uns les autres. Sinon, tu ne tiendras jamais. Tu es toujours le bienvenu ici. Le samedi soir c’est plutôt animé. Je crois que pour fêter la rentrée on fait une petite fête. Si ça te dit, viens faire un tour avec ton ami tout à l’heure après le diner, normalement les élèves de première année n’ont pas le droit de venir ce soir, mais on ne dira rien !
Paul retrouvait doucement son sourire. Il remercia Mike pour la boisson chaude et pour son invitation et accompagna Damien sur l’un des grands canapés en cuir où il retrouva Antoine et Arthur.
Paul but une gorgée de son chocolat chaud. Damien avait pris la même chose. Il demanda à Paul :
– Alors, ça va mieux ?
– Oui, je crois qu’il fallait que je me réveille. Et Mike à raison, ici je finirai par me sentir comme dans une vraie famille.
Antoine sortit de son silence, un sourire au coin des lèvres annonçant son prochain trait d’humour :
– C’est mignon, je vous ferais presque un câlin !
Les quatre amis s’amusèrent de cette dernière phrase et continuèrent à discuter de leur vie dans le centre. Paul s’y sentait finalement bien mieux et envisageait maintenant de rester quelques années.
Le soir venu, après le diner, alors qu’ils se retrouvèrent encore tous les quatre, Damien prit Paul à parti :
– Bon, on y va alors ?
– Où ça ?
– La soirée ! Tu sais au foyer !
– C’est pas interdit aux première année ?
– Et alors ? Tu crois qu’on se fera choper ? Il n’y aura pas de profs et si un vigile passe il ne saura pas qu’on est en première année.
– Je sais pas, c’est la première semaine, j’ai pas envie de me faire renvoyer ou me prendre des pénalités pour une bêtise comme ça.
– T’es pas drôle ! On pourrait facilement laisser Antoine et Arthur tous les deux, en plus ils veulent aller à la bibliothèque, c’est chiant pour un samedi soir !
– T’as raison, je te suis. Mais si jamais on croise quelqu’un qu’on connait dans les couloirs, on dit qu’on s’est perdu et on revient ici.
– T’inquiète, ça se passera bien. T’es assez peureux en fait comme garçon !
Paul ne releva pas cette dernière phrase. Il laissa Damien expliquer à leurs amis qu’ils les abandonnaient pour la soirée. La bibliothèque ne les tentait pas. Cette excuse n’éveilla aucun soupçon.
Paul et Damien passèrent par le bâtiment des chambres. Il n’y avait personne dans les couloirs. Une fois au sous-sol, le risque était encore plus faible. Ils rejoignirent le foyer en prenant garde de ne pas faire de bruit.
Les deux élèves de première année entendaient un bruit sourd venant du bout du couloir, de la musique étouffée par les murs. Ils arrivèrent devant la double porte rouge d’où venait la musique.
Damien se tourna vers Paul, un grand sourire sur les lèvres puis il baissa la poignée et ouvrit la porte.
A l’intérieur, une trentaine de personnes. Certains discutaient, d’autres jouaient au billard ou à des jeux vidéo sur de grands écrans.
Paul observa la grande pièce. Il y avait tout pour s’amuser, des jeux de société, des bornes d’arcade, des jeux vidéo. C’était ces derniers qui manquaient le plus à Paul mais il se garda de s’y diriger immédiatement. D’abord, il voulait retrouver Mike.
– Vous foutez quoi ici ? C’est pas pour les première année !
Paul dévisagea le jeune homme qui avait hurlé cette phrase pour bien se faire entendre. Un grand, plutôt laid, des marques d’acné creusées sur son visage. Paul n’eut pas le temps de répondre qu’un autre garçon arriva et répondit à sa place :
– Ça va, laisse-les, ils découvrent le campus. C’est moi qui leur ai dit de venir.
Paul reconnut Mike. Il se sentit soulagé. Visiblement, il faisait figure d’autorité car son camarade n’insista pas.
Les deux visiteurs se sentirent un peu perdus dans cette soirée qui battait déjà son plein. Chacun ou presque tenait une bière dans la main. Mike en tendit deux à ses invités.
Paul la saisit et la regarda comme s’il n’avait jamais vu une bouteille de bière. Il hésita mais n’allait pas refuser cette offre et risquer de passer pour un rabat joie.
Mike entraina les deux garçons dans le fond de la pièce et les pria de s’asseoir sur un canapé avant de prendre place face à eux. Là, la musique était moins forte et ils n’avaient pas besoin de crier pour se faire entendre.
Mike demanda :
– Alors, qui vous êtes ? Je ne me souviens plus de vos noms…
– Damien, Damien Grillon.
Mike se tourna vers Paul et répondit pour lui :
– Et Paul Osinski…
Mike avait dit cela avec un air pensif, presque suspicieux. Paul profita de cette occasion :
– Il y a un problème avec mon nom ?
– Non, du tout, j’avais repéré ton nom à la rentrée et… j’avais peur de mal le prononcer.
Mike changea rapidement de sujet :
– Bon, Damien et Paul, qu’est-ce que vous voulez faire ? Il y a un tournoi de poker et un autre sur un jeu vidéo. Je crois que c’est Fifa ce soir. Au fait, si vous avez besoin de moi pendant l’année, je suis chambre 3462. N’hésitez surtout pas.
Paul fit mine de réfléchir. Fifa n’était pas son jeu préféré mais il n’était pas mauvais. Il demanda à Damien s’il était d’accord pour participer au tournoi. Ce dernier avait eu la même envie.
Paul et Damien remercièrent Mike et se dirigèrent vers l’écran géant. Paul en profita pour demander à Damien :
– Tu as vu la tête qu’il a fait quand il a prononcé mon nom ?
– Ouais, il avait peur de mal prononcer, et alors ?
– Tu ne trouves pas ça bizarre toi ? Le prof lundi m’a fait la même tête. C’est comme si mon nom n’était pas le bienvenu ou était déjà bien connu ici.
. T’en fais pas, je ne vois pas pourquoi il y aurait un problème avec ton nom. Et puis c’est courant, comme nom de famille ? Peut-être un élève qui avait le même nom.
Paul haussa les épaules. Après tout, cette coïncidence n’était pas si grave. Mike était bienveillant et son explication était sans doute la bonne.
Damien et Paul prirent part au tournoi. Ils tombèrent contre de bons joueurs mais Paul s’en sortit plutôt bien. Mieux que Damien qui fut éliminé en huitième de finale par celui qui les avaient reçus à leur entrée dans la pièce. Il s’appelait Geoffrey. Visiblement, il n’avait plus rien contre les deux jeunes, surtout quand il les battait.
Paul tomba contre ce même Geoffrey en demi-finale. Le match était serré, 0-0 jusqu’à la prolongation où Paul assena le coup de grâce avec un but dans les tous derniers instants. Geoffrey tentait de ne pas montrer son énervement et félicita Paul du bout des lèvres, non sans ajouter qu’il avait eu beaucoup de chance.
La finale opposait Paul à une fille, grande, blonde, prénommée Amélie. Paul eut comme premier réflexe de se dire qu’il gagnerait facilement. Mais ce stéréotype fut vite effacé quand, à la cinquième minute de jeu, Amélie marqua un but magnifique. Paul tenta de se reconcentrer. Il ne pouvait pas perdre, pas lui, pas contre une fille même plus âgée. Pourtant, à la mi-temps, Amélie gagnait deux buts à zéro.
Paul reprit ses esprits. Il marqua un but dès le début de la deuxième mi-temps. Il allait pouvoir rattraper le score mais Amélie marqua à nouveau.
Malgré tous ses efforts, Paul ne marqua qu’un but de plus, cédant la victoire à Amélie.
Le match terminé, Paul se tourna vers la gagnante :
– Bravo.
Amélie répondit par un sourire avant d’ajouter :
– Tu n’es pas mauvais, il n’y en a pas beaucoup qui me tiennent tête comme ça. C’était un plaisir de jouer contre toi mais bon, tout le monde à son Waterloo.
Paul resta devant Amélie, un sourire niais sur les lèvres. Jolie, intelligente, joueuse… idéale ! Il remit ses idées en place, ce n’était pas le moment d’imaginer draguer qui que ce soit ici, dans cette pièce où il n’était même pas censé se trouver.
Paul regarda l’heure, il était presque minuit. Son emploi du temps précisait bien un coucher à vingt-deux heures. Il devait regagner sa chambre en espérant que son absence ne fut pas remarquée. Arthur lui poserait sans doute des questions et s’il croisait un vigile pendant le retour, il devrait trouver une très bonne explication. Paul dit à Damien qu’il était temps de rentrer.
Les deux élèves de première année retrouvèrent Mike et annoncèrent leur départ :
– Déjà ? Bien, pas de problème. Bonne nuit, j’espère que vous reviendrez bientôt. Et bravo pour ta deuxième place, Paul Osinski.
– Merci, on va tâcher de ne pas se faire prendre sur le retour.
– Bon courage !
Paul et Damien sortirent de la pièce. Paul sentit la fatigue s’abattre sur lui. Mais il n’était pas temps de se laisser aller. Il reprit ses esprits pour retrouver sa chambre sans croiser de vigile.
Les deux garçons empruntèrent le long couloir jusqu’à l’auditorium. Tout était silencieux. Damien commença à monter les marches menant au rez-de-chaussée. Paul l’arrêta en lui agrippant le bras. Il avait entendu des bruits de pas. Ils s’éloignaient doucement jusqu’à disparaitre. Les deux garçons reprirent leur ascension. Personne au rez-de-chaussée. Ils étaient presque arrivés.
Le dernier escalier leur tendait les bras. Paul entendit soudain les pas revenir. Il pressa Damien qui commença à monter les marches rapidement, en prenant soin de ne pas faire de bruit. Ils arrivèrent au premier étage qui semblait désert.
– Tiens, Paul Osinski et Damien Grillon, une virée nocturne ?
Paul et Damien sursautèrent en se retournant. A quelques mètres d’eux, dans l’obscurité, une silhouette s’avança. Impossible de bouger, ils avaient été reconnus. Paul chercha déjà une excuse quand le visage de l’inconnu se fit plus clair. C’était Thomas Duchesne. Paul pensa que c’était surement la pire personne à croiser dans leur cas, excepté peut-être Annabelle Maillard.
Le responsable des études demanda :
– Qu’est-ce que vous faites ici ?
Paul chercha une réponse qui vint finalement de Damien :
– Paul se sentait pas bien, on est sorti prendre l’air.
Thomas Duchesne fronça les sourcils :
– Pas bien comment ?
– Un coup de blues.
Paul n’avait aucune envie que le campus entier soit informé de sa baisse de morale passagère de l’après-midi mais reconnut que l’excuse était bonne, sans doute la meilleure. Thomas les jaugea du regard :
– La bière n’est pas conseillée pour la baisse de morale, sans compter que ce n’est pas toléré ici.
Thomas parlait de sa voix habituelle, calme, posée ce qui rendait encore pire l’attente des deux garçons qui ne surent quoi répondre. Thomas savait où ils étaient quelques minutes plus tôt. Il reprit :
– Le mensonge est à proscrire aussi. Vous étiez au sous-sol, dans une fête qui ne vous concernait pas.
Damien tenta une réponse :
– Une fête ?
Paul devina un éclair d’agacement dans le regard du responsable des études. Le prendre pour un idiot n’était pas la meilleure idée, en particulier quand les détails avaient été suffisants pour savoir que leur soirée n’avait aucun secret pour lui. Thomas Duchesne répondit d’un air froid et cinglant :
– Monsieur Grillon, je vous déconseille fortement de me prendre pour une buse. Ça n’arrangera pas votre cas. Comme vous n’êtes visiblement pas fatigués, vous allez me suivre.
Paul et Damien s’exécutèrent. Ils redescendirent l’étage qu’ils venaient de gravir et sortirent dans la cour. Un vigile les croisa, l’air suspicieux. Thomas le rassura :
– Ils sont avec moi.
Paul ne savait pas à quoi s’attendre. Il imita Damien en baissant la tête. Il regrettait déjà d’avoir accepté la proposition de Mike et de Damien. Ils arrivèrent dans le grand bureau de Thomas qui alluma la lumière et les fit asseoir. A son tour, il s’assit face à eux :
– Vous avez de la chance d’être tombés sur moi et non sur quelqu’un d’autre finalement, je suis en général plus compréhensif. Paul, raconte-moi ce que vous faisiez hors de votre chambre à cette heure-ci.
Le mensonge n’avait aucune utilité, Paul le savait parfaitement. Thomas avait pu deviner ce qu’ils avaient fait. Le lycéen prit son courage à deux mains, il assumerait les conséquences :
– Cet après-midi, j’ai dormi et au réveil j’étais déprimé. Damien m’a parlé du foyer où nous sommes allés. Là-bas, on a rencontré quelqu’un qui nous a invité à cette soirée de rentrée. J’ai pensé que ce serait une bonne idée pour être de meilleure humeur… on n’a pas vu l’heure.
– Et personne ne vous a dit que ce n’était pas pour les élèves de première année ? Vous pensez vraiment qu’en faisant la fête vous serez admis dans notre école ? Car ne l’oubliez pas, pour le moment vous n’êtes même pas élèves, vous n’êtes qu’en période de tests.
– Je le sais bien, je ne savais pas que le foyer était interdit.
– Il ne l’est pas, mais les soirées organisées pour les élèves des classes au-dessus de la vôtre, oui.
– On s’est laissé faire, on n’a aucune excuse.
– En effet, aucune. En plus vous avez bu. Comment je pourrais vous faire confiance si vous désobéissez comme cela ?
– Vous ne pourrez pas, c’est sûr.
– On ne parle pas du foyer pendant la période de tests ni même pendant la première année car nous savons que vous y passerez votre temps plutôt que de travailler. Les tests sont compliqués. Plus tard, lorsque vous serez de vrais élèves, une fois que vous aurez passé vos tests, vous serez libres de vous organiser. Mais pour l’instant, c’est non.
Thomas marqua un temps de pause, comme pour laisser le temps aux deux lycéens de bien comprendre ce qu’il disait. Le responsable des études reprit :
– Bien, reste à savoir ce que je vais faire de vous. Je pense que je vais déjà vous raccompagner jusqu’à votre chambre, cela évitera une nouvelle déconvenue.
Thomas s’était à nouveau arrêté de parler, Damien tenta de le faire reprendre :
– Et… ? Notre punition ?
Thomas prit encore quelques secondes de réflexion :
– Punition est bien infantilisant comme mot. Je vais vous laisser pour cette fois, nous ne vous avions pas prévenu de cette interdiction qui pourtant me semblait évidente. Pour la bière, croyez bien que si je vous reprends à consommer de l’alcool, je ne laisserai pas passer. Pour ce soir, j’appellerai cela un test de vos limites. Vous les avez rapidement atteintes.
Thomas se tourna vers Damien :
– Attends-nous dehors, s’il te plait. J’aimerai dire deux mots à Paul.
Damien ne demanda pas son reste et s’exécuta.
Paul se demandait pourquoi Thomas souhaitait le voir seul maintenant. Il attendit que Damien sorte et resta attentif aux mots de Thomas :
– Paul, c’est moi qui t’ai recruté. Je l’ai fait car j’avais de bonnes raisons de croire que tu étais fait pour cette école. C’est rare mais je peux me tromper. Je te demande de venir me voir quand tu as un problème, pas de prendre une décision à la légère qui pourrait avoir des conséquences dramatiques sur ta scolarité ici. Je sais que s’adapter à un nouvel environnement n’est pas chose aisée, mais je suis persuadé que tu t’y feras.
Paul profita d’une respiration de Thomas pour lui répondre :
– Je m’y fais, ça va mieux.
– Bien, mais dis-moi maintenant si tu as envie de rester dans cette école.
Il ne fallut pas un grand temps de réflexion à Paul avant de répondre :
– Oui, bien sûr, je m’y plais. Mais vous savez, ça m’a aussi fait du bien d’aller au foyer, me détendre en discutant avec des personnes plus âgées. Leurs points de vue peuvent être intéressants.
– Je n’en doute pas, je n’en doute pas. Je suis rassuré, mais plus d’idiotie ici.
Paul devina un sourire timide sur le visage de Thomas. Il choisit ce moment pour demander :
– Ce soir, lorsque je me suis présenté, la personne semblait à nouveau me connaitre, il a dit mon nom avec un air étrange. Il semblait inquiet. C’est la deuxième fois qu’une personne change d’attitude lorsqu’il évoque mon nom. Pourquoi ?
– Comment pourrais-je le savoir, Paul ? Nous en avons déjà discuté jeudi, je ne saurais pas t’en dire plus et je ne crois pas que ce soit le moment non plus. Si tu n’as pas d’autres questions, je vous raccompagne.
Thomas se leva de sa chaise, signifiant qu’il n’attendait aucune autre question de la part du lycéen. Ils sortirent de la pièce et retrouvèrent Damien avant que Thomas ne les raccompagne à leur chambre.
Arthur dormait déjà. Paul et Damien prirent soin de ne pas faire de bruit pour ne pas le réveiller et se couchèrent. Paul entendit Damien lui chuchoter :
– On a eu du bol, quand même.
– Oui, heureusement que c’était Thomas. Mais plus de conneries.
– Non, plus pour l’instant en tous cas.
Paul ne répondit pas. Il ferma les yeux et se sentit partir.
Le lendemain matin, Arthur ne leur posa pas de question sur leur absence de la veille à l’heure du coucher. Cela arrangea bien Paul et Damien qui n’auraient pas su quoi répondre.
Le dimanche, Paul s’était réveillé avec le sourire aux lèvres. Son spleen de la veille avait disparu, il était content d’être sur le campus.
Il prit un bon petit déjeuner et, bien qu’il était conseillé aux élèves de faire un peu de sport, il préféra le calme de la bibliothèque. Il avait besoin d’une journée moins agitée et c’était l’endroit idéal.
Paul arriva tôt dans la grande bibliothèque. Il trouvait de plus en plus qu’elle ressemblait à la célèbre bibliothèque publique de New-York, ou du moins l’image qu’il s’en était faite. Il aimait ces grandes tables en bois propices au travail.
Il s’assit à une place et sortit ses affaires de cours. A cette heure-ci, la bibliothèque était encore déserte.
Une demi-heure plus tard, Paul fut surprit par la voix d’Antoine :
– Alors, ça bosse ?
Paul releva la tête. Antoine était accompagné d’une fille de leur classe que Paul reconnut aisément. Il salua Antoine et tourna la tête vers celle qui l’accompagnait :
– Bonjour Lucy !
– Salut Paul. Je peux m’asseoir ?
– Oui, bien sûr. Je ne savais pas que vous vous connaissiez.
Antoine ne laissa pas Lucy répondre :
– Tu sais, quand tu pars avec Damien, j’ai aussi une vie. On s’est rencontré hier à la fontaine. Lucy tentait de réviser, on a commencé à discuter avec Arthur et on a passé la soirée ensemble. C’était très drôle d’ailleurs, vous avez raté quelque chose !
– Je n’en doute pas…
Paul dévisagea la jeune fille. Lors de leur première rencontre, il n’avait pas remarqué aussi clairement ses yeux en amande au centre desquelles brillaient ses deux pupilles claires rehaussant un visage à la peau mat. Elle n’était pas très grande. Pour Paul, Lucy s’entendrait bien avec Damien. Comme lui, elle semblait souriante en toutes conditions, vive, peut-être un peu trop pour un dimanche matin.
– Et sinon, tu comptes me dire un mot ou tu préfères continuer à me fixer ? Aurais-tu peur, Paul ?
Le lycéen se confondit en excuse. Il avait été hypnotisé par le visage de Lucy et ne s’était pas rendu compte qu’il l’avait fixé de longues secondes. Cette situation amusa beaucoup Lucy qui fut loin d’en tenir rigueur à Paul.
La journée se passa entre la bibliothèque et la cour. Lucy avait pris rapidement sa place avec les quatre garçons. Comme Paul l’avait imaginé, Lucy et Damien semblaient particulièrement bien s’entendre.
Le soir, Paul était prêt à entamer une nouvelle semaine de cours.
Paul avait finalement doucement pris le rythme de l’école. Il lui avait cependant fallut plusieurs jours pour ne plus être fatigué et pour que ses courbatures passent.
Il suivait en cours, était bon en sport, ses professeurs semblaient l’apprécier tout comme ses camarades. Il avait trouvé sa place.
Les quatre semaines étaient passées à une vitesse folle. Ce dimanche soir, veille des examens, Paul s’était assis avec ses amis à côté de la grande fontaine. Antoine et Arthur s’étaient éclipsés pour être en forme le lendemain. Lucy les avaient suivis de peu.
Paul, quant à lui, n’avait pas envie de se coucher :
– Tu les sens comment toi, ces exams ?
Damien regarda le ciel puis baissa le regard jusqu’à ses chaussures avant de se tourner vers Paul :
– J’en sais rien, je sais même pas ce qu’on va nous demander.
– Je crois que ça va être une longue semaine. Des épreuves toute la journée sur toutes nos matières. Ils en sont capables, et le but est quand même de ne garder que de bons élèves.
– Il n’y a que ça, ici, des bons élèves. Toi le premier.
– Je suis dans la moyenne.
– Premier c’est pas la moyenne.
– On n’a jamais été noté, tu ne peux pas dire que je suis le premier.
Damien ne répondit pas :
– Tu crois qu’on aura des examens pratiques ? Pour l’exploration ou l’indépendance ?
Paul réfléchit :
– Je ne vois pas comment. Ils ne prendraient pas le risque de nous perdre en pleine forêt quand même.
– Tu sais qu’Arthur t’en veux ?
Paul tourna le regard vers Damien, l’air agacé :
– Qu’est-ce que j’ai fait encore ?
– Rien, il a peur.
– Peur de moi ?
– Peur que tu sois meilleur que lui.
– C’est con.
Paul avait tenté de mettre fin au sujet avec une réponse qui n’appelait pas de réaction, mais Damien revint à la charge :
– Faut qu’il s’habitue le pauvre, tu lui fais un choc.
– On est tous bons, il peut très bien mieux réussir que moi, il est meilleur dans les matières classiques. Et tu peux le battre aussi.
– T’imagine si on a une mission de sport ? On va se faire atomiser par Antoine !
– Et alors ? On aura forcément du sport. Il est né dans une piscine ce gars.
– Tu crois que lui et Lucy… ?
Paul réfléchit un instant. Antoine et Lucy avaient passé beaucoup de temps ensemble lors des trois dernières semaines. Le lycéen n’était pas un amateur de ragot mais il s’était lui aussi posé la question. Parfois, ils ne se retrouvaient qu’à trois et Antoine arrivait plus tard avec Lucy. Paul haussa les épaules :
– C’est possible, mais je pense qu’ils nous le diront en temps voulu.
– Ouais, ça fait chier.
– T’es jaloux, Damien ?
– Non, mais je sais bien comment ça va se passer, ils vont toujours être ensemble et on ne les verra plus.
– C’est pas la mort non plus, on est dans la même classe.
– Mouais.
Paul attendit quelques secondes, il pensait que Damien allait relancer la conversation mais il restait silencieux. Paul sentait la fatigue s’emparer de lui :
– Bon, on devrait peut-être aller se coucher, c’est quasiment l’heure et demain on a une longue journée.
– Une longue semaine ouais !
Paul répondit par un sourire. Il regarda Damien se lever, ajuster sa casquette et faire un premier pas vers le bâtiment.
Une fois dans la chambre, Damien et Paul retrouvèrent Arthur. Paul ne put s’empêcher de penser à ce que Damien lui avait dit. Il trouvait la jalousie ridicule, surtout pour une histoire de note. Il préféra faire comme si de rien n’était.
Les trois garçons se couchèrent, Paul s’endormit après un long quart d’heure, tentant d’imaginer comment se passeraient les épreuves. Il avait peur d’échouer.
Paul avala un grand petit déjeuner. Il avait à cœur de se préparer au mieux et de ne pas risquer d’avoir faim pendant l’épreuve. Damien, pour une fois, restait silencieux face à lui.
A peine furent-il sortis du réfectoire que les haut-parleurs du campus résonnèrent “Tous les élèves passant le test d’entrée de première année sont priés de se rendre au gymnase B. Votre épreuve commencera dans moins d’une demi-heure“.
Les deux lycéens suivirent l’ordre et prirent le chemin vers le grand gymnase.
Une fois arrivés, ils y retrouvèrent Antoine, Lucy et Arthur. Ils entrèrent tous les cinq dans le gymnase. Une quarantaine de tables étaient parfaitement alignées et espacées les unes des autres, une par élève.
Paul s’approcha d’un grand tableau où étaient inscrits le nom de tous les élèves ainsi que leur numéro de place. Paul avait la 43, quatrième rangée, troisième place.
Les cinq amis se séparèrent. Ils étaient tous éloignés les uns des autres.
Paul s’assit devant la table vide qui allait être la sienne pour les examens. Une petite étiquette était collée sur le coin de la table avec son nom.
Il restait une dizaine de minutes avant le début de l’épreuve. Quelques professeurs étaient présents ainsi que les deux responsables d’étude. Paul baissa la tête vers sa table. Il se força à respirer lentement, prenant de grandes inspirations et expirant le plus lentement possible. Il était stressé.
Thomas s’avança devant les élèves. Il tenait un micro qu’il porta à ses lèvres :
– Bonjour jeunes gens. Aujourd’hui, c’est le premier jour de vos épreuves. Je sais que vous vous posez de nombreuses questions sur l’organisation de cet évènement. Evènement car c’est à l’issue de ces quelques tests que vous serez admis à devenir élèves de ce campus.
Thomas marqua une pause puis reprit :
– Je vous demanderai d’être attentif à ce que je vais dire maintenant. Pendant trois jours, vous serez testés. Les épreuves ont toutes lieu de huit heures à treize heures puis de quatorze à dix-huit, soit neuf heures par jour. Vous n’aurez, je pense, pas le temps de finir plus tôt. Je sais que c’est un exercice nouveau pour la plupart d’entre vous, mais vous allez le faire sans problème. Je vous connais presque tous, je connais votre sérieux et votre capacité à vous concentrer et à rendre un bon travail. Pendant ces deux premiers jours et à chaque demi-journée, on vous donnera un dossier de huit pages, contenant 500 questions. Vous répondrez directement sur la feuille. Ce matin, le test concernera le français, les langues étrangères et l’histoire-géographie. Cet après-midi, géopolitique, histoire de l’espionnage et éducation civique. Demain matin, physique, chimie et SVT et demain après-midi mathématiques et indépendance.
Thomas s’arrêta comme pour laisser à chaque élève le temps de digérer le lourd programme qui les attendaient. Il reprit pour parler de leur dernière journée :
– Mercredi enfin, nous aurons une séance de sport collectif le matin et, l’après-midi, une course individuelle contre la montre. Maintenant que vous êtes au courant de votre programme, je laisse les professeurs distribuer les copies. Je vous précise que nous ne répondrons à aucune question. Bon travail.
Paul observa son professeur d’anglais distribuer les copies sur sa rangée, un sourire en coin comme à son habitude. Paul appréciait ce professeur, il était sympathique et juste, toujours de bonne humeur. L’étudiant se sentit rassuré lorsque Sir Warden posa le dossier sur son bureau en lui souhaitant bon courage. Paul répondit par un sourire et fixa la feuille devant lui, attendant le signal pour l’ouvrir. Peu d’informations étaient inscrites sur cette première page. Il n’y avait qu’un titre en grand “Aigle, Jour 1-1e épreuve“.
Les professeurs avaient terminé de distribuer les feuilles. Il était huit heures précises. Thomas reprit le micro :
– Vous pouvez commencer, vous avec cinq heures.
Paul ouvrit le dossier et feuilleta les huit pages. Elles étaient remplies de questions à choix multiples, séparées par matière.
Paul revint à la première page. Les premières questions étaient sur les cours de français et commençaient par une série de dix questions de vocabulaire, assez simples, à l’image de la première question :
“paysan est à ouvrier ce que … est à usine“
Les réponses proposées pour compléter la phrase étaient les suivantes :
“Agriculteur“
“Usine“
“Ferme“
“Entreprise“
Paul n’eut aucun mal à compléter cette partie. S’en suivait d’autres exercices de vocabulaire, puis d’orthographe et de conjugaison.
La dernière partie traitait d’un texte de Victor Hugo, tiré d’une œuvre que Paul connaissait pour l’avoir déjà lue, “Le dernier jour d’un condamné” :
“Donnez au peuple qui travaille et qui souffre, donnez au peuple pour qui ce monde-ci est mauvais, la croyance à un meilleur monde fait pour lui. Il sera tranquille, il sera patient. La patience est faite d’espérance. « Donc ensemencez les villages d’évangiles. Une Bible par cabane. Que chaque livre et chaque champ produisent à eux deux un travailleur moral.
La tête de l’homme du peuple, voilà la question. Cette tête est pleine de germes utiles. Employez pour la faire mûrir et venir à bien ce qu’il y a de plus lumineux et mieux tempéré dans la vertu. Tel a assassiné sur les grandes routes qui, mieux dirigé, eût été le plus excellent serviteur de la Cité. Cette tête de l’homme du peuple, cultivez-la, défrichez-la, arrosez-la, fécondez-la, éclairez-la, moralisez-la, utilisez-la ; vous n’aurez pas besoin de la couper.“
Les questions portaient sur la compréhension de certains mots ou certaines phrases. Ensuite, quelques questions de culture générale fortement inspirées du texte. Paul buta sur la date d’abolition de la peine de mort en France. A nouveau, quatre propositions s’offraient à lui :
“1789“
“1823“
“1936“
“1981“
Il savait que ce ne pouvait être à la révolution française, de nombreuses têtes furent coupées bien après. La date de 1823 ne lui disait rien non plus.
Il s’agaça de ne pas avoir la réponse. 1981 lui semblait bien trop récent et 1936 c’était le Front populaire. Il n’avait jamais entendu que la peine de mort fut abolie pendant cette période. A contrecœur, il cocha “1981“.
Il termina les tests de français en deux heures, il lui en restait trois pour les langues et l’histoire géographie.
Les questions de langues étaient plus simples, comme si les professeurs avaient voulu que les élèves puissent se détendre entre les deux autres matières.
En anglais, une partie sur les verbes irréguliers, une autre sur la grammaire et une dernière concernait la conjugaison. Il ne fallut pas plus d’une demi-heure à Paul pour terminer cette partie. L’espagnol était construit sur le même modèle. Paul eut autant de facilités. Il était bon en langues étrangères.
Le lycéen découvrit ensuite les questions d’histoire et de géographie. Trois parties étaient traitées. La Révolution française, le Front populaire et la géographie des États-Unis. Paul commença par regarder si une des questions du Front populaire traitait de la peine de mort, ce qui lui permettrait peut-être de trouver la réponse à la question sur laquelle il avait hésité en français. Il n’en trouva pas et se résigna. Il fallait aller de l’avant. Il reprit les premières questions sur la Révolution française, période qu’il appréciait et dans laquelle il était à l’aise.
Il passa près de quarante-cinq minutes sur ce thème avant de passer au Front populaire, sujet sur lequel il eut plus de mal. Il aurait préféré la Seconde Guerre mondiale.
Il lui restait à peu près une demi-heure lorsqu’il entama les questions sur les États-Unis. Il connaissait la réponse à la plupart des questions.
Il remplit la dernière réponse et posa son stylo. Il ferma le livret, prêt à reprendre les questions pour vérifier ses réponses lorsqu’il entendit le micro se mettre en marche et la voix de Thomas sortir des haut-parleurs :
– Jeune gens, c’est terminé, je vais vous demander de poser vos crayons et de ne plus toucher aux feuilles. Merci de ne pas parler et de rester à votre place tant que nous n’avons pas ramassé toutes les copies.
Paul vit les professeurs se mettre en marche. Le professeur d’anglais commençait à récupérer une à une les copies devant Paul. Comme lorsqu’il lui avait distribué le sujet, Mr Warden adressa un sourire à Paul en prenant sa copie, sourire qu’il avait dû avoir à l’égard de chacun des autres élèves.
Lorsque tous les professeurs se trouvaient à l’avant du gymnase, Thomas annonça que les étudiants pouvaient aller déjeuner, et que leurs affaires étaient en sécurité dans le gymnase.
Paul retrouva ses amis devant la sortie. Ils se mirent en mouvement vers le réfectoire. C’est Lucy qui fut la première à parler :
– Alors ? J’ai eu des doutes sur certaines questions mais je m’attendais à plus dur.
Les garçons restèrent silencieux, tous partageaient cet avis. Damien finit par répondre :
– J’ai plus de poignet.
– Mais t’as réussi, hein ?
– J’en sais rien, je pense que oui, ça m’a paru simple parfois, peut-être un peu trop, j’espère ne pas m’être foiré !
– Mais non, je suis sûre que t’as bien réussi ! D’ailleurs t’as intérêt, faut que tu sois pris.
Arthur coupa la conversation :
– C’était assez simple oui, Damien, je serai étonné que tu n’aies pas réussi, c’était à la portée de tous.
Paul crut voir dans les yeux de Damien l’envie de remettre la suffisance d’Arthur à sa place. C’est Lucy qui reprit en s’adressant à Paul :
– Toi, je ne te demande pas, je sais que tu as eu tout bon !
– Comment tu peux savoir ça ?
– T’as toujours tout bon !
Paul laissa échapper un sourire, il n’allait pas contrarier son amie et le fait qu’Arthur était visiblement énervé de cette remarque ne lui faisait que plus plaisir. Ce qu’il avait dit à Damien n’avait pas été sympathique, c’était donc un juste retour du bâton. “Le Karma” pensa Paul.
Les futurs espions arrivèrent au self. Paul prit un plat de pâtes, comme ses camarades. En plus d’aimer cela, il savait que cela lui servirait pour tenir le coup l’après-midi.
Les cinq amis échangèrent sur leurs attentes concernant les épreuves à suivre. Pour la première fois, ils allaient être testés sur des matières qu’ils ne connaissaient pas un mois plus tôt.
L’organisation était la même que le matin. Ils retrouvèrent leur place et découvrirent leur sujet à l’heure prévue, tous en même temps.
Géopolitique. Les questions traitaient principalement de l’histoire de la France, ses alliances passées et actuelles. La moitié de ce thème était aussi axé sur l’espionnage et sa place dans la société actuelle. Quelques questions traitaient de l’importance de la défense par le secret. Le thème était vaste mais l’avantage du questionnaire à choix multiple était aussi de pouvoir trouver une réponse par la logique. Paul ne fut que rarement bloqué et, même s’il savait qu’il n’aurait pas toutes les réponses, il espérait avoir réussi.
Il passa à l’histoire de l’espionnage. Ils avaient étudié en cours l’espionnage au fil des années en France, en Russie, aux États-Unis et, de manière succincte, en Israël. Les premières questions mirent Paul en confiance puisqu’il s’agissait de donner le nom des différents organismes d’espionnage à travers le monde. Ainsi, la première question était :
“Quel organisme est situé en Grande-Bretagne ?“
“Le GB-7”
“La CIA”
“Le FSB”
“Le MI-5“
Paul cocha la dernière proposition. Quatre autres questions étaient ensuite similaires. Plus Paul avançait dans le sujet, plus les questions étaient compliquées. L’avant-dernière question le laissa perplexe :
“Quelle est la date de création du GRU dans sa forme actuelle ?“
“1717“
“1989“
“1992“
“2001“
Paul chercha dans sa mémoire. Il n’avait aucun souvenir du GRU et était persuadé qu’il n’en avait jamais entendu parler en cours. Il sentit soudain le stress monter et eut chaud. Il se força à prendre une grande inspiration. Il détestait se sentir démuni et perdu.
Paul posa ses mains à plat sur la table. La température de son corps descendait doucement. Il regarda les professeurs devant lui. Deux observaient la salle, les autres discutaient. Paul tourna la tête vers ses camarades mais se résigna vite, il ne voulait pas qu’on puisse le soupçonner de triche. Il avait toujours chaud. Il se retourna pour voir si les petites fenêtres derrière lui étaient ouvertes. Toutes étaient fermées. Il tenta de rassembler ses pensées :
“Le GRU, le G.R.U, qu’est-ce que c’est que ce truc ? C’est pas les américains, c’est pas français ni russe. Tant pis.“
Paul découvrit la dernière question, cette fois sur le nom actuel du directeur de la CIA. Il répondit sans hésiter. Il avait bien fait de réviser l’espionnage américain la veille.
Le thème suivant traitait de l’histoire de l’espionnage. Paul espérait l’histoire française mais ce fut celle des russes. Un premier tableau était donné en guise d’introduction, rappelant les différentes étapes de l’espionnage russe :
28 Mars 1802 – Alexandre 1e – Création du ministère de l’Intérieur
10 juillet 1934 – Création du NKVD
13 Mars 1954 – Création du KGB
1979 – Création de l’OMON
Décembre 1991 – Création des Services de renseignements extérieurs (SVR)
7 Mai 1992 – Création du GRU
24 Août 1992 – Création de l’Académie du service Fédéral de Sécurité de Russie
2002-2011 – OMSN
Paul relut les dates. Il revint à l’exercice précédent et nota la réponse de la date de création du GRU. Tout ce stress pour pas grand-chose, l’Aigle avait tout prévu et les testaient aussi sur leur logique.
Le lycéen découvrit les questions sur l’histoire de l’espionnage en Russie. Cette fois, pas de surprise, toutes les questions avaient été étudiées en cours.
Paul termina le sujet un peu plus de trente minutes avant la fin du temps total. Il lui restait une feuille de questions. C’était l’éducation civique. Il était bon dans cette matière et put rapidement répondre à la soixantaine de questions posées, en ne doutant que très rarement.
A nouveau, il termina quelques minutes seulement avant la fin du temps imparti. Il rendit sa feuille avec satisfaction.
Les cinq amis étaient épuisés. Ils attendirent l’heure du diner en n’échangeant que peu de mot. Paul, Arthur et Lucy pensaient avoir réussi l’épreuve de l’après-midi. Damien et Antoine, quant à eux, émettaient plus de réserves et attendaient les résultats. Selon eux, ils avaient réussi l’épreuve à 75 pourcents, ce qui était honorable, bien qu’ils doutaient que cela soit suffisant. Ils réalisèrent qu’à aucun moment on ne leur avait donné d’objectif à atteindre et ils ne savaient pas quel résultat était nécessaire pour être admis.
L’ensemble des élèves de première année se coucha tôt et passa une longue nuit.
Le lendemain, une nouvelle journée d’examen attendait les élèves de première année, sur le même modèle que la veille.
Le matin, ils passèrent l’épreuve de sciences et l’après-midi, celle de mathématiques et d’indépendance. Les questions lors de cette dernière épreuve étaient différentes des autres et déroutaient les élèves de la classe de Paul.
La première question était :
“Quelle est la devise de l’Aigle ?
A – Audentes fortuna iuvat
B – Semper Vivat
C – Ad Nova Tendere Sueta
D – E Pluribus Unum“
Il suffisait à Paul de lever la tête pour voir, peint sur le mur, le logo de son école et inscrit en dessous la locution latine “Semper Vivat“, “Qu’il vive pour toujours” en latin.
La seconde question portait sur la couleur de la chemise de leur responsable des études. Facile, il ne portait que des chemises blanches.
Plus les questions avançaient et plus elles étaient difficiles. Les premières n’étaient qu’une manière de mettre en confiance les élèves.
La dernière question ne semblait pourtant pas la plus dure :
“Quel est le nom du directeur de l’Aigle ?“
Paul relut plusieurs fois la question, il s’aperçut qu’il n’avait pas la réponse. Il n’avait vu le directeur qu’une seule fois, lors de la rentrée. Il n’y avait aucune proposition sur cette question et la réponse devait être inscrite librement.
Il sentit le stress monter à nouveau et s’en agaça.
Il s’était bien présenté, un mois plus tôt, mais le nom du directeur n’avait jamais été répété depuis. Paul se sentait honteux de ne pas connaitre le nom du directeur de sa propre école. Il avait dû le voir écrit, c’était obligatoire.
Les minutes passaient, l’heure de la fin de l’épreuve se rapprochait.
Paul relut les questions précédentes. Toutes les réponses étaient dans la salle, la logique voudrait que cette dernière question n’échappe pas à la règle.
Paul observa chaque centimètre carré de la salle, passa au crible chaque recoin mais le nom du directeur n’était nulle part.
L’ensemble de ses camarades semblait buter sur cette question.
Paul regarda Arthur qui affichait un air satisfait. Bien sûr, lui avait eu la réponse, comme Lucy qui connaissait très bien l’Aigle.
Une minute. Paul se résigna. Il ferma le livret de questions. La dernière page, habituellement blanche, était différente cette fois. Un petit carré dans la page inférieure droite avait été apposé, comme une marque d’édition. Paul la regarda attentivement. On lisait deux séries de lettres :
|
| EL |
|
| OT |
Paul savait qu’il avait vu un carré similaire un peu plus tôt. Il reprit toutes les pages du questionnaire et trouva le premier sur la première page :
SA |
|
|
GU |
|
|
Si cette simple impression était là, elle devait servir pour leur test. Paul espérait que ce fut bien pour cette dernière question et qu’il n’était pas passé à côté d’un indice de taille pour d’autres questions.
Paul trouva la même forme sur une des autres feuilles du contrôle :
| MU |
|
| Y |
|
Il regroupa les trois formes et découvrit un nom, Samuel Guyot. Le nom lui revint en tête. Il eut juste le temps d’écrire la réponse à la dernière question avant que le responsable des études ne prévienne que le temps était écoulé.
A la fin de ces deux jours d’examens, les élèves étaient fatigués. Tous savaient que le lendemain serait pire encore car plus physique. Ils s’interrogeaient tous sur l’épreuve de sport collectif. Ils avaient, au cours de ce premier mois, pratiqué le basket et le football, sports très classiques que la plupart des élèves connaissaient pour y avoir joué au moins avec des amis.
L’après-midi, quant à elle, était très personnelle et Paul avait peur d’être noté en comparaison des autres. Il y avait des élèves bien plus sportifs que lui et qui n’auraient aucun mal à être meilleur que lui. Sa seule chance serait une course à vélo, mais il n’en avait pas été question depuis le début de l’année.
Ce soir-là, les couloirs furent silencieux. Chacun avait regagné sa chambre après le diner. Paul, Damien et Arthur avaient discuté de leurs attentes. Surtout, ils espéraient se retrouver dans la même équipe pour ne pas avoir à battre un ami.
Chaque élève était attendu le lendemain matin dans le gymnase principal. L’odeur de caoutchouc habituelle qui se dégageait de l’endroit n’était pas la plus agréable à huit heures du matin.
Les professeurs de sport étaient déjà sur place et attendaient patiemment que tous les étudiants prennent place dans les petits gradins surplombant la salle.
Lorsque tous furent installés, le professeur de sport principal, Pietro Bianchi, prit la parole :
– Bonjour à tous, aujourd’hui journée particulière, votre dernière journée d’examen. Vous savez d’ores et déjà comment elle s’organisera mais je vais rentrer un peu plus dans les détails. Ce matin, épreuve en équipe, nous avons fait quatre équipes de cinq, une seule équipe aura un remplaçant. Le gymnase se divise en quatre terrains sur lesquels vous rencontrerez les trois autres équipes chacun, s’en suivra un classement des équipes. Il y aura tout d’abord une épreuve de basket jusqu’à dix heures trente puis, nous passerons au football avec les mêmes équipes. Nous avons établi des équipes équilibrées. Tâchez de bien vous entendre et ça se passera bien. Les équipes sont affichées au bout du terrain, je vous laisse les découvrir et prendre place sur le terrain vous correspondant.
Paul observa la vingtaine d’élèves se précipiter pour découvrir quels allaient être leurs équipiers. Il se leva et suivi le groupe accompagné de Damien qui masquait son impatience :
– J’espère qu’on sera dans la même équipe.
Paul hocha la tête. Ils arrivèrent devant le tableau. Paul chercha son nom. Il était en tête de l’équipe 4. Ses coéquipiers étaient Arthur, Mathieu, Lucy et Damien.
Paul se tourna vers Damien :
– Bon, on a une bonne équipe. Mathieu a l’air sympa.
– Ouais, je ne lui ai jamais parlé. Mais on n’est pas avec Antoine.
Paul chercha le nom de leur ami sur le tableau. Il était dans l’équipe deux, avec quatre autres élèves que Paul ne connaissait pas bien. Surtout, il ne les avait pas vu briller en sport. L’étudiant se tourna vers Damien qui avait lui aussi trouvé le nom d’Antoine :
– Ça devrait aller, faudra juste bien s’occuper d’Antoine, on peut battre les autres facilement.
Paul et Damien regagnèrent le demi terrain numéro quatre. Ils y retrouvèrent Arthur, Lucy et Mathieu en train de discuter. Leur premier match allait se faire face à l’équipe trois. Les équipes étaient en effet bien équilibrées. Dans l’équipe de Paul, ils avaient la chance d’être à peu près tous du même niveau, sauf Arthur qui ne brillait pas par sa qualité de jeu en sport.
Les cinq équipiers s’apprêtèrent à commencer.
Les matchs duraient deux fois cinq minute. L’équipe de Paul avait décidé de jouer sans trop forcer pour leur premier match et de se concentrer sur la défense. Ainsi, ils gardaient des réserves pour la fin de la demi-journée.
Le premier match fut serré, mais l’équipe quatre s’imposa avec deux points d’écart. C’était un premier pas. Pour le deuxième match, l’équipe de Paul jouait contre l’équipe une. Cette fois, ils se retrouvèrent en difficulté lors de la première période et durent accélérer leur rythme pour s’imposer, de peu là aussi.
Leur dernier match était contre l’équipe deux, l’équipe d’Antoine. Eux aussi avaient gagné leurs deux premiers matchs, mais avec des scores plus importants, surtout grâce à Antoine.
L’équipe d’Antoine engagea le match. En quelques secondes, elle marqua le premier panier. Paul fit signe à ses coéquipiers d’augmenter un peu plus leur rythme. Paul et Arthur marqueraient Antoine tandis que Mathieu, Damien et Lucy s’occuperaient des autres joueurs. La technique sembla fonctionner puisque Paul réussit à prendre le ballon et à le passer à Lucy qui marqua un panier. Avec la même technique, ils passèrent devant. L’équipe d’Antoine se reconcentra et égalisa avant de marquer deux paniers de plus. A la mi-temps, l’équipe de Paul perdait de quatre points. Pendant les cinq minutes de pause, ils tentèrent de rassembler leurs esprits. Paul ne voulait pas laisser filer ce match, il savait qu’ils avaient les moyens de gagner.
A la reprise, Arthur engagea et passa le ballon à Mathieu qui voulut le passer à Damien, mais Antoine subtilisa la balle et fila marquer. Trois paniers d’écart, c’était le maximum acceptable pour les rattraper. Paul décida de prendre les choses en main et garda le ballon. Il le passa au dernier moment à Mathieu qui marqua. L’aile droite était faible dans l’équipe en face et Paul en profita une fois puis une seconde. Ils étaient à égalité. S’en suivit une période où chaque équipe marquait à tour de rôle. Il restait une petite minute à jouer, Arthur avait le ballon. Il dribbla vers le panier mais ne prit par garde à Antoine qui arriva, lui prit le ballon et alla marquer. Damien était furieux :
– Arthur, t’es chiant !
Paul calma le jeu, faisant remarquer à Damien que ça aurait pu lui arriver à lui aussi et qu’il était plus important de se reconcentrer. Paul renvoya le ballon à Arthur qui tira de loin et marqua. Cela permit de revenir à égalité. Plus que trente secondes et Antoine avait la balle. Paul et Arthur défendirent tant bien que mal mais Antoine réussit sa passe à un coéquipier qui marqua. Plus que quelques secondes pour égaliser. Arthur passa à Damien qui profita de l’aile droite faible. Il se retrouva proche du panier mais en mauvaise position. Il passa la balle à Lucy, Paul regarda le chrono, plus que cinq secondes. Il cria à Lucy de tirer mais, sous la panique, elle lui passa le ballon. Plus que deux secondes. Paul se concentra, prit ses appuis et tira, un beau tir. Tous regardèrent le ballon approcher du filet. Il rebondit sur le tour du panier, une fois puis une seconde fois. Paul se mordit la lèvre et vit le ballon rebondir et s’éloigner du panier. Antoine sauta et le rattrapa alors que le professeur de sport sifflait la fin du match. Ils avaient perdu, à un panier près.
Antoine s’approcha de Paul :
– Vous avez bien joué, dommage pour le dernier panier.
Paul appréciait le fair-play de son adversaire et ami. Il lui répondit par un sourire. L’intensité du match l’avait mis en eau. Il serra la main d’Antoine et s’assit à même le sol. La voix de Bianchi se fit entendre dans tout le gymnase :
– Chacun reste à sa place. Nous allons relever les paniers pour passer au football, vous jouerez contre la même équipe que la dernière que vous avez affrontée. Vous avez quinze minutes pour reprendre vos esprits.
Paul et son équipe allèrent boire dans les vestiaires et revinrent dans le gymnase. Paul ne savait pas comment il allait pouvoir tenir encore trois matchs, en football, tout en commençant contre l’équipe d’Antoine.
Damien invita l’équipe à s’asseoir autour de lui et se tourna vers Paul :
– Alors, on fait comment ?
– Il faut gagner au moins deux matchs. Le premier va être compliqué, donc soit on se donne à fond en risquant de perdre et d’être crevés pour les suivants, soit on y va doucement en se disant que quoi qu’il arrive on le perdra mais on sera plus reposé pour les deux d’après. Comme vous voulez.
Arthur sembla sceptique et demanda :
– J’ai rien compris, soit on le joue pour gagner, soit on se dit que c’est mort et on les laisse gagner ?
– Oui, en limitant la casse comme on peut.
– Je pense qu’on peut essayer de le jouer à fond.
Cette fois, c’est Damien qui ne comprenait pas :
– Comment ça ?
Arthur reprit :
– Laissez-moi être gardien, j’ai fait du foot en club, pendant une dizaine d’années. Je sais qu’en face c’est pas le cas et je pense que je pourrais assez facilement arrêter les tirs.
– Quoi ? Mais tu nous l’as jamais dit ! En plus en foot tu semblais pas si à l’aise pendant les cours !
– J’ai toujours été gardien, on ne m’a fait jouer qu’en joueur de champs ici. Faites-moi confiance.
Paul sortit de sa réflexion :
– Ok, on fait comme ça. Nous on essaye de bien défendre et on profite d’une perte de balle pour marquer. Ça peut marcher sans trop se fatiguer.
C’était entendu pour chacun. Mathieu et Damien se placeraient juste devant Arthur. Lucy et Paul, plus rapides que leurs camarades, se mettraient un peu plus en avant, sur les côtés, pour servir de première ligne de défense et contre-attaquer dès qu’ils en auraient l’occasion.
Le match commença. Antoine était seul en attaque, trois coéquipiers étaient en arrière et un gardait le but. Ça n’allait pas être facile mais une bonne défense sur Antoine ferait avancer les trois autres. C’est exactement ce qu’il se passa. Antoine eut le ballon mais ne parvint pas à passer devant Paul et Lucy et dû passer le ballon à ses défenseurs qui avancèrent. Paul et Lucy ne bougèrent pas et laissèrent Damien et Mathieu s’en charger. Mathieu réussit un tacle, passa le ballon à Damien qui le passa à Lucy. Elle n’eut aucune difficulté à dribbler le dernier défenseur et se retrouva face à un gardien visiblement paniqué. Elle arma sa frappe et tira. Le gardien n’eut aucune chance.
Un but à zéro et cela avait paru simple. L’équipe d’Antoine se concerta et changea de technique. Cette fois, deux étaient en attaque et deux en défense qui semblaient avoir ordre de ne pas bouger. Antoine et le deuxième attaquant avancèrent dangereusement. Ils passèrent Paul et Lucy. Un troisième joueur vint en renfort. Antoine lui passa la balle, Damien et Mathieu ne surent plus où donner de la tête. Lucy vint les aider mais un peu tard, Antoine avait récupéré le ballon et se retrouva seul face à Arthur. Un sourire au coin des lèvres, persuadé qu’il pourrait marquer sans difficulté. Il décocha une frappe puissante et cadrée. Paul vit Arthur s’élancer. Il eut envie de lui faire confiance mais redouta l’égalisation. Le ballon vint se lover dans le creux des mains d’Arthur, comme si la frappe avait été facile à capter. Paul soupira de soulagement, Antoine était ébahi. Arthur n’avait pas menti, il semblait tout à fait à l’aise dans son poste de gardien de but. Il se dépêcha de renvoyer le ballon à Lucy qui put reprendre le cours du jeu.
Juste avant la mi-temps, Lucy eut la balle au milieu du terrain. Paul avança et se plaça entre les défenseurs. En quelques secondes, Lucy dribla le premier puis le second défenseur sans que Paul n’eut rien à faire. Ils se retrouvèrent tous les deux, face au but, les adversaires derrière eux. Le gardien s’avança vers Lucy qui passa doucement la balle à Paul devant le but maintenant vide.
A la mi-temps, Paul et son équipe gagnaient de deux buts sans avoir eu à faire trop d’effort.
La seconde période fut calquée sur le même modèle que la première. L’équipe d’Antoine n’arriva pas à marquer malgré quelques tentatives qui vinrent toutes s’échouer sur Arthur, décidé à ne pas prendre un seul but. L’équipe de Paul gagna par trois but à zéro.
Les deux matchs suivants furent aussi simples pour eux et ils les gagnèrent quatre à zéro puis deux à zéro. Arthur avait fait énormément pour l’équipe et personne n’avait semblé soupçonner un tel talent, pas même les professeurs.
Tous les élèves retrouvèrent les vestiaires. Il n’y eut aucune information sur la manière dont ils seraient notés mais Paul espérait que son équipe réussirait à avoir une bonne note.
Les membres de l’équipe de Paul sortirent des vestiaires au même moment, vite rejoints par Antoine. Comme Mathieu était toujours là, Paul proposa :
– Tu déjeunes avec nous ?
– Avec plaisir !
Mathieu avait affiché un grand sourire. Il était souvent seul et, sans que Paul ne sache pourquoi, ne semblait pas avoir d’affinité particulière avec ses autres camarades de classe. Il était parfois avec un autre élève, mais leurs échanges ne semblaient pas passionnants.
Le petit groupe d’amis s’assit à une des tables de la cantine. Ils reparlèrent de leur matinée et en particulier des matchs qui les avaient opposés à Antoine, un peu amer d’avoir buté contre Arthur. Antoine qui habituellement n’hésitait pas à blaguer sur le faible niveau d’Arthur comparé au sien, s’était bien gardé de faire la moindre réflexion.
Ce repas fut aussi l’occasion de connaitre un peu mieux Mathieu, que Paul trouva très sympathique. Il était de la même taille que lui, brun, yeux bleus. Il appréciait son côté calme, posé et réfléchi. Ils semblaient aussi avoir quelques références culturelles communes. Mathieu s’entendit rapidement bien avec la bande d’amis, que ce soit pour son intelligence ou son côté sportif.
Paul retrouva le stade extérieur à quatorze heures. Les professeurs qui les avaient évalués le matin même étaient là. “Les autres doivent être en repos” pensa Paul. C’est à nouveau Bianchi qui prit la parole :
– Chers élèves, cet après-midi, la dernière épreuve de votre examen d’entrée vous attend. Elle se décomposera en trois parties complémentaires. Tout d’abord, vous prendrez un vélo tout terrain pour faire deux fois le tour du stade, puis vous rejoindrez le parc en passant par le bois. Le chemin est balisé, vous ne pouvez pas vous perdre. Vous arriverez ici-même, au stade, où vous vous séparerez des vélos pour faire trois tours en courant avant de ressortir par le chemin de l’autre côté qui mène à la piscine extérieure dans laquelle vous ferez cinq longueurs. Vous partirez tous avec un intervalle de quinze secondes, le plus important sera d’arriver au bout. Allez prendre un vélo et mettez-vous sur la ligne de départ du stade, je vous y retrouve.
Le troupeau d’élève se dirigea vers le bout du stade où une cinquantaine de vélos étaient alignés sur plusieurs rangées. Paul choisit un vélo semblable aux autres. Il vérifia qu’il fonctionnait bien et monta dessus. Il avait toujours été à l’aise sur deux roues et espérait qu’il serait dans les meilleurs. Il se rendit sur la ligne de départ où se massaient les étudiants. Ils s’alignèrent par lignes de cinq. Paul était à côté de Damien qui se tourna vers lui :
– Bonne chance !
Paul répondit par un sourire. Bianchi se tenait sur le côté. Sa voix portait assez pour que chacun comprenne bien ses paroles :
– Vous partirez à mon signal. Veillez à ne pas faire de faux départ. Deux tours de stade puis vous suivez le chemin. Toute l’épreuve est filmée, toute tricherie sera sanctionnée.
Bianchi s’approcha du premier et lui fit signe de partir. Paul regarda vers les gradins. Un des professeurs lança un chronomètre. Petit à petit, les élèves partaient, un par un. Paul partait douzième, devant Damien et Antoine. Paul prit une grande inspiration en s’avançant pour partir. Bianchi lui demanda :
– Prêt ?
Paul fit un signe de tête. Bianchi lui donna une petite tape sur l’épaule :
– Vas-y.
Paul partit doucement. Dans les tribunes, son chronomètre était lui aussi partit. Le jeune lycéen se demandait comment il pouvait être évalué. Si c’était simplement sur le temps, cela demandait une grande organisation de la part de l’équipe de professeur. Il valait mieux ne pas y penser et se concentrer sur sa course. Paul s’appliquait à bien respirer, c’était l’une des clés pour tenir la distance. Il termina son premier tour au moment où le dernier des lycéens s’élançait.
Un tour plus tard, Paul sortit du stade. De petits fanions rouges étaient accrochés pour indiquer le chemin à suivre. Paul fit le tour du parc. Son concurrent devant lui avait dû gagner du terrain car Paul ne le voyait plus. Il tenta de regarder derrière lui, personne non plus. Damien devait aller un peu moins vite. Paul n’était plus très loin du bois et donna une impulsion un peu plus forte pour accélérer. Le terrain accidenté le ralentirait sans doute. Cinq petites minutes plus tard, il pénétra dans la forêt. Il dut batailler pour garder l’équilibre sur les racines. Le chemin était parfois si petit qu’il n’était pas possible d’aller vite. Paul veillait à ne pas tomber. Ce n’était pas le moment de regarder la faune et la flore – assez pauvres – du bois. Le passage était heureusement assez court et Paul retrouva le chemin plus agréable du parc. Il ne se sentait pas fatigué et accéléra. Devant lui, la silhouette du concurrent s’approchait. Paul le rattrapait doucement si bien qu’en arrivant au stade, au moment de lâcher le vélo, Paul le talonnait. Il commença la course à pieds rapidement et distança l’élève parti avant lui. Il ralentit à la moitié du tour. Paul regarda de l’autre côté du stade. Damien était arrivé. Il courrait à côté d’Antoine qui le dépassa rapidement. Au deuxième tour, Paul commença à sentir la fatigue. Ses jambes étaient lourdes mais il fallait continuer. Paul respira plus lentement, tentant d’être le plus régulier possible.
Début du troisième tour. Paul regarda la sortie du stade, encore un tour et demi et il pourrait se diriger vers la piscine.
Il entendit des foulées se rapprocher mais ne se retourna pas. Peu importe qui c’était, il fallait que le lycéen reste concentré. Antoine le doubla. Paul n’était pas étonné, sinon que ce fut si long avant que son ami ne passe devant. Cela fit sourire Paul quelques secondes. Avec les cinq longueurs de piscine qui suivaient, Antoine ne ferait qu’accroitre son avance. Paul termina son troisième tour et garda un rythme constant pour sortir du stade et se diriger vers la piscine. Il réalisa qu’il n’avait pas de maillot de bain pour se changer, un doute s’empara de lui. Personne ne l’avait prévenu.
Il arriva devant le grillage ouvert de la piscine extérieure. Certains élèves nageaient déjà dans le grand bassin alors que d’autres en sortaient. Il regarda rapidement les six lignes et se dirigea vers celle d’où l’un de ses camarades sortait. Avec un peu de chance, il resterait seul pour nager dans son couloir. Paul ne réfléchit pas et plongea. Il sentit son tee-shirt se coller à lui. Il remonta à la surface. Le crawl n’avait jamais été son fort mais il serait trop lent à la brasse et il risquait de paraitre ridicule. Il nagea aussi vite que possible les trois premières longueurs. Il se sentit faible et eut peur de s’évanouir. Ce n’était pas le moment. Il se força à se reconcentrer, ralentissant légèrement pour reprendre ses esprits. Une nouvelle longueur de faite, plus qu’une dernière.
Paul arriva au bout et se hissa péniblement hors de l’eau.
Monsieur Rouanet attendait les élèves à la fin de l’épreuve. Il indiqua à Paul de se rendre au vestiaire pour se sécher. Le lycéen, épuisé, descendit les cinq marches. Il était trempé et avait froid. Mais il en avait terminé.
Dans les vestiaires, des piles de vêtements blancs attendaient les élèves. Paul prit un tas sur lequel était indiqué “Homme – Taille M” et se rendit dans une des cabines libres. Il se sécha avec la serviette fournie et se changea. Il trouva dans les vêtements un caleçon et une paire de chaussettes blanches. Il enfila ensuite le jogging blanc sur lequel un petit aigle était floqué sur le côté droit. Il passa enfin le tee-shirt, un peu trop grand pour lui. C’était un tee-shirt blanc floqué d’un grand aigle sur le devant.
Paul allait remettre ses baskets quand il réalisa qu’elles étaient toujours trempées. Il prit ses affaires et garda ses baskets à la main. Il regarda la casquette blanche sur laquelle on voyait aussi un aigle. Il la prit avec ses vêtements mouillés et sortit en chaussettes. Il regagna les gradins de la piscine en évitant de marcher sur les flaques d’eau. Une dizaine d’élèves étaient déjà assis, silencieux, aussi fatigués que Paul et dans la même tenue.
Lorsque le dernier élève arriva, les professeurs se tinrent devant eux. Bianchi conclut la journée :
– Bravo pour vos efforts. Je vais être très courts. Vos résultats arriveront la semaine prochaine une fois que les copies seront corrigées et que nous vous aurons évalués sur les séances d’aujourd’hui. Je vous conseille de ne pas dormir maintenant. Attendez le diner, mangez bien et couchez-vous tôt.
Les élèves regagnèrent leurs chambres. Paul mit ses affaires à sécher et s’assit sur son lit. Il eut envie de fermer les yeux mais les conseils de son professeur lui revinrent en mémoire. Il savait qu’il n’avait pas dit cela par hasard. Il attendit en lisant le début d’un livre qu’il avait apporté avec lui lors de son arrivée, “l’Odyssée” d’Homer. La chambre était silencieuse. Ni Arthur ni Damien ne parlait. L’un écoutait de la musique, l’autre lisait une bande dessinée. Chacun résistait pour ne pas dormir.
Le réfectoire fut lui aussi étonnamment calme. La bande d’amis discuta de leur dernière épreuve que chacun avait trouvée épuisante. Même Antoine avait eu du mal à la finir.
Le soir, juste après le repas, les amis discutèrent un quart d’heure dans le parc mais ils cédèrent à la fatigue. Paul se coucha rapidement et, à peine eût-il fermé les yeux qu’il s’endormit.
Paul se réveilla en sursaut. Il lui fallut quelques secondes pour réaliser ce qui l’avait réveillé. Un bruit assourdissant et répétitif, rauque. Une alarme. Il entendit une voix grésillante sortir des haut-parleurs du couloir :
– Elèves de première année. Vous êtes attendus dans la cour centrale immédiatement. Vous n’avez ni le temps de vous préparer ni de prendre des affaires. Dépêchez-vous.
Paul sortit du lit, tout comme ses camarades de chambre. Damien avait l’air déboussolé :
– Qu’est-ce qu’il se passe ?
Paul haussa les épaules :
– Je crois que nos tests ne sont pas terminés.
Paul regarda l’heure, il était bientôt deux heures du matin. Il passa un tee-shirt et un pantalon avant de descendre avec ses camarades. En bas, entre le bâtiment et le centre de la cour, quelques élèves des années supérieures regardaient leurs pauvres camarades sortir, leurs visages marqués par la fatigue. Quelques-uns lançaient des phrases d’encouragement :
– Allez, un petit effort !
– C’est presque fini, vous allez voir !
– Chacun son tour ! Vous en rigolerez bientôt !
Ces remarques firent sourire Paul. D’un certain côté, elles le stimulaient.
La vingtaine d’élèves se pressait dans la cour. Paul retrouva ses amis, aussi intrigués que lui. Antoine semblait presque avoir peur :
– On a passé toutes les épreuves. Qu’est-ce qu’il se passe ?
Arthur réfléchit un instant :
– Non, pas toutes.
– Qu’est-ce que tu veux dire ?
– Il manque tout ce qui est exploration et indépendance… La survie quoi.
– Putain… Pas ça.
Antoine lâcha ce dernier mot dans un soupir qui en disait long sur son état d’esprit.
Thomas Duchesne s’approcha. Lui ne semblait pas fatigué, il n’avait d’ailleurs pas dû se coucher :
– Bonjour jeunes gens ! J’espère que vous avez bien dormi. Tout d’abord, je tiens à vous féliciter d’avoir terminé les épreuves nécessaires à votre entrée dans notre école. Enfin terminé, c’est un grand mot, il vous reste une dernière petite épreuve. Si petite, vous verrez, qu’elle ne représente qu’une petite partie de votre note, juste un tiers.
Thomas marqua un temps. Il laissa à chacun le temps de prendre la mesure de l’importance de l’épreuve qui allait commencer. Il reprit ensuite :
– Vous allez travailler par groupes de trois ou quatre élèves. Mais vous ne serez pas en concurrence. Je vais donc vous appeler par groupe et vous confier un sac chacun. Dedans vous trouverez un ordre de mission et quelques affaires. Chaque équipe aura une mission différente. Je vous le répète donc car vous semblez un peu endormis, vous n’êtes pas en concurrence. Par contre, vous allez, au sein de votre équipe, devoir travailler ensemble. Si jamais vous avez des questions, ne les posez pas, les réponses sont toutes dans vos sacs. Et s’il n’y a pas la réponse, c’est que votre question ne vaut pas la peine d’être posée. Je vais commencer l’appel.
Paul entendit le nom de ses camarades énumérés un à un. Il espérait se retrouver avec ses amis. Antoine fut appelé dans l’équipe numéro deux. Lucy dans la quatre. Thomas continua :
– L’équipe cinq sera composée de Monsieur Paul Osinski.
Paul retint sa respiration et entendit Thomas continuer :
– Accompagné de Damien Grillon
Ouf, c’était le meilleur choix possible. Plus qu’à connaitre le dernier nom.
– Mathieu Matovic.
C’était parfait pour Paul qui regarda ses camarades. Tous se souriaient en se dirigeant vers Thomas qui terminait de former les équipes. Les quatre premières récupérèrent leur sac. Paul s’approcha de Thomas qui s’adressa à eux :
– Bon courage, je suis sûr que vous allez réussir.
Les trois garçons le remercièrent. Paul se doutait que Thomas avait formé les équipes et qu’il ne l’avait pas fait au hasard.
Les trois garçons s’assirent devant le bâtiment de l’entrée du campus et ouvrirent leurs sacs à dos. Ils avaient tous les mêmes affaires. Paul les sortit une par une. Ils avaient chacun une petite trousse de soins, quelques rations de nourriture, une carte de la région, un talkie-walkie, une paire de jumelles et un dossier. Paul ouvrit le dossier qui contenait les indications relatives à leur mission.
Ils y trouvèrent une adresse à laquelle ils devaient retrouver un DVD qui avait été volé et contenant des informations importantes au sujet d’un projet qui s’appelait “SPACE 2001“. La discrétion serait le point le plus important de leur mission. Les trois garçons allaient devoir faire un repérage d’une maison avant de s’y infiltrer.
Paul regarda la carte de la région sur laquelle figurait le centre ainsi que l’itinéraire jusqu’à leur cible. La route allait être très longue et Paul indiqua à ses coéquipiers qu’il ne fallait pas perdre de temps. En partant immédiatement, ils arriveraient tout juste avant le lever du soleil.
Les trois garçons se mirent en marche. Les épreuves des jours précédents, la fatigue accumulée et leur course de la veille se faisaient sentir. Paul avait des courbatures et il en était de même pour ses camarades. Ils ne purent marcher aussi rapidement qu’ils l’auraient souhaité et s’arrêtèrent parfois pour se reposer quelques minutes. Ils traversèrent plusieurs villages, déserts pendant la nuit. Aucune des maisons ne renvoyait de lumière, si bien que Paul se crut parfois dans des villes fantômes. Par moment, une voiture les dépassait à grande vitesse, profitant des routes de campagne sans vies.
Les trois garçons entrèrent dans la petite ville où se trouvait leur cible vers sept heures du matin. Ils étaient déjà à bout de force. Le jour commençait seulement à poindre alors qu’ils arrivaient dans un petit centre-ville. Un café ouvrait pour les clients matinaux.
La faim commença à les gagner. Paul proposa à ses amis de trouver la maison rapidement puis de s’arrêter dans un endroit plus calme pour réfléchir et entamer une partie de leurs rations.
Grâce à la carte et au plan de la ville, les trois étudiants n’eurent pas de mal à se rendre devant la maison dans laquelle ils allaient devoir entrer. Ils passèrent rapidement devant une première fois. Elle ne semblait pas surveillée, cependant, ils ne purent en voir l’intérieur. Une palissade en bois et une porte gardait la propriété et le garage était fermé.
Paul demanda à ses amis un dernier effort. Il leur fallait accéder à l’arrière de la maison pour savoir si une autre entrée était possible.
Sur le plan, les garçons découvrirent que l’arrière de la maison donnait sur un grand domaine, et en particulier un golf. Ils décidèrent de s’y rendre. Par chance, la grille protégeant le golf était ouverte, le propriétaire avait déjà dû arriver.
Discrètement, les trois garçons entrèrent, prenant soin de ne pas se faire repérer. Le club house était un peu plus loin et était éclairé. Ils longèrent une haie en prenant garde que personne ne s’approche des fenêtres. Heureusement pour eux, le propriétaire ne devait pas craindre les intrusions et ils purent avancer en longeant la haie jusqu’à l’arrière de la maison.
Paul glissa ses mains dans la haie et écarta les branches. Il ne vit rien, une deuxième haie lui coupait la vue. Il prit soin de ne pas laisser de trace et passa la première haie. Il avait juste la place pour se tenir debout entre les deux barrières végétales. Il écarta le nouveau feuillage face à lui et prit ses jumelles pour voir ce qu’il se passait dans la maison. Elle était assez loin, derrière une grande pelouse. Elle semblait être petite, sur deux niveaux. Paul distinguait deux entrées depuis le jardin. Deux entrées gardées par des hommes qui semblaient sur le qui-vive. Il lui était difficile de bien distinguer l’intérieur.
Damien tapa sur l’épaule de Paul :
– Alors ? On fait quoi ?
– Ça ne va pas être simple mais on va être obligé de passer par là. Au moins on sait à quoi s’attendre. De l’autre côté, on peut tomber sur n’importe qui.
– Tu veux y aller maintenant ?
– Non, le jour va se lever, s’il y a du monde à l’intérieur, on a de fortes chances de se faire repérer. Mieux vaut attendre la nuit.
– Tant mieux, j’ai la dalle !
Paul ignora cette dernière réflexion. La faim le gagnait lui aussi depuis un moment. Il relâcha le feuillage et guida ses coéquipiers jusqu’à la sortie du golf. Ils trouvèrent un endroit calme pour se restaurer en entamant leurs rations de survie.
Ils restèrent silencieux. La fatigue était bien présente. Paul brisa le silence :
– J’ai vu deux gardes devant la maison. Un devant chaque entrée. J’imagine qu’il doit y avoir un relai mais impossible de savoir quand, il nous faudrait au moins une journée ou deux d’observation. On va devoir entrer comme on peut.
Mathieu laissa passer quelques secondes avant de demander :
– Tu as pu voir l’intérieur de la maison ?
– Pas vraiment. Il y a l’air d’y avoir deux niveaux. En bas, j’ai cru distinguer une grande pièce à vivre, avec cuisine et salle à manger. J’imagine qu’en haut il doit y avoir au moins une chambre.
– Et le DVD, on va le trouver où ?
– C’est le problème, j’en ai aucune idée. J’imagine qu’il sera près d’une télé ou dans un bureau.
Mathieu se tut, laissant Damien poser la question suivante :
– Concrètement, on fait comment ?
Paul réfléchit avant de répondre :
– Pour le moment, on se repose une heure ici, on ne risque pas d’être surpris et ça permettra de réfléchir un peu. Ensuite, on retourne au golf et on observe ce qu’il se passe. Je pense que si une relève a lieu dans la soirée, ça nous permettra d’être sûrs qu’on n’aura pas plus de gardes à l’extérieur. Ensuite on entre et on se sépare pour trouver le DVD. Il faudra être prudents et ne pas se faire repérer.
– Et ça, comment on peut savoir qui est à l’intérieur ?
– On va y aller doucement en regardant à chaque fois qu’on entre dans une pièce s’il y a un danger. Ça vous va ?
Les deux coéquipiers de Paul hochèrent la tête en signe d’approbation.
Comme Paul l’avait suggéré, les trois coéquipiers se laissèrent une heure afin de se reposer avant de retourner dans le golf.
Comme la première fois, ils purent accéder facilement à l’arrière de la maison en passant derrière la haie du golf. Les trois garçons s’assirent tant bien que mal dans le faible espace dont ils disposaient et sortirent leurs jumelles. Cette phase d’observation allait être longue. Damien demanda :
– C’est nécessaire que l’on regarde tous les trois ? Autant qu’un seul regarde pendant que les deux autres se reposent.
Paul retira ses jumelles :
– Tu as raison, ça permettra à chacun d’être concentré pendant son tour. Et je vais essayer de laisser les branches écartées afin qu’on puisse voir sans jumelle s’il y a du mouvement à l’extérieur.
Paul écarta les branches et glissa ses jumelles pour former un espace dans la haie qui leur permit de voir sans être vus.
A tour de rôle, les apprentis espions prirent leur garde, d’une heure chacune. A chaque fois qu’un garde bougeait, ils le notaient. Les gardes furent relevés à midi et à seize heures. Les espions en déduisirent que cette manœuvre devait avoir lieu toutes les quatre heures.
Paul proposa d’agir à une heure trente du matin. Cela permettrait d’être sûrs qu’une relève aurait lieu à vingt heures puis à minuit. Paul se dit que les gardes seraient concentrés en début de service et baisseraient doucement la garde jusqu’à la relève suivante. Cependant, il fallait aussi agir lorsqu’il y aurait le moins d’hommes dans la maison. L’heure était idéale.
Les trois espions continuèrent d’observer la maison. Les relèves eurent lieu aux heures prévues. Un peu après minuit, la lumière de la pièce à vivre s’éteignit et une demie heure plus tard, l’étage fut lui aussi plongé dans l’obscurité. Sans cette source de lumière, il était plus difficile encore de voir ce qu’il se passait dans le grand jardin.
Paul regarda sa montre. Il était une heure passée de vingt-huit minutes. C’était le moment d’agir.
Les trois garçons passèrent à travers la haie, prenant soin de ne pas s’accrocher à une branche et d’être le plus discret possible. Grâce à la nuit sombre, Paul savait qu’il était impossible pour les gardes de les voir pour le moment. Les espions n’avaient pu que distinguer les silhouettes avec l’aide de leurs jumelles.
La première partie du jardin était cachée par une petite haie qui leur arrivait à hauteur du buste. Les trois élèves s’avancèrent en se baissant.
Paul passa la tête pour s’assurer que les gardes étaient toujours à leur place. Ils s’étaient postés devant l’entrée principale pour discuter et surveillaient la seconde entrée à distance. Paul réfléchit et se tourna vers ses coéquipiers :
– Il y a la deuxième entrée, sous un auvent. On va essayer d’entrer par là-bas. On va longer la haie du jardin par la gauche. On devra rester discrets et invisibles jusqu’à la moitié du parcours.
Damien sembla sceptique :
– Et après ?
– On court ?
– Et on se fait chopper avant de rentrer, c’est suicidaire !
Paul savait que Damien avait raison mais il détestait ne pas savoir quoi faire. Il regarda Mathieu s’éloigner d’eux :
– Qu’est-ce que tu fais ? Faut rester groupé !
– Attends, j’ai une idée !
Interloqués, Paul et Damien observèrent leur coéquipier s’approcher de la haie qui longeait le jardin et revenir vers eux, un grand sourire aux lèvres :
– J’ai trouvé !
Les deux espions restèrent muets, attendant la suite.
– La haie, on peut passer derrière jusqu’à la maison, après il suffira de se glisser rapidement à l’intérieur. Il y a trois mètres à peu près entre les deux, si on ne fait pas de bruit, les gardes ne se retourneront pas.
Paul analysa la situation. C’était risqué. A trois, ils seraient plus longtemps à découvert. Il modifia le plan de Mathieu :
– C’est une bonne idée mais arrivé là-bas, il faudra aller chacun son tour dans la maison, pas ensemble, ce sera trop dangereux. Et si l’un d’entre nous se fait prendre, les deux autres ne devront rien faire pour l’aider. Le DVD avant tout.
Ses deux compères acquiescèrent. Paul reprit :
– Mathieu, il y a quoi derrière la haie ?
– Un petit espace, à peine de quoi se tenir debout, et derrière c’est un mur.
– Ok, on y va.
Les trois espions se glissèrent derrière la haie. Comme Mathieu l’avait dit, ils avaient juste la place de se tenir debout, le dos collé au mur. Paul passa devant, suivi de Damien puis de Mathieu. Ils avançaient doucement, prenant le plus grand soin pour ne pas se faire repérer. Ils arrivèrent au bout en une dizaine de minutes.
Paul passa la tête discrètement contre le mur de la maison. Les deux gardes discutaient sans se soucier de l’entrée de l’auvent. Paul fit un signe de tête à ses amis et chuchota :
– J’y vais. Damien, tu y vas quand j’aurai disparu de leur champ de vision, Mathieu tu fais pareil ensuite.
A peine sa phrase terminée, Paul écarta la haie et sortit. Il se colla au mur et s’accroupit avant de se diriger rapidement sous l’auvent. Il y avait une porte en bois ouverte sur une petite cour. Paul n’hésita pas et se dirigea vers elle.
Il arriva dans une cour au sol couvert de gravier. Il y posa un premier pas, le plus lentement possible. Les graviers craquèrent doucement sous son pied. Il se tourna et se colla au mur, à l’abri de tout regard.
Damien arriva. Paul le prévint d’être le plus précautionneux possible et de veiller à ne pas faire de bruit en marchant sur le sol. Damien s’appliqua et le rejoignit.
Quelques secondes après, Mathieu passa la tête par la porte en bois. Paul lui donna les mêmes indications, qu’il suivit à la lettre.
Les trois espions regardèrent la petite cour entourée de hauts murs blancs. Ils avaient face à eux deux portes. La première, juste à côté d’eux, donnait sur une cuisine. La seconde semblait ouvrir sur un couloir. Paul remarqua que la seconde n’avait pas de poignée. Il se dirigea lentement vers la première. Doucement, il tenta de l’ouvrir, c’était fermé à clé. Impossible pour eux d’entrer.
Paul observa la cour en réfléchissant à un autre moyen de pénétrer dans la maison. Il réalisa soudain que si les gardes ne semblaient pas donner d’importance à cette entrée, c’était justement car personne ne pouvait pénétrer dans la maison en passant par ce côté. Damien lui donna un coup de coude :
– Hé, au-dessus de la porte !
Paul regarda vers la porte sans poignée que Damien lui indiquait. Il y avait au-dessus une petite fenêtre ronde, juste assez large pour laisser passer une personne. Paul, le plus discrètement possible, s’en approcha. Les graviers craquaient à chacun de ses pas. Mathieu lui emboîta le pas. Arrivé en bas de la fenêtre, Paul l’observa un instant. Elle était trop haute pour l’atteindre mais Mathieu proposa de lui faire la courte échelle. Paul accepta. Il attendit que Mathieu soit stable et monta sur ses mains jointes. Il eut juste assez de hauteur pour que sa tête atteigne la vitre.
A l’intérieur, tout était sombre. Paul posa la main sur la fenêtre qui s’ouvrit légèrement. Le jeune espion prit appui sur le rebord et l’ouvrit entièrement avant de regarder à l’intérieur. Sur le côté, il pouvait atteindre un escalier, qui lui éviterait de retomber lourdement sur le sol. Il se glissa comme il put et parvint à se tourner sans un bruit. Il était entré. En équilibre, il put regarder par la fenêtre encore ouverte et s’adressa à Mathieu :
– Attendez-moi, je vais vous ouvrir !
Paul descendit les quelques marches qui le séparaient de la seconde porte, équipée d’une poignée à l’intérieur.
Il ouvrit la porte à ses amis qui entrèrent sans un bruit.
Paul referma la porte et regarda autour de lui. Les trois espions réalisèrent qu’ils avaient commis une erreur, celle de penser que l’ensemble de la maison était visible de l’extérieur. Sa forme en L lui donnait une taille bien plus importante que ce qu’ils avaient imaginé.
Paul regarda la configuration. Sur leur droite, la pièce qu’ils avaient aperçue de l’extérieur, une grande pièce avec une salle à manger, un jardin d’hiver, une cuisine à l’américaine et, à l’étage, on devinait une grande mezzanine.
Sur le côté gauche, une partie plus sombre, certainement plus ancienne, avec un bureau puis un couloir. Paul se tourna vers ses coéquipiers :
– Mathieu, cherche dans le bureau si tu trouves des DVD, Damien, viens avec moi, on va voir où mène ce couloir.
L’instinct de Paul avait été bon. Ils arrivèrent dans un salon d’une grande taille. Au fond, un escalier montait à l’étage. Ils décidèrent de se concentrer sur le salon dans lequel ils trouvèrent une grande banquette, une table basse, un petit bureau et une télévision posée sur une cheminée à côté d’un grand meuble rempli de DVD. Damien regarda le meuble puis se tourna vers Paul :
– Va falloir tous les ouvrir ?
– Tu vois une autre solution ?
Damien se résigna. Il accompagna Paul devant le meuble. Les deux garçons commencèrent à ouvrir les boites une par une.
Après quelques minutes, ils furent rejoints par Mathieu :
– J’ai rien trouvé dans le bureau. Mais si le DVD est important, vous ne pensez pas qu’ils ont pu le cacher ?
Paul réfléchit :
– Mais le meilleur moyen de le cacher, c’est justement de le mettre avec les autres non ?
– Un peu facile.
– De toutes manières on a rien d’autre. Aide-nous, ça ira plus vite.
Mathieu s’approcha du meuble et le regarda quelques secondes. Il prit lentement l’un des boitiers au milieu du meuble sous le regard ahuri de ses deux coéquipiers qui s’arrêtèrent de chercher. Mathieu avait pris un coffret de huit DVD consacré à Stanley Kubrick. Il sortit le premier DVD et l’ouvrit avant de dire :
– Voilà, il suffisait de me demander.
Paul et Damien regardèrent le DVD blanc sur lequel on lisait au marqueur noir “SPACE 2001“
Damien ne comprit pas comment Mathieu avait trouvé si rapidement :
– Comment t’as su ?
– “Projet SPACE 2001“, ça m’a rappelé le film “2001 : L’Odyssée de l’Espace” de Kubrick.
Damien sembla admiratif de cette déduction, tandis que Paul ressentit un sentiment de jalousie. C’était tellement évident qu’il aurait aimé avoir eu le raisonnement avant Mathieu.
Il ne fallait pas laisser de trace. Paul prit le DVD et remit le coffret à sa place.
Soudain, des pas se firent entendre à l’étage. Les trois garçons se retournèrent vers l’escalier au fond de la pièce. Par les espaces entre les marches, ils virent les pieds d’un homme qui descendait. Paul chercha à cacher le DVD et sa seule idée fut de le mettre dans son pantalon. Les trois garçons voulurent s’enfuir mais c’était trop tard. Un garde avait dû être alerté et leur bloquait le passage vers le couloir. Face à eux, l’homme avait fini de descendre les escaliers et dévisageait les trois espions :
– Bonsoir, qui êtes-vous ?
Le ton était calme, posé, presque accueillant. Paul répondit :
– Des voisins. On pensait qu’il n’y avait personne, on est entré. Maintenant qu’on sait que vous êtes là, on va vous laisser.
L’inconnu secoua la tête lentement de gauche à droite :
– Non, vous n’allez nulle part. J’aime avoir des invités. Mais dites-moi, pourquoi êtes-vous entrés ? Vous avez rapidement dû voir qu’il y avait du monde ?
– Non, il faisait noir. On aime découvrir de nouveaux lieux, se promener, désolé.
– Mais bien sûr.
L’homme se tourna vers son garde :
– Emmenez-les à la cave, on verra ça plus tard.
Trois gardes arrivèrent en renfort. Tandis que celui qui devait être le propriétaire se retourna pour regagner l’étage, les trois espions furent fermement saisis par le bras. Ils furent conduits vers le bureau où ils passèrent par une porte dans le fond de la pièce. Ils descendirent un escalier en pierre qui donnait sur un long couloir bordé de portes en métal.
Sans un mot, les gardes leur confisquèrent leurs sacs, leurs montres et ce qu’ils avaient dans leurs poches puis les jetèrent chacun dans une pièce différente.
Paul fut secoué par la violence avec laquelle le garde l’avait poussé. Il entendit le bruit d’un verrou. Il se trouvait dans une petite pièce à peine éclairée. Il n’y avait qu’un banc de pierre qui dépassait du mur. Paul s’assit. Il trouvait cela étrange de trouver des cellules dans une maison et se demanda si, en dehors des trois espions, d’autres personnes étaient détenues dans cette cave.
Paul décida de ne pas ressortir le DVD. Il n’avait rien d’autre à faire à part attendre. Il espérait que ce ne serait pas trop long et que ses amis tenaient le coup.
Etonnamment, il n’était ni stressé ni angoissé.
Paul n’avait aucune idée du temps qui s’écoulait. Il n’y avait aucune fenêtre ni horloge.
Assis sur le banc de pierre, il observa la pièce. Il se releva pour regarder la porte de plus près, cherchant un moyen de l’ouvrir. Il n’en trouva aucun. Il était impossible de l’enfoncer et cela alerterait immédiatement les gardes. De plus, il y en avait peut-être un juste derrière la porte.
L’espion frappa doucement contre les murs, ils devaient être épais et ne laisseraient passer aucun son.
Paul se rassit et laissa ses pensées s’emparer de lui. Il se demanda comment cacher le DVD. L’objet ne dépassait pas de sa cachette, mais s’il était fouillé, les gardes le trouveraient immédiatement.
Paul entendit un bruit métallique. Quelqu’un ouvrait la porte de sa cellule.
C’était l’un des gardes qui l’avait conduit ici. Il lui fit signe de sortir.
Paul obéît. A peine eût-il franchit la porte que le garde l’empoigna fermement par le bras. Il fut conduit dans le prolongement du couloir, dans une nouvelle pièce. Il n’y avait qu’une chaise au milieu de la pièce et un bureau collé au mur. Le garde le fit asseoir brutalement sur la chaise et, à l’aide de cordes, lui lia les poignets et les mollets à la chaise. Aucun moyen pour Paul de se débattre.
Le garde s’assit sur le bureau et resta silencieux. Un autre arriva en renfort. Il était grand, large d’épaule. Paul savait qu’il ne ferait pas le poids contre lui. D’une voix sèche, le deuxième garde demanda :
– Qu’est-ce que tu faisais ici ?
Paul prit quelques secondes afin de reprendre au mieux ses esprits. Il savait qu’il devait contrôler son stress avant de parler. Le temps dût être long pour le garde qui lui demanda à nouveau :
– Alors ? Répond !
– On vous l’a dit.
– Vous avez menti, nous le savons.
– Non, c’était la vérité !
– Tu as la tête dure, hein ?
Paul ne répondit pas. Il observa du coin de l’œil le garde resté muet jusqu’à présent. Il sortit d’un sac un chalumeau qu’il alluma. Il l’approcha du visage de Paul avant que l’interrogateur ne reprenne :
– Alors ? Tes amis nous ont tout dit, tu dois bien t’en douter.
– S’ils vous ont dit quelque-chose, pourquoi m’interroger ? Et je ne vois pas ce qu’ils ont pu dire de plus.
– Tu veux vraiment mourir ici ?
Paul garda le silence. Une odeur de brulé arrivait jusqu’à ses narines. Il savait que ce n’était pas celle du chalumeau. Une alarme retentit. Les deux gardes s’arrêtèrent net et se regardèrent. Celui qui interrogeait Paul demanda à l’autre garde :
– C’est l’alarme incendie ça, non ?
L’autre garde lâcha le chalumeau qui tomba lourdement sur le sol :
– Ouais, faut qu’on se casse. On fait quoi du gamin ?
L’interrogateur regarda Paul avant de répondre :
– Bah on le laisse, on ne va pas perdre de temps avec ça.
Les deux gardes quittèrent précipitamment la pièce, laissant Paul ficelé sur sa chaise.
Le jeune espion regarda autour de lui puis regarda le chalumeau. La flamme commençait, à distance, à faire fondre la semelle de sa chaussure. Paul écarta son pied par reflexe mais il ne bougea pas de plus de quelques centimètres. Ses jambes étaient bien attachées aux pieds de la chaise. Paul prit peur. Il ne voulait pas finir en cendres dans la cave d’une maison de campagne qu’il ne connaissait pas. D’ailleurs, personne ne le souhaiterait.
Il repensa à ses amis, sans doute encore enfermés, ne se doutant même pas du danger qui les menaçaient. Paul se força à reprendre ses esprits. Il prit plusieurs grandes inspirations en fermant les yeux. Il pouvait entendre son pouls ralentir doucement. Il bougea le bassin de gauche à droite. D’abord doucement. La chaise commença à vaciller. Il donna un coup plus fort sur son côté droit pour que la chaise se couche complètement. Paul sentit une douleur dans l’épaule qui avait brutalement heurté le sol. Il n’avait pas le temps de penser à cela. Il se tourna tant bien que mal pour placer ses mains devant le chalumeau encore allumé. Il sentit la flamme brûler la corde. Elle lui brulait aussi les mains mais c’était encore supportable.
Paul sentit les liens se briser doucement.
Lorsqu’il eut les mains libérées, Paul détacha les cordes qui lui liaient les pieds et se redressa. Il avait mal partout, ses mains le brûlaient et il pouvait encore sentir la corde autour de ses chevilles. Il regarda le chalumeau s’éteindre doucement.
L’odeur de brulé le ramena à la réalité. Il devait faire vite. Il se précipita hors de la pièce et retrouva le couloir des cellules. Il les ouvrit toutes une à une, libérant ses deux amis et retrouvant les sacs et les affaires qu’on leur avait confisqués.
Damien et Mathieu le remercièrent mais Paul leur dit qu’ils devaient se dépêcher. Ils le remercieraient plus tard.
Il n’y avait aucune trace de fumée dans ce sous-sol. Les trois espions se dirigèrent vers la seule issue et poussèrent la porte menant au bureau. Là, une lueur jaune orangée arrivait du salon où ils avaient retrouvé le DVD. Il faisait chaud et une épaisse fumée noire leur cachait la vue. Ils se baissèrent. Paul leur indiqua de retenir leur respiration le plus longtemps possible et fit de même. La porte par laquelle ils étaient entrés n’était qu’à quelques pas. Les occupants avaient visiblement déjà fui.
En quelques secondes, Paul arriva à la porte. Elle s’ouvrit sans résistance. Les trois espions sortirent. Ils cessèrent de retenir leur respiration. Paul sentit l’air frais de la nuit emplir ses poumons. Il toussa, imité par ses coéquipiers.
Il n’y avait cependant pas de temps à perdre. Les trois espions repassèrent par l’auvent. Ils traversèrent le grand jardin maintenant désert et ressortirent par là où ils étaient entrés, à l’arrière du golf.
Paul regarda la maison. Etonnamment, elle ne semblait pas brûler. Tout était calme.
Paul regarda ses camarades, ils étaient éreintés. Il les encouragea comme il put :
– On a réussi. J’ai toujours le DVD et on s’en est sorti. Bravo.
Paul regarda l’heure. Il était cinq heures et vingt minutes.
– On a encore la journée pour arriver jusqu’au campus. On se met en route. On se reposera en arrivant.
Les deux autres jeunes espions ne semblèrent pas du même avis. Damien, les mains sur ses genoux, fit un signe de la main :
– Non, laisse-nous un peu de temps, on partira dans une demi-heure.
Paul comprit la détresse de Damien et acquiesça :
– D’accord, mais sortons du golf, il pourrait y avoir des gardes.
Les trois espions retournèrent là où ils s’étaient reposés la veille. Ils burent beaucoup, se passèrent de l’eau sur le visage, mangèrent un peu et restèrent assis sans un bruit pendant une quinzaine de minutes. Paul sentait ses yeux se fermer, il lui fallut résister. Quand ce fut trop dur, il indiqua à ses camarades qu’il était l’heure de partir. Résignés, Damien et Mathieu se relevèrent et lui emboitèrent le pas.
Six heures de marche plus tard, ils arrivèrent au campus.
Lorsqu’ils entrèrent dans la cour, les élèves des autres classes se rendaient au réfectoire. Ils les dévisageaient, un sourire à peine caché sur leurs lèvres.
Thomas apparut soudain et leur fit signe de s’arrêter :
– Venez dans mon bureau, on sera plus tranquille. Ensuite vous pourrez vous reposer, je vous le promets.
Les trois jeunes espions suivirent Thomas jusqu’à son bureau. Il les fit s’asseoir et demanda :
– Tout va bien ?
Paul se frotta l’épaule droite, celle qui avait heurté le sol quelques heures plus tôt et qu’il avait oublié jusqu’à lors. Il repensa à ce qu’il venait de vivre. Il avait été enfermé, menacé, faillit finir brûlé mais il se sentait bien :
– Ça va, fatigué, la marche était longue.
Thomas afficha un sourire en coin, un sourire habituel lorsqu’il était satisfait :
– Je vous félicite pour cette première mission. Je sais que vous l’avez menée à bien, pourtant ce n’était pas la plus facile, loin de là. Elle nous a demandé des artifices et, pour être honnête, je doutais un peu de son accomplissement. Paul, je suis désolé que tu te sois fait mal, ce n’était pas tout à fait prévu. Vous avez tous les trois fait de très bons choix pendant cette mission et je suis vraiment content de vous. Félicitations. Je pense que vous êtes épuisés, je vous propose de me rendre vos affaires et je vais vous laisser tranquille. Vous êtes libres jusqu’à lundi.
Les trois garçons remercièrent Thomas avant d’aller déjeuner. La salle se vidait progressivement alors que la plupart des autres élèves terminaient leur repas.
Les trois jeunes espions étaient silencieux, comme si la fatigue les empêchait de parler. Cependant, Damien demanda :
– Vous croyez que c’est fini cette fois ?
Mathieu le regarda d’un air surpris :
– Tu crois qu’ils nous préparent encore une épreuve ce weekend ? Je ne pense pas, ce ne serait vraiment pas cool, on est épuisés.
– Tu as raison. Vous pensez qu’on a réussi ?
– Je sais pas, Thomas avait l’air content. Et on a fait ce qu’on devait.
La conversation ne dura pas plus longtemps. Les trois amis se séparèrent rapidement après déjeuner. Paul s’allongea sur son lit et ne se réveilla que le soir venu, un peu avant le diner.
Il retrouva ses amis dans la cour principale. Tous étaient contents que cette semaine intensive soit terminée. Ils avaient hâte et appréhendaient les résultats qui devaient arriver le lundi.
Lucy, elle, ne semblait pas fatiguée. Elle avait elle aussi parfaitement réussi sa mission d’essai qui consistait à rechercher une entrée dans un bâtiment pour y récupérer un microfilm. Pour cela, elle avait dû entrer par un puit exigu. En discutant avec ses amis, Paul sut que toutes les missions avaient été basées sur le même modèle mais que très peu avaient eu à composer avec de véritables personnes. La plupart des missions étaient en effet dans des lieux déserts ou presque.
Lucy profita aussi de ce moment pour taquiner Paul :
– De toutes manières, toi, tu n’es pas inquiet, tu sais que tu les auras ces examens.
Paul fut surprit de cette phrase :
– Pourquoi tu dis ça ?
– T’es bon élève, Thomas vous a dit que vous aviez réussi votre mission, t’es bon en sport, je vois pas comment tu pourrais ne pas être premier.
– Le sport n’était pas exceptionnel et sur les questionnaires je n’ai aucune idée d’où me placer. Je ne sais même pas quelles réponses étaient bonnes ou mauvaises.
– Ne joue pas les modestes.
Paul était énervé qu’on le considère comme un bon élève. S’il n’était pas mauvais il n’avait vraiment aucune idée d’où se placer parmi ses camarades :
– Antoine est meilleur que moi en sport et je ne connais pas tous les élèves.
Lucy sembla réfléchir mais c’est Antoine qui répondit :
– Mais toi tu as Thomas de ton côté.
– Comment ça ?
Antoine sembla soudain regretter sa phrase :
– Non, rien, laisse tomber.
– Non je ne laisse pas tomber. Qu’est-ce que tu insinues ? Qu’est-ce que vous insinuez tous les deux ?
Damien tenta de calmer les esprits :
– Paul, faut bien reconnaitre que Thomas t’a à la bonne. Il nous a fait une bonne équipe et il se soucie toujours de savoir comment tu vas. C’est sans doute à cause de ta baisse de morale du début d’année. C’est sympathique de sa part, c’est tout. Je ne parle même pas de la fois où il aurait dû nous virer mais qu’il s’est contenté de nous raccompagner à notre chambre. Ce n’est pas un reproche, c’est plutôt une bonne chose et ça prouve que tu es bon élève.
Lucy acquiesça :
– On n’est plus au primaire, on s’en fiche que nos profs aient des chouchous !
Paul resta sans voix. Les remarques de ses camarades l’énervaient et il n’était pas d’accord avec eux. S’il était vrai que Thomas semblait protecteur ces derniers temps, c’était aussi car Paul lui avait dit qu’il avait eu un moment de doute, il ne faisait que son travail de responsable des études. Damien le sortit de ses pensées en éclatant de rire :
– Ça doit être ton nom !
– Comment ça ?
– Mais si, tu sais, ton super pouvoir !
Lucy prit un air interrogatif, Damien lui répondit :
– Paul a le pouvoir de faire changer les visages des gens qui prononcent son nom, ça lui est déjà arrivé deux fois ! Visiblement son nom ressemble à celui d’un ancien élève.
Paul reconnut l’air ironique de son ami qui commençait à le lasser. Il répondit :
– J’ai trouvé ça bizarre, c’est tout, et je ne vois pas le rapport avec Thomas.
Lucy, qui avait eu le temps de réaliser ce que Damien avait dit plus tôt, réagit :
– Attends… Vous avez failli vous faire virer ? Quand ? Pourquoi ?
Damien lui raconta l’histoire de leur escapade nocturne au foyer tandis que Paul gardait le silence. Il s’était sentit vexé par ce qu’avaient pu dire ses amis. Damien tenta de s’excuser pendant le repas :
– Paul, tu sais, je ne voulais pas être méchant tout à l’heure, c’était juste de l’humour.
Devant la sincérité de Damien, Paul lui répondit que c’était déjà oublié. Il sentait aussi que la fatigue l’avait fait mal réagir. L’important était de ne plus en parler.
Cependant, les questions autour de son nom de famille lui revirent brièvement en tête. Il décida qu’il n’était plus temps d’y penser et espérait qu’il ne se retrouverait pas à nouveau confronté à une personne qui changerait lorsqu’il se présenterait.
Fatigués, les amis décidèrent de jouer au tarot après le diner puis de se coucher. Le dimanche, ils passèrent leur journée ensemble, entre la bibliothèque, la cour et les terrains de sport.
Le lundi matin, tous les élèves de première année étaient surexcités. A onze heures, les résultats seraient dévoilés et ils sauraient s’ils étaient admis à poursuivre leur scolarité pour l’année à venir ou s’ils devraient retourner dans une scolarité classique.
Paul, Damien, Lucy, Antoine, Arthur et Mathieu avaient convenus de passer la matinée ensemble. Tous étaient reposés. Ils prirent leur petit déjeuner à huit heures, profitant de ne pas avoir cours ensuite pour faire durer ce moment. Ils discutèrent de leurs attentes, espérant tous être acceptés. Paul remarqua qu’aucun de ses amis ne s’était amusé à lui dire qu’il serait de toutes manière accepté et qu’il n’avait pas de doute à avoir. Une petite partie de son esprit imaginait la possibilité d’être refusé, bien qu’il fut intimement convaincu qu’il avait bien réussi.
A dix heures trente, la plupart des élèves de première année attendaient dans la cour principale. Ils n’avaient eu aucune indication sur l’endroit où seraient affichés les résultats et espéraient qu’un professeur vienne leur faire signe. Paul commençait à connaitre l’Aigle et son organisation. Il savait qu’avant onze heures, ils n’auraient aucune information. Il regarda vers la fenêtre du bureau de Thomas. Le responsable des études regardait la cour. Il devait s’amuser de cette situation.
Paul était impatient. Il avait quitté depuis quelques minutes la discussion de ses amis pour plonger dans ses pensées. Il se demandait s’il serait un jour un grand espion, s’il allait réussir sa scolarité, s’il serait pris. L’ambiance qu’il avait pu connaitre pendant ce mois sur le campus n’avait fait que renforcer son envie d’être admis et d’y passer les prochaines années. Les élèves des classes supérieures, même s’il ne les connaissait que peu, avaient l’air heureux et épanoui, ce qui lui permettait déjà de se projeter dans l’avenir. Il était sûr de lui. Il avait trouvé sa place.
Il prit soudain peur. Et s’il n’était finalement pas accepté ? Et si les réponses qu’il avait données n’étaient pas aussi bonnes qu’il l’imaginait ?
Paul regarda sa montre. Plus que dix minutes. La tension se sentait autour de lui. Paul s’écarta lentement des autres élèves. Il retrouva l’entrée du bâtiment d’accueil et s’adossa au mur. Il essuya par reflexe une goutte de sueur qui perlait sur son front. Il prit une grande inspiration et souffla lentement. Il se calma progressivement, faisant abstraction de ce qui l’entourait.
La porte s’ouvrit à côté de lui, Paul tourna la tête. C’était Thomas, son sourire habituel au coin des lèvres.
– Tout va bien Paul ?
– Oui, un peu stressé.
– C’est normal. Les résultats sont dans quelques minutes.
Paul hocha la tête et regarda Thomas s’éloigner. Il eut soudain envie de le suivre, lui savait où étaient les résultats, il les connaissait sans doute.
La porte s’ouvrit à nouveau, c’était Annabelle Maillard, l’autre responsable des études. A son tour, elle observa Paul puis pinça ses lèvres :
– Monsieur Osinski, que faites-vous là ? Vous n’êtes pas avec votre petite bande d’amis ?
– Non, je préfère m’isoler avant les résultats.
Maillard ne répondit pas. Elle haussa les épaules et fit claquer ses talons sur le sol en pierre tout en s’éloignant. Paul eut l’impression qu’elle ne l’appréciait pas. “Au moins, on ne pensera pas que je suis son élève préféré” pensa t’il.
Plus que trois minutes et les élèves pourraient connaitre les résultats. Paul décolla son dos du mur et retourna auprès de ses amis. Lucy l’accueillit :
– Tiens, te voilà ? T’avais disparu !
– J’avais besoin de m’écarter un peu.
– Le prodige n’est pas serein alors ?
Paul ne répondit pas, il préféra ignorer la dernière remarque de son amie. Il pensa que pour dire cela, elle devait elle-même connaitre quelques doutes.
Les haut-parleurs grésillèrent sur le campus :
– Les résultats des examens d’admission des élèves de première année sont maintenant disponibles. Ils sont affichés dans le gymnase.
Un craquement indiquait la fin du message. Le troupeau d’élève se pressa vers leurs résultats, là où ils avaient passé leurs examens écrits, une petite semaine plus tôt.
Paul et ses amis entrèrent dans le gymnase. Les élèves se massaient devant un grand tableau. Paul vit que des élèves d’autres années venaient assister au spectacle. Certains lisaient même les résultats.
Paul arriva devant la liste sur laquelle les noms étaient inscrits en gros. Ils étaient suivis de la mention “Admis” ou “Non admis” puis d’un chiffre.
Paul chercha son nom. Il arriva à la lettre “O“. Il sentit son cœur se serrer.
“OSINSKI Paul ADMIS 2″
Paul soupira de satisfaction.
Il regarda ensuite le nom de Damien, il était lui aussi admis.
Paul s’écarta du groupe d’élèves et retrouva ses amis un peu plus loin. Damien fut le premier à le voir arriver :
– Bravo ! On va être toute l’année ensemble ! Ne t’inquiète pas, tu vas apprendre à me supporter.
Paul s’approcha, le sourire aux lèvres. Il regarda le visage de ses amis. Tous semblaient satisfaits :
– Vous êtes tous admis ? Je n’ai pas eu le temps de voir tous les noms.
Lucy hocha la tête de haut en bas :
– Tous ! Toute la classe est prise ! Tu as quel numéro champion ?
– 2. C’est quoi ce numéro ?
– Mince, tu n’es pas premier ! C’est notre classement.
– Ha, donc je suis deuxième ?
– Et oui, tu nous as tous battus. Mais visiblement, être le chouchou ne t’a pas permis d’arriver premier !
– Qui est premier ?
Lucy répondit avec un large sourire :
– Ethan. Il est discret mais il a l’air très sympa ! Je n’ai jamais discuté avec lui par contre…
– Je ne le connais pas non plus.
Paul entendit quelqu’un l’appeler un peu plus loin. Il se retourna et reconnut Mike, l’élève de quatrième année qui l’avait invité à une soirée quelques weekends auparavant. Il s’approcha du groupe d’amis :
– Bravo Paul. Je viens de voir les résultats. Je voulais voir si tu avais réussi. Deuxième c’est quelque chose !
– Merci Mike. Mais tu es venu voir les résultats par plaisir ?
– Non, je voulais voir à quelle place tu étais arrivé. J’avais parié avec un ami. J’ai perdu.
– Tu avais parié que j’arriverais à quelle place ?
– Premier bien sûr !
Mike se tourna vers le camarade de Paul :
– Et toi Damien ?
– Seizième.
– Pas mal non plus ! Bon, on vous attend au foyer pour fêter ça ! Bien sûr vos amis peuvent vous accompagner et ne vous inquiétez pas, cette fois vous avez le droit.
– Merci Mike, on te rejoint bientôt.
Paul regarda ses amis, tous eurent l’air étonné que Paul ait les félicitations d’un élève de quatrième année et qu’il soit invité à fêter ces résultats avec eux.
Paul leur répondit par un sourire.
Le groupe ressortit du gymnase. A peine sortit, Lucy se retourna vers Paul et lui dit :
– Tiens, je crois que quelqu’un d’autre veut te féliciter. On va vous laisser entre vous, on t’attend un peu plus loin.
Paul regarda devant lui et vit Thomas s’avancer vers eux. Il voulut répondre à Lucy mais n’en eut pas le temps. Thomas salua le groupe d’élève qui lui répondit. Paul s’arrêta et laissa ses amis avancer. Thomas regarda le jeune espion l’air étonné :
– Tout va bien ?
– Oui, pardon j’ai cru que vous vouliez me parler.
– Ha, je passais juste par-là, mais maintenant que tu le dis, je vais au moins en profiter pour te féliciter ! J’ai vu que tu étais arrivé deuxième, c’est très bien. Tu te sens mieux sur le campus maintenant ?
– Oui, beaucoup mieux. D’ailleurs je vais rester encore un peu il parait.
Thomas afficha un grand sourire. Il tendit la main vers Paul qui la saisit :
– Bienvenue Paul, je suis très content que tu sois là. N’oublie pas de fêter ça avec tes amis mais sois en forme pour les cours, ils reprennent mercredi.
– Oui, pas de problème.
Paul quitta Thomas et retrouva ses amis. A nouveau, Lucy ne put s’empêcher de remarquer :
– Moi j’ai pas le droit au sourire ni à la poignée de main.
Paul se retourna sans répondre. Il vit Thomas discuter avec un autre élève. Le jeune espion pensa qu’il n’était pas le seul élève avec qui le responsable des études discutait. Paul préféra penser à autre chose et retrouva ses amis :
– Alors ? On y va ?
Antoine répondit avec un grand sourire :
– Evidemment ! On te suit !
Le jeune étudiant et ses amis passèrent par le long couloir leur permettant de rejoindre le foyer. Ils y retrouvèrent Mike et plusieurs élèves de troisième et quatrième année. Geoffrey, le quatrième année qu’ils avaient connu lors de leur première visite nocturne du foyer, les accueilli même avec un grand sourire :
– Ça y est ? Vous êtes de vrais élèves maintenant ?
Paul répondit par un hochement de tête.
Les élèves de première année passèrent leur commande de boisson et s’assirent avec Mike et Geoffrey qui leur parlèrent de la vie sur ce campus. En un mois, Paul et ses amis n’avaient encore rien vu.
Soudain, Thomas apparut dans l’encolure de la porte restée ouverte. Mike se leva pour l’accueillir :
– Monsieur Duchesne ! Quel honneur de vous voir dans un endroit si malfamé ! En quoi puis-je vous aider ?
– Bonjour Mike, et si tu commençais par me servir un café ?
– Tout de suite votre Honneur !
Mike se retourna vers le jeune homme derrière le bar et lui cria :
– Tom ! Un café pour Monsieur Duchesne, et un bon !
Tom répondit par un signe de tête. Quelques dizaines de secondes plus tard, Thomas avait son café.
Il en but une gorgée, lentement. On devinait à sa tête que le café n’était pas si bon que cela. Mike insista :
– C’est à votre goût, Monsieur Duchesne ?
– Bof, c’est un café de cafétéria étudiante. Alors, tu pervertis déjà mes nouveaux élèves ?
– Non, bien sûr que non ! Nous discutions de la bonne ambiance qui règne ici. J’étais justement en train de leur expliquer la chance qu’ils avaient d’avoir un tel responsable des études ! Je ne disais que du bien de vous.
– Bien sûr.
– Voulez-vous vous joindre à nous ? Je vais vous présenter !
Mike se retourna vers le groupe d’amis et commença :
– Damien, Antoine, Lucy…
Thomas le coupa :
– Je les connais déjà tu sais ?
– Ho pardon, j’ignorais que vous faisiez attention à vos élèves.
Thomas sembla accueillir cette dernière provocation d’une manière très mitigée mais fit bonne figure :
– Bon, je vais vous laisser. Mike, j’aimerais que tu passes me voir dans mon bureau aujourd’hui, lorsque tu auras terminé de faire ton intéressant. Il n’y a visiblement qu’avec les nouveaux élèves que ça fonctionne encore.
Thomas conclut sa phrase d’un sourire ironique. Mike et lui semblaient particulièrement bien s’entendre. Le responsable des études se tourna vers le groupe d’amis de Paul, termina son café et les salua :
– Félicitations à nouveau. Ne vous inquiétez pas, Mike est un très bon élément, c’est pour cela que je me permets ces échanges avec lui. Je suis certain qu’il sera aussi un bon guide si vous avez besoin de lui.
Le directeur des études tourna les talons et disparut.
Les rapports entre Thomas et Mike surprirent Paul qui avait envie de demander quelques explications à l’élève de quatrième année, sans pour autant oser le faire. Heureusement, Damien était bien plus à l’aise :
– Vous avez l’air de bien vous entendre.
Mike répondit comme une évidence :
– Bien sûr, pourquoi ?
– Je ne sais pas, c’est un responsable d’études !
– Après quatre ans on se connait bien, et puis je participe souvent à l’accueil des membres ou à l’organisation avec lui, alors à force, on oublie un peu la fonction. Il est très abordable et ce n’est plus mon responsable d’études.
Paul avait eu sa réponse. L’ambiance entre élèves et l’équipe administrative, ou a minima certains de ses membres, était très différente de ce que Paul avait pu connaître par le passé.
Un autre élève s’approcha d’eux. Il tenait une boisson dans la main :
– Alors vous êtes des nouveaux ? Je suis Estéban, je suis en troisième année, si jamais vous avez besoin de quoi que ce soit, n’hésitez pas à me demander !
Antoine le remercia, parlant pour tout le groupe.
Le groupe d’élève resta plus d’une heure à discuter. C’était un moment agréable, et Paul savait profiter de ces moments.
Mike s’excusa, il devait retrouver Thomas avant la fin de la journée.
Paul et ses amis décidèrent de ressortir du foyer, accompagné d’Estéban.
Une fois dehors, l’élève de troisième année leur confirma que, comme la plupart des élèves du campus, il serait à leur écoute lors de leurs premières semaines s’ils avaient besoin d’aide. Antoine en profita pour lui dire qu’il avait plusieurs questions d’ordre organisationnel et quitta donc ses amis pour suivre leur ainé.
Lucy, Mathieu et Arthur, quant à eux, avaient envie de se reposer et regagnèrent leur chambre.
Paul et Damien, se retrouvant seuls, décidèrent de se rendre au gymnase. Ils s’assirent sur les gradins et continuèrent à discuter. Damien était un garçon qui, derrière ses airs d’hyperactif, cachait une grande sensibilité. Il profita d’ailleurs de ce moment pour dire à Paul qu’il avait apprécié sa première mission, et surtout de l’avoir faite avec lui, qui l’avait parfois poussé à se dépasser. Paul fut flatté de cette confession. Lui aussi avait été content de se retrouver avec Damien, cela l’avait rassuré d’être avec un ami.
Après une première semaine de cours, Paul se réveilla apaisé le dimanche matin. Il regarda autour de lui, il faisait jour, ses amis n’étaient plus dans la chambre. Il regarda l’heure, il était huit heures trente. D’habitude, c’était lui qui se réveillait en premier. Cette fois, ses amis avaient dû le réveiller en sortant de la chambre.
Il s’habilla rapidement et descendit prendre un petit déjeuner. Il y retrouva ses camarades qui ne manquèrent pas de remarquer son sommeil inhabituel.
Après avoir terminé son premier repas de la journée, Paul sortit.
Il faisait bon.
Cependant, la bande ne resta pas dehors, où des élèves se pressaient, discutaient. Lucy, toujours sérieuse, les entraina dans la bibliothèque. Elle tenait toujours à faire ses devoirs le dimanche matin afin de profiter au mieux de son après-midi. Elle avait su imposer ce rythme, rapidement suivi par l’ensemble du petit groupe d’amis.
Après seulement une heure de travail, ils avaient terminé.
Damien regarda le plafond, soupira et demanda :
– On fait quoi ?
Lucy fit mine de réfléchir et répondit :
– On va au foyer ? Vous savez qu’aucun élève de première année n’y est encore allé à part nous ? Je crois que personne ne connait cet endroit !
Lucy avait raison, Paul n’avait jamais croisé que des élèves de troisième ou quatrième année dans le foyer. Parfois quelques élèves de deuxième année passaient mais ne restait que peu de temps.
Ils arrivèrent au foyer d’où sortait une agréable odeur de café et quelques bruits de discussions. Les élèves étaient calmes.
Paul et ses amis s’assirent autour d’une table basse, sur des canapés en cuir.
– Qu’est-ce que vous voulez boire ? Demanda Lucy
Chacun passa sa commande et Lucy demanda :
– Quelqu’un m’accompagne ? Je ne vais pas tout porter !
Paul se leva. Il se dirigea vers le bar avec son amie et ils passèrent les commandes. Á eux deux, ils purent porter toutes les boissons.
Alors qu’il se dirigeait vers ses amis, Paul vit Mike s’approcher de lui :
– Salut Paul ! Tu vas bien ? Tu as pris goût au foyer on dirait !
– Oui, comme tu vois, et je ne suis pas le seul !
Paul indiqua son groupe d’ami d’un signe de tête. Mike les regarda et leur fit un signe de la main.
Mike était la plupart du temps au foyer, et Paul savait que si un jour il souhaitait le voir, il le retrouverait facilement.
L’élève de quatrième année s’éclipsa et Paul retourna auprès de ses amis. Comme souvent, ils parlèrent de leurs cours à venir et en particulier de leurs professeurs. Antoine et Damien étaient d’accord pour dire que Mme Girard, la professeure de géopolitique, derrière son air sec, était la plus sympathique. La conversation dériva sur leurs responsables d’études. Tous s’entendaient sur le fait que Thomas était bien plus sympathique qu’Annabelle Maillard. Paul fit d’ailleurs remarquer que tous appelaient Thomas par son prénom alors qu’Annabelle était toujours suivi de Maillard. Antoine ajouta :
– C’est normal, Thomas a tout pour lui, alors que Maillard…
Damien acquiesça en taquinant Paul :
– Et puis on sait bien que Paul peut appeler Thomas par son prénom !
Paul s’amusa presque de cette remarque. Ses amis essayaient toujours de l’énerver en lui disant qu’il était l’élève préféré du responsable d’études. Mais il se contenta de répondre :
– Tu sais bien qu’on l’appelle tous comme ça, il va falloir trouver autre chose !
Les amis continuèrent de discuter des différents membres de leur équipe pédagogique puis quittèrent le foyer pour déjeuner. L’après-midi était doux. Paul quitta ses amis un moment pour profiter du parc.
Le soir, après le diner, Paul se retrouva seul avec Antoine. Il en profita pour lui demander :
– Pourquoi tu as lancé cette croyance sur le fait que Thomas m’aurait à la bonne ?
Antoine fit la moue. Il sembla gêné et répondit finalement :
– C’est pas une croyance… Tu sais, le premier cours qu’on a fait ensemble, j’ai remarqué facilement plusieurs choses sur toi, je suis assez doué pour ça. Je vais te dire exactement ce que je pense de Thomas, mais je peux me tromper.
Cette fois, ce qui était une blague prenait une tournure différente et Paul se demandait ce que son ami pouvait bien imaginer. Devant le silence de Paul, Antoine continua :
– Il se passe quelque-chose avec Thomas vis-à-vis de toi, c’est évident.
– Comment ça ?
– Je pense qu’il cache quelque-chose et je pense que tu as raison quand tu dis que certains réagissent bizarrement quand ils apprennent ton nom. D’ailleurs, je pense que Mike le sait très bien.
– Tu penses qu’il faut que je leur demande ?
– Non, ils te le diraient s’ils le pouvaient. Tu sais, je ne sais pas exactement ce qu’il se passe, ni pourquoi. Quand je t’ai fait cette blague, c’était aussi pour attirer ton attention. Peut-être que ça n’a rien à voir avec toi, peut-être qu’il y a eu quelqu’un avec le même nom que toi ou peut-être que c’est autre chose. Je pense que tu devrais attendre et que les réponses arriveront d’elles-mêmes.
Paul s’inquiéta :
– Tu crois que je suis… en danger ?
Antoine s’amusa :
– Non, surement pas ! Je ne suis même pas sûr que tu sois directement concerné et puis, c’est qu’un ressenti.
– Comment tu as vu ça ?
– Les regards en disent beaucoup, et le moins qu’on puisse dire, c’est que Mike et Thomas accordent bien plus d’intérêt à toi qu’aux autres élèves. Mais ne t’en fais pas, c’est sans doute rien.
Damien arriva vers les deux amis qui cessèrent leur discussion. Paul était content d’avoir pu parler à Antoine bien qu’il pensait toujours que ses observations étaient issues de son imagination. Pour Paul, ni Thomas ni Mike n’avait un comportement particulier à son égard.
Après deux semaines et demi de cours, Paul se faisait à sa nouvelle vie. Le rythme soutenu lui convenait, il appréciait ses professeurs et, même si Miss Maillard n’avait pas été plus agréable que lors du mois précédent, Paul – comme tous les autres élèves – avait appris à vivre avec. Comme Mike le lui avait dit lors de la première soirée au foyer, il se sentait au sein du campus comme dans une famille, et sa famille la plus proche était ses amis. Il n’y avait jamais de dispute, jamais de bagarre. Les rares tensions qui pouvaient arriver ne duraient jamais très longtemps.
La difficulté des cours était correcte pour Paul. D’autres élèves avaient plus de mal mais, eux aussi, prenaient l’habitude et amélioraient leurs notes progressivement. La chance de cette école, comme le collège où Paul avait pu aller, était de ne compter que de bons élèves, ce qui était encore plus valorisant pour Paul, qui était premier ou deuxième en fonction des matières. Lorsqu’il était deuxième, c’était car Clément ou Arthur était premier. Au grand regret de Paul, il n’avait jamais pris le temps de sympathiser avec Clément. Il trouvait qu’il n’y mettait pas non plus du sien. Discret, il restait surtout avec Marie et Clarence, deux des rares filles de la classe. Elles étaient sympathiques, souriantes et discrètes, comme Clément. Paul avait l’impression que les membres de ce trio faisaient tout pour rester entre eux. C’était dommage, mais pour Paul, ce n’était pas ses affaires.
Le jeune étudiant de l’Aigle avait finalement eu juste le temps de s’habituer à l’ambiance et à la vie du campus avant que n’arrivent les premières vacances de l’année.
En ce samedi matin, il régnait une atmosphère particulière et, si tous les élèves de première année étaient calmes, ils avaient tous hâte de retrouver leur famille.
Les élèves étaient libres dès neuf heures du matin en ce dernier samedi d’octobre. Deux semaines de vacances que beaucoup attendaient et dont certains avaient même grand besoin au regard des cernes qu’ils portaient.
Paul descendit de sa chambre, sa valise et son sac avec lui. Ses parents lui avaient annoncé qu’ils seraient présents à la première heure.
Á son arrivée dans le hall, Paul chercha du regard ses parents, dans la foule des retrouvailles. Il les trouva, en pleine discussion avec Thomas, proche de la porte d’entrée du bâtiment. Paul s’approcha et embrassa ses parents, heureux de retrouver leur fils. Paul salua poliment Thomas et tourna la tête. Il aperçut Damien. Les deux lycéens échangèrent un regard le temps que Damien affiche un grand sourire. Paul savait très bien que Damien préparait sa prochaine réflexion désobligeante en voyant ainsi son ami entouré de ses parents et du responsable des études mais Paul préféra l’ignorer. Frank le coupa dans ses pensées :
– Nous étions en train de parler de toi. Je suis ravi d’apprendre que tu as de bons résultats.
Paul répondit par un sourire timide. Il détestait que ses parents parlent avec une personne de son école. Surtout avec le responsable de ses études.
Thomas salua les parents de Paul qui étaient sur le départ. Frank lui serra la main :
– Merci pour cet échange. Au revoir Thomas.
Maude, toujours discrète, se contenta d’un sourire.
Paul suivit ses parents jusqu’à la voiture, que Frank avait garée juste devant le hall.
Frank démarra et sortit du campus. Il prit la route en direction de Paris, longeant les grands murs de pierre qui entouraient l’école. Il demanda :
– Alors, ces premiers mois, comment c’était ?
Paul n’hésita pas avant de répondre :
– Bien.
– Juste “Bien” ? En plus de ne pas pouvoir entrer quand je viens te chercher, je ne saurai même pas ce que tu y fais ?
– C’est le lycée, on a des cours, c’est intéressant et c’est intense. Mais ça me plait.
– Les professeurs sont bien ? On n’en a pas croisé ce matin.
– Oui, très. Je pense qu’ils les sélectionnent aussi bien que les élèves.
– Sans doute. En tous cas, le jeune homme que nous avons rencontré est très sympathique.
– Oui, toujours plus que l’autre responsable des études. D’ailleurs, comment tu connais son prénom ?
– A qui ?
– Thomas.
Frank marqua un temps de réflexion, comme si la réponse n’était pas évidente à trouver :
– J’imagine qu’il s’est présenté en disant qu’il s’appelait Thomas. Je ne l’aurai pas inventé.
– Tu avais l’air de le connaître.
– Comment ça ?
– Je sais pas, tu avais l’air… Rien, laisse.
Paul ne savait pas comment le décrire mais l’attitude de son père vis-à-vis de son responsable d’étude était étonnante. Frank était d’un naturel très discret, presque froid avec les gens qu’il connaissait à peine et ne discutait que très peu. Là, Paul l’avait trouvé particulièrement chaleureux avec Thomas. Mais il préféra changer de sujet. Il était fatigué, ses impressions devaient s’en trouver altérées.
Maude revint à un sujet bien plus important pour elle :
– Et la vie sur le campus, c’est comment ? La chambre est bien ?
– Oui, très bien, ce n’est pas très grand mais c’est suffisant.
– Tu es tout seul dans la chambre ?
– Non, on est trois.
– Et ils sont sympas les deux autres ?
– Oui très.
– Ils s’appellent comment ?
– Damien et Arthur
– Ils sont bons élèves ?
– Maman…
– Quoi ? Je suis une mère, je m’intéresse.
– Désolé mais je suis un peu fatigué. On peut en parler un peu plus tard ? Et oui, ils sont assez bons élèves.
– D’accord. C’est bien. Il faut être entouré de bons élèves. C’est stimulant pour toi.
La mère de Paul parlait encore lorsque les yeux de son fils se fermèrent et qu’il s’endormit. La fatigue s’était emparée de lui soudainement, sans prévenir. Comme si tous ses cours, tout son stress, sa fatigue, cachés depuis le début de l’année, lui étaient tombés dessus en quelques secondes. Il n’avait pas pu résister, il n’avait pas cherché à le faire non plus.
Lorsque Paul ouvrit les yeux, il reconnut les murs du parking de la résidence. Il n’eut pas le temps d’émerger et ouvrit la portière de la voiture. Il prit son sac et monta dans l’ascenseur. Arrivé chez lui, il eut une impression étrange, celle d’avoir quitté son appartement la veille, mêlée à celle de ne pas l’avoir vu depuis longtemps. Sa mère avait fait quelques changements, de décoration notamment. Rien d’important, mais un signe pour Paul qu’il avait été absent plusieurs semaines.
Après le déjeuner, il passa l’après-midi dans sa chambre. Il avait deux semaines de vacances, il avait envie de retrouver ses anciennes habitudes.
Dès le lundi, il envoya un message à Louis pour savoir quel était son programme. Comme Paul, il n’avait rien de prévu. Paul dût s’organiser pour pouvoir accomplir l’ensemble du travail que sa nouvelle école demandait tout en voyant son ami. Les professeurs avaient profité que leurs élèves soient en vacances pour leur donner une masse de travail conséquente.
Paul était heureux de retrouver Louis mais il se sentit frustré de ne pas pouvoir répondre à toutes ses questions sur sa nouvelle école. Louis était d’un naturel curieux, surtout lorsque le sujet concernait son ami. Il posa de nombreuses questions et Paul jongla tant bien que mal pour ne pas parler des matières supplémentaires un peu particulières, ni de ses examens d’entrée, en particuliers de ceux propres aux matières d’espionnage.
Paul donna le change et Louis eut l’impression que son ami était dans un lycée très classique, surtout peuplé d’élèves particulièrement doués. Paul devinait la jalousie de son ami bien qu’il fasse son maximum pour ne pas la montrer. Paul aurait apprécié que l’Aigle propose aussi à Louis de devenir un de leurs élèves, mais ce n’était pas le cas, ça ne le serait probablement jamais. Le jeune espion avait envie de demander à son école d’étudier le cas de son ami mais il était sans doute trop tard, il ne pourrait jamais entrer en première année et Paul doutait fortement qu’un élève puisse rejoindre l’école lors des années supérieures.
Il se fit une raison. Il verrait Louis en dehors, pendant les vacances. D’ailleurs, il était heureux dans son lycée. Il avait continué dans le même établissement que Paul avait quitté l’année passée, qui proposait le collège et le lycée.
Le rythme des vacances avait été à l’opposé de celui des cours. Paul s’était réveillé et couché tard, profitant au maximum de ces deux semaines.
Le dimanche 5 novembre, le dernier jour des vacances, Frank et Maude accompagnèrent leur fils sur le campus en fin de journée. Ils descendirent pour lui dire au revoir et repartirent rapidement. Paul se sentait reposé et prêt pour les six semaines de cours avant les vacances de Noël.
Paul, après avoir déposé ses affaires dans sa chambre, retrouva ses amis. Il était bientôt l’heure du diner, mais ils profitèrent du temps libre de ce début de soirée de dernier jour de vacances pour discuter, comme à leur habitude.
Comme souvent, c’est Lucy qui fit parler ses amis :
– Alors, vos vacances ? Moi c’était super ! Je suis allé dans ma famille, en Savoie. Bon, le temps n’était pas génial mais on s’est bien amusé ! Et vous ? Paul, tu as fait quoi ?
– Pas grand-chose, je me suis reposé surtout. J’ai vu un ami qui était dans ma classe l’année dernière.
– Ha, toi aussi tu as laissé des amis ? C’est bien que tu aies pu le voir pendant les vacances. En changeant d’école, j’en ai perdu de vue certains. Mais ce n’est pas grave, j’en ai trouvé d’autres, comme vous !
Le sourire de Lucy amusa Paul. Elle avait une faculté à toujours voir le bon côté des choses qui le fascinait.
Lucy interrogea toute la bande d’amis sur leurs deux semaines. La plupart n’avaient rien fait de particulier. Ils s’étaient reposés et avaient profité de ces deux semaines pour se divertir de diverses manières, différentes de celles sur le campus. Ils avaient tous aussi fait le nécessaire pour leur rentrée. Ils étaient à jour dans leur travail et avaient travaillé avec envie. C’était aussi ce qu’apportait l’Aigle, en plus du cadre, la passion pour les études dans des matières très variées.
Le soir, après une longue partie de tarot, les amis se quittèrent. Ils n’étaient pas fatigués mais savaient que, s’ils ne dormaient pas, la semaine allait être longue.
Paul, Damien et Arthur continuèrent à discuter puis se couchèrent.
La première semaine passa très vite, trop vite selon Paul.
Le temps changeait doucement et la douceur des premières semaines laissait place à la pluie et au vent annonçant l’hiver.
Le groupe d’amis ne s’éternisait plus dehors, mais préférait la douce chaleur de la bibliothèque ou du foyer.
Le weekend fut calme, comme si chacun reprenait ses marques après seulement deux semaines d’absence.
Le dimanche soir, comme à son habitude, Paul se coucha après avoir discuté avec ses amis qui s’étaient rapidement endormis. Il plongea une main sous son oreiller et sentit un objet étrange. Paul le sortit, c’était une enveloppe fermée sur laquelle il put lire son nom.
Discrètement, Paul l’ouvrit et en sortit une petite feuille pliée.
Il n’attendit pas plus pour découvrir ce qui était écrit :
“Paul,
Je sais qui tu es, n’en profites pas. Tu ne passeras JAMAIS en deuxième année.
M.”
Paul dut relire trois fois la lettre pour comprendre cette simple phrase. La lettre avait été dactylographiée et il pouvait parier que l’auteur avait pris toutes les précautions pour qu’on ne puisse pas le retrouver. Deux questions s’éveillèrent dans l’esprit du jeune espion. Il cherchait à savoir qui pouvait lui vouloir du mal, et comment la lettre avait pu être déposée sous son oreiller.
Le jeune espion passa en revue l’ensemble de ses connaissances sur le campus. Il s’entendait bien avec tout le monde.
Visiblement, l’auteur le connaissait, au moins par son prénom. Il n’avait pas pu se tromper de destinataire et il signait d’un “M“. Paul se concentra et tenta de lister les personnes dont le nom ou le prénom commençaient par un M et en trouva plusieurs.
Le premier qui lui vint en tête fut Mike. Son prénom commençait par un M, tout comme son nom de famille, Milosevic. Mais il avait toujours été sympathique et avait toujours encouragé le jeune espion, il n’avait aucune raison de le menacer.
Le second était un autre élève qui avait lui aussi un prénom et un nom commençant par un M, Mathieu Matovic. Mais c’était un ami de Paul, ils avaient fait équipe avec Damien lors de leur mission d’essai avant d’être acceptés en première année. Ils s’étaient bien entendus même si Mathieu était un peu en deçà de Paul. Lui non plus n’avait aucune raison de s’en prendre au lycéen.
Paul avait deux professeurs qui auraient pu signer d’un “M“, Michel Ivankov, professeur de natation, et Jacques Michot, qui donnait les cours d’exploration et d’indépendance. Paul se fondait dans la masse avec ces deux professeurs. Il était bon et n’avait remarqué aucune animosité de leur part.
Il ne restait qu’une personne et non des moindres, Maillard, la responsable des études. Sèche et froide avec Paul mais elle l’était aussi avec tous les autres élèves. Elle semblait toujours professionnelle et vivait pour son travail. Elle n’aurait pas pu venir déposer cette lettre et risquer de se faire renvoyer.
Paul était perdu. Il s’assit sur le bord de son lit, observant la lettre comme si elle allait lui révéler son auteur.
Il la plia finalement, regarda ses amis endormis et se recoucha. Demain, il irait en parler, à Thomas, à Maillard ou à ses amis. Il découvrirait qui se cachait derrière cette mystérieuse lettre menaçante.
Paul peina à trouver le sommeil. Il tournait et retournait les mots de la lettre dans sa tête, cherchant un signe, un indice sur la personne qui le menaçait.
“M“, c’était le seul maigre indice qu’il avait. Et encore, ce pouvait être un pseudonyme ou une lettre justement faite pour qu’il se trompe de cible.
Un bâillement l’arracha à ses pensées. Il fallait dormir, il était déjà tard.
– Hé, Paul, tu vas finir par être en retard !
Paul ouvrit un œil. Damien était penché au-dessus de lui :
– Quand même. Grouille-toi, on va descendre.
Damien eut comme seul réponse un grognement. Paul avait l’impression de ne pas avoir dormi. Il regarda son téléphone. Il lui restait cinq minutes pour se préparer. Il se leva tant bien que mal, la lettre lui revint en tête. Il fallait l’oublier, au moins pour ce matin.
Arthur insista devant la mine fatiguée de son camarade :
– T’es sûr que ça va ? D’habitude tu es le premier levé ! Tu n’as pas dormi ?
Paul haussa les épaules :
– Si, j’ai juste eu du mal à m’endormir.
Les deux camarades de chambre de Paul n’insistèrent pas. Ils attendirent leur ami qui se prépara rapidement avant de descendre prendre son petit déjeuner.
Les cours de la matinée passèrent lentement. Deux heures de français, une heure d’anglais puis deux heures de sciences. Les matinées étaient chargées et Paul ne parvint pas à se concentrer. La seule chose qu’il avait en tête était de trouver l’auteur de la mystérieuse lettre.
A l’heure du déjeuner, Paul s’assit, comme à son habitude, avec Damien, Arthur, Antoine et Lucy.
Le jeune espion resta muet, ce qui intrigua Lucy :
– Qu’est-ce qu’il t’arrive ? T’as pas l’air dans ton assiette. Tu n’aimes pas les carottes ?
Paul regarda les carottes rappées dans le ramequin sur son plateau :
– Ha, non c’est pas ça, je suis fatigué.
– Il n’y a pas que ça, ça se voit.
– Pourquoi tu dis ça ?
– Ça se sent. Tu es… perturbé !
Paul haussa les épaules mais Lucy était décidée à en savoir plus :
– Bon, allez, dis-moi ce qu’il se passe, on gagnera du temps et tu sais que je ne te lâcherai pas.
Paul savait que parler de la lettre à ses amis serait une bonne chose, au moins pour se libérer du poids qu’il ressentait. Mais il aurait voulu en parler avec Thomas qu’il pensait plus à même de pouvoir le conseiller.
Le jeune espion hésita. Si la lettre venait d’une personne autour de la table, elle saurait que Paul ne la soupçonnait pas.
Paul regarda ses amis. Il réalisa qu’il était impossible que l’un d’eux soit l’auteur de la lettre. Ils étaient toujours ensemble et s’appréciaient. Paul aurait senti si l’un d’eux avait de l’animosité pour lui. Il se livra finalement :
– J’ai reçu une lettre de menace hier soir.
Le groupe d’ami s’arrêta de manger. Ils étaient suspendus aux lèvres de Paul qui continua :
– Avant que vous me demandiez, je ne sais pas qui l’a écrite. Ça dit juste que je ne passerai pas en deuxième année. Enfin que celui qui a écrit la lettre fera tout pour que je n’y arrive pas. Et il dit savoir qui je suis, que je ne dois pas en profiter. C’est signé d’un “M“.
Les quatre camarades de Paul restèrent sans voix. C’est Lucy qui brisa le silence :
– Comment ça ? Tu es un des meilleurs élèves, forcément tu passeras en deuxième année !
– Oui, sauf s’il m’arrive quelque chose.
– Ici ? Que veux-tu qu’il t’arrive ? On est toujours ensemble. Et qui pourrait te vouloir du mal ?
– Justement, je ne vois pas qui est ce “M“.
Damien réfléchit et demanda :
– Maillard ?
– J’ai pas l’impression qu’elle m’aime moins que les autres, et puis elle est assez intelligente, elle ne s’amuserait pas à ça.
– Á part elle, je ne vois pas qui ça peut être.
– Moi non plus, j’ai fait une liste mais aucune personne ne pourrait envoyer ce genre de lettre.
Lucy semblait réfléchir :
– Tu as qui sur ta liste ?
– Maillard, Mike, Mathieu, Ivankov et Michot.
– Maillard ça me semble impossible aussi. Mathieu on le voit souvent, il t’apprécie et c’est grâce à toi qu’il est là, tu as mené la mission avec lui parfaitement bien. Michot t’aime bien, t’es son meilleur élève. Et pourquoi Ivankov ?
Antoine répondit à la place de Paul :
– Michel Ivankov. Il est bizarre mais sympa, je ne le vois pas faire ça.
– Sympa avec toi, t’es son meilleur élève, tu nages aussi bien que lui.
– Tu le vois envoyer cette lettre à Paul ?
– Non. Il reste Mike.
Paul répondit :
– Mike, il m’a pas mal aidé, pourquoi il ferait ça ?
Lucy avait toujours été méfiante à l’égard de Mike, elle le rappela à Paul :
– Je le sens pas moi, je te l’ai toujours dit. Il cache quelque chose, j’en suis sûre. Mais pourquoi il te connaitrait plus que les autres ?
Damien sortit de son silence :
– Son nom.
– Son nom ?
– La première fois qu’on a rencontré Mike, à la fête, quand il s’est présenté, il a dit le nom de Paul en faisant une tête bizarre. Paul m’avait dit que c’était la deuxième fois que quelqu’un avait une réaction comme ça, je vous en avais même parlé. Pour moi c’était un hasard mais ça colle avec la lettre, Mike semble savoir “qui tu es” ou au moins ton nom. Tu te rappelles qui était l’autre personne qui avait réagi ?
Paul ne mit pas longtemps à retrouver son nom :
– Le tout premier cours. Michot.
Lucy les interrompit :
– Bon, ça te fait plus que deux suspects. Michot et Mike. Qu’est-ce qui pourraient tant les déranger ? Il doit bien y avoir une chose que tu as et qui pourrait faire en sorte qu’on te menace de cette manière.
– Je ne vois pas.
– Osinski, visiblement c’est ton nom qui dérange.
– Je vois pas pourquoi, des Osinski il y en a plein, et je n’en connais aucun qui soient connus.
– Comment tu as connu cette école ?
– Thomas m’a recruté.
– Tu ne la connaissais pas avant ?
– Non, je n’en avais jamais entendu parlé.
– Donc aucun passif ?
– Je te dis que non.
– Tu as des choses à te reprocher ?
– Pourquoi ?
– Je ne sais pas, je cherche à savoir “qui tu es“. Mais tu dois le savoir mieux que moi.
– Je suis un élève comme les autres.
Lucy dévisagea Paul :
– Tu n’as pas une cicatrice en forme d’éclair quelque part ?
Cette dernière phrase arracha un sourire à Paul. Lucy reprit :
– Bon, on sait que c’est Mike, t’as plus qu’à aller voir Thomas pour le lui dire.
– Je ne sais pas, et je ne sais pas si c’est Mike.
– Demande lui !
– Et il va me répondre en me disant “Oui, bien sûr, je te déteste, c’est comme ça, je voudrais te voir mort” ?
– S’il est gêné, tu sauras que c’est lui.
– Mouais, je vais attendre un peu.
– Comme tu veux, mais moi je réagirais, sinon tu vas avoir ta tête d’enterrement encore un moment et je n’aime pas te voir comme ça.
Antoine acquiesça :
– Elle a raison, tu devrais faire quelque chose.
Lucy sembla ravi d’avoir un allié :
– Merci Antoine, je n’en attendais pas moins de toi.
Elle termina sa phrase par un grand sourire adressé à son ami. Pour Paul, il était évident qu’ils étaient bien plus complices qu’ils ne voulaient le laisser croire. Il chassa cette idée de sa tête et conclut :
– Je vais voir. Merci de votre aide.
Les cinq amis terminèrent leur repas. Si la discussion avait changé, tous gardaient en tête cette mystérieuse lettre et réfléchissaient au coupable. Pour Paul, rien n’indiquait que Mike était l’auteur de la lettre, pas plus que les autres.
Trois heures de matières spécifiques. Géopolitique et indépendance.
Paul passa les deux premières heures à redouter l’heure d’indépendance. Le professeur était Monsieur Michot, celui qui avait réagi la première fois au nom de Paul et qui était, par ses initiales, l’un des suspects.
Paul sentit son cœur accélérer lorsqu’il passa la porte de la salle de classe. Il regarda son professeur qui était plongé dans une feuille manuscrite. Il ne lui adressa pas le moindre regard.
Paul s’assit à côté de Damien. Le cours commença. Paul tentait de déceler le moindre signe dans le comportement de son professeur mais rien n’avait changé depuis le dernier cours. Paul tentait d’écrire ce que son professeur disait mais il ne captait que quelques phrases tant ses pensées l’obnubilaient.
– Alors ? Tu crois que c’est lui ?
Paul se retourna vers Damien qui avait interrompu ses pensées pour lui répondre :
– De quoi ?
– La lettre ? Tu crois que ça peut être lui ?
– J’en sais rien, il n’a pas l’air d’être différent avec moi. D’ailleurs il ne me regarde presque jamais.
– Michot est toujours dans ses pensées.
– Tu as raison, je ne le vois pas écrire une lettre de menace.
– Mike alors ?
– Peut-être…
Soudain, on frappa à la porte. Thomas apparut. Les élèves se levèrent comme un seul homme puis se rassirent au geste de Thomas qui s’approcha du professeur pour lui glisser quelques mots. Il se tourna ensuite vers les élèves :
– Monsieur Osinski, pourriez-vous venir dans mon bureau à l’issue du cours ? Je vous en serais reconnaissant.
Le responsable des études tourna les talons et sortit.
Damien chuchota à Paul :
– Qu’est-ce qu’il te veut ? Tu crois qu’il sait pour la lettre ?
Les questions de Damien étaient celles que Paul se posaient intérieurement. Il se répondit à voix haute :
– Non, il ne peut pas savoir, ça doit être pour autre chose.
– Grillon, Osinski, quand vous aurez terminé de vous penser sur le marché, je pourrais terminer mon cours ? Je vous préviens, c’est la seule fois que je m’interromps pour vous. Travaillez maintenant et en silence.
Le ton sec du professeur mit fin à toute discussion. La salle de classe était silencieuse, les élèves écoutaient leur professeur avec attention. Les mots de Michot avaient replongé Paul dans ses pensées. Et si c’était lui, l’auteur de cette lettre ? Finalement, il n’avait pas l’air d’être le plus heureux des professeurs.
L’heure de la fin du cours arriva. Paul rassembla ses affaires et se leva comme les autres élèves. Damien et lui restèrent silencieux, ils avancèrent vers la porte d’entrée située au-devant de la salle, près du bureau du professeur.
Alors qu’ils passaient devant le bureau, le professeur les arrêta :
– Qu’est-ce qui vous a pris ? Ce n’est pas vous que l’on remarque le plus habituellement. Osinski, j’aimerais vous parler, Grillon, pouvez-vous vous détacher de votre alter ego un instant et l’attendre dehors ?
– Oui, bien sûr.
Damien sortit. Le professeur attendit que ses élèves soient tous à l’extérieur. Paul sentit l’angoisse monter en lui. C’était la fin, c’était sûr. C’était son professeur qui avait écrit la lettre, maintenant que Thomas voulait voir Paul, il se sentait en danger, il allait faire ce qu’il avait promis dans sa lettre. Paul resta tétanisé.
Une fois tous les élèves sortis de la salle, Michot commença :
– Monsieur Osinski, je vous ai trouvé… ailleurs aujourd’hui. J’espère que tout va bien.
– Oui… Oui, tout va bien, je suis un peu fatigué.
– Je ne devrais pas vous dire cela, mais vous êtes un grand espoir dans cette école, et vos résultats le démontrent. Gardez le cap.
Paul eut l’impression de recevoir un uppercut. Son professeur, d’ordinaire si froid et impersonnel, l’encourageait. C’était sûr, il savait pour la lettre, il tentait de se protéger.
– Merci monsieur.
– Filez. Mais s’il y a un problème, n’hésitez pas à en parler à vos professeurs. Nous ne sommes pas que des machines.
Paul hocha la tête et tourna les talons. Il s’arrêta. Il voulut demander à son professeur pourquoi il avait réagi à son nom le premier jour mais il se trouva ridicule et se ravisa.
Il retrouva Damien :
– Qu’est-ce qu’il voulait ? C’est lui pour la lettre ?
– J’en sais rien, il ne voulait rien de particulier.
– Arrête, il demande à te voir, seul, ce n’est pas pour rien.
– Bizarrement c’était pour me dire que j’étais bon élève.
– Je suis sûr que c’est lui, il dit ça pour pas être soupçonné, à tous les coups.
– Je ne sais pas. De toutes manières je dois voir Thomas maintenant.
– C’est pour ça tu crois ?
– La lettre ? Je ne pense pas, il ne peut pas être au courant.
– Tu vas lui en parler ?
– Je ne sais pas. J’y vais, je te raconterai.
– Ok. Bon courage alors.
Paul se dirigea à l’extérieur pour rejoindre le bâtiment de la direction. Damien, avec ses questions et son insistance, l’avait agacé mais il ne pouvait pas lui en vouloir, ça partait d’un bon sentiment.
Le froid de la cour s’empara de lui. Paul frissonna. Il détestait ce temps, froid avec quelques gouttes de pluie. Il trouvait cela triste. Il se pressa jusqu’au bâtiment d’accueil. Il monta l’étage pour rejoindre le bureau de Thomas et frappa à la porte.
La voix de Thomas se fit entendre :
– Entrez.
Paul poussa la porte :
– Bonjour, vous avez demandé à me voir ?
– Oui, bonjour Paul, assieds-toi.
Paul s’assit sur la chaise, devant le bureau de Thomas Duchesne qui n’attendit pas plus longtemps :
– Paul, j’ai appris que tu avais reçu une lettre inquiétante. Lorsque ce genre de choses arrive, il faut que tu m’en parles.
Paul fut décontenancé. Il se contenta de répondre :
– Oui, c’est ce que je voulais faire. Mais ce n’est pas important, ce n’est qu’une lettre.
Paul voulait minimiser ce qu’il s’était passé, espérant que Thomas confirme que ce n’était pas grave ou, au contraire, lui en dise un peu plus. Le directeur des études, de son ton toujours posé malgré un visage tendu, avait une autre vision des choses :
– Si, Paul, c’est grave. On ne menace pas un élève comme cela dans le campus. D’ailleurs, que dit exactement cette lettre ?
– Elle est très courte, elle dit simplement quelque chose comme “je sais qui tu es”, qu’il ne faut pas que j’en profite et qu’on ferait tout pour m’empêcher de passer en deuxième année. Sauf que je pense que c’est une erreur, je ne suis personne en particulier.
Thomas coupa Paul :
– Ce n’est pas la question, il faudra retrouver l’auteur de la lettre. En attendant, je vais demander à ce que la sécurité soit un peu plus renforcée, surtout aux abords de ta chambre. Je compte sur toi pour me prévenir s’il y a le moindre événement de ce type. Ce qui peut te sembler un détail peut être très important.
– D’accord. D’ailleurs, la lettre était signée d’un “M“. Je ne sais pas si ça peut vous aider.
– Ça pourrait, je vais y réfléchir.
Paul s’apprêtait à se relever lorsque Thomas lui demanda :
– Et comment tu vas ? Tu te sens bien ici ?
– Oui, très bien, merci. Je me suis fait au campus.
– Parfait, je ne te retiens pas plus longtemps. Passe une bonne journée et ne t’inquiètes pas.
Paul remercia Thomas et sortit. Il regagna sa chambre qu’il trouva vide. Damien et Arthur avaient dû être rejoints par Lucy et Antoine. Paul s’assit sur son lit. Il se demanda comment Thomas avait pu être informé de l’existence de cette lettre et pourquoi il semblait si inquiet pour une simple menace qui ne serait sans doute pas suivi d’effet.
Le jeune espion se releva et sortit de la chambre.
Il hésita entre le foyer et la bibliothèque. Vu l’heure ses amis devaient être en train de travailler. De plus, Paul se sentirait mieux dans l’atmosphère calme de la bibliothèque plutôt que dans celle parfois plus agitée du foyer.
Il poussa la grande porte en bois. La faible odeur d’encens était agréable. Madame Erna Schreiber, la bibliothécaire, se tenait derrière son grand comptoir en bois. Elle avait tout pour que l’on pense d’elle que c’était une femme stricte. Le physique fin et élancé, les cheveux courts et blancs, les lèvres pincées, ses petites lunettes rondes et son tailleur noir dépassant du comptoir.
Lorsqu’elle aperçut Paul, elle lui fit son sourire habituel en lui demandant de son accent allemand :
– Comment allez-vous aujourd’hui ? J’ai vu vos amis, ils doivent être dans le fond.
Malgré son air strict, Madame Erna Schreiber était à l’image du lieu qu’elle gardait, chaleureuse.
Paul la salua, la remercia et avança dans l’allée principale de la grande bibliothèque. C’était pour lui le lieu parfait pour réfléchir et se détendre.
Il retrouva ses quatre amis attablés devant des livres. Il s’approcha d’eux et s’assit sur une des chaises restées libres. Damien lui demanda :
– Alors, ce rendez-vous ?
Paul n’attendit pas pour répondre :
– C’était pour la lettre. Il était au courant, je ne sais pas comment. Il veut que je lui dise s’il arrive d’autres événements. Je suis vraiment étonné qu’il ait pu connaitre l’existence de cette lettre avant que je ne lui en parle.
Paul regarda ses amis pensifs. Les joues de Lucy s’étaient teintées d’un léger rose. Inutile pour elle de le nier, son visage parlait pour elle. Elle s’expliqua :
– C’est moi qui l’ai prévenu. Avant les cours de cet après-midi, je suis allé le voir car j’avais peur que tu n’y ailles pas de toi-même.
Paul se sentit vexé. Il n’aimait pas que l’on se mêle de ses affaires. Il était cependant soulagé d’avoir au moins une réponse à ses questions. Il garda son calme :
– J’aurai préféré le faire moi-même. Je serais allé le voir sans avoir à y être obligé.
Lucy revint sur le sujet :
– Il t’a dit quelque chose d’intéressant ?
– Non, il n’a pas l’air de savoir d’où ça vient ni pourquoi.
– Pourquoi tu attends ? On sait qui c’est !
– Qui ?
– Mike, bien évidemment.
– Lucy, je sais que tu ne l’aimes pas, mais des élèves qui ont un nom commençant par un M, il y en a quelques-uns. On ne peut pas tirer une conclusion juste parce que l’on n’apprécie pas quelqu’un.
– Tu as revu Mike depuis que tu as reçu la lettre ?
– Non.
– Tu vois, il se cache.
– On n’est pas allé au foyer et j’ai reçu la lettre hier. Mais je trouverai qui a envoyé la lettre.
– Et Michot ?
– Il m’a pris à part en fin du cours. Il voulait me dire que si j’avais un problème, je devais lui en parler.
– C’est louche ça, non ?
– Non, on s’est fait prendre avec Damien en train de parler, il m’a dit que j’avais l’air inquiet. Il voulait s’assurer que tout allait bien. En fait, il est plutôt sympa j’ai l’impression.
Antoine coupa leur discussion :
– Tu as donné la lettre à Thomas ?
Paul fut étonné de cette question :
– Non, il ne me l’a pas demandée, et que veux-tu qu’il en fasse ?
– Une analyse d’empreintes.
– C’est une école, pas un laboratoire criminel. Et puis c’est une lettre, ce n’est pas comme si on avait essayé de me tuer.
Arthur sortit à son tour de son silence :
– Moi je trouve ça bizarre aussi. Thomas est plutôt attentionné et curieux, ça l’aurait aidé d’avoir la lettre. C’est comme s’il n’en avait pas eu besoin pour savoir qui en était l’auteur mais qu’il n’avait pas voulu te le dire.
– Arrêtez de vous faire des films, Thomas ne l’a pas demandée car il est réaliste. C’est une lettre, rien de plus. Il n’y a pas à appeler la police pour une lettre relativement menaçante.
Antoine regarda sa montre. Il sembla soudain gêné et s’excusa :
– Pardon, je dois vous laisser. On se revoit au diner.
Il prit ses affaires et se leva, arrêté par Lucy :
– Tu vas où ?
Antoine hésita avant de répondre :
– J’ai un rendez-vous. Á plus.
Sans attendre de réponse, Antoine tourna le dos à ses amis et se dirigea vers la sortie. Paul regarda Lucy. Son visage trahissait son énervement. Le jeune espion lui demanda :
– Ça va ?
– Oui, mais je me demande où il court comme ça. Je ne vois pas quel rendez-vous il peut avoir.
– Qu’importe ?
– Qu’importe ? Qu’importe que ça ne se fait pas, c’est tout.
Damien tenta de calmer l’atmosphère qui était soudainement devenue tendue :
– Il est parti écrire une nouvelle lettre pour Paul sans doute.
Ce n’eut pas l’effet souhaité. Paul était agacé par le comportement de Lucy. Il ne put s’empêcher de lui dire :
– Il faut que tu arrêtes de vouloir te mêler de tout. Chacun à sa vie privée et on n’a pas à te faire un rapport de tous nos faits et gestes. Antoine est libre d’aller où il veut et n’a pas besoin de nous dire pourquoi.
Cette fois, le silence se fit. Ni Damien ni Arthur n’osait ouvrir la bouche, fixant Lucy et attendant sa réponse que l’on devinait déjà cinglante. Elle ne tarda pas :
– Si toi tu te fous de tes amis, c’est ton problème. Moi je suis présente pour eux.
– Non, tu veux toujours tout savoir même quand ça ne te regarde pas.
Le ton était monté d’un cran. L’accent allemand reconnaissable de Madame Erna Schreiber se fit entendre à côté d’eux :
– Allons jeunes gens, je suis certaine que tout cela n’en vaut pas la peine. Faites silence je vous prie ou je serai contrainte de vous demander de sortir.
Les quatre jeunes espions se tournèrent vers elle, Paul s’excusa, promettant de ne plus élever la voix.
Madame Erna Schreiber répondit par un sourire avant d’ajouter :
– Je vous fais confiance. Et vous, mademoiselle, vous devriez contenir vos passions, il n’y a pas plus malheureux qu’un homme se sentant prisonnier.
Lucy était passée au pourpre. Si Paul avait eu un détecteur de chaleur, nul doute que Lucy aurait été le centre le plus chaud de la pièce. Elle enfonça sa tête entre ses bras. Paul tenta :
– T’inquiète pas, ce n’est pas grave. On a tous nos défauts.
Damien ajouta :
– C’est pas grave d’être amoureuse hein !
Lucy releva la tête. Paul sentit qu’elle avait en elle une envie quasi irrésistible d’étrangler son ami et qu’elle faisait son maximum pour se contrôler. Elle répondit :
– T’es quand même assez drôle quand tu t’y mets.
La tension était retombée. Les quatre amis ne parlèrent plus d’Antoine ni de la lettre.
Lucy avait visiblement tout fait pour ne pas s’occuper des affaires d’Antoine puisqu’à l’heure du diner, elle n’essaya pas de lui demander où il était allé. Paul se disait que s’il avait voulu en parler, il l’aurait fait naturellement.
Ce n’est que le mercredi que Paul, accompagné de ses quatre amis, retourna au foyer. Au fond de lui, il espérait y retrouver Mike et déceler un signe dans son comportement pour savoir s’il était l’auteur de la mystérieuse lettre. Malheureusement, l’élève de quatrième année n’était pas là. Pour Lucy, c’était un signe évident de sa culpabilité mais Paul garda raison et ne tira aucune conclusion. Mike n’habitait pas dans le foyer et il pouvait être n’importe où sur le campus.
Les discussions allaient bon train entre les cinq amis. Ils avaient commandé chacun une boisson chaude, pour contraster avec le temps froid de ce mercredi de novembre.
Souvent, les discussions tournaient autour de la lettre qu’avait reçue Paul. C’était un sujet qui semblait passionner ses amis, comme une première enquête en tant qu’espions. Paul, pendant ces deux jours, avait petit à petit donné moins d’importance à cet événement. Bien sûr, il se demandait toujours qui était ce mystérieux “M“, mais il était convaincu qu’il le découvrirait en temps voulu, ou que tout serait oublié avec le temps.
Ce jour-là, un peu après dix-huit heures, Antoine s’excusa à nouveau. Lucy tenta de se contenir mais ne put s’empêcher de demander :
– Encore un rendez-vous ?
– Oui, je vous retrouve plus tard.
– On peut en savoir plus ?
– Désolé il faut vraiment que je parte.
Antoine prit ses affaires et sortit du foyer. Lucy chercha de l’aide auprès de ses camarades :
– Je sais ce que vous allez dire mais vous ne pouvez pas ne pas trouver ça bizarre quand même !
Damien lui répondit :
– Ce n’est pas bizarre, il a ses secrets aussi.
Lucy se tourna vers Paul :
– Et toi ? Ça ne t’inquiète pas ?
– M’inquiéter ? Pourquoi ? Il n’a pas l’air de ne pas avoir envie d’aller à ces rendez-vous. Et puis ça ne nous regarde peut-être pas. S’il veut nous le dire, il le fera quand il jugera que c’est le bon moment.
Lucy insista, cherchant une réponse :
– Quand même, je ne vois pas ce qu’on peut avoir comme rendez-vous si important. Il n’y a pas non plus énormément à faire sur ce campus.
Arthur intervint :
– Il est peut-être malade et doit voir un médecin régulièrement, peut-être qu’il va voir le psy, ou qu’il est en couple.
Lucy soupira bruyamment :
– Même, on est ses amis, il pourrait nous le dire s’il a un problème.
Paul remarqua que Lucy avait complétement fait abstraction de la troisième hypothèse d’Arthur mais ne lui fit pas remarquer. Les sentiments de Lucy à l’égard d’Antoine étaient évidents. Cependant, il se demandait toujours s’ils formaient un couple. Il se dit que, si cela avait été le cas, ils ne l’auraient pas caché, surtout Lucy.
Malgré le froid, l’ambiance à l’école s’était réchauffée. La période de cours passa rapidement et les jeunes élèves du campus n’avaient plus qu’une semaine avant les vacances. Les professeurs avaient allégé leurs cours, les élèves avaient moins de travail. Tous attendaient le vendredi soir avec impatience car comme tous les ans, un grand repas de Noël était organisé la veille du départ des élèves.
Ce lundi soir, quelques préparatifs avaient déjà été installés. Un grand sapin trônait au milieu de la cour principale, les étudiants s’asseyaient sur les bancs qui l’entouraient malgré le froid particulièrement glaçant cet hiver.
Lucy avait cessé de s’en faire pour Antoine. Chaque lundi et chaque mercredi, il quittait ses amis pour un mystérieux rendez-vous. Bien entendu, Lucy gardait en elle son questionnement mais avait décidé de ne plus poser de question à son ami et s’était retenue plusieurs fois de le suivre.
Les jeunes espions se couchaient tôt et ce lundi n’échappa pas à la règle.
Paul, Arthur et Damien retrouvèrent donc leur chambre à vingt-deux heures.
Après s’être préparés, ils se couchèrent un peu avant vingt-trois heures et éteignirent la lumière.
Paul posa la tête sur l’oreiller. Il avait hâte que les vacances arrivent. Il se sentait fatigué.
Il se retourna et passa la main sous son oreiller. Il sentit le bout de papier entre ses doigts et son cœur s’emballer. “Non, pas encore” pensa-t-il. Il se redressa, sortit la main de l’oreiller en tenant l’objet de sa crainte. C’était une enveloppe, son nom écrit dessus.
Cette vision lui rappela la lettre qu’il avait reçu un peu plus d’un mois plus tôt. Il l’avait presque oubliée jusqu’à ce soir-là. Au fond de lui, il espérait que ce ne soit pas une nouvelle lettre de menace. Il l’ouvrit lentement, à la faible lumière de son téléphone. Il déplia la feuille A4 et découvrit le mot :
“Paul,
Ne reviens pas après ces vacances, ce serait une grosse erreur. Tu n’as pas ta place ici. Si je te revois, je serai obligé d’en finir DÉFINITIVEMENT avec toi.
Adieu.
M.“
Paul eut un frisson.
Il repensa à ses suspects. Il avait croisé Mike plusieurs fois et il n’avait rien laissé paraître. Ses deux professeurs, Michot et Ivankov n’avaient aucune raison de lui envoyer cette lettre et Maillard était toujours aussi sèche et désagréable. Quant à Mathieu, il passait parfois un peu de temps avec Paul et ses amis mais ne devait même pas connaitre l’existence de la première lettre.
Paul se leva. Il eut envie d’aller voir Thomas sans attendre, mais il était déjà tard.
Damien se retourna dans son lit :
– Ça va Paul ? Tu ne te couches pas ?
Paul resta interdit quelques secondes avant de répondre :
– J’ai reçu une nouvelle lettre.
La lumière s’alluma dans la chambre. C’est Arthur qui l’avait allumée. Il demanda à Paul :
– Qu’est-ce qu’elle dit ?
Paul lut la lettre à haute voix, Arthur reprit :
– Tu devrais aller voir Thomas.
– Il est tard, je le ferai demain.
– Il ne se couche pas tôt, ça ne coûte rien d’aller voir.
Paul n’avait pas envie de sortir dans la nuit. Il avait peur que l’auteur de la lettre puisse être encore proche de la chambre ou l’attende. Il chercha une excuse :
– Je peux bien attendre demain.
Arthur ne lui laissa pas plus de temps :
– Je te connais, tu ne vas pas dormir. Tu veux que je t’accompagne ?
Paul haussa les épaules :
– Si tu veux.
Damien renchérit :
– Je viens avec vous !
Les trois amis s’habillèrent. Ils sortirent discrètement de la chambre. Si on les prenait dans le couloir, ils risquaient de se faire renvoyer immédiatement d’où ils venaient. Les gardiens n’avaient pas l’habitude d’être compréhensifs et aucune excuse ne serait valable à leurs yeux.
Arthur, Damien et Paul traversèrent le couloir. Après avoir vérifié que personne n’était à l’étage inférieur, ils descendirent à pas de velours jusqu’au premier étage. Ils se firent discrets au cas où un gardien se trouverait dans les parages, vérifièrent que personne ne se trouvait au rez-de-chaussée et continuèrent leur descente.
Une fois en bas, Damien demanda :
– On passe par où ? Dehors ou par les sous-sols ?
Paul réfléchit et interrogea ses amis :
– Vous savez comment on va au bâtiment de la direction par les sous-sols ?
Ensemble, Arthur et Damien répondirent :
– Non, et toi ?
– Non, on passe par l’extérieur.
Paul poussa la porte. Le froid nocturne entra dans le bâtiment.
Ils sortirent et commencèrent à longer le mur. La cour était silencieuse. Paul regarda sa montre, minuit moins vingt minutes. Á cette heure-là, certaines personnes de l’administration et certains professeurs ne dormaient pas.
Arthur imita Paul et regarda lui aussi sa montre avant de demander :
– Vous êtes sûrs que Thomas sera dans son bureau à cette heure-là ?
Paul répondit :
– Non. Mais on peut aller voir. On avisera ensuite.
Tout en se baissant, comme si cela les cachaient, Paul, Arthur et Damien traversèrent la cour jusqu’au bâtiment où se trouvait le bureau de Thomas, le bâtiment d’accueil.
Ils entrèrent. Le hall était sombre, faiblement éclairé par des écrans laissés allumés et les signalisations de sortie.
Soudain, ils entendirent des pas venir vers eux. Paul se précipita, en prenant soin de ne pas faire de bruit, derrière le comptoir de l’accueil. Damien et Arthur l’imitèrent.
Les pas s’approchèrent jusqu’à arriver dans le hall. Les trois espions retinrent leur respiration.
Les pas s’arrêtèrent juste devant le comptoir. Paul voulut sortir la tête pour voir ce qu’il se passait mais s’en dissuada.
Le gardien continua sa marche. Les pas disparurent lentement dans le couloir opposé.
Les trois jeunes espions sortirent lentement et prudemment de leur cachette. La voie semblait dégagée.
Le bureau de Thomas était au premier étage. Ils accédèrent à l’escalier par une porte au début du couloir.
Une fois à l’étage, Paul s’avança jusqu’à la porte du bureau du responsable des études.
Une trainée de lumière brillait sous la porte. C’était peut-être leur jour de chance. Paul hésita et frappa deux coups à la porte du bureau.
Il y eut un moment de silence puis des pas d’abord rapides puis plus lents.
Les trois garçons entendirent une porte se fermer. Paul hésita à frapper à nouveau mais les pas reprirent et se rapprochèrent.
La porte s’ouvrit sur Thomas, l’air étonné :
– Qu’est-ce que vous faites là ? C’est interdit de se promener dans les couloirs à cette heure-là !
Thomas n’avait pas son air habituellement calme. Paul crut déceler de l’énervement et une pointe d’inquiétude sur le visage de son responsable des études qui avait dû deviner que les trois lycéens se présentaient pour une raison valable. Paul s’expliqua :
– Pardon, je viens de recevoir une lettre, et comme vous m’aviez dit de venir vous voir si cela arrivait, c’est ce que j’ai fait. Damien et Arthur m’ont accompagné car je ne voulais pas sortir seul. Mais si vous préférez je reviens demain.
Le visage de Thomas changea. Il avait dû réaliser que son ton avait été dur. Il demanda :
– Vous n’avez croisé aucun gardien ? Ni professeur ?
Arthur répondit avant Paul :
– Non, pourquoi ? On aurait dû ?
Thomas ne répondit pas et ouvrit la porte entièrement :
– Entrez, asseyez-vous sur le canapé, j’arrive.
Les trois jeunes espions prirent place sur le grand canapé en cuir, devant une table basse sur laquelle étaient posés plusieurs magazines. Thomas s’assit sur l’un des fauteuils, face aux trois visiteurs :
– Je t’écoute, Paul. Que disait cette lettre ?
– Elle me demandait de ne pas revenir après les vacances.
– Pourquoi ?
– Il n’y a pas vraiment de raison, simplement que si je revenais, je ferais une grave erreur, que je n’ai pas ma place ici et que l’auteur s’occuperait de moi s’il me revoit en janvier.
– C’est signé ?
– “M“, comme la première lettre.
– Et tu as une idée de qui ce peut être ?
– Non, j’avais des pistes mais ça se résume aux personnes qui ont un nom ou un prénom commençant par un M. Sans compter le fait que ce puisse être un pseudonyme.
Thomas réfléchissait. Arthur en profita pour ajouter :
– Ça pourrait être Maillard ?
Thomas sembla surpris de cette supposition :
– Madame Maillard ? Non, elle n’aurait aucune raison de se mettre à dos un élève, encore moins de le menacer. Elle est sévère, je peux le concevoir, mais a aussi une grande rigueur dans son travail. Et signer avec son initiale est quand même un indice colossal. Peut-être d’ailleurs que l’auteur aimerait laisser penser que c’est elle.
Paul exposa ses deux autres théories :
– Sinon il y a Mike et Monsieur Michot.
Thomas analysa rapidement ces deux possibilités :
– Mike je ne pense pas, il t’apprécie et n’est pas du genre à menacer un autre élève. Au contraire, il apprécie tout le monde et inversement. Quant à la possibilité que ce soit un professeur, je n’y crois pas. Les professeurs sont triés sur le volet ici, ils seraient tous bien incapables de risquer leur poste comme cela et je ne vois personne qui aurait la moindre raison de te menacer.
– Ça ne m’avance pas donc.
– Ne t’inquiète pas, Paul. Profite des vacances et reviens en pleine forme. Tu ne risques rien avant les vacances car la menace est sur ton retour, et tu ne risqueras rien non plus ensuite. Le campus est un endroit sûr. Si quelqu’un voulait te porter atteinte, il l’aurait déjà fait. D’ici ton retour de vacances, je vais voir ce que je peux faire. Retournez vous coucher, je vais vous faire un mot au cas où vous vous feriez surprendre sur votre retour.
Thomas retourna à son bureau, prit une feuille et écrivit quelques mots. Il tendit le papier à Paul avant de les laisser partir.
Une fois dans le couloir, Paul déplia le mot que Thomas venait d’écrire. Il était inscrit :
“Les élèves en possession de cette note étaient dans mon bureau. Ils ont l’autorisation de circuler librement jusqu’à 00h30.
Cette note permit aux trois espions de regagner leur chambre rapidement et sans encombre. Bien entendu, ils ne croisèrent cette fois aucun gardien ni professeur.
Paul était rassuré par les mots de Thomas. Il avait raison, il ne risquait rien jusqu’aux vacances et il était compliqué d’attaquer qui que ce soit sur le campus.
Les trois garçons purent donc se coucher et ne parlèrent plus de cette lettre.
Dès le lendemain, Lucy et Antoine furent informés de cette nouvelle lettre et Paul leur raconta la discussion nocturne avec Thomas.
Lucy et Antoine étaient attristés de voir Paul dans cette situation mais gardaient eux aussi espoir qu’une solution soit trouvée par leur responsable des études.
Le vendredi soir, le réfectoire avait été transformé pour accueillir les élèves à partir de dix-neuf heures.
Paul, accompagné de Damien, Arthur, Antoine et Lucy, entrèrent un peu après l’ouverture. La salle se remplissait doucement.
Ils s’assirent à une table, recouverte d’une nappe au motif de vieille table en bois, sur laquelle était posée du houx et des boules de couleur. La table était aussi recouverte d’un produit blanc qui était destiné à imiter la neige. Le sol, les murs et le plafond avaient eux aussi été décorés aux couleurs de Noël.
La soirée commença lorsque tous les élèves furent assis. Jamais Paul n’avait vu le réfectoire aussi plein. Tous les élèves de tous les niveaux, les professeurs et le personnel étaient présents. Paul ne put s’empêcher de penser que dans la pièce, quelque part, l’auteur des lettres qu’il avait reçues était présent.
Il chassa cette pensée lorsque Thomas entra, accompagné du directeur et d’Annabelle Maillard. Ils avaient leurs places réservées à la grande table au fond de la pièce, face aux élèves. Maillard, l’air toujours aussi sec malgré la soirée de fête, s’assit avec des professeurs tandis que Thomas Duchesne, le costume toujours impeccable, prit place à côté du chef d’établissement, au centre de la table.
Le directeur prit la parole pour souhaiter aux élèves une bonne soirée. Le discours, banal et attendu, fut très court, laissant place au début du repas.
Des serveurs déguisés en lutins se pressaient près des tables pour apporter les entrées. L’Aigle n’avait pas fait les choses à moitié et Paul mangea avec appétit le tartare de thon et le foie gras dans son assiette.
Les discussions de chacune des tables créaient un brouhaha général dans le réfectoire. Chacun commentait ce qu’il mangeait et à la table de Paul, c’est Antoine qui avait commencé, étonné de ce repas si différent des autres jours.
Lucy, elle, était ravie :
– C’est normal, c’est Noël. Vous vous rendez compte, on est là depuis trois mois et j’ai l’impression qu’on est arrivés hier.
Damien ne put s’empêcher de la contredire :
– Avec notre emploi du temps, j’ai plutôt l’impression que ça fait trois ans.
Lucy ne releva pas et continua :
– On a de la chance quand même. En seconde, personne n’a la chance d’avoir un campus comme le nôtre. On a de la place, de supers locaux, et en plus on est nourris et logés. Enfin sauf pendant les vacances.
Arthur réagit :
– Et encore, il y a du monde pendant les vacances ici !
– Ha bon ? Les profs ?
Paul s’amusa discrètement du visage de Lucy, toujours expressive. Elle n’aurait pas eu besoin de parler tant ses yeux s’étaient écarquillés. Il admirait sa manière de s’émerveiller de tout, même du moindre détail. Elle poursuivit :
– Ha oui, le personnel de ménage aussi.
– Et quelques élèves.
– Tu veux dire que certains n’ont pas de vacances ?
– Je veux dire que certains n’ont pas la chance d’avoir une famille prête à les accueillir. Tu connais peut-être bien l’école, mais tu ne connais pas tout.
Arthur s’était amusé de cette réflexion que Lucy avait visiblement mal prise. Elle questionna Arthur à nouveau, faisant mine de ne pas avoir entendu :
– L’Aigle accueille ses élèves quand ils ne peuvent pas rentrer chez eux ? C’est super !
– Super ? On parle d’orphelins ou d’enfants de la DDASS. Ce n’est pas super. Mais si tu relis le livret de l’école, tu verras qu’il est fait mention du fait que l’Aigle tient à toujours veiller sur ses élèves. Il y a donc des chambres qui restent occupées pendant les vacances pour éviter que des élèves soient à la rue. Et bien entendu, quelques personnes sont là pour s’en occuper.
– Je ne savais pas que l’Aigle faisait des choses comme ça.
– Il est inscrit un nombre incalculable de fois que l’école est avant tout un endroit d’humanisme.
– Oui, mais ça ne veut rien dire. Et qui s’occupe des élèves sans parents ?
– Des profs, des élèves des classes supérieures, ça dépend de qui s’engage. Thomas Duchesne est souvent là, et l’élève que tu détestes tant, Mike, il reste cette année pour Noël.
Lucy sembla gênée :
– Ha, je ne savais pas qu’il faisait ce genre de choses.
– C’est un des élèves les plus engagé sur le campus. Quand vous l’avez soupçonné d’avoir envoyé la lettre à Paul, je me suis renseigné. Il est dans toutes les associations possibles d’aide aux autres élèves, parrain de deux fondations, l’élève idéal.
– Comment tu sais tout ça ?
– J’ai demandé à la bibliothécaire, elle sait tout.
– Alors la lettre c’est pas lui ?
– Un mec comme lui ? Im-pos-sible.
– Mince, j’aurai parié. Et moi, je peux rester à Noël pour ceux qui n’ont pas de famille ?
– Non, seulement à partir de la troisième année. Et ce n’est pas une garderie.
– J’ai pas dit ça !
Antoine éclata de rire devant l’air vexé de Lucy, ce qui eut pour effet de la vexer encore plus mais de faire rire les trois autres jeunes espions.
Un lutin arriva pour débarrasser les entrées tandis qu’un deuxième apportait le plat, une traditionnelle dinde aux marrons.
Lucy s’exclama :
– Et ben, faut pas être végétarien ici !
Arthur ne put s’empêcher de la corriger :
– Tu sais que tu as répondu à un questionnaire en entrant ici ? En théorie, on t’a demandé si tu avais un régime alimentaire spécial, pour les allergies, les religions ou les intolérances ? Il y avait toute l’année une possibilité de manger sans viande, l’école sait exactement qui mange quoi pour ne blesser personne. D’ailleurs, si tu regardes les tables autour, tu verras qu’il y a des variantes.
Cette fois, Lucy ne put se contenir, elle n’appréciait pas de se faire corriger ainsi, même par un de ses amis :
– Décidément, tu as lu trois fois le règlement et tu t’intéresses à tout ce que fait cette école ?
– Je me renseigne quand je suis quelque part, ça évite d’être déçu et oui, je connais bien l’école grâce à cela, vous devriez faire pareil, il y a des choses très intéressantes. D’ailleurs, la bibliothèque a plusieurs ouvrages sur l’histoire du campus, c’est très passionnant.
Lucy n’avait pas envie de se disputer avec Arthur, elle savait qu’elle avait déjà perdu la bataille et qu’Arthur connaitrait mieux qu’elle l’école. Elle changea de sujet :
– Demain c’est les vacances ! Vous êtes contents ?
Cette fois, c’est Paul qui surprit Lucy par sa réponse inattendue :
– Tu t’émerveilles toujours de tout, c’est magnifique.
N’oubliant pas sa répartie, Lucy répondit avec un grand sourire :
– Je sais, je suis magnifique.
– J’ai pas dit… Ho et puis laisse, si ça te fait plaisir, c’est Noël après tout !
– Tu n’es pas content de retrouver ta famille ?
– Si, même si c’est bizarre de ne pas les voir pendant plus d’un mois.
Paul réalisa qu’il avait hâte d’être le lendemain. Ses parents lui manquaient parfois, surtout dans les moments de calme sur le campus. Le rythme imposé par l’école était soutenu et celui des vacances était la coupure dont il avait besoin.
Lucy se tourna vers Damien :
– Et toi ?
– Moi quoi ?
Le ton de Damien était inhabituellement froid. Paul, Arthur, Antoine et Lucy se tournèrent vers lui tant cela les avaient étonnés. Lucy osa :
– Tu es pressé ?
– Non.
Décontenancée, Lucy continua tout de même, en ironisant :
– Hé bien, c’est joyeux ici. Et je peux savoir pourquoi tu n’es pas pressé d’être à Noël ? Tu n’aimes pas les cadeaux, les sapins ?
– Je n’aime pas Noël, c’est tout.
La discussion commençait à ressembler à un règlement de compte verbal. Lucy cherchait comme à son habitude à connaitre les détails sur une réponse qui l’intriguait, quant à Damien, la chambre froide de la cuisine aurait été semblable à un radiateur tant sa voix était glacée.
Lucy insista :
– Je ne comprends pas qu’on ne puisse pas aimer Noël, et ce sont les vacances ! Je sais… tu n’aimes pas passer du temps avec ta famille !
– Tu le fais exprès ?
Damien était visiblement en colère. Tous autour de la table comprirent qu’il n’avait pas envie de s’éterniser sur ce sujet de Noël. Tous, sauf Lucy qui faillit ouvrir la bouche mais en fut empêchée in-extremis par Antoine :
– C’est vrai Lucy, laisse-le tranquille, tu vois bien qu’il n’a pas envie de répondre.
– Ho ça va, j’essaye juste de mettre un peu de bonheur dans cette soirée ! Entre Arthur qui nous la joue encyclopédie et Damien qui n’aime pas les vacances, je me demande où je suis tombée !
– Je n’aime pas les vacances précisément car on voit sa famille.
Damien avait été aussi froid que lors de ses réponses précédentes. Paul ne comprit pas comment cette réponse avait pu redonner à Lucy un grand sourire. Elle se tourna vers Antoine :
– Ha tu vois ! Il n’aime pas sa famille !
– J’ai pas dit ça.
La voix de Damien avait cette fois baissé de volume, comme s’il était en train de dire une phrase qu’il aurait voulu garder en pensée. Il continua :
– C’est juste que de la famille, je n’en ai pas. J’ai perdu mes parents il y a trois ans. Les vacances, je les passe chez mon oncle et mes cousins, alors c’est sûr, Noël c’est pas une fête que j’apprécie plus que ça.
Le silence se fit autour de la table. Personne ne savait quoi dire. Ils ne prêtaient plus attention au bruit autour d’eux. Paul, qui était assis à côté de Damien, posa la main sur son épaule en guise de réconfort. Il savait que Damien s’était toujours senti plus proche de lui que de ses autres amis autour de la table et que c’était à lui de briser le silence maintenant pesant :
– Je suis désolé.
Paul décela une larme poindre au coin de l’œil de Damien. Il se sentit lui aussi ému par l’état de son ami et par sa confession qui avait dû être délicate, ravivant des souvenirs que le jeune lycéen n’avait pas prévu d’évoquer.
Damien respira lentement pour se calmer et répondit à Paul :
– T’inquiète pas, c’est pas grave, et puis je commence à avoir l’habitude. On n’est pas là pour pleurer ce soir je crois, mais si ça ne vous dérange pas, je préférerais qu’on change de sujet.
Tous acquiescèrent. Paul se tourna vers Lucy qui crut qu’on lui reprochait quelque chose et se défendit :
– Quoi ? J’ai rien dit là !
Paul, retrouvant son sourire, précisa son regard :
– Je me disais juste que tu n’étais jamais à court pour trouver une discussion assez banale pour se changer les idées. Alors j’attendais simplement de savoir laquelle allait sortir en premier.
Cette blague fit sourire Damien, un sourire qui fit baisser la tension. Arthur et Antoine pouffèrent de rire, ce qui contamina la table. Lucy trouva ainsi son nouveau sujet :
– Quand est-ce que vous avez eu votre pire fou rire ? Moi c’était en classe, il y a deux ans. J’ai tellement ri que j’ai dû sortir de classe pendant un bon quart d’heure !
Chacun y allait de son anecdote tout en finissant le plat copieux devant lui.
Le dessert arriva, une bûche glacée. Paul n’était pas un amateur de dessert et, lorsqu’il vit Damien remuer inlassablement sa cuillère dans son assiette vide, lui proposa de prendre sa bûche. Damien fût ravi de cette proposition et prit l’assiette de Paul pour lui donner la sienne.
La soirée se poursuivait dans la grande bibliothèque, sobrement décorée de quelques guirlandes.
Pendant le repas, les grandes tables de la bibliothèque avaient été poussées contre les murs et les chaises placées face à une petite estrade.
Deux professeurs de lettres de quatrième et cinquième année racontèrent des contes et des histoires sur le sujet de Noël.
Si l’idée pouvait paraitre enfantine, tous les élèves furent pendus à leurs lèvres dans un silence total.
Il était vingt-trois heures lorsque les élèves furent invités à retourner au réfectoire. Á nouveau, la salle avait changé. Les tables étaient plus serrées, alignées le long des murs, laissant une grande place au centre de la pièce. La musique retentit et les élèves furent invités à continuer la soirée en dansant ou en discutant autour des tables.
Le groupe de cinq amis fut d’abord rejoint par Mathieu, avant que Mike ne fasse son apparition pour leur demander si tout se passait bien.
Ils n’étaient pas grands amateurs de danse et préférèrent discuter autour de la table.
Vers une heure du matin, Antoine s’excusa auprès de ses amis :
– Désolé, mais il est tard pour moi, je vais aller retrouver ma chambre.
Ses amis le saluèrent et reprirent leur discussion.
Ce n’est qu’une demi-heure plus tard que Lucy décida elle aussi de regagner sa chambre. Arthur quant à lui discutait avec Mathieu.
Paul et Damien se retrouvèrent seuls. Damien proposa :
– Tu ne veux pas sortir ?
– Il fait froid.
– Mais ici c’est une fournaise, et puis on est couvert.
– Pourquoi pas, en plus les fêtes me lassent vite.
Paul n’avait jamais aimé les grandes fêtes, surtout celles où il y avait de la musique. Il trouvait qu’on ne pouvait pas discuter. Ce soir, il reconnaissait que malgré le bruit, il n’avait pas eu besoin de crier pour se faire entendre.
Les deux jeunes espions montèrent l’escalier qui conduisait à l’extérieur et passèrent dans la cour principale. Ils marchaient en discutant. Ils allèrent jusqu’au terrain de football avant de rebrousser chemin. Il faisait froid. Le peu d’élèves qui étaient sortis restaient dans la cour principale et rentraient rapidement dans le réfectoire.
Les deux espions passèrent devant le bâtiment des cours et Damien proposa :
– Il ne doit y avoir personne dans les bâtiments. On pourrait y faire un tour !
– Tu crois qu’on a le droit ?
Paul était toujours inquiet de se faire prendre en défaut. Mais Damien le rassura :
– Il n’y a pas de couvre-feu pour le moment. Alors j’imagine qu’on peut y aller.
– Il y a plus intéressant que les salles de classe je pense.
Damien proposa avec un grand sourire :
– Piscine ou gymnase ?
Le tempérament d’aventurier de Paul refit surface :
– Allons-y pour la deuxième proposition !
Paul et Damien descendirent les escaliers menant au sous-sol et traversèrent les couloirs en direction du gymnase.
Arrivés à quelques mètres, ils remarquèrent que de la lumière émanait du gymnase. Une lumière qui n’était pas assez puissante pour que tous les projecteurs soient allumés, mais une partie seulement.
Damien demanda :
– Tu crois qu’il y a quelqu’un ?
– Comment veux-tu que je le sache ?
– On va voir ?
– J’ai le choix ?
– Non.
Damien s’approcha doucement d’une des fenêtres du couloir donnant sur la grande salle.
Il regarda un instant par la fenêtre avant de se tourner vers Paul :
– Je ne vois rien. On descend ?
Paul haussa les épaules mais Damien avait déjà ouvert la porte descendant dans le gymnase. Paul lui emboita le pas.
Les deux espions descendirent quelques marches et s’arrêtèrent. Ils avaient perçu des voix. Paul tendit l’oreille. Il entendit quelqu’un dire à haute voix :
– Attends, je crois qu’il y a du bruit !
Une autre voix répondit :
– Mais nan, ne t’inquiète pas, ils sont tous au réfectoire.
– Et si c’était un prof ?
– J’ai rien entendu. Laisse.
Paul se tourna vers Damien et chuchota :
– Il y a du monde. On s’en va ?
– Ils font quoi ?
– J’en sais rien, c’est pas notre problème.
– Ils font peut-être quelque chose d’interdit. Si c’est dangereux faut intervenir.
– Non, ils discutent. Viens, on s’en va.
Devant l’insistance de Paul, Damien se résigna. Il remonta le plus discrètement possible les quelques marches qu’il venait de descendre et ouvrit doucement la porte. Paul le suivit et referma derrière lui.
Damien, avant de repartir, ne put s’empêcher de regarder par la fenêtre. Paul attendit et vit son ami se retourner, les yeux écarquillés. Il lui demanda, amusé :
– Quoi ? T’as vu un fantôme ?
– Non, regarde par toi-même !
Intrigué devant l’air si ébahi de son ami, Paul passa la tête pour regarder par la petite fenêtre. Il ne vit rien de plus que le gymnase entièrement vide :
– Bah quoi ? Je ne vois rien.
– Regarde vers le bureau du prof, sur les tatamis !
Paul dût tendre le cou pour voir sur le côté du gymnase. Il aperçut d’abord la forme des deux personnes. Il devina deux garçons qui devaient être de son âge mais leurs visages, tournés l’un vers l’autre, ne permettaient pas à Paul de les identifier. L’un avait la main posée sur celle de l’autre. Paul, sans quitter les garçons des yeux, demanda à Damien :
– Et alors ? C’est deux garçons qui discutent. Ils sont peut-être ensemble. Qu’est-ce que ça peut faire ?
– Attend, ne me dis pas que tu ne les reconnais pas !
Paul attendit quelques secondes. Les deux garçons échangèrent un baiser, confirmant qu’ils formaient bien un couple. Lorsqu’ils se décollèrent, ils tournèrent la tête et Paul n’eut aucun mal à distinguer qui ils étaient. Il reconnut d’abord Antoine avant Clément, le garçon discret de leur classe. Paul voulut en être sûr en demandant à Damien :
– Antoine et Clément ?
– Oui, c’est eux !
– Laissons-les.
Paul quitta la fenêtre des yeux. Damien eut les yeux brillant en commençant sa phrase :
– Faut qu’on raconte ça à…
Paul ne laissa pas son ami terminer et le coupa :
– Personne. On ne le raconte à personne.
Damien eut l’air abasourdi par la réponse de Paul :
– Pourquoi ?
– Parce que si tu réfléchis deux minutes, tu comprendras que s’ils sont venus jusqu’ici pour se cacher, c’est qu’ils n’ont pas envie que ça se sache.
– Mais t’imagines la tête de Lucy quand elle va savoir ? J’ai toujours cru qu’Antoine et elle étaient ensemble.
– On va peut-être éviter de lui dire aussi à cause de la tête qu’elle fera. C’est pas à nous de nous occuper de ses histoires de cœur. Antoine lui dira un jour, quand il le voudra. Pour le moment on ne s’en occupe pas.
Paul commença à marcher dans le couloir pour ressortir du sous-sol, suivi par Damien qui semblait obnubilé par ce qu’il venait de voir :
– Tu te rends compte. Je n’aurai jamais cru qu’il était… Enfin…
– Homo ?
– Oui, c’est ça. On ne dirait pas !
– Tu crois que ça se lit sur la tête des gens, toi ?
Les stéréotypes avaient toujours agacé Paul. Il savait que l’ignorance en était souvent à l’origine et que Damien ne pensait pas à mal, mais il avait du mal à garder son calme. Damien répondit :
– Je ne sais pas, en général on dit que…
– Arrêtes d’écouter les on-dit. En général c’est des conneries.
– D’ailleurs, Clément j’aurai pu deviner qu’il était…
Damien ne termina pas sa phrase. Paul la termina à nouveau :
– Homo ?
– Ouais, c’est ça. C’est comme ça qu’on dit.
– Oui, c’est comme ça, Damien. Tu as du mal à t’y faire on dirait.
– Non mais c’est pas trop ce terme là que j’entends en général.
– Essaye de l’utiliser, si jamais ceux que tu entends peuvent changer, ce sera toujours ça de pris.
– Oui. Tu veux dire à Antoine qu’on sait pour Clément et lui ?
– Non, il le dira quand il le voudra.
Damien marqua une pause avant d’observer :
– T’es bizarre, Paul, quand même.
– Pourquoi ?
– Pour toi, être homo c’est normal mais t’es gêné de dire à Antoine que tu l’as vu.
– Ça n’a rien à voir. Être homo est normal. Espionner son pote ne l’est pas. Ça aurait été pareil si à la place de Clément on avait vu une fille.
– Ha je vois. Donc on le sait mais on fait comme si on ne savait pas ?
– Oui, tu comprends vite mais il faut t’expliquer longuement…
– Comment ça ?
– Rien, laisse.
Paul fut satisfait de sa dernière phrase jusqu’à ce que Damien lui fasse perdre son sourire :
– J’espère ne pas faire de gaffe.
– Comment ça ?
– Bah maintenant, ça va me faire bizarre. Va falloir que je fasse attention à ce que je dis.
– Pourquoi ?
– Tu sais, tous les mots qui sont des insultes pour eux.
– Eux ? Les homos ?
– Oui.
– Commence par ne pas dire “eux“. Pour le reste, je pense que tu vas quand même arriver à ne pas sortir une insulte homophobe à chaque fois que l’occasion se présente.
– Et dans les cours de sport ? On a piscine avec lui parfois.
– Et ?
– Tu crois qu’il nous regarde ?
– T’es con.
Damien semblait réfléchir à pourquoi Paul lui avait dit cela. Devant son air décontenancé, Paul se sentit obligé de préciser :
– Ça ne change rien. Déjà il est en couple, il ne va pas forcément regarder les autres et puis ce n’est pas ce qui le définit non plus, il ne doit même pas y penser ! Tu sais quoi ? Avant tu n’y pensais pas, toi, au fait qu’il puisse te regarder. Continue à faire pareil, ce sera parfait.
– Ouais enfin quand même.
Paul s’arrêta et se tourna vers Damien :
– Bon, écoute. Antoine aime un autre garçon, tu ne vas pas en parler trois heures. Il est visiblement heureux en amour, tu devrais être content pour ton ami. Évite de penser que sa seule caractéristique c’est celle-là. Et ce n’est pas pour ça qu’il sera sans cesse en train de te regarder pendant les cours de sport. Quand bien même il le ferait, ça ne changerait pas ta vie. Au pire il te regardera pour te donner des conseils car il est meilleur que toi.
Paul se remit en marche. Damien était resté silencieux. Il semblait réfléchir à ce que Paul venait de lui dire.
Les deux amis retrouvèrent le réfectoire qui se vidait doucement. Thomas annonça aux élèves qu’il était temps de regagner leurs chambres. Il était deux heures du matin.
Paul et Damien suivirent la consigne de leur responsable d’études et retrouvèrent Arthur dans leur chambre, déjà prêt à se coucher. Chacun se mit dans son lit.
Arthur leur demanda :
– Vous avez disparu en fin de soirée ! Où vous étiez ?
Paul répondit avant Damien :
– On est sorti dans la cour, on se baladait.
– C’était bien ?
Damien répondit :
– Oui on a vu…
Devant le regard assassin de Paul, Damien se ravisa et termina sur une pirouette :
– On a vu un chat. Il était près du terrain de foot.
– Ha.
L’intérêt d’Arthur pour un chat était plus que limité, mais c’était mieux que de lui raconter qu’ils avaient vu Antoine. Paul adressa un sourire satisfait à Damien puis les trois garçons cessèrent leur discussion. Ils se couchèrent et ne mirent que peu de temps avant de s’endormir.
Paul se réveilla encore fatigué. Il regarda l’heure, il était huit heures du matin. La chambre était calme. Il avait peu dormi mais était content. Dans deux heures, il serait en vacances et laisserait le campus pour deux semaines.
Il se leva le plus silencieusement possible. Arthur et Damien dormaient à poings fermés. Paul s’habilla et sortit de la chambre. Tout était calme. Le matin, habituellement, il y avait toujours des groupes d’élèves dans les couloirs, dans les escaliers ou dans la cour. Sans qu’ils soient bruyants, ils étaient présents.
Ce samedi matin, Paul ne croisa personne.
Il descendit au réfectoire. Le bruit des couverts arriva jusqu’à ses oreilles. Quelques élèves étaient déjà réveillés et mangeaient en silence.
Paul se servit et s’assit seul à une table. Il profita de ce moment de calme. Il aimait se retrouver en tête à tête avec ses pensées, dans un moment pendant lequel personne ne lui parlait. Dans quelques heures, il serait chez lui et aurait tout le loisir d’avoir à nouveau ce plaisir. Cette pensée lui décrocha un sourire.
Une heure plus tard, tous les élèves étaient réveillés. Paul avait regagné sa chambre alors que tous les autres étaient partis prendre leur petit-déjeuner.
Il prépara sa valise en laissant quelques affaires propres dans sa chambre.
Arthur et Damien rentrèrent pour faire de même puis ils sortirent retrouver Antoine et Lucy un peu avant dix heures. Le hall d’accueil était plein.
Comme souvent, Frank et Maude, les parents de Paul, arrivèrent à l’heure et à dix heures précises, les élèves furent autorisés à sortir.
Paul dit au revoir à ses amis en leur souhaitant de bonnes vacances. Il adressa un sourire particulier à Damien en pensant qu’il n’avait plus la chance de fêter Noël avec ses parents. Il se sentit idiot en réalisant que ce sourire qui en disait long, pouvait justement rappeler à Damien le malheur qu’il avait connu.
Paul sortit et retrouva ses parents. Il chargea la valise dans le coffre de la voiture et monta à l’arrière. Son père démarra et sortit du campus.
Lorsqu’ils arrivèrent aux grilles, Frank brisa le silence :
– A chaque fois je me dis que ce campus est vraiment beau ! Tu y es toujours bien, Paul ?
– Oui, c’est un bel endroit et c’est agréable.
– Tu as passé de bonnes semaines ?
Paul repensa aux deux lettres reçues. Il trouva inutile d’en parler, il réglerait le problème à son retour :
– Oui, ça va.
Maude intervint :
– Et tes notes ?
– Elles sont bonnes, je suis dans les premiers je crois.
– C’est bien. Tu passeras en première alors ?
Le terme “première” étonna Paul. Il n’avait pas entendu ce terme depuis des mois. Pour l’Aigle, c’était la “deuxième année” :
– On est en décembre, maman, il reste encore quelques mois.
– Raison de plus pour bien travailler.
– Ne t’inquiète pas.
– Tu as décidé vers quelle filière t’orienter ?
– Non, pas encore, on fait nos choix en mai.
Frank souligna :
– Si tu as de bonnes notes, il faut que tu prennes la filière S. Tu pourras rester en prépa dans cette école pendant deux ans après le bac pour intégrer une grande école.
– Oui, si je peux je prendrai S, c’est ce qui me plait le plus de toutes manières.
Les parents de Paul ne relancèrent pas la conversation. Paul repensa à la dernière phrase de son père. Il se demanda où il avait pu voir qu’il y avait une classe préparatoire sur le campus de l’Aigle. Ce devait être une excuse pour garder les élèves jusqu’en cinquième année, deux ans de plus après le bac, vendue par l’école aux parents curieux.
Paul posa la tête contre la vitre fraiche. Il regarda les champs disparaitre petit à petit, laissant place aux bâtiments gris de la région parisienne. Le lendemain, c’était le réveillon de Noël. Il retrouvera sa famille, devra répondre à leurs questions sur son école. Il aura envie de répondre en disant qu’il apprend à être espion mais se contentera de réponses vagues comme n’importe quel élève de seconde. Et puis il repensera à ses amis et à Damien.
Les Osinski arrivèrent chez eux. L’odeur de la maison emplit les narines de Paul. Une douce odeur de cèdre et de rose. Sa mère n’avait pas changé de parfum d’ambiance depuis des années. Paul ferma les yeux, il se revoyait quelques années auparavant, jouant avec ses amis dans le salon sur une ancienne PlayStation. La nostalgie le fit sourire. Cela faisait du bien d’être chez soi.
Paul se servit un grand verre de coca frais et regarda le salon, décoré pour Noël. Cette année, toute la famille venait chez eux, ce qui arrangeait Paul. Il avait toujours préféré les dîners chez lui plutôt que chez les autres.
– Tu peux vider ta valise plutôt que de la laisser dans l’entrée ?
Paul regarda sa valise qui trônait juste devant la porte, en plein milieu du passage, devant son père, et répondit :
– Oui, je le fais tout de suite.
Accompagné de ses affaires, Paul retrouva sa chambre et s’assit sur son lit pour les ranger.
Il réalisa qu’il ne savait pas quoi faire.
Lorsqu’il était sur le campus, il était sans cesse sollicité, par les cours, les révisions, ses amis. Là, il était seul.
Cette sensation ne disparut réellement que le lendemain lorsque sa famille fut présente.
Au milieu des discussions animées, Paul eut une pensée pour son ami Damien. Il prit son téléphone pour lui envoyer un SMS, pour lui souhaiter un joyeux noël. La réponse de Damien lui fit plaisir, il passait vraisemblablement une bonne soirée.
Les deux semaines de vacances passèrent très vite, ponctuées par une fête du nouvel an en famille.
Paul avait pu voir son ami Louis et, s’ils s’étaient retrouvés avec plaisir, Paul avait senti que leurs liens n’étaient déjà plus les mêmes qu’avant.
Le dernier dimanche, veille de la rentrée, Paul était partagé. Il avait envie de retrouver le campus mais avait pris le rythme des vacances.
Surtout, il repensait aux menaces qu’il avait reçues. Malgré les mots rassurants de Thomas, il avait la crainte qu’on s’en prenne à lui. Cependant, il était hors de question de ne pas revenir à l’Aigle.
En milieu d’après-midi, Paul plia son lit et ses bagages et retrouva ses parents qui l’accompagnèrent pour sa deuxième partie de l’année.
Paul posa ses affaires dans sa chambre. Arthur était arrivé un peu plus tôt et Damien les rejoignit un quart d’heure plus tard.
Les trois garçons ne s’éternisèrent pas dans la chambre et descendirent dans la bibliothèque où Antoine et Lucy les retrouvèrent.
Chacun raconta ses vacances jusqu’au moment où Lucy ne put s’empêcher de demander à Paul :
– Alors t’es revenu ?
– Comment ça ?
– Avec la lettre, je me demandais si tu allais revenir.
– Je ne vais pas m’arrêter à ça, et puis ici il ne peut pas m’arriver grand-chose.
– Tu sais qui te les a envoyées ?
– Non, toujours pas. Mais Thomas est au courant et je pense qu’il cherche qui en est l’auteur.
– J’espère que ça s’arrangera et qu’il ne t’arrivera rien. Je me demande bien pourquoi on s’en prend à toi.
Paul ne répondit pas. Lui aussi se demandait pourquoi quelqu’un en avait tant contre lui.
Il sortit de ses pensées lorsqu’Arthur proposa d’aller dîner. Il était déjà presque dix-neuf heures passées de trente minutes. Tous commençaient à avoir faim.
Le réfectoire était bruyant ce dimanche soir. Tous les élèves étaient heureux de se retrouver et avaient beaucoup à se raconter.
Alors que le groupe de cinq amis discutait des cours à venir et des prochaines échéances dans leurs matières, Mike s’approcha de leur table et s’assit sur la dernière place libre. Il n’avait pas de plateau avec lui. Il demanda au groupe d’amis :
– Vous allez bien ? Vos vacances se sont bien passées ?
Chacun répondit par l’affirmative et Lucy demanda, sur un ton sec :
– Tu voulais quelque chose en particulier, Mike ?
D’abord surpris par cette agression, l’élève de quatrième année répondit d’une voix posée :
– Non, je fais le tour des tables pour m’assurer que tout le monde va bien. Je m’intéresse au bien-être des autres élèves. Il y a quelque chose qui ne va pas ?
Lucy se mit à rougir. Elle réalisa que le ton employé n’avait pas été de circonstance. Elle s’excusa. Mike se releva et lança avant de tourner les talons :
– Si jamais vous avez besoin de quoi que ce soit, faites-moi signe ! Bonne soirée !
Paul le regarda s’asseoir à une table voisine et se tourna vers Lucy :
– Qu’est-ce qu’il t’a pris ?
Prise en défaut, Lucy se défendit :
– Ça va, je ne pouvais pas savoir.
– Tu ne pouvais pas savoir quoi ?
– Qu’il venait juste prendre des nouvelles. Je pensais qu’il voulait te mettre la pression.
– Pourquoi ?
– Tu sais bien…
– Les lettres ?
– Oui, les lettres.
– Lucy, on t’a déjà dit que Mike ne pouvait pas être l’auteur des lettres. Et ce n’est pas en l’agressant que tu arrangeras les choses. Occupe-toi de tes affaires et laisse-moi gérer les miennes.
– Tu es dur, Paul. J’essaye juste de t’aider.
Le silence se fit autour de la table jusqu’à ce qu’Antoine réagisse :
– Ça fait plaisir de vous revoir ! On fait quoi ce soir ?
Lucy garda le silence, laissant les quatre garçons choisir la suite de la soirée.
Ils tombèrent d’accord sur une partie de tarot au foyer.
Ils en profitèrent pour boire un chocolat chaud et discuter des prochaines semaines. Tous attendaient avec impatience une matière différente et en redoutaient une autre.
Paul était en veine ce soir-là. Ses amis n’avaient aucune chance de le battre.
Lorsqu’il posa la tête sur l’oreiller, Paul se sentit bien. Il ne pensait plus aux menaces qu’il avait reçu, elles lui semblaient irréelles. Il avait hâte de reprendre les cours et ses habitudes sur ce campus.
L’hiver était froid. Les étudiants ne s’attardaient pas dehors et étaient pressés d’aller en cours tant la température des salles était agréable.
Paul ne vit pas passer le mois de janvier. Les semaines de cours se succédaient, ponctuées par des contrôles réguliers.
Il travaillait pour rester dans les meilleurs et savait que s’il se relâchait, il perdrait des points mais prendrait aussi un retard handicapant.
L’ambiance était bonne sur le campus. Les deux responsables d’études étaient restés fidèles à eux-mêmes et Paul, comme la plupart des autres élèves, évitait soigneusement de croiser Annabelle Maillard de peur d’avoir un reproche comme elle savait si bien les faire. Cela était en général sur des détails. Paul l’avait vu demander à Damien s’il souffrait d’une déficience mentale pour avoir mis deux chaussettes différentes, une noire et une grise foncée.
Le jeune espion appréciait aussi les moments de détente qu’il prenait, la plupart du temps au foyer, où il croisait souvent Mike, toujours souriant et serviable.
Lucy avait fini par accepter qu’il ne fût peut-être pas aussi mal intentionné qu’elle avait pu le croire et ne questionnait plus Paul sur les lettres qu’il avait reçues. Tous avaient oublié cet épisode et Paul ne s’était jamais senti ni en danger ni menacé pendant les premières semaines de son retour.
Antoine continuait de régulièrement quitter ses amis, n’ayant plus besoin de prétexte pour se défendre face à Lucy qui avait choisi de se dire qu’Antoine était suivi par le psychologue de l’école. Paul et Damien avaient gardé secret la découverte du couple formé par Antoine et Clément, et Damien n’avait même fait aucun faux-pas.
Arthur, lui, était toujours dans la compétition avec Paul pour être le premier de la classe. Une compétition rude quoiqu’amicale puisque Paul n’y accordait aucune importance. Il se contentait, à chaque demande d’Arthur, de lui faire part de ses résultats et pouvait savoir si son camarade avait eu une meilleure note ou une moins bonne seulement avec sa réaction. Lorsqu’il était souriant, c’était une meilleure note, lorsqu’au contraire il semblait s’énerver et trouvait des excuses, il avait été moins bon.
Souvent, les amis de Paul lui demandaient des conseils pour les cours ou face à une situation qu’ils avaient du mal à gérer. Il le considérait comme une personne de bon conseil qui ne les jugerait pas.
Alors que cette bonne ambiance semblait perdurer, Paul eut la surprise de voir au début du mois de février, Arthur qui vint le voir après le dernier cours de la journée, l’air embarrassé :
– Paul, il faudrait que je te parle d’un truc important.
– Oui, bien sûr, qu’est-ce qu’il t’arrive ? Ça n’a pas l’air d’aller.
– Si, mais pas ici. Cette nuit, à la piscine.
– La piscine ? On est dans la même chambre. Si c’est si secret on peut s’éloigner un peu.
– Non, je t’expliquerai. Excuse-moi, mais il n’y a que là-bas.
Paul n’eut pas le temps de répondre, Arthur s’éloigna sans attendre.
Paul était inquiet de voir son ami dans cet état. Arthur était un garçon d’un naturel posé et calme, qui n’avait pas l’air d’avoir le moindre problème.
Le soir, pendant le diner, Arthur ne décrocha pas un mot. La tête baissée sur son assiette qu’il ne toucha presque pas, il semblait ne pas porter attention aux discussions autour de lui. Lucy lui demanda s’il allait bien, mais il prétexta une grande fatigue, excuse qu’il utilisa pour abandonner ses amis après le repas et rejoindre sa chambre.
Paul voulut le rejoindre mais se ravisa. Arthur lui avait bien fait comprendre qu’il ne dirait rien avant la nuit.
Le soir, alors que tous étaient couchés, Arthur se releva. Paul n’avait pas réussi à s’endormir. Il vit Arthur s’approcher de Damien et vérifier s’il dormait. Il s’approcha ensuite de Paul :
– Bon, on y va.
Paul se releva, s’habilla et suivit Arthur à l’extérieur de la chambre. Il ne put s’empêcher de le questionner :
– Arthur, dis-moi ce qu’il se passe. Tu agis bizarrement ce soir.
– Paul, je ne peux rien te dire, on pourrait nous entendre.
– Pourquoi la piscine ?
– Parce que… C’est le meilleur endroit j’imagine.
– Il y a plus proche.
– Ne discute pas, s’il te plait, c’est déjà assez dur comme ça.
Devant un tel argument, Paul ne trouva pas quoi dire d’autre. Il suivit Arthur qui, le plus prudemment possible, guida Paul jusque dans les sous-sols.
Ils passèrent devant les entrées de l’auditorium puis devant le foyer et le gymnase. La piscine n’était plus très loin.
Paul arrêta son ami :
– Á cette heure-là, la piscine sera fermée.
– Laisse-moi faire, si c’est fermé, alors on trouvera autre chose.
Le ton d’Arthur était plus sec, il était plus tendu. En approchant de la porte de la piscine, il eut un moment d’hésitation avant d’ouvrir.
Silencieusement, Arthur entra.
Paul le suivit et regarda le vestiaire plongé dans l’obscurité. Il ne se sentait pas serein dans ce lieu en pleine nuit et voulut abréger cette sortie :
– Bon, on est à la piscine. Dis-moi ce que tu as à me dire, ça commence un peu à m’énerver ces secrets.
– Sur les gradins.
Paul fit volte-face et posa la main sur la porte d’entrée des vestiaires, prêt à retourner dans sa chambre. La main d’Arthur entoura son bras. Paul regarda Arthur. Son air tendu s’était légèrement dissipé. Il demanda d’une voix calme :
– Paul, s’il te plait, ce ne sera plus très long. Il faut que tu viennes.
– Qu’est-ce que tu veux à la fin ?
– J’ai découvert quelque chose d’important.
– Á quel sujet ?
– Tes lettres. Mais ici je ne peux rien te dire. Fais-moi confiance. On ne sait jamais. Sur les gradins, je sais que personne ne nous entendra.
– Ici non plus, les vestiaires sont entièrement vides. Il est une heure du matin !
– On ne sait pas.
– T’es parano…
– Non, sois patient encore quelques minutes, s’il te plait.
Le ton suppliant d’Arthur eut raison de Paul qui lâcha la poignée de la porte.
Les deux garçons traversèrent les vestiaires. Arthur jetait des coups d’œil rapides régulièrement.
Ils arrivèrent devant le grand bassin. Arthur se retourna vers les gradins, suivi par Paul. Ils s’assirent au deuxième rang.
La piscine était faiblement éclairée, les vaguelettes bleutées se reflétaient sur le plafond, créant une scène mouvante ressemblant à des aurores boréales. L’ambiance était d’un calme rare.
– C’est calme, non ?
Arthur leva la tête. Paul regarda l’eau devant lui et répondit :
– Oui, c’est calme. Qu’est-ce que tu devais me dire de si important qui nécessite de venir ici ? Qu’est-ce que tu as découvert ?
– Je crois savoir qui t’a envoyé les lettres.
– C’était il y a un moment maintenant. Qui est-ce ?
– Un moment mais toujours d’actualité. Je n’ai aucune preuve mais je pense que tu es en danger, vraiment.
– Pourquoi ? Arrête les mystères, lance-toi. Tu ne risques rien ici.
Arthur ne répondit pas. Paul attendit quelques secondes qui lui parurent une éternité.
Soudain, Arthur tourna la tête vers son ami. Paul le regarda. Il vit une larme couler sur la joue d’Arthur. Paul voulut lui demander ce qu’il se passait. Il ouvrit la bouche mais fut incapable de prononcer le moindre mot.
Une main s’était plaquée sur sa bouche et sa tête tirée en arrière. Une voix lui murmura :
– Salut, Paul.
Impossible de répondre. Une autre main lui saisit le bras et lui coinça derrière le dos. Impossible de se défendre.
La voix reprit, s’adressant à Arthur avec calme mais fermeté :
– Retourne te coucher, je te remercie de me l’avoir livré. J’en ai terminé avec toi à condition que tu te tiennes tranquille. Tu n’es jamais venu ici, tu ne sais pas qui je suis. Si tu fais un pas de travers, tu sais ce qu’il t’attend.
Paul fut tiré en arrière. Impossible de crier, celui qui le maintenait avait assez de force pour l’empêcher d’émettre le moindre son. Paul tenta un instant de se débattre mais toute tentative fut vaine.
Son cœur s’emballa. Il savait ce qu’il se passait, la peur qui créait doucement l’angoisse qui s’immisçait en lui. L’impression de ne plus pouvoir respirer qui était amplifiée par la main de son agresseur sur sa bouche.
Paul se força à respirer par le nez mais eut l’impression que ce n’était pas assez.
Sa gorge se noua tout comme ses intestins.
Soudain, il regrettait. Il n’aurait jamais dû revenir sur le campus, il n’aurait jamais dû oublier ces deux lettres, penser qu’elles appartenaient au passé ou qu’on lui avait jouer un tour. M était bien réel et il était derrière lui, prêt à mettre sa menace à exécution.
Sa vue se brouilla des larmes qui s’écoulaient lentement sur ses joues. Il pleurait.
Il fallait qu’il se défende, gagner du temps. Malgré l’angoisse et la peur, Paul tenta de se débattre à nouveau.
Il fut tiré en arrière vers le bas des gradins et à chaque geste qu’il faisait, celui qui le tenait renforçait son étreinte. Il entendit la voix étouffée de son agresseur à son oreille :
– Arrête de te débattre, meurs comme un homme, celui que tu ne seras jamais.
Les yeux de Paul s’écarquillèrent. Il regarda Arthur se relever et suivre des yeux sa descente des marches des gradins. Paul put voir scintiller les larmes de son ami qui perlaient sur ses joues, il repensa à ses amis, il eut envie qu’ils arrivent, qu’ils viennent le sauver.
Paul était maintenant en bas des gradins. Il tenta de se remémorer ses cours de défense. Il lança son bras en arrière, espérant toucher son agresseur, mais il rata son coup.
Pire, il sentit la main de l’inconnu s’abattre sur l’arrière de son crâne, un coup violent en guise d’avertissement.
Arthur avait disparu, Paul était seul maintenant, seul avec M. Il aurait voulu demander pourquoi, savoir qui le tenait, mais sa bouche était toujours fermement retenue.
Tiré en arrière, il vit qu’il arrivait près de l’eau. Son cœur s’était emballé à nouveau, l’angoisse qui avait pu le quitter un instant était revenue. Paul tenta de se calmer. S’il y avait une chance pour qu’il s’en sorte, il ne pourrait le faire qu’en étant calme.
L’homme s’arrêta. Il le posa en maintenant toujours fermement sa bouche. Paul, sur le dos, vit l’inconnu masqué, des yeux noirs perçants et injectés de sang.
Le jeune espion avait toujours une main sur la bouche. Il sentit l’eau chlorée dans ses cheveux.
Sans un mot, l’inconnu le tira en arrière. Paul retint sa respiration juste à temps. L’eau de la piscine le recouvrit.
Le silence complet.
Paul se concentra, tentant de se calmer. Son cœur n’avait jamais battu aussi fort. Il pouvait tenir trois minutes en apnée, mais il n’avait pas eu le temps de prendre de l’air avant d’être plongé dans l’eau. Il tenta de calculer. Il pourrait peut-être tenir deux minutes. Son agresseur se lasserait peut-être avant, ou on viendrait le sauver.
Le jeune espion réalisa que personne ne pouvait être informé qu’il était là, et même si Arthur allait prévenir quelqu’un, il mettrait bien plus de temps à arriver.
Les jambes hors de l’eau, Paul tenta de se débattre, mais tout ce qu’il faisait, c’était de se fatiguer.
Il sentait qu’il ne pourrait plus tenir longtemps. Il arrivait au bout de ses capacités. Ses pensées se brouillaient, il ne méritait pas cela, pas maintenant. Il avait encore des rêves et des espoirs.
Paul réalisa qu’il allait mourir, ses parents lui manquaient, il aurait aimé être avec eux, loin de cette piscine, de ce campus.
Soudain, il fut tiré en avant. Sa tête émergea. Par reflexe, il tenta de reprendre une inspiration par la bouche mais la main de son agresseur l’en empêcha. Il dût reprendre sa respiration par le nez.
L’inconnu approcha sa bouche de l’oreille du jeune espion :
– Personne ne viendra. Je peux te faire payer ton insolence quelques minutes ou des heures. Je peux te faire mourir ou te garder en vie. Ici et maintenant tu n’es plus qu’un jouet pour moi et j’ai terriblement envie de m’amuser jusqu’à ce que je me lasse, je crois qu’il veut mieux pour toi que ce soit le plus tôt possible mais, tu n’as pas de chance, je mets longtemps à m’ennuyer avec un nouveau jouet.
L’inconnu marqua une pause le temps que Paul se fasse à cette idée puis continua :
– Avant même de finir tes études, je sais que tu es un traitre. Avant ta naissance tu en étais déjà un. C’est dans tes gênes. Et les traitres, moi, je les tue.
Paul ne comprenait pas. Il n’avait jamais trahi personne, ou, s’il l’avait fait, c’était sans s’en rendre compte. Sonné, Paul continuait d’écouter l’homme lui parler doucement :
– Tu veux vivre, Paul Osinski ?
Paul hocha la tête de haut en bas. Il savait que cette dernière phrase ouvrait une porte de sortie, quand bien même la torture qu’il subirait serait insoutenable. Il n’avait plus qu’une idée en tête, survivre. Il le savait, cette nuit, il avait une chance de ne pas mourir. Il se concentra sur la voix qui lui parlait. C’était un homme, il en était sûr. Il avait au moins une trentaine d’années. Sa voix assurée et ses yeux marqués étaient des indices de taille.
Paul se rassura. L’inconnu continua :
– Je t’avais dit de ne pas revenir. Pourquoi es-tu revenu ici ?
C’était une question rhétorique. L’inconnu n’était pas décidé à retirer sa main tenant encore fermement la bouche de Paul.
Paul regardait son agresseur qui avait plongé la main dans sa poche. Il en sortit un cutter.
– Puisque tu n’as pas compris les premières fois, je vais te donner un dernier avertissement que tu comprendras peut-être mieux. Je te le redis une dernière fois, Paul, les traitres ne sont pas les bienvenus ici.
Paul sentit le froid de la lame du cutter s’approcher puis toucher lentement son bras. Quelques secondes passèrent sans que rien ne bouge.
L’étudiant sentit sa peau s’ouvrir sans aucune résistance. La pointe aiguisée était à peine entrée et glissa de quelques centimètres le long de son bras. Le jeune espion ressentit la douleur vive de la lame l’inciser. Il pouvait sentir le sang couler doucement le long de sa peau et la larme le long de sa joue. Paul regarda l’inconnu. Aucune compassion ne pouvait se lire dans ses yeux. Malgré la cagoule, Paul était persuadé qu’il souriait. L’agresseur demanda :
– Tu vois, ce n’est rien, une petite coupure. Rassure-toi, ce n’est que le début.
Paul ne put se débattre quand l’inconnu lui plongea à nouveau la tête dans l’eau. Ce fut plus court que la première fois. Lorsqu’il ressortit la tête de l’eau, Paul entendit à nouveau son agresseur murmurer, d’un air presque déçu :
– Tu vois, Paul, j’imaginais ce moment autrement. Je pensais m’amuser beaucoup plus avec toi. Mais tu es fade. Je pensais te noyer en te scarifiant mais tu n’es même pas assez intéressant pour cela. Alors je me demande encore si je vais finir ce que je voulais te faire.
Paul ne comprenait plus ce qu’on lui disait, il n’entendait que la rage dans les mots de son agresseur qui peinait de plus en plus à rester calme. Il reprit cependant :
– Je ne suis pas sûr que la tentative d’assassinat d’un élève me permette de sortir libre. Si je te laisse en vie, tu pourras parler, dire ce que tu as vu et, si on me retrouve, j’irai sans doute en prison. Le seul moyen, c’est peut-être de t’empêcher de parler.
Paul comprit ce qu’il passait. Son agresseur prenait peur et commençait à laisser passer sa rage qui l’aveuglait. Il prenait conscience de ce qu’il faisait et il savait qu’il devrait subir de lourdes conséquences. Pour Paul, ce pouvait ne pas être une bonne nouvelle car s’il voulait l’empêcher de parler, l’inconnu n’avait plus qu’un seul choix possible.
L’agresseur rangea son cutter :
– C’est bientôt terminé. Tu me promets que tu ne remettras plus les pieds ici ?
Paul hocha la tête.
L’inconnu insista :
– Si tu parles, je n’hésiterai pas la prochaine fois. Tu comprends ?
A nouveau, Paul hocha la tête.
Son agresseur hocha les épaules :
– Oh et puis merde, autant en finir maintenant.
Paul n’eut pas le temps de comprendre la phrase de son agresseur. Sa tête plongea à nouveau dans l’eau. Le jeune espion se demanda combien de temps encore on le torturerait ainsi. Il avait compris. M n’allait pas attendre de prochaine fois, il allait le tuer, ce qui lui assurerait le silence de Paul.
Le lycéen n’eut plus la force de résister. Il sentit qu’on lui arrachait son tee-shirt et qu’une main appuyait sur son torse, comme pour en faire sortir le peu d’air qu’il avait gardé dans ses poumons. L’inconnu pouvait faire ce qu’il voulait, il était trop fort pour lui. En lui tenant la bouche, il pouvait le contrôler entièrement. Il l’avait scarifié, maintenant il le noyait. Paul se sentit partir. Il tenta de se débattre une dernière fois, c’était peine perdue.
L’eau n’était plus si agressive, elle lui caressait le visage. Paul était à bout de force, il se résigna, il ne se battrait plus.
La pièce était lumineuse, faiblement décorée. Une petite table de nuit à côté du lit, une simple armoire blanche et brune face à lui, proche de la fenêtre sur laquelle deux cœurs roses en papier étaient collés.
Il faisait une chaleur agréable.
C’est d’abord son mal de tête qui fit réaliser à Paul qu’il était encore en vie.
Il émergea doucement. Il regarda autour de lui.
En plus de l’armoire, il y avait un bureau en formica et une chaise, la même que celles qu’il y avait dans la plupart des salles de classe. Couleur bois aux montants jaunes. Paul reconnut ses vêtements posés dessus. Son tee-shirt était en lambeaux.
Il avait chaud. Il sentit que son bras était compressé. Il le regarda et découvrit par la même occasion qu’il portait un pyjama bleu à carreaux qui n’était pas le sien.
Il découvrit son bras. Il portait un fin bandage au niveau du biceps.
Le jeune espion posa la tête sur l’oreiller. Il ne lutta pas lorsque ses yeux se fermèrent à nouveau.
Paul ouvrit les yeux. Le bruit de la porte l’avait réveillé. Une femme en blouse blanche se tenait devant la porte ouverte. Paul la dévisagea. Elle avait une trentaine d’années tout au plus. Brune, fine, un sourire rassurant au coin des lèvres.
Elle ferma la porte et s’approcha du lit. Ses yeux verts réconfortants se posèrent sur Paul :
– Tu es réveillé ? Comment te sens-tu ?
Paul sentit son mal de tête lancinant et une douleur dans le bras. Surtout, il était perdu. Il répondit :
– Bien, mais j’ai mal à la tête et au bras. Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Où on est ?
Paul se remémora son agression dans la piscine. Il ne l’avait visiblement pas rêvée.
La jeune femme se tourna vers le petit bureau dans la chambre. Elle prit un verre d’eau qui y était posé et fouilla la poche de sa blouse. Elle revint auprès du jeune espion :
– Je suis Marie, l’infirmière du campus. Pour la douleur, prends ça.
Elle tendit un cachet à Paul et lui donna le verre d’eau. Paul avala le médicament puis posa le verre sur la petite table de nuit.
L’infirmière reprit :
– Tu as vraisemblablement été attaqué cette nuit. C’est un élève qui m’a réveillé pour que je vienne et t’emmène ici, à l’infirmerie. Tu t’appelles Paul, c’est ça ?
– Oui.
Marie eut un léger rire :
– Il y a eu un défilé de personnes qui voulaient te voir ce matin, mais je ne les ai pas laissées entrer pour que tu puisses te reposer.
Paul garda le silence un moment et demanda :
– J’ai beaucoup dormi ?
– Tu es arrivé ici vers trois heures…
L’infirmière regarda sa montre avant de reprendre :
– Il est bientôt midi. Tu as pu récupérer un peu.
Paul commençait à reprendre ses repères. Il avait faim :
– Il faudrait que j’aille au self.
Cette phrase amusa à nouveau l’infirmière :
– Je vais t’apporter de quoi manger. C’est bon signe si tu as faim. Mais pour le moment, je ne peux pas te laisser sortir.
– Je me sens bien.
– Je sais, tu aimerais sortir, mais il faut que tu te reposes. Ce n’est pas négociable.
Paul posa la tête sur l’oreiller et regarda le plafond :
– Bon, finalement, je crois que je vais rester un peu. Mais quand est-ce que je pourrai sortir ?
– Ne t’inquiète pas, je suis certaine que tu seras en pleine forme ce soir pour profiter de la fête de Saint-Valentin. En attendant, je vais te chercher à manger.
Marie sortit de la pièce. Paul laissa son regard se perdre dans le blanc du plafond. Les questions se mêlaient dans sa tête. Il ne comprenait pas pourquoi Arthur, qui était son ami, l’avait trahi ainsi. Il n’arrivait pas non plus à savoir qui était son agresseur ni pourquoi il avait une telle haine contre lui.
Il se demanda aussi ce que cet inconnu lui avait fait lorsqu’il avait perdu connaissance. Visiblement, il n’avait aucune autre coupure.
Paul se remémora la scène. Il ne pouvait savoir qui l’avait retrouvé mais espérait que son agresseur avait été arrêté au même moment.
L’infirmière entra à nouveau. Elle tenait un plateau qu’elle déposa sur la table de nuit. Paul regarda l’assiette. Pâtes et bœuf en sauce, ce devait être le plat servi au self. Marie lui déposa des couverts et un verre d’eau :
– Ça te fera du bien. Un de tes amis est là, tu te sens assez bien pour lui parler ou veux-tu que je lui dise de repasser plus tard ?
Paul se demanda qui ce pouvait être. Certainement Damien. Il accepta avec plaisir cette visite.
L’infirmière fit un signe entendu de la tête et ressortit. Paul eut le temps de prendre une fourchetée de pâtes avant que la porte de la chambre ne s’ouvre à nouveau. Paul fut surpris de découvrir Antoine, mais cela lui fit autant plaisir. Il le salua d’un sourire amical. Antoine lui rendit et Paul crut voir les yeux de son ami briller. Il le rassura :
– Ça va, je ne suis pas mort tu sais. Je me sens même bien.
– Tu m’as fait peur. Je peux m’assoir ?
– Oui, bien sûr.
Antoine s’assit au bout du lit de Paul qui sentit la main de son ami sur sa jambe. Le visiteur lui demanda :
– Tu es sûr que ça va ?
– Oui, ne t’inquiète pas. Ça me fait plaisir de te voir.
– Moi aussi. J’ai attendu dans l’infirmerie toute la matinée.
– C’est gentil, mais les cours ?
– Je pouvais bien rater les cours une demi-journée. Et puis le mercredi…
L’inquiétude et la sensibilité de son ami touchèrent Paul.
– Il ne fallait pas t’inquiéter, vraiment.
– Les autres m’ont dit de les prévenir dès que tu serais réveillé, mais j’ai préféré te voir avant.
Paul pensa aux “autres” et se demanda si Arthur en faisait partie. Il aurait voulu poser toutes ses questions à Antoine, mais il ne saurait sans doute pas répondre.
– C’est gentil. Tu sais ce qu’il s’est passé hier ?
Antoine sembla gêné par cette question :
– Non, enfin je connais les rumeurs mais je sais qu’elles sont fausses.
– Pourquoi ?
– Tu n’avais aucune raison de… enfin tu sais bien.
Paul réfléchit :
– Non, je ne sais pas. Tu as entendu quoi comme rumeur ?
– Ce matin, avant de venir, on disait que tu avais voulu te tuer. L’autre version c’est que tu étais sorti de ta chambre et en te promenant dans les couloirs, tu avais fait une mauvaise chute. Mais je vois bien que c’est des conneries.
– Pourquoi ?
– Tu ne portes aucune marque au visage et tu n’as rien de cassé. Pour une chute, on ne t’aurait pas laissé dormir comme ça à l’infirmerie sauf pour un traumatisme crânien, ce que tu n’as visiblement pas. Pour la tentative de suicide, je n’en sais rien, mais c’est pas dans ton état d’esprit.
Paul fut impressionné par la capacité de déduction de son ami, cela lui rappela le premier cours d’indépendance, lorsqu’il l’avait connu et qu’il avait pu déceler rapidement la personnalité de Paul. Cette pensée le fit sourire :
– Tu as raison, comme d’habitude.
Antoine hésita :
– Qu’est-ce qu’il t’est arrivé ?
– Je ne sais pas vraiment en fait.
– Je comprends.
– Tu comprends ?
– Oui, tu ne veux pas m’en parler. Quoi qu’il en soit, sache que je garde toujours mes secrets, et que si un jour tu veux en parler, je serais là. Mais je me doute de ce qu’il se passe et pour être honnête, ça me fait un peu peur.
– C’est fini, ne t’inquiète pas.
– Je vais prévenir les autres ou tu veux que j’attende un peu ?
– Tu peux y aller. Mais dis-leur de me laisser un peu de temps pour déjeuner, je serai plus en forme dans un petit quart d’heure.
– Bien. Et excuse-moi par avance, je ne serai pas trop avec vous ce soir, je suis un peu fatigué par ma matinée.
Paul savait que c’était une excuse et qu’en cette soirée célébrant l’amour, Antoine préférerait la compagnie de Clément à celle de ses amis. Paul adressa un sourire entendu à son ami :
– Je sais, je te remercie.
Antoine se releva et sortit de la pièce. Paul n’avait pas imaginé que son ami soit si sensible et si dévoué pour avoir attendu toute la matinée dans la pièce voisine. Il avait dû faire preuve d’une grande conviction pour que personne ne l’envoie en cours, en particulier leurs responsables des études. Thomas Duchesne avait sans nul doute aidé Antoine dans sa requête.
Il se demanda si Arthur était toujours sur le campus, dans le groupe d’amis, et s’il allait lui aussi venir le voir. Paul ne saurait quoi lui dire. Ce qu’il avait fait était impardonnable autant qu’incompréhensible mais il ne lui demanderait rien devant les autres. Ce que Paul souhaitait, c’était une explication, seul avec Arthur, ou ne plus jamais le revoir.
Une vingtaine de minutes plus tard, on frappa à la porte. Paul répondit et la porte s’ouvrit. C’était à nouveau Marie, l’infirmière :
– Paul, tes amis sont là, je les laisse entrer ?
– Oui, j’ai fini de déjeuner.
L’infirmière prit le plateau et ressortit en laissant entrer les amis de Paul. Damien, Lucy et Antoine. Arthur n’était pas là.
Comme à son habitude, c’est Lucy qui parla la première :
– Salut Paul ! Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
– Je ne sais pas trop.
– Il parait que tu fais des sorties nocturnes…
– Oui, je dois être somnambule.
– Mais bien sûr. Paul, il faut vraiment que tu règles le problème. Ça ne peut pas continuer comme ça !
Paul fit semblant de ne pas comprendre :
– Régler mon problème de somnambulisme ? Oui, j’y penserai.
Lucy eut l’air agacée, mais, pour une fois, n’insista pas. C’est Damien qui continua, en souriant timidement :
– Encore en pyjama à cette heure-là ?
Paul s’amusa de cette remarque, de son sourire encore enfantin mais dont la franchise ne pouvait pas être feinte :
– Oui, j’ai eu la flemme de m’habiller aujourd’hui.
– Ça fait plaisir de voir que tu vas bien. On s’est inquiétés, personne ne voulait nous dire ce qu’il se passait. Enfin, on se doute bien.
– C’est terminé, ne vous inquiétez pas.
Antoine ajouta :
– Tu as l’air en forme, manger t’a fait du bien.
– Oui.
Paul ne put s’empêcher de demander :
– Et Arthur ?
Tous parurent gênés. Lucy répondit :
– Il n’a pas pu venir, il était en cours ce matin, et ce midi il a disparu.
Paul ne répondit pas. Il devenait de plus en plus évident que personne ne savait ce qu’il s’était passé ni qu’Arthur avait été complice de ce qu’il lui était arrivé.
Damien demanda :
– Tu pourras sortir quand ?
– D’après l’infirmière je devrais être avec vous ce soir.
– Tant mieux, ça te changera les idées.
– Ils ont organisé une soirée pour la Saint-Valentin alors ?
– Pas vraiment, quelques décorations mais ça s’arrête là.
Paul fut soulagé. Il n’avait qu’une envie, que la soirée fut la plus calme possible. Il n’avait finalement pas grand-chose, mais il sentait que son moral était atteint.
La porte s’ouvrit à nouveau. Thomas entra. Il était suivi de Mike. Le responsable des études regarda Paul et ses amis :
– Je suis désolé, je vais devoir vous chasser. Mais vous pourrez retrouver Paul très vite.
Damien, Lucy et Antoine saluèrent Thomas et sortirent après avoir promis à Paul de revenir bientôt.
Une fois qu’ils furent sortis, Thomas tourna la chaise sur laquelle étaient posé les affaires de Paul face au lit et s’assit. Mike resta debout devant la porte d’entrée.
Paul regarda ses deux visiteurs. La pièce resta silencieuse quelques secondes avant que Thomas ne demande d’une voix amicale et dans laquelle Paul crut déceler une pointe d’inquiétude :
– Tu vas bien, Paul ?
– Je crois.
La présence de Thomas et de Mike intriguait le jeune espion. Que l’un ou l’autre vienne prendre des nouvelles eut été sympathique, mais que les deux entrent en demandant qu’il n’y ait personne d’autre dans la pièce n’était pas rassurant. Paul demanda :
– J’imagine que vous ne venez pas simplement pour me demander si ça va ? Si ça peut vous rassurer, je n’ai pas voulu me suicider.
Mike resta silencieux. Il respectait trop la hiérarchie pour se permettre de parler avant Thomas :
– Je sais. Mais on ne peut pas empêcher les rumeurs de courir, surtout lorsque tu en es le sujet.
– Donc vous savez ce qu’il s’est passé ?
– Non, il va falloir que tu nous le racontes.
Paul était de plus en plus intrigué par la présence de Mike. Il était toujours là où on ne l’attendait pas et à cet instant, Paul eut l’impression qu’il s’occupait de beaucoup de choses, y compris lorsque ça ne le concernait pas. Il se remémora aussi les avertissements de Lucy. Paul dut réfléchir un instant pour s’assurer que Mike n’était pas l’homme cagoulé qui l’avait agressé dans la nuit. C’était impossible, les yeux de l’inconnu n’étaient pas les mêmes que ceux de Mike. Paul interrogea Thomas :
– Pourquoi Mike est là ?
– Parce que c’est grâce à lui que tu es là.
Mike s’avança et osa enfin prendre la parole :
– Cette nuit, Arthur est venu me voir, dans ma chambre. Il avait dû courir. Il m’a dit que tu étais sorti de la chambre et que tu te rendais à la piscine et qu’il s’inquiétait pour toi. Il m’a presque supplié d’aller voir. Lorsque je suis arrivé, j’ai vu ce qu’il t’arrivait, qu’on essayait de te noyer et je suis intervenu.
Paul voulut répondre qu’Arthur savait très bien ce qu’il s’était passé, que c’était par sa faute qu’il était allé dans cette piscine. Il pensa un instant qu’Arthur était un vrai salop. Il préféra se concentrer sur l’essentiel de ce moment et demanda à Mike :
– Alors tu l’as arrêté ?
L’élève de quatrième année fut gêné :
– Non… lorsqu’il m’a vu, il s’est enfui. J’ai voulu lui courir après mais ma priorité était de voir si tu allais bien. J’ai dû faire un choix et j’ai choisi de le laisser filer pour m’assurer que tu sois soigné au plus vite. J’ai appelé l’infirmière et nous t’avons conduit ici.
Thomas intervint :
– N’en veux pas à Mike, il a fait ce qu’il fallait.
Évidemment, il avait fait le bon choix et Paul ne lui en voulait pas. Il était déçu de ne pas avoir de réponse. Et en colère après Arthur qui passait pour le bon ami alors que tout était sa faute. Thomas, devant le silence de Paul, reprit :
– Il faut que tu nous dises ce qu’il s’est passé, Paul. C’est très grave et il va falloir trouver celui qui t’a fait ça.
– Je ne sais pas qui c’est.
– Il n’y a pas un détail qui t’a marqué ?
– Non, je n’ai vu que ses yeux. Il avait les yeux noirs, un peu plissés.
– Un homme ?
– Oui.
– C’est maigre. Tu as entendu sa voix ?
– Oui, mais elle était très classique. Rien de particulier qui puisse me faire penser à quelqu’un. Il n’était pas très jeune.
– Il t’a dit quelque chose de particulier ?
Paul tenta de se remémorer ce que l’homme lui avait dit mais ce fut compliqué. Un souvenir lui revint cependant :
– Il disait que j’étais un traitre. Que j’étais né comme ça et que j’allais payer parce que j’étais un traitre. A part ça, il me menaçait et disait qu’il allait s’amuser avec moi.
Thomas et Mike se regardèrent. Ils semblaient en pleine réflexion. Paul mit fin à ce silence :
– Vous avez une idée de qui c’était ?
Thomas sortit de son silence :
– Non. Je ne vois pas pourquoi quelqu’un t’accuserait d’être un traitre. Mais j’aimerais savoir pourquoi tu es allé dans cette piscine en pleine nuit.
Thomas posait toujours les bonnes questions. Paul allait répondre, expliquer que c’était Arthur qui l’avait entrainé là-bas. Mais il se ravisa. Il voulait comprendre pourquoi son ami avait fait cela, et il voulait l’entendre par l’intéressé. Il fallait être évasif :
– J’ai eu un pressentiment.
Thomas n’en demanda pas plus. Paul savait que le responsable des études n’était pas satisfait de cette réponse et qu’il n’en croyait pas un mot. Cependant, il sentit la main de Thomas se poser sur sa jambe avant de répondre :
– Je vais te laisser, tu as besoin de te reposer. Si jamais tu as besoin de me voir, ou si un détail te reviens, viens me trouver.
Paul remercia Thomas et le regarda s’éloigner puis quitter la pièce. Mike resta devant Paul et lui demanda :
– Ça ne s’est pas vraiment passé comme ça, hein ?
– De quoi ?
– Tu n’y es pas allé juste parce que tu avais eu un pressentiment, tu n’y serais jamais allé seul.
Paul pensa qu’être dans une école d’espions pouvait parfois être un inconvénient et ne répondit pas. Mike continua :
– Paul Osinski. Je ne sais pas pourquoi celui que tu as vu cette nuit disait que tu étais un traitre. Ce que je sais, c’est que cette situation n’a que trop durée.
Paul sentit son cœur s’accélérer. Il se demanda si Mike n’était pas l’auteur des lettres. Il aurait très bien pu envoyer quelqu’un à la piscine à sa place et se disculper en passant pour le sauveteur de Paul. Sa dernière phrase était mystérieuse. Paul hésita :
– Que veux-tu dire ?
– Thomas a toujours voulu te protéger. Avant la rentrée déjà, il nous avait annoncé ta venue en nous précisant que tu étais un élève particulier, sans plus d’explication. Mais ton nom est bien connu ici. Je ne sais pas si c’est ta famille, mais Osinski, tous les professeurs, tous les anciens élèves, tous ceux qui s’intéressent un peu à l’histoire de l’espionnage de ces dernières années en ont entendu parler.
Paul ne comprenait pas. Il avait l’impression que Mike parlait d’une autre personne. Il était un élève comme les autres, il n’y avait aucune raison qu’il ait eu un traitement particulier. Devant son silence et son air ébahi, Mike continua :
– Mais c’est évident maintenant. Tes résultats, tes intuitions, ta popularité. Tout le monde t’apprécie, et ceux qui ne t’apprécient pas, ce n’est que par jalousie… Á part celui qui veut te tuer, bien entendu. Il n’y a qu’à te regarder pour comprendre en fait.
Paul recevait les mots de Mike comme des coups de massue. Il tenta de réagir :
– Je ne comprends pas ce que tu me dis. Tu sais qui a voulu me tuer ?
– Non, je ne sais pas. Mais je ferai tout pour le découvrir. Thomas fera tout son possible aussi, tous ceux qui sont au courant de ce qu’il s’est passé le feront.
– Et pourquoi je suis si spécial, alors ?
– Tu es le fils de Frank Osinski, c’est ça ?
Paul dut garder la bouche ouverte plusieurs secondes. Il ne comprenait rien, encore moins comment son père pouvait être lié à cette école ou à l’attaque de cette nuit. Mike attendait une réponse :
– Paul ? Désolé, je n’aurais dû rien dire…
– Pourquoi… tu me parles de mon père ?
Un sourire illumina le visage de Mike :
– Ton père, c’est une légende ici. Le meilleur espion qu’on ait jamais connu. Ici, le nom d’Osinski est bien plus connu que celui d’Anthony Blunt ou de Lucien Dumais, qui eux sont au programme.
– Mon père n’a rien d’un espion.
– C’est le propre de son travail, non ?
Paul réfléchit. Son père était en effet insoupçonnable, mais il ne pouvait pas être un espion. Il avait sa vie avec sa femme et son fils, il partait au travail le matin et revenait le soir, depuis trois ans il travaillait même à une demi-heure de leur appartement. Il gagnait bien sa vie, sans pour autant être extrêmement riche. Il n’avait rien d’un James Bond, ni même d’un Ethan Hunt.
Mike poursuivit :
– Il a cessé le terrain très jeune, il y a un peu plus de quinze ans. Je crois que je comprends maintenant en te voyant les raisons de son départ. Il est devenu prof ici, puis responsable des études. Ses élèves le respectaient. Sa pédagogie était exceptionnelle. Il a eu des élèves que tu connais bien, qui sont ici, qui ont tout appris avec lui, des élèves comme Thomas. Lorsque j’étais en première année, Frank Osinski était mon responsable d’études. On le pressentait pour être directeur mais il a refusé et il est parti, dans un autre service. Alors quand tu es arrivé ici, quand j’ai appris ton nom, je n’ai pu m’empêcher de faire le lien…
– Et c’est pour ça que tu m’as regardé bizarrement ?
– Oui, bien sûr. Quand on s’est vu au foyer, c’est en prononçant ton nom que j’ai compris. Bizarrement, je n’avais pas tilté à la rentrée. Tu sais tout maintenant, mais je n’aurais rien dû dire. Tu es libre de faire ce que tu veux mais je pense que si on apprend que je te l’ai dit… Je ne serai plus là en cinquième année.
– Pour avoir dit la vérité ?
– Tu es encore en première année, mais tu apprendras qu’un ordre est un ordre et qu’un ordre débile est un ordre quand même. Je ne peux que te conseiller de ne pas trop te vanter de ton paternel. Mais je sais déjà que ce ne sera pas le cas.
– Je ne dirai rien et tu seras là en cinquième année. Je te remercie de m’avoir tout dit même si… C’est bizarre.
– Je pense qu’il fallait que tu le saches. Remet-toi Osinski, repose-toi et ne cède pas. On a besoin de toi ici.
– Merci Mike.
Mike acquiesça et sortit de la pièce.
Paul se retrouva seul. Il resta allongé sur le dos, à contempler le plafond de sa chambre. Il fut d’abord incapable de penser puis les mots de Mike résonnèrent. “Ton père, c’est une légende“. Paul en voulait à la terre entière. A son père de ne lui avoir rien dit, à Thomas d’avoir gardé ce secret, à tous ceux qui connaissaient la vérité. Pour Paul, ce qui lui était arrivé, c’était leur faute, à tous.
Paul se refit l’histoire de son père. Il était un grand espion qui avait arrêté il y a un peu plus de quinze ans, à la naissance de son fils. Il était devenu enseignant et avait formé Thomas. Paul se demanda quel âge pouvait avoir Thomas, certainement vingt-cinq ans, donc quinze ans auparavant il avait une dizaine d’années. Ça ne tenait pas debout mais, si cela avait été le cas, il avait donc toujours connu son père. Puis, Frank avait changé de travail trois ans plus tôt, lorsqu’il avait cessé d’être responsable d’études sur le campus, pour travailler dans “Un autre service“. Il était donc toujours dans les services d’espionnage. En dehors de l’âge de Thomas, tout devenait logique. Paul avait même remarqué que Frank avait été amical avec Thomas lorsqu’ils s’étaient rencontrés avant les vacances d’hiver.
Deux questions restaient sans réponse pour Paul. Il n’arrivait pas à savoir pourquoi on lui en voulait tant si son père avait été un bon espion et surtout qui pouvait lui en vouloir. Frank, d’après Mike, n’avait rien d’un traitre, contrairement à ce qu’avait dit l’inconnu.
La réflexion fut trop dure pour Paul. Il se sentit fatigué. Il devait dormir encore un peu mais les questions l’obsédaient. Elles se mélangeaient.
Il se força à penser à autre chose, à tout oublier. Il réussit à s’endormir.
Lorsque Paul se réveilla, il se sentit reposé. Il repensa à ce que lui avait dit Mike et relativisa. Si son père avait été le grand espion que Mike avait dépeint, cela ne devait pas empêcher Paul de continuer sa scolarité à sa manière. Son nom ne lui donnerait pas le diplôme.
L’après-midi était déjà bien avancé. Le jeune espion se leva. Il sentit un vertige et resta sur place une seconde avant d’aller prendre ses vêtements pour s’habiller.
Il regarda la pièce, il semblait ne rien oublier. Il sortit et se retrouva dans un petit couloir blanc et jaune avec cinq portes. Au bout du couloir, l’ouverture laissait entrevoir une pièce plus grande qui devait être l’accueil de l’infirmerie. Paul traversa le corridor et s’y dirigea. Quelques chaises, une table basse, deux plantes vertes, un comptoir et Marie.
Paul s’approcha d’elle :
– Je crois que je suis assez en forme pour sortir.
L’infirmière releva la tête :
– Tu n’aurais pas dû te lever Paul. Mais je suis contente que tu te sentes mieux. Attends sur une chaise, je vais te laisser sortir dans une minute.
Paul regarda la demi-douzaine de chaises et s’assit au milieu. Marie quitta son comptoir et disparut dans une des chambres.
Quelques secondes plus tard, elle revint, s’assit à son poste et écrivit quelques mots sur son clavier d’ordinateur. Elle releva la tête vers Paul :
– Tu te sens bien ?
Paul fit l’inventaire et répondit par l’affirmative. L’infirmière poursuivit :
– Tu n’as plus mal à la tête ?
– Non, tout va bien.
– Bien.
La porte de l’infirmerie s’ouvrit, Thomas apparut :
– Re-bonjour Paul. Je suis ravi de voir que tu vas mieux. Madame Satin, je vais m’occuper de lui, merci pour votre travail et j’espère que vous allez pouvoir vous reposer.
L’infirmière répondit par un sourire, ce type de sourire gêné et timide. Elle appréciait visiblement le directeur des études de première année.
Paul se leva et suivit Thomas pour passer la double porte d’entrée.
Le bâtiment de l’infirmerie était entre la piscine extérieure et la forêt. Paul marcha sur les quelques mètres du couloir extérieur, couvert par un toit soutenu par huit piliers blancs à la base entourée de peinture bleu clair.
Paul marchait à côté de Thomas. Il repensait à ce que Mike lui avait dit. Il repensait à son père qui avait été le professeur de Thomas pendant toute sa scolarité. Il se demandait si Thomas avait été bon élève, s’il avait apprécié son père en tant que professeur. Une question lui trottait en tête :
– Je peux vous poser une question ?
Thomas Duchesne s’arrêta et se tourna vers son élève :
– Oui ?
– A quel âge vous avez commencé à vous intéresser à l’espionnage ?
Le responsable des études ne s’attendait visiblement pas à cette question et sembla hésiter avant de répondre :
– Eh bien… Je crois que c’est arrivé comme ça, quand j’étais très jeune, trop jeune pour que je m’en souvienne.
– Vous avez étudié à l’Aigle… jeune ?
Thomas sourit. Paul comprit que son responsable des études savait d’où venait cette question. Il s’en voulait, il risquait de causer des problèmes à Mike. Pourtant, il fut vite soulagé lorsque son responsable des études, reprenant sa marche, répondit :
– J’ai commencé à neuf ans. J’imagine que tu as appris cela par Mike, il ne peut pas s’empêcher de rappeler que j’ai été le plus jeune élève ici, mais ça n’a rien à voir avec votre scolarité. J’ai suivi d’autres types de cours.
Paul voulut en savoir plus mais se ravisa, il avait été assez curieux comme cela. Il avait la réponse à sa question et insister aurait mis son responsable des études mal à l’aise, en plus de compromettre le secret qu’avait confié Mike.
Thomas restait silencieux. Paul aurait voulu savoir à quoi il pensait. Ils rejoignirent la cour principale qu’ils traversèrent sous le regard des quelques élèves qui avaient terminé les cours. Dans quelques minutes, cette cour serait pleine.
Paul pouvait deviner les pensées des autres élèves. Ils devaient penser que c’était lui, l’élève qui était sorti dans la nuit. Ils avaient déjà dû entendre les rumeurs.
Thomas ouvrit la porte du bâtiment de la direction puis monta jusqu’à son bureau. Il fit signe à Paul d’entrer et de s’asseoir. Il prit place face à lui. Thomas avait l’air fermé. Il n’avait pas dit un mot depuis les questions de Paul. Il laissa quelques secondes passer avant de déclarer :
– Paul, je vais être direct, je sais que tu me caches quelque chose. Tu n’es pas sorti simplement sur un pressentiment. Je ne vais pas te forcer à me dire ce qu’il s’est réellement passer mais si tu veux que je t’aide, il va falloir aussi y mettre du tien. Pour le moment, j’aimerai que tu ne te promènes pas la nuit seul dans le campus. Reste avec tes amis, cela semble la meilleure défense le temps que nous trouvions celui qui était avec toi cette nuit. S’il le faut, nous installerons des caméras devant ta chambre.
Le jeune espion avait envie de répondre, de dire la vérité sur pourquoi il s’était trouvé dans la piscine, mais il préféra garder le silence. Il savait qu’il serait bientôt avec Arthur et qu’il pourrait lui demander des comptes. Ensuite, il pourrait raconter la vérité. Ce qui l’embêtait le plus était que Thomas savait bien qu’il y avait une explication que Paul gardait pour lui. Perdre la confiance de son responsable des études était une chose que Paul redoutait. Cependant, Thomas lui aussi, avait ses secrets.
Le jeune espion avait promis à Mike de ne rien dire au sujet de son père. Il ne pouvait pas non plus parler d’Arthur. Il répondit enfin à Thomas :
– Je ne me souviens pas de tout, mais si ça me revient je viendrais vous voir.
– J’espère bien. Il va être l’heure du diner, va retrouver tes amis qui doivent déjà être en bas. Tu peux compter sur nous pour te protéger.
Paul se releva. Il remercia Thomas et lui promit de revenir le voir au moindre problème ou au moindre indice.
Il sortit du bureau. Il ne put s’empêcher de regarder dans toutes les directions, s’assurant que personne n’était là, pour le surveiller ou l’attaquer.
Damien, Lucy et Antoine étaient en effet au réfectoire où Paul les retrouva. Ils étaient tous heureux de le revoir.
Paul s’assit avec eux. Il se sentait étrangement bien.
Arthur avait décidé de ne pas diner avec eux ce soir, il avait prétexté vouloir se coucher tôt. Paul savait qu’il ne faisait que retarder le moment de sa rencontre avec lui.
Malgré les questions de ses amis, Paul n’en dit pas plus sur la nuit qu’il avait passée et son agression. Il n’avait pensé qu’à cela toute la journée et ils connaissaient déjà le principal. Maintenant, il voulait penser à autre chose, pour oublier et revenir dans la réalité.
Le repas terminé, Damien, Antoine et Lucy proposèrent de continuer la soirée au foyer. Pour Paul, ce n’était pas l’endroit rêvé. Il était fatigué et se sentait encore faible.
C’était aussi l’occasion de se retrouver seul avec Arthur et de pouvoir parler avec lui avec franchise.
Paul s’excusa auprès de ses amis qui le regardèrent partir vers les chambres. Paul avait deviné leur inquiétude mais il ne risquait rien. A cette heure, juste après le repas, les élèves étaient nombreux dans les couloirs du campus. La chambre était un endroit où Paul savait qu’il pouvait être en sécurité.
Paul s’arrêta un peu avant d’arriver en haut de l’escalier menant à sa chambre. Il ne savait pas quoi dire à celui qui avait été son ami. La cohabitation risquait d’être compliquée. Son cœur se serrait. Il avait une boule dans la gorge. Il déglutit difficilement et se décida à monter les marches restantes.
Il traversa le couloir et arriva devant sa chambre. Un vigile était posté un mètre plus loin. Thomas Duchesne avait tenu parole et la chambre de Paul était maintenant bien gardée.
L’étudiant s’arma de courage pour poser la main sur la poignée et entrer.
Paul avança dans le court couloir menant aux lits. Arthur était allongé sur le dos, sur son lit. Il fixait le plafond et ne prit pas la peine de regarder Paul entrer et s’asseoir sur son lit.
Paul ne savait pas par où commencer. Arthur lui facilita la tâche :
– Alors tu n’es pas mort finalement ?
La discussion commençait mal. Paul préféra ignorer cette remarque et entra dans le vif du sujet :
– Pourquoi tu as fait ça ?
– J’ai pas envie d’en parler, surtout pas avec toi. Je ne comprends même pas pourquoi tu es venu.
Il semblait clair maintenant qu’Arthur en voulait à Paul qui continua :
– C’est ma chambre. Enfin bref, tu préfères que je voie ça avec Thomas directement ?
Arthur se redressa et s’assit, les yeux vers le sol. Il releva la tête et croisa le regard de Paul un instant avant de baisser à nouveau la tête et de demander :
– Tu ne lui as encore rien dit ?
Paul comprit la raison de l’agressivité d’Arthur. Il se défendait. Il avait dû penser que ses heures sur le campus étaient comptées, que Paul avait raconté ce qu’il avait vécu et comment Arthur l’avait conduit dans ce piège. Si cela avait été le cas, Arthur aurait été interrogé et n’aurait certainement pas pu finir l’année. Paul s’expliqua :
– Non, je n’ai pas encore parlé de comment je suis arrivé dans la piscine. J’ai parlé d’un pressentiment. Mais bien-sûr, il ne m’a pas cru.
– Il n’a pas insisté pour connaitre la vérité ?
– Non. Je voulais te parler avant de faire un choix. J’aimerai comprendre.
Arthur sembla s’emporter de nouveau :
– Il n’y a rien à comprendre ! Tu n’es pas le centre du monde !
Paul ne parvint pas à garder son calme :
– Non, mais quand on m’emmène me faire tuer, je me dis que j’ai le droit au moins à une explication ! Putain Arthur, tu comprends ce que je te dis ? Tu m’as emmené me faire tuer ! Tu m’as regardé me faire trainer pour me faire noyer, tu as regardé sans rien dire ! Tu as juste obéi quand on t’a dit de partir et de ne rien dire.
– Je suis allé voir Mike !
– Et tu lui as menti, oui, je sais ! Le temps qu’il arrive, j’aurais pu crever dix fois !
– Mais tu t’en es sorti, M a dû être arrêté, ça va !
Paul se leva comme dans un réflexe, sans contrôler ses mouvements, il frappa du poing sur le bureau d’Arthur et en fit tomber une pile de feuille avant de ses retourner vers son ami. Paul sentit son cœur s’accélérer, il avait envie de se jeter sur Arthur, l’étrangler, laisser sa rage s’exprimer et ne pas se contenir. Il cria :
– Comment tu peux dire ça ?
Arthur le regarda fixement. La peur se lisait sur son visage. Il avait peur que Paul s’en prenne à lui mais ce dernier savait que cela n’arrangerait rien. Il préféra masquer sa colère et ajouter d’une voix la plus calme possible :
– Arthur… ça ne va pas, on a essayé de me tuer et c’était ta faute. En plus, M n’a pas été arrêté.
Arthur sembla prendre conscience de ce que Paul lui reprochait. Il baissa les yeux, Paul reprit :
– J’ai besoin de savoir, Arthur. Nous étions amis et je n’ai pas compris pourquoi tu as fait ça.
D’une voix plus douce, Arthur répondit :
– Tu sais, les lettres que tu as reçues ?
– Celles signées d’un ‘M‘ ?
– Oui.
Arthur plongea la main dans son sac et sortit deux feuilles soigneusement pliées. Il les tendit à Paul :
– Tiens, lis-ça.
Paul prit les deux lettres des mains d’Arthur et les déplia. Il lut à haute voix la première :
– Bonjour Arthur. Le 13 février à deux heures du matin, Paul sera dans la piscine. Il le sera car tu le conduiras là-bas. M.
– Lis la deuxième.
Paul prit la deuxième feuille :
– Arthur, demain soir, comme convenu, je t’attends à la piscine. Installe-toi sur les gradins. Si Paul n’y est pas, je saurai vous retrouver, tous les deux. M.
Paul releva la tête vers Arthur. Il ne savait pas quoi lui dire. Il n’avait pas pu faire face à la pression et avait eu peur. Tout devenait évident. Paul lui en voulait mais commençait à le comprendre. Il lui demanda :
– Tu ne sais toujours pas qui c’est ?
– Non, je ne l’ai pas vu plus que toi. Excuse-moi Paul, j’ai eu peur, il m’en aurait voulu à moi. Je ne suis pas comme toi…
– Ouais… Peut-être.
Le silence se fit et Arthur le brisa :
– Je crois que je vais aller me coucher.
Paul répondit sans conviction :
– Ok, bonne nuit.
Paul ressortit de la chambre et descendit dans la cour.
Il comprenait la réaction d’Arthur mais n’arrivait pas à le pardonner. Il lui en voulait pour ce qu’il avait fait, de ne pas lui en avoir parlé avant. Il se demandait si leur amitié survivrait à cette épreuve et comment la situation allait évoluer.
Alors qu’il s’était décidé à rejoindre ses amis, Paul se résigna. Il remonta dans sa chambre. Arthur dormait déjà.
Paul prit une longue douche puis se coucha. Il entendit vaguement la porte de la chambre s’ouvrir au moment où il s’endormait.
Il se réveilla en sursaut. Tout était sombre. La chambre était faiblement éclairée par la lumière de la lune passant par la fenêtre. Il avait dû dormir quelques heures.
Le jeune espion regarda la pièce. Une ombre se tenait, grande, droite, immobile, devant lui. Impossible de dire si c’était un homme ou une femme.
Le bras, long, tendu et ferme de la masse noire agrippa Paul par l’épaule. Impossible de se débattre. Paul fut pris de panique. Il sentit la sueur perler sur son front. Il partit en avant, une paume inconnue sur ses lèvres.
Il regarda ses deux amis. Ils ne bougeaient plus. Il était impossible de savoir s’ils dormaient profondément ou s’ils étaient morts.
Doucement, Paul fut trainé hors de la pièce, les jambes glissant sur le couloir du deuxième étage du bâtiment des chambres.
Personne pour l’aider. Il voulut crier mais c’était impossible. Le vigile n’était plus là.
Il arriva au rez-de-chaussée, puis dans la cour qu’il traversa, toujours trainé par la masse de son ravisseur.
Il contourna le bâtiment, arriva devant la grande forêt, au fond du parc. Il fut trainé encore quelques mètres. Les arbres, immenses, entouraient le jeune espion. La main se détacha de ses lèvres, Paul fut propulsé vers l’avant. Il tomba et se retourna. L’inconnu lui faisait face, prêt à fondre sur lui. Paul était tétanisé. Il regardait les deux yeux perçants, seule trace d’humanité au milieu d’une cagoule noire. Tout était silencieux, les bâtiments étaient loin. Même la faune semblait s’être sauvée. Personne ne viendrait le sauver cette fois, personne ne l’entendrait crier.
L’inconnu plongea la main dans sa poche et sortit un objet métallique que Paul n’eut aucun mal à reconnaitre. Un revolver au canon démesuré.
L’inconnu retira doucement la cagoule qui lui masquait le visage. Paul se raidit. Son père, Frank, le pointait de son arme. Il ouvrit la bouche :
– Tu n’es pas digne de mon nom.
Aucun sentiment ne pouvait se déceler dans sa voix qui avait été presque robotique.
Paul regarda le doigt de son père sur la détente. Il appuyait lentement. Il était évident qu’il ne raterait pas sa cible. Le son assourdissant arriva aux oreilles de Paul.
Paul n’eut qu’un sursaut. Un léger cri sortit de sa bouche. Il faisait jour.
Il entendit la voix de Damien :
– Ça va ?
Il fallut quelques secondes à Paul pour réaliser qu’il était dans son lit, trempé de sueur. Il répondit à son ami :
– Oui, cauchemar.
– Ha, ça arrive. Tu veux me raconter ?
– Ça n’en vaut pas la peine je pense. C’était idiot.
Damien haussa les épaules :
– Comme tu veux. Dépêche-toi, on a cours aujourd’hui.
Paul regarda l’heure. Il avait plus d’une heure pour se préparer. Il regarda le lit vide d’Arthur et demanda à Damien :
– Arthur est déjà sorti ?
– Oui, il m’a dit qu’il avait faim, il est parti au self. Il est bizarre en ce moment.
Paul ne répondit pas. Il se prépara et, accompagné de Damien, se rendit au réfectoire. Arthur était là, assis devant une table, les attendant souriant. Son plateau était bien rempli. Paul le salua et s’assit face à lui, comme un réflexe. Un silence pensant se fit sentir.
Paul comprit le message d’Arthur, il voulait faire bonne figure et faisait un pas vers lui. Pour Paul, il fallait faire un choix, continuer à lui montrer qu’il était fâché ou jouer le jeu. Il regarda celui qui l’avait trahi dans les yeux :
– Salut Arthur, tu as bien dormi ?
Paul avait choisi son camp. Il était toujours fâché mais il savait que leur amitié pouvait subsister. Cela ne lui prendrait que du temps.
Un sourire illumina le visage d’Arthur :
– J’ai connu mieux. Et toi ?
– Visiblement, on a passé la même nuit…
Pour Paul, l’objectif était de trouver qui était ‘M‘. Il se demandait s’il tenterait à nouveau de l’attaquer. Il semblait évident que le jeune espion n’était plus en sécurité. Mais on veillait sur lui, il le savait et il éviterait de se retrouver seul.
Thomas passa devant leur table et salua les trois espions. Le jeudi s’annonçait bien malgré la fine pluie de février qui couvrait le campus.
La fin de la semaine annonça le début des vacances.
C’est sous un temps pluvieux que Paul retrouva ses parents. Il monta à l’arrière de la voiture. Ses parents, en particulier sa mère, lui posèrent les questions habituelles. Paul leur dit que tout allait bien. Il ne voulait ni les inquiéter ni risquer de changer d’école.
Paul regarda en direction de son père. Si Mike avait dit vrai, Paul avait du mal à réaliser qu’il avait devant lui un homme qui cachait tout sur sa profession à sa famille, à sa femme et à son fils. Un homme qui avait freiné sa carrière pour le bien être de celui qui était né près de dix-sept ans auparavant. Il se demanda si c’était son père qui avait demandé à Thomas de le recruter. S’il avait orchestré l’entrée de Paul dans cette école. Il se demanda s’il allait être à la hauteur de son père et si, lui aussi, il devrait faire des choix plus tard. Si son père était un espion, Paul voulait lui prouver qu’il serait encore meilleur. Il fallait trouver un plan, découvrir discrètement la véritable occupation de Frank.
Paul n’avait pas détourné le regard de son père qui s’en aperçut. Il regarda son fils par le rétroviseur intérieur :
– Ça va, Paul ? Tu as l’air perdu dans tes pensées !
Paul réalisa que son père lui parlait :
– Oui, tout va bien, un peu fatigué !
– Le programme est dur ?
– Oui, enfin tu sais ce que c’est…
– La seconde ? Oui, c’est une année charnière. D’ailleurs tu sais ce que tu feras l’année prochaine ? Il faut penser à ta filière
– J’espère pouvoir faire S.
Paul savait que son père souriait. C’est toujours ce qu’il avait conseillé à son fils.
Chez lui, Paul retrouva rapidement ses marques. Il commençait à se faire à l’alternance entre les périodes sur le campus et les vacances, pendant lesquelles il retrouvait son appartement. Les petits changements qu’il retrouvait à chaque fois ne lui faisaient plus penser qu’il partait longtemps.
Pendant ces vacances, Paul était décidé à avoir une conversation avec son père. Il voulait être sûr que Mike lui avait dit la vérité, l’entendre de la bouche de son père et savoir pourquoi il ne lui avait rien dit pendant toutes ces années. Paul avait l’impression que son père l’avait privé de partager quelque chose d’important avec lui et cela le frustrait et le décevait.
Le lundi, Paul se réveilla à sept heures, comme son père qui fut étonné de le voir debout si tôt.
Ils partagèrent un petit déjeuner et Frank sortit de l’appartement comme à son habitude, un peu avant huit heures.
Dès qu’il fut parti, Paul lui emboîta le pas. Il savait que son père prenait le métro et se permettait de le perdre de vue régulièrement. L’important était de ne pas se faire repérer.
Frank s’engouffra dans un métro. Paul monta discrètement dans le wagon suivant.
Le jeune espion eut un coup de chance, son père lui tournait le dos. Paul put observer à l’approche de chaque station si Frank s’apprêtait à descendre.
Ce ne fut pas le cas pendant une demi-douzaine d’arrêts.
Paul le vit se préparer à l’approche d’une nouvelle station. Il vérifia que son père fut bien descendu et attendit la sonnerie annonçant la fermeture imminente des portes. Il se précipita à l’extérieur.
Le lycéen repéra son père qui se pressait déjà dans l’escalier menant à la sortie.
A une distance raisonnable, et profitant du monde en ce lundi matin pour se cacher, le jeune espion suivit son père jusqu’à l’extérieur.
Une fois à la surface, il était plus compliqué pour Paul de se faire discret. Les passants se dispersaient et il n’y eut bientôt plus grand monde entre son père et lui. L’avantage était que Paul pouvait s’éloigner un peu plus.
La filature fut brève. Frank tourna une fois à droite puis deux fois à gauche avant d’arriver devant une grille noire qui protégeait une cour puis un grand bâtiment ancien. Paul vit son père disparaître par la grande porte.
Le jeune espion attendit quelques secondes et s’approcha doucement. Il s’assura que son père n’était pas dans la cour et observa le bâtiment.
C’était un bel hôtel particulier, sans signe distinctif.
Á côté de la porte, un petit interphone sans nom ni inscription. Il était impossible de savoir ce qui se trouvait derrière la porte ni s’il s’agissait bien d’un bâtiment servant aux espions français.
Paul fit demi-tour s’apprêtant à partir sans le moindre indice lorsqu’il se retrouva face à un homme, grand, vêtu d’un costume sombre et d’une chemise blanche. L’inconnu dévisagea l’adolescent :
– Vous cherchez quelque chose jeune homme ?
Paul hésita, mais c’était l’occasion ou jamais d’en apprendre un peu plus :
– Je me demandais ce que c’était, ici.
L’homme resta impassible :
– Ce sont des bureaux.
– Ah, de quelle entreprise ?
– De plusieurs entreprises, je ne les connais pas toutes.
– Mais on ne peut pas rentrer ?
– Vous travaillez ici, vous avez rendez-vous ?
Il aurait été risqué de répondre par l’affirmative, surtout que Paul avait déjà dit qu’il ne savait pas ce qu’abritait le bâtiment.
– Non.
– Alors vous avez votre réponse.
Paul fut vexé par cette réplique. Il tenta à nouveau :
– Mon père travaille ici.
L’homme changea de visage. Il semblait maintenant suspicieux :
– Votre père ? Comment s’appelle-t-il ?
Avant que Paul ne puisse répondre, quelqu’un coupa la conversation :
– Paul ? Qu’est-ce que tu fais là ?
Paul se retourna et reconnut son responsable d’études, Thomas Duchesne.
L’inconnu s’adressa à Thomas :
– Visiblement vous vous connaissez, je vous laisse discuter.
L’homme passa devant le jeune espion et entra dans la grande cour. Paul répondit à Thomas :
– J’étais dans le quartier, je regardais ce bâtiment que je ne connaissais pas. Vous savez ce que c’est ?
Thomas eut l’air gêné par cette question. Il répondit vaguement :
– Non, je passe rarement par ici.
– Vous allez où ?
Paul s’étonna lui-même d’avoir posé cette question indiscrète. Thomas ne releva pas et répondit :
– Je vais à la station de taxi un peu plus loin. D’ailleurs je suis en retard. Nous nous voyons à la rentrée !
Thomas s’éloigna. Paul était persuadé que sa présence n’était pas une coïncidence. Le jeune espion était même persuadé que Thomas serait lui aussi rentré dans le bâtiment s’il n’avait pas croisé son élève.
Pour Paul, il n’y avait plus rien à faire devant ce bâtiment. Il avait compris qu’on ne lui donnerait pas de réponse et attendre de voir si Thomas revenait était un risque de se faire repérer. Il allait devoir affronter directement son père. Il rentra, imaginant comment aborder ce sujet, sans trouver la moindre piste.
Le soir même, pendant le repas, Paul chercha à nouveau un moyen d’entamer la conversation. Mais la présence de Maude l’empêcha de le faire librement. Il ne savait pas si Frank lui avait à elle aussi caché sa véritable activité.
Paul était maintenant persuadé que Mike lui avait dit la vérité, mais le silence de son père à ce sujet l’intriguait et il voulait des réponses.
Après le dîner, Frank et Maude s’installèrent dans le salon. Encore une fois, il était impossible pour Paul d’avoir une discussion avec son père.
Un peu plus tard cependant, l’occasion se présenta. Maude partit du salon pour aller dans la salle de bain. Paul en profita pour s’installer dans un fauteuil proche de son père. Il fallait maintenant se lancer.
Paul hésita, réfléchit à sa phrase puis osa :
– Pourquoi tu ne m’as rien dit ?
Frank tourna la tête vers son fils, surprit par cette question :
– Á quel sujet ?
Un silence. Paul tourna sa phrase mais il était trop tard pour faire machine arrière :
– L’Aigle, tu connaissais déjà avant que j’y aille.
– Ah ?
Cette réponse n’avait pas été celle attendue par Paul et il ne savait maintenant plus comment continuer la conversation. Ce ‘Ah‘ l’avait décontenancé. Frank aurait pu avouer ou nier, mais non, il avait laissé Paul dans le doute, obligé d’avancer un argument supplémentaire, permettant à son père de savoir ce qu’il savait exactement. Paul en était certain, cette réponse, d’apparence si anodine, avait été parfaitement réfléchie.
Le jeune espion reprit ses esprits :
– Tu étais élève là-bas. Je le sais.
– Comment tu le sais ?
Un aveu. Frank n’avait pas nié, mais il ne répondait pour le moment que par des questions, c’était tout sauf simple.
Paul hésita entre vérité et mensonge :
– On me l’a dit, et j’ai bien vu que lorsque je donnais mon nom, on me regardait parfois bizarrement.
Paul était décidé à ne pas parler des menaces qu’il avait reçues.
Frank semblait réfléchir à une réponse. Pour Paul, le temps parut une éternité. Son père répondit enfin :
– Oui, tu as raison, je connaissais l’Aigle.
– Pourquoi tu ne m’as rien dit ?
– Car nous sommes dans un métier de secret. Je voulais attendre la fin de tes études pour en parler, lorsque toi aussi, tu seras un espion.
– Pourquoi ne pas me l’avoir dit quand je rentrais ?
– Parce que, je voulais attendre que tu découvres par toi-même cette école. J’ai toujours caché mon métier, c’est ce que l’on demande. Alors tant que tu n’étais pas toi-même inscrit à l’Aigle, je ne pouvais pas t’en parler. Ensuite, il était préférable d’attendre la fin de ta scolarité. Visiblement, tu as appris que moi aussi, je travaillais dans ce domaine. C’est tôt mais ce n’est pas grave. Cependant, j’aimerais que tu gardes cela pour toi. L’école n’a pas besoin de savoir que ton père était aussi élève là-bas.
– Et prof.
– Et prof, oui.
– Et responsable d’études.
– Je connais mon CV, Paul.
– Pourquoi tu as arrêté ?
– Je n’ai pas arrêté, j’ai été nommé dans un autre service.
– Lequel ?
Frank prit une grande inspiration :
– Je coordonne les missions à l’étranger. Je suis chargé du suivi de certains espions pour analyser leurs missions, je choisis leur couverture, je les aide en cas de besoin.
– Donc si un jour je pars en mission, ce sera toi qui décideras de ce que je ferai, c’est ça ?
– Non, ce sera quelqu’un d’autre. On ne peut pas s’occuper de quelqu’un que l’on connait.
– Pourquoi tu es parti du campus ?
– Comme je te l’ai dit, on m’a proposé un autre poste.
– Tu savais que j’allais être élève là-bas ?
– Non, je suis parti du campus il y a trois ans. Il n’était pas encore question que tu y entres même si c’était une possibilité. Je ne suis pour rien dans ton entrée.
– Donc tu connaissais Thomas, j’avais raison ?
– Oui, tu avais raison, j’ai été imprudent.
Paul marmonna :
– Ou j’ai été intelligent.
Frank entendit cependant sa remarque :
– Oui, tu as fait preuve d’un bon esprit de déduction. Quoi qu’il en soit, ne parle pas de ce sujet. Ça restera entre nous.
– Oui, promis.
Il restait cependant un point que Paul voulait soulever. Il demanda :
– Et maman ?
– Quoi ?
– Elle le sait ?
– Non, enfin pas complètement. On n’en parle pas.
– C’était comment le terrain ?
– Bien, mais je ne peux pas t’en parler plus. Tu le connaitras peut-être un jour.
Maude revint dans la pièce. Frank et Paul échangèrent un regard entendu. La discussion prit fin.
Le dimanche quatre mars, Paul revint sur le campus. Il s’était senti plus proche que jamais de son père. Ils n’avaient pas reparlé ni de la carrière de Frank, ni des études de Paul depuis le début des vacances. Le jeune espion savait qui était réellement son père mais il n’avait pas besoin d’en parler plus longtemps. Un jour, peut-être, ils seraient plus libres de discuter, ils échangeraient sur leurs vies respectives, mais ce n’était pour le moment pas à l’ordre du jour.
Le mois de mars commençait froidement. Paul avait de plus en plus de mal à supporter ce temps hivernal.
La reprise des cours se passa bien pour la bande d’amis. Chacun avait retrouvé sa place et Paul avait su doucement reparler à Arthur. S’il lui en voulait encore et qu’il ne l’avait pas tout à fait pardonné, personne ne s’en apercevait. Paul avait aussi gardé pour lui l’implication d’Arthur dans cette nuit où il avait failli être tué, cela n’aidait en rien à avancer pour savoir qui était “M“
C’était pour Paul la pire période aussi car il avait l’impression que les professeurs eux-mêmes faisaient cours avec moins d’entrain. Les chapitres étudiés étaient plus longs, les contrôles plus durs et tout le monde était moins patient.
Heureusement, les cinq amis avaient le foyer, où ils passaient du temps le soir. L’ambiance chaleureuse de cette pièce était exactement ce qu’il fallait à Paul, un moment hors du temps où il pouvait discuter en buvant une boisson chaude et jouer avec ses amis.
Ils n’y croisaient presque jamais d’autres élèves de première ou deuxième année, qui, pour la plupart, trouvaient cet endroit des plus ennuyeux.
Le mois de mars toucha finalement péniblement à sa fin. Paul entrevoyait doucement l’arrivée des beaux jours. Même le campus semblait moins joyeux qu’avant les dernières vacances. Il n’y eut aucune date qui fût fêtée comme l’avaient pu être Noël ou la Saint Valentin.
Le premier avril marqua la fin de cet ennui. Timidement, les élèves de cinquième et de quatrième année avaient animé la matinée et le réveil dominical des élèves par une distribution de friandises accompagnée de musique. Le midi, au self, ils passèrent auprès des élèves pour les inviter le soir même au gymnase, à s’amuser avant de commencer une nouvelle semaine.
Paul accueillit cette nouvelle chaleureusement. Enfin une activité, enfin une manière de sortir de la routine, enfin un moyen d’entrer réellement dans le printemps.
Le soir, après le dîner, la plupart des élèves se retrouva dans le gymnase où était organisée cette soirée.
Les élèves dansaient et discutaient. La soirée était calme et se déroula sous les meilleurs auspices. Cependant, si l’équipe pédagogique l’avait autorisée, la fête devait se terminer au plus tard à minuit. Les élèves ne devaient pas oublier leurs cours du lendemain.
Tous furent invités à sortir quelques minutes avant l’heure prévue. Le gymnase s’était déjà vidé au fil de la soirée de plus de la moitié des participants.
Paul, Damien, Lucy, Antoine et Arthur suivirent le mouvement et se dirigèrent eux aussi vers la sortie du gymnase.
Alors qu’ils s’approchaient des escaliers menant à la sortie, Mike arrêta Paul :
– Ça va Paul ? Désolé j’étais pris dans l’organisation, je n’ai même pas pris le temps de te saluer.
– Ce n’est pas grave. Ça va et toi ?
– Oui. On va ranger rapidement, tu veux nous donner un coup de main ?
– L’extinction des feux arrive, ça risque d’être compliqué, non ?
– Je pense que ça devrait aller, on n’en a pas pour longtemps.
Paul regarda ses amis. Il avait envie d’aider Mike tout autant que de rejoindre sa chambre. Il leur dit finalement de ne pas l’attendre et resta dans le gymnase.
Comme l’avait prédit Mike, le rangement fut rapide. Les quelques spots se démontèrent rapidement et la dizaine d’élèves présents pour ranger purent empiler les chaises en quelques minutes.
Minuit passé de quinze minutes, ils avaient terminé.
Paul resta discuter avec Mike un peu plus longtemps. Cependant, l’organisation d’une soirée comme celle-ci lui avait pris du temps et Paul pouvait lire sur son visage qu’il avait hâte de retrouver sa chambre.
Paul longea le couloir. Devant lui, quelques organisateurs suivaient le même trajet. Il arriva au rez-de-chaussée et emprunta l’escalier menant aux chambres. Cette fois, il n’y avait plus un bruit, le campus dormait.
Paul arriva dans le couloir de sa chambre. Il avança sans bruit et arriva devant la porte. Enfin il allait pouvoir se reposer.
Paul posa la main sur la poignée. Il sentit une vive douleur dans le bras. Il voulut se tourner mais sa vue se brouilla. Il eut juste le temps de remarquer l’absence du vigile. Il vit la porte se dérober devant lui. Il tombait en arrière.
Paul ne sut si c’était la soif, le mal de tête ou le bruit assourdissant qui le réveilla en premier. Il ouvrit les yeux. Tout était noir.
Il sentit ses mains liées dans son dos, ses pieds attachés l’un à l’autre. Doucement, il s’habitua à l’obscurité. Il distinguait les formes et comprit qu’il était dans une petite pièce, exiguë.
Il devinait les contours d’un bac et d’une étagère. Il devait être dans un local technique ou un débarras.
Il réalisa rapidement qu’il était inutile de crier, le bruit qui l’entourait était assourdissant. Il tenta d’en analyser la source. Le bruit ressemblait à celui d’un immense ventilateur ou à celui d’une turbine.
Paul tenta de se dégager de ses liens en se tortillant sur sa chaise. C’était inutile. Il était bien attaché et tout ce qu’il arrivait à faire était de se faire mal aux poignets.
Le lycéen tenta de deviner où il se trouvait. Il ne savait pas combien de temps il était resté inconscient et jamais il n’avait entendu ce bruit sur le campus qu’il commençait pourtant à bien connaitre.
Sur l’étagère, il reconnut la forme d’un tuyau puis celle d’une boite à outils. Devant lui, Paul voyait les contours d’une porte, une poignée et sur le côté un seau avec un balai. Il était certain maintenant d’être dans un local technique. Il savait qu’il y en avait au moins un par bâtiment. Il ne pouvait pas être dans celui des chambres ni ceux des cours, car il savait exactement où se trouvaient ces locaux et aucun n’était proche d’un tel bruit. Il restait donc tous ceux qui pouvaient se trouver en sous-sol, excepté celui du réfectoire, celui de l’auditorium et celui du gymnase.
Cela faisait peu de possibilité et Paul fut convaincu qu’il se trouvait donc sous le niveau de la terre, sans doute près du parking.
Il sentit son bras droit le démanger. Impossible de se gratter, c’en était presque une torture.
Paul tenta de deviner l’heure mais sans lumière du jour, cela lui fut compliqué. La seule chose qu’il savait était qu’il avait dormi, assez pour ne plus être fatigué.
La porte fut soudain encadrée d’une lumière blafarde. De la lumière venait de l’extérieur. Avec de la chance, c’était une personne qui venait chercher un outil ou un seau et il le trouverait.
Paul vit la poignée de porte s’abaisser lentement et rester dans sa position basse quelques secondes. Doucement, la porte s’ouvrit.
La lumière aveugla Paul un instant. Une silhouette apparut. Une silhouette d’homme, de taille moyenne, entièrement vêtu de noir et portant un casque de moto noir. Il était facile de deviner qu’il ne venait pas pour le matériel de ménage.
L’inconnu casqué s’avança doucement vers Paul qui remarqua que l’homme tenait dans sa main droite gantée un tissu blanc et rouge.
Paul ne put que regarder l’agresseur passer derrière lui. Paul sentit le bout de tissus se poser sur sa bouche, il fut bâillonné.
Le casqué détacha les chevilles de Paul qui tenta un coup de pied en avant. Il rata sa cible, de très loin.
La visière teintée du casque rendait l’homme sans émotion. Ses mouvements étaient calmes, comme s’il ne craignait pas de prendre un coup porté par Paul.
L’inconnu repassa derrière la chaise de Paul qui sentit la main serrer ses poignets tandis qu’on défaisait ses liens.
D’un geste ferme, l’homme releva le jeune espion et le sortit de la pièce.
Paul se retrouva dans un couloir au sol blanc cassé. Une ligne jaune courrait sur le mur gris anthracite. Il n’était jamais venu dans cet endroit et se demandait finalement s’il était encore sur le campus.
On le fit tourner à droite. Paul, poussé par l’inconnu qui le tenait toujours fermement, n’avait pas d’autre choix que d’avancer.
Il arriva devant une double porte. L’inconnu l’ouvrit et fit passer Paul qui découvrit un grand parking. Il y avait de nombreuses voitures, de toutes sortes. Le casqué fit avancer Paul de quelques mètres, longeant les véhicules le long d’un mur. Ils s’arrêtèrent devant une grande berline. Paul reconnut la marque et le modèle, une BMW série 3 GT, une belle voiture.
L’inconnu ouvrit le coffre et poussa Paul qui n’eut d’autre choix que de monter. A peine fut-il recroquevillé à l’intérieur que le coffre se referma.
Paul se sentait déjà suffoquer. Sa gorge était nouée, il avait toujours soif et son mal de tête persistait. Son rythme cardiaque s’accéléra, il sentait sa tête tourner et eut peur de défaillir.
Les jambes pliées et les genoux contre son torse, il n’avait que peu de place. Il pensa que tout ce qu’il avait pu voir dans les films était faux, qu’il n’était pas si simple de rester dans un coffre de voiture.
Il entendit une portière claquer. L’inconnu avait dû se mettre derrière le volant. Paul se dit qu’il allait devoir faire attention aux virages. Cela lui permettrait de se concentrer et de penser à autre chose qu’à sa gorge, sa tête ou son angoisse. Surtout, s’il s’échappait, il retrouverait plus facilement son chemin.
La voiture démarra. Le jeune espion sentit la voiture sortir de la place de parking et avancer. Il devina aisément qu’ils étaient en train de monter une pente abrupte.
La faible lumière que Paul pouvait voir depuis son coffre changea. Ce n’était plus celle artificielle du parking. Ils étaient à l’extérieur et il devait faire beau.
La voiture avança et s’arrêta. Paul entendit une voix féminine demander :
– Bonjour, vous n’avez pas cours aujourd’hui ?
Paul pensa que le conducteur devait être un élève plus âgé ou un professeur. Il devait s’être arrêté pour saluer quelqu’un. Une voix d’homme, certainement celle du conducteur, répondit :
– Pas aujourd’hui.
– Je suis désolé je dois vérifier votre voiture, un élève a disparu et nous devons nous assurer que personne ne sorte avec lui.
– Bien entendu, mais je suis un peu pressé, et puis vous me connaissez.
– Bien sûr, ne vous inquiétez pas, ça ne sera pas long.
Paul se sentit soulagé. On allait fouiller la voiture et donc on le découvrirait. Il allait être libéré.
L’étudiant entendit un bruit de moteur se rapprocher. Une voiture s’arrêta derrière eux. C’est la voix féminine qui reprit la conversation :
– Excusez-moi, qu’est ce qui se trouve sous la couverture, sur la banquette arrière ?
– Du matériel que j’emporte chez moi, vous pouvez la soulever.
– Non, faites-le je vous prie.
Il y eut un bruit de mouvement dans la voiture puis le silence. La femme continua :
– Bien, je vous remercie, je me doute bien que vous n’enlèveriez pas un élève du campus !
Les deux échangèrent un rire bruyant avant que l’homme ne demande :
– Dites, ce n’est pas Duchesne derrière ?
– Il me semble… Oui c’est bien lui. Pourquoi ?
– C’était pour être sûr. Bien, je peux y aller ?
– Oui, je vous ouvre.
Après quelques secondes, la voiture redémarra. Paul pensa que Thomas avait été juste derrière eux. Lui, il aurait pensé à ouvrir ce coffre, il n’aurait pas rigolé bêtement. Paul sentit le siège passager derrière son dos. “Quel idiot” pensa-t-il. Il aurait pu donner un coup de coude plutôt que d’attendre bêtement qu’on lui ouvre le coffre. Cela ne lui était même pas venu à l’esprit. Cette fois, il avait une solution. Il arma son coude et donna un coup violent en arrière. Il eut mal. Le siège n’avait pas bougé.
Paul s’appuya de toutes ses forces contre les sièges qui ne bougèrent pas. Impossible de les faire basculer en avant, il devait y avoir une sécurité.
La voiture filait et Paul réalisa qu’il n’avait pas fait attention à la série de virages qu’ils avaient emprunté. Il était réduit au silence, aucun moyen pour qu’on le retrouve. Le campus s’éloignait de minute en minute.
Paul n’avait plus aucune notion du temps. Il était incapable de dire s’il était dans la voiture depuis cinq minutes ou depuis une heure.
Il sentit le véhicule ralentir, tourner à droite puis deux fois à gauche. La voiture fit une marche arrière et le moteur s’arrêta. La porte du conducteur claqua, Paul se retrouva dans le noir, la lumière naturelle n’entrait plus.
Le coffre s’ouvrit, Paul en fut sorti manu-militari. Il découvrit un petit hangar dans lequel la voiture avait été garée. Il y avait plusieurs étagères, une moto et une chaise au milieu du sol gris. Paul comprit que l’inconnu avait bien prévu son coup.
Le jeune espion sentit soudain la corde autour de ses poignets. A nouveau, il était entravé. Le casqué l’assit sur la chaise. Paul tenta un nouveau coup de pied qui faillit le faire tomber en arrière, toujours sans avoir touché sa cible. L’homme lui attacha les chevilles aux barreaux de la chaise. Il n’avait pas dit un mot depuis le départ du campus.
L’inconnu s’écarta et s’approcha d’une étagère. Paul le vit se saisir de plusieurs outils dont un tournevis, une pince, un cutter et un pied de biche.
L’homme revint devant Paul et posa les outils avant de mettre un genou au sol.
Paul tenta de parler mais son bâillon l’en empêchait. Il sentit son cœur vouloir sortir de sa poitrine. Il pouvait en sentir les battements dans tout son corps, en particulier dans sa carotide. Il suait à grosses gouttes. Il avait peur.
L’homme se releva et s’approcha du jeune espion. Il lui retira doucement son bâillon en lui glissant à l’oreille :
– Un cri, un seul, et je te tue.
Paul respira un grand coup. Il regarda l’homme repasser devant lui. Il demanda :
– Qui êtes-vous ? Pourquoi ? Je n’ai rien fait !
L’homme porta les mains à son casque, il le retira doucement. Paul découvrit le visage de Michel Ivankov, son professeur de natation.
Ivankov le regarda avec des yeux noirs :
– Tu sais qui je suis maintenant et je veux que tu voies mon visage lorsque lentement je te ferai souffrir avant de te tuer. J’ai retrouvé mon inspiration comme tu le vois.
– Pourquoi ? Qu’est-ce que j’ai fait ?
– Ton simple nom est une offense à notre corps de métier. Les traitres n’ont rien à faire chez nous. Et puisque tu sembles si bien protégé, te faire disparaitre me semble la meilleure solution. Exactement comme toi tu as voulu me faire disparaitre !
– Mais je n’ai jamais rien voulu vous faire moi ! Je ne sais même pas de quoi vous me parlez. Vous êtes fou !
– Silence !
La voix d’Ivankov avait claqué et résonné dans le petit hangar. Il reprit plus doucement :
– Tu aurais fini par le faire.
– Ça n’aurait pas été plus simple de me mettre de mauvaises notes ? Les zéros sont éliminatoires.
– Et tu aurais été encore sauvé par Duchesne et sa bande ? Non. Et rien ne remplacera le plaisir de te faire souffrir comme tu m’as fait souffrir.
– Mais je vous répète que je n’ai rien fait !
– Écoute, si tu veux la vérité, je m’en cogne de ce que tu as fait ou de ce que tu vas faire. Je vais te faire souffrir un peu, juste pour rigoler et ensuite j’en finirai. Je serais toi, je prierais pour que ça finisse vite mais je ne compterais pas trop dessus quand même.
Ivankov sortit une arme cachée jusqu’alors dans un holster à sa ceinture. Il la braqua sur Paul qui tenta de se débattre, mais il était bien attaché.
Le professeur releva son arme en laissant échapper un rire nerveux :
– J’espère que ton bras va mieux au fait. Alors ? On commence par quoi ?
Paul retrouva tant bien que mal son calme. Il fallait gagner du temps. Peu importait si on venait le sauver, il fallait trouver une solution :
– Me détacher ?
– Bien tenté, mais ce n’était pas dans mes intentions.
Paul savait que la provocation serait à double tranchant. Ou il réussirait à convaincre Ivankov ou il accélèrerait les plans de son professeur :
– Quand même, je trouve cela assez lâche de votre part.
Ivankov sembla décontenancé :
– Lâche ?
– Oui, vous avez quelques années d’espionnage quand même, et pour on ne sait quelle raison, vous vous en prenez à moi. Pour cela, vous avez besoin de me kidnapper et de m’attacher. C’est parce que vous savez que vous ne pouvez pas me battre à main nues ?
– Je pourrais te battre, mais comme tous les lâches, tu t’enfuirais.
– Je ne l’ai pas fait tout à l’heure et puis le hangar est fermé.
– Je reconnais bien ton penchant familial, toujours à argumenter, à tenter de manipuler, mais ça ne prend pas avec moi. Alors, tu préfères que je te brise les os au pied de biche ou que je t’arrache les dents avec une pince ? Bien entendu, on peut avoir un travail de précision avec le tournevis.
– Vous êtes un grand malade. Torturer un de vos élèves, bravo.
– Tu n’es pas un simple élève voyons.
– Si, je suis un élève, vous avez quoi… trente ans de plus que moi ? Le courage ce ne doit pas être votre fort. Et quand vous m’aurez tué, qu’est-ce que vous ferez ? Vous allez terminer vos jours en prison.
– Mais non, ne t’inquiète pas pour moi, j’ai une très belle fosse qui t’attend derrière. Personne ne pourra soupçonner un professeur.
– Il y a une erreur dans votre plan.
– Une erreur ? Impossible.
Paul savait qu’il jouait sa dernière carte :
– Oui, lorsque vous m’avez emmené en voiture, nous sommes sortis du campus. Là, on vous a dit que j’avais disparu. Par chance, on n’a pas vérifié votre coffre mais il y avait une voiture derrière, celle de Thomas Duchesne. Il devait savoir que je n’étais plus sur le campus et il vous a vu sortir. Il y a peu d’entrée et sortie et il a pu voir que votre coffre n’avait pas été ouvert. Il fera vite le lien. D’ailleurs, à l’heure qu’il est, il doit déjà savoir que c’est vous.
– Il faudra qu’il te trouve. Et personne ne sait que j’ai un terrain ici.
– Vous n’avez pas une très bonne image de l’espionnage visiblement.
– Mais c’est la réalité. Bon, allez, fini de discuter.
Ivankov prit le cutter et s’approcha de Paul qui tenta :
– Vous me l’avez déjà faite celle-là.
Ivankov ne répondit pas. Paul sentit la lame s’approcher de son cou. Il pouvait sentir le froid qu’elle dégageait.
Une sirène de police se fit entendre au loin. Ivankov se recula. Paul avait trouvé le point faible. Son agresseur n’était pas sûr de lui, le moindre bruit – en particulier celui d’une voiture de police – le faisait douter. Le jeune espion allait devoir continuer de gagner du temps en accentuant ce doute :
– Détachez-moi. Je ne dirai rien, à part que j’ai fait une fugue.
Ivankov lâcha son cutter et saisit le tournevis. Il leva sa main et l’abaissa vers Paul. Le coup fut violent. Le jeune espion sentit son visage se déformer. Le coup l’avait presque fait tomber la chaise sur laquelle il était assis. Si le professeur avait tenu le tournevis la pointe vers Paul, il lui aurait sans doute traversé la joue. Paul, malgré la douleur, refusa de crier. Ivankov le regardait avec un regard perçant qui trahissait sa volonté de faire souffrir le lycéen le plus longtemps possible. Il avait commencé avec un coup, une gifle, mais ce n’était qu’un début.
Ivankov s’avança vers l’étudiant et, d’un coup sec, lui arracha le col de son tee-shirt qui partit en lambeaux.
Paul reçut un nouveau coup de poing sur le torse qui le fit basculer en arrière. Il eut le réflexe de relever la tête pour qu’elle ne heurte pas le sol. Le coup avait été puissant, assez pour couper la respiration de Paul qui ne broncha pas.
Paul regarda le plafond, Ivankov apparut, le sourire aux lèvres :
– Tu n’as jamais été très bon en natation, hein ?
Paul ne répondit pas. Ivankov disparut et revint, un seau à la main. Il le pencha doucement. Des litres d’eau tombèrent sur le visage de Paul, lentement, l’empêchant de respirer pendant plusieurs secondes.
Lorsque le seau fut vide, Ivankov le lança violemment contre Paul avant de lui envoyer un coup de pied dans les côtes. Cette fois, il était violent, prêt à prendre son temps pour torturer son élève.
Paul restait interdit. Il n’aurait pas de réponse.
Il était dans un état second, incapable de la moindre réaction. Il se laissait tabasser et torturer sans bouger, sans crier. Pourtant, il avait mal. Ivankov se faisait un plaisir de le frapper, laissant quelques secondes entre chaque coup, pour que la douleur résonne en Paul.
Le jeune espion savait que son corps meurtri ne pourrait plus encaisser longtemps. Ses vêtements étaient déchirés. Il devait avoir une côte fêlée, sans compter les hématomes et les lésions provoquées par des coups bien placés, parfois aidé d’un outil.
Après plusieurs minutes, Ivankov ne semblait même plus prendre de plaisir particulier. Il avait eu ce qu’il voulait, il avait réussi. Il releva la chaise de Paul et s’écarta d’un mètre :
– Bon, finissons-en.
Le professeur de natation sortit son arme et la pointa vers Paul.
L’étudiant souriait.
Il regarda son professeur. La fatalité ne lui laissait aucun espoir, aucune envie. Il ne pouvait pas se débattre, crier semblait vain. Il continua à regarder l’agresseur dans les yeux, le défiant du regard. Il ne voulais pas lui faire le plaisir de le supplier ou de montrer sa peur.
Ivankov commença à abaisser son arme, lentement. Il se mit à genoux et s’affaissa.
Paul regarda son professeur. Il sembla pris de convulsion avant de se raidir.
Paul releva les yeux du corps d’Ivankov. Cinq hommes en noir, cagoulés et casqués, étaient entrés. Paul ne les avait pas entendus, ils s’étaient faufilés à l’intérieur sans un bruit et avaient neutralisé l’agresseur.
Ils s’approchèrent de Paul. L’un le détacha :
– C’est bon, c’est terminé. Tu vas bien ?
Paul ne réagit pas. Tout n’était que bruit autour de lui. Il entendit vaguement la voix de celui qui lui avait parlé alerter ses coéquipiers :
– Il est en état de choc, une aide.
Paul regarda deux hommes prendre le corps inerte au sol et l’emmener vers l’extérieur. Un autre s’approcha de lui et le fixa :
– Ho, ça va ?
Une larme coula sur la joue de Paul, il n’avait pas la force de répondre. Son corps le lâchait. Le premier homme qui l’avait détaché l’aida à se lever. Il parla dans son talkie-walkie :
– Central de Charlie 2.
La réponse ne se fit pas attendre :
– Charlie 2 de Central, parlez.
– Central de Charlie 1, Besoin de l’appui d’un VSAV, garçon en état de choc, traces de coups. Il a morflé.
– Charlie 1 de Central, Bien reçu, demande d’intervention d’un véhicule de secours. Terminé.
– Central de Charlie 1, terminé.
Paul fut extrait du hangar, il peinait à se déplacer.
Il fut installé sur le siège arrière d’un 4×4. Autour de lui, deux autres véhicules, un autre 4×4 noir et une berline Mercedes. Les hommes autour de lui, tous cagoulés, étaient lourdement armés.
Un homme sortait du hangar, c’était lui qui avait tiré à l’aide d’un pistolet argenté. L’arme n’avait fait aucun bruit.
Soudain, Paul entendit deux coups de feu distincts qui venaient de l’arrière du hangar.
L’étudiant voulut se relever mais ses muscles ne répondaient plus.
Il regarda les champs autour du hangar. Une sirène retentit puis s’arrêta, un camion de pompier venait d’arriver. Trois hommes se précipitèrent vers lui. L’un d’eux s’accroupit devant lui :
– Vous pouvez m’accompagner ?
Paul regarda celui qui lui parlait. Il était grand, jeune, une tête carrée et les cheveux courts. Paul posa les yeux sur l’uniforme, un polo bleu marine avec une barre rouge au niveau de la poitrine sur laquelle on pouvait lire “Sapeurs-Pompiers”.
Il refit un essai. Il se leva péniblement. Des douleurs apparaissaient progressivement. Le coup de pied qu’il avait reçu dans les côtes lui avait provoqué une grosse douleur.
Paul suivit son interlocuteur jusqu’au véhicule de secours et d’assistance aux victimes. On lui fit une batterie de tests dont les résultats ne semblèrent pas inquiéter les pompiers. L’un d’eux précisa tout de même :
– On va aller te faire passer quelques radios.
Paul regarda à l’extérieur. Il y avait près d’une dizaine de véhicules.
Paul se sentait fatigué. Un pompier l’aida à boire et demanda :
– Ne t’inquiètes pas, ça va aller. Si tu n’as pas envie de parler, tu as le droit. La seule chose que je te demanderais, c’est de ne pas t’endormir.
Un des hommes en uniforme noir s’approcha des pompiers. Il portait, comme tous les autres, une cagoule en lycra noir ne laissant apparaitre que ses yeux :
– On l’emmène.
Le pompier protesta :
– Impossible, il n’est pas en état, et si on nous appelle, c’est pour qu’on s’en charge.
L’agent cagoulé laissa un temps :
– Bon, on vous escorte, on doit rester avec lui.
Le ton était directif. La porte arrière du camion de pompiers fut fermée. Dehors, Paul entendit les sirènes, le camion se mit en route. Le convoi filait déjà à travers la campagne.
Deux pompiers étaient restés avec Paul, le plus jeune le regarda :
– On n’en a pas pour longtemps.
Il disait vrai, moins d’un quart d’heure plus tard, Paul était dans un hôpital. En quelques minutes, il fut admis et passa une série de radios et de tests. A aucun moment il n’ouvrit la bouche. Tout semblait irréel.
Paul fut installé dans une chambre, sur un lit. Un homme armé d’un fusil d’assaut était face à lui et le gardait. Il avait retiré sa cagoule. Il devait avoir une quarantaine d’année, un gilet pare-balle et un équipement digne des services d’intervention des films américain. Paul avait repéré des grenades fumigènes et un pistolet. Sur le bras, l’homme portait un écusson avec un profil de lion à l’œil rouge et les lettres BRI. Paul était visiblement entre les mains de l’élite de la police, les spécialistes de l’intervention rapide et de l’antigang.
Paul entendit la porte de sa chambre s’ouvrir. Un homme entra, un sourire aux lèvres. Il portait un costume noir sous lequel on devinait un gilet pare-balle. C’était Thomas Duchesne, le responsable des études. Il s’approcha du lit de Paul :
– Bon, les résultats sont bons, pour le visage, ça devrait passer assez vite, tu n’as rien de grave. Tu vas avoir un peu mal aux côtes pendant quelques jours mais plus de sport pendant au moins trois semaines.
Thomas s’assit sur une chaise en bois à côté du lit :
– Je suis désolé pour tout cela. C’est entièrement ma faute… Paul, je comprendrais si tu décides de nous quitter mais saches que nous tenons à toi. Nous aimerions que tu restes dans notre école malgré ce qu’il s’est passé.
Paul écoutait silencieusement son responsable des études tout en fixant le plafond. Ces mots étaient les premiers à être vraiment compréhensibles pour l’étudiant.
Thomas Duchesne continua :
– Je vais te laisser te reposer, tu risques d’avoir de la visite de quelques médecins mais ne t’inquiètes pas… ça va aller, tu devrais vite pouvoir sortir.
Il se releva. Paul tourna la tête vers le responsable des études :
– Thomas…
L’ainé fit volte-face :
– Paul ! Qu’est-ce qu’il y a ?
Paul laissa échapper une larme :
– Merci de m’avoir sauvé.
Thomas Duchesne eut un sourire de compassion. Il salua l’homme armé face à Paul puis sortit.
Paul était épuisé. Il s’endormit.
Il fallut deux jours à Paul pour recouvrer la parole. Un psychiatre était venu le voir à deux reprises mais l’étudiant lui avait assuré qu’il n’avait pas besoin de lui malgré son insistance et celle de Thomas Duchesne qui venait le voir une fois le matin et une fois le soir.
Le troisième jour, Paul put sortir. Thomas était venu le chercher et lui demanda :
– Comment tu te sens ?
– Mieux, ça va.
– On peut dire que tu récupères vite. Je dois te demander où je t’emmène.
Paul s’étonna :
– Comment ça ?
– Tu veux retourner sur le campus ?
Paul n’hésita pas :
– J’ai une année à finir…
Thomas prit un air satisfait. Paul le suivit à l’extérieur, il apprécia sortir.
Le directeur des études s’approcha d’une voiture que Paul reconnut immédiatement, c’était la berline qui était devant le hangar.
Il entra à la place du passager. Thomas démarra et prit la route vers le campus.
Thomas brisa le silence :
– En arrivant, nous monterons dans mon bureau, il faut que nous ayons une discussion.
– D’accord.
Paul n’avait pas envie d’aller dans ce bureau. Il aurait préféré rejoindre sa chambre et dormir. Il pensa aux questions qu’il allait devoir affronter à son retour. La première fois, le bruit avait couru qu’il avait tenté de mettre fin à ses jours, il ne faudrait pas longtemps avant que le bruit d’une fugue arrive aux oreilles de l’ensemble des élèves. Il aurait déjà en quelques mois une réputation qu’il n’avait pas méritée, et ce simplement à cause d’un professeur qui lui en voulait pour une raison encore inconnue.
Paul demanda à Thomas :
– Vous savez pourquoi il en avait après moi ?
Thomas eut l’air gêné par cette question :
– On en parlera tout à l’heure.
Le véhicule regagna rapidement le campus. Il entra par la grande allée, contourna le parking extérieur et s’avança sur le côté du premier bâtiment. Paul découvrit l’entrée du parking souterrain qui s’ouvrit pour que la berline s’y engouffre.
Thomas s’arrêta sur une place, non loin d’une porte. Paul et son responsable des études en descendirent.
Ils passèrent la porte menant au bâtiment. Paul reconnut le couloir par lequel il était sorti avec Ivankov. Ils passèrent près d’un énorme ventilateur. Le lycéen savait qu’il avait été enfermé dans la pièce voisine.
Paul et Thomas empruntèrent un premier escalier, un couloir puis un second escalier. Ils arrivèrent dans le bâtiment d’accueil. Ils montèrent jusqu’au bureau de Thomas qui invita Paul à s’asseoir.
A peine furent-ils installés qu’on frappa à la porte. Thomas indiqua au visiteur d’entrer. C’était Samuel Guyot, le directeur de l’Aigle. Il vint silencieusement à côté du bureau qui séparait Paul de Thomas. Il tendit la main vers Thomas qui lui saisit puis se tourna vers Paul en lui tendant à son tour une main amicale :
– Bonjour Monsieur Osinski.
– Bonjour.
Paul prit la main du directeur.
Thomas attendit la fin des politesses pour commencer :
– Paul. Je te renouvelle les excuses de l’Aigle pour ce que tu as vécu. Je sais que ça ne changera rien mais nous endossons toutes nos responsabilités. Malheureusement, je dois te poser quelques questions. J’aimerais que tu m’expliques ce qu’il s’est passé.
Paul s’agaça intérieurement. Il espérait des réponses, c’était lui que l’on interrogeait. Cependant, il se plia à l’ordre de Thomas et raconta ce qu’il avait vécu, comment il était resté après la soirée pour aider les élèves de quatrième et cinquième année à ranger le gymnase, qu’il était donc remonté plus tard dans sa chambre, qu’en y arrivant on l’avait visiblement kidnappé. Il raconta ensuite son réveil, son transfert et l’attitude de son professeur dans le hangar avant l’intervention des secours.
Thomas et le directeur l’écoutèrent avec attention. Le directeur des études sembla réfléchir à sa réponse :
– Et comment vas-tu ? C’est pour nous le plus important à cette heure-ci.
Paul ne savait pas vraiment comment décrire ce qu’il ressentait. Il était fatigué malgré son repos à l’hôpital. Il se sentait aussi énervé, en colère mais soulagé. Il répondit par ce qui lui semblait le plus adapté pour éviter les questions :
– Ça va.
– Si tu as besoin, Madame Satin, l’infirmière, est présente et je le suis aussi.
– Je sais, mais ça va.
– Le psychologue de l’école est aussi à ton écoute. Je sais que tu n’as pas souhaité en voir à l’hôpital mais ça peut te faire du bien. Ce n’est pas anodin ce qu’il s’est passé.
– Non, ça va mieux.
Thomas poursuivit sans insister :
– Je pense que cet épisode fâcheux ne se renouvellera pas. Bien entendu, tu n’es pas tenu d’aller en cours aujourd’hui. Nous trouverons de quoi rassurer tes camarades.
Thomas avait orienté la discussion vers un sujet important pour Paul qui demanda :
– J’imagine qu’on ne peut pas leur dire la vérité ?
– Tu es libre de dire ce que tu veux. Tu peux dire que tu as été agressé pour expliquer les coups et qu’on t’a emmené à l’hôpital au cas où. Tu n’es pas obligé de dire tout ce qu’il s’est passé ni le nom de ton agresseur.
– Ils me demanderont où j’en suis avec ‘M‘.
– Il t’aura laissé tranquille.
– Je doute qu’ils le croiront, sans compter qu’Antoine est particulièrement attentif.
– Fais ce qui te semble le mieux. Si tu as besoin d’une couverture, nous t’aiderons.
– Je préfère la vérité.
Thomas laissa passer quelques secondes. Il échangea un regard avec Guyot avant de reprendre :
– Concernant ton professeur, Ivankov…
– Vous l’avez tué ?
Thomas répondit sans changer de ton :
– Pendant l’intervention, nous l’avons neutralisé avec un poison qui a duré un petit moment.
Paul se demanda si Ivankov n’avait pas été froidement abattu ensuite, à l’extérieur du hangar, ce qui expliquerait les deux coups de feu qu’il avait entendu. Il préféra ne pas y penser. Il demanda :
– Et les hommes avec vous… C’étaient aussi des agents de l’Aigle ?
– Tu es bien curieux… mais non, il y avait deux agents de la DGSI et des membres du RAID et de la BRI. Nous travaillons parfois ensemble.
– Pourquoi Ivankov m’en voulait ? Il m’a dit que j’étais un traitre.
– C’est là où je voulais en venir…
Guyot coupa Thomas :
– Paul, je tenais d’abord à t’assurer que tu ne reverras pas ton professeur. Ce qu’il a fait est sévèrement puni, je peux te l’assurer.
Paul hocha la tête.
Thomas reprit :
– Ivankov ne t’en veut pas vraiment à toi, Paul.
– Ça y ressemblait vachement, quand même !
– Oui, il en veut à ta famille. Je l’ignorais jusqu’à très récemment mais il est parti en mission, il y a un peu plus de trente ans, il était jeune espion et faisait équipe avec un homme que tu connais.
– Mon père ?
Thomas se figea. Il n’était pas informé que Paul savait que son père était lui aussi espion :
– Tu sais que ton père… ?
Paul ne voulait pas trahir Mike, il choisit de rester le plus évasif possible :
– Oui, je l’ai découvert.
Thomas attendit et reprit :
– Quoi qu’il en soit, ce n’est pas de ton père qu’il s’agit. Pawel Osinski, j’imagine que ça te dit quelque chose ?
Paul afficha un grand sourire. Il avait envie d’éclater d’un rire nerveux, presque incontrôlable. Il réussit à se reprendre mais peinait à croire que son grand-père paternel puisse être lié à une histoire d’espionnage. Surtout avec Ivankov :
– Maintenant c’est mon grand-père ?
– Oui. Le père de Frank, ton grand père donc.
– Et c’était un traitre ?
– Laisse-moi terminer… Pawel Osinski et Michel Ivankov ont fait équipe pour une mission en Bolivie, dans les années quatre-vingt. Là-bas, ils ont été découverts. Un militaire bolivien a compris qu’ils étaient des espions français. Il a voulu les dénoncer mais ton grand-père l’en a empêché. Les deux espions ont dû rentrer en urgence. C’est ton grand-père qui a pris cette décision. Ivankov voulait rester, finir sa mission mais c’était impossible. C’est lui qui s’était fait repérer et, arrivé en France, il a été suspendu pendant un an. Il aurait pu être un bon espion mais on ne lui a plus confié de mission de grande importance ensuite. On préférait envoyer ton grand-père, ou ton père. Il ne l’a jamais vraiment supporté.
– C’était Ivankov le traitre dans l’histoire ?
– Non. Il n’avait pas voulu se faire repérer. Il était peut-être un peu jeune pour une mission comme celle-là. Ce fut mal géré par nos services j’imagine.
Paul réfléchit :
– Et ça, vous ne pouviez pas le prévoir ? Que lorsque j’arriverais il tenterait de se venger ?
– Non, nous n’étions pas au courant de sa rancune, ni même de sa mission en Bolivie. Pour nous, ce n’était qu’un ancien espion qui avait surtout travaillé dans les bureaux, un très bon nageur et un bon pédagogue.
– Oui, le genre de pédagogue qui enlève des élèves pour les torturer…
L’ironie de Paul n’avait visiblement pas plu au directeur des études :
– Tu sais tout. Si tu n’as pas d’autre questions, je vais te laisser aller te reposer. Je pense que tu en as besoin.
Paul ne se leva pas. Il était perdu dans ses pensées. Il revoyait son grand-père, un homme d’un peu plus de soixante ans maintenant, fumeur de cigares et aux habitudes tranquilles. Il ne vivait pas loin de chez Paul, avec sa femme. Comme Frank, sa vie calme et bien rangée ne pouvait pas laisser penser qu’il avait été un espion. Paul sortit de son silence :
– Mon père… Il était un bon espion ?
Guyot s’avança et croisa les mains derrière son dos. Il se mit en équilibre sur la pointe des pieds avant de se remettre dans sa position initiale :
– Je crois que je lui dois ma place. S’il n’était pas parti, il serait là aujourd’hui. C’était le meilleur de sa génération d’espion, sans doute l’un des plus efficaces que nous n’ayons jamais connus. Meilleur encore que votre grand-père. Mais je suis persuadé que les gènes s’améliorent avec les générations.
Le sourire de Guyot anima son visage d’habitude si impassible. Thomas compléta :
– Je ne sais pas s’il est utile de mettre ta famille en avant lors de ton parcours. Ton nom n’est pas inconnu bien sûr, mais c’est à toi de faire tes preuves maintenant.
Paul rassura le directeur des études :
– Ce n’était pas mon intention. J’aurai préféré connaître cette histoire avant d’arriver ici, mais maintenant que c’est fait… je saurais au moins pourquoi certains réagissent bizarrement lorsque je dis mon nom.
Thomas ne répondit pas. Paul continua :
– J’ai une dernière question. Comment vous m’avez trouvé ?
– Lorsque je suis allé prendre mon petit déjeuner, j’ai croisé Arthur qui m’a dit que tu n’étais pas dans la chambre ni dans le réfectoire. Il m’a demandé si je t’avais vu. Je lui ai répondu que non, puis j’ai appelé l’infirmière qui m’a dit qu’elle ne t’avait pas vu non plus. Comme j’avais appris ce qu’il s’était passé entre Ivankov et ton grand-père lors de mes recherches la nuit précédente, j’ai fait le lien avec les lettres reçues, le M de Michel, le prénom de ton professeur. C’était au moins une piste qui pouvait être sérieuse. J’ai tenté de trouver ton professeur en vain. J’ai donné l’alerte et ordonné que personne ne quitte le campus sans une fouille minutieuse du véhicule car un élève avait disparu. Bien entendu, je ne pouvais rien dire sans preuve sur Ivankov. Je suis ensuite sorti du centre, au cas où tu aurais déjà été emmené dehors. Au moment d’arriver à la grille, j’ai vu la voiture d’Ivankov et j’ai remarqué qu’elle avait été mal vérifiée. Je l’ai suivi et je l’ai vu entrer dans le hangar. J’ai compris qu’il se passait quelque chose d’anormal. Je n’ai voulu prendre aucun risque et j’ai prévenu les unités d’interventions qui sont arrivées et nous sommes intervenus.
– Merci.
Paul se leva de sa chaise. Il salua poliment les deux hommes et se tourna vers la porte du bureau. Thomas l’arrêta :
– Paul, si jamais tu as besoin de plus de repos, préviens-moi.
Paul se retourna vers Thomas :
– Ça va, je vais bien. Merci.
Il sortit de la pièce.
Le jeune espion marcha dans le couloir jusqu’à l’escalier. Il le descendit, passa dans le hall d’accueil. Il était quinze heures, tout le monde était en cours.
Il traversa la cour, monta jusqu’à sa chambre. Il posa sa main sur la poignée et s’arrêta. La nuit dernière, c’est à ce moment qu’il avait été attaqué.
Paul tourna la poignée. Maintenant, il ne risquait plus rien, ‘M‘ avait été mis hors d’état de nuire, il allait pouvoir reprendre ses études et terminer son année.
Le jeune entra dans sa chambre et s’allongea sur son lit. Il avait envie de retrouver ses amis. Cela arriverait en temps et en heure.
Il se releva. Il se sentait sale et fatigué. Il prit une douche et se changea.
Les pensées étaient mélangées dans son esprit. Il pensait à tout ce qu’il avait vécu et tout ce qu’on lui avait appris sur lui et sa famille. Il avait finalement l’impression qu’aucune de ses pensées n’était vraiment claire.
Il s’allongea à nouveau, pensa à son grand père, à son père. Le visage plein de haine d’Ivankov lui revint en tête. Il chassa cette pensée et posa la tête sur l’oreiller.
Il s’endormit.
Le froid était toujours bien présent sur le campus mais la pluie avait cessé. Paul avait repris les cours et avait joué franc-jeu avec ses amis. Pour ses autres camarades, il avait dit avoir fait une mauvaise chute. Peu étaient dupes mais personne n’osait remettre en doute ouvertement cette version.
Le jeune espion avait pu rattraper les leçons qu’il avait manquées. Après quelques jours, bien que l’expérience eût été traumatisante, Paul avait fait son possible pour passer à autre chose. Il était toujours bon élève.
Le seul problème qu’il lui restait était des nuits agitées. Il faisait souvent des cauchemars où il revoyait son ancien professeur.
Les vacances arrivèrent rapidement et avec elles l’installation du beau temps. Paul en profita pour se reposer.
Pendant ces vacances, le samedi, la famille de Paul s’était réunie pour un repas de famille. Pawel et Frank étaient assis côte à côte. Paul regarda son père et son grand père, ces deux espions reconnus pour leur carrière et qui, sans le savoir, avaient déjà donné à Paul l’envie de les surpasser.
Ils ne parlèrent pas d’espionnage et Paul ne leur dévoila pas qu’il savait que son grand-père avait été espion lui aussi. Il ne parla pas non plus d’Ivankov. Il comprenait doucement qu’être espion passait par le silence, un apprentissage difficile. Un jour, peut-être, Pawel lui parlerait de son passé. Ce jour-là, ils échangeraient sans doute sur le métier d’espion et sur le renseignement. Paul connaîtrait alors ce qu’il s’était passé en 1982 en Bolivie.
Le jeune espion réussit à oublier le campus pendant les après-midis avec son ami Louis. Ils se retrouvaient toujours avec plaisir, ils avaient toujours des sujets de conversation.
Paul ne voyait plus son autre ami du collège, Antoine. Louis avait été le seul à qui il donnait régulièrement des nouvelles et qu’il tenait à revoir pour garder cette amitié.
Les vacances se terminèrent rapidement. C’était les dernières avant la fin de l’année, que Paul préparait avec rigueur. Si la classe de seconde ne présentait habituellement pas d’examen, ce n’était pas le cas à l’Aigle. Comme chaque année, les élèves étaient évalués avant de passer en classe supérieure. Paul n’avait qu’un objectif, être le meilleur.
C’est donc avec cette seule idée en tête qu’il retrouva sa bande d’amis le dernier dimanche d’avril, veille de la rentrée.
Tous semblaient heureux de reprendre les cours.
Paul avait, quant à lui, une appréhension particulière. Depuis son agression, il avait du mal à rester seul et ce retour sur le campus lui avait provoqué une légère angoisse. Il avait peur qu’Ivankov ait des alliés prêts à le venger. Tant bien que mal, l’espion se persuada du contraire. Il profitait aussi de moments avec ses amis pour se changer les idées.
Au fond de lui, Paul aimait la vie sur le campus. Il avait ses marques, ses habitudes. Bien qu’il ait besoin de moments de solitude, l’amitié qui régnait dans le groupe était un soutien agréable lors des moments difficiles. Il faisait confiance à ses amis qui le lui rendaient bien. Même la situation avec Arthur s’était peu à peu arrangée.
Un samedi soir, au milieu du mois de juin, Paul et ses amis s’étaient retrouvés au foyer après le dîner. Comme souvent, ils passaient le temps en jouant au tarot. Paul était assis avec Damien sur un canapé, face à celui des deux autres garçons du groupe. Lucy avait pris sa place habituelle sur le grand fauteuil entre les deux binômes. Paul aimait la place qu’il occupait lui aussi habituellement. Dos au mur, il voyait toute la pièce.
Ils discutaient lorsqu’Antoine s’excusa :
– Il est un peu tard, je vais aller me coucher.
Lucy intervint :
– Déjà ? Mais il est à peine dix heures !
– La semaine était fatigante.
– On n’a rien fait de particulier.
– Non, je dois être fatigué par nature.
– Tu veux pas rester un peu ? J’aime bien quand tu es là moi !
Damien s’amusa :
– C’est sympa pour les autres !
– Mais c’est pas ça, c’est juste que j’aime bien quand Antoine est là, c’est tout.
– Mais nous tu t’en fous ?
– Mais non, c’est juste pas pareil ! Je tiens à Antoine, d’une manière différente.
Damien allait répondre lorsqu’Antoine l’en empêcha :
– Qu’est-ce que tu veux dire, Lucy ?
– Ne fais pas comme si tu n’avais pas compris… Je pensais que…
– Que ?
– Tu avais compris que je t’aimais plus que bien.
– Ha.
Lucy se décomposa :
– “Ha” ? C’est tout ce que tu trouves à répondre ? Juste “Ha” ?
– Désolé, je ne sais pas quoi dire… Ce ne sera pas possible. Je t’aime bien, mais ça n’ira pas plus loin que ça.
Le silence se fit. Antoine n’avait pas pris la peine d’amener sa réponse avec douceur. Il se leva mais Lucy l’en empêcha d’une voix sèche :
– Tu restes là.
– Pardon ?
– Reste là. Je veux comprendre.
Antoine reprit sa place sous le regard d’Arthur, de Paul et de Damien qui attendaient sa réaction. Lucy demanda :
– Pourquoi ? Je croyais que c’était évident, on passe notre temps ensemble…
– Oui, parce que tu es une super amie !
– Qu’est-ce qu’il y a qui ne va pas ? Je suis trop énervante pour toi ?
– Mais non…
Damien ouvrit la bouche. Paul lui donna un coup de coude, il se ravisa. Antoine continua :
– Tu sais, Lucy, je t’aime vraiment bien, et je ne sais pas comment te le dire… Mais j’ai quelqu’un.
Paul vit Thomas entrer dans le foyer, ce qu’il faisait rarement. Il échangea quelques mots avec Mike et se dirigea vers le groupe d’amis. Paul voulut lui faire signe d’attendre pour ne pas couper la conversation mais il n’osa pas. Heureusement, le responsable des études fut arrêté par un autre élève avant d’arriver devant les canapés où s’étaient installés Paul et ses amis. Lucy était restée muette pendant plusieurs secondes. Antoine lui demanda :
– Ça va, Lucy ?
Elle mit un peu de temps avant de répondre :
– C’est qui ?
– Je ne suis pas sûr que ce soit très intéressant.
– Je la connais ? Elle est à l’école ? Il n’y a pas tant de filles, je trouverais tu sais ?
– Je ne pense pas…
Lucy avait étonnamment trouvé un air plus enjoué :
– Dis-moi ! Je veux savoir ! Je veux TOUT savoir ! Ça fait combien de temps ?
Antoine, lui, avait gardé un air pensif :
– Je ne sais pas, quelques mois…
– C’est pour ça que tu nous laisses si souvent ?
– Oui, c’est pour ça.
– Moi qui croyais que tu allais voir un psy !
– Un psy ? Non !
– Bon, dis-moi sinon je trouverais !
– Ça m’étonnerait…
– Pourquoi ? Elle est pas à l’école ?
– Si, si on veut…
– Ben si, forcément sinon tu ne nous quitterais pas pour la rejoindre. “Si on veut“… Je sais, c’est pas une étudiante ! Une prof ? Allez ! Dis-moi qui c’est ! Au moins son prénom, juste son prénom !
Paul voulut intervenir quand Antoine abdiqua :
– Bon, ok, tu l’auras voulu. C’est Clément.
Paul regarda Lucy, il sentait qu’elle avait envie de répondre mais sa bouche était restée ouverte sans qu’elle puisse la bouger. Paul tourna la tête vers Damien dont le sourire s’agrandissait doucement. Paul savait qu’il se retenait d’éclater de rire. Il lui donna un nouveau coup de coude. Damien perdit son sourire.
Le silence fut pesant. Antoine avait baissé la tête et son regard oscillait entre ses deux chaussures. Paul vit Thomas serrer la main de l’élève avec qui il parlait. Il n’allait pas tarder à arriver. Ce n’était pas le moment. Paul intervint et s’adressa doucement à son ami Antoine :
– Ça va, Antoine ?
Il murmura :
– Oui… Lucy, je suis désolé.
La voix de Lucy claqua :
– Tu peux. Au moins, je ne te demanderai pas ce qu’il a de plus que moi.
– Je ne voulais pas que tu l’apprennes.
Paul intervint et s’adressa à Lucy :
– Tu es dure. C’est pas simple ce qu’Antoine nous a dit.
Il se tourna ensuite vers Antoine :
– Tu sais, tu n’as pas à vouloir le cacher avec nous. Je veux dire… Ça ne pose pas de souci, vraiment.
– Merci…
Lucy profita du silence :
– Antoine… Je suis désolé d’avoir réagi comme ça. J’imagine que ça n’a pas été facile de nous le dire. C’est juste que, j’espérais… Enfin c’est pas grave. Au fond, je suis contente pour toi. Et puis… c’est mignon les homos !
Antoine ignora cette remarque stéréotypée. Paul tenta de faire de même, ce n’était pas le moment d’initier un nouveau conflit.
Antoine, qui avait toujours la tête baissée, reprit :
– Je suis désolé quand même…
Le silence reprit. Paul releva la tête. Thomas avait été arrêté par un autre élève juste devant le groupe d’amis mais s’en dégageait. Il lança un regard à Paul et posa ses mains sur le dossier du canapé où étaient installés Antoine et Arthur qui sursautèrent.
Le directeur des études les salua :
– Bonsoir, la partie se passe bien ?
Paul répondit :
– Tant que je gagne, moi ça va.
– Ne vous couchez pas trop tard.
– Oui, bien sûr.
Thomas laissa passer quelques secondes :
– Bonne soirée à vous !
Il donna ensuite deux tapes amicales sur l’épaule d’Antoine en lançant :
– Et toi, continue à bien travailler en restant toi-même.
Paul vit Antoine devenir blême tandis que Thomas s’éloignait.
Paul reprit :
– Tu vois, il ne faut pas t’inquiéter…
Antoine répondit, paniqué :
– Il a tout entendu ?
– Visiblement… Il était juste derrière.
Lucy rassura à son tour son ami :
– Ne t’inquiète pas, il s’en fout, il va pas aller le raconter à tout le monde !
Les cinq amis restèrent un moment avant qu’Antoine ne s’exclame :
– Merde ! J’ai oublié Clément !
Il se redressa brutalement, salua ses amis et disparut, laissant les quatre amis reprendre leur partie.
Le lendemain, Paul et Damien se réveillèrent avant Arthur. Ils descendirent prendre leur petit déjeuner et y retrouvèrent Antoine. Ils s’assirent face à lui. Antoine semblait bien réveillé :
– Salut !
Les deux autres jeunes espions lui répondirent. Antoine leur demanda s’ils avaient passé une bonne nuit, ce sur quoi ils répondirent par l’affirmative. Antoine poursuivit :
– J’espère que je ne vous ai pas trop… surpris hier. Je tenais à vous remercier encore de l’avoir pris comme ça.
Damien retira la cuillère remplie de céréales de sa bouche :
– On le savait.
– Ha bon ? Ça se voit tant que ça ?
– On t’avait vu.
Paul ne savait pas comment allait réagir Antoine et resta muet. Antoine voulut en savoir plus :
– Comment ça ?
– A Noël, avec Paul on est allé au gymnase, on t’a vu avec Clément.
– Et vous n’avez rien dit ?
– Paul ne voulait pas.
Antoine regarda Paul :
– Merci, c’est vraiment sympa de n’avoir rien dit.
Gêné, Paul répondit :
– Bah… Je me suis dit que tu le dirais toi-même en temps voulu.
– C’est sympa quand même.
Lucy arriva avec son plateau chargé. Les trois garçons l’accueillirent et changèrent de sujet. Elle n’aurait pas apprécié ne pas avoir été informée par Paul et Damien. De plus, un autre sujet était au cœur de leurs discussion, celui des examens de fin d’années qui allait arriver.
Paul avait commencé à réviser l’ensemble de son programme. Tous les soirs, il retrouvait ses amis à la bibliothèque pour travailler, abandonnant le foyer. Il avait parfois du mal à se concentrer mais se forçait à laisser de côté ses pensées qui dérivaient encore vers son enlèvement par leur ancien professeur de natation.
Les examens commençaient une semaine plus tard, à raison d’une matière par demi-journée. Les trois premiers jours, ils avaient les matières théoriques, le dernier jour était consacré au sport.
Paul se sentait prêt. Il n’était pas sûr d’être le premier mais il savait qu’il avait de grandes chances d’avoir de bons résultats pour passer en deuxième année, l’année du bac français.
Le lundi, il se présenta devant la salle de classe dans laquelle il allait passer les six prochaines demi-journées. Il s’installa à la place qu’on lui avait attitrée. La première matière était le français, suivie l’après-midi par l’histoire. Deux matières denses mais que Paul appréciait. Il en sortit fatigué à force de concentration mais satisfait de ce qu’il avait rendu.
Le mardi, ils avaient les langues le matin, puis les mathématiques. A nouveau, Paul rendit ses copies avec la satisfaction du travail bien fait.
Le mercredi, Paul découvrit d’abord une épreuve de géopolitique. C’était une matière compliquée par son programme chargé, semé de dates et d’évènements historiques, parfois en lien avec l’actualité. Le thème de l’examen n’était pas des plus aisés puisqu’il s’agissait des liens des services d’espionnage entre les pays d’Europe. Paul savait que cette matière pouvait à elle seule lui faire manquer la première place.
A plusieurs moments, sur des dates très récentes, Paul pensa à son grand-père et à son père qui avaient dû connaitre les situations évoquées.
L’après-midi, c’était une épreuve d’histoire de l’espionnage qui attendait les élèves espions. Cette fois encore, le double sujet comportait une partie sur des missions de la fin du XXème siècle, que Pawel et Frank avaient dû connaitre, peut-être même activement. Paul se mit à rêver d’une épreuve, quelques années plus tard, traitant d’un de ses exploits en tant qu’espion. Mais pour cela, il fallait d’abord valider son année et terminer ses études.
Le dernier jour d’examen arriva avec la journée de sport. Paul fut ravi d’apprendre qu’il aurait deux épreuves. La première, le matin, était une série de combats puis la seconde, l’après-midi, comprenait de la course et de la natation.
La matinée, chaque élève avait trois combats, sous les yeux des professeurs de sport. Paul tomba en premier contre un élève du nom d’Ethan, qui se situait dans la moyenne. Il réussit à le battre aisément. Le deuxième adversaire s’appelait Yanis. Il gagna ce deuxième combat avec un peu plus de difficulté.
Son troisième adversaire était de taille car le tirage au sort avait désigné Antoine.
Le but d’un combat était de toucher l’adversaire. Aucun coup ne devait être blessant sous peine d’élimination. Bien entendu, tous les combattants étaient protégés par des casques et portaient des gants. Il fallait cependant contrôler sa force, se protéger pour éviter les coups et en donner. Celui qui touchait l’adversaire le plus de fois gagnait.
L’arbitre était un de leur professeur, Monsieur Rouanet, professeur de renforcement musculaire. Il annonça le début du combat. C’est Antoine qui se jeta le premier en avant. Paul l’évita et se tourna en lançant sa jambe en arrière. Un mouvement dangereux si Antoine était trop proche mais qui pouvait donner un avantage à Paul s’il le touchait. Le lycéen manqua sa cible. Les deux garçons furent écartés puis le combat reprit.
Cette fois, Paul donna un coup de pied en avant pour toucher son adversaire niveau du torse puis un autre au niveau de la tête. Il manqua à nouveau son coup et recula. Antoine vint vers lui. Paul tourna autour de son adversaire, s’approcha et tenta un nouveau de le toucher. Cette fois, Paul parvint à avoir Antoine au niveau de l’épaule et reprit immédiatement ses appuis pour continuer à tourner. Il menait un à zéro, un avantage de taille face à un bon adversaire.
Satisfait, il eut à peine le temps de voir Antoine lancer son poing sur lui et ne put l’éviter. Paul fut déséquilibré et sortit des limites du terrain. Un partout.
Les deux garçons reprirent place, face à face, au centre du tatami. Ils se défiaient du regard malgré leur grande amitié. Ils avaient tous les deux l’envie de gagner ce combat.
Dès la reprise, les deux garçons s’approchèrent, la jambe en avant pour se protéger. Leur allonge étant proche, ils se touchèrent mutuellement. Antoine fut le plus rapide à reprendre ses appuis et se lança en avant. Paul savait qu’il n’était pas en bonne posture. Il reposa sa jambe, esquiva un coup d’Antoine qui faillit le faire tomber mais se reprit in-extremis. Il savait que tourner autour d’Antoine était une bonne technique. Cette fois, il se lança vers lui, donna un coup de pied que son ami tenta d’esquiver en se protégeant de sa jambe mais sans succès. Paul réussit à surprendre Antoine en lui saisissant la jambe et lui assena un coup de poing sur la joue droite. Il reprenait l’avantage. L’arbitre les fit revenir au centre. Ils gardèrent leur garde en sautillant. Paul s’avança, rata son coup mais prit son adversaire au cou et le fit tomber, un avantage psychologique important. L’arbitre les arrêta et leur redemanda de se relever. Il leur permit de reprendre. Paul, confiant, se lança en avant, jambe levée. Antoine fit face et donna un coup de pied qui glissa sur le mollet de Paul, le déséquilibrant et le faisant tomber en arrière. Antoine se précipita vers son adversaire mais Paul releva la jambe pour se protéger et arrêter Antoine.
Paul put se relever et une nouvelle reprise commença. Cette fois, les deux adversaires s’observèrent plus longuement avant que Paul ne tente un coup de pied qui passa loin d’Antoine qui réagit avec le même mouvement sans plus de succès.
Paul, prit par la volonté de gagner, se tourna légèrement, fit pivoter son bassin en posant les mains au sol. Il envoya sa jambe gauche en l’air en premier sans sentir de contact, suivie de la droite qui n’eut pas plus de succès. C’eut été un magnifique coup s’il avait réussi. Déçu mais concentré, Paul reposa les jambes. Le seul problème, qu’il n’avait pas prévu, était la lenteur du mouvement dans sa phase finale. Il se redressa et se retourna juste à temps pour voir le poing d’Antoine arriver sur lui. Il ne put l’éviter. Il recula alors qu’Antoine s’avançait à nouveau. Paul se retourna en lançant sa jambe en arrière. Il comprit qu’Antoine avait évité le coup lorsqu’il sentit le poids de son ami dans son dos. Il fut projeté à terre, Antoine revenait au score, pire, il le devançait.
Ils se relevèrent. Cette fois, Paul était décidé. Face à Antoine, il lança un premier coup de pied, imité par son ami qui le toucha lui aussi. Ils reprirent leurs appuis, se jaugèrent et Paul envoya son pied en avant une nouvelle fois, surprenant Antoine qui le prit en pleine face. Antoine s’avança ce qui eut pour effet d’aider Paul à plier sa jambe. Il n’eut plus qu’à la tendre à nouveau pour déstabiliser son adversaire qui tomba en arrière. Paul en profita pour s’approcher et lui donner un nouveau coup de pied au visage. L’arbitre intervint pour écarter Paul et laisser Antoine se relever.
Paul pouvait lire dans les yeux d’Antoine sa peur de perdre. Ils reprirent à nouveau le combat. Paul envoya un premier coup de pied qu’Antoine esquiva avant de répliquer. Paul revint à la charge avec une nouvelle tentative de touche tout en avançant. Il sentit son appui suivre son mouvement et tomba en avant. Lorsqu’il se releva, il put voir le sourire d’Antoine sur son visage. Le combat était intense. Antoine se lança sur Paul qui esquiva, se retourna et poussa son adversaire. Antoine ne sortit pas de la zone et ne tomba pas. Ce n’était pas un mouvement qui faisait gagner des points à Paul mais il gardait l’avantage psychologique.
Les deux garçons reprirent. Cette fois, les poings d’Antoine touchèrent leur cible à deux reprises. Paul ne savait plus à combien de points ils étaient. Il ne restait plus beaucoup de temps, il devait gagner. Il se précipita vers Antoine qui leva la jambe et le stoppa net. Paul reprit ses appuis et sa respiration sans attendre puis retenta le même coup. Cette fois, il sentit le pied d’Antoine lui frapper le front. Il garda l’équilibre et lança son poing pour toucher son adversaire.
Les deux garçons se refirent face. Il fallait tenter le tout pour le tout.
Paul s’approcha d’Antoine et feinta de lever la jambe. Antoine leva la sienne pour se protéger, Paul put la saisir, tourna son corps pour arriver à hauteur de son adversaire en le contournant, se baissa et lança son pied en arrière. Un coup d’une grande classe. Antoine tomba accompagné par Paul.
L’arbitre leur demanda de se relever, de se faire face à nouveau et relança le combat. Paul savait qu’autour, tous les élèves les regardaient. Ce fut un moment d’inattention fatal car, lorsqu’il revint au combat, Antoine avait déjà armé son poing. Paul n’eut pas le temps d’esquiver le coup de son ami qui lui arriva sur la joue gauche.
L’arbitre mit fin au combat pour la dernière fois.
Paul et Antoine se saluèrent et attendirent le résultat de l’arbitre.
Paul était impatient, il ne savait pas qui avait gagné.
L’arbitre annonça le résultat, c’était une égalité. Cela arrangea Paul qui savait qu’il était moins bon qu’Antoine.
Les deux garçons retirèrent leur casque et se sourirent. Antoine avança sa main :
– Bravo c’était un beau combat.
Paul saisit la main de son ami :
– Bravo à toi.
Après la pause déjeuner, qui fut l’occasion pour les amis de Paul et d’Antoine de commenter ce combat, les élèves se préparèrent à la dernière épreuve.
Sous les yeux du professeur de sport, monsieur Bianchi, et du nouveau professeur de natation, monsieur Masson – qui avait officiellement remplacé Ivankov pour cause de départ en retraite anticipé – les élèves partaient à tour de rôle.
Paul était habitué au sport et le kilomètre de course se passa sans encombre. Les quatre longueurs de piscine furent plus délicates mais l’étudiant arriva au bout.
Paul était satisfait de ses épreuves.
Le soir, au self, Thomas prit la parole :
– Bonsoir. Je m’adresse aux élèves de première année. Je tenais à vous féliciter pour vos épreuves d’aujourd’hui. Vos résultats vous seront communiqués individuellement dans deux semaines, juste avant votre départ en vacances. Bien entendu, les cours continuent jusqu’à cette date. Bonne soirée.
Deux semaines à attendre. Deux semaines pour Paul avant de savoir s’il passait en deuxième année et s’il était le meilleur de sa classe.
Tous ses amis attendaient eux aussi cette date avec impatience.
Le vendredi 6 juillet, tous les élèves de première année s’étaient levés tôt. Ils savaient que leurs résultats tomberaient dans la matinée.
Paul et ses amis se retrouvèrent au self où le sujet de conversation central fut ces résultats. Tous voulaient suivre ensuite la filière scientifique, sauf Antoine qui préférait l’économie.
A huit heures trente, Paul et ses amis s’assirent dans la cour centrale. Il faisait bon. D’autres élèves marchaient, s’asseyaient, passaient le temps avant le moment tant attendu.
Paul vit Thomas sortir du bâtiment avec des feuilles en main. Il était sûr que c’était le classement.
Les cinq amis regardèrent le responsable d’études s’approcher d’un panneau d’affichage et fixer ses feuilles à l’aide de punaises.
Les élèves de première année s’approchèrent et découvrirent un tableau reprenant tous les noms des élèves, accompagnés d’un numéro et d’une heure. Aucune autre indication. L’Aigle faisait durer le suspense.
Paul avait le numéro sept, à dix heures.
Damien et Antoine avaient deux numéros différents à la même heure tandis que Lucy et Arthur, portant respectivement les numéros trois et cinq, avaient quinze minutes d’avance sur leurs amis.
Paul lut la phrase sous le tableau :
“Les élèves sont priés de se rendre dans la salle correspondant à leur numéro à l’heure indiquée. Les salles sont situées au premier étage du bâtiment 1“.
Les résultats seraient donc donnés individuellement, sans doute pour faire monter le stress chez les élèves.
Le groupe reprit place dans la cour. Certains élèves se dirigeaient vers le bâtiment où avaient lieu les rendez-vous, d’autres s’écartaient pour attendre dans d’autres lieux.
Arthur et Lucy quittèrent leurs amis un peu après neuf heures trente. Paul, Damien et Antoine leurs souhaitèrent bonne chance.
Cinq minutes avant leurs rendez-vous, les trois amis restants se rendirent au premier étage du bâtiment un. Chaque porte avait un numéro. Paul se plaça devant celle portant le numéro sept et attendit.
A dix heures précises, la porte s’ouvrit. Un élève sortit. Paul reconnut Ethan, contre qui il avait fait son premier combat. Il n’eut pas le temps de lui demander si cela c’était bien passé qu’il entendit une voix venant de l’intérieur de la pièce :
– Monsieur Osinski.
Paul reconnut immédiatement la voix de Thomas et entra.
Le directeur des études était assis derrière un bureau, quelques dossiers devant lui. Il indiqua à Paul de s’asseoir face à lui et commença :
– Bien, Paul. Nous sommes ici pour faire un bilan de cette année. Tout d’abord, comment toi tu l’as vécue ?
Paul fit le bilan dans son esprit. L’année avait été chargée, il avait dû s’habituer à la vie du campus, réussir ses premiers examens, découvrir qui étaient réellement son père puis son grand-père et avait failli se faire noyer puis s’était fait torturer par l’un de ses professeurs. Il répondit sobrement :
– Bien, à l’exception de quelques incidents.
– Oui, bien sûr, cela n’était pas prévu dans notre programme. En dehors de ces “incidents“, j’ai analysé avec l’équipe pédagogique ton année puis tes résultats aux derniers examens. Avant de te donner mes observations, il faut que je te demande quelle filière tu souhaites intégrer l’an prochain.
Paul n’hésita pas :
– J’aurais souhaité faire une première S.
– Bien. Faisons le point sur ton année. Tu as été brillant aux premiers tests d’entrée où tu es arrivé en deuxième place. Ensuite, lors du premier trimestre, tu as été bon mais tu t’es surtout amélioré dans toutes les matières, notamment en sport. A ton arrivée, ce n’était pas ta matière forte et tu t’en es bien tiré. Lors du deuxième trimestre, tu as continué sur ta lancée avec une petite baisse à peu près au milieu de ce trimestre. Nous savons tous les deux qu’elle s’explique aisément mais tu as fait face et tu as terminé au plus haut. J’avais des doutes sur ta capacité à faire face à ce que tu as vécu, tu as refusé d’être suivi et tu ne m’as pas sollicité. J’étais sceptique mais je suis admiratif de ta force mentale. J’espère qu’aujourd’hui tu ne vis plus avec ce poids.
Le responsable des études laissa un instant, indiquant qu’il attendait une réponse. Paul la luit fournit :
– Ça va, j’y pense encore mais de moins en moins. Je pense que je m’en sortirai. Si ça continuait à la rentrée, je vous préviendrais.
Thomas acquiesça :
– Bien, n’hésite pas surtout. Si tu as besoin d’un spécialiste, il ne sera jamais trop tard. Pour en revenir à tes études, le troisième trimestre est une réussite totale. Côté comportement, nous n’avons rien à dire. Concernant tes examens enfin… Tu nous as surpris.
Paul sentit soudain un doute. Cette dernière phrase était mystérieuse. Il avait l’impression d’avoir réussi mais Thomas semblait préparer une phrase moins agréable. Paul écouta son responsable d’études continuer :
– En effet, nous ne nous attendions pas à ces résultats, surtout en sport. Tu es passé devant tous tes camarades. C’est simple, à chaque matière, tu es arrivé en tête, on ne peut pas faire mieux. Enfin, si, tu aurais toujours pu avoir de meilleures notes, mais ta moyenne sur les examens est la meilleure de l’année. Dix-sept. C’est-à-dire presque autant que ta moyenne du troisième trimestre. Alors bien entendu, nous allons te faire passer en deuxième année et tu suivras le programme scientifique pour préparer le bac.
Paul ne cacha pas son sourire :
– Merci.
– Tu n’as pas à me remercier, c’est toi qui as bien travaillé. Tu vas pouvoir profiter de tes vacances et revenir l’an prochain ! Je vais te donner ton bulletin. Il y est inscrit tes moyennes ainsi que l’avis positif pour passer en deuxième année dans la filière de ton choix. Je coche simplement la bonne case et je signe.
Thomas prit son stylo. Paul le vit cocher la case de la filière scientifique et signer le document qu’il tint à son élève.
Le lycéen prit la feuille, remercia Thomas et sortit.
Dans la cour, le groupe d’ami se retrouva. Tous passaient en classe supérieure. Tous étaient satisfaits de leurs résultats et avaient déjà hâte de découvrir la deuxième année.
Le soir, une dernière soirée fut organisée. Paul retrouva Mike qui le félicita pour ses résultats.
Ils terminèrent vers trois heures du matin avant que le groupe d’amis ne se couche pour une courte nuit.
Le lendemain, Paul prépara ses bagages après le petit déjeuner.
A neuf heures précises, le groupe de lycéens se retrouva dans le hall. Paul aperçut ses parents. Il se tourna vers ses amis :
– Bon, je vais y aller.
Il serra la main d’Arthur puis de Damien avant que Lucy ne lui saute au cou en l’enlaçant. Paul posa ses mains sur son dos avant de la relâcher. Il se tourna vers Antoine qui avait un sourire aux lèvres. Paul lui tendit la main, Antoine lui répondit :
– Je te sauterai bien au cou, mais je crois que Clément est derrière, il le prendrait mal.
Les deux garçons s’amusèrent de ce trait d’humour et Antoine serra la main de Paul. Lui aussi dit au revoir au groupe d’amis pour retrouver Clément avant les grandes vacances.
Paul se dirigea vers la sortie et retrouva ses parents. Frank semblait en pleine discussion avec Thomas. Paul s’approcha, mit ses affaires dans le coffre de la voiture tout en saluant sa mère et retrouva son père. Il l’entendit dire :
– Merci Thomas. Je suis vraiment content que Paul se plaise ici et qu’il ait de bons résultats.
Thomas répondit :
– Visiblement, c’est dans les gènes.
Thomas adressa un sourire à Paul et lui tendit la main :
– Bonnes vacances Paul.
Paul saisit la main tendue :
– Merci, à vous aussi.
Frank et Paul retournèrent à la voiture.
Frank démarra et la voiture se dirigea vers la sortie.
Paul adressa un dernier regard au campus. Il était content d’être en vacances mais avait déjà hâte de revenir. Il savait que sa deuxième année serait intense et lui réserverait de nouvelles surprises.