L'Histoire

Après une première année mouvementée et pendant laquelle il a dû faire face à une menace dans son propre lycée, Paul reprend les cours à l’AIGLE, l’école pour jeunes espions.
A 17ans, il va devoir, accompagné de son responsable des études, enquêter sur de mystérieux vols de tableaux dont le suivant est prévu au National Gallery, à Londres.
Paul va se lancer dans une course-poursuite à travers le monde pour démasquer ce mystérieux voleur, quitte à s’absenter de l’école pendant de longues semaines malgré les premières épreuves du baccalauréat en fin d’année.
Dans le même temps, un nouvel élève arrive dans la classe de Paul, Sasha, qui semble être un concurrent sérieux aux meilleurs élèves de la classe.

Vol International

En ce vingt-cinquième jour du mois d’août, Paul s’ennuyait. Son voyage en Espagne avec ses parents était terminé depuis plus d’une semaine et il se consolait en comptant les jours avant son retour sur le campus de l’Aigle.

Il lui restait un peu plus d’une semaine de vacances avant de retrouver ses habitudes scolaires. Bien sûr, il regretterait les vacances dès les premiers cours. Il savait que l’emploi du temps de cette deuxième année allait être au moins aussi chargé qu’en première année.

Après une année scolaire à vivre en leur compagnie, Damien, Antoine, Arthur et Lucy lui manquaient. Paul pensait même à ses professeurs et à ses responsables d’étude. Il espérait que l’équipe pédagogique qu’il aurait lors de cette deuxième année serait au moins aussi bien que l’an passé.

Son ami de collège, Louis, qu’il n’avait pu voir que la veille, l’avait trouvé changé, physiquement comme mentalement. L’année que Paul avait passée sur le campus de l’Aigle l’avait fait évoluer et il en était pleinement conscient. Il s’était musclé, était plus calme et il avait mûri. Louis avait compris que l’établissement dans lequel Paul se trouvait depuis un an maintenant n’était pas qu’un simple lycée. Les changements avaient été trop flagrants, trop rapides, pour n’être dû qu’à un entrainement personnel. Il avait tenté de questionner Paul à plusieurs reprises mais les réponses laconiques du jeune espion l’avaient finalement dissuadé d’insister.

Pour tenter de combler l’ennui pendant cette dernière semaine de congés, Paul reprit ses cahiers. Il révisa pour être à jour dès son arrivée. Il s’était rendu compte que les vacances lui avaient fait perdre le rythme ainsi que quelques notions dont il avait besoin de se remémorer.

Lors de la première année passée sur le campus de l’Aigle, qui correspondait à la classe de seconde dans un lycée classique, il avait terminé ses examens devant ses camarades, ce qui lui procurait une certaine fierté et il comptait continuer sur cette lancée. La compétition entre les élèves était amicale mais bien réelle, surtout pour certains, comme Arthur, qui voulait sans cesse surpasser ses amis, souvent sans y parvenir réellement.

Le premier dimanche de septembre, Paul se sentait prêt. Il avait réussi à travailler l’ensemble des notions sur lesquelles il avait senti quelques lacunes.

L’heure de route le séparant du campus lui sembla longue, très longue, malgré les dernières discussions avec ses parents, avant plus d’un mois de séparation.

Tous les élèves de l’Aigle faisaient leur rentrée le dimanche. Chaque classe arrivait à une heure différente et chacun des élèves se voyait attribuer une chambre et les documents nécessaires à sa rentrée, comme leur emploi du temps. Ainsi, ils étaient en mesure de débuter leur année à l’heure dès le lundi matin.

Les élèves de deuxième année étaient priés d’être présents pour dix-sept heures. Une vingtaine de minutes plus tôt, Paul vit enfin par la vitre de la voiture le long mur qui bordait le campus.

C’est ce moment que choisit Maude, sa mère, pour lui demander :

– Tu es content de reprendre ?

– Oui, c’est long deux mois finalement.

Maude esquissa un sourire :

– C’est bien que tu te plaises dans ton école. Tu as bien fait de tenter d’y entrer l’an passé.

Paul n’aimait pas ces discussions. Il ne savait jamais ce que sa mère espérait comme réponse ni comment argumenter. Il se contentait en général de réponses simples et allant dans le sens des questions :

– Oui.

– Tes amis seront dans ta classe ?

– Normalement oui.

– Tu travailleras bien cette année. La filière scientifique n’est pas facile, et tu ne pourras pas te reposer autant qu’en seconde.

Paul repensa à l’année passée. Il ne pouvait pas dire qu’elle avait été de tout repos. Au-delà de devoir s’habituer au rythme et aux habitudes d’une nouvelle école, les semaines avaient été chargées et c’était sans compter les deux tentatives d’assassinat dont il avait été l’objet.

Il répondit finalement à sa mère :

– Je m’y ferai, j’ai déjà commencé à travailler.

Maude sembla satisfaite d’apprendre que son fils s’appliquait à réussir sa rentrée :

– C’est bien. Continue et tu auras ton bac facilement.

Paul garda le silence. La voiture s’engagea devant les grandes grilles de l’établissement qui étaient ouvertes pour accueillir les élèves.

Frank, le père de Paul, roulait au pas sur le chemin bordé d’arbres. L’adolescent de dix-sept ans se souvint de la première fois où il avait vu cette impressionnante entrée, le jour où il avait eu rendez-vous pour son inscription avec Thomas Duchesne qui fut son responsable des études lors de sa première année sur le campus.

La voiture se stationna sur le parking extérieur, devant le bâtiment d’accueil du centre.

Il y avait peu de véhicule sur le parking, une douzaine tout au plus. La même scène se produisant chaque fois. Une voiture se garait, une famille descendait, l’élève prenait ses affaires dans le coffre, saluait ses parents qui repartaient. Comme chaque année, les parents n’avaient pas l’autorisation d’aller plus loin que le parking.

Paul ne dérogea pas au rituel.

Il descendit de voiture et ouvrit le coffre du véhicule. Il salua d’abord son père. Il le regarda une seconde, pensant que quelques années plus tôt, il avait lui aussi dû vivre les mêmes scènes, d’abord comme élève puis comme professeur et enfin en tant que directeur des études. Aujourd’hui, en accompagnant son fils, il devait lui aussi se souvenir de ces années.

Paul n’avait pas discuté de l’espionnage ou de son école avec son père pendant les vacances. C’était un secret qu’ils partageaient mais au sujet duquel ils n’échangeaient jamais.

Paul se tourna vers sa mère qu’il embrassa à son tour.

Il regarda ensuite ses parents monter dans la voiture et se tourna vers le bâtiment.

Derrière lui, son père avait démarré et commençait à rouler au pas pour quitter l’établissement.

La grande porte principale était ouverte. Des élèves se pressaient pour entrer.

Paul reconnut aisément un autre élève de sa classe, Aymeric, par sa coupe de cheveux et son style vestimentaire unique dans l’école. Il semblait sorti des années 90. Pour la rentrée, il était vêtu d’un jogging gris et d’une veste de sport blanche sur un tee-shirt noir qui semblaient tous deux trop larges pour lui. Si le style pouvait sembler négligé, il était en réalité tout à fait travaillé. Ses baskets étaient du même gris que son jogging ainsi que de son casque posé sur ses dreadlocks brunes aux pointes blondes qui lui tombaient à hauteur d’oreille.

Si ce n’était pas le style de Paul, il reconnaissait qu’Aymeric portait tout à fait bien cette coupe. Au cours d’une discussion quelques mois plus tôt, le jeune breton lui avait expliqué qu’il avait depuis longtemps ce style et cette coupe de cheveux qu’il n’aurait changé pour rien au monde. Si Aymeric avait dû se défendre face à certains professeurs qui avaient préjugé d’un élève turbulent, il avait fait ses preuves et démontré que les premières impressions que l’on avait pu avoir de lui étaient loin d’être fondées.

Paul observa Aymeric se diriger vers un autre élève qu’il salua. C’était Ethan, un très bon élève de la classe. Paul l’avait battu lors d’un combat pendant ses examens de fin d’année. Ethan était un bon élève qui était arrivé quatrième l’année passée.  

Ethan était le genre d’élève avec qui il était impossible de ne pas s’entendre. D’un naturel avenant, il s’intéressait toujours à ses camarades et n’était jamais le dernier à prendre des nouvelles de chacun. 

Paul s’approcha des deux garçons et les salua d’une franche poignée de main.

Ils se séparèrent sans plus de discussion en entrant dans le hall d’accueil. Paul chercha du regard d’autres têtes familières, en particulier ses amis de l’an passé.

Ils restaient introuvables.

Un panneau devant la porte de la cour indiquait aux élèves qu’ils étaient attendus dans l’auditorium Victor Hugo à dix-sept heures précises après avoir laissé leurs affaires dans une salle proche de l’accueil. Paul regarda l’horloge fixée au mur face à lui. Il lui restait un peu plus de dix minutes pour rejoindre le sous-sol, de l’autre côté de la cour.

Il déposa comme demandé sa valise et son sac dans la salle. Il savait qu’il les retrouverait dans sa chambre. Il ouvrit la porte qui donnait sur la cour. Là, de nombreux élèves discutaient. La plupart d’entre eux étaient plus âgés et avaient déjà fait leur rentrée. Ils profitaient du soleil de septembre pour bavarder, racontant probablement leurs deux mois de congés.

Paul passa son regard sur la population de l’école. Les visages qu’il pouvait observer ne lui étaient pas inconnus et tous semblaient ravis de se retrouver pour une nouvelle année.

L’étudiant repéra enfin ses amis, assis sur le bord de la fontaine au centre de la cour. Paul ne put s’empêcher de sourire et se remit en marche, pressant le pas pour parcourir les derniers mètres et rejoindre Antoine, Lucy, Damien et Arthur. Il espérait avoir le temps de discuter avec eux avant de devoir descendre à l’auditorium et assister à la rentrée. Il regrettait presque de n’arriver qu’en dernier.

Lucy repéra Paul qui s’approchait :

– Paul ! Enfin ! J’ai cru que tu n’arriverais jamais !

Paul sourit timidement devant l’enthousiasme habituel de son amie :

– Salut Lucy !

       Il salua ensuite Antoine, Arthur puis Damien. De tous, c’est ce dernier qui lui avait le plus manqué.

       Paul avait connu Damien un an auparavant, à la même date. Il n’aurait jamais pensé, à cette époque-là, qu’ils deviendraient amis. La première impression qu’il avait eu de Damien en le voyant fut qu’il semblait surexcité, bavard et qu’il manquait de recul sur ce qui l’entourait. Cette impression avait bien changée lorsque Paul avait découvert la sensibilité de son ami avec qui il avait partagé sa chambre pendant toute sa première année sur le campus. Il espérait que cette année, il aurait à nouveau cette chance et, surtout, qu’il ne se retrouverait pas dans une chambre avec des élèves qu’il connaissait moins bien.

Lucy sortit Paul de ses pensées :

– Il faudrait qu’on y aille ça va être l’heure et je ne pense pas que ce soit une bonne idée d’arriver en retard.

Tous acquiescèrent et prirent la direction du bâtiment quatre, celui qui permettait d’accéder directement à l’auditorium Victor Hugo.

La vingtaine d’élèves de deuxième année était attendue devant les portes de la salle par un jeune homme derrière une table blanche. Paul le reconnut immédiatement et s’approcha :

– Salut Mike !

L’élève qui était maintenant en cinquième année, visiblement heureux de retrouver Paul, lui adressa un sourire enjoué :

– Paul ! Comment vas-tu ?

– Bien. Et toi ?

– Aussi. Content que ce soit la rentrée et de vous retrouver !

– Moi aussi.

Paul repensa que pour la première fois, il avait trouvé les congés d’été trop longs.

Mike descendit les yeux sur le registre des élèves entrant en deuxième année qui était posé sur sa table et le parcourut du regard. Il vérifia que les noms de Paul et de ses amis y étaient bien inscrits :

– Allez-y !  Ça me fait plaisir de vous revoir !

Le petit groupe remercia l’ainé et entra dans l’auditorium. Il faisait chaud et une ambiance étrange régnait, une excitation partagée par l’ensemble des élèves qui avait hâte de reprendre la vie sur le campus tout en se racontant leurs vacances. Un brouhaha insupportable bourdonnait aux oreilles de Paul qui suivit Lucy jusqu’à une série de sièges disponibles au milieu de la grande salle.

Paul regarda les autres élèves. Ils n’étaient pourtant pas si nombreux mais l’acoustique de la salle était tel qu’on aurait pu croire que l’ensemble des élèves de l’école s’était réuni. 

Le directeur de l’Aigle, Samuel Guyot, entra sur la scène de l’auditorium. Il affichait un large sourire, celui-là même qui le rendait toujours sympathique aux yeux des étudiants.

Le directeur semblait heureux en toutes circonstances et une nouvelle rentrée ne pouvait être pour lui qu’une grande source de joie.

Paul reconnut instantanément celui qui l’accompagnait, quelques mètres derrière, vêtu d’un costume noir, d’une chemise blanche et d’une cravate assortie au costume. Il dénotait de son prédécesseur qui était bien plus âgé et au style vestimentaire plus ancien.

Thomas Duchesne était chargé d’un épais dossier vert. C’était lui qui avait été l’un des responsables d’études de Paul l’année précédente.

Les élèves remarquèrent l’entrée des deux hommes et le silence se fit. Paul se demanda si Thomas Duchesne allait à nouveau encadrer sa classe, c’était une option qui ravirait l’étudiant, tout comme l’ensemble de sa classe.

L’habituel discours de rentrée par le directeur commença. 

Pour Paul, il était à la hauteur de ses espérances. Plat, sans grand intérêt, et sans information importante. Le directeur de l’Aigle avait insisté sur l’importance de cette année, principalement en raison des épreuves anticipées du baccalauréat. D’aussi loin qu’il se souvienne, Paul avait toujours entendu que l’année dans laquelle il entrait, quelle qu’elle soit, était une année importante si ce n’est la plus importante de sa scolarité.

Le seul point intéressant que Paul trouva en cette rentrée était l’annonce faite par Thomas Duchesne. C’était bien lui qui allait suivre les élèves de la classe de Paul tout au long de l’année. Le responsable habituel était parti dans un autre établissement et Miss Maillard, la seconde responsable des élèves de première année pouvait se débrouiller seule avec les nouveaux arrivants.

Paul se sentait soulagé. Il appréciait Thomas Duchesne qui l’avait aidé l’année passée à faire face aux menaces qu’il avait reçues.

Le discours dura une quinzaine de minutes avant qu’on ne leur présente un peu plus en détail l’organisation de leur année ainsi que la manière dont se déroulerait les épreuves du baccalauréat.

Lorsque la présentation fut terminée, le directeur leur souhaita à tous une très bonne année et disparut par les coulisses, sur le côté de la scène. 

Paul se dirigea avec ses amis vers la sortie de l’auditorium. Deux personnes les attendaient pour leur remettre des dossiers nominatifs, de couleur orange, dans lesquels les élèves trouveraient leur numéro de chambre et les informations relatives à leur année.

Paul s’approcha de la table et donna son nom. Une jeune femme que l’étudiant n’avait jamais vue chercha parmi les dossiers rangés par ordre alphabétique. Elle trouva celui au nom de Paul et lui tint.

Le nouvel élève de deuxième année ouvrit le dossier sans attendre et sortit la première feuille sur laquelle il lut rapidement un rappel de son état civil et sa classe. Ce qui l’intéressait était le numéro situé au milieu de la feuille.

Le jeune espion allait passer l’année dans la chambre qui portait le numéro 4302. C’était comme l’an passé dans le bâtiment quatre, mais au troisième étage et non au deuxième. A en croire le numéro de la chambre, elle était vraisemblablement la deuxième, au début du couloir.

Il compara son numéro de chambre avec ceux de ses amis. Il commença par demander à Damien :

– Tu es dans quelle chambre ?

– 4305 et toi ?

       – 4302…

Arthur intervint :

– J’ai la 4305 aussi, on sera ensemble Damien !

Ce que redoutait Paul arrivait, il allait se retrouver sans ses amis.

Antoine qui était sorti après ses amis, regarda à son tour sa fiche :

– 4302 aussi, Paul ! On sera dans la même chambre !

Paul se sentit presque immédiatement soulagé par cette nouvelle. Au moins l’un de ses amis était dans sa chambre.

Comme s’il lisait dans les pensées de Paul, Antoine ajouta :

– J’espère que le troisième qui sera avec nous sera sympa.

L’année précédente, Paul avait partagé sa chambre avec Damien et Arthur, ce qui avait été l’une des meilleures configurations possibles. S’il avait été avec d’autres élèves, peut-être que le groupe d’amis qui existait aujourd’hui n’aurait pas vu le jour. 

Il passa en revue tous les élèves de son niveau. Il n’avait d’animosité pour personne :

– Je ne vois pas avec qui ça pourrait être compliqué.

Antoine acquiesça. Damien reprit :

– On a peut-être des chambres de deux !

Lucy intervint :

– Non, ce sont toujours des chambres de trois et ça ne devrait pas changer. 

– Oui, mais ils auraient pu faire des exceptions !

Lucy ajouta :

– Au moins vous êtes par deux. Vous n’aurez qu’une personne qui n’est pas dans notre groupe avec vous. Moi ça sera la surprise, et les quelques filles d’ici sont… bizarres.

Damien s’étonna :

– Bizarres ?

– L’année dernière, j’étais avec Pauline et franchement, si je pouvais l’éviter…

– Pourquoi ?

– Tu vois le mur, là-bas ?

– Oui ?

– Elle doit avoir autant de conversation.

Le groupe d’amis commença à monter les marches menant aux chambres. Paul et Antoine arrivèrent devant leur porte qu’ils poussèrent pour découvrir la pièce, très différente de la chambre des élèves de première année qu’ils avaient connue l’année précédente.

Ils entraient dans un fin couloir. Sur leur droite, une porte menait à une salle de bains. S’en suivaient trois ouvertures pour accéder à trois espaces similaires dans lesquels on trouvait un lit, une commode et un bureau. Chaque espace était séparé par une fine cloison qui s’arrêtait à hauteur d’homme.

Paul se dirigea vers le fond :

– Antoine, ça ne te dérange pas si je me mets au bout ?

– Non, je vais me mettre au milieu et on laisse le premier lit pour celui qui nous rejoindra.

– Parfait.

Paul posa sa valise au bout de son lit et l’ouvrit. Il commença à remplir la commode en prenant soin de ne pas déplier ses affaires. Il posa ensuite son sac à dos au pied de son bureau.

Antoine apparut dans l’ouverture de l’espace de Paul :

– C’est dommage ces cloisons.

– Pourquoi ?

– Je préférerais avoir une grande chambre avec les trois lits, ce serait mieux pour discuter.

Paul haussa les épaules : 

– Là aussi on peut discuter, les boxes sont assez grands pour tenir à trois. Et si on veut dormir pendant que les deux autres discutent, ce sera possible.

Antoine grimaça, il n’était visiblement pas convaincu mais finit par aller dans le sens de son ami :

– Oui c’est vrai. Je suis content d’être dans ta chambre, ça va être une bonne année !

Bien qu’il ne le montre pas, Paul fut content de savoir que son ami était heureux de partager la même pièce pendant cette année :

– Moi aussi.

Les deux amis entendirent soudain la porte de la chambre s’ouvrir. Ils passèrent la tête sur le côté de la cloison. Un garçon de leur âge que Paul n’avait jamais vu s’avança timidement :

– Bonjour.

Paul dévisagea le nouveau venu. Il était persuadé qu’il n’avait pas été dans leur classe l’an passé. C’était un garçon un peu plus grand que lui, blonds lui aussi, aux yeux verts et au visage sympathique parsemé de quelques taches de rousseur. Paul ressentit presque une légère jalousie.

Il sortit finalement de son espace et s’avança vers le nouvel arrivant, suivi d’Antoine. L’inconnu leur serra la main avant de se présenter :

– Je suis Sacha, Sacha Hayes. Je suis arrivé aujourd’hui. Vous avez choisi vos lits ?

Paul lui répondit et le mit à l’aise :

– Moi c’est Paul et lui Antoine. Oui, on a choisi mais si tu as une préférence on peut encore changer.

D’une voix basse, Sacha répondit :

– Non, non ça va.

Curieux d’en apprendre plus sur cet élève qui venait d’arriver, Antoine demanda :

– Tu viens d’où ?

Une pointe de fierté se lut dans le regard de Sacha :

– J’étais étudiant l’année dernière à Houston, Texas, dans une école comme celle-là mais aux Etats-Unis.

– Et tu as changé pour venir en France ?

– Mon père a été muté.

Paul reprit :

– Bienvenue à l’Aigle alors. Si tu as une question, tu peux nous la poser.

Sacha hocha la tête, Paul proposa d’une voix neutre :

– On doit rejoindre nos amis pour le diner, tu veux te joindre à nous ?

Sacha hésita quelques instants et répondit :

– Ce serai super ! Merci.

Puis, d’une voix plus basse et timide, il continua :

– J’avais peur de me retrouver un peu seul ici ce soir…

Paul ne put s’empêcher de sourire discrètement. Il savait qu’il était parfois difficile de s’intégrer dans un groupe déjà constitué et voulait faire en sorte que ce nouvel élève soit le plus rapidement à son aise. Sacha regagna son lit et sortit ses affaires de sa valise.

Antoine s’avança vers Paul qui s’était reculé dans son box. Il chuchota :

– Tu le trouve comment le nouveau ?

– Sacha ?

– Oui.

Paul haussa les épaules :

– Je ne sais pas, il a l’air sympa, pourquoi ?

Le regard d’Antoine fuit sur sa droite :

– Je sais pas, il n’est pas très bavard…

– Il vient d’arriver, c’est normal. Ça ira mieux quand il sera intégré.

– Tu as raison. Tu as bien fait de l’inviter à venir avec nous.

Paul rassura son camarade :

– Je suis sûr qu’il se fera rapidement à la classe.

– J’espère que tu as raison. En tous cas il fait pas espion.

Paul s’étonna :

– Pourquoi tu dis ça ?

– C’est comme ça que tu imagines un espion américain toi ?

La question d’Antoine amusa Paul :

– C’est un élève. Rassure-toi, tu ne fais pas plus espion que lui.

– Peut-être. Enfin j’espère que ça se passera bien avec lui.

Paul ne put s’empêcher d’insister :

– Ne t’inquiètes pas, ça se passera bien, et puis il a l’air sympa.

– Et mignon.

Paul répondit d’un sourire amusé avant de retrouver Sacha qui terminait de ranger des pantalons :

– Ça va ? Tu es bien installé ?

Sacha tourna la tête vers son camarade en souriant :

– Oui, super.

– On va sortir. Tu es prêt ?

– Oui, je vous suis.

Sacha semblait déjà plus à l’aise que lors de son arrivée dans la chambre.

Les trois garçons passèrent la porte et retrouvèrent dans le couloir Damien et Arthur qui fermaient la porte de leur chambre. Ils s’approchèrent.

Damien dévisagea Sacha :

– Salut ! Tu es dans la chambre avec Antoine et Paul ?

– Oui, je viens des États-Unis, je suis Sacha, Sacha Hayes.

Damien prit une voix grave :

– Grillon, Damien Grillon.

Tandis que Paul se cacha les yeux de la main gauche en secouant la tête, Sacha préféra sourire, un sourire gêné qui montrait surtout l’envie de faire plaisir à Damien. Il précisa tout de même :

– James Bond est anglais.

Damien ignora cette remarque :

– Tu n’as pas de chance d’être avec ces deux-là !

Sacha prit une mine inquiète :

– Pourquoi ?

– Je rigole. Paul est le meilleur élève et Antoine le meilleur sportif, tu vas avoir du challenge.

Paul regarda Arthur qui se décomposa. Lui qui voulait toujours être le meilleur n’avait pas apprécié que Damien ait osé dire que Paul était le meilleur élève. Pourtant, c’était vrai, il était arrivé premier l’an passé.

Antoine demanda :

– Et vous, qui est avec vous dans la chambre ?

D’un ton enjoué, Damien répondit :

– Ton mec !

– Clément ?

– Pourquoi ? Tu en as un autre ?

– Non… Mais on n’est plus ensemble.

Damien hocha la tête :

– Ha, c’est pour ça qu’il n’a pas voulu venir avec nous !

Antoine leva les yeux au ciel, mettant fin à la discussion. Les cinq garçons sortirent du bâtiment et se rendirent au réfectoire. Ils prirent un plateau et leur repas avant de s’asseoir autour d’une table de six personnes, rapidement rejoints par Lucy.

A son arrivée, Antoine, fidèle à lui-même, lui fit remarquer :

– C’est à ça qu’on reconnait que tu es une fille.

Lucy lui jeta un regard sombre, comme pour le prévenir que la remarque qu’il préparait n’allait pas être bien accueillie.

Antoine ne s’y arrêta pas :

– Toujours la dernière arrivée. Ça doit être le temps passé dans la salle de bain.

Calmement, Lucy s’assit à la place disponible. Elle regarda Antoine en souriant :

– Ou que, sociable, j’ai appris à connaitre les filles de ma chambre.

Antoine soupira :

– Ça va, c’était une blague.

Arthur demanda :

– Alors, Lucy, qui est dans ta chambre ?

– J’ai toujours Pauline mais visiblement elle a décidé de parler. Elle est très intéressante en fait ! On a des goûts communs !

Cette fois, c’est Damien qui ne put s’empêcher de demander :

– Comme ? Antoine ?

Lucy ouvrit la bouche pour répondre de manière assassine lorsqu’Arthur la coupa, revenant au sujet principal :

– Tu vois. Qui est la troisième de votre chambre ?

– Clarence.

– Je ne la connais pas… Elle est sympa ?

– Oui, mais elle est fière d’elle et ne m’apprécie pas trop je crois.

– Pourquoi ?

– Je ne dois pas être son style d’ami, on ne peut pas aimer tout le monde.

– C’est vrai.

Lucy s’adressa ensuite à Sacha :

– Alors, racontes nous, tu viens d’où ? Pourquoi tu es là ?

– Je viens de Houston, Texas, d’une école d’espionnage, comme ici. Mon père a été muté à Paris et moi je suis venu ici, pour la même chose que vous.

Lucy, qui avait selon Paul toujours des réactions bien plus grande que nécessaire, s’extasia :

– Super ! Ça doit être génial le Texas !

– C’est différent. J’aime bien la France, et puis c’est là où je suis né.

– Tu es français ?

– Oui, je suis né à Paris, j’ai déménagé aux Etats-Unis quand j’avais sept ans, mon père est américain.

– C’est pour ça que tu as un nom américain.

– Oui.

– Tu es dans quelle filière ?

– Scientifique.

– Comme nous. Sauf Antoine qui a choisi la mauvaise voie !

Antoine réagit :

– Economie c’est bien, mais j’ai une surprise pour vous…

Lucy, qui avait toujours un visage expressif, eut l’air intéressée par la nouvelle :

– Laquelle ?

– Vous allez aussi me supporter en cours.

– Tu vas en S ?

– Oui… J’ai changé d’avis.

– Pourquoi ?

– Je crois que ça me correspond plus.

– C’est génial ! On sera tous les six ensemble ! Mais il n’y aura pas beaucoup d’élèves en ES.

Arthur intervint :

– Autant qu’en S en fait, mais nous avons la plupart des cours en commun. D’ailleurs il me semble que Clément est en ES. J’ai vu que son emploi du temps n’était pas le même que le nôtre. Tu dois savoir Antoine ?

L’intéressé répondit d’un ton plus sec :

– Je ne sais pas, je ne regarde pas tout ce qu’il fait.

Arthur tenta de se rattraper avant de se raviser :

– Oui mais… laisse tomber.

Le groupe d’amis termina de diner en discutant de leurs vacances passées. Lorsqu’ils sortirent, le temps était doux.

Paul marchait avec Lucy et Antoine. Derrière eux, à quelques mètres, Arthur, Damien et Sacha discutaient.

Lucy se retourna vers eux :

– On va au foyer ?

Tout le monde était d’accord avec cette idée. Ils entrèrent dans le bâtiment quatre et descendirent au sous-sol. Ils passèrent devant l’auditorium avant d’arpenter les longs couloirs desservant les pièces sous-terraines du campus de l’Aigle. 

Le foyer était fidèle à ce qu’il avait été l’année passée. Une ambiance calme et animée à la fois. Des petits groupes d’élèves, en particulier des deux dernières années, discutaient autour des tables.  

Il y avait très peu d’élèves de troisième année et, hormis Paul et ses amis, aucun de deuxième année. Les élèves de la promotion de Paul préféraient en général les extérieurs ou la bibliothèque au foyer, dans lequel ils n’avaient jamais mis les pieds ou presque. Cette pièce gardait l’image de la salle réservée aux plus âgés, bruyante et peu accueillante. Pourtant, il n’en était rien. Si les discussions allaient bon train et que certains jouaient au flipper, au billard ou à des jeux vidéo installés dans un coin de la pièce, l’acoustique permettait de s’entendre sans même avoir à parler fort. L’ambiance était plus calme que ce que pouvaient en dire les élèves les plus jeunes et l’atmosphère était chaleureuse et agréable. C’était aussi un bon endroit pour rencontrer des élèves d’autres classes et sympathiser avec eux. C’est ainsi que Paul avait connu Mike l’an passé.

Les cinq amis avaient pris leurs habitudes. Ils s’installaient pratiquement toujours autour de la même table basse, sur un vieux canapé en cuir brun et des fauteuils club de la même couleur. Ils jouaient en général au tarot en buvant une boisson chaude.

Par l’habitude, cette place leur était presque réservée. Personne ne s’y asseyait et Paul avait même entendu un élève de quatrième année en parler en la décrivant comme “La table des nouveaux“. Il y avait plusieurs autres endroits dans la pièce tout aussi agréable et chacun s’était fait à cette coutume.

Pour cette première visite de l’année, Paul, accompagné de Lucy, s’approcha du bar et prit un thé, deux cafés et trois chocolat chauds. Les deux amis les posèrent sur la table basse et, tout en distribuant les cartes, expliquèrent les règles du tarot à Sacha pour qui ce jeu était encore inconnu.

L’américain apprit rapidement et, après quelques tours de chauffe, il était paré pour jouer avec les autres élèves sans avoir à demander qu’on lui réexplique certaines règles.

Bien entendu, il lui faudrait pratiquer pour saisir certaines subtilités auxquelles Paul et ses amis étaient déjà habitués.

Après avoir joué près de deux heures, à vingt-trois heures, heure du couvre-feu, le groupe d’amis retrouva leurs chambres.

Paul, Antoine et Sacha quittèrent leurs camarades au début du couloir et retrouvèrent chacun leur box.

Les trois adolescents se changèrent et se préparèrent avant de se coucher. Ils éteignirent leur lumière et le silence se fit.

Après quelques minutes, Paul entendit :

  – Paul ?

L’étudiant reconnut la voix d’Antoine. Il répondit :

– Oui ?

– Tu ne dors pas encore ?

– Si je te réponds c’est que non.

– Désolé.

– Non, dis-moi ce que tu voulais me dire.

– Je suis vraiment content d’être dans ta chambre.

– Tu me l’as déjà dit.

– Ouais mais quand même. Et toi aussi Sacha.

Sacha intervint :

– Moi aussi. Vous êtes sympa de m’avoir accueilli comme ça.

Paul ferma les yeux. Il entendait ses camarades continuer à discuter. Antoine expliquait au nouvel arrivant les habitudes du campus. Paul pensa qu’elles ne devaient pas être si différentes des pratiques des Etats-Unis. Il s’endormit.

Paul commençait son premier jour de l’année scolaire par deux heures de cours de français. La prévision de la journée n’enchantait pas le jeune espion. Après les deux premières heures, il avait une heure d’histoire, une heure d’éducation civique et une heure de mathématiques. Heureusement, les deux heures de sport après le déjeuner le sauveraient de l’ennui qu’il pouvait parfois ressentir après cinq heures de cours, en particulier sur les matières scolaires habituelles. Pour terminer la journée, Paul avait une heure d’indépendance. Il finissait sa journée de cours à dix-sept heures.

L’emploi du temps du jeune espion était chargé. Chaque jour, il commençait à huit heures pour terminer à dix-sept heures ou à dix-huit heures le vendredi. Il terminait sa semaine par deux heures de sport puis deux heures d’étude le samedi matin avant de profiter de son après-midi et du dimanche pour se reposer.

Tenir le rythme entre les matières scolaires et celles consacrées à l’espionnage était le défi le plus délicat pour la plupart des élèves de l’Aigle et cela leur demandait un effort particulier malgré leur motivation.

Le premier mois de cours passa pourtant très rapidement pour Paul. L’emploi du temps chargé et l’acclimatation aux cours ne lui avaient pas laissé le temps de s’ennuyer et il avait l’impression d’y avoir puisé toute son énergie. Ses amis, comme lui, avaient une mine plus fatiguée que lors de leur premier jour de cours. Ils attendaient tous les premières vacances de l’année avec impatience.

Sacha avait lui aussi pris se habitude après avoir été accueilli dans le groupe d’amis et il y avait pris sa place. Antoine, qui l’avait trouvé timide à son arrivé, semblait même être devenu son meilleur ami sur le campus. Tout le monde était heureux d’être là et l’harmonie régnait parfaitement.

Paul avait retrouvé ses professeurs, ses salles de classes et ses habitudes. Après une année complète passée sur le campus, il s’y sentait maintenant comme chez lui, au sein d’une grande famille.

La tranquillité du campus fut pourtant troublée, une nuit de cette fin du mois de septembre. Paul se réveilla, entendant au loin une alarme. Il ouvrit un œil, se demandant ce qu’il se passait et sortit de son lit. Sacha était déjà debout. Lorsqu’il vit Paul, l’américain demanda :

– Qu’est-ce qu’il se passe ?

La réponse vint d’une voix rauque et lointaine qui sortait des haut-parleurs :

Elèves de première année. Vous êtes attendus dans la cour centrale immédiatement. Vous n’avez ni le temps de vous préparer ni de prendre des affaires. Dépêchez-vous.

Paul expliqua la situation à Sacha :

– Les nouveaux arrivants de première année ont terminé leur mois d’intégration. Ils ont passé les tests d’entrée et ils vont apprendre qu’ils doivent partir pour deux jours en mission.

– Une vraie mission ?

– Non, simplement un test par équipe pour voir de quoi ils sont capables. Ils sont déjà épuisés par leurs tests et ils ont dû dormir trois heures maximum cette nuit.

– Vous avez été réveillé de la même manière l’an dernier ?

– Oui, tout le monde y passe lors de sa première année.

Le bruit des élèves quittant leur chambre à l’étage inférieur se fit entendre. Antoine proposa :

– On y va ?

Paul s’étonna de cette proposition :

– Tu veux refaire les tests ?

– Mais non, les voir, dans la cour ! Tu ne te souviens pas ? L’an dernier, il y avait des élèves qui se moquaient de nous.

Paul se souvint des quelques élèves plus âgés qui les avaient observés l’année passée :

– J’ai plutôt le souvenir qu’ils nous encourageaient. Mais après tout pourquoi pas. Tu viens avec nous Sacha ?

Sacha hésita :

– Vous êtes sûrs qu’on a le droit ? On nous a dit de rester dans nos chambres pendant la nuit …

– J’imagine qu’ils feront une exception pour ce soir.

Paul, Antoine et Sacha s’habillèrent rapidement et sortirent de leur chambre. Ils descendirent la volée de marche jusqu’au premier étage où des élèves de première année se pressaient pour sortir. Le stress était palpable et les visages, marqués par la fatigue, étaient tendus. Aucun des nouveaux élèves ne savait ce que leur avait préparé l’Aigle et la courte nuit ne les aidait pas à relativiser.

Dans la cour, les élèves de première année attendaient dans l’angoisse. Quelques-uns sortaient encore du bâtiment des chambres. Paul regarda sa montre, il était à peine deux heures du matin.

Quelques autres élèves non concernés par l’appel étaient eux-aussi descendus pour assister à l’évènement. La plupart s’en amusaient ou commentaient avec bienveillance. D’autres les encourageaient. Un peu plus loin, Paul remarqua Mike, accompagné d’Augustin, un autre élève de cinquième année. Ils observaient la situation en discutant.

Paul s’excusa auprès d’Antoine et de Sacha et retrouva les deux ainés :

– Salut Mike, salut Augustin. Vous aussi vous êtes venus ?

Mike répondit, enjoué :

– On ne raterait ça pour rien au monde. On passe tous par là et c’est ce qui nous renforce.

La phrase de Mike parut mystérieuse aux oreilles de Paul :

– Qu’est-ce que tu veux dire ?

– Tu ne t’es jamais demandé pourquoi tout le monde s’entendait bien ici ?

Paul chercha une explication :

– Non, j’imagine que c’est parce que… On se ressemble ?

L’aîné eut l’air de ne pas comprendre la réponse de Paul. Il fronça les sourcils :

– Comment ça ?

Le jeune élève s’expliqua :

– Il n’y a pas de mauvais élève, et on est quand même cadré.

L’aîné sourit :

– Tu as déjà entendu parler d’heure de colle à l’Aigle ?

Paul se laissa quelques secondes, fouillant dans sa mémoire, mais ne trouva aucun exemple :

– Non.

– Regarde les élèves de première année. Ils débarquent ici, on leur fait passer un mois intensif suivi de trois jours de tests dont le dernier est particulièrement physique. Ils dorment quelques heures puis on les réveille en sursaut et on les envoie se débrouiller seuls. Combien ont été éliminés dans ta promo ?

Paul réfléchit :

– Aucun je crois.

– Pareil dans la mienne, et ce sera la même chose à leur retour. Alors ces tests, tu es sûr qu’ils sont faits pour éliminer les mauvais éléments ?

Mike avait posé une colle à Paul qui livra une explication lui paraissant la plus évidente :

– Peut-être qu’il n’y en a tout simplement pas.

– Evidemment qu’il n’y en a pas, le recrutement se fait en amont. Avant de proposer à un élève d’entrer, ils savent déjà qu’il réussira les tests.

– Alors pourquoi ?

– La cohésion. Ici, quel que soit notre âge, nous sommes tous passé par là. On a fait équipe avec deux camarades et on passe chaque année ensemble. L’école à compris exactement comment faire pour que les élèves s’entendent bien entre eux. Leur faire partager une chose unique qu’ils n’auraient jamais connue en dehors.

Paul ne comprit pas où Mike voulait en venir :

– Et en quoi c’est une mauvaise chose ?

– C’est une très bonne chose au contraire. Mais peu de gens le comprennent.

Paul resta songeur. Il n’avait jamais réalisé que l’école prévoyait tout, ou plus précisément orientait ses élèves, réduisant tous les risques qu’un d’eux ne parte.

Mike sortit Paul de ses pensées :

– Tu vois le petit métisse là-bas ?

Paul regarda le groupe d’élève de première année. Il repéra l’élève dont parlait Mike :

– Oui ?

Fièrement, Mike le présenta :

– C’est mon cousin. Nathan.

– Il a l’air sympa.

– Oui, très. Il avait peur de ne pas s’intégrer ici, finalement, il s’est fait en quelques jours plein d’amis. Je suis sûr que ce sera une belle promo.

Les élèves de première année attendaient tous la suite.

Paul vit la forme svelte sortir du bâtiment de la direction. La suite, pour les élèves de première année, portait pour le moment un café dans un gobelet en carton et un tailleur bleu nuit serré avec jupe. Ses talons claquaient sur les pavés de la cour silencieuse. Cheveux longs, lunettes rondes, pas la moindre trace d’un sourire sur ses lèvres pincées, Miss Maillard monta sur un petit plan surélevé face aux élèves. Elle inspirait encore plus le respect que l’an passé.

Le directeur s’approcha d’elle. Aucun d’eux n’était fatigué. Contrairement aux élèves devant eux, ils n’avaient pas passé trois jours de tests.

La voix sèche de la responsable des études des élèves de première année se fit entendre. Elle expliqua à ses élèves ce qui les attendait.

Paul savait ce qu’elle avait dû penser lorsqu’elle s’était retrouvée seule en charge des plus jeunes élèves du campus. Elle avait dû être ravie de ne plus travailler avec Thomas Duchesne, trop laxiste selon elle.

Paul se tourna vers Mike :

– Tu l’as eu en responsable ?

– Maillard ? Non, heureusement. Elle n’était pas encore arrivée quand j’étais en première année. C’était encore…

Mike arrêta sa phrase, il semblait chercher ses mots. Paul la termina pour lui :

– Mon père ?

– Oui.

– C’est vrai, tu me l’avais dit l’an dernier. Donc Maillard c’est la remplaçante de mon père ?

– Si on veut, mais ils n’ont rien à voir.

Paul voulut en savoir plus. Il ne parlait jamais de l’école avec son père et ses seules sources d’information étaient les élèves ou membres de l’Aigle qui avaient connu son père :

– Comment ça ?

– Ton père était plus humain, plus compréhensif. Thomas est presque son sosie sur sa pédagogie.

Cette comparaison fit sourire Paul qui n’imaginait pas son père responsable d’étude sur ce campus. Il demanda à Mike :

– Et Maillard, tu sais d’où elle vient ?

– DGSI, dans les bureaux. Mais on ne sait pas ce qu’elle faisait.

Paul regarda la responsable des études. Elle distribuait les sacs en appelant les élèves par groupe de trois. Malgré son air sec et pincé, Paul savait qu’elle se dédiait entièrement à son travail et à ses élèves.

L’évènement touchait à sa fin. Les élèves qui partaient en mission d’essai quittaient petit à petit la cour, les autres élèves venus assister à la scène remontaient dans leur chambre.

Thomas apparut, son habituel sourire en coin. Il s’approcha de Paul :

– Ça te rappelle des souvenirs ?

– Un peu.

– Vous devriez retourner vous coucher. Vous avez cours demain et le couvre-feu est toujours à vingt-trois heures malgré l’animation de cette nuit.

Paul hocha la tête :

– Oui, j’y vais.

Paul salua Mike et Augustin et retrouva Antoine et Sacha. Ils remontèrent dans leur chambre.

Dans les escaliers, Paul se remémora cette nuit, lorsqu’il avait quitté le campus avec Damien et Mathieu, leur marche et leur mission pendant laquelle Paul avait été interrogé par une brute qui avait voulu le brûler vif. Bien entendu, tout était factice, mais les comédiens avaient parfaitement joué le jeu. Le jeune espion regrettait que Mathieu ne se soit pas intégré au groupe d’amis. Il était sympathique mais avait des affinités avec d’autres élèves. Paul le croisait en classe et sur le campus. Ils se saluaient mais ils ne discutaient presque jamais ensemble.

Paul s’allongea dans son lit. Il regarda sa montre. Deux heures trente-huit. Il ferma les yeux, bercé par le silence revenu sur le campus.

Les trois semaines suivantes passèrent aussi vite que les premières. Paul n’aimait pas ce moment de l’année où les jours raccourcissent et pendant lesquels les journées de cours semblent, elles, s’éterniser. C’était déjà pour lui annonciateur de l’hiver, la pire des saisons. Damien semblait du même avis. Dans le groupe d’amis, tous semblaient fatigués et espérer les vacances, tous sauf Lucy, qui, quel que soit le temps, était d’une bonne humeur constante. C’était aussi en partie grâce à elle que les autres élèves gardaient le moral.

Le vendredi 19 octobre, dernier jour avant les vacances, arriva.

A dix-sept heures, tous les élèves avaient eu ordre de regagner leur chambre. Aucun d’entre eux n’avait le droit d’être dans un couloir, dehors ou dans une autre pièce.

Sacha semblait stressé :

– Pourquoi on a dû rentrer ? Ça vous est déjà arrivé ?

Paul garda le silence tandis qu’Antoine répondit :

– Non, jamais, mais il doit y avoir une bonne raison.

Paul s’assit sur son lit. Antoine continua :

– J’espère qu’on pourra quand même partir en vacances.

Paul eut envie de répondre mais se ravisa. Il était évident que leur école ne les garderait pas enfermés ainsi trop longtemps.

Un bruit sourd qui fit sursauter Sacha raisonna dans le couloir.

Antoine demanda :

– On devrait peut-être aller voir…

Paul l’en dissuada :

– Non, tu as entendu les ordres. On ne bouge pas pour le moment.

Une alarme rauque retentit accompagnée d’un message automatique :

Mesure de confinement en cours. Merci de ne pas circuler. Veuillez ne pas paniquer et attendez les ordres de vos référents.

Le message se répéta.

Paul regarda Sacha. Son regard était fuyant, il n’était pas à l’aise. Antoine était inquiet lui aussi et cherchait des réponses :

– Qu’est-ce que vous croyez qu’il se passe ?

Paul haussa les épaules :

– Aucune idée.

– On est peut-être attaqué.

– Pourquoi on le serait ?

– Je ne sais pas, tu as entendu l’alarme…

– Ça peut aussi bien être un exercice.

Pendant de longues minutes, l’alarme et le message continuaient de résonner dans le bâtiment.

Soudain, il n’y eut plus un bruit. Le calme complet. Les trois jeunes espions se regardèrent. Antoine demanda :

– C’est fini ?

Une explosion se fit entendre depuis la forêt à quelques mètres des bâtiments, accompagné par une lumière éblouissante. Paul prit les choses en main :

– Ecartez-vous de la fenêtre, on va se mettre dans le box de Sacha, c’est le plus éloigné. On éteint les lumières et on ne fait plus de bruit.

Sacha et Antoine s’exécutèrent.

Le campus était silencieux. Un cri rauque, comme celui d’un animal, transperça la nuit suivie d’un autre, strident, comme si une personne s’était faite attaquée devant les fenêtres.

Une lumière violette venue de l’extérieur éclaira la pièce suivie d’une autre, verte.

Plus rien.

Un silence mortel pesait sur le campus. Il ne fut brisé que par un grincement long, comme celui d’une vielle porte.

Antoine chuchota :

– C’est quoi ce bordel ?

Paul sourit. Son air détendu dans en ce moment pesant sembla agacer ses camarades de chambre.

La voix du haut-parleur reprit :

Mesure de confinement. Alerte de sécurité. Défaillance technique. Mesure de confinement. Alerte de sécurité. Défaillance technique. Sécurité des bâtiments interrompue.“. Le message se répéta plusieurs fois.

Des pas se firent entendre dans le couloir, rapides, plus rapide encore qu’une personne qui courrait. Au son, Paul jugea qu’ils étaient trois. Un grognement de bête féroce éclata. Paul regarda Sacha. Il semblait avoir les larmes aux yeux. Antoine était plus stressé que jamais :

– Qu’est-ce qu’on fait ? C’est un chien ?

Le grognement ressemblait surtout à une bête sauvage. Paul ne répondit pas.

La porte de la chambre reçue un coup violent qui fit sursauter les trois élèves. Puis, un rire venu du bout du couloir se fit entendre. Un rire démoniaque, similaire à ceux que l’on pouvait parfois entendre dans certains films.

Sacha tremblait. Il était resté silencieux. Paul lui demanda :

– Ça va ?

Il resta muet. Paul n’insista pas.

Le bruit s’arrêta, comme si la bête s’était arrêtée. Le message dans les haut-parleurs cessa lui aussi.

Quelques secondes passèrent. A nouveau, les lumières éclairèrent l’intérieur des chambres. Un grésillement indiqua qu’un nouveau message allait être diffusé.

Mesure de confinement. Des cartons d’urgence sont disponibles dans les plafonds des toilettes et salle de bains du campus. Si vous êtes à proximité, merci de vous en saisir sans aucun bruit. Ne l’ouvrez sous aucun prétexte.

Le message se répéta. Antoine regarda Paul :

– Tu vas le chercher ?

Paul se releva. Il se dirigea dans les toilettes de la chambre et monta sur les cabinets afin d’atteindre le plafond. Il releva une partie du faux-plafond et tâtonna. Il sentit rapidement une forme cubique qu’il attira vers lui. Il le fit glisser pour le sortir de sa cachette. Il trouva la boite étonnamment propre pour l’endroit où elle était restée.

L’étudiant regarda le carton. Un symbole d’avertissement était inscrit, Paul le reconnut, c’était celui des armes biologiques. La situation devenait de plus en plus étrange et le lycéen se demanda s’il devait montrer ce carton à ses camarades, déjà assez stressés. Il le prit et le posa sans commentaire devant Antoine et Sacha qui regardèrent le logo.

Antoine demanda :

– C’est une attaque chimique ?

Paul préféra ne pas répondre.

Un nouveau bruit arriva à leurs oreilles. C’était une musique, douce, comme celles que l’on passait aux enfants pour qu’ils s’endorment.

Antoine balbutia :

– Paul… Là j’ai vraiment peur. Faut ouvrir le carton.

Paul regarda son ami. Sacha avait gardé la tête entre ses mains. Antoine tremblait. Paul leva les yeux au ciel :

– On nous a dit de ne pas l’ouvrir. Pour l’instant on est à l’abri. Attendons un peu. Ne vous inquiétez pas…

Les haut-parleurs grésillèrent à nouveau :

Vous avez… peur ?“. Un nouveau rire se fit entendre. La voix dans les haut-parleurs était familière.

Paul sourit. Lui n’avait plus peur.

Une musique se fit entendre dans le couloir, trop basse pour l’entendre parfaitement, en dehors de ce qui ressemblait à une ligne de basse avec à intervalle rapprochées une personne frappant dans ses mains. Une voix la couvrit à nouveau :

Très chers élèves de l’Aigle. Nous vous souhaitons de bonnes vacances et un joyeux… Halloween“.

La musique reprit, Paul reconnut la chanson “Thriller” de Michael Jackson. Des lumières s’allumèrent à l’extérieur.

Sacha sortit la tête d’entre ses genoux et regarda Antoine qui semblait aussi ahuri que lui. Il tourna la tête vers Paul qui ne put retenir un léger rire. Il avait compris en entendant les dernières phrases qui avaient été diffusées dans le couloir. C’était la voix de Mike, son camarade de cinquième année. Il n’était pas étonnant qu’il ait participé à l’organisation de ce canular. C’est aussi sa voix qui continua après un silence qui permit à chacun de reprendre ses esprits :

Vous trouverez dans les cartons devant vous qui, je l’espère, sont toujours fermés, de quoi vous habiller pour ce soir. Nous vous attendons au self dès que vous serez prêt !

Antoine sortit de son mutisme :

– Attends… Ils ont fait tout ça juste pour nous dire qu’ils organisaient une soirée ? Ils auraient pas pu nous envoyer un carton d’invitation ? En plus c’était mal joué…

Paul s’amusa :

– Tellement mal joué que tu y as complétement cru.

Antoine se défendit ironiquement, sachant parfaitement que Paul l’avait vu avoir peur :

– Même pas… Je faisais semblant !

Paul se tourna vers Sacha :

– Ça va mieux ?

L’américain hocha la tête :

– Vous êtes fous ici…

Antoine et Sacha éclatèrent de rire. Paul regarda la boîte :

– Alors… On l’ouvre ?

Antoine acquiesça :

– Je crois qu’on n’a pas le choix.

Les trois garçons découvrirent dans le carton cinq déguisement qu’ils sortirent un par un. Le premier était celui de Freddy Krueger, le personnage qui tue les adolescents dans leurs rêves.

Le second était un déguisement de chirurgien maculé de sang.

Paul sortit ensuite un déguisement de tigre. Le décalage entre ce costume d’animal dans une matière agréable et l’occasion l’amusa.

Antoine n’attendit pas pour sortir le costume suivant. C’était une tête de lapin aux yeux vitreux. Le visage gris et aux veines apparentes n’était pas rassurant, tout comme la grande dentition. Antoine remarqua :

– C’est un lapin.

Paul rectifia :

– C’est Frank, l’ami de Donnie Darko, c’est un personnage d’un film américain.

Antoine haussa les épaules :

– Si personne ne le prend il est pour moi.

Sacha sortit le dernier costume, c’était celui d’un squelette. Il le reposa dans la boîte et saisit celui de Freddy :

– Ça ne te dérange pas si je prends celui-ci, Paul ?

Paul regarda les trois costumes restants. Le chirurgien, le squelette et le tigre :

– Non, je vais prendre celui de tigre, il est plutôt drôle.

Les trois camarades prirent le temps de se préparer avant de sortir de leur chambre. Le couloir avait été décoré pour l’évènement, sans doute lorsque tous les élèves avaient été confinés dans leur chambre.

Ils croisèrent Lucas dans le couloir qui portait un costume de zombie parfaitement bien réalisé.

Ils descendirent ensuite dans la cour où de nombreux élèves, tous déguisés, se dirigeaient en discutant vers le réfectoire où ils étaient attendus. Le moment que l’Aigle venait de faire vivre à ses élèves était sur toutes les lèvres.

L’équipe pédagogique et les quelques élèves de quatrième et cinquième année ayant participé à l’organisation semblaient satisfaits de leur surprise.

Un menu spécial était servi aux élèves. Des produits noirs et orange, comme la décoration de la pièce, accompagnés de jus de fruits rouges.

Paul avait retrouvé Arthur, Lucy et Damien. Eux aussi avaient cru à une attaque du campus.

L’extérieur avait été décoré pour l’occasion et le resterait jusqu’au trente-et-un malgré les vacances.

Paul et ses amis apprécièrent la soirée qui se termina à une heure du matin. Le lendemain, ils étaient exemptés de sport et étaient donc en vacances. Cependant, les élèves de deuxième année n’auraient le droit de quitter le campus le dimanche seulement, à partir de neuf heures.

Paul avait préparé quelques affaires qu’il emportait pour les vacances, en particulier des vêtements. S’il pouvait faire ses lessives sur le campus, rien ne valait, selon lui, celles que sa mère faisait et l’odeur de la lessive qu’elle utilisait. Il avait hâte d’être chez lui, de se reposer, de faire une coupure avec son école et son programme. 

Il sortit de sa chambre un peu avant neuf heures, accompagné par ses camarades de chambre. Ses parents, comme à leur habitude, avaient été ponctuels et Frank, le père de Paul, discutait avec Thomas devant le hall d’accueil.

Paul se demanda ce que pouvait ressentir son père lorsqu’il parlait à l’un de ses anciens élèves, de plus celui qui était maintenant, en partie, en charge des études de son fils.

L’étudiant s’approcha. Il salua son père ainsi que Thomas qui lui souhaita de bonnes vacances. Paul retrouva ensuite sa mère et monta en voiture, rapidement rejoint par son père qui s’assit derrière le volant.

Maude, la mère de Paul, entama comme à son habitude la conversation avec son fils :

– Ça s’est bien passé ce début d’année ?

– Oui, un peu long.

– Tu ne t’ennuies pas au moins ?

– Je n’ai pas trop le temps de m’ennuyer, le programme est chargé.

– C’est bien, tu travailles bien ?

– Oui.

– Tu es toujours premier ?

– Je ne sais pas, je ne regarde pas et puis on n’a pas eu d’examens.

– Mais sur les contrôles ?

– Ça dépend, je suis dans les premiers mais pas toujours le premier.

Maude n’accorda pas d’importance au ton las de son fils :

– Et tes amis ? Ça se passe bien ? Vous êtes dans la même classe ?

– Oui.

– Tu es avec des amis dans la chambre ?

– Oui, un de l’année dernière et un qui est arrivé cette année.

– C’est bien. J’espère que tu l’as bien accueilli !

– Oui, ne t’inquiète pas. Je n’ai plus douze ans tu sais ?

– Ça n’empêche pas de bien accueillir tes nouveaux camarades. Ce n’est pas évident d’arriver dans une école alors que tout le monde se connait et a ses amis.

– Oui, je l’ai bien accueilli. Il fait aussi partie de mes amis. 

– Qu’est-ce que tu vas faire pendant tes vacances ?

– Dormir.

– C’était fatiguant ce début d’année ?

– Oui.

Maude n’insista pas plus longtemps, les réponses de Paul n’incitaient pas à la discussion.

La voiture entra après une heure de route dans le parking de la résidence où Paul vivait avec ses parents. L’étudiant retrouva sa chambre, alluma son ordinateur et prit son téléphone. Il chercha dans ses contacts son ami Louis et écrivit un message :

Salut, je ne t’ai pas vu connecté. Je suis en vacances. Tu es à Paris ?

Après quelques secondes, le téléphone de Paul vibra, c’était la réponse de son ami :

Désolé je suis en famille, je rentre ce soir à Paris. On se voit demain ?

Super ! Oui. Tu viens déjeuner ?

Ok. A demain ou ce soir si tu joues

Pour Paul, il était évident qu’il jouerait le soir même. Il se demandait si Antoine, son ami de collège, était toujours assidu aux jeux vidéo. Au collège, il était celui qui jouait le plus et qui entraînait facilement ses amis dans de nouveaux jeux.

Avec les grandes vacances et le changement d’établissement, Paul n’avait plus parlé à Antoine depuis longtemps. Il aurait sans doute des nouvelles par Louis dès le soir même.

Après avoir diné, Paul retrouva son ordinateur. Il discuta avec Louis par micro tout en jouant. Depuis longtemps maintenant, ils ne jouaient presque exclusivement qu’à un seul jeu, GTA. Ce soir-là, étonnamment, Louis ne sembla pas emballé par cette idée. Paul se rendit compte que l’internat ne lui permettait plus de suivre ses anciens amis comme avant. Leurs goûts avaient changé et ils passaient maintenant le plus clair de leur temps sur un autre jeu, Fortnite. Louis proposa à Paul d’essayer de jouer avec lui. Pour faire plaisir à son ami plutôt que par gaité de cœur, Paul accepta.

Sa première impression fut mitigée. Le but du jeu était simple, cent joueur sur une île, par équipe de deux. La dernière équipe en vie gagnait la partie.

Paul fut rapidement éliminé lors de ses deux premières parties. La troisième fut plus réussie, il avait compris le mécanisme du jeu et, lors de la cinquième partie, il arriva à suivre Louis. Il remarqua que ses réflexes s’étaient améliorés, sa logique aussi. Paul arrivait à réfléchir rapidement devant une situation dangereuse. Il se demanda si l’Aigle et ses cours y étaient pour quelque chose. Bien sûr, il se faisait encore éliminer mais plus les parties passaient, plus Paul était à l’aise et plus le score de l’équipe qu’il formait avec Louis montait.

Lorsque Louis demanda à Paul si certains de ses amis dans son école jouaient, Paul se posa la même question. Il se demanda si eux aussi étaient plus à l’aise que les années passées.

Arthur ne devait pas jouer aux jeux-vidéo, Paul était certain qu’il trouvait cela peu intéressant, pas assez culturel. Antoine n’avait pas un caractère de joueur et passait probablement ses vacances à faire du sport. Damien, cependant, avait le caractère parfait.

Sous l’insistance de Louis, Paul envoya un message à Damien pour lui demander s’il connaissait ce jeu. La réponse arriva rapidement :

Bien sûr ! Je suis en train de jouer ! Donne-moi ton pseudo !

Paul s’exécuta. Il était possible de former une équipe de trois joueurs et Damien rejoignit Paul et Louis.

Damien forçait l’admiration. Avec lui dans l’équipe, ils n’eurent pas de mal à gagner la plupart des parties. Il jouait seulement pendant les vacances mais avait visiblement un don naturel. Paul apprit que Damien avait beaucoup joué par le passé et faisait encore tout pour être le meilleur. Cela se ressentait aisément. Paul s’inclinait volontiers devant ce talent.

Malgré la fatigue, la soirée de jeu termina un peu avant deux heures du matin. Paul se prépara et se coucha pour s’endormir presque immédiatement. La fatigue l’avait rattrapé.

Il ne se réveilla qu’à onze heures et se sentit étonnamment reposé. Les nuits de neuf heures étaient rares sur le campus. 

Le jeune espion traina quelques minutes dans son lit. Il se rappela que Louis devait arriver pour déjeuner.

Il se leva et se dirigea directement dans la salle de bains. L’eau le réveilla. Il se fit la remarque que la vie sur le campus avait même changé ses habitudes. Deux ans auparavant, il se réveillait et allait prendre son petit-déjeuner. Aujourd’hui, il avait l’impression qu’il lui fallait prendre sa douche et s’habiller avant même de se rendre dans la cuisine.

Comme Louis allait arriver, Paul ne but qu’un thé et mangea un morceau de pain beurré. Il gardait son appétit pour le déjeuner.

Une heure plus tard, à midi et demi, Louis arriva.

Il avait apporté deux pizzas, dont la préférée de Paul, avec surtout de la viande.

Après déjeuner, comme ils l’avaient toujours fait, les deux amis discutèrent en jouant à la console jusqu’à l’heure à laquelle Louis rentrait chez lui.

Ce programme fut le même les jours suivants.

Devant son besoin de coupure avec l’école, le jeune espion s’accorda pendant ces vacances le droit de ne pas ouvrir un seul livre de cours en dehors des devoirs imposés par ses professeurs.

La veille de son retour sur le campus de l’Aigle, Paul s’était rendu chez Louis pour le voir une dernière fois avant la fin des vacances. Louis vivait avec ses parents dans un bel appartement parisien. Ils avaient eu envie de profiter au maximum de cette journée ensemble. Au-delà du jeu, les deux amis avaient pu discuter et avaient même regardé un film, ce qu’ils ne faisaient que très rarement ensemble.

C’est au moment où Paul allait partir que son ami le retint :

– Attends, tu ne veux toujours pas me dire ?

Paul attendait une blague de son ami :

– Te dire quoi ?

Louis semblait pourtant bien sérieux :

– Ton école. A chaque fois que je te pose la moindre question, tu changes de sujet. Tu es devenu si snob qu’intégrer une bonne formation t’empêche d’en parler ?

Paul chercha une échappatoire :

– Quand on se voit, je préfère parler d’autre chose que des cours, c’est tout.

Louis sembla suspicieux :

– Il n’y a que ça ? J’ai connu la semaine dernière celui qui est ton meilleur pote là-bas et tu ne m’en avais jamais parlé.

– Je ne sais pas, ce n’est pas venu dans la discussion, c’est tout.

– Je trouve ça étrange quand même.

Paul ne répondit pas. Il tendit la main vers son ami qui la prit. Il lui dit finalement :

– Ne t’inquiètes pas, rien d’étrange, pas plus que là où tu es.

Louis répondit par un sourire discret. Paul savait que Louis n’était pas satisfait de cette discussion.

L’élève espion sortit et marcha vers chez lui. Il avait pensé des dizaines, peut-être des centaines de fois au fait que Louis entre dans la même école que lui. Lors de son inscription, il s’était demandé pourquoi lui avait été approché et pas son ami. Il avait même voulu demander à l’administration de proposer à Louis de les rejoindre mais il ne l’avait jamais fait. Il savait qu’à l’Aigle, on entrait en première année. Le seul nouvel élève qu’il connaissait et qui avait échappé à cette règle était Sacha, qui avait fait une première année dans une école similaire aux Etats-Unis.

Paul entra chez lui. Le lendemain, à la même heure, il serait de retour sur le campus et le quotidien reprendrait ses droits. La parenthèse des vacances touchait à sa fin.

Il prépara son sac. Pour la première fois, il n’était pas enthousiaste à l’idée de retrouver le campus. Bien sûr, après deux semaines, ses amis commençaient à lui manquer, mais les retrouver était pour le moment l’unique point positif de son retour.

Le dimanche, lorsque Paul arriva sur le campus puis dans sa chambre. Sacha et Antoine étaient déjà arrivés.

Retrouver ses camarades redonna à Paul une partie de la motivation qu’il avait perdue.

       Paul passa d’abord devant le box de Sacha qu’il salua d’un signe de la main. L’américain, hormis lors de son premier jour, ne serrait jamais la main des autres et ne faisait jamais la bise. C’était un trait de caractère étonnant selon Paul qui s’était adapté à son camarade.

       Sacha dépliait ses affaires pour les ranger. C’était un garçon très ordonné. Paul avait remarqué que son lit était toujours fait au carré, presque immédiatement après le réveil. Son box était impeccablement rangé et ses vêtements parfaitement pliés. Paul se demanda si les habitudes de son camarade de chambre venaient de sa première année aux Etats-Unis ou de ses parents.

Paul arriva devant l’espace d’Antoine, moins ordonné que son camarade. Il était allongé sur son lit. Cette fois, Paul s’avança et tendit la main, saisie fermement par son ami qui l’accueillit en se relevant :

– Ça va ?

– Oui, la reprise va être dure. Et toi ?

– Pareil, j’étais bien en vacances !

Paul répondit par un sourire et se dirigea vers le fond de la chambre. Il posa sa valise sur le côté de son bureau et s’assit sur son lit. Un sourire pointa au coin de ses lèvres. Finalement, il se sentait bien sur le campus.

Il retrouva avec plaisir ses autres amis le soir, autour de la table du réfectoire.

Le groupe d’amis profita de ce moment pour que chacun puisse raconter ses vacances. Aucun d’entre eux n’était parti mais tous avaient profité de ce temps pour se reposer et s’adonner à leurs loisirs favoris.

Le lundi commença comme tous les lundis par deux heures de français. Les élèves de la classe de Paul se racontaient encore leurs vacances et semblaient rattraper les deux semaines pendant lesquelles ils avaient été séparés.

Damien s’était assis comme souvent à côté de Paul. Il se pencha vers lui et chuchota :

– C’était cool de jouer ensemble pendant ces vacances !

Paul répondit sur le même ton :

– Oui, t’es super fort.

Une voix les interrompit :

– Monsieur Osinski !

Paul sursauta. Il regarda sa professeure, madame Vigneau, qui le fixait avec insistance. Paul trouva cela injuste de s’être fait remarquer pour une phrase prononcée alors que tous les élèves s’en était donné à cœur joie pendant tout le début du cours.

Paul s’excusa :

– Excusez-moi, madame.

– Cessez de vous dissiper. Cela est valable pour l’ensemble de la classe. J’estime vous avoir assez laissé échanger, veillez à vous taire ou vous ne terminerez pas le cours avec moi.

Un silence presque religieux se fit. Le cours reprit, les élèves avaient tous les yeux rivés sur leur professeure qui annonçait les textes qu’ils étudieraient pendant les prochaines semaines de cours.

Paul retourna à sa copie pour noter le titre des œuvres. Au moment de saisir son stylo, par un faux mouvement, celui-ci tomba. Bien entendu, cela se fit en plein silence. Même madame Vigneau avait suspendu sa phrase.

Le jeune espion se baissa délicatement pour ramasser l’objet, tentant d’être le plus discret possible.

Lorsqu’il releva la tête dans un grand silence, il regarda vers le tableau. Cécile Vigneau le fixait, les sourcils froncés. Paul s’excusa à nouveau :

– Pardon, mon stylo était tombé.

Cette fois, la voix sèche de la professeure claqua :

– Je ne tolère pas que l’on se moque de moi monsieur Osinski, et ce genre de comportement n’a pas sa place dans cette école. Les vacances ne vous réussissent visiblement pas. Je peux vous garantir que je ne laisserai pas cette provocation sans suite. Vous avez de la chance que j’accepte encore votre présence dans cette salle. Travaillez.

Paul comprit qu’il n’était pas question de répondre. Tous les élèves étaient dans l’incompréhension et regardaient Paul, attendant une réaction de sa part.

Paul se contenta de baisser les yeux sur sa feuille. Madame Vigneau avait vraisemblablement pensé que son élève avait délibérément fait tomber son stylo pour perturber sa classe. Paul se garda d’ouvrir la bouche une seule fois pendant toute la durée du cours.

Lorsque l’étudiant fut sorti de la salle, parmi les premiers élèves, Damien le rattrapa :

– Qu’est-ce qu’il lui arrive à Vigneau ?

Paul répondit d’un air las :

– Je ne sais pas, visiblement elle a cru que je me moquais d’elle.

Damien se révolta :

– Tu avais fait tomber ton stylo, ce n’était pas ta faute !

– Ça passera.

– Elle avait l’air décidée à ne pas te lâcher.

Paul haussa les épaules :

– Je vois mal ce qu’elle peut faire pour un stylo.

La matinée se poursuivit dans le calme pour la classe de Paul et de ses amis.

A midi, après le repas, ils sortirent et s’assirent comme souvent devant la fontaine, qui trônait au milieu de la cour centrale du campus. Ils interrompirent leur discussion lorsque Thomas Duchesne, leur responsable d’études, s’approcha d’eux. Il les salua et se tourna vers Paul :

– Paul, peux-tu venir dans mon bureau après ton cours de sport ? J’ai à te parler.

Paul fut surpris et répondit, une hésitation dans la voix :

– Oui… je viendrai.

Il savait qu’avec le responsable d’étude, aussi sympathique et bienveillant soit-il, il n’était pas nécessaire de poser de questions. Duchesne estimait que, lorsqu’il parlait, il donnait toutes les informations nécessaires. Le jeune espion se garda donc de demander l’objet de cette convocation et le responsable d’étude poursuivit :

– Merci, à tout à l’heure. Bon après-midi à tous.

Thomas tourna les talons. Lucy demanda à Paul :

– Tu crois que c’est pour ce matin ?

– Ce matin ?

– Peut-être que Vigneau est allé le voir pour le stylo. Elle a dû lui dire que tu lui avais “manqué de respect“.

Paul resta songeur :

– Si elle a fait ça, elle m’en veut vraiment. Mais je pense qu’avec Thomas je pourrais m’expliquer.

Antoine intervint :

– Ça c’est sûr, surtout toi !

Le sourire en coin d’Antoine indiqua à Paul sa référence au fait que tout le groupe d’amis considérait Paul comme l’élève préféré de leur responsable d’étude. Paul répondit :

– Tu sais bien que je n’ai pas de traitement de faveur.

– Non, bien sûr, tu es juste son… favori.

Tous s’amusèrent de cette remarque, sauf Paul :

– Arrêtes Antoine, ce n’est plus drôle après un an.

– Bon ça va, c’était juste une blague… Mais je continuerais quand même à t’appeler “le favori”. Ça te va bien.

Damien les coupa :

– C’est peut-être autre chose, Paul ?

Paul se tourna vers Damien :

– De quoi tu parles ?

– Ton rendez-vous, c’est peut-être pour un autre sujet.

– J’espère mais je ne vois pas lequel.

Damien garda le silence.

En se dirigeant vers le gymnase pour la séance de sport, Paul repensa à la raison de ce rendez-vous. Il n’avait rien à se reprocher, ses notes étaient bonnes et il ne se faisait jamais remarquer.

Le cours de sport se passa comme à son habitude. Paul n’était pas au mieux de sa forme mais il assura un minimum de résultat.

Le cours terminé, il se dirigea vers le bâtiment de direction. Il sentit sa gorge se nouer, son cœur s’accélérer et taper plus fort dans sa poitrine. Il accéléra le pas. Plus vite il serait dans ce bureau, plus vite sa crise d’angoisse passerait. Il s’agaça lui-même de cette réaction, c’était un travail qu’il devait faire sur lui pour oublier son stress au moindre évènement imprévu.

Il arriva devant la porte close du bureau de Thomas Duchesne et frappa.

Après quelques secondes, la voix du responsable des études retentit à travers la porte :

– Entrez.

Paul tourna la poignée et ouvrit la porte.

Le responsable des études, assis derrière son bureau, avait son sourire habituel. Un sourire qui inspirait la confiance et la bienveillance. Un sourire qui eut pour effet de détendre Paul et lui faire disparaitre son angoisse. Thomas Duchesne invita son élève d’une voix calme :

– Entre, Paul, assieds-toi.

Derrière lui, le Directeur de l’Aigle était debout, regardant par la fenêtre. Il se tourna vers Paul à son arrivée. L’élève s’avança dans la pièce et s’assit. Il avait hâte de connaître la raison de cet entretien. 

Hésitant, il demanda à Thomas Duchesne :

– Vous vouliez me voir ?

Le responsable des études prit quelques secondes de réflexion avant de répondre :

– Oui tout à fait, je souhaitais te rencontrer pour un sujet important. Tu es élève depuis un an et tu as une scolarité exemplaire…

Paul le devança :

– Si c’est concernant ce qu’il s’est passé ce matin, c’est un malentendu.

Thomas eut l’air étonné :

– Je ne sais pas ce qu’il s’est passé ce matin mais si c’est important nous en parlerons plus tard. Si cela ne te dérange pas, je tiens à finir mon propos sans être coupé.

Paul, rassuré que Thomas ne l’ait pas convoqué pour une histoire de stylo, s’excusa. Le responsable des études reprit :

– Comme je le disais, tu es arrivé systématiquement dans les premiers à chaque contrôle, quelle que soit la matière. Tu fais preuve d’une grande constance et ce dans tous les domaines.

Il se tourna vers le directeur de l’Aigle avant de poursuivre :

– Monsieur Guyot et moi-même avons repris ton dossier depuis le début. Il m’a d’ailleurs confié avoir été impressionné par ton premier mois chez nous et tes aptitudes lors de la réalisation de ta première mission d’intégration, lorsque tu étais avec Damien et Mathieu.

Paul regarda à son tour le directeur de l’Aigle. Il affichait un léger sourire et opina du chef sans dire un mot. Thomas continua :

– Nous avons aussi été amené à prendre une grande décision. Nous avons été contactés par la DGSE après qu’ils aient eux-mêmes eut un lien avec le MI-6, le service d’espionnage britannique. Il apparaitrait qu’ils connaissent une difficulté sur l’une de leurs interventions. En effet, il y a eu ces derniers temps des vols d’œuvres d’art, dans des musées et chez des particuliers. Aujourd’hui, nous savons que la prochaine cible sera l’un des plus grands musées de Londres, le National Gallery, plus précisément Le Festin de Balthazar, du peintre Rembrandt. D’après le MI-6, ce vol devrait avoir lieu en début de semaine prochaine. Nous avons comme mission de connaitre l’identité du voleur ainsi que ses futurs plans pour permettre à nos homologues britanniques d’intervenir. Est-ce que jusqu’ici tout est clair ?

Paul intégrait et digérait chaque information :

– Oui… même si je ne comprends pas trop pourquoi vous m’expliquez tout ça.

– J’y viens. Nous avons recueilli quelques informations à propos du voleur. Il aurait entre seize et dix-huit ans. C’est donc une nécessité de faire intervenir une personne de son âge dont il se méfiera beaucoup moins en cas de rencontre.

Paul commençait à comprendre où Thomas voulait en venir mais insista :

– Et donc… Quel est le rapport avec moi ?

– Paul, tu es le meilleur de ta promotion et l’Angleterre n’a aucun jeune pour intervenir. Nous nous sommes mis d’accord pour que tu sois celui qui nous envoyons là-bas.

Paul crut se sentir défaillir. Il réalisait doucement qu’il allait être envoyé à l’étranger pour une première mission et cela ne semblait pas être une épreuve de l’Aigle. Bien que ce ne soit que de l’observation, ils avaient choisi de l’envoyer lui. Thomas Duchesne lui avait aussi dit indirectement qu’il était possible qu’il rencontre ce voleur de tableaux.

Paul avait l’impression de ne pas être à la hauteur de la confiance que l’Aigle plaçait en lui. Intérieurement, les questions se succédaient, plus précisément sur la durée de son absence et ce qu’en penseraient les autres élèves de sa classe, en particulier ses amis. Arthur, qui voulait toujours être le meilleur, lui en voudrait sans doute de ne pas avoir été choisi. Paul voulut poser ses questions mais le directeur de l’établissement, Monsieur Guyot, interrompit ses pensées :

– Bien-sûr, nous sommes conscients que pour vous c’est une première mission, nous ne comptons pas celle de l’entrée organisée par l’école. Nous savons aussi que c’est une nouveauté et que rares sont les élèves de deuxième année à être partis. Je suis certain que vous serez un pilier important de la réussite de cette mission. De plus, vous serez parfaitement guidé.

Ces paroles rassurèrent Paul qui demanda :

– Guidé ? C’est-à-dire ?

– Vous ne partirez évidemment pas seul. Nous avons décidé que vous serez accompagné par un tuteur pour pouvoir sécuriser la mission.

Paul se calma doucement. Il était rassuré par le fait de partir épaulé par un réel espion plutôt que d’être lâché seul en pleine nature. Le directeur, après avoir marqué une pause, poursuivit :

– Nous avons aussi choisi cet équipier en fonction de votre état d’esprit, quelqu’un en qui vous placerez votre confiance mais qui saura aussi placer sa confiance en vous. Nous avons analysé tout cela avec le Conseil des Sages et nous avons retenu un candidat. Ce sera à vous aussi de nous dire s’il vous convient. Mais sachez que le temps presse et que si vous refusez ce coéquipier, nous devrons agir dans l’urgence.

Paul acquiesça silencieusement. Le directeur se tourna vers Thomas pour lui laisser la parole :

– Paul, le Conseil des Sages m’a désigné pour t’accompagner et diriger cette mission. Si cela te pose un problème, saches que cela ne remettra pas en cause ta scolarité et que je ne t’en tiendrai pas rigueur. L’important c’est toi et ce que tu souhaites. Tu vas donner ta décision au directeur pendant que j’attendrais dehors afin que tu te sentes libre de choisir. Quel que soit ton choix, c’est Monsieur Guyot qui me le communiquera. Tu n’as aucune explication à donner si tu ne le souhaites pas. Si jamais tu choisis de ne pas partir avec moi, tu peux être assuré que je te souhaiterais toute la réussite possible dans cette mission.

Sur ces mots, Thomas se leva. Paul le suivit du regard. Le directeur des études des élèves de deuxième année contourna le bureau et sortit de la pièce. Le silence se fit.

Le directeur regarda Paul :

– Si vous avez des questions, vous pouvez me les poser. Sachez que je ne porterai aucun jugement sur votre décision et que je suis là pour vous aider à faire ce choix qui est déjà un premier pas dans votre mission. Je sais que la première fois que l’on part est un moment crucial dans la vie d’un espion et je ne souhaite aucunement que vous sentiez la moindre gêne ou la moindre question laissée sans réponse.

Paul regarda le directeur et posa la première question qui lui vint à l’esprit :

– Je peux refuser la mission ?

Le directeur sembla se décomposer. Il rassembla visiblement ses esprits pour répondre de la manière la plus calme possible :

– C’est ce que vous souhaitez ? Vous pouvez, évidemment, mais si nous avons porté notre choix sur vous, c’est que nous avions de bonnes raisons de croire que vous y ferez honneur.

Paul se rattrapa :

– Non, ce n’est pas que je veuille refuser, mais comme vous ne m’avez pas demandé, je pensais que je n’avais pas le choix.

– On a toujours le choix, Paul. La vie est faite de décisions, bonnes ou mauvaises et nous ne savons pas toujours, lorsque nous les faisons, le résultat qui en retournera. Mais si vous acceptez de partir, parlons plutôt de votre coéquipier, Monsieur Duchesne.

– Oui.

– Je sais qu’il est jeune, mais il a eu une scolarité exemplaire et a mené à bien plusieurs missions que d’autres auraient certainement réussi avec moins de brio. C’est aussi quelqu’un qui pourra vous apprendre le métier comme peu d’espion en sont capables.

Paul garda le silence. Le directeur insista :

– Si vous avez des doutes, je suis là pour les lever.

Paul regarda le directeur. Sa dernière réponse n’avait visiblement pas été comprise :

– Comme je vous l’ai dit, oui, je suis d’accord.

Guyot afficha un large sourire à cette nouvelle :

– Á la bonne heure. Je vais chercher monsieur Duchesne.

Le directeur de l’Aigle sortit du bureau en pressant le pas. Paul se retrouva seul. Il n’arrivait pas à savoir ce qu’il devait penser. Il était à la fois honoré qu’on lui confie cette mission tout en ayant déjà une grande appréhension.

Quelques secondes passèrent avant que les deux hommes ne rentrent à nouveau dans le bureau. Le directeur fit signe à Thomas de reprendre sa place, face à Paul. Guyot reprit la parole, d’un ton solennel, presque militaire :

– Bien, messieurs, je pense que l’affaire est entendue. Vous partirez vendredi pour Londres. Monsieur Duchesne, nous vous confions là un élève brillant et je sais que vous en avez conscience. Vous avez toute ma confiance pour lui apprendre tout le savoir-faire qui fait votre force. Monsieur Osinski, c’est une fierté que de pouvoir aider nos alliés en leur présentant une personne telle que vous. Ne vous inquiétez pas, grâce à vos qualités et à votre sagesse, vous serez largement à la hauteur de nos espérances. Avec vous messieurs, nul doute que cette mission sera belle et couronnée d’un grand succès. Je vous laisse. Duchesne, vous dirigez à partir de maintenant cette opération. Bon courage à vous deux.

Dans le silence, le directeur de l’Aigle sortit du bureau à pas lents. Sa dernière intervention avait laissé une ambiance grave à la pièce.

Lorsque la porte du bureau fut fermée, Thomas se relâcha légèrement sur son fauteuil, calmant l’atmosphère :

– Paul, je sais que tu dois être un peu déboussolé et c’est normal. D’ici vendredi, suis tes cours normalement sans trop penser à ce qu’il va se passer. Ensuite, tu n’auras qu’à me suivre pour la procédure de mission. Nous allons progresser étape par étape. Je ne veux pas que tu penses à la suivante tant que celle en cours n’est pas terminée, et ce, tout au long de notre mission. Si tu as des questions, tu sais où me trouver avant vendredi. D’ailleurs, peut-être que tu en as déjà.

Il était évident que Paul en avait. Il n’était plus sûr de rien. Il tenta d’imaginer comment ses cours pourraient l’aider. Il en fut incapable. Il demanda simplement :

– A quelle heure partirons-nous vendredi ?

– Au matin, lorsque tes camarades iront en cours, tu me rejoindras à l’entrée et nous partirons.

– Je dois prendre des affaires ?

– De quoi t’habiller pour une semaine. Cela devrait suffire. Et une trousse de toilette. Prépare ta valise comme si tu partais en vacances. N’oublie pas de prendre ta pièce d’identité et de la garder accessible facilement.

– Nous partirons une semaine ?

– Je n’en ai aucune idée à ce stade mais j’espère que la mission sera la plus courte possible.

– Et mes cours ?

– Tu les rattraperas en revenant.

Paul s’inquiétait pour toute cette organisation. Il savait que l’Aigle pensait à tout mais avait besoin de savoir :

– Mes professeurs ne s’inquièteront pas de mon absence ?

– Tu es à l’Aigle ici, ne t’inquiète pas pour ça.

– Et mes parents ?

– Ils ne seront pas informés de ton départ. Pour eux, tu es toujours sur le campus.

– Je peux dire à mes amis que je pars ?

– Evidemment. Cependant, ne donnes pas trop d’informations. De plus, partir en mission à ton âge est très rare, il ne faut pas éveiller en eux de la convoitise ou de la jalousie. Je te conseillerais plutôt de dire que tu dois t’absenter un temps pour un problème familial, comme le décès de ta grande tante Annie.

Paul pesa cette excuse. En effet, ses amis comprendraient. Il réalisa aussi que l’Aigle connaissait beaucoup de choses sur lui, jusqu’à l’existence de cette grande tante, pourtant décédée deux ans auparavant et que Paul n’avait presque pas connue.

Paul garda le silence et Thomas s’assura que tout était clair pour lui :

– Si tu n’as pas d’autres questions, nous nous revoyons au plus tard vendredi matin, huit heures dans le hall.

– Bien, entendu.

Paul se releva lentement de sa chaise, imité par Thomas, plus sûr de lui, qui le raccompagna à la porte de son bureau.

Paul serra la main de celui qui allait être son coéquipier et sortit.

Dans le couloir, il repensa à ce qu’il venait de vivre. Les mots du directeur et du responsable des études résonnaient en lui. Il avait l’impression de sortir d’un combat de boxe tant il était soudain épuisé.

Il traversa la cour et remonta dans sa chambre. Il n’y avait personne. Antoine et Sacha devaient être avec Lucy, Arthur et Damien, au foyer.

Paul s’assit sur son lit. Il se sentait vidé de toute son énergie, incapable de penser à quoi que ce soit. Il n’avait pas envie de rester seul.

Paul entra dans le foyer. Il repéra rapidement ses amis, assis à leur place habituelle.

Il allait les rejoindre lorsqu’il réalisa qu’il n’avait pas réfléchi à ce qu’il allait leur dire sur ce rendez-vous avec le responsable des études. Il lui fallait trouver une idée et pour le moment gagner du temps. Il leur fit un signe de la main pour leur indiquer d’attendre et se dirigea vers le bar pour commander une boisson. Cela lui laisserait un répit de quelques minutes et il trouverait peut-être une bonne excuse. Celle que lui avait soufflé son responsable d’étude au sujet du décès de sa grand-tante Annie lui revint. C’était sans doute la meilleure solution.

C’était Mike qui servait au bar et qui l’accueilli avec un grand sourire :

– Paul !

– Salut Mike.

Le visage de Paul reflétait son angoisse, ce que Mike remarqua :

– Houlà, mauvaise mine. Quelque chose ne va pas ?

Paul voulut tout lui raconte mais se ravisa :

– Tout va bien, j’étais avec mon responsable et je suis un peu fatigué.

– Engueulade ?

– Pas vraiment.

– Mauvaise nouvelle ?

Paul se décida. Son excuse serait celle du décès :

– Oui, d’ailleurs je dois partir un moment de l’école.

Mike grimaça :

– Mince, qu’est-ce qu’il t’arrive ? Enfin si tu veux m’en parler bien-sûr. Qu’est-ce que je te sers ?

Paul réfléchit :

– Un chocolat chaud.

– Ça marche.

Mike prépara la boisson de Paul et lui demanda :

– J’espère que ce n’est pas trop grave. Combien de temps dois-tu t’absenter ?

– Une semaine, plus ou moins. Un décès dans la famille.

– Je vois… Je suis désolé.

Maintenant que l’excuse était donnée, Paul continua tout en rassurant Mike :

– Ce n’est pas grave, c’est une grand-tante que je ne vois jamais.

Les deux garçons restèrent silencieux. Mike sembla chercher ses mots avant de dire :

– Ça va bien se passer ne t’inquiètes pas.

Cette phrase interpella Paul. Il se demanda comment des obsèques pouvaient bien se passer. Il redressa la tête vers Mike :

– Comment ça ?

– La première fois, c’est toujours un peu difficile, mais on s’y habitue.

Paul fut à nouveau intrigué. Il n’était plus sûr au sujet de leur discussion et si Mike parlait toujours d’un décès ou s’il avait deviné qu’il partait en mission. Il préféra continuer d’entretenir le quiproquo :

– Ça t’est déjà arrivé alors ?

– Oui. Quand j’étais en troisième année. Un parent éloigné, en Italie.

Paul hocha la tête. Il avait envie de savoir si Mike et lui parlaient le même langage mais il devait continuer sur le même registre :

– Ce n’était pas trop dur ?

Mike chercha à nouveau ses mots :

– Au début on se sent un peu perdu puis on s’y fait, on n’a pas le choix. On est toujours bien accompagné.

Paul repensa à Thomas :

– Je ne pourrais pas mieux l’être.

Mike marqua une pause. Paul plongea le regard dans son chocolat chaud. Ses amis pouvaient bien attendre encore quelques minutes. Il sentit Mike s’avancer sur le vieux comptoir en zinc déformé qui avait dû être récupéré dans un bar. L’ainé demanda :

– Thomas ?

Le jeune espion releva la tête. Un sourire discret se dessina sur son visage. Cette fois il savait que Mike avait compris, cela le rassurait :

– Oui, comment tu as deviné ?

Mike accompagna sa réponse d’un large sourire :

– Ça ne pouvait être que lui. Je ne vois personne d’autre pour t’accompagner. Avec ce qu’il s’est passé l’an dernier, je sais que vous vous faites confiance et pour accompagner un jeune pour sa première mission, je pense qu’il est parfait. Sa patience et sa pédagogie vont te rassurer. Mais ne t’inquiètes pas, si aujourd’hui ça te fait peur, c’est entièrement normal. Profite bien quand tu y seras. Si on t’a choisi, c’est que tu en es capable. Ils ne font rien au hasard ici.

Ces mots rassurèrent Paul. Le fait de savoir que Mike avait connu la même expérience lui enlevait son appréhension et lui fit même retrouver son sourire. Il le remercia :

– Merci Mike. Je vais devoir retrouver mes amis, ils vont se demander pourquoi je traine tant avant de les rejoindre.

– Vas-y. Si tu as besoin de moi, tu sais où me trouver. Tu pars quand ?

– Vendredi matin.

– Super. N’oublie pas, avec tes amis, garde l’explication du décès. C’est trop tôt pour leur annoncer et si tu veux vraiment leur dire ce qu’il se passe, fais-le à ton retour. Crois-moi, ça t’évitera les questions avant ton départ et les possibles jalousies.

– Merci pour tes conseils, Mike, et pour ton soutien.

– C’est toujours dur de perdre quelqu’un.

Mike accompagna cette dernière phrase par un clin d’œil. Paul lui répondit d’un sourire entendu, prit sa boisson et se dirigea vers ses amis.

Il s’assit sur le fauteuil resté vide et Lucy l’accueilli :

– C’est pas trop tôt ! Alors ? Qu’est-ce qu’il t’a dit ?

Paul haussa les épaules :

– Rien d’important.

Cette réponse agaça Lucy. Curieuse, elle n’aimait pas qu’une de ses questions reste sans réponse. Elle insista :

– Comment ça ? Tu es resté une demi-heure dans son bureau et ce n’était rien d’important ?

– Oui, enfin pas grand-chose quoi.

– Tu t’es fait engueuler pour le stylo ?

Paul en avait même oublié cette histoire de stylo. Elle semblait soudain bien lointaine :

– Non, il n’était même pas au courant.

– Alors qu’est-ce que c’était ? Tu ne veux pas nous dire, c’est ça ?

Paul regarda ses amis, leur curiosité se lisait dans leurs yeux bien que seule Lucy la mette en verbe. Il allait devoir mentir pour changer de discussion :

– C’était juste pour m’avertir d’un décès dans ma famille.

Les amis de Paul se turent. C’est Sacha qui brisa le silence, lui qui était d’ordinaire plus effacé que ses camarades :

– Je suis désolé Paul.

– Ne t’inquiètes pas, c’est une grande tante que je ne connaissais pas plus que ça.

– Si tu as besoin d’en parler, tu sais que tu peux avec nous.

– Merci, Sacha, mais ça ira, ne t’inquiètes pas.

Paul adressa un timide sourire à ses amis qui ne cherchèrent pas à en savoir plus. Ils s’étaient contentés de cette explication et même Lucy n’avait pas insisté.

Les jours qui suivirent passèrent lentement, trop lentement. Paul faisait son possible pour ne pas laisser l’appréhension le submerger ni être trop visible à ses amis. Le jeudi soir, avant de retrouver sa chambre pour préparer sa valise, il leur annonça son départ du lendemain, prétextant se rendre à l’enterrement de sa grand-tante. 

Ce soir-là, il ne parvint pas à s’endormir. Il se tournait dans son lit afin de trouver la meilleure position pour s’endormir mais n’en trouva aucune. Il se résigna vers trois heures du matin et sortit l’un de ses livres de cours, espérant que cela le berce ou l’ennuie assez pour le faire s’endormir.

Finalement, un peu après quatre heures du matin, Paul tomba de fatigue.

Trois heures plus tard, il fut réveillé par Antoine :

– Paul, c’est l’heure, on va prendre notre petit déjeuner.

Paul ouvrit un œil. Il se sentait fatigué et n’avait qu’une envie, se rendormir.

Il se fit violence pour se lever. Il se prépara dans la salle de bains et retrouva ses amis qui l’attendaient pour sortir de la chambre. C’était un rituel chez eux, ils descendaient seulement quand ils étaient tous prêts et s’attendaient systématiquement. Comme tous les matins, le réfectoire était silencieux. Les élèves se réveillaient doucement.

Après le petit-déjeuner, Paul et ses amis retournèrent, comme chaque matin, dans leur chambre pour le temps qu’il leur restait et pour récupérer leurs affaires de la matinée à venir. Paul regarda la valise, posée près de son sac de cours. Antoine le remarqua et lui demanda :

– Ça va aller ?

Paul tourna la tête vers son ami :

– Oui, j’ai juste mal dormi mais ça va.

Antoine se pinça les lèvres en signe de compassion : 

– On doit aller en cours. Courage !

– Merci.

Sacha le salua à son tour et les deux garçons quittèrent la chambre.

Paul regarda l’heure, il était huit heures moins cinq. Il laissa passer quelques secondes, prit une grande inspiration puis sa valise, et sortit à son tour de la chambre.

Le couloir des chambres de sa classe était déjà vide et silencieux. 

En traversant la cour centrale, l’étudiant croisa les élèves des différentes classes qui se pressaient pour retrouver les salles de cours et ceux qui, à peine réveillés, se rendaient au réfectoire pour le petit déjeuner.

Damien, Lucy et Arthur l’avaient attendu. Malgré le peu de temps qu’ils avaient, ils lui souhaitèrent un prompt retour et pressèrent le pas pour se rendre au gymnase où une heure de renforcement musculaire les attendait.

Paul poussa la porte vitrée du bâtiment d’accueil. Il arriva dans le hall. Thomas était déjà là, dans l’un de ses costumes habituels. Il avait à ses côtés une petite valise. Paul le dévisagea. Il était souriant et semblait détendu, on pouvait croire que le responsable des études partait en weekend. Il accueilli son élève :

– Comment vas-tu ce matin ?

– Bien… mais fatigué.

Thomas Duchesne demanda avec bienveillance :

– Tu n’as pas beaucoup dormi ?

– Non, je n’ai pas réussi à m’endormir hier soir.

– C’est normal, tu vas te rattraper, ne t’en fais pas. On a un programme chargé aujourd’hui. Ce soir, nous serons à Londres et nous pourrons profiter du weekend. Tu me suis ?

Paul emboita le pas de Thomas. Ils s’engouffrèrent par une porte donnant sur un escalier et descendirent deux niveaux avant de se retrouver dans le parking, que Paul connaissait déjà pour y avoir été emmené de force l’année précédente.

Ils marchèrent dans l’endroit frais et sombre puis Thomas s’arrêta. Il sortit une clé et s’approcha d’une berline bleue nuit. Paul, qui appréciait les voitures, reconnut le modèle en voyant la calandre, une Mercedes Classe E. Thomas contourna le véhicule et ouvrit le coffre. Les deux espions y placèrent leurs valises et Paul prit place sur le siège passager, à côté de Thomas qui s’assit derrière le volant.

Le moteur démarra, la voiture roula au pas pour sortir du parking puis du campus. Les espions prirent la route de Paris.

– Tu as tout ce qu’il te faut dans ta valise ?

La question de Thomas sortit Paul de ses pensées :

– Oui, je pense.

– Rien qui porte ton nom ?

Paul réfléchit quelques secondes pour faire l’inventaire de ses affaires :

– Non, pourquoi ?

– Car il est important que ton nom n’apparaisse nulle part.

Paul réalisa que, si aucune affaire ne portait d’étiquette, sa valise, elle, en avait une. Il le précisa à Thomas, espérant que cela ne lui porte pas préjudice :

– Si, il y a mon nom sur l’étiquette de ma valise.

– Ça, ce n’est pas grave. Nous allons commencer par rejoindre nos bureaux, à Paris. Ensuite, nous déjeunerons puis nous irons prendre l’Eurostar, celui de seize heure treize pour arriver vers dix-sept heures quarante à Londres.

– C’est court.

– Pardon ?

Paul s’expliqua :

– Une heure pour aller à Londres, je pensais que c’était plus long.

– Oui Paul, pardon, nous arrivons à dix-sept heures quarante, heure londonienne, soit un trajet de deux heures trente environ.

Paul réalisa son erreur et ne put s’empêcher de rougir :

– Ha, j’avais en effet oublié le décalage horaire.

Thomas Duchesne s’amusa :

– On va mettre cela sur le compte de la fatigue.

Paul répondit par un sourire. Il était en effet fatigué, il sentait ses yeux se fermer malgré lui. Thomas se tut, Paul s’endormit.

L’étudiant de deuxième année fut sorti de son sommeil par la voix de son responsable d’étude :

– Paul, on arrive.

Paul ouvrit les yeux. Les immeubles parisiens défilaient devant lui. La voiture tourna dans une rue du septième arrondissement avant de se placer devant l’entrée d’un parking. Thomas sortit une clé électronique et appuya sur un bouton qui en ouvrit la porte. Ils descendirent au sous-sol et occupèrent une des nombreuses places disponibles.

Les deux espions sortirent de la voiture. Thomas ouvrit le coffre et prit les deux valises. Paul s’étonna :

– On ne reprend pas la voiture ?

– Si, mais c’est la procédure.

Paul ne répondit pas. Il avait peur de paraître trop curieux et décida intérieurement de se laisser guider. Il suivit Thomas dans un premier couloir puis dans un ascenseur qui ne desservait que le parking et le rez-de-chaussée.

Ils arrivèrent dans une grande pièce au style ancien, recouverte de parquet et aux hauts plafonds, décorés de moulures travaillées.

Thomas s’approcha d’un comptoir moderne au centre de la pièce, derrière lequel se trouvaient deux personnes, un homme et une femme, bien habillés. Paul s’approcha timidement. Les deux espions furent dévisagés par la jeune femme qui les accueillit :

– Bonjour messieurs, vous désirez ?

Thomas répondit :

– Nous partons en voyage à Londres et nous aimerions préparer notre séjour.

– Puis-je voir vos cartes d’identité ?

Paul prit la sienne et la tendit à Thomas. Le responsable des études l’accompagna de son passeport et tint l’ensemble à l’hôtesse. La jeune femme fit passer son regard sur les pièces qu’elle tenait en main puis sur les deux espions. Elle leur adressa un sourire :

– Patientez je vous prie.

Paul regarda Thomas puis la jeune femme. Il se demanda si elle savait qu’elle avait devant elle un espion. Il l’observa saisir son téléphone et annoncer à son interlocuteur qui avait répondu rapidement :

– Deux personnes partent à Londres… Bien je vous les envoie.

Elle s’adressa ensuite à Thomas :

– Premier étage, vous prendrez à droite en arrivant en haut de l’escalier puis troisième porte. J’envoie vos pièces d’identité là-bas.

Thomas et Paul se tournèrent vers le grand escalier et montèrent à l’étage afin de se rendre à la porte indiquée.

Thomas frappa. Les deux membres de l’Aigle attendirent qu’on leur réponde et entrèrent.

Paul ne s’attendait pas à voir une pièce comme celle-là. Dans un hôtel particulier, la pièce était sombre, sans fenêtre, les murs étaient en carrelage blanc et le sol de la même couleur. Tout autour de la pièce, des meubles en inox, identiques à ceux que l’on pouvait trouver dans des cuisines de restaurant. Au centre de la pièce, une table du même matériau. Une femme regarda les deux espions :

– Bonjour, c’est vous deux qui partez à Londres aujourd’hui ?

Thomas répondit :

– Exactement.

– Donnez-moi vos valises.

Les deux espions s’exécutèrent. Paul regarda Thomas. Il semblait détendu, ce qui eut pour effet de rassurer le plus jeune malgré sa peine à comprendre ce qu’il se passait.

Paul regarda la femme poser les valises sur un meuble et les ouvrir. Elle sortit le contenu de la valise de Thomas, déplia tous les vêtements, fouilla la trousse de toilette avant de tout ranger à nouveau à l’identique. Elle fit de même avec la valise de Paul qui se sentit un peu gêné qu’une inconnue fouille ainsi ses affaires. Il la regarda refermer sa valise et retirer son nom de l’étiquette en plastique qui pendait à la poignée. En silence, elle s’approcha d’un ordinateur et d’une machine que Paul n’avait encore jamais vue par le passé. Elle ressemblait à une boite aux lettres avec une fente en bas. L’inconnue en sortit un passeport et une carte d’identité. Paul comprit que c’étaient les documents qu’ils avaient donné à l’accueil.

La femme colla un post-it dessus et les rangea dans un tiroir. Elle se tourna ensuite vers une seconde machine, plus imposante, qui ressemblait à une imprimante avec une vitre et ce qui ressemblait à un laser. Elle en sortit deux passeports et retourna face aux espions. Elle demanda d’une voix au ton incroyablement neutre et plat :

– Qui avait donné une carte d’identité ?

Paul hésita :

– C’est moi.

Elle ouvrit un passeport et semble en regarder les informations avant de le refermer :

– Bien, Paul… Tessier, né le deux février zéro-deux à Paris, quinzième arrondissement.

Elle tendit le document à Paul qui voulut rétorquer :

– Non, moi c’est…

Elle le coupa :

– Paul Tessier, je sais.

Paul ouvrit le passeport entre ses mains. C’était bien sa photo mais toutes les informations avaient été changées. Il regarda la femme d’un air étonné. Elle lui répondit, cette fois avec une pointe d’amusement :

– Premier départ je présume ?

Paul acquiesça timidement :

– Oui.

– Bienvenue monsieur Tessier.

Paul comprit que ce serait pendant sa mission sa nouvelle identité. La femme dut lire en lui car elle poursuivit :

– Je vois que vous avez compris.

Elle se tourna ensuite vers Thomas :

– Et le deuxième passeport, logiquement, c’est pour vous, Thomas Tessier, né le vingt-sept avril quatre-vingt-treize. Au moins vous n’aurez pas grand mal à retenir votre nom. Vous êtes déjà parti vous, n’est-ce pas ?

– Exactement.

– Bien, vous expliquerez tout au petit nouveau. Je vais vous donner vos dossiers.

L’inconnue se tourna vers un autre meuble. Elle en sortit deux dossiers roses qu’elle tendit aux espions. Paul lut sur celui qu’il tenait dans la main :

Paul TESSIER – 02/02/02 – 75015

Cette date le rajeunissait de près d’un an. Il garda le dossier clos. Il se doutait qu’il aurait le temps de l’ouvrir par la suite. Celle qui avait changé leur identité leur rendit leurs valises :

– Je vous retrouve tout à l’heure, je vous laisse prendre le couloir de l’autre côté de l’escalier. Ce sera la quatrième porte sur votre gauche.

Thomas et Paul la remercièrent et sortirent. Dans le couloir, Paul, curieux, demanda :

– Qui est-ce ?

– Celle qui prépare notre voyage.

– Et là, qu’est-ce qu’on va faire ?

Thomas répondit comme une évidence :

– Devenir Paul et Thomas Tessier.

Paul et Thomas entrèrent dans la pièce qu’on leur avait indiquée. Une pièce vide, avec une simple table en son centre et deux chaises. Thomas s’assit sur l’une d’elle et invita Paul à prendre place sur la seconde :

– Je te laisses lire ton dossier, après on en discutera si c’est nécessaire. 

Paul sortit la demi-douzaine de pages. Sur la première était référencé son état civil. Il découvrit qu’il était le fils de Jean et de Thérèse Tessier, tous deux employés dans une grande banque française. Il avait maintenant un demi-frère du même père mais d’une mère décédée, appelé Thomas Tessier. Paul releva la tête vers celui qui était devenu son coéquipier. Il le dévisagea. Doucement, le responsable des études de l’Aigle devait devenir son demi-frère, ce qui n’allait pas être évident pour Paul.

Les autres pages récapitulaient la vie du lycéen, dans deux établissements publics. Il était actuellement en première scientifique dans un lycée du quinzième arrondissement de Paris. La liste de ses camarades de classe et de ses professeurs constituait une page entière. Bien entendu, ce n’était qu’une liste de noms dont Paul n’avait jamais entendu parler et qui ne devaient certainement pas exister. La page suivante contenait son emploi du temps, bien moins chargé que celui qu’il avait à l’Aigle. Il découvrit enfin une nouvelle adresse e-mail, liée à un compte Facebook et à un compte Instagram. Quelques captures d’écran avaient été faites. Les profils de Paul Tessier étaient tout à fait ressemblants avec ceux d’un adolescent comme les autres, avec des photos de Paul en vacances dans des pays où il n’était jamais allé, comme l’Egypte. Le service de retouche photo de l’Aigle était visiblement parfaitement compétent dans son domaine.

Paul referma le dossier. Thomas avait déjà terminé et lui demanda :

– Tu as tout retenu ?

Paul se repassa sa vie d’emprunt en tête :

– Oui, je pense.

– Bien, on y va.

Les deux espions sortirent de la pièce et retrouvèrent celle qu’ils avaient laissé un peu plus tôt.

La femme en charge de leur voyage les attendait, derrière la table en inox au milieu de la pièce :

– Est-ce que tout est bien appris ?

Thomas et Paul répondirent par l’affirmative.

– C’est parfait, redonnez-moi vos dossiers.

Les deux espions s’exécutèrent. La femme se retourna et Paul vit les feuilles se faire détruire dans une déchiqueteuse. Les morceaux de papiers finissaient leur course dans une corbeille en plastique.

L’inconnue se dirigea vers un grand placard et prit une mallette noire. Elle vérifia une étiquette attachée à la poignée puis fit face aux deux espions, de l’autre côté de la table en inox. Elle posa la mallette face à elle et l’ouvrit. Elle en sortit deux téléphones, deux montres, deux anneaux et deux stylos. Elle en confia un de chaque à Thomas et garda les autres devant elle.

Elle prit d’abord la montre :

– Tissot, dernier modèle, légèrement modifiée. Ecran tactile, quatre boutons sur les côtés. Le premier, en haut, permet d’allumer la caméra. La lentille est de l’autre côté, alors visez bien. Le second allume un pointeur laser et le troisième permet d’afficher un radar pour vous indiquer d’éventuelles caméra.

Elle posa la montre devant Paul qui réagit :

– Et le quatrième ?

La femme s’étonna :

– Le quatrième ?

– Vous avez dit qu’il y avait quatre boutons mais vous n’en avez présenté que trois.

La femme sourit malicieusement :

– Il permet de changer l’heure.

Sur cette réponse, elle saisit l’anneau :

– Balise GPS, aimanté.

Elle donna l’anneau à Paul :

– Portez-le au majeur, ça vous ira bien et c’est votre taille.

Paul l’enfila, c’était en effet exactement la taille de son doigt.

La femme saisit ensuite le stylo :

– Très simple, vous appuyez sur le bouton, la mine part et neutralise n’importe quoi, même un ours. Il y a trois mines, évitez de tirer n’importe comment.

Paul prit le stylo qu’on lui tendait mais n’osa pas le ranger. Celle qui leur présentait leurs outils précisa :

– Il y a une sécurité, ne vous inquiétez pas.

Paul glissa lentement le stylo dans sa poche et écouta la suite de la présentation :

– Les Smartphones vous permettent de communiquer, comme tout téléphone. Ils ont été configurés pour apparaitre comme des appareils utilisés depuis plusieurs mois. Comme tous les Smartphones actuels, leur mémoire est presque saturée mais, contrairement aux autres, leur batterie est modifiée pour tenir plusieurs jours. Des messages ont été écrits à différents contacts, je vous conseille d’y faire un tour, on ne sait jamais. Vous avez vos numéros respectifs et un forfait international. L’application “MyRing” permet de connaitre la position GPS des anneaux que je vous ai donné ainsi que des deux Smartphones, le vôtre et celui de votre demi-frère. Dernière recommandation, les téléphones sont configurés pour reconnaitre la personne qui les tient. Evitez de les confier à d’autres personnes que vous deux plus d’une minute, la batterie à tendance à surchauffer dans ces cas-là. Je crois que je vous ai tout dit.

Elle tendit le Smartphone à Paul, il était déjà chaud. Il se demanda si ces équipements étaient fiables mais se garda de poser la question.

La femme leur adressa un sourire et s’arrêta sur Thomas qui la remercia. L’aîné se tourna ensuite vers Paul :

– Il y a un restaurant au coin de la rue, je t’invite ?        

Paul esquissa un léger sourire. Il avait toujours apprécié les restaurants et, bien que l’idée d’un tête-à-tête avec son responsable des études lui semblât étrange, cela présentait aussi une bonne occasion de le connaitre davantage avant leur départ. De plus, il avait faim :

– Pourquoi pas.

Thomas salua celle qui leur avait organisé leur voyage, prit sa valise et se dirigea vers la porte, accompagné par Paul.

Le restaurant était une brasserie parisienne très classique. Thomas prit une entrecôte et Paul un hamburger. Cela le changeait du réfectoire de l’Aigle qui, bien que correct, n’offrait pas la même qualité qu’un restaurant.

Thomas engagea la conversation et questionna Paul :

– Au fait, comment ça se passe les cours ?

– Bien, j’étais un peu fatigué cette semaine mais ça va.

– Tu as passé de bonnes vacances ?

– Oui, je n’ai pas fait grand-chose.

– Ha bon ?

– Je me suis surtout reposé.

– Comment va ton père ?

Thomas connaissait Frank, le père de Paul. Le jeune espion répondit naturellement :

– Bien, il travaille beaucoup.

– J’imagine. Tu sais ce qu’il fait en ce moment ?

– Non, on ne parle jamais de ça.

Thomas fronça les sourcils :

– Ça ?

– L’Aigle, son boulot, mes études.

– Je t’ai piégé.

Paul s’étonna :

– Comment ça ?

– Ton père, il est banquier.

Paul se remémora le dossier qu’il avait lu un peu plus tôt. Il s’en voulut d’être tombé dans un piège aussi grossier. Il tenta de se rattraper :

–  Je ne m’y attendais pas, vous m’avez piégé.

– Tu.

– Je ?

– Je trouve ça bizarre que tu vouvoie ton frère.

– Pardon, c’est juste que vous, enfin tu es…

Thomas, voyant Paul en difficulté dans son explication, attendait la réponse, un sourire au coin des lèvres. Paul regarda son directeur des études. Il se demanda si ça n’aurait pas été plus simple de partir avec un inconnu ; cependant, maintenant qu’il y était, il tenait à faire bonne impression. Il allait montrer à Thomas qu’il ne se ferait plus piéger :

– Tu es mon frère, enfin demi-frère, mais on n’a jamais beaucoup parlé, la différence d’âge peut-être, où le fait que maman… enfin Thérèse ne soit pas ta mère et que papa passe son temps sur son travail. Mais je suis content de partir en vacances avec toi. Bon, c’est vrai, je vais rater les cours grâce à l’appel que tu as passé à mon école en disant que j’étais malade et pour cela, je risque d’être en difficulté pour mon bac mais je suis vraiment content. Je sais bien que, quand je suis né, c’était compliqué, et après on n’était pas vraiment proches mais j’ai bon espoir que ces vacances soient enfin l’occasion de partager quelque chose avec mon frère. Merci de m’y inviter. Ça me touche beaucoup.

Paul regarda fièrement Thomas dans les yeux, satisfait de sa tirade. L’ainé restait bouche-bée. Le serveur arriva :

– La belle entrecôte pour monsieur et le burger maison pour le p’tit frère !

Il posa les plats sur la table et ponctua d’un :

– Et bon appétit !

Paul regarda le serveur :

– Merci monsieur, pardon mais, comment avez-vous deviné que c’était mon frère ?

Le serveur sembla surpris de la question de Paul mais répondit :

– Ben voyons, ça se voit ! Le nez peut-être, ou la façon de vous tenir, pourquoi ? Vous êtes pas frangins ?

– Si, enfin demi-frères pour être exact.

– Ha, c’est pour ça, la couleur de cheveux !

– Oui, je tiens de ma mère sur ce plan-là.

Le serveur s’amusa de l’explication de Paul en s’écartant :

– On ne peut pas gagner à tous les coups !

Paul regarda à nouveau Thomas qui n’avait toujours pas changé d’expression :

– Tout va bien ?

Thomas reprit ses esprits :

– Je suis impressionné… Il y a quelques minutes tu étais encore le garçon timide du campus et te voilà tout à fait à l’aise. C’est… étonnant !

Les deux nouveaux frères commencèrent leur plat avec appétit. Paul était fier d’avoir fait bonne impression même si son comportement avait été loin de ses habitudes, discrètes, timides et réservées.

Après le repas, Thomas et Paul prirent un taxi et furent conduits à la gare.

Dans le train, Paul se sentit complétement dans son rôle. Il observa Thomas. Le jeune espion aurait du mal, une fois la mission terminée, à ne plus le considérer comme son demi-frère et à retrouver le responsable des études qu’il était. Cependant, il connaissait assez bien Thomas pour savoir qu’il allait tout faire pour remettre rapidement les choses en ordre.

Le train s’arrêta en gare de Londres. Thomas et Paul descendirent et hélèrent un taxi. Thomas indiqua au chauffeur une direction :

– Southampton street.

Arrivés à destination, Paul suivit Thomas dans un petit immeuble en briques rouge. L’appartement était au deuxième étage. Il était d’un style ancien, avec un long couloir desservant chacune des pièces. Il y avait face à l’entrée un petit salon avec un canapé, une table basse et une porte donnant accès à une petite cuisine. Le couloir allait ensuite vers la salle de bain, petite elle aussi, mais agréable, puis continuait vers deux chambres ainsi qu’un bureau. Aucune pièce n’était très grande, mais cela était suffisant pour vivre correctement le temps de leur séjour londonien.

Une fois leurs affaires posées, Thomas proposa à Paul de ressortir pour visiter le quartier. Paul accepta avec plaisir, il n’était jamais venu à Londres et était impatient de découvrir cette ville.

Les espions visitèrent le quartier de Convent Garden et finirent leur marche devant le National Gallery, là où leur mission se déroulerait bientôt.

Face à l’entrée du musée, déjà fermé à l’heure où ils y arrivèrent, Thomas analysa la situation :

– On entrera sur le côté. Pour le moment, on va aller dîner puis on en reparlera à l’appartement.

– D’accord.

Les deux espions dinèrent dans un restaurant en bas de leur immeuble. Le lendemain, ils feraient quelques courses afin de pouvoir prendre leurs repas dans leur appartement.

Une fois rentrés, Thomas et Paul s’assirent dans le salon. Thomas prit la parole :

– Nous entrerons au musée lundi. Nous ne savons toujours pas quand le tableau sera dérobé et sans information de la part des services anglais, nous sommes obligés d’y aller chaque soir. Je te propose, ce weekend, d’aller visiter le musée afin d’avoir la disposition des salles en tête ainsi que l’emplacement du tableau. Il sera plus simple de nous y retrouver ensuite. Nous en profiterons pour prendre quelques plans, ils nous seront utiles pour étudier la configuration du lieu depuis l’appartement. Nous serons ensuite prêts pour agir de nuit.

Paul réfléchit :

– Et une fois qu’on sera à l’intérieur, comment ça se passera ?

– On se cache, on attend un signe du voleur et on le suit. On ne doit pas le surprendre mais avoir des informations sur sa manière d’opérer, ce qu’il fait de l’œuvre et comment il compte l’utiliser.

– On le laisse voler le tableau ?

– Oui.

– Je ne comprends toujours pas pourquoi ce n’est pas à la police de s’en occuper.

– Parce qu’ils n’ont pas assez de moyen et que le MI-6 n’a pas d’agent correspondant à ce type de mission. Une fois qu’on saura qui est le voleur, on sera peut-être obligé de l’approcher et il n’y a personne de mieux qu’un garçon de son âge pour le faire. On a de sérieuses raisons de croire que ce n’est pas un simple voleur mais qu’il utilise ses gains pour financer des œuvres peu légales. Peut-être même qu’il est manipulé par d’autres personnes. D’importantes sommes d’argent ont circulé ces derniers temps sur des comptes qui pourraient servir à financer des organisations d’extrême droite à des fins de terrorisme.

Paul réalisa soudain que, contrairement à ce qu’il avait imaginé, il allait très probablement devoir entrer en contact avec le voleur. Il avala sa salive avant de répondre en tentant d’apparaître sûr de lui :

– Je commence à comprendre en quoi les services d’espionnage sont intéressés.

– Tâchons simplement de faire ce que l’on nous demande, le reste ne nous regarde pas directement.

– Mais c’est bien de savoir pourquoi on fait les choses, non ?

Thomas prit quelques secondes de réflexion :

– Parfois, c’est bien aussi de ne pas tout savoir.

Sur ces mots, Thomas se releva. Il se servit un thé et en servit un à Paul.

L’ainé proposa ensuite de regarder un film avant de se coucher. Selon lui, il était important d’avoir des moments de détente. Ils choisirent une comédie.

Paul s’était en effet détendu. Il profitait de ce moment bien qu’il peinait à croire qu’il se soit retrouvé dans cette situation.

Le film terminé, Thomas rejoignit sa chambre. Paul décida de rester quelques minutes au salon.

Seul, il pensa aux jeunes de son âge qui devaient être chez eux ou entre amis, ne se souciant probablement que de ce qu’ils allaient faire ce weekend et loin d’imaginer qu’à Londres, un étudiant français se préparait pour sa première mission d’espionnage. Cette pensée lui faisait peur. Il se demandait pourquoi il avait choisi cette voie. Il aurait été aussi bien chez lui, devant son ordinateur.

Paul regarda sa montre. Il était presque une heure du matin. Il entendit un bruit dans l’appartement et Thomas apparut, l’air soucieux :

– Tu n’es pas couché ?

Paul, les mains jointes entre ses jambes et la tête baissée répondit d’une voix basse :

– Non… Je ne suis pas fatigué.

Thomas s’assit sur le canapé, à côté du jeune espion :

– Tu t’inquiètes ?

Paul avait du mal à se livrer mais il répondit tout de même :

– Un peu.

Thomas se voulut rassurant :

– C’est normal, c’est ta première mission, mais elle se passera bien.

Paul répondit, d’une voix à-peine audible :

– J’ai peur de tout faire rater.

– Ça n’arrivera pas. Tu es un bon élève et tu mérites d’être là. Et puis si nous t’avons choisi, c’est parce que nous savons que tu rempliras parfaitement ta mission. Tu seras un très bon espion, Paul, ça j’en suis persuadé.

Paul repensa à ses amis, au campus, puis à ses parents, ses vrais parents. Il réalisa que personne ne savait où il se trouvait. Il était dans un autre pays, avec son responsable d’études et dans quelques nuits, il traquerait un voleur de tableaux, sans doute dangereux. Il se demanda si quelqu’un serait informé s’il lui arrivait quelque chose. Il réalisa que l’Aigle cacherait tout, ils inventeraient peut-être une histoire d’accident. Il eut peur de ne jamais rentrer en France. Une larme coula sur sa joue.

Il sentit la main de Thomas se poser sur son genou avant de reprendre :

– Paul, tu n’as pas à t’inquiéter, vraiment.

Paul ne répondit pas. Il essuya la larme qui avait couru sur sa joue. Thomas continua :

– Qu’est-ce qui t’inquiète tant ?

Paul inspira. Il n’arrivait pas à trouver les mots. La situation lui échappait totalement. Thomas insista :

– Paul, il faut que j’aie toutes les clés en main pour que tout se passe bien et pouvoir aussi te protéger. Tout ce qu’il se passe en mission ne sort pas de la mission, tout ce que tu me diras sera bien gardé.

Paul osa enfin :

– J’ai peur.

Thomas attendit quelques secondes :

– Peur de quoi ?

– Personne ne sait où je suis, je pourrais y rester et…

Thomas le coupa :

– La mission n’est pas si dangereuse, nous sommes en plein cœur de la capitale anglaise, nous allons simplement suivre quelqu’un. Il ne nous verra pas et je serais là.

– Ce sera suffisant ?

– J’ai fait assez de mission pour savoir que oui.

Paul regarda Thomas. Il avait un sourire amical au coin des lèvres. L’ainé se releva et poursuivit :

– L’Aigle n’a jamais perdu d’agent et ne prendrait pas le risque d’en perdre un comme toi, surtout pendant ses études. Tout est bien sécurisé, mais tu dois me faire confiance.

Paul fut un peu plus rassuré par ces mots. Il remercia Thomas qui précisa :

– Cependant, il faudra me dire quand ça ne va pas. C’est très important pour que je puisse prendre les bonnes décisions. Ici je ne suis pas ton responsable d’étude mais ton coéquipier.

Paul regarda Thomas. Il lui sourit et répondit :

– Je te le dirais… comme si tu étais mon demi-frère.

L’ainé répondit au sourire de Paul. Il lui proposa d’aller se coucher. Le sommeil était un facteur de réussite important, Paul le savait tout aussi bien que Thomas.

Le lendemain matin, Paul se réveilla un peu après huit heures. Il avait presque gardé son rythme pris pendant les cours. Thomas était déjà réveillé, occupé à lire un journal en buvant un café. Il salua Paul :

– Bonjour Paul, il reste du café et il y a de quoi faire un thé.

Thomas était habillé d’un tee-shirt bleu, d’un jean et de baskets. C’était la première fois que Paul voyait son directeur des études habillé autrement qu’en costume sombre.

Paul hocha la tête et se servit une tasse de café. Il se laissa tomber dans le canapé et le but en silence. Thomas demanda :

– Tu vas bien ?

Paul releva la tête et se tourna vers Thomas :

– Oui… Je crois que je suis prêt maintenant. Je suis désolé pour hier soir.

L’ainé posa son journal :

– Ne le sois pas, il n’y a aucun problème. Je suis satisfait de savoir que tes doutes sont levés.

Paul hocha lentement la tête en guise de réponse et retrouva son café.

Il se prépara ensuite et en profita pour jouer sur son nouveau téléphone. Il regarda sa page Facebook pour terminer d’en apprendre un peu plus sur son nouveau passé.

A neuf heures trente, Thomas proposa de rejoindre le National Gallery. Les deux garçons le visitèrent pendant toute la matinée. Ils regardèrent les différentes œuvres mais se représentèrent aussi le plan du musée afin de l’avoir en tête lors de la suite de leur mission.

Ils arrivèrent devant une œuvre de plus de deux mètres sur un mètre soixante. Thomas s’arrêta devant et Paul regarda le tableau. Il ne le trouvait pas exceptionnel. Il reconnaissait la beauté du tableau et le talent du peintre mais le trouvait sombre. C’était une œuvre avec plusieurs personnages dont le principal semblait lire une phrase écrite en hébreu. Thomas, resté silencieux depuis un moment, prononça :

– Mene Tekel.

Paul se tourna vers lui :

– “Mene Tekel” ?

Thomas expliqua :

– C’est le début de la phrase inscrite derrière Balthazar, la prédiction de la chute de Babylone.

– Et c’est ce tableau qui…

Thomas le coupa :

– Oui, mais nous en parlerons plus tard.

Paul compris que Thomas prenait toutes les précautions pour ne pas se faire repérer. Parler de leur mission devant le tableau qui risquait d’être dérobé n’était pas une bonne idée, le voleur pouvait, comme eux, repérer les lieux ou surveiller le tableau. Thomas reprit :

– En fait, le roi de Babylone, Balthazar, est en train de diner lors d’un banquet arrosé. Ils vénèrent à cette occasion des biens matériels. Une main apparait et écrit ces mots en hébreu. C’est la main que l’on peut voir sur le tableau. La nuit suivante, le roi meurt, assassiné.

Paul appréciait l’art et la culture en général. Il écouta Thomas silencieusement.

Après quelques minutes devant le festin de Balthazar, les deux garçons terminèrent leur visite et rentrèrent à l’appartement en passant faire quelques courses.

Lors du déjeuner, Paul demanda :

– Comment il va faire pour prendre une œuvre aussi grande ?

Thomas réfléchit :

– C’est une bonne question, je me demande aussi. Surtout pour être discret et éviter les alarmes. Le musée est bien équipé contre les voleurs et ça va être un tour de force.

La discussion fut coupée par la sonnerie d’un téléphone. C’était celui de Thomas qui décrocha. Paul écouta la conversation, ou plutôt ce que Thomas répondait :

– Oui ?… Bien sûr…

Un long moment passa sans que Thomas ne dise un mot puis il reprit :

– D’accord je comprends… Oui, il va bien, on est allé au musée ce matin, c’était intéressant… Très bien on rentre mardi. Merci papa, bon weekend à toi aussi.

Thomas raccrocha :

– Ce sera mardi.

Paul regarda son coéquipier avec un air interrogateur :

– On rentre mardi ?

– Non, on retourne au musée dans la nuit de mardi à mercredi. On a eu quelques informations supplémentaires, c’est cette nuit-là que le vol aura lieu.

– Comment ils le savent ?

– Le MI-6 a intercepté une communication hier soir sur l’une des lignes surveillées, un jeune sur écoute pour une affaire de trafic. Ils sont persuadés qu’il parlait à notre voleur qui a parlé d’un grand festin mardi soir.

– Il ne peut pas juste aller au restaurant ?

– Il a aussi dit que ce serait le dernier repas de leur ami Balthazar avant son départ.

– C’est assez clair en effet.

Paul prit une bouchée de purée que Thomas avait préparée et reprit :

– Qui c’est Papa ?

– Comment ça ?

– Celui qui t’a appelé.

– Aucune idée, il m’a dit “c’est papa”, j’en ai conclu que c’était lui.

Devant l’étonnement de Paul face à ce détachement de Thomas, l’ainé précisa :

– On s’y fait.

Paul haussa les épaules et termina son assiette sans insister.

L’après-midi, les deux espions étudièrent les plans du National Gallery grâce aux documents qu’ils avaient récupéré le matin même. L’ambiance était détendue. Le fait qu’ils aient été informé qu’ils auraient une journée de plus leur permettaient de préparer plus sereinement leur intervention.

L’après-midi, ils retravaillèrent sur ce qu’ils auraient à faire une fois dans le musée. Ils étudièrent aussi la manière dont ils pourraient entrer. Thomas avait repéré une entrée de service et avait bon espoir de pouvoir crocheter la serrure sans déclencher d’alarme.

Le dimanche, Thomas proposa une visite dans Londres. Ils visitèrent les principaux bâtiments et les lieux phares de la ville. Paul fut surtout impressionné par Piccadilly Circus et Buckingham Palace.

Après de nouvelles visites le lundi matin, ils révisèrent une dernière fois les points importants de leur intervention. Paul se sentait fin prêt, il ressentait moins d’appréhension si ce n’est la peur, importante, de ne pas réussir sa mission. Le mardi, leur départ était fixé par Thomas à minuit.

Habillés de sombre, les deux espions retrouvèrent le musée. Le plus jeune regarda le grand édifice silencieux. L’ambiance n’était pas la même que le samedi matin. Les touristes étaient partis et l’agitation avait laissé place au calme de la nuit londonienne.

Thomas, suivi de Paul, monta les marches et s’approcha des grandes colonnes qui ornaient l’entrée du bâtiment. Deux vigiles s’y trouvaient et regardèrent d’un air suspicieux les deux visiteurs nocturnes. Même de nuit, le musée était bien gardé.

Les espions redescendirent et, discrètement, contournèrent le musée. Ils marchèrent jusqu’à de grandes grilles qui protégeaient une entrée réservée aux employés du musée. Thomas se tourna vers Paul :

– On va entrer par là.

Paul observa Thomas saisir l’un des barreaux de la grille et poser le pied dessus. Paul demanda :

– On va escalader ?

Thomas se retourna et marqua un temps avant de demander :

– Tu as les clés ?

Paul haussa les épaules sans répondre et, à son tour, s’approcha des grilles. Thomas grimpa et Paul l’imita, sans difficulté. Il remercia ses cours de sport et comprit pourquoi ils avaient une place si importante dans son programme.

Les grilles passées, ils se retrouvèrent face à plusieurs portes. Elles n’avaient de poignée, excepté l’une d’elle protégée par un code. Paul demanda :

– On fait comment ?

Thomas se recula de quelques pas pour avoir une vue d’ensemble. Il pointa enfin du doigt l’un des murs sur lequel des barreaux légèrement rouillés formaient une échelle. En haut de celle-ci, un petit toit qui semblait plat se trouvait à mi-hauteur entre le sol et le haut du bâtiment :

– On va monter par là. On va aller voir ce qu’on a là-haut.

Thomas n’attendit pas pour commencer son ascension, toujours suivi de Paul.

Lorsqu’ils arrivèrent en haut, ils découvrirent une petite plateforme. Une deuxième échelle menait vraisemblablement sur le toit du bâtiment mais Thomas indiqua d’abord une petite fenêtre rectangulaire, sur la partie inférieure du mur devant eux.

Il regarda à l’intérieur en se servant de ses mains pour cacher les reflets. Une fois son observation terminée, il s’écarta de la fenêtre et avisa Paul :

– Ça donne sur un couloir. Je pense que la sécurité n’est pas exceptionnelle ici, c’est un endroit réservé aux employés. On va entrer par là. Si tu veux regarder pour me dire ce que tu en penses.

Paul s’approcha à son tour de la petite fenêtre. Comme Thomas, il s’aida de ses mains et commença à observer l’intérieur. Soudain, il se sentit basculer, la fenêtre s’était ouverte et Paul se retrouva la tête dans le bâtiment.

Il entendit Thomas lui dire :

– Maintenant que tu y es, entre en essayant d’être discret, je te suis.

Paul ressorti la tête et se retourna. Il se laissa glisser à l’intérieur. Ses pieds étaient à un peu plus d’un mètre du sol et il n’eut aucun mal à se laisser tomber. Thomas attendit qu’il s’écarte pour le rejoindre.

Quelques ampoules éclairaient faiblement le couloir aux murs couverts, jusqu’à mi-hauteur, de carrelage blanc. Le sol, lui aussi, était de la même couleur. Un couloir classique, dans lequel devaient se presser chaque jour des dizaines d’employés.

Thomas alluma sa montre :

– Bien, pas de caméra ici, c’est déjà ça.

Paul regarda à son tour le radar sur son écran. Un cône tournait, sans aucune autre indication.

Doucement, les deux espions avancèrent dans le couloir. Ils passèrent devant plusieurs portes, blanches elles-aussi et qui devaient donner sur les pièces de service. Thomas essaya d’en ouvrir certaines mais toutes étaient verrouillées. Il se tourna vers Paul et chuchota :

– J’aime bien ces moments, découvrir des lieux hors des temps d’ouverture. C’est calme.

Ils arrivèrent enfin au bout du couloir, face à une double porte à battants. Thomas la poussa légèrement. Un grincement se fit entendre. Paul grimaça et suivit Thomas qui pénétra dans une nouvelle pièce.

C’était une cuisine, plongée dans l’obscurité. Paul pouvait voir l’agitation autour des fourneaux qu’il devait y avoir pendant les heures de repas, un chef qui devait crier sur ses commis pour servir tous les clients à temps.

De l’autre côté de la cuisine, une nouvelle porte à battants. Thomas ne s’attarda pas et la poussa pour la passer.

Ils arrivèrent derrière un comptoir, dans une grande salle où étaient empilées des chaises en aluminium et des tables. Ils étaient arrivés dans le restaurant, ou plutôt le snack du musée. Ils avaient réussi à entrer dans le bâtiment sans se faire voir.

Thomas se retourna vers Paul et prit soin de parler sans élever la voix :

– Bon, ça y est. Maintenant il va falloir se faire discret, il y a des gardes, des caméras et des détecteurs de mouvement. On a vu ça ensemble. On va aller voir le Rembrandt, en salle 24. Il va falloir monter deux étages. Je passe devant et tu me suis.

Thomas, d’un pas décidé mais sans faire aucun bruit, se dirigea vers les escaliers. Paul avait le plan du musée en tête et les deux espions savaient exactement comment se rendre dans la salle où le voleur devait agir, sans se faire repérer par les dispositifs de sécurité.

Ils montèrent les deux étages. Là, un dédale de salles les attendait. Ils devaient passer par la peinture du XVIème siècle et traverser deux autres salles, puis, ils arriveraient dans la salle 24.

Les lumières du musée étaient tamisées, assez pour voir exactement ce qui les entourait. C’était une ambiance calme et reposante. Paul trouvait cela agréable. Il aurait eu envie de visiter tous les musées dans ces conditions, silencieusement et sans aucun autre visiteur.

Soudain, Thomas se figea. Paul faillit lui rentrer dedans. Une lumière blanchâtre courrait sur le sol, dans la pièce suivante. Un vigile s’approchait. Thomas se tourna et, d’un pas léger mais rapide, entra dans une nouvelle salle sur leur droite. Paul suivit au même rythme.

Ils s’arrêtèrent dans une partie de la pièce moins éclairée. Le vigile passa sans même imaginer que des visiteurs sans billet étaient proches de lui. Paul l’observa discrètement. Il vit des écouteurs dans les oreilles de celui qui assurait la sécurité. Il n’était pas attentif, une chance de plus pour les espions.

A pas de velours, Paul et Thomas choisirent d’emprunter une autre direction. La disposition des salles leur permettait de retrouver la salle 24 par plusieurs chemins différents. Leur nouvel itinéraire n’était pas beaucoup plus long que le premier.

Ils passèrent par la salle 29, une salle octogonale. Ils ne leur restaient plus que trois salles avant de retrouver celle qui portait le numéro 24, qui se présenterait sur leur droite.

Soudain, les deux espions entendirent un bruit. Un bruit sourd, et étouffé. Le bruit venait de la salle du Rembrandt, ils en étaient persuadés. Thomas s’élança en avant. Paul, surprit, mit une seconde avant de lui emboiter le pas. Cette fois, ils prirent moins de précaution pour être discret, ils savaient que le temps leur était compté et que le tableau devait être en train d’être dérobé.

Ils arrivèrent salle 24. Paul découvrit d’abord le mur sur lequel le Rembrandt était exposé. Il était vide. Le tableau, cependant, était posé au sol, reposant sur le mur. Le jeune espion eut juste le temps de voir une forme se diriger rapidement vers la salle suivante. Thomas ne prit pas plus de temps pour s’élancer à sa poursuite. Paul l’imita. Le jeune espion se demanda soudain si cette poursuite était une bonne idée. On leur avait dit d’observer mais ils risquaient maintenant de se faire repérer. Il préféra s’en remettre aux décisions de Thomas, visiblement sûr de lui.

Le voleur dévala les escaliers, les espions à quelques mètres derrière lui. Thomas semblait décidé à le rattraper.

Le voleur les distançait. Il était d’une rare agilité et visiblement adepte des courses à pied. Il tourna à gauche en bas des escaliers. Il savait exactement où il allait.

Le jeune espion regretta qu’aucun vigile ne soit sur leur chemin pour les aider.

Les espions se retrouvèrent dans le restaurant, conscients qu’ils perdaient du terrain. Le voleur enjamba le comptoir avec une aisance déconcertante et disparut par une porte sur le côté opposé à la cuisine.

Lorsqu’ils passèrent la porte, les espions ne découvrirent qu’un enchainement de couloir.

Ils regardèrent à gauche puis à droite. Aucune trace du voleur. Thomas s’élança vers une fenêtre ouverte et au carreau brisé.

Ils se retrouvèrent dans une ruelle sombre et vide. Le voleur avait disparu.

Un bruit vint du bout de la voie, se rapprochant d’eux. Paul et Thomas tournèrent la tête de concert. Une camionnette apparut et ralentit au point de presque s’arrêter. La porte passager s’était ouverte et une forme monta dans le véhicule qui repartit dans un crissement de pneus.

Les deux espions coururent jusqu’au bout de la rue mais ils savaient qu’il était trop tard.

Thomas s’arrêta et se pencha en avant, posant ses mains sur ses genoux :

– Merde.

Paul ne sut quoi répondre. Il dit simplement :

– LV64.

Thomas tourna la tête vers lui, on pouvait lire sur son visage un curieux mélange d’agacement et d’étonnement :

– Quoi ?

– Le début de sa plaque. LV 64.

– Tu as pu voir ? Tu es sûr de toi ?

– Oui, j’ai vu très distinctement, désolé je n’ai pas pu voir la fin…

– Ce n’est pas grave. Tu vois, tu es parfaitement fait pour ce boulot !

Paul préféra ne pas répondre. Thomas continua :

– Bon, on n’a plus rien à faire ici. Au moins, le tableau est toujours là, mais ce n’est pas forcément une bonne nouvelle.

– Pourquoi ?

– Pas de tableau, pas de vente, pas de transaction financière et nous on ne saura pas à quoi ça pouvait servir.

– Peut-être qu’il reviendra ?

– Avec ce qu’il vient de faire, la police sera sur les dents et le musée va devenir une vraie forteresse impénétrable.

Paul reconnut que cette vision était la plus réaliste :

– C’est vrai. Au fait, pourquoi les alarmes ne se sont pas déclenchées ? On a couru sans faire attention.

– Je ne sais pas… Ils avaient dû les désactiver.

– On fait quoi ?

– On rentre. 

Sur le chemin, les deux espions restèrent silencieux. Thomas s’en voulait visiblement de cet échec.

Une fois arrivés, L’aîné invita Paul à s’asseoir sur le canapé du salon :

– Bon, faisons le point. On a finalement quelques pistes, en particulier une très importante grâce à toi. Avec un peu de chance, on va pouvoir retrouver notre voleur et poursuivre notre mission. L’imprévu fait partie de notre travail. L’important c’est ce début de plaque d’immatriculation. As-tu pu voir le modèle de la camionnette ?

Paul réfléchit :

– Il me semble que c’était la marque Ford, j’ai cru reconnaitre le logo à l’arrière… mais je ne connais pas le modèle.

Thomas sortit son téléphone et ouvrit le navigateur Internet. Il montra à Paul des photos depuis un moteur de recherche. Après quelques résultats seulement, Paul reconnut avec certitude le véhicule. C’était un Ford Transit.

Thomas remercia son coéquipier :

– Parfait, je vais envoyer une demande à la police britannique, ils trouveront peut-être avec le début de la plaque à qui appartient le véhicule. En attendant, il est tard. Couchons-nous et demain, nous aurons peut-être notre réponse.

Paul ne fut pas contre cette idée. La journée et la nuit déjà avancée l’avaient fatigué. Cependant, l’adrénaline mit quelques temps à se dissiper et il ne parvint à trouver le sommeil qu’après de longues minutes à chercher une position confortable pour s’endormir.

Paul se réveilla fatigué. Il sentait que son réveil n’avait pas été naturel. Il émergea rapidement en entendant des coups venant du salon. Il passa un tee-shirt et un pantalon avant de sortir de sa chambre, se demandant si son coéquipier avait lui aussi été réveillé. En arrivant dans le couloir, Paul croisa Thomas qui semblait ne pas être éveillé depuis longtemps, à en croire son visage encore endormi.

Les deux espions se rendirent au salon. Les coups reprirent de plus belle, on frappait avec insistance à la porte. Thomas se dirigea vers elle. Il l’ouvrit doucement.

Un homme d’une quarantaine d’années en complet avec cravate, le cheveu rare et une paire de petite lunettes rondes regarda la pièce. Il tendit la main en avant, indiquant qu’il souhaitait entrer. Thomas lui dégagea le passage.

L’inconnu toisa Paul qui crut deviner du dédain dans son regard.

L’homme se dirigea vers le canapé et s’assit sans demander de permission.

Thomas invita Paul à faire de même et prit place face à l’inconnu qui passa à nouveau le regard sur la pièce avant de dire :

– Hallo, ik heet Joshua.

Les deux espions se regardèrent. Paul n’avait compris que “Joshua” et conclut que ce devait être le prénom de l’inconnu. Thomas répondit en anglais :

– Bonjour, je m’appelle Thomas.

L’homme le regarda et reprit en français, avec un léger accent :

– Enchanté.

L’ainé des deux espions entra dans le vif du sujet :

– Qu’est ce qui nous vaut cette visite matinale ?

L’inconnu regarda à nouveau dans la pièce :

– J’ai été informé de vols de tableaux dans la région. Je suis un grand amateur et collectionneur d’art et cela m’a rendu malade. Malade au point de mener ma propre enquête. Récemment, pour ne pas dire hier soir, je me promenais près du National Gallery. Vous connaissez ? C’est un des plus beaux musées d’Angleterre. J’ai appris ce matin une tentative de vol, un Rembrandt magnifique. Heureusement, le malfrat a été mis en fuite.

Thomas attendit une seconde :

– Je ne comprends pas en quoi cela nous concerne.

– Si vous commenciez par me dire où sont les autres tableaux ? Ce serait un bon début et nous gagnerions du temps.

– Je suis désolé mais je pense que vous faites erreur.

Joshua, visiblement sûr de lui, insista :

– Vraiment ?

Thomas sembla perdre patience :

– Ecoutez, je suis ici en vacances, les premières depuis très longtemps avec mon frère. Nous sommes arrivés vendredi à Londres et nous n’avons rien à voir avec tout cela.

– Vous êtes de simples touristes ?

– Comme je vous l’ai dit.

Le visiteur prit un air suspicieux :

– C’est inhabituel, pour des touristes, de visiter le National Gallery de nuit.

Thomas resta impassible :

– Pourquoi dites-vous cela ? Nous y sommes allés ce weekend et en plein jour.

Joshua haussa le ton :

– Arrêtez de me mentir. Je vous ai vu, cette nuit. Je vous ai suivi jusqu’ici. Je sais que c’est vous qui avez tenté de voler le tableau.

– Dans ce cas, pourquoi ne pas appeler la police ?

– Car je ne leur fais aucune confiance et pour voler ces œuvres, vous devez certainement aimer l’art autant que moi. Je veux simplement retrouver les tableaux.

– Alors je serai contraint de vous demander de partir.

– C’est bien dommage.

L’homme releva le menton et son postérieur avant de se diriger vers la porte, raccompagné par Thomas. Il était visiblement vexé d’être ainsi renvoyé.

Paul resta dans le canapé et observa la scène. Il s’étonna que cet inconnu n’ait pas plus insisté.

Le jeune espion remarqua un morceau de papier qui tomba de la poche de Joshua juste avant qu’il ne disparaisse dans le couloir de l’immeuble.

Thomas se retourna vers Paul :

– Prépare toi, très rapidement, on sort.

– Je suis prêt.

Paul se leva et ramassa le bout de papier encore au sol et le tint à Thomas : 

– Joshua a laissé tomber ça en sortant.

L’aîné glissa le morceau de papier dans sa poche et retourna au salon prendre ses accessoires, imité par Paul.

Thomas ouvrit la porte et, accompagné de Paul, sortit dans la rue en pressant le pas. Une fois en bas, Paul se sentit tiré par le bras par Thomas qui l’entraina plus loin dans la rue. Soudain, l’espion le plus aguerri s’arrêta net et fit un signe de la main. Joshua était à quelques pas d’eux. Thomas s’expliqua :

– Ce n’est pas un collectionneur.

– Comment ça ?

– Je suis persuadé qu’il ne nous a pas dit la vérité. Il était là dans un but plus précis.

– A quoi tu penses ?

– Soit nous avons à faire à un policier bien sûr de lui et complétement hors procédure, soit à un des amis du voleur, peut-être même son acheteur. Il devait garder le musée cette nuit et nous a repéré. Quoi qu’il en soit, notre couverture est compromise.

– On fait quoi ?

– On va déjà voir où il nous mène. Il a repris sa marche.

Les deux espions continuèrent de suivre Joshua à distance. Après quelques minutes, le mystérieux visiteur entra dans une Ford Focus grise arrêtée sur le bord du trottoir. Il sortit la voiture de sa place et prit la route. 

Thomas héla un taxi qui s’arrêta doucement. Les deux espions se précipitèrent à l’intérieur et Thomas ordonna :

– Suivez la Ford grise.

Le chauffeur adressa un sourire entendu à Thomas. La demande eut l’air de l’amuser.

Ils roulèrent dans les rues de Londres. Le chauffeur garda la Ford en vue en prenant soin de ne pas s’en approcher plus que nécessaire.

La voiture de tête s’arrêta. Joshua en descendit et s’approcha d’une entrée de commerce. Le chauffeur de taxi se stoppa et se tourna vers les espions, l’air d’attendre les instructions de ses clients. Thomas demanda à Paul :

– Tu peux aller voir ? Sois discret. Moi je vais attendre ici.

– Oui, j’y vais.

Paul descendit de la voiture et s’avança vers la position de sa cible. Joshua était rentré dans une pâtisserie. Discrètement, en prenant soin de ne pas pouvoir être vu, l’espion regarda à l’intérieur. Joshua était attablé, dégustant ce qui semblait être une tarte, accompagnée d’un thé.

Paul retourna au taxi et monta :

– Il prend son petit déjeuner, il est dans la pâtisserie.

Thomas remercia Paul et prévint le chauffeur qu’ils allaient attendre. Le chauffeur leur demanda :

– Vous faites un jeu de piste ?

Les espions avaient leur excuse toute trouvée. Thomas répondit :

– Oui, on doit suivre notre ami pour avoir un indice.

– Vous êtes français ?

– Oui, en voyage à Londres pour une fête.

– Super. C’est amusant.

– Mais notre ami ne sait pas qu’on le suit et ne doit pas le découvrir.

Le chauffeur mis son index devant sa bouche et fit un clin d’œil aux espions. Puis, il pointa le doigt devant lui, indiquant aux espions que Joshua était ressorti. Il remontait dans sa voiture.

Le chauffeur de taxi se prépara. Il reprit sa filature, plus motivé encore que précédemment.

La route fut longue. Ils sortirent de Londres et s’arrêtèrent dans la ville d’Epping, en Banlieue londonienne. Joshua se stationna dans une allée d’un pavillon.

Le taxi s’était stoppé à bonne distance. Thomas lui demanda s’il pouvait les attendre, précisant qu’ils n’en auraient pas pour longtemps. Le chauffeur accepta.

Les deux espions descendirent et se faufilèrent jusqu’au pavillon voisin. Ils observèrent le garage où était entré Joshua mais plus rien ne bougeait.

Soudain, Paul tapa sur l’épaule de Thomas qui se tourna vers lui. Le jeune espion lui fit part de sa découverte :

– Regarde, le trottoir d’en face !

Thomas regarda dans la direction que Paul lui avait indiquée :

– La camionnette. LV64 DFC. C’est celle qui était à Londres. Joshua n’est pas un collectionneur, on avait raison. Il doit se douter qu’on suit le voleur. Attends-moi, j’arrive.

Thomas ressortit de sa cachette. Paul le vit traverser la rue, prenant soin de ne pas être visible depuis l’habitation dans laquelle Joshua était entré.

Arrivé au niveau de la camionnette, Paul observa Thomas se baisser et se glisser légèrement sous le véhicule. Il se releva quelques secondes plus tard avant de revenir aux côtés de Paul. Il sortit son Smartphone et ouvrit une application.

Paul regarda l’écran du téléphone de Thomas. La carte du monde apparut. L’application zooma automatiquement sur Londres, plus précisément sur sa banlieue Nord. Deux points rouges clignotaient en alternance avec deux points jaunes. Thomas expliqua :

– Les rouges, ce sont les anneaux, on voit que l’un d’eux est un peu écarté de l’autre, j’ai placé le mien sous la camionnette. Les deux points jaunes, ce sont nos téléphones. Je pense qu’on peut y aller, on surveillera l’application pour voir si la camionnette se déplace.

Paul hocha la tête :

– Ok.

Les deux espions retournèrent à leur taxi. Thomas indiqua l’adresse de leur appartement et le chauffeur se mit en route.

Dans la voiture, Thomas sortit le morceau de papier que Joshua avait laissé tomber dans l’appartement. L’ainé le déplia et le mit en évidence pour que Paul puisse lire lui aussi :

afspraak : 17 November, 19.00 uur. Ploughsmans Cl.

Paul ne comprit pas :

– C’est du néerlandais ?

Thomas acquiesça :

– Oui, une date et une adresse. Je ne comprends pas le premier mot.

L’aîné sortit son Smartphone et chercha la traduction. Cela signifiait “rendez-vous“. Il demanda au chauffeur :

– Connaissez-vous “Ploughsmans Cl. ?”

– Bien sûr, c’est une rue au nord de Londres. Une petite rue sans intérêt. J’y ai déposé un client il y a une semaine, c’est amusant que vous me demandiez ça. Vous voulez que je vous y dépose ?

– Non, nous irons un autre jour.

Le taxi s’arrêta devant l’immeuble où Thomas et Paul résidaient. L’ainé remercia chaleureusement le chauffeur et le paya.

Une fois dans l’appartement, Thomas sortit sa montre. Paul le vit faire le tour de l’appartement :

– Qu’est-ce que tu fais ?

– Un inconnu est venu, je vérifie qu’il n’ait pas installé une caméra ou un micro quelque-part.

Après avoir fait le tour du salon, Thomas brancha son téléphone. Il fit en sorte que son écran s’affiche sur la télévision. Il ouvrit l’application permettant de tracer les positions GPS des anneaux. L’un d’eux était toujours dans le nord de Londres :

 – On va suivre leurs mouvements depuis cet écran. Si jamais tu le vois bouger, préviens-moi.

– Et en attendant ?

– Nous n’avons rien à faire. Je vais préciser la plaque d’immatriculation à la police de Londres. Nous verrons bien s’ils ont une piste à nous donner. Je vais aussi prévenir papa pour connaitre nos instructions, nous sommes déjà hors du cadre de notre mission.

L’espion saisit son téléphone et s’éloigna. Lorsqu’il revint auprès de Paul, il lui donna un condensé de son appel :

– Notre mission a changée. Maintenant, nous devons retrouver notre voleur et le suivre. Nous avons l’ordre d’observer toutes les procédures et de prévenir l’Aigle afin qu’ils nous envoient des renforts pour l’appréhender le moment voulu. Cela se fera lorsque nous aurons toutes les informations sur lui ainsi que sur toute la chaîne, jusqu’à l’acheteur final. Papa m’a assuré que nous serions soutenus en cas de besoin.

Paul hocha la tête. Il n’avait pas tout compris mais il suivrait son coéquipier. De toutes manières, il n’avait pas le choix.

Quelques heures plus tard, Thomas reçut une réponse concernant la plaque d’immatriculation. Elle n’appartenait pas au modèle de véhicule qu’ils avaient vu. Les voleurs avaient dû en installer une fausse.

Les jours passèrent. Les espions regardaient régulièrement l’écran indiquant la position de la camionnette qui ne bougeait pas. Ils se demandaient même si le dispositif fonctionnait et s’ils n’allaient pas devoir aller voir par eux-mêmes si la camionnette était toujours en place. Leur seul indice était le rendez-vous de Joshua.

Le samedi 17 novembre arriva. Thomas et Paul, dans le salon, se préparaient. Thomas s’adressa à Paul :

– On va à Ploughsmans. C’est le seul indice que nous ayons, j’espère qu’ils ne nous décevront pas.

Paul termina de se préparer et regarda l’écran :

– Attends, Thomas !

L’aîné se retourna :

– Qu’est-ce qu’il y a ?

– Le point rouge a bougé, il va vers Londres.

Thomas regarda la carte :

– Et il va à l’opposé de Ploughsmans.

– Qu’est-ce qu’on fait ?

L’aîné réfléchit un instant et livra ses conclusions :

– J’ai compris… le papier, Joshua l’avait délibérément laissé tomber. Il voulait nous faire aller au mauvais endroit pour que nous laissions les voleurs tranquilles. De toutes manières, on sait que la camionnette leur sert pendant leurs vols et Ploughsmans pour le moment ne nous sert à rien, on va suivre la camionnette, cela me semble plus important.

Paul vit Thomas sortir son téléphone. Il coupa le lien avec la télévision et porta l’appareil à son oreille :

– Papa ? Oui c’est Thomas. Tout va bien, on profite des vacances… On aimerait visiter une petite ville au Nord, on va louer une voiture… Merci. Oui, je te rappelle bientôt.

Thomas raccrocha :

– On a cinq minutes pour sortir.

Cinq minutes plus tard, les espions descendirent les escaliers de l’immeuble. Thomas s’approcha d’une Mini beige garée juste devant leur entrée. Il glissa la main sous le parechoc avant et en sortit des clés. Il ouvrit la voiture et les espions embarquèrent. Thomas démarra :

– Service de location de l’Aigle. Le plus rapide que je connaisse.

Paul répondit d’un sourire. L’aigle ne cessait de le surprendre et il commençait à saisir la puissance de l’organisation qu’il avait rejoint depuis un peu plus d’un an.

Thomas posa son Smartphone devant lui et ouvrit l’application permettant de suivre la position GPS de l’anneau.

En quelques minutes seulement, ils avaient retrouvé la camionnette dans les rues de Londres et la suivaient.

Le Ford se gara sur Imperial College Road, à côté d’une université et proche du Victoria and Albert Museum. Thomas précisa :

– On a la réponse, ils vont taper là ce soir. Il y a des œuvres inestimables.

Il leva le menton vers un autre véhicule qui s’avançait dans la rue :

– Tiens, Joshua est là, lui aussi.

Paul regarda la Ford Focus grise qui venait d’arriver. Il demanda :

– Comment on fait pour ce soir ? On ne connait pas le musée et on sera vite repéré.

– Oui, tu as raison. On va rester dans la voiture et suivre le camion lorsqu’il repartira. Ce sera plus discret que lors du vol de la dernière fois. 

Le jeune espion s’inquiéta :

– On les suivra de nuit ? Ça risque d’être compliqué, s’il n’y a pas de circulation ils vont se douter de quelque chose.

Thomas sourit :

– C’est tout l’intérêt d’avoir une balise GPS, on le suivra de très loin.

Paul s’en voulait de ne pas y avoir pensé et d’avoir fait une remarque peu pertinente. C’était pourtant évident que cet outil leur permettait de ne pas être collés à leur cible pendant une filature. Il l’avait eu de plus devant lui pendant plusieurs jours sur grand écran.

L’attente fut longue. Les deux espions virent le musée se fermer puis la nuit tomber. Comme ils l’avaient prévu, le voleur, que Paul reconnut par son physique svelte, se dirigea vers le musée. Il disparut sur le côté du bâtiment.

Une dizaine de minutes plus tard, il réapparut. Cette fois, il avait réussi. Il tenait sous son bras un tableau de taille moyenne et facilement transportable. Il monta dans la camionnette qui démarra et s’éloigna dans la nuit, suivie par Joshua.

Thomas attendit quelques secondes. Les voleurs avaient déjà disparu de leur champ de vision. L’aîné démarra la Mini.

Grâce au signal GPS, il n’avait pas besoin de se presser. Quelques minutes plus tard, Thomas remarqua :

– Ils ne vont pas au pavillon.

Paul regarda l’écran. En effet, ils n’empruntaient pas la route qu’ils auraient dû prendre pour rentrer dans le nord de Londres :

– Tu crois qu’ils prennent un autre trajet pour être sûr de ne pas être suivi ?

– C’est possible, ou peut-être qu’ils savent que leur temps est compté. Joshua se doute de quelque chose depuis qu’il nous a vu et ils pourraient très bien fuir dès ce soir…

Paul reconnut que cette éventualité était plausible. Il se concentra sur l’écran.

Le camion longea la Tamise. La Mini emprunta le même trajet, à quelques secondes d’intervalle. Les espions furent conduits dans une zone industrielle. Thomas stationna la voiture et éteignit ses phares. Le camion était entré dans une ruelle et s’était arrêté.

Les deux espions sortirent de leur véhicule et se dirigèrent, à pied, vers l’endroit où le camion s’était garé.

Ils se cachèrent derrière une grille. L’obscurité les aidaient, ils étaient invisibles aux yeux de tous mais pouvaient parfaitement observer la camionnette et les alentours.

Les espions avaient repéré, une trentaine de mètres plus loin, les voleurs qui s’affairaient. Ils déchargeaient le tableau qu’ils avaient volé et entraient dans un entrepôt. Le conducteur de la camionnette, lui, attendait à côté de son véhicule, sans aider ses complices. Lorsque les quelques caisses qu’ils transportaient furent déchargées, il remonta derrière le volant puis redémarra. Paul demanda :

– On le suit ?

– Non, il est vide et on a l’anneau dessus. Il est plus intéressant de voir ce qu’ils font ici. Tu veux aller voir ce qu’il se passe dans l’entrepôt ?

– Oui, pas de problème.

– Parfait, je t’attends là. Ne te fais pas remarquer.

Paul sortit de sa cachette et s’approcha du bâtiment dans lequel les voleurs étaient entrés. Depuis la façade, il était impossible d’en voir l’intérieur.

Le jeune espion s’engagea sur le côté du bâtiment, dans une ruelle exigüe afin de trouver un endroit plus propice à l’observation. Ici, personne ne pouvait le voir. Il découvrit sur le mur de l’entrepôt une lucarne d’où sortait une faible lumière. Pour le moment, c’était le seul moyen de savoir ce qu’il s’y passait. Le jeune espion s’approcha et regarda à l’intérieur.

Contrairement à ce que Paul avait imaginé, la lucarne donnait sur une petite pièce. L’espion vit deux personnes entrer et poser deux grandes caisses en bois. Paul reconnut la silhouette du voleur. Pour la première fois, il pouvait le voir distinctement.

Le voleur avait de longs cheveux noirs, un visage lisse et des yeux verts. Sa bouche, fine, affichait un sourire satisfait. Il avait un corps fin et deux rondeurs harmonieuses au niveau de la poitrine.

Son voleur était une voleuse qui devait avoir son âge. Paul la trouva d’une grande beauté. Il cligna des yeux, ce n’était pas le moment pour lui de se laisser distraire.

Paul s’apprêtait à se reculer pour faire part de sa découverte à son coéquipier lorsqu’il sentit un puissant mal de tête s’emparer de lui. Sans pouvoir résister, il partit en arrière, incapable de retenir ses paupières qui tombèrent lourdement.

Paul pouvait sentir les battements de son cœur résonner dans son crâne. Une migraine s’était emparée de lui. Il fut pris d’un vertige et ouvrit péniblement les yeux. Il ne voyait rien autour de lui que l’obscurité. Il bougea les jambes sans parvenir à toucher le sol ni aucun objet solide.

Doucement, ses yeux s’acclimatèrent à l’environnement. Il était assis, à un mètre environ au-dessus du sol. Il ressentit un nouveau vertige avant de reprendre ses esprits. Il regarda péniblement autour de lui.

Il se trouvait visiblement dans un entrepôt, attaché sur une chaise en bois, suspendue au plafond par une chaîne qui se terminait par un grand crochet métallique. Il hésita à se débattre, de peur de tomber. Pourtant, une chute ne l’aurait sans doute même pas blessé.

Il se balança timidement. La chaîne grinça mais les liens qui l’entravaient ne bougèrent pas. Soudain, il remarqua que la pièce tremblait légèrement, tout comme lui. Le bâtiment entier semblait pris d’une douce vibration. Paul réfléchit. L’Angleterre n’étant pas connue pour ses secousses sismiques, ce devait être le bâtiment qui se déplaçait. Il regarda à nouveau autour de lui. Il avait perdu conscience devant un entrepôt entièrement fermé, donnant sur la tamise. D’après Thomas, les voleurs pouvaient tenter de fuir Londres. Il devait se trouver sur un bateau en mouvement.

Le jeune espion fut fier de son résonnement avant de réaliser que ce n’était pas la plus belle des nouvelles.

Il n’avait de plus aucune notion du temps, qui lui parut soudain long, très long. Il sentit son souffle devenir plus court et son cœur s’emballer. Il reconnut immédiatement les signes d’angoisse dont il était parfois victime. Il se concentra pour reprendre une respiration lente et régulière et essaya de se rappeler ses cours. Dans une situation comme celle-là, il devait absolument rester calme et réfléchir à une solution. Il continua de respirer lentement. Son cœur ralentit. Progressivement, il se sentit un peu mieux, plus à-même de réfléchir. Son mal de tête s’estompait lui aussi. Il pensa à Thomas. Il espérait que son coéquipier était à sa recherche, qu’il avait remarqué sa disparition. Paul réalisa qu’il était évident que Thomas s’en était aperçu et qu’il ferait tout pour l’aider. Cependant, s’il n’avait pas pu monter sur le bateau, le jeune espion se retrouvait seul et devait s’en sortir par ses propres moyens. 

Soudain, dans un bruit sourd, la lumière s’alluma. Paul dût fermer les yeux tant elle fut éblouissante après ce temps passé dans l’obscurité.

Lorsqu’il put à nouveau ouvrir les yeux, difficilement, il vit d’abord les grands spots suspendus au plafond puis, face à lui, un homme à la carrure impressionnante. Paul eut l’impression que cet inconnu était aussi grand et large qu’un ours. Il portait une barbe de quelques jours et un bonnet rouge cachant son crâne. Le visage marqué et balafré d’une grande cicatrice sur la joue gauche, il devait avoir vécu une quarantaine d’années. Paul baissa les yeux sur le tee-shirt blanc, sans manche, de cet homme. Des tâches marron et noires, ressemblant à du cambouis, couvraient son vêtement. Paul pensa qu’il devait être mécanicien. Il portait un jean tout aussi taché et des chaussures de sécurité, semblables à celles que l’on trouvait sur les chantiers. Il ne portait pas de lacet.

L’inconnu regarda Paul quelques secondes. Paul était dans l’expectative, espérant un mot, mais l’homme haussa les épaules et se dirigea vers le fond de la pièce. Paul ne pouvait pas se retourner. Ne plus avoir l’homme dans son champ de vision lui fit peur. Il l’entendait, fouillant dans des objets métalliques. Paul demanda enfin, d’une voix forte et sèche qui le surprit lui-même :

– Détachez-moi !

Paul continuait d’entendre le son métallique d’une personne qui cherche des outils dans un tiroir mal rangé. Il répéta :

– Détachez-moi !

Soudain, un vrombissement. Le sol se rapprocha doucement et Paul toucha terre.

Paul fut soulagé. L’homme allait peut-être accéder à sa demande.

L’espion vit l’inconnu passer à côté de lui sans lui adresser un regard et sortir de la pièce. Paul était toujours attaché mais, cette fois, il avait les deux pieds au sol.

Il tenta de se débattre mais vit rapidement que cela ne lui serait d’aucune utilité. Les nœuds qui l’attachaient était solides et ne céderaient pas.

Quelques minutes plus tard, la porte s’ouvrit à nouveau. C’était encore l’homme au physique d’ours. Paul remarqua immédiatement le revolver dans sa main droite. Il scintillait à la lumière de la pièce.

L’inconnu, toujours silencieux, s’approcha de Paul qui vit le canon de l’arme se placer face à ses yeux.

Paul dut déployer tous ses efforts afin de garder son calme. Il tenta de se rappeler ses cours mais à aucun moment on ne lui avait appris à désarmer un homme de plus de cent-vingt kilos, en pleine possession de ses moyens, et ce sans pouvoir bouger.

Cependant, on lui avait appris une chose importante : “Face à une situation qui semble perdue d’avance, il ne coûte rien d’essayer de gagner du temps afin de trouver une solution qui ne nous était pas encore apparue“. Paul réfléchit, il fallait retarder son échéance. Le balafré n’ayant pour le moment toujours rien dit, Paul tenta, en anglais :

– Vous êtes muet ?

L’inconnu regarda Paul de ses yeux noirs. Il n’y avait aucune méchanceté dans son regard, ni aucune trace d’un quelconque autre sentiment. Il répondit d’une voix de stentor :

– Non.

Il n’était visiblement pas un bavard mais au moins, il comprenait l’anglais. Paul continua :

– Où sommes-nous ?

– Je ne pense pas que cela te change la vie. Enfin… La mort.

Paul réfléchit et continua, rassemblant ses efforts pour parler d’un ton le plus posé possible :

– Attendez… Vous allez me tuer ? Sans même m’expliquer pourquoi ou me demander qui je suis ? C’est pas comme ça normalement !

L’inconnu haussa les épaules à nouveau :

– Moi, on me dit de tuer, je tue. Savoir qui tu es ne me donnera rien de plus. On n’est pas dans un film.

Paul réalisa que la négociation se compliquait. Cependant, il remarqua que l’inconnu avait légèrement relâché la pression sur son arme, signe qu’il pouvait encore être ouvert à la discussion. Paul insista :

– Je peux quand-même savoir où on est ?

Cette fois, Paul avait fait le mauvais choix. La pression de l’inconnu sur son arme fut plus forte et il répondit :

– Non. Tu as fini de jacasser ? J’aimerai pouvoir travailler en silence.

Paul choisit la provocation :

– Parce que c’est ça votre travail ? Tuer des gens de seize ans, incapables de bouger, sans aucun moyen de se défendre et qui ne savent même pas ce qu’ils font là ? Ça doit être passionnant.

L’homme baissa son arme et dévisagea Paul. Il soupira :

– Passionnant ou non, c’est mon travail. Tu es bien sûr de toi pour un gamin avec une arme braquée sur le crâne.

Paul avait l’impression que son irrévérence commençait à payer. Il gagnait du temps et pouvait réfléchir à une manière de se dégager. Ses liens, pourtant résistants, commençaient à se détendre à force de les bouger légèrement. Paul l’avait fait naturellement. Des mouvements presque imperceptibles, qui avaient doucement écarté ses entraves. S’il avait assez de temps, les liens se détendraient assez pour qu’il puisse se dégager les jambes et commencer à se libérer, cela constituerait un premier pas. Il répondit :

– Bof. Je ne l’ai plus braquée sur moi et vous avez l’air sympathique. J’aurais plein de question à vous poser si vous m’en laissiez le temps.

– Mais ce n’est pas le cas !

Les mots avaient été cinglants, n’appelant aucune réponse. Pourtant, Paul en apporta une :

– Vu que de toutes manières, vous êtes décidé à me tuer, je peux peut-être vous les poser quand même ?

L’inconnu regarda Paul qui fut étonné de voir que l’homme ne semblait dégager aucun sentiment particulier à son égard. Ni haine, ni énervement. Il ne faisait que suivre ses ordres. Il se confia :

– Si ça t’amuse. Ce n’est pas la discussion que je peux avoir avec les autres. Et puis je ne suis pas fatigué et je n’ai rien d’autre à faire. Pose-les-moi tes questions, mais rapidement, sinon ça va encore râler.

– D’où vient votre cicatrice ? Et votre bonnet rouge, c’est un hommage à Cousteau ?

– Une blessure au couteau pendant une dispute. Pour le bonnet, c’est parce que c’est pratique. Je peux te tuer maintenant ?

L’homme souriait, ce qui tordait sa cicatrice. Dans une situation comme celle-ci, Paul trouvait cela déplacé.

Le jeune espion, qui continuait à bouger la jambe, sentit maintenant qu’il pourrait se dégager. Ce n’était plus qu’une question de secondes. Il demanda :

– J’ai le droit à un joker ?

– Une toute dernière question.

Les liens étaient assez détendus. Il releva la jambe pour se défaire de son lien. Il demanda :

– On va où ?

Paul termina sa question en lançant son pied en avant. Le coup termina dans le tibia de l’inconnu. Le jeune espion n’avait pas prévu que ce geste le projetterait lui-même en arrière.

Surprit, l’homme tira en recevant le coup de pied tandis que Paul s’écrasait sur le sol. Il se débattait. Les liens qui entravaient ses mains étaient proches de céder. Malheureusement, l’homme avait vite reprit ses esprits. Il attrapa le jeune espion par l’épaule et le redressa avec la chaise. Il resserra les liens de Paul qui pouvait sentir ses poignets et ses chevilles être lacérés. L’inconnu prit une nouvelle corde qu’il noua autour de la poitrine du jeune espion qui sentit son souffle se couper.

L’homme resta silencieux, regardant son jeune adversaire. Il alluma une cigarette. Paul se rattrapa :

– Pardon, c’est parti tout seul.

L’homme leva le bras et lui asséna un coup violent du revers de la main. Paul sentit sa tête tourner sous la violence du geste. L’inconnu reprit :

– Pardon, moi aussi. Puisqu’on est parti pour être de bons amis et que j’ai tout mon temps, je vais te faire plaisir. Tu voulais gagner du temps ? Je vais te tuer lentement, très lentement. Mais avant, tu vas apprendre à te taire.

L’inconnu au bonnet s’éloigna. Paul le vit s’approcher d’un établi sur le côté de la pièce. Il avait pris un chiffon couvert de cambouis et un morceau de gros scotch. Il retourna auprès de Paul et lui plaça le chiffon dans la bouche. L’espion ne put s’en défaire avant que l’homme ne lui fixe fermement avec le ruban adhésif. Paul sentait le goût de cambouis le brûler jusqu’au fond de sa gorge. Il lui était impossible de tousser avec ce chiffon qui l’empêchait presque de respirer. Il eut un haut le cœur. Cette fois, Paul allait vraiment passer un très mauvais moment.

Face à lui, la cicatrice dansait sur la joue de l’inconnu qui souriait, s’amusant de la situation :

– Maintenant que j’ai le silence, je vais répondre à ta question. Nous sommes sur un bateau et on va à Amsterdam. D’autres questions ?

Paul ne pouvait plus répondre. Le balafré conclut :

– Bien. Maintenant, on joue.

L’homme retira la cigarette de sa bouche et l’approcha doucement de la main du jeune espion. Paul sentit une brève mais vive douleur s’emparer de lui qui lui fit plisser les yeux. Une larme roula sur sa joue. L’inconnu mit un terme rapide à son geste et se retourna vers la porte en jetant à terre le mégot éteint.

Paul entendit le coup de feu, tiré par son agresseur qui avait eu le temps de saisir son arme. L’ours tomba à la renverse et faillit s’écraser sur le jeune espion. Paul pensa que cette torture était de plus en plus étrange.

Le prisonnier regarda en direction de la porte. Il y avait une personne qui se tenait dans son cadre. L’ombre ferma la porte et se précipita en avant. Paul reconnut Thomas qui s’avançait et s’apprêtait à le détacher. Soudain, la porte s’ouvrit à nouveau. La carrure ne laissait aucun doute, c’était la jeune voleuse. Elle courut vers les espions. Thomas se plaça devant son coéquipier.

La voleuse lança son pied en avant. Thomas l’esquiva et le coup termina sa course dans le genou de Paul qui ne put retenir un cri de douleur, assourdi par le chiffon toujours dans sa bouche.

La voleuse grimaça et se tourna vers Thomas. Elle arma son poing et tenta un coup mais l’espion le bloqua, prit le poignet et le fit pivoter jusqu’à l’épaule de son assaillante. Paul entendit le craquement. Thomas avait appliqué une technique d’autodéfense et avait cassé le poignet et le bras de la jeune fille. Elle sembla ignorer la douleur et envoya un nouveau coup de pied vers son adversaire qui la coupa dans son élan en saisissant fermement sa jambe qu’il amenait maintenant vers elle pour la déséquilibrer. Elle tomba à la renverse.

Thomas la retourna pour l’allonger sur le ventre. Il détacha sa ceinture et lui ligota les poignets. La voleuse était neutralisée.

L’espion le plus âgé se releva et se dirigea à nouveau vers son coéquipier. Il commença par retirer le chiffon qui empêchait toujours Paul de respirer convenablement. L’élève prit une grande inspiration qui lui brûla la gorge et le fit tousser à plusieurs reprises. Thomas s’affairait maintenant à le détacher.

Une fois son coéquipier libéré, l’aîné saisit la voleuse et la fit asseoir sur la chaise, à la place de Paul. Il l’attacha avec les liens qu’il avait détachés et remit sa ceinture. L’espion commença son interrogatoire, toujours en anglais :

– Où allons-nous ? Qui êtes-vous ? Pourquoi ?

La jeune voleuse cracha par terre. Paul eût un sentiment de dégoût. Il vit le revers de la main de Thomas s’écraser sur la joue de la jeune fille :

– Premier avertissement.

– Amsterdam. Jessica. Client. T’es content ?

– Qui d’autre sur le bateau ?

– Personne. Juste le capitaine.

Thomas asséna une nouvelle gifle, plus violente encore, à Jessica. Paul regarda son coéquipier, étonné de cette violence malgré la réponse de Jessica qui assura :

– C’est la vérité. Je suis disposée à vous aider ! Vous n’avez pas le droit de me frapper !

Thomas répondit :

– C’était un deuxième avertissement de précaution.

La voleuse n’insista pas et regarda l’ours allongé par terre et demanda :

– Il est mort ?

Thomas, à son tour, fit mine de ne pas entendre :

– Personne d’autre sur le bateau ?

– Non. Détachez-moi.

– Pas tout de suite. Vos clients, qui sont-ils ?

– Des chinois, ils sont de Tokyo.

– Des chinois ?

– Oui, Yakuza.

Thomas se consterna :

– Les Yakuza, ce sont des japonais.

– Pareil, ils payent.

– Pourquoi vous achètent-ils des tableaux ?

– Ça les regarde.

La main de Thomas se releva. Visiblement, il avait frappé assez fort la fois précédente et la voleuse se reprit :

– Ils s’installent à Londres, ils ont besoin d’argent, ils vendent les tableaux au Japon et font transiter l’argent jusqu’à Londres. Vous savez ce que c’est de ne pas avoir d’argent ? Moi oui. Faut bien vivre !

Thomas regarda la voleuse d’un air moqueur :

– Arrête, tu vas me faire pleurer. Où allez-vous rencontrer le client ?

– Amsterdam. Dans un hôtel.

– Et les toiles, où les mettrez-vous ?

– Au port, ils viendront les chercher.

Paul savait que, bien qu’il paraisse déçu de la facilité avec laquelle il avait eu les informations, Thomas se méfiait des réponses de la voleuse. Il lui demanda :

– Pourquoi vous nous dites tout ça ?

– Vous me posez des questions, je réponds. Je vous ai dit que j’allais coopérer.

Thomas s’écarta de la jeune fille. Il la regarda quelques secondes :

– Vous êtes prête à nous aider ?

– Détachez-moi, je vous aiderai. Et je ne veux pas aller en prison.

– Ça, je ne peux pas vous le garantir. Á Amsterdam, faites ce que vous avez à faire, ne faites rien qui alertera les japonais et on s’occupera du reste.

– De toutes manières, vous ne pouvez pas m’arrêter hors de l’Angleterre. Je connais le fonctionnement de la police. Tout ce que vous faites là est hors toute procédure et ne sera jamais retenu comme preuve.

Thomas s’amusa :

– Parce que tu crois qu’on est des policiers anglais ?

– Vous êtes quoi ? La CIA peut-être ?

Thomas répondit par un sourire :

– Nous sommes juste deux frères en vacances.

La jeune fille cracha à nouveau. Paul trouvait cela de plus en plus vulgaire. Elle demanda :

– Et mon bras ?

Thomas la regarda :

– Oui, il est cassé, gardez le contre vous le temps de voir un médecin. Ne bougez pas, on revient.

Thomas fit signe à Paul de le suivre hors de l’entrepôt.

Une fois dehors, Paul arrêta Thomas :

– Merci.

– Je n’ai rien fait de plus que mon travail, porter assistance à mon coéquipier ça en fait partie.

L’aîné parut soudain plus inquiet :

– Il ne t’a pas trop fait mal ? Rien de trop grave ?

Paul pouvait encore sentir le goût du cambouis et la brûlure sur sa main mais répondit :

– Non, ça va, il n’a pas eu le temps. J’ai juste un peu mal au crâne et à la main.

Thomas regarda Paul et l’inspecta rapidement :

– Tu vas garder une trace du voyage sur la main… Tu dois avoir une belle bosse derrière la tête mais ça s’arrangera rapidement.

Paul grimaça avant de demander :

– Comment tu as pu arriver jusqu’à moi ?

– J’ai vu un homme te trainer par terre, à Londres. Il t’avait visiblement assommé. J’ai réussi à entrer dans leur entrepôt et je les ai vu te charger sur le bateau. J’ai pu monter à bord, enfin dans la cale, pendant qu’ils t’amenaient ici, puis j’ai attendu le bon moment.

Paul laissa passer quelques secondes et demanda tout en craignant la réponse :

– Tu l’as tué ?

– Je n’avais pas le choix.

Paul regarda l’homme à terre par la porte ouverte. On pouvait distinguer son sang commencer à se répandre, formant une fine trainée rouge sombre sur le sol. Le jeune espion eut envie de vomir. Il détourna le regard, se raccrochant à son coéquipier qui précisa :

– Non, ça ne s’apprend pas en cours. On n’y est jamais vraiment préparé d’ailleurs, on s’y fait comme on peut.

Paul voulut changer de sujet :

– Et Jessica ? Tu lui fais confiance ?

– Non, mais c’est visiblement une jeune fille qui se fiche pas mal de qui elle sert tant que ça l’arrange. Elle sait qu’on lui tombera dessus et elle va essayer de sauver sa peau quitte à trahir les japonais. J’avertirai la police à Amsterdam, ils se chargeront d’elle une fois que la transaction avec ses clients sera effectuée.

Paul osa :

– La deuxième gifle, c’était un peu gratuit ou tu pensais qu’elle cachait quelque-chose ?

Thomas sourit :

– Ni l’un ni l’autre, disons juste que c’était une manière de lui faire payer ton enlèvement.

– Et l’autre, tu n’avais aucun moyen de le neutraliser sans le tuer ?

Thomas regarda l’eau fendue par le bateau et se redressa vers Paul :

– Il était armé.

Paul ne répondit pas. Au fond de lui, il se doutait que Thomas s’en voulait de l’avoir laissé se faire kidnapper. L’aîné reprit :

– On va arriver à Amsterdam. Une fois à quai, on s’occupera du capitaine et on libérera notre amie.

Paul regarda les lumières de la ville néerlandaise au loin, sous la clarté du lever de soleil. L’adrénaline, les émotions et le froid lui arrachèrent un frisson.

 Le port se dessina doucement devant les deux espions. Ils se cachèrent sous un escalier en métal menant à la cabine du capitaine. Quelques minutes plus tard, le bateau accosta. La porte de leur cible s’ouvrit et l’homme sortit.

Lorsque le capitaine fut en bas des escaliers, Thomas sortit rapidement de sa cachette et s’en saisit en lui cachant la bouche de sa main, l’empêchant ainsi d’émettre le moindre son. Il le traina jusqu’à l’entrepôt dans lequel Jessica était encore attachée. Paul, à la demande de Thomas, la libéra pour que le capitaine prenne sa place.

Jessica ne tenta pas de s’échapper, elle était bien gardée par Paul et elle savait qu’avec un bras en moins, elle ne serait pas de taille face aux deux espions. Le jeune élève de l’Aigle l’aida à placer son bras en écharpe dans un grand morceau de tissus qu’ils avaient trouvé dans l’un des établis. Thomas demanda à la voleuse :

– Et maintenant ?

– Un camion m’attend avec les œuvres. Ils les emmènent dans le local dont je vous ai parlé.

– Bien. Paul, tu vas m’aider, on va décharger les caisses. Jessica, il n’y a aucun risque si nous nous en chargeons ?

La voleuse réfléchit quelques secondes :

– Non, ils ne savent pas avec qui je travaille et je peux bien le faire avec qui je veux, même un gamin et son soi-disant grand frère qui ne lui ressemble pas.

Paul voulut contester mais Thomas le coupa :

– Parfait. Paul, viens.

Les deux espions descendirent les deux caisses sur le port. Le jour se faisait plus présent. Jessica, le bras en écharpe, descendit derrière eux et monta à l’avant du camion, conduit par un homme, japonais, d’une trentaine d’années.

Paul s’approcha de la fenêtre de la voleuse :

– Où pourra t’on se retrouver ?

Jessica éclata de rire et le camion démarra en trombe.

Paul comprit que la jeune fille les avait manipulés. Elle n’avait jamais souhaité les aider et avait profité d’eux. Il regarda Thomas :

– On fait comment ?

– Eh bien, on les suit.

– Comment ?

– Regarde, il y a une voiture là-bas.

Thomas s’élança vers elle, Paul à sa suite. L’ainé regarda autour de lui. D’un violent coup de coude, il détruisit la fenêtre côté conducteur et déverrouilla les portes. Les deux espions montèrent. Thomas cassa la partie qui était sous le volant et manipula des fils. La voiture démarra, Thomas accéléra.

La camionnette était déjà loin mais il n’y avait qu’une seule route pour quitter le port. En quelques minutes, malgré la vétusté de la voiture, les espions l’avaient dans leur ligne de mire. Paul demanda à Thomas :

– Tu m’apprendras ?

– A quoi faire ?

– Voler une voiture.

– Ça ne marche qu’avec les anciennes.

– Ce n’est pas grave, c’est intéressant.

– On verra ça plus tard. Pour le moment, garde bien un œil sur la camionnette.

– Tu crois qu’elle va voir un client ?

– Bien sûr que non, elle nous a raconté ce qu’elle voulait qu’on croie.

– Et le capitaine au fait ?

Thomas marqua un temps de réflexion :

– Merde ! Je l’avais oublié. Bon, appelle papa et préviens-le.

– Papa ?

– Dans ton téléphone, il est enregistré.

Paul rechercha dans les contacts du téléphone et trouva en effet un numéro, enregistré au nom de “papa”. Il téléphona.

Il y eut deux sonneries avant une réponse d’un homme :

– Oui allô ?

Paul hésita :

– Heu… Papa ?

– Ha Paul ! Comment vas-tu ? Le voyage avec ton frère se passe bien ?

Paul n’en crut pas ses oreilles. Il avait réellement l’impression de parler à son père. L’agent de l’Aigle savait parfaitement le mettre à l’aise et jouait son rôle à la perfection. Il s’agissait maintenant de jouer le jeu pour le jeune espion :

– Oui, tout va bien. On a décidé de quitter Londres, on est à Amsterdam.

– C’est super ça ! Ne faites pas de bêtises. Je sais que là-bas…

– Ne t’inquiètes pas. Par contre on a eu un petit souci avec le bateau qui nous a emmené.

La voix de l’agent se fit inquiète :

– Comment ça ? Ne me dis pas que vous avez voyagé sans billets. Je connais ton frère !

Paul ne sut absolument pas quoi répondre ni quel code utiliser pour annoncer qu’ils y avaient laissé le capitaine :

– Non, enfin… peut-être un peu. Attends, je te mets sur haut-parleur, Thomas va t’expliquer.

Paul détacha le Smartphone de son oreille et appuya sur le bouton correspondant à la fonction dont il avait besoin. Thomas reprit :

– Papa, c’est Thomas. Ne t’inquiète pas, tout va bien. On a juste oublié une valise dans le bateau. Tu pourrais t’en occuper ?

– Bien, je vois. Mais il faudrait que je sache quel bateau vous avez pris. C’était une compagnie anglaise ?

– Non, écoute, on n’a pas trop le temps, c’était un bateau privé, on a trouvé quelqu’un qui partait pour Amsterdam et Paul a pu négocier pour monter à bord. Il est à Borneo. Un petit, avec une grande cale et une cabine en hauteur. La valise est dans la cale supérieure.

– Bien, je m’en charge. On te garde la valise j’imagine ?

– Oui, il n’y a rien d’important dedans mais on ne sait jamais.

– Et vous savez où aller à Amsterdam ?

– Pour le moment non, mais on trouvera.

– Bien. Je vous embrasse. Tenez-moi au courant.

– Oui.

Paul raccrocha et demanda à Thomas :

– La valise c’est le capitaine ?

– Oui, et rien d’important dedans car je ne pense pas qu’il ait des informations particulièrement importantes à nous donner.

Paul réfléchit :

– Mais comment ils peuvent savoir que la valise désignait une personne ?

– Aucune idée, dans l’absolu, ils comprendront en allant la chercher.

Paul espéra que le capitaine n’attendrait pas trop longtemps avant d’être libéré. Il reprit en questionnant Thomas sur son appel :

– Et pourquoi Bornéo ?

– C’est le quai où nous étions. Tu n’as pas vu le panneau ?

Paul n’aimait pas passer à côté d’une information. Surtout, il n’aimait pas qu’une autre personne la voit. Il reconnut tout de même que non, il n’avait pas vu le nom du quai sur lequel ils avaient débarqué.

La camionnette avait quitté Amsterdam et s’était engagée sur l’autoroute. La filature dura une quarantaine de minutes, jusqu’à se terminer à l’aérodrome de Lelystad. Ils suivirent la cible dans de petites rues jusqu’à arriver devant une des grilles du petit aéroport. Les espions, à distance, virent la camionnette se garer à côté d’un grand jet. La soute était ouverte. Les voleurs avaient tout prévu pour être le plus rapide possible. Amsterdam n’était qu’un transit vers une autre destination sans doute plus lointaine.

Les espions virent le conducteur du véhicule descendre et, aidé d’un autre homme qui était sorti de l’avion, charger les caisses dans la soute. Les deux hommes jetèrent un regard aux alentours. Il était impossible pour eux de repérer les deux espions restés à bonne distance de leur cible, dans leur voiture.

Paul s’inquiéta :

– On fait comment maintenant ?

– Il faut savoir où ils emmènent nos caisses.

– Et comment on fait ?

– On fait en sorte de monter dans l’avion.

Paul fut interloqué :

– Comment ça ? On va se faire repérer !

– Ne t’inquiètes pas, je parlais de ton anneau.

Paul faisait confiance à Thomas mais il avait du mal à savoir comment ils allaient pouvoir approcher l’appareil sans éveiller les soupçons. Surtout, Jessica les connaissait et était, elle aussi, sur place.

Thomas et Paul entrèrent dans l’aérodrome. Ils s’approchèrent de l’accueil où une personne les accueillit en néerlandais. Thomas répondit en anglais :

– Bonjour, avez-vous le plan de vol de cet appareil ?

La jeune femme qui les avait accueillis s’assura qu’ils parlaient du même avion :

– Le jet qui est en train d’être chargé ?

– Exactement.

– C’est une information privée monsieur.

Paul espérait que personne de l’appareil n’allait revenir dans l’aérodrome. Ils se feraient repérer à coup sûr.

Thomas continua :

– Vous voyez le jeune homme avec moi, c’est mon frère, Paul. Il est très amoureux d’une jeune fille qui part avec son père à bord de cet avion. Ils n’ont pas eu le temps de se dire au revoir car le père n’apprécie pas trop mon frère. Tout ce qu’il veut, c’est savoir où cet avion va emmener la fille dont il est amoureux.

– Monsieur, je vous répète que c’est impossible. De plus, je n’ai pas le plan de vol.

– Bien, je comprends. Est-ce que je pourrais vous demander un service cependant ?

– Si je peux vous aider, je le ferai.

Thomas se tourna vers Paul :

– Donnes-moi ta bague.

Paul obéit. Thomas la donna à l’hôtesse :

– Serait-il possible que cet anneau soit placé dans l’avion, sans que personne ne soit au courant ?

– Comment pourrais-je faire ça, monsieur ?

– Il y a bien un service avant le décollage ?

– Oui, mais je me vois mal déposer l’anneau là-bas sans me faire voir. Je risquerai mon travail.

Le ton de Thomas se fit plus sec :

– Ecoutez, madame. Dans une dizaine de minutes, cet avion disparaitra et vous ne le reverrez sans doute jamais. A bord, il y a quelqu’un triste de partir. Trouver cet anneau ne lui fera que très plaisir. Allez-y et lancez l’anneau dans la soute ou n’importe où. Mon frère fera faire un jeu de piste à sa copine pour la retrouver plus tard.

L’hôtesse n’eut pas le temps de répondre. Un homme apparut dans le hall, il était habillé avec une tenue de pilote. Il s’adressa en anglais à l’hôtesse :

– Nous allons décoller, vous avez des toilettes ? Celles de l’avion ne sont pas très confortables.

L’hôtesse lui indiqua la pièce qu’il cherchait et se tourna vers Thomas :

– C’est le pilote de votre avion. Demandez-lui, je ne peux rien faire pour vous.

Thomas répondit, sèchement :

– Merci pour votre aide, vraiment.

Le pilote ressortit quelques minutes plus tard. Thomas s’approcha de lui et le croisa en se dirigeant à son tour vers les toilettes.

Avant de pousser la porte, l’espion fit demi-tour et regarda le pilote sortir du bâtiment pour rejoindre le tarmac. L’hôtesse fut étonnée :

– Mais, vous ne lui avez rien demandé ?

– Non, finalement tant pis. J’ai deviné où ils allaient.

– Comment ça ?

– Ça ne vous regarde pas. Vous préférez briser les couples vous.

Thomas s’adressa à Paul :

– Viens, partons, et ne t’en fais pas, je suis sûr que tu reverras ta copine très bientôt.

Paul acquiesça. Les espions sortirent. Quelques secondes après, ils entendirent une voix derrière eux :

– Messieurs ?

C’était l’hôtesse. Les espions se retournèrent :

– Oui ?

– Tokyo. Ils vont à Tokyo. Maintenant qu’ils décollent vous avez raison, je peux vous le dire. Et puis c’est pour la bonne cause. Bon courage jeune homme !

Thomas répondit en souriant :

– Merci !

Paul insista :

– Merci madame !

Paul vit l’hôtesse se retourner et se diriger à nouveau vers l’accueil, un sourire satisfait aux coins des lèvres.

Les deux espions retrouvèrent la voiture. Thomas sortit son téléphone. Il resta quelques minutes sans parler, les yeux rivés sur l’écran puis finit par dire :

– Il est onze heures, ça devrait aller.

Thomas démarra la voiture et accéléra. Ils sortirent de l’aérodrome.

Paul regarda Thomas, concentré sur sa conduite :

– On va où ?

– A l’aéroport.

– On prend un vol ?

– Sauf si tu vois d’autres choses à faire là-bas, je pense que c’est en effet ce qu’on fera.

– Et nos affaires ?

– On devra en acheter des nouvelles, on n’a pas le temps de repasser par Londres.

Paul resta pensif. Il se sentit fatigué mais il savait que ce n’était pas le moment de s’endormir. Ils étaient restés – sans compter son évanouissement – éveillés depuis la veille, à Londres. Dans quelques heures, ils seraient dans l’avion. Paul espérait profiter du vol pour se reposer.

La voiture se gara sur le parking de l’aéroport. Thomas et Paul sortirent et se rendirent à l’embarquement.

L’aîné sortit son téléphone, il avait réservé deux billets. L’agent d’accueil fut étonné de voir les deux jeunes sans aucun bagage, mais il ne chercha pas à en savoir plus. Les deux garçons présentèrent leurs passeports et purent accéder à l’embarquement. L’avion devait décoller un peu après quatorze heures trente.

Avant d’embarquer, Thomas s’éloigna pour passer un coup de téléphone et revint auprès de Paul au moment d’embarquer dans le Boeing 777.

Les deux espions avaient deux places sur le côté droit de l’appareil. La place libre à côté d’eux ne fut pas occupée.

Lorsque tous les passagers furent installés, on leur souhaita la bienvenue à bord, avec les habituelles recommandations de sécurité.

L’avion se plaça sur la piste et accéléra. Paul vit le sol s’éloigner petit à petit.

Lorsque l’avion fut à son altitude de croisière, Paul ferma les yeux et s’endormit. Le court passage à Amsterdam était déjà loin derrière eux.

Paul sursauta. Il regarda autour de lui, partout des cris de terreur. Les yeux des passagers trahissaient leur peur et leur désarroi. Paul sentait que rien ni personne ne pouvait rien faire. Il tourna les yeux, son hublot laissait apparaitre la fumée noire s’échappant du réacteur maintenant arrêté. Il crût voir une vis se détacher, puis deux. Le réacteur tomba. L’espion se demanda si l’engin n’allait pas s’écraser sur une habitation.

L’avion tournait maintenant sur lui-même, perdant de l’altitude à grande vitesse. Paul se tourna vers Thomas, assis, calme, impassible, comme à son habitude. Il regardait lui aussi l’habitacle sans aucune réaction. Paul comprit que c’était parce que l’espion ne pouvait rien faire. Cette fois, tous étaient inutiles.

A l’avant, une hôtesse se tenait debout, elle avait l’air parfaitement calme elle aussi, comme si cette situation était pour elle une routine. Un homme, tout aussi calme, s’adressait à elle. Paul voulut se lever mais Thomas lui barra la route. Tant pis.

Paul regarda par le hublot, les flammes étaient de plus en plus grandes. Le sol se rapprochait de plus en plus vite. Cette fois c’était terminé. Paul se retourna vers Thomas. Lui aussi allait mourir. Paul laissa une larme couler. Il voulut crier, hurler mais il en était incapable.

Thomas ouvrit la bouche et dit d’une voix étonnamment douce :

– Paul…

– Oui ?

Il ne termina pas sa phrase. Paul décela dans son regard de la compassion.

L’hôtesse, toujours calme, s’approchait d’eux. Son visage était plus net, elle ressemblait à Maude, la mère de Paul. Elle s’accrocha au siège devant les espions et dit d’une voix aussi calme que celle de Thomas :

– Monsieur ?

Paul en était persuadé. C’était sa mère :

– Maman ?

Paul se tourna vers Thomas. Mais ce n’était plus lui assis à sa place, Paul reconnut Frank, son père :

– Papa ?

L’avion arrivait sur le sol à une vitesse qui ne laissait aucun espoir aux passagers. Cette fois, la voix de Thomas fut plus forte :

– Paul !

Paul sursauta. Il regarda autour de lui. Il vit Thomas, à ses côtés, le regarder avec son sourire habituel. Une hôtesse se trouvait dans la rangée, le regard posé sur le jeune espion :

– Monsieur, tout va bien ?

Paul regarda autour de lui, l’avion était calme, la plupart des passagers dormaient. Paul répondit :

– Oui, oui tout va bien.

L’hôtesse lui souriait :

– Vous souhaitez de la viande pour votre repas ?

– Oui, s’il vous plait.

L’employée de la compagnie sortit un plateau et le posa devant lui. Thomas avait pris la même chose.

Lorsque l’hôtesse s’éloigna, Thomas se tourna vers Paul :

– Tout va bien ?

Paul s’étonna :

– Oui, pourquoi ?

– Tu as dû faire un cauchemar, tu n’arrêtais pas de t’agiter.

– Ha, oui en effet.

– Et tu as tourné la tête et appelé l’hôtesse “maman” lorsqu’elle a essayé de te réveiller.

Paul se sentit honteux :

– C’est vrai ?

Il dut rougir car Thomas précisa :

– Ça arrive à tout le monde… Ce n’est pas grave.

L’ainé précisa ensuite :

– Ho et tu m’as appelé papa aussi il me semble.

Cette fois, Paul sentit ses joues se réchauffer. Thomas, lui, s’amusa de la situation :

– Allez, ce n’est pas grave, l’important c’est que nous ayons à manger. Tu as dormi six heures. On a encore cinq heures de vol devant nous.

– Désolé de t’avoir appelé papa.

– Oublie ça, ça m’a amusé et puis tu dormais.

Paul finit par retrouver son sourire, ce que Thomas ne manqua pas de remarquer :

– Enfin un sourire, ça te va mieux.

– Tu trouves ? J’aime pas mon sourire, on dirait un gamin.

– Je trouve qu’il te va bien moi.

Paul ne répondit pas et déballa son repas. Ce n’était pas très bon mais cela avait le mérite de calmer la faim.

L’avion se posa en douceur sur le tarmac de l’aéroport international de Narita, au Japon.

Paul avait pu dormir deux heures de plus, et, malgré le décalage horaire, il était en forme pour cette nouvelle journée qui commençait. C’était la première fois qu’il posait le pied au Japon, un pays qu’il avait toujours voulu visiter. Il n’aurait jamais pu imaginer que ce soit dans de telles conditions.

Il suivit Thomas en dehors de l’aéroport. La douane n’avait été qu’une formalité malgré quelques questions des autorités locales qui avaient trouvé étrange le voyage des deux demi-frères sans bagages.

Ils se postèrent devant l’entrée de l’aéroport. Paul allait demander ce qu’ils attendaient lorsqu’une voiture s’arrêta devant eux. La porte côté conducteur s’ouvrit et Paul en vit descendre un homme, japonais, fin, jeune, les cheveux noirs, raides et courts qui marquaient la forme carrée de son visage. L’inconnu ouvrit les bras vers Thomas en l’accueillant dans un parfait français :

– Mon ami Thomas ! Comment vas-tu ?

Les deux hommes qui semblaient se connaitre se prirent dans les bras quelques secondes et Thomas, en s’écartant comme pour mieux le regarder, lui répondit :

– Parfaitement bien. Quel plaisir de te revoir !

L’inconnu se tourna vers le jeune espion :

– Et toi, tu es Paul ! Je suis Kanehiko. Quel plaisir de te rencontrer ! Comment vas-tu ? Sois le bienvenu au Japon !

Paul répondit timidement :

– Bonjour Kanehiko. Merci, je vais bien.

– Allez, montez !

Les deux espions montèrent dans la Lexus grise de Kanehiko. Comme toutes les voitures japonaises, elle avait le volant à droite.

Une fois en route, Paul demanda :

– Alors vous vous connaissez ?

Kanehiko répondit :

– Oui, Thomas m’a accueilli lorsque je suis venu en France pour un travail. C’est comme cela qu’on s’est connu, il y a trois ans.

– Un travail ?

– Oui, comme ce que vous faites en ce moment, vous travaillez, je vous accueille.

Thomas interrompit la discussion :

– Excuses-moi Kanehiko, as-tu pu te renseigner sur mon problème ?

– Oui, ils sont arrivés un peu plus tôt, nous les avons vu décharger et mettre les caisses dans un Toyota Tundra marron.

– Tu es sûr que ce sont eux ?

– Parfaitement, la petite avec le bras cassé était là elle-aussi.

– Et on pourra les retrouver ?

– Oui, c’est le mieux. Votre histoire à un lien avec une affaire que je suis depuis quelques mois. On surveille un certain Sadao. Il revend des œuvres d’art au marché noir, des œuvres qui viennent d’Europe. Il finance ainsi une branche des Yakuza.

– Ça ressemble à ce que nous a dit Jessica en effet, elle ne nous a peut-être pas menti sur toute la ligne.

– Sadao est étonnant. Il n’a rien d’un mafieux local. Il vit la grande vie, il est un peu plus doué que les autres aussi. On pense qu’il veut s’implanter en Europe.

– Tu sais où le trouver ?

– Bien sûr, mais nous verrons cela plus tard, ne t’inquiètes pas. Après ce long voyage, vous devez avoir besoin de vous reposer et penser à autre chose, au moins quelques heures.

Thomas sembla reconnaitre que, même lui, après ce périple, avait besoin d’un moment de repos afin de poursuivre au mieux sa mission :

– Tu as raison. D’ailleurs, j’ai un autre service à te demander. Nous avons laissé nos valises à Londres. Tu pourrais faire un détour par un magasin de vêtements afin que l’on puisse se changer pendant notre séjour ?

– Evidemment !

La voiture se gara après quelques minutes de route sur le parking d’un immense centre commercial. Les trois espions descendirent et passèrent une grosse demi-heure dans les magasins afin que les deux français puissent refaire leur garde-robe et prendre de nouvelles affaires de toilette. Ils remontèrent ensuite en voiture pour prendre la direction de leur nouveau logement.

A peine eurent-ils embarqué que Kanehiko demanda :

– Paul, tu es le frère de Thomas ?

Le jeune espion répondit, naturellement :

– Demi-frère, sa mère est décédée.

Le japonais répondit d’une voix neutre :

– Ha très bien, ça explique les cheveux.

Kanehiko regarda Paul par le rétroviseur intérieur et continua malicieusement :

– Il n’est pas trop dur comme demi-frère ?

Le benjamin fit mine de réfléchir :

– Non, mais il est parfois un peu difficile à suivre.

Kanehiko s’amusa de cette réponse :

– Tu es gentil parce qu’il est là, je le sais bien.

L’humour du japonais amusa le jeune espion. Ce moment, détendu et qui dénotait des dernières heures qu’il avait vécues, fit un grand bien à Paul. Il regarda sa main. Sa brûlure était toujours bien visible et il se demanda si cela disparaitrait un jour. Son mal de tête semblait, lui, avoir complétement disparu.

En quelques minutes, ils arrivèrent à destination, chez Kanehiko, qui vivait dans un appartement au premier étage d’un petit immeuble.

     Le logement n’était pas très grand mais suffisait amplement pour les trois espions. Paul fit la visite rapidement et trouva une petite cuisine équipée donnant sur une pièce dans laquelle il n’y avait qu’une table pour le repas, un canapé et une grande télévision. Une porte donnait sur un couloir desservant deux chambres et une salle de bains avec toilettes. Kanehiko précisa :

– Paul prendra la chambre d’amis, Thomas je te laisse la mienne et je dormirai dans le salon.

Thomas protesta :

– Non, tu n’as pas de raison de changer tes habitudes pour moi. Je dormirais sur le canapé.

– Certainement pas ! J’aurais honte si je ne savais pas te recevoir dignement. En plus je pourrais me coucher tard.

– J’insiste, Kanehiko, vraiment…

Le japonais le coupa :

– Thomas, j’ai tout prévu pour vous. Tu ne dormiras pas une seconde dans ce salon.

L’espion français n’insista pas plus devant la ténacité de son hôte.

Ils s’assirent tous autour de la table. Il était déjà presque l’heure de déjeuner. Kanehiko apporta sur la table trois verres et une bouteille de Whisky. Il s’adressa à Thomas :

– Tu m’avais dit que tu aimais ce whisky, j’en ai trouvé dès que je t’ai eu au téléphone !

– Il ne fallait pas, j’aurais pu vivre sans tu sais ?

– Ha non, ça me fait tellement plaisir de te voir !

Kanehiko servit trois verres. Paul ne voulait pas être impoli mais hésitait à boire ce verre devant celui qui était toujours son responsable des études. D’un autre côté, avec ce qu’il avait vécu, il n’était plus à cet écart près. A côté du kidnapping, cela lui parut soudain d’une importance beaucoup plus relative. 

Thomas, Paul et Kanehiko trinquèrent. L’espion japonais leur souhaita avec un grand sourire :

– Bienvenue à Nerima !

Paul répondit :

– Merci pour votre accueil, Kanehiko.

Ils prirent le temps de discuter de divers sujets. Kanehiko et Thomas semblaient ravis de se retrouver, comme deux vieux amis qui auraient passé de nombreuses années loin l’un de l’autre. Á aucun moment ils n’évoquèrent la mission des espions français. En ce lundi, les deux français prenaient le temps de se couper de leurs obligations.

Kanehiko servit ensuite des nouilles avec une soupe. Paul trouva cela très bon et mangea avec appétit.

L’après-midi, les espions restèrent chez Kanehiko afin de se reposer. Thomas demanda à son ami :

– Pourras-tu nous accompagner demain chez Sadao ?

– Oui, il est assez loin, à Fujioka, mais nous pouvons partir vers dix heures du matin.

– C’est parfait, nous aurons le temps de passer une bonne nuit de sommeil. J’en ai bien besoin.

Paul acquiesça. Malgré les huit heures pendant lesquelles il avait dormi dans l’avion, les derniers jours l’avaient épuisé.

Le jeune espion regarda distraitement une série sur la grande télévision de Kanehiko. C’était l’histoire de collégiens qui tentaient de tuer leur professeur, un monstre jaune avec des tentacules.

Le soir, ils dinèrent et se couchèrent tôt. Paul eût à peine le temps de poser la tête sur l’oreiller qu’il s’endormit.

Le jeune espion se réveilla sans l’aide de son réveil. Il avait la sensation d’avoir bien dormi et d’être reposé. Il regarda l’heure, il était huit heures du matin, il avait dormi presque onze heures.

Il se leva, s’habilla et retrouva Thomas et Kanehiko autour de la table de la salle à manger. Dès qu’il le vit, Kanehiko lui servit un thé :

– Tu as bien dormi Paul ?

– Très bien, je suis en pleine forme.

– Tant mieux, la journée sera chargée. Nous partons à dix heures pour Fujioka. Nous avons deux heures de route pour arriver là-bas. C’est là où Sadao vit et je pense que nous aurons rapidement des nouvelles de votre voleuse anglaise.

– Bien, c’est parfait.

Paul but une gorgée de thé. C’était un thé vert. Paul le trouva particulièrement bon.

Une fois le petit déjeuner terminé, Paul termina de se préparer. A neuf heures, il était de retour dans le salon.

Il s’assit sur le canapé. Kanehiko et Thomas étaient devant la table, l’un lisait le journal, l’autre regardait son Smartphone et consultait les informations françaises. Ils avaient vraisemblablement la même nouvelle. C’est Kanehiko qui en parla en premier :

– Tu as vu Thomas, un grand patron français s’est fait arrêter ce matin ici, au Japon.

– Oui, je lisais ça aussi. Tu étais au courant ?

– Non, ce n’est pas mon service. Que se passe-t-il d’autre en France ?

– Des mouvements sociaux, la situation aux Etats-Unis qui inquiète, rien de bien exceptionnel.

– La France me manque, quel beau pays.

– Oui, il parait. Mais vous êtes très bien au Japon, votre culture est formidable.

– On ne s’en rend pas compte quand on y est.

Les deux plus âgés se turent. Paul, lui, garda les yeux dans le vague. Il pensa à ses amis, en France, ils devaient se dire que Paul mettait du temps pour un enterrement d’une grand-tante qu’il ne connaissait qu’à peine. Il chassa cette pensée de son esprit, ce n’était pas le moment de se distraire.

L’heure arriva. Les trois garçons montèrent dans la voiture de Kanehiko.

Le voyage était long mais les discussions allaient bon train, sur des sujets aussi variés que la météo, les différences culturelles, les habitudes alimentaires ou les nouveau Smartphones.

Ils arrivèrent un peu après midi à Fujioka. Kanehiko s’était garé à quelques mètres d’un petit chemin menant à une immense villa, celle de Sadao. Les français suivirent Kanehiko et contournèrent discrètement la demeure afin d’avancer dans une petite forêt pour se poster sur une petite colline. Là, bien cachés, ils pouvaient voir sans être vus.

La villa était magnifique et son propriétaire ne devait manquer de rien. Il y avait à l’arrière une grande piscine, un jardin fleuri et une petite collection de voitures de luxe.

Devant l’entrée principale, on devinait deux grandes statues dans un style antique.

La maison était occupée. On pouvait parfois apercevoir les formes des habitants qui passaient devant les fenêtres. Par certaines d’entre elles, on entrevoyait aussi le style de décoration de la maison, chargé mais visiblement emplie de belles œuvres, à en croire les cadres accrochés aux murs.

Paul observa avec attention la façade malgré la distance. Il savait que s’introduire dans la villa ne serait pas une chose facile. S’il n’y avait pas de garde en vue, la vie était bien présente et il semblait y avoir beaucoup de monde. De plus, le jeune espion était persuadé que la villa était surveillée, a-minima par vidéosurveillance.

Soudain, Kanehiko intervint :

– Regardez, devant la maison, c’est le pick-up qui était à l’aéroport.

Paul regarda le véhicule qui se garait. Un homme en sortit, un japonais, vêtu d’un jogging bleu et noir. Il ouvrit la porte arrière du pick-up et en sortit un carton.

Ce n’était malheureusement pas la livraison attendue par les espions.

Une femme sortit de la maison. Elle prit le carton des mains de l’homme et se tourna pour rentrer dans la villa.

L’homme qui venait de la livrer retourna à son véhicule et démarra.

Thomas s’adressa à Kanehiko :

– Tu penses que les tableaux sont déjà arrivés ?

– Oui, c’est bien possible. Elle a dû les livrer hier sans attendre.

– Il faudrait qu’on soit sûrs de nous pour pouvoir intervenir.

– Quels sont vos ordres ?

– Tout connaître et les arrêter.

– Ce ne serait pas plutôt aux services japonais d’intervenir ?

Thomas grimaça :

– Tu sais bien que les premiers arrivés sont les premiers servis. On suit les tableaux depuis Londres et on connait une bonne partie de leurs processus de vol et revente.

Kanehiko n’insista pas :

– Tu as raison, vous semblez bien plus avancés que nous. Si vous avez besoin de nous nous vous aiderons.

– Si nous les arrêtons sur le sol japonais, tu te doutes bien que se sont vos services qui seront officiellement reconnus pour être intervenus. Nous ne faisons qu’aider. Le principal est de mettre un terme à leurs ventes.

Kanehiko ne répondit pas mais pointa du doigt la demeure :

– Tiens, une voiture qui sort de la villa.

– On va la suivre.

Paul demanda :

– Pourquoi ?

Thomas lui répondit :

– Un pressentiment, et on n’a pas grand-chose d’autre à faire ici.

Les trois espions remontèrent en voiture. Ils ne roulèrent pas longtemps avant que leur cible ne s’arrête devant un petit commerce. Une femme sortit de la voiture et entra dans l’épicerie avant de ressortir, une dizaine de minutes plus tard, avec deux sacs de course.

Cette fois, elle allait un peu plus loin. La voiture monta une côte jusqu’à un grand parc qui entourait un hôpital. Elle s’arrêta sur un parking désert.

Depuis une place de stationnement en contrebas, les espions la surveillèrent.

Plusieurs voitures la dépassèrent. Après quelques minutes, les espions observèrent un véhicule ralentir et se stationner à côté de l’inconnue qu’ils suivaient. La portière côté passager s’ouvrit et une jeune fille en sortit. Les espions reconnurent Jessica grâce à sa silhouette svelte, ses cheveux longs et son bras maintenant dans un plâtre.

Les deux femmes discutèrent un moment. Impossible pour les espions de deviner ce qu’elles s’échangeaient mais ils étaient persuadés que les tableaux volés devaient en être le sujet principal.

Paul s’impatienta :

– On y va ?

Thomas, sans se retourner, répondit :

– Non, pour l’instant on n’a rien et notre but n’est pas encore de l’arrêter.

Soudain, une petite camionnette blanche passa à côté des espions et se gara sur le parking. Deux hommes en descendirent tandis que les deux femmes s’approchaient d’eux. Ils ouvrirent la porte arrière du véhicule.

Jessica sortit un premier tableau que l’inconnue regarda avec un grand sourire.

Kanehiko précisa :

– Et voilà les tableaux. La femme qui vient de la villa, elle doit être en charge des achats pour Sadao.

Les œuvres reprirent place dans la camionnette et tous regagnèrent leurs voitures respectives. Ils repartirent, les espions à leur suite.

Le cortège ne se désolidarisa pas jusqu’à la villa où ils se stationnèrent. Kanehiko stoppa la voiture au même endroit que lors de leur première arrivée, un peu plus tôt dans la journée.

Les espions s’apprêtaient à descendre de voiture pour retrouver leur poste d’observation lorsqu’une berline s’arrêta à leur hauteur. Deux personnes en descendirent et vinrent se placer devant les portières avant des espions. Kanehiko descendit sa vitre et une discussion en japonais s’engagea. Elle semblait musclée. Paul pouvait voir que l’homme arrêté devant la portière de Thomas portait une arme à la ceinture.

Soudain, Kanehiko retira les mains du volant et les mis en l’air. Il s’adressa aux espions en français :

– Ils veulent que l’on sorte, les mains en l’air.

Thomas répondit :

– Kanehiko, tu es prêt ?

– Oui.

Paul vit d’un coup les deux portières avant s’ouvrir. Les deux hommes armés, surpris, se plièrent sous le coup et celui qui tenait Kanehiko en joue lâcha son arme. Paul sortit et se précipita vers elle pour la ramasser. Il la pointa vers celui qui était à côté de Thomas et qui commençait à se relever. Devant l’adolescent qui le tenait au respect, il leva les bras.

Thomas se baissa et le désarma. Paul retourna auprès de Kanehiko pour lui donner l’arme mais le japonais était maintenant prisonnier de l’agresseur qui le tenait fermement, une nouvelle arme pointée sur lui. Personne ne bougea. Kanehiko leur dit enfin :

– Partez, je vais me débrouiller.

Paul recula d’un pas et l’agresseur retira son arme de la tête de Kanehiko. Il la pointa vers Paul. Thomas tenait le second agresseur dans son viseur qui ne pouvait pas agir.

Soudain, l’agresseur de Kanehiko se plia en deux. Kanehiko avait réussi à le surprendre. Thomas ordonna dans la confusion :

– Paul, cours.

Le jeune espion suivit son coéquipier dans la forêt toute proche.

Kanehiko avait réussi à se sortir de son étreinte et prendre l’arme de son agresseur. Il courrait maintenant à la suite des espions français.

Un coup de feu partit. Paul se retourna en continuant sa course. Kanehiko était à terre, son arme vers l’avant. Un agresseur avait réussi à le plaquer.

Thomas indiqua :

– Paul, ne t’arrête pas.

Les deux espions coururent quelques minutes et s’arrêtèrent dans un endroit où ils pouvaient se cacher.

Paul demanda :

– Tu crois qu’on les a semés ?

– Je pense, mais ça ne durera pas.

Des pas se rapprochaient déjà de leur cachette de fortune. Thomas reprit :

– Cache toi derrière un arbre.

Paul entendit les pas plus proches encore. Ce devait être le deuxième agresseur. L’espion trouva refuge derrière un tronc plus large que lui. De cette cachette il put voir Thomas se faufiler discrètement à travers les arbres. Paul le suivit du regard. Thomas passa derrière l’homme, maintenant parfaitement visible pour lui depuis sa cachette. L’espion avait sorti son stylo. Soudain, l’inconnu se retourna face à Thomas qui tira. La flèche se logea dans le plexus de son agresseur qui tenta de lever son arme. Il ne parvint pas à l’amener en position de tir et s’écroula sur le sol.

Paul sortit de sa cachette. Thomas indiqua :

– On va aller chercher Kanehiko et les tableaux. On touche au but, je vais envoyer un SMS à papa.

Thomas sortit son téléphone et écrivit un message en quelques secondes.

Kanehiko n’était plus aux côtés de la voiture. Il avait été capturé et la berline avait disparue.

Paul et Thomas regardèrent le bâtiment. Ils n’étaient plus en sécurité, l’ensemble de la maison avait dû être alerté de leur présence, ce qui ne leur facilitait pas la tâche. De plus, d’autres gardes devaient commencer à patrouiller dans les environs.

Ils s’arrêtèrent sur leur poste d’observation qui leur garantissait une certaine discrétion tant que personne ne s’approchait d’eux.

Les voitures devant la maison étaient toujours là. A l’intérieur de la demeure, du personnel semblait s’affairer.

Thomas demanda à Paul de lui donner l’arme qu’il tenait toujours à la main. Paul s’exécuta et Thomas sortit le chargeur. Il le remit ensuite dans le pistolet et le tint à Paul :

– Il te reste cinq balles, j’en ai six. On va entrer par le côté de la maison. La villa est protégée par des grilles sauf à un endroit difficilement accessible mais c’est le seul moyen.

Le jeune espion regarda l’arme dans sa main. L’aîné le remarqua :

– Tu sais t’en servir ?

Paul hésita :

– Il faut appuyer sur la gâchette j’imagine ?

– Ça s’appelle une queue de détente. Globalement c’est ça. Pour le moment, pousse la sécurité sur le côté de ton arme. Tu la retireras si c’est nécessaire. Si tu es amené à tirer… Vise les jambes, je préférerai que tu ne tues personne aujourd’hui.

– D’accord, je vais essayer.

– Si tu ne t’en sens pas capable… Je ne t’en voudrais pas.

L’adolescent hocha la tête.

Il regarda la protection de la maison. Il y avait un espace sans aucune grille, le propriétaire n’avait pas jugé utile de la terminer du côté de la forêt ou l’installation n’avait pas encore été finalisée. Une haie protégeait cependant cet accès. Thomas continua :

– Bien, il faudra passer par l’une des fenêtres et être très prudents pour ne croiser personne à l’intérieur. Il n’est pas question d’effusion de sang. Notre but est de savoir où sont les tableaux et ce qu’ils souhaitent en faire. Rien de plus.

Paul acquiesça. Les deux garçons descendirent de leur colline et se dirigèrent vers la propriété, prenant soin d’être les plus silencieux possible.

Les deux espions n’eurent aucun mal à traverser la haie qui protégeait la villa. A quelques mètres de leur objectif, les espions virent deux gardes qui patrouillaient. Paul et Thomas s’allongèrent sur le sol, derrière un grand rosier, de sorte à ne pas être vus. Les deux gardes s’éloignèrent et tournèrent au coin de la maison.

Cette fois, Thomas accéléra le pas pour entrer dans la villa, suivi de près par Paul qui se sentait peu rassuré.

Aucune fenêtre n’était ouverte et les espions savaient qu’ils n’avaient que peu de temps. Des gardes pouvaient arriver à tout moment.

Thomas se tourna vers Paul :

– Tu as une idée ?

Le jeune espion regarda la façade, ravi de la preuve de confiance que l’aîné lui portait. Il pointa du doigt le deuxième étage :

– Par-là ?

Une fenêtre semblait être légèrement entr’ouverte. Si elle n’était pas bloquée, les espions pourraient y entrer facilement. Thomas répondit :

– Tu es bon grimpeur ?

– Ça peut aller.

– Alors on y va.

En prenant appui sur les aspérités du mur, les deux espions montèrent jusqu’au deuxième étage. L’exercice était périlleux. Accrochés au mur, ils étaient à découvert et si une personne venait à regarder dans leur direction, ils seraient à coup sûr repérés. Ils misèrent sur le fait qu’il n’y avait que peu de passage de ce côté de la maison.

Il leur fallut une trentaine de seconde pour atteindre la fenêtre que Thomas poussa doucement. Elle s’ouvrit sans résistance, un coup de chance pour les espions. Thomas regarda à l’intérieur. De toutes manières, ils n’avaient plus le choix. Il alluma sa montre et entra, suivi de Paul.

Ils étaient dans un bureau au sol recouvert d’une moquette rouge. Un papier peint beige cachait le mur.

Il n’y avait dans la pièce qu’un bureau avec un fauteuil et, derrière ce fauteuil, un petit meuble dans lequel étaient rangés des dossiers. Thomas s’approcha de la porte de la pièce et appuya doucement sur la poignée. Elle s’abaissa sans un bruit.

Les deux espions regardèrent à l’extérieur de la pièce, c’était un couloir qui se prolongeait jusqu’à une rambarde métallique. L’étage était silencieux, il ne devait y avoir personne pour le moment. Thomas se tourna vers Paul :

– Regarde bien ta montre pour les caméras, on va y aller.

Les deux espions prirent toutes les précautions possibles pour ne faire aucun bruit et se dirigèrent vers la rambarde en évitant une caméra sur l’un des côtés du mur.

Ils arrivèrent face à un grand escalier en bois qui descendait vers le premier étage. Les deux espions tendirent l’oreille. Ils pouvaient entendre des voix qui émanaient de l’étage inférieur. Ils ne pouvaient pas comprendre ce qu’il se disait mais, à l’intonation, ils comprirent qu’une des deux personnes disputait la seconde. Les voix s’éloignèrent.

Thomas descendit quelques marches. De nouveau, tout était silencieux. De l’extérieur, ils avaient vu de nombreux mouvements mais, maintenant, ils semblaient presque seuls dans la demeure.

Ils descendirent l’étage et arrivèrent dans un nouveau couloir, décoré avec goût. De belles toiles longeaient les murs, sans doute des tableaux volés, eux-aussi.

Soudain, face à eux, une porte s’ouvrit. Paul et Thomas firent volte-face pour se précipiter dans l’escalier mais il était trop tard. A peine eurent-ils fait demi-tour qu’une voix grave retentit derrière eux et tonna en japonais. Les espions entendirent du bruit au deuxième étage, une personne était sortie d’une pièce et se dirigeait vers les escaliers. Il descendit sans que Paul et Thomas ne puissent bouger. Ils étaient encerclés. Leur couverture ne tenait plus et, même s’ils arrivaient à battre les deux hommes, la villa entière avait dû entendre l’alerte.

Paul demanda à Thomas :

– Qu’est-ce qu’on fait ?

– Rien.

Les deux espions se laissèrent faire.

Ils furent désarmés et maitrisés, puis conduits dans les escaliers jusqu’au rez-de-chaussée. Ils traversèrent un petit couloir et arrivèrent dans une nouvelle pièce. Kanehiko était assis, en compagnie d’un homme d’une soixantaine d’années, petit et bedonnant, ainsi que de Jessica.

Dans cette pièce, il y avait de nombreux tableaux et statuettes.

Paul et Thomas, toujours fermement tenus par leurs gardes, ne pouvaient pas bouger. L’un des deux gardes parlait avec l’homme le plus âgé qui conclut une phrase par un rire bruyant et gras.

Les deux espions furent ensuite conduits à l’extérieur de la maison. Ils traversèrent le jardin et arrivèrent face à une trappe métallique à même le sol. L’un des japonais l’ouvrit, les deux français descendirent un petit escalier en bois menant à ce qui ressemblait à une cave. Des graviers jonchaient le sol et une forte odeur d’humidité emplit les narines de Paul.

La pièce était petite, dénuée d’éclairage et de quelconque objet.

Paul et Thomas furent relâchés et les gardes ressortirent, prenant soin de fermer la trappe derrière eux.

Les deux espions étaient plongés dans l’obscurité la plus totale.

Paul vit une lumière verte se pointer vers le sol. Thomas avait allumé le laser de sa montre.

Le laser était assez puissant pour éclairer faiblement une petite partie de la pièce. Les murs étaient en pierre et la pièce était déserte. Ils n’avaient aucun moyen de sortir.

Paul se référa à Thomas :

– Tu as une idée ?

– On attend.

Thomas était comme à son habitude parfaitement calme, ce qui rassura Paul qui avait senti son stress monter depuis le début de leur captivité. 

Ils attendirent un long moment sans pouvoir agir. Thomas s’était assis à même le sol tandis que Paul, debout, faisait les cent pas. Thomas le suivait des yeux :

– Tu devrais arrêter, on dirait un lion en cage.

Paul se tourna vers son coéquipier :

– Ça fait combien de temps qu’on est là ?

Thomas regarda sa montre :

–  Près d’une heure.

– Ils vont nous laisser crever là ?

– Non.

Paul eut l’air soucieux :

– Comment tu peux en être si sûr ?

– Pourquoi ils feraient ça ? S’ils avaient voulu nous tuer, ils l’auraient déjà fait. Ils en ont eu l’occasion dans la maison.

Paul ne protesta pas :

– Peut-être…

Il s’assis face à Thomas :

– Tu crois qu’ils vont bientôt venir ?

– J’espère, ça commence à être long.

– Et tu as une idée pour nous sortir de là ?

– Non, le mieux est de se laisser faire. Si je vois un moyen de nous libérer, je te ferai signe.

Soudain, la trappe s’ouvrit et la lumière pénétra dans la cave. Quatre gardes descendirent. Les deux premiers se saisirent violemment des deux espions. Le troisième détacha du poignet de Thomas la montre qui éclairait la pièce et prit cette de Paul. Il les lança au sol, les faisant voler en éclat.

Les deux espions furent conduits à travers le jardin jusqu’à la maison. Ils montèrent au premier étage et entrèrent dans un grand bureau.

Le petit homme était assis devant eux, de l’autre côté du bureau, devant une grande baie vitrée qui éclairait la pièce et ses meubles en bois sombre. L’homme montra deux chaises face à lui sur lesquelles les espions furent placés.

L’homme commença en parlant japonais. Ni Paul ni Thomas ne comprenait ce qu’il disait.

Paul sentit la main d’un garde lui claquer l’arrière de la tête pour lui indiquer de répondre. Le jeune espion répondit en anglais qu’il ne parlait pas le japonais. L’inconnu éclata de son rire bruyant et lança un ordre à l’un des gardes qui sortit de la pièce en pressant le pas.

Le bureau resta silencieux.

Quelques minutes plus tard, le garde revint. Il tenait fermement Kanehiko par le bras. L’homme derrière son bureau lui parla en japonais et Kanehiko traduisit :

– Sadao dit que l’on n’a rien à faire chez lui et qu’il n’aime pas les curieux.

Thomas répondit :

– Dis-lui qu’on visitait.

A nouveau, Sadao se mit à rire de son rire gras, insupportable aux oreilles de Paul. Les gardes, eux aussi, imitèrent leur patron de manière plus discrète.

Sadao se figea soudain. Son rire se stoppa net. Paul se retourna. Kanehiko se tenait droit, une arme pointée vers l’avant. Les deux gardes qui l’entouraient étaient maintenant à terre.

L’espion nippon parla en japonais avec Sadao. Kanehiko traduisit aux français :

– Il dit que les tableaux ont été achetés légalement et que c’est un homme honorable. Il n’a rien à se reprocher. Je lui ai demandé pourquoi il avait des gardes à son service et il m’a répondu que c’était pour se défendre des voleurs du quartier.

Thomas répondit :

– En gros, il se fout de nous.

– Voilà.

Soudain, la porte du bureau s’ouvrit avec fracas. Les espions se retournèrent. Un garde était venu à la rescousse de son patron. Deux coups de feu partirent et une vitre vola en éclat. Paul sortit son stylo et prit à peine le temps de viser avant de tirer. Le garde tomba lourdement sur le sol.

Paul regarda Kanehiko. Il était au sol. Une tâche rouge commençait à se former sur ses vêtements.

Thomas s’élança, prit le pistolet de l’espion japonais et se tourna vers Sadao. Paul, lui aussi, se tourna vers le japonais. Il n’était plus sur son siège. Il avait fui par la fenêtre ouverte, sautant du premier étage. Malgré son surpoids évident, il était encore athlétique.

Les deux espions contournèrent le bureau et cherchèrent Sadao des yeux. Il était déjà trop tard, il montait dans une voiture qui démarra en trombes.

Thomas se retourna vers Kanehiko et s’accroupit à ses côtés :

– Ça va aller.

– Oui, je sais. Ne vous inquiétez pas et allez retrouver Sadao.

Des bruits de pas arrivaient. Kanehiko leur ordonna :

– Partez, je m’occupe d’eux !

Thomas redonna l’arme à l’espion japonais. Il voulut s’assurer qu’il était sûr de lui :

– Kanehiko…

Il fut coupé :

– Allez-y !

Thomas regarda Paul et s’élança derrière le bureau. Le jeune espion l’imita. Ils sautèrent par la fenêtre, prenant soin de rouler en atterrissant pour se protéger d’une éventuelle blessure.

Des coups de feu retentirent derrière eux. Paul ne put s’empêcher de penser à Kanehiko. Il espérait qu’il s’en sortirait, bien que son sort soit des plus incertain.

Les deux espions coururent aux voitures de collection. Un garde, surprit de voir les deux espions lui arriver dessus, tenta de sortir son arme. Il n’en eut pas le temps, Thomas le percuta, épaule en avant. Le coup de feu partit dans un réflexe du garde qui tomba en arrière. Sa tête frappa avec violence le coffre d’une des voitures de Sadao. Il ne se releva pas.

Thomas sauta dans l’une des voitures de collection décapotable du riche japonais. Paul reconnut le modèle, une Jaguar Type E. Il monta aux côtés de son coéquipier. En quelques secondes, Thomas put démarrer et la voiture dérapa sur les graviers en s’élançant.

Les espions sortirent de la villa. Des voitures de police arrivaient, toutes sirènes hurlantes.

Thomas roulait vite sur les petites routes. Il semblait habitué à cette conduite sportive.

En quelques minutes, ils avaient rattrapé leur retard et Sadao était en vue. Thomas prenait des risques pour gagner encore du terrain sur le fuyard. Après une courte course poursuite, il arriva à sa hauteur. Il accéléra encore, faisant cracher à la Jaguar tout ce qu’elle avait sous le capot. Il percuta le pare-chocs arrière de la voiture du mafieux.

Soudain, un canon sortit par la vitre de la voiture de tête. Sadao visa tant bien que mal et tira. Le rétroviseur de Thomas explosa. Paul vit la voiture de Sadao perdre de l’adhérence. Il ne devait pas être habitué à ce genre d’exercice et, lorsqu’il avait tiré, le japonais n’avait pas pu contrôler son véhicule. Il sortit de la route et s’engagea dans un terrain vague avant de finir sa course contre un poteau électrique.

Thomas ralentit en sortant de la route à son tour et s’arrêta derrière le véhicule accidenté.

Sadao ouvrit sa portière. Visiblement choqué par son accident et titubant, il braqua son arme sur les espions et tira.

Le pare-brise se troua et la balle frôla le visage de Thomas. Sadao profita du moment de flottement dans la voiture des espions pour prendre la fuite à pieds.

Thomas et Paul sortirent de leur voiture et se lancèrent à sa poursuite.

Malgré son âge, Sadao avait rapidement reprit ses esprits et courrait à bonne vitesse. Il traversa la route devant lui. Un crissement de pneu se fit entendre, suivi d’un bruit sourd. Une voiture venait de le percuter avec violence et l’avait projeté quelques mètres plus loin.

Paul et Thomas s’arrêtèrent. Malgré la situation qui risquait d’être grave, l’ainé remarqua :

– Tiens, j’aurai parié qu’il rebondirait.

Paul ne put s’empêcher d’éclater de rire tout en continuant de suivre Thomas vers l’homme accidenté. Le conducteur de la voiture, désemparé, venait aussi porter assistance à la victime en parlant continuellement en japonais malgré l’absence de réponse des deux français.

En anglais, Thomas lui demanda d’appeler les secours. Le chauffeur, toujours paniqué, s’exécuta et saisit son téléphone.

Thomas et Paul étaient maintenant devant Sadao. Du sang coulait sur le côté où il avait été percuté. Sa jambe droite était déboitée.

Paul regarda le visage du sexagénaire. Il avait perdu connaissance et ses yeux étaient clos.

Thomas posa ses doigts sur le cou de la victime :

– Il n’est pas mort.

Il le fit basculer sur le côté. Paul observa Thomas fouiller les poches de Sadao :

– Qu’est-ce que tu fais ?

– Je ne pense pas qu’on aura d’autres occasions de le fouiller et les secours vont arriver. S’il y a un indice quelconque sur lui, je préfère le trouver maintenant.

Thomas sortit un portefeuille qui ne contenait rien d’intéressant, un téléphone et un petit carnet qu’il feuilleta.

Thomas le tendit à Paul :

– Tiens, prends des photos des pages écrites. Envoie-les à papa.

Paul prit son Smartphone et obéît. Il eut à peine terminé que les secours arrivèrent. Paul rendit le carnet à Thomas qui le rangea à l’endroit où il l’avait trouvé.

Les secours ne s’attardèrent pas avec Paul et Thomas. Ils leur demandèrent ce qu’ils faisaient sur place et les espions répondirent qu’ils étaient en voyage, utilisant leur couverture. Pour les urgentistes, la situation n’était qu’accidentelle. Ils n’avaient pas encore remarqué les voitures dans le terrain vague, une trentaine de mètres plus loin, et n’avaient pas le temps de s’occuper des deux espions.

Thomas et Paul se dépêchèrent de reprendre la Jaguar et de démarrer. Sadao n’était plus de leur ressort pour le moment, les français auraient le temps de le retrouver plus tard, à l’hôpital, où il resterait vraisemblablement un bon moment. 

En quelques minutes, ils arrivèrent à la villa. La police et les pompiers étaient déjà sur place, certainement alertés par un voisin qui avait entendu les coups de feu.

Thomas gara la Jaguar devant la maison et les espions sortirent.

Des pompiers évacuaient un blessé. Les espions français reconnurent immédiatement leur ami Kanehiko. Thomas s’approcha des secouristes qui s’affairaient autour de lui et le chargeaient dans un camion. L’espion fut repoussé par un des pompiers et ne put insister.

Deux policiers, main sur leur arme, s’approchèrent des deux français et leur demandèrent de quitter les lieux dans un anglais approximatif. Personne ne semblait se soucier d’eux ni de la raison de leur présence. Ils passaient pour des touristes curieux.

Thomas, avant de partir, demanda aux policiers s’ils avaient retrouvé une jeune fille, le bras plâtré.

Le policier lui répondit sèchement que non et lui intima à nouveau de partir en précisant que s’il avait perdu une de ses connaissances ce n’est pas ici qu’il la retrouverait.

Paul regarda les véhicules garés devant la villa. Celle que Jessica avait utilisé un peu plus tôt n’y était plus. Elle avait dû fuir les lieux en sentant que la situation se dégradait.

Paul et Thomas remontèrent dans leur voiture d’emprunt et quittèrent la propriété. Paul demanda :

– Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?

– On ne peut plus rien faire ici. On va essayer de trouver un moyen de rentrer à Nerima.

Thomas gara la voiture sur un parking. Il ne leur fallut que quelques minutes pour trouver un taxi, ravi de faire une course aussi longue.

Thomas resta silencieux. Paul devina que, comme lui, il se repassait cette journée en tête. Ils n’avaient plus aucune trace de Jessica.

Le taxi les déposa devant l’immeuble. Paul et Thomas montèrent par l’escalier extérieur au premier étage. Bien qu’il n’ait pas la clé, Thomas réussit à ouvrir la porte en crochetant l’ancienne serrure de l’appartement.

Ils s’assirent autour de la table à manger. Paul s’inquiétait pour l’espion japonais :

– A ton avis, on reverra Kanehiko ?

Thomas était songeur :

– Je ne sais pas.

Le Smartphone de Paul vibra. Il le sortit. Une notification était apparue à l’écran, c’était un nouveau message venant du correspondant “papa”. Paul l’ouvrit et lut à haute voix :

Voici la traduction de la dernière page. Rien d’intéressant dans le reste : Deux tableaux Angleterre. Voir Miranda, JP Poste, 427, Shitara, Aichi, mercredi 150 millions

Thomas réagit :

– Bien, Sadao avait rendez-vous avec une acheteuse qui lui fournissait l’argent. Il comptait vendre les tableaux pour 150 millions de Yen soit…

Thomas prit son téléphone pour faire la conversion et annonça le résultat :

– Un peu plus d’un million deux cent cinquante mille euros. Belle somme pour s’implanter en Angleterre.

– Et le rendez-vous serait au lieu indiqué dans le SMS.

– Oui. Je vais chercher l’adresse.

Thomas reprit son Smartphone. Après quelques secondes, il donna le résultat de sa recherche :

– Shitara, c’est entre Tokyo et Kyoto. Je pense que cette Miranda n’aura pas l’interlocuteur prévu.

– Qu’est-ce que tu veux dire ?

– On va aller au rendez-vous.

– Et se faire passer pour Sadao ?

– Non. Il y a un risque qu’elle le connaisse, et si elle s’attend à voir un japonais, on ne pourra pas donner le change. Surtout qu’on ne parle pas la langue, Sadao n’enverrait pas des étrangers. On va continuer notre mission et observer. En plus, on est déjà assez sorti du cadre comme ça.

Thomas reprit son téléphone et chercha à nouveau une information sur Internet. Il plaça le téléphone à son oreille et Paul entendit, en anglais :

– Bonjour, je cherche à avoir des informations sur une personne admise chez vous aujourd’hui. C’est un ami… Oui, un accident dans une maison, enfin une attaque plus précisément… Oui, c’est lui… Merci…

Thomas resta silencieux et reprit :

– Merci beaucoup… Oui je compte sur vous, merci.

L’espion raccrocha. Paul, curieux, demanda :

– Alors ?

– Pour le moment, ils ne peuvent rien me dire. Elle me rappellera lorsqu’elle aura des nouvelles.

Les deux espions dinèrent sans grand appétit et se couchèrent sans tarder.

Paul eut du mal à s’endormir. Il se repassait la journée en tête. Jamais il n’avait eu autant d’adrénaline en si peu de temps. Il tomba finalement de fatigue un peu avant minuit.

Paul se réveilla à sept heures du matin. Thomas l’avait réveillé en ouvrant la porte de sa chambre.

Il se leva et retrouva son coéquipier dans la salle à manger. Une tasse de thé était prête pour l’adolescent qui demanda :

– Tu crois que ça ne dérange pas Kanehiko qu’on soit chez lui ?

– Je pense que dans l’état dans lequel il est, ce n’est pas son principal problème et non, je pense que c’est même ce qu’il souhaiterait.

– A quelle heure on doit être à Shitara ?

– Il n’y a pas d’heure sur le SMS, on part dès qu’on est prêt.

Paul se dépêcha. A huit heures précises, Paul et Thomas étaient dans un taxi.

Le chauffeur n’avait pas apprécié de savoir qu’il allait devoir faire la route jusqu’à Shitara, à près de quatre heures de Nerima. Il avait annoncé que le prix serait à la hauteur de son effort.

La route était belle. Paul découvrit le mont Fuji qui les regarda pendant une grande partie du trajet. Pour le jeune espion, le Japon était un pays magnifique. Bien qu’il n’eût pas pu le visiter comme il en avait envie, les lieux qu’il avait découvert étaient pour la plupart très beaux.

Le chauffeur de taxi les laissa à Shitara, devant la poste.

Les deux espions ne savaient pas à quoi s’attendre une fois sur place. Ils visitèrent les alentours sans rien trouver de particulier et retournèrent à la Poste. Là, Thomas arrêta Paul :

– Regarde, la camionnette qui vient de se garer, c’est Jessica !

Paul vit en effet la voleuse qui venait de descendre d’une camionnette blanche. Les deux espions se cachèrent en prenant garde de pouvoir continuer à observer la jeune fille. Elle se dirigea vers une maison voisine. Paul demanda :

– Qu’est-ce qu’elle fait là ?

– Je ne sais pas. Si elle a toujours les tableaux, elle va essayer de doubler Sadao et prendre l’argent.

– Mais comment elle a pu avoir l’information ?

– Si elle vient souvent ici, elle a pu accompagner Sadao ou alors il lui a confié la mission de venir à sa place. Elle est aussi très douée, elle a pu fouiller les affaires… ou avoir un informateur.

– On fait quoi alors ?

– On attend déjà de trouver Miranda.

Les heures passèrent mais aucun signe d’une personne qui venait pour acheter les tableaux. Jessica ressortit vers seize heures. Elle semblait soucieuse et attendre quelque chose ou quelqu’un. Un homme se tenait avec elle. Paul se tourna vers Thomas :

– J’ai compris.

– Quoi ?

– Miranda, c’est Jessica.

– Comment ça ?

– C’est ici qu’elle avait rendez-vous avec Sadao.

– Ça n’a pas de sens.

– Pourquoi ?

– Pourquoi vendre les tableaux ici alors qu’elle était chez lui hier ?

Paul reconnut que son explication ne tenait pas la route. Il était déçu de ne pas avoir trouvé la solution. Il aurait pourtant aimé trouver la réponse à cette situation et, surtout, montrer que l’on pouvait compter sur lui et impressionner son coéquipier.

Soudain, une voiture se gara à côté de la camionnette. Une femme, élégante, en sortit. Elle se dirigea vers Jessica. Thomas précisa à Paul :

– Tu vois, la voilà.

Les deux femmes se saluèrent avant de se diriger vers la maison où Jessica semblait résider au moins pour la journée.

Thomas sortit son Smartphone et composa un numéro avant de se tourner vers Paul :

– Bon, je crois qu’on a tout.

– Comment ça ?

– On a la voleuse, son acheteur principal a été neutralisé et celle qui fournit l’argent est avec la première. On a bouclé la boucle.

– Et donc ?

– Maintenant on agit.

Paul voulut en savoir plus mais l’interlocuteur de Thomas avait décroché. Le jeune espion écouta la conversation en entendant seulement Thomas, en français :

– Papa, on va bientôt rentrer… Oui… Le voyage s’est bien passé… Oui on est bien à Shitara… Promis, je fais attention, à plus tard.

Thomas raccrocha et se tourna vers Paul :

– On y va ?

– Sans aide sans rien ?

– Tu veux appeler la police japonaise ? On est sur leur territoire, ça prendrait des heures de procédures. Non, on y va et on s’occupera du reste ensuite. Ne t’inquiète pas, j’ai tout prévu.

Sans attendre de réponse, Thomas avait jailli hors de sa cachette. Paul le suivit en réfléchissant à ce sur quoi ils allaient tomber. Il y avait au moins trois personnes dont un garde du corps. Jessica, bien qu’elle fût douée en combat rapproché, ne pourrait pas s’opposer à eux avec un bras dans le plâtre. Quant à l’acheteuse, elle ne semblait pas être une adversaire dangereuse pour les espions.

Ils arrivèrent devant la porte de la maison. Thomas frappa.

Quelques secondes passèrent et la porte s’entrouvrit doucement.

Profitant de l’effet de surprise, Thomas la poussa et tomba nez-a-nez avec le garde du corps qui, surprit, ne sut comment réagir. L’espion lui asséna ensuite un violent coup dans la tempe. Il en profita pour lui faire une clé de bras et lui prendre son arme qu’il portait à la ceinture.

Les deux espions débarquèrent dans le salon où les deux femmes discutaient. Jessica leur jeta un regard noir :

– Encore vous ? Qu’est-ce que vous me voulez à la fin ?

Thomas répondit :

– A votre avis ?

Jessica porta la main à sa ceinture. Paul vit qu’elle était armée mais elle n’eut pas le temps de se saisir de l’arme. Thomas l’avait vu, lui-aussi :

– Moi je ne ferai pas ça.

– Sinon quoi ? Vous allez tuer mon garde du corps ? Il ne parle même pas anglais et j’en prendrai un autre.

– Sinon, je vais tirer, en premier, sur vous.

– Vous n’oserez pas.

Paul s’aperçut que l’autre femme, Miranda, commençait doucement à préparer sa fuite. Il s’approcha d’elle et sortit son stylo :

– Mauvaise idée.

Jessica regarda Paul et éclata de rire :

– Qu’est-ce que tu vas faire avec ton stylo ? Nous piquer ?

Paul regarda Jessica, le stylo pointé vers elle. Il appuya sur le haut de l’appareil, lançant la flèche :

– Et pourquoi pas ?

Jessica tomba sur le sol sous les yeux horrifiés de Miranda qui entra dans une crise d’hystérie :

– Vous l’avez tuée ! Pourquoi vous avez fait ça ? Nous sommes innocentes !

Thomas attacha le garde du corps avec sa ceinture contre un radiateur. Il s’approcha de Miranda :

– Calmez-vous ou vous subirez le même sort.

– Non, je ne me calmerai pas, vous avez tué Jessica !

– Mais non, elle fait juste un gros dodo ! Les voyages ça fatigue.

Sans prévenir, Thomas se jeta sur Miranda qui fut maitrisée en quelques secondes.

Dehors, Paul entendit des véhicules freiner brutalement. Il se retourna et vit une dizaine d’hommes entrer, portant tous un gilet pare-balle. Paul se tourna, stylo en main. Il savait qu’il ne les maitriserait pas tous.

Sans même porter attention aux français, deux hommes se dirigèrent vers le garde du corps, deux autres vers Jessica. Enfin, un autre groupe de deux libéra Miranda de l’emprise de Thomas. L’espion se rapprocha de Paul. En quelques secondes, les trois malfaiteurs avaient été sortis de la maison et emmené dans les voitures qui attendaient à l’extérieur.

Thomas et Paul sortirent eux aussi de la maison. La camionnette était fouillée devant les yeux de passants interloqués.

Un homme en costume, européen, qui semblait diriger les autres, s’approcha des deux espions :

– Merci messieurs. Il ne nous restera plus qu’à interroger ces deux femmes. Sadao ne pourra pas s’installer en Angleterre ce coup-ci.

Thomas répondit :

– Il s’en est sorti ?

– Oui, il va finir en prison ici, au Japon, les autorités locales en avaient après lui. Quant à la voleuse, nous allons l’exfiltrer discrètement pour qu’elle soit jugée en Angleterre pour les vols qu’elle a commis.

– Parfait. Et nous ?

– Vous ? On vous dépose quelque part ?

– Nerima, ça irait ?

– Oui, de toutes manières on va à Tokyo.

Paul et Thomas montèrent dans l’une des voitures. Paul demanda enfin à Thomas :

– Qui c’est ?

L’ainé répondit comme une évidence :

– Des amis de papa.

Paul ne posa pas plus de questions. Il conclut que ce devait être des agents français, certainement de la DGSE. Il commençait à prendre la mesure du réseau de l’espionnage international.

Les espions arrivèrent le soir dans l’appartement de Kanehiko. Ils n’avaient toujours pas eu de nouvelle.

Le soir, ils préparèrent leurs affaires et dinèrent tard.

Le lendemain, ils retrouvèrent l’aéroport de Narita et décollèrent à dix heures trente-cinq pour Paris.

Les deux espions touchèrent le sol français à seize heure dix. Le vol de plus de douze heures s’était parfaitement bien passé. Paul n’avait fait aucun cauchemar.

Á peine arrivés, ils montèrent dans un taxi. L’ainé indiqua une adresse parisienne. Le chauffeur démarra et demanda pour entamer la conversation :

– Vous arrivez d’où ?

– Tokyo.

Le chauffeur regarda les deux espions dans son rétroviseur. Il demanda timidement :

– Vous n’auriez pas oublié quelque chose ?

Thomas se méfia :

– Je ne crois pas, pourquoi ?

– Vous n’avez pas de valise ?

Thomas se détendit :

– Ha, non, nous avons tout laissé là-bas, cela nous encombrait !

Le chauffeur, visiblement surprit de cette réponse, préféra ne pas insister.

Les deux membres de l’Aigle arrivèrent devant l’hôtel particulier par lequel ils étaient passés avant de partir pour Londres. A l’accueil, Thomas s’annonça. L’hôtesse prit leurs pièces d’identité et prévint une personne au téléphone. A nouveau, ils devaient se rendre au premier étage, à la troisième porte.

La femme qui les avait accueillis à leur départ était là :

– Votre voyage s’est bien passé ?

Thomas répondit :

– Très bien.

– Pas de problème particulier ?

– Non, aucun.

– Bien, je vous laisse me rendre les stylos, les Smartphones, les montres et les anneaux.

 – Il nous manquera les montres et les anneaux.

– Bien, je noterai ça. On tentera de les récupérer. Au moins vous avez choisi ceux qui étaient détectable par GPS.

– Les montres ont été cassées… au Japon.

La femme resta impassible, comme si cela faisait partie de son quotidien :

– D’accord, je verrai ce que nous pourrons faire.

Les espions rendirent leur matériel que la femme rangea dans un tiroir. Elle sortit un passeport et une carte d’identité. Elle regarda d’abord le second document qu’elle tint à Paul :

– Et voici monsieur Osinski.

Elle donna ensuite le passeport à Thomas :

– Et monsieur Duchesne.

Paul regarda sa carte. C’était bien la sienne. Il comprit qu’à ce moment précis, Paul Tessier n’existait plus et que Thomas n’était plus son demi-frère. Cela marquait aussi la fin de leur mission. L’adolescent ressentit un léger pincement au cœur.

Les deux espions sortirent. Devant le bâtiment, Thomas proposa :

– On va diner avant de rentrer ?

Paul accepta avec plaisir. Il était bientôt vingt heures, il était fatigué mais content d’être rentré.

Les deux espions s’assirent à la table où ils avaient déjeuné le jour de leur départ. Ils commandèrent les mêmes plats. Paul en profita pour demander :

– Nos valises, on ne les reverra pas ?

– Si, l’appartement à dû être nettoyé, je pense qu’elles ont été déposées à l’Aigle, sans doute dans mon bureau.

– Alors ça y est, c’est fini ?

Thomas répondit sans lever les yeux de son verre :

– De quoi ?

– Notre mission.

– Oui.

– C’est bizarre, je n’arrive pas à me dire que je vais retrouver les cours.

– C’est normal, mais quand tu y seras, tu n’y penseras plus.

– Et tu n’es plus mon coéquipier.

– Oui, je redeviens ton responsable d’étude.

Paul ne répondit pas. Thomas ajouta :

– Mais ça n’empêche pas que j’ai beaucoup apprécié faire cette mission avec toi.

Paul répondit :

– Moi aussi…

Thomas releva la tête. La réponse de Paul, d’un air las, l’avait intrigué :

– Ça ne va pas ?

Paul grimaça :

– Je suis fatigué je crois.

– Tu sais, Paul, rien ne t’empêche de passer me voir dans mon bureau pour discuter, j’en serai très content et… peut-être qu’un jour nos repartirons ensemble.

– J’aimerai bien, mais je pense que ce ne sera pas avant quelques temps.

Thomas acquiesça :

– Après tes études, sans doute.

Paul soupira en regardant son hamburger. Thomas le réconforta :

– Allez, ne t’inquiète pas, si j’ai besoin de toi, je n’hésiterai pas une seconde. Même si ce n’est pas moi qui t’accompagnes. C’est normal d’avoir le coup de blues après une mission, on est tous pareil, l’adrénaline qui redescend, le retour au quotidien, mais c’est pour ça que nos missions sont belles aussi.

Paul retrouva un peu son sourire :

– Merci Thomas. Alors maintenant je dois te vouvoyer j’imagine ?

– Sur le campus oui, au moins quand il y a du monde autour.

– Bien, j’essaierai de m’y tenir.

Le silence se fit. Paul en profita pour demander :

– J’ai quelques questions à te poser sur notre mission.

– Je suis là pour ça.

– Qui est intervenu à la fin, à Shitara ? Tu m’as dit que c’étaient des amis de papa, mais plus concrètement ?

– Des espions, français ou japonais. Tu sais, nous, nous sommes sur le terrain, nous ne savons pas tout ce qu’il se passe au-dessus, les ententes entre les pays, les autorisations que l’on peut avoir ou non. Une mission se fait sur le terrain mais il y a une grande gestion dans les bureaux, des personnes prennent des décisions sans que nous ayons le temps d’être informés. J’ai prévenu que nous agissions, l’Aigle à fait en sorte de nous épauler au mieux. Notre but c’est d’agir sans se faire voir.

– Sur ce point, on n’a pas été très bons.

– L’imprévu fait partie de notre mission. Si on ne les avait pas arrêtés, alors nous aurions sans doute échoué.

– On aurait pu mieux faire ?

– On a rempli notre mission, c’est tout ce qu’on nous a demandé.

Paul remarqua :

– Un peu plus quand même.

– Comment ça ?

– On devait observer un voleur à Londres et on s’est retrouvé à l’autre bout du monde.

– C’est aussi ça, nos missions, faire face à ces situations, ne pas savoir où nous allons aller ni combien de temps.

– Et Kanehiko ?

Paul remarqua que Thomas regardait dans le vide en répondant :

– Je n’ai pas eu de nouvelle mais je suis certain qu’il me préviendra dès qu’il ira mieux.

Paul laissa passer quelques secondes. Il savait que Thomas avait dit cela sans vraiment y croire :

– Tu crois qu’il est mort ?

Thomas regarda son assiette :

– Mange, ça va être froid.

Paul n’insista pas. Les deux espions terminèrent leur diner avant de retrouver la voiture de Thomas et prendre la direction du campus. Ils y arrivèrent à minuit.

L’adolescent récupéra sa valise dans le bureau de Thomas. Il fut temps pour les deux espions de se séparer. Ils avaient passé à peine deux semaines ensemble mais Paul avait partagé avec son responsable des études des moments particuliers qu’il n’avait jamais passé avec quelqu’un d’autre, hors du campus et hors du commun pour un garçon de son âge.

Thomas tendit la main vers Paul qui s’en saisit. Le directeur des études conclut leur mission :

– Merci Paul.

Paul regarda Thomas :

– Merci à toi, vraiment.

Thomas sourit et relâcha la main de Paul. Le jeune espion sortit du bureau, traversa le hall puis passa dans la cour. Il s’arrêta et regarda les bâtiments autour de lui. Ici, l’ambiance n’était pas la même que pendant la mission. Il se rendit dans sa chambre et ouvrit la porte. Il faisait sombre, ses camarades dormaient déjà.

Faiblement éclairé, Paul déposa sa valise au pied du lit. Il s’assit et soupira. Il entendit une voix :

– Paul ? C’est toi ?

Paul reconnut la voix d’Antoine qui alluma la lumière de son box. Il lui répondit :

– Oui, je viens de rentrer. Pardon de t’avoir réveillé.

Antoine ne releva pas :

– Tu vas bien ?

– Oui. Et toi ?

– Oui, viens au moins me dire bonjour !

Paul se releva et retrouva Antoine qui s’était redressé dans son lit et lui demanda :

– Alors, comment c’était ?

Paul se remémora son excuse :

– L’enterrement ? Eh bien… c’était un enterrement. Pas vraiment joyeux.

Antoine remarqua :

– C’était long juste pour un enterrement. Il n’y a pas eu de problème j’espère.

– Non, ne t’inquiète pas, tout va bien.

– Tu as l’air épuisé.

– Un peu, le retour était long.

– Je te laisses dormir, on en parlera demain si tu veux.

– Oui, ça marche.

Paul fit demi-tour lorsqu’Antoine l’arrêta :

– Au fait, Paul !

Paul se retourna :

– Oui ?

Antoine chuchota, de sorte que Sacha ne puisse pas l’entendre :

– Tu me raconteras ?

– De quoi ?

– Ta mission… avec Thomas.

Paul s’étonna :

– Ma mission avec Thomas ?

– Vous êtes partis le même jour, toi pour un enterrement de deux semaines, lui pour un séminaire à l’étranger. C’était facile à trouver, surtout si je vois Thomas demain.

Paul sourit, reconnaissant la capacité d’observation et la logique habituelle de son ami qui avait dû se torturer l’esprit quelques jours pour s’assurer de cette conclusion :

– Oui, si tu veux. Mais demain.

Antoine eut l’air ravi :

– Ça marche. Merci.

Paul retrouva son lit. Il se prépara et se coucha. Le lendemain, il retrouverait les cours. Il eut même déjà un peu de nostalgie en repensant à sa mission. Son emploi du temps qui l’attendait le lendemain ne l’enchantait pas.

Paul fut réveillé par la voix de Sacha :

– Paul, c’est l’heure… Faut qu’on aille au petit-déjeuner.

Paul ouvrit les yeux. Il vit sa chambre. Il avait espéré se réveiller au Japon mais il en était loin.

Il se réveilla et se prépara. Ses amis l’attendaient.

Dans le réfectoire, silencieux comme tous les matins, Paul, Antoine et Sacha retrouvèrent Lucy, Damien et Arthur qui étaient arrivés un peu plus tôt. Ils étaient tous enjoués de retrouver Paul mais personne ne posa de question. Le jeune espion se demanda si c’était par politesse ou s’ils croyaient tous – sauf Antoine – à cette histoire d’enterrement. Il était bien décidé à leur dire la vérité, mais il attendait le bon moment.

Le premier cours de la journée était celui de renforcement musculaire. Malgré les deux semaines pendant lesquelles Paul avait été particulièrement actif, il eut un peu de mal à se remettre aux exercices imposés par leur professeur.

Pendant les quatre heures suivantes, Paul dut déployer de grands efforts pour rattraper le cours. Il fut plus attentif que jamais et, à la fin de la journée, mit à profit son heure d’étude pour se mettre à jour sur l’ensemble des cours pour le lundi. Chaque jour, il travaillerait les matières d’une journée afin de ne pas accumuler plus de retard.

Ce vendredi soir, Paul fut heureux de retrouver le foyer après le diner. Il commanda pour une fois un thé, cela lui rappellerait le Japon.

Damien posa la première question à Paul :

– Alors, tu vas bien ?

– Oui, ça va.

– Je sais que ça doit être un peu dur mais…

Paul le coupa :

– Non, tout va bien, je ne la connaissais pas tant que ça.

– C’était long sans toi !

– Et vous m’avez manqué aussi.

Paul but une gorgée de son thé. Il n’avait pas du tout le même goût que celui qu’il buvait chez Kanehiko. Il le reposa.

Le jeune espion jeta un regard dans la salle. Mike venait d’arriver. Il s’excusa auprès de ses amis et se dirigea vers l’élève de cinquième année.

Lorsqu’il le vit, Mike s’exclama :

– Paul ! Ça me fait plaisir de te revoir !

– Merci Mike, Moi aussi.

Mike reprit à voix plus basse :

– Alors, comment ça s’est passé ?

– Bien, très bien.

– Tu vois, je te l’avais dit ! Et avec Thomas, les missions se passent toujours très bien.

– Oui, enfin on a bien voyagé.

– Ha ça, c’est le problème des missions, ou l’avantage. Tant que tu as pu voir de belles choses.

– J’ai pas vraiment eu le temps.

– Bon, je suis désolé, je dois filer, mais si tu veux parler de ta mission, je serai là demain !

– Oui, merci Mike !

Paul fut un peu déçu de ne pas avoir pu partager son expérience plus longtemps avec son ainé. Il se résigna et retourna auprès de ses amis. Lucy reprit :

– Bon, si on faisait un tarot ?

Cette proposition faisait toujours l’unanimité dans le groupe qui s’était habitué à jouer à six joueurs depuis que Sacha les avait rejoints.

Les élèves retournèrent dans leur chambre peu de temps avant l’extinction des feux. C’est ce moment que choisit Antoine pour aller voir Paul dans la partie de sa chambre. Il s’assit sur le lit, Paul l’imita. Sacha, lui, s’était déjà préparé à dormir et s’était couché.

Antoine demanda :

– Alors, tu peux me raconter ?

Paul répondit afin qu’Antoine soit le seul à entendre :

– Si tu veux.

– Il y avait d’autres espions avec toi ?

– Non, seulement Thomas.

– Vous êtes allé où ?

– On a fait l’Angleterre, puis les Pays-Bas et le Japon.

– Je rêverai d’aller au Japon ! Qu’est-ce que vous aviez à faire ?

Paul regarda son ami et hésita :

– Je ne sais pas trop si je peux en parler. Mais dans les grandes lignes, une voleuse revendait des objets à l’étranger et on devrait arrêter ce trafic.

Antoine eut l’air déçu :

– Ha…

– Qu’est-ce qu’il y a ?

– Je m’attendais à plus… palpitant. Et tu avais des gadgets ?

Paul s’amusa de cette question. Il répondit à Antoine et, au fil de la discussion, lui raconta différents moments de sa mission. Son ami l’écouta avec attention et semblait boire ses paroles comme s’il écoutait une histoire.

Lorsqu’ils eurent terminé de discuter, près de quarante minutes plus tard, Paul et Antoine retrouvèrent leur lit.

Paul était persuadé que son ami s’endormait en imaginant les différentes parties du voyage qu’il lui avait décrites.

Celui qui était redevenu un élève comme les autres pu rapidement se mettre à jour sur les cours qu’il avait dû rater. Il reprit le rythme et se réhabitua aux longues heures en classe. Sa mission était derrière lui et semblait un lointain souvenir.

Pendant les quatre semaines suivantes, Paul ne croisa Thomas que deux fois. Il était redevenu le responsable des études, sympathique, calme, souriant mais distant qu’il avait toujours été. Cependant, lorsqu’ils se croisaient, Thomas avait toujours un sourire complice à l’égard de son élève, en souvenir de leur mission.

Le traditionnel repas de Noël arriva. Les élèves étaient dispensés de cours le lendemain, le samedi vingt-deux décembre et pourraient rentrer chez eux.

En ce vendredi soir, l’ambiance était chaleureuse. Le repas était particulièrement copieux et de qualité. La soirée se termina par une grande fête à laquelle tous les élèves participaient.

Paul et ses amis se couchèrent une fois la soirée terminée, à plus de deux heures du matin.

Le lendemain, tous rentraient chez eux.

Paul se réveilla avec le sentiment de n’avoir pas assez dormi. Après s’être préparé, il prit ses affaires et descendit l’escalier menant à la cour pour se diriger vers le hall d’accueil.

Il passa devant la fontaine quand il entendit la voix de son responsable des études :

– Paul !

Le jeune espion se retourna. Il salua Thomas qui lui annonça :

– Désolé, je voulais te voir ces derniers jours mais il est compliqué de te croiser sans tes amis. J’ai une bonne nouvelle.

– Qu’est-ce qu’il y a ?

– J’ai reçu un appel en début de semaine de Kanehiko. Il va bien, il est sorti de l’hôpital sans séquelle. Il avait pris une balle dans le torse mais qui n’avait touché aucun organe vital. D’après ce que j’ai compris, il a dû éviter de bouger pour ne pas avoir d’infection ou de complication mais aujourd’hui tout est rentré dans l’ordre. Il ne pourra pas travailler avant quelques temps mais au moins il est sorti d’affaire.

Cette nouvelle réjouissait Paul qui remercia Thomas de l’avoir tenu informé de l’état de santé de l’espion japonais. Il en profita pour souhaiter à son responsable des études de bonnes vacances avant de le laisser s’éloigner.

Le jeune espion retrouva ses parents pour rentrer à Paris.

Les traditionnelles vacances de Noël étaient une coupure toujours agréable pour Paul. Il aimait se retrouver en famille et profitait de l’ambiance qui régnait.

Le lundi soir, pour le réveillon, la famille Osinski se retrouva chez les grands-parents paternels de Paul, dans un pavillon en banlieue parisienne.

Ils étaient une quinzaine. Paul appréciait particulièrement le calme de cette période, qui dénotait avec l’agitation de sa première mission encore vive dans son esprit.

Après le diner, chacun déballa ses cadeaux. Paul eut deux jeux vidéo, un sweat et un appareil photo.

Il joua ensuite avec ses cousins jusqu’au moment où Pawel, son grand-père, s’approcha d’eux et dit de sa voix calme qui intensifiait son rôle de doyen de la famille :

– Paul, peux-tu venir un moment ?

Paul se releva et rejoignit son grand-père.

Il le suivit à travers le pavillon jusqu’à une porte que Paul connaissait bien. C’était le bureau de Pawel, une pièce strictement interdite à toute autre personne que lui. Paul avait déjà essayé d’imaginer ce que l’on pouvait y trouver, sans jamais avoir osé y pénétrer.

Pawel entra dans la pièce. Paul, par réflexe, s’arrêta devant la porte. Son grand-père se retourna vers lui :

– Entre Paul.

Le jeune espion passa la porte et découvrit la pièce d’une quinzaine de mètres carré couverte de parquet clair. Elle était éclairée par la douce lumière que renvoyait le plafonnier et la lampe posée sur le grand bureau qui trônait au milieu de la pièce. C’était un meuble en bois plus sombre sur lequel étaient posés – en plus de la lampe – des dossiers, un ordinateur déjà ancien et quelques objets de décoration.

Paul passa le regard sur la bibliothèque bien fournie sur le côté de la pièce, à côté d’un secrétaire ouvert et sur lequel une feuille manuscrite semblait être restée inachevée.

Pawel attendit que Paul ait terminé de découvrir son bureau :

– J’ai un cadeau pour toi.

Paul se tourna vers son grand-père :

– Ha bon ?

Pawel fouilla dans son bureau et garda la main fermée, comme pour cacher ce qu’il venait de saisir :

– J’ai reçu cela dans mes premières années d’espionnage. C’est un allié américain qui me l’a offert en souvenir, j’aimerai te l’offrir. Mais attention, c’est un vrai objet de collection.

Pawel ouvrit la main et tendit à Paul deux objets. Un ancien paquet de cigarette de la marque Lucky Strike ainsi qu’un briquet dont le haut s’ouvrait pour allumer la flamme. Paul les prit et les regarda attentivement. Sur le côté du paquet de cigarette, on pouvait voir un morceau qui avait été découpé. Cependant, on ne pouvait pas voir l’intérieur qui était caché par ce qui ressemblait à un morceau de papier. Le haut du paquet était aussi différent d’un paquet classique. Une cigarette semblait dépasser, à cela près qu’elle était métallique. Paul regarda son grand-père avec un air interrogatif. Pawel le rassura :

– Non, je ne veux pas t’inciter à fumer. Ce paquet est en réalité un accessoire qui était destiné aux services d’espionnage américain mais qui n’a jamais été utilisé. En appuyant sur le bouton, un objectif apparait sur le côté du paquet pour prendre une photo qui s’imprime sur un microfilm caché dans le paquet.

Grâce à l’explication de son grand-père, Paul pouvait comprendre l’utilisation de cet objet si mystérieux. Il regarda le briquet et Pawel continua :

– Quant au briquet, le fonctionnement est le même. L’objectif est sous le briquet et on le déclenche en appuyant sur la molette.

Paul releva les yeux vers son grand-père :

– Tu es sûr que tu veux me les offrir ?

– Bien entendu. Rien ne me fait plus plaisir que de savoir que tu suis le même parcours que moi. J’en ai profité assez longtemps comme ça.

Paul serra les objets dans sa main et les glissa dans sa poche. Il sourit à Pawel en le remerciant. Ces cadeaux, ainsi que la remarque de son grand-père, le touchèrent particulièrement. Il était heureux que son grand-père soit fier de lui.

Paul sortit ensuite de la pièce avec son grand-père et retrouva ses cousins pour jouer avec eux jusqu’à la fin de la soirée.

Le lendemain, Paul et ses parents se rendaient chez ses grands-parents maternels. L’adolescent était fatigué en raison de sa courte nuit.

Le déjeuner était agréable mais Paul appréciait de moins en moins qu’on lui pose des questions sur ses études. Surtout, il n’aimait pas devoir cacher une partie de la vérité. Il se plia malgré tout à l’exercice.

Les deux jours de Noël passés, Paul retrouva son rythme de vacances. Bien entendu, il était hors de question de ne pas voir son ami Louis pendant ces deux semaines. Paul reçut d’ailleurs dès le lendemain de Noël un message de son ami. Il lui proposa de l’accompagner au centre commercial de Beaugrenelle, dans le quinzième arrondissement de Paris, afin de faire du shopping grâce à l’argent qu’il avait reçu en cadeau. Paul accepta et retrouva son ami, le vingt-sept décembre, sous une pluie fine et désagréable.

Louis entraîna Paul dans plusieurs magasins de vêtements puis à la Fnac, où il s’acheta une enceinte portable.

Ils continuèrent la journée dans un Starbucks, à quelques dizaines de mètres du centre commercial. Paul regarda par la vitre les passants tentant de se protéger de la pluie.

Louis le sortit de sa contemplation :

– Il y a un sujet dont tu ne me parles jamais en fait.

Paul se tourna vers son ami, étonné :

– Lequel ?

– Ton école.

Louis abordait souvent ce sujet que Paul évitait toujours soigneusement. S’il n’aimait pas cacher la vérité à sa famille, c’était encore pire avec son meilleur ami. Il répondit vaguement :

– C’est un lycée comme les autres, il n’y a pas grand-chose à en dire.

– Je ne sais pas, tu y passes toute l’année, c’est hyper sélectif, tu vas même rester après le bac, ce n’est quand même pas juste un lycée.

Paul savait que le fait qu’on lui ait proposé d’entrer avait rendu son ami jaloux :

– Je t’assure que tu te fais des idées, c’est comme partout, on a des cours, des contrôles et on va passer le bac.

– T’as même pas une copine ?

Paul sourit :

– Non, même pas. Tu vois qu’il n’y a vraiment rien à raconter.

– Il a l’air sympa Damien ! Il faudrait qu’on se voie tous les trois.

– Oui… Ça pourrait être une bonne idée.

Malgré sa réponse, Paul n’avait pas envie que Louis rencontre son ami de l’Aigle. Il était persuadé que Damien gafferait et finirait par dire que leur école formait de jeunes espions. Si cela arrivait, Louis en voudrait certainement à Paul de lui avoir caché la vérité.

Il y eut un silence entre les deux amis. Paul hésita, peut-être devait-il dire la vérité à son ami, cependant, c’était contraire aux recommandations de l’Aigle. La consigne était claire, moins il y aurait de personnes informées de l’existence de cette école et mieux ils seraient protégés. Une manière de dire qu’il fallait à tout prix garder le silence.

Heureusement pour Paul, son ami changea de sujet, il avait senti qu’il n’obtiendrait pas de confidence ce jour-là et qu’il était peine perdue d’essayer.

Les deux amis finirent leur boisson puis passèrent la fin de journée chez Louis.

Il se revirent quasiment un jour sur deux jusqu’au dernier samedi des vacances.

Le lendemain, Paul embarqua dans la voiture et retrouva le campus.

Les premiers mois de l’année étaient difficiles pour Paul. Il détestait le temps froid de l’hiver. Cependant, s’il avait apprécié ses vacances, il était aussi content de retrouver ses amis.

En ce dimanche soir, le campus était très calme. La nuit, déjà bien installée, ainsi que le froid, semblaient avoir atténué l’excitation des étudiants. Le groupe d’amis jouait silencieusement au tarot dans le foyer étonnamment calme.

Paul n’avait pas parlé de sa mission à ses amis, sauf à Antoine qui avait deviné dès son retour que son ami était parti avec Thomas.

Le jeune espion n’avait pas encore trouvé le bon moment pour oser en parler, de peur que ses amis lui en veuillent. Cependant, plus il attendait, et plus ce sentiment était fort.

Profitant du silence pendant lequel chacun regardait ses cartes, Paul se décida :

– Il faut que je vous parle.

Ses amis relevèrent la tête, certains continuant tout de même discrètement à trier leurs cartes.

– Garde.

Damien avait annoncé qu’il était prêt à jouer.

Lucy répondit enfin à Paul :

– Oui, qu’est-ce qu’il y a ?

Paul prit une inspiration et se lança :

– Je ne vous ai pas dit la vérité.

– Á quel sujet ?

Paul fut étonné que ses amis gardent leur calme, sans même sembler s’inquiéter de ce qu’il allait dire :

– Le décès de ma grand-tante.

Cette fois, Paul avait réussi à capter l’attention. Arthur posa ses cartes, face cachée, sur la table :

– Elle n’est pas morte ?

– Non. Enfin, si, mais pas cette année, elle est décédée il y a deux ou trois ans, je la connaissais à peine.

– Alors, pourquoi tu as été absent ?

Lucy intervint :

– J’imagine que tu avais une bonne raison de nous mentir, même si on peut tout se dire.

Paul répondit :

– Oui, j’avais une bonne raison, mais je vais tout vous raconter.

Le jeune espion prit quelques secondes et se lança :

– Vous savez, j’avais eu rendez-vous avec Thomas quelques jours avant. C’est lui qui m’a proposé de vous dire cette version. En fait, il était avec le directeur. Il ne m’a pas annoncé un décès mais m’a proposé de partir en mission, avec lui.

Cette fois, les amis de Paul avaient tous posé leurs cartes.

Lucy voulait que Paul continue :

– Alors c’est pour ça ? Tu étais en mission avec Thomas ?

– Oui.

– Racontes !

– Quoi ?

– Tout ! Tout ce qu’il s’est passé ! C’était quoi comme mission ? C’était dangereux ? Tu as tué des gens ? Tu as failli mourir ?

Le jeune espion décrivit longuement sa mission, en partant de sa préparation jusqu’à son retour. Il détailla les différentes étapes de son voyage, parlant de ses ressentis, comment il avait surmonté les problèmes avec Thomas. Il prenait cependant garde à ne pas en dire trop sur le but de sa mission et sur certains aspects organisationnels. Il n’était pas soumis au secret mais il voulait que ses amis découvrent cela lors de leur première mission sans qu’ils en sachent déjà trop.

Lorsqu’il eut terminé, Lucy demanda :

– Alors, pourquoi ne pas nous avoir dit que tu allais en mission dès le départ ?

Paul réfléchit :

– J’avais peur que vous le preniez mal.

– Pourquoi on aurait fait ça ?

– Je ne sais pas, que l’on me propose à moi et pas à vous, vous auriez pu être… un peu jaloux.

Lucy protesta :

– Quoi ? Mais ça ne nous ressemble pas ! Tu es le meilleur de la classe, c’est normal que ce soit toi qui sois choisi.

Arthur était resté silencieux. Paul savait qu’il n’aimait pas ne pas être le meilleur. Il intervint finalement :

– Oui, aussi parce que tout le monde t’apprécie. Ça aide d’avoir des responsables qui sont plus enclin à te donner quelques privilèges, enfin un peu plus que les autres j’entends.

Paul allait répondre lorsqu’Antoine prit sa défense :

– Arthur, tu sais très bien que ce n’est pas le cas. Tu devrais accepter que Paul ait de meilleurs résultats. C’est comme ça, ça fait deux ans qu’il nous le montre. Tu es habitué à être premier, du moins c’était comme ça avant, maintenant tu es second, ou troisième. Ce n’est pas grave. Pour une mission, c’est logique qu’ils aient choisi Paul, au-delà de ses résultats, il est polyvalent.

Arthur ne répondit pas. Il n’avait visiblement pas apprécié qu’Antoine lui dise qu’il n’était pas le meilleur. Lucy continua sans se soucier d’Arthur :

– C’est dommage que tu ne nous en aies pas parlé, mais je te comprends.

Paul s’expliqua un peu plus :

– Avant la mission, j’avais peur de votre réaction. On m’avait conseillé d’attendre pour en parler pour que ça n’ait pas une influence sur ma préparation. Si l’un d’entre vous l’avait mal pris… Je ne me serais peut-être pas senti dans les conditions optimales pour partir.

– Je te comprends, ne t’inquiètes pas.

Damien intervint :

– De toutes manières on s’en doutait !

Paul fut étonné :

– Ha bon ?

– Oui, tu es quand même parti assez longtemps pour un enterrement, et j’avais remarqué que Thomas était parti exactement sur la même période. Ça pouvait être un hasard mais je me suis dit que ça devait être lié. Il y avait peu de chance qu’il connaisse aussi ta grand-tante.

Lucy remarqua :

– Moi non, je ne pensais pas qu’un élève pouvait partir en mission.

Paul s’expliqua :

– Normalement non, mais il existe quelques exceptions quand la mission l’impose.

– Je vois… Tu éviteras de nous mentir maintenant ? Car la prochaine fois je t’en voudrais.

Paul sourit :

– Oui, ne vous inquiétez pas, je vous dirai la vérité.

La discussion s’arrêta et ils changèrent de sujet en reprenant leur jeu.

Tout était plus calme pendant cette période, même les cours se déroulaient sans aucun bruit.

Paul et ses amis passaient le plus clair de leur temps libre à se réchauffer à la bibliothèque ou au foyer, les deux endroits chaleureux et agréables qu’ils préféraient sur le campus en cette période de froid. Ils le savaient, dans cette école, jusqu’au quatorze février, il ne fallait pas espérer d’animation particulière.

Le jour de la Saint-Valentin, le campus se réveillait. Une soirée particulière était traditionnellement organisée. Le réfectoire était décoré, le diner était composé de produits roses, rouges et blancs et sortait de l’ordinaire. Une fête était aussi organisée, à l’issu du dîner, dans le gymnase.

Paul se remémora ce qu’il s‘était passé un an avant. Il avait passé la journée à l’infirmerie et n’était sorti que le soir pour retrouver ses amis.

Après le dîner, le groupe d’amis, comme les autres élèves, rejoignit le gymnase. L’ambiance commençait doucement à devenir plus vive, certains dansaient et le volume de la musique montait progressivement.

Paul, Damien, Antoine, Arthur, Lucy et Sacha s’étaient assis dans un coin et discutaient. Parfois, certains d’entre eux allaient danser ou boire un verre avant de revenir.

Un peu après une heure du matin, le gymnase se clairsemait. Paul se sentait fatigué et n’allait pas tarder à se rendre dans sa chambre. Le couvre-feu était exceptionnellement fixé à une heure trente, l’heure allait bientôt arriver et Paul l’attendait, sans vouloir quitter ses amis plus tôt que prévu. Il discutait avec Damien et Antoine. Lucy et Sacha avaient décidé de danser encore un peu et Arthur était allé rejoindre le buffet.

C’est Damien qui brisa le silence qui s’était installé depuis quelques minutes entre les trois amis :

– Hé, vous avez vu ?

Damien releva le menton vers la piste de danse. La musique s’était calmée depuis quelques minutes. Il y avait moins de danseurs.

Paul observa les quelques couples qui s’enlaçaient en tournant lentement. Il remarqua Lucy, les bras autour de la taille de Sacha.

Damien, comme souvent, se sentit obligé de faire une remarque :

– Il ne sait pas dans quoi il s’engage celui-là !

Antoine réagit :

– T’exagère quand même, elle est un peu vive parfois mais elle n’est pas si désagréable.

– Peut-être. Et dire qu’on pensait que vous étiez ensemble l’an dernier !

Antoine sourit malicieusement :

– Comme quoi, tout le monde peut se tromper !

Paul profita de ce moment de silence pour taquiner Damien :

– Finalement, t’es assez doué pour surprendre les couples toi !

– Oui, mais c’est toujours pour les autres !

Les trois amis rirent de cette réponse que Damien avait faite spontanément.

La musique changea. Arthur revint vers ses amis, suivi de peu par Lucy et Sacha, main dans la main. La jeune étudiante en profita pour annoncer :

– Il faut que je vous dise… Sacha et moi, on est ensemble.

Damien ironisa :

– Vraiment ? On ne dirait pas comme ça…

Lucy répondit :

– Moques toi, mais tu n’as rien vu pendant presque un mois.

Damien resta sans voix. En effet, personne n’avait vu que Lucy et Sacha formaient un couple avant cette soirée de Saint-Valentin.

Le lendemain de la fête de la Saint-Valentin, les élèves du campus eurent un peu de mal à suivre les cours. Le peu de sommeil de la nuit passée se faisait sentir.

La journée passa lentement, trop lentement selon Paul qui n’avait qu’une envie, retrouver son oreiller.

Il regagna sa chambre un peu après vingt et une heure trente, avant ses amis qui avaient décidé de rester au foyer pour discuter malgré la fatigue, peut-être jusqu’à vingt-trois heures, heure du couvre-feu.

Paul s’assit sur son lit. Il parcourut son espace des yeux et s’allongea sur le dos. Il était fatigué mais avait surtout besoin de tranquillité. Il voulait s’autoriser un quart d’heure sans rien faire avant de se préparer. Il appréciait la solitude, c’était chez lui un besoin régulier qu’il avait parfois du mal à assouvir sur le campus.

Malheureusement pour lui, il entendit à peine dix minutes plus tard la porte de la chambre s’ouvrir. Des pas se rapprochèrent de son espace. Paul releva la tête, c’était Sacha.

L’américain demanda :

– Je te dérange ?

Paul eut envie de lui répondre qu’il avait prévu d’être seul mais préféra l’amabilité :

– Non, j’avais un peu besoin de silence mais tu peux rester, c’est aussi ta chambre.

Sacha sembla gêné. Il s’approcha et s’assit sur le fauteuil devant le bureau. Il tourna et fit face à Paul :

– Désolé, je voulais te parler en privé mais malheureusement il y a peu d’occasion.

– Oui, c’est l’inconvénient du campus.

Paul remarqua que Sacha, pourtant d’un naturel calme et enjoué, avait un air sérieux. Ses yeux effectuaient des mouvements rapides en direction des coins de la pièce, prouvant à Paul que son ami était nerveux. Sacha reprit :

– Ça m’a fait plaisir de me retrouver dans ta chambre à la rentrée.

Paul fut étonné par cette phrase. Il ne connaissait pas Sacha avant cette date et il se demandait comment Sacha avait pu être plus content de se retrouver avec lui plutôt qu’un autre :

– Comment ça ?

– Osinski, c’est quand même un nom particulier. Tu es de la famille de Pawel Osinski ?

Encore une histoire de famille. Paul avait du mal à supporter d’être sans cesse comparé à son père ou à son grand-père. Surtout, il se demandait comment un étudiant américain pouvait connaitre sa famille. Il esquiva la question, cherchant à avoir plus d’informations :

– Pourquoi cette question ?

Sacha répondit sans prendre de temps de réflexion :

– Ho, juste comme ça, j’ai étudié l’an dernier une mission franco-américaine, et je suis persuadé que le nom Osinski était quelque-part.

Paul fut étonné :

– Parce que vous étudiez des missions récentes avec des noms réels ?

– Bien sûr, ça concerne la sécurité nationale. Mais je peux conclure que j’ai ma réponse.

– Comment ça ?

– Je ne t’ai rien dit sur la date et tu m’as répondu en me parlant de missions récentes, ça montre que tu parlais d’une personne en particulier et forcément de ta famille.

Paul reconnut à demi-mot son erreur :

– Soit, c’est possible, mais en quoi cela t’a rendu content ? J’aurai pu ne pas être sympa et être de la famille d’un espion que tu aurais aussi étudié.

– C’est vrai. Mais toi, tu es sympa, en plus d’être un excellent espion bien entendu.

– Pourquoi tu dis ça ?

– Ce n’est pas le cas ?

– Je ne sais pas.

– Tu es le meilleur de la classe, tu es parti en mission avec notre responsable des études et tu l’as fait avec succès. Ce n’est quand même pas rien, tu seras sans doute un très bon espion.

Devant le silence de Paul qui se demandait comment son ami avait eu ces informations, Sacha continua :

– Il ne faut pas perdre de vue que nous allons être amené à travailler pour un pays, ce n’est pas rien… Pour ma part, j’ai un parcours particulier, j’ai commencé aux Etats-Unis et je poursuis maintenant en France. Je ne sais pas vraiment ce que valent chacun de ces services d’ailleurs.

Paul réagit :

– Pourtant on l’étudie pas mal en cours. Les services français sont parmi les plus performants.

– En effet, mais la CIA, c’est quand même très classe. Avec un nom comme le tiens, tu n’aurais pas de mal à pouvoir travailler pour qui tu veux.

Paul pesa ses mots et cacha son agacement :

– Je fais mes études, je ne suis pas qu’un nom. J’essaye d’être bon en cours, pas simplement profiter d’un pseudo-héritage dans lequel je ne crois pas.

Sacha s’excusa :

– Oui, bien sûr, pardon, ce n’est pas ce que je voulais dire. Avec tes capacités, tu auras la chance de faire une belle carrière.

– Je ne serai pas le seul.

– Non, sans doute. Mais tu y as pensé ?

– Á quoi ?

– Où tu travailleras plus tard. La France ou un autre pays… Les Etats-Unis par exemple.

Paul laissa passer quelques secondes. Sacha sembla dans l’attente d’une réponse. Soudain, Paul comprit :

– Alors c’est pour ça que tu es là ?

– Qu’est-ce que tu veux dire ?

– Tu es ici pour trouver des espions français prêts à travailler pour les américains ?

Sacha ne répondit pas. Paul l’observa. Les yeux de l’américain fixaient le sol. Paul avait vu juste et tout s’éclaircissait soudain dans son esprit. Il continua :

– En fait, c’est même eux qui t’ont envoyé ici. Ils ont dû te demander d’observer les élèves, toi tu as fait quelques rapports et maintenant, tu tentes de me recruter. Je me trompe ?

Sacha hésita :

– Oui, un peu. On ne m’a pas demandé d’observer. On m’a demandé de te recruter. J’ai eu de la chance d’être tombé dans ta chambre et de devenir ton ami.

Paul n’attendit pas pour répondre :

– Ton ami ? Non, je suis juste ta cible.

– Non, c’est faux. Tu peux très bien être les deux.

– Tu sais bien que non. Tu as toujours eu en tête ta mission. Toutes ces discussions ont été influencées par elle. D’ailleurs, tu es français, tu as beau avoir fait un an aux Etats-Unis, tu ne devrais pas travailler pour eux.

Sacha attendit un instant :

– Paul, je vais être sincère et c’est parce que je te considère comme un ami que je le fais. Je ne suis pas français. Je suis né à Boston, ma mère est française. C’est pour cela que j’ai été choisi pour venir ici et te proposer de rejoindre les services américains. Mais ne t’inquiètes pas, ça ne changera rien. Tu continueras tes études ici, tu travailleras en France, dans un service français…

Paul le coupa :

– En envoyant des informations aux Etats-Unis et donc en trahissant mon pays ?

Sacha retrouva sa sérénité habituelle :

– Ce n’est pas trahir, c’est simplement informer. C’est nécessaire à la paix.

– La paix ? Parce que les Etats-Unis sont un modèle de paix ?

– Quand même…

La voix de Paul se fit plus sèche :

– Peu importe. J’imagine que si je refuse, tu proposeras à quelqu’un d’autre, Antoine ? Damien ? Lequel de tes soi-disant “amis” tu vas manipuler ensuite ? Lucy peut-être, ce serait plus facile encore !

– Ma mission, c’est toi. Lucy c’est…

Il coupa sa phrase et se reprit :

– Si j’échoue, je ne sais pas ce qu’on me demandera. Mais puisque tu m’as demandé ce qu’il se passerait en refusant, cela signifie que tu pourrais aussi accepter ? Sinon tu ne te poserais pas de questions sur les conséquences.

La logique de Sacha eut comme effet d’agacer encore un peu plus Paul :

– Non, pour une fois tu te trompes. Tu es sans doute bon espion, Sacha, mais sur ce point, tu te trompes. Je n’accepterai pas de servir un autre pays. Je n’y avais jamais pensé et je n’y penserais pas. Je ne suis qu’en deuxième année, il m’en reste trois avant de terminer mes études. Ensuite, je travaillerai pour l’état français. Si jamais je ne suis pas pris, alors je ne travaillerais pour personne d’autre.

Sacha resta silencieux. Paul continua :

– Et ce qui m’énerve le plus, c’est que toi, en qui j’avais confiance, peux maintenant faire la liste aux américains des futurs espions français et ruiner nos chances de carrière. Un excellent moyen de pression. Vous avez pensé à tout, n’est-ce pas ? J’imagine facilement que ça fait aussi partie de ta mission. Tu es un agent double finalement.

Paul regarda Sacha. Il sembla attristé ce qui peina le jeune espion français. Il voulut s’excuser de la dureté de ses mots et de son ton mais se résigna. Après tout, c’était Sacha qui était là dans un but qu’il avait caché, Paul n’avait rien à se reprocher.

Paul posa sa voix et continua :

– Et pourquoi ce ne serai pas toi, qui viendrai travailler pour la France ? Tu es démasqué maintenant, ta mission sera un échec… tu peux encore te rattraper. 

Sacha releva la tête et répondit comme une évidence :

– Car je suis américain.

– Et bien voilà, moi c’est pareil.

Sacha laissa passer quelques secondes :

– J’imagine que notre amitié va être plus compliquée maintenant. Que tu vas t’empresser d’aller me dénoncer. C’est ce qu’on fait aux traitres cela dit, ça fait partie du jeu. Mais avant, je dois te dire que non, je ne donnerai aucun nom. De toutes manières, ils savaient déjà que tu étais élève ici.

Paul ignora cette dernière phrase et réfléchit :

– Que notre amitié soit plus compliquée, je pense que pendant un temps c’est évident. Mais nous sommes dans la même chambre et je saurais cacher cela au mieux. Quant à ta seconde question, il y a peut-être une solution…

Sacha s’empressa :

– Laquelle ?

Paul fit mine de réfléchir. Il avait pourtant son plan bien en tête :

– Hé bien… Tu travailles pour les américains mais tu es sur le sol français. Tu serais sans doute mieux vu si tu arrivais à me convaincre de ne pas te dénoncer. Je te propose un marché. Je ne dis rien et en échange je veux tout savoir de ta mission pendant que tu es en France.

Sacha s’indigna :

– Mais c’est impossible, c’est secret défense !

Paul répondit avec le sourire :

– Je te laisses jusqu’à demain pour réfléchir ?

Sacha se leva, visiblement énervé :

– C’est tout réfléchi. Bonne nuit, “Favori“.

Paul regarda Sacha sortir de son espace. Il entendit quelques secondes plus tard la porte de la chambre se fermer. Paul était vexé. Sacha connaissait son surnom, affectueux dans la bouche de ses amis. Pour la première fois, on insinuait sérieusement qu’il était l’élève préféré de son responsable des études dans le but de le déstabiliser. Lorsque Sacha l’avait appelé “Favori” en faisant claquer ce dernier mot, il l’avait fait en insinuant que Paul allait raconter à Thomas Duchesne la vérité à son sujet et pour une seule raison, celle de se faire bien voir.

Paul se posa quelques secondes. Sacha était un élève intelligent, il était capable d’analyser les mots de son interlocuteur pour savoir exactement ce qu’il pensait. Il était aussi tout à fait à même de manipuler une personne en utilisant la parole. Paul réalisa que ce surnom avait eu exactement l’effet que Sacha avait recherché, vexer Paul pour qu’il n’aille pas voir son responsable d’étude, ne serait-ce que par fierté.

Le jeune espion se repassa la conversation. Le fait que Sacha travaille pour les américains le décevait. Il s’imagina un instant accepter mais chassa rapidement cette idée de sa tête. Il ne deviendrait pas un traitre.

Paul se leva. Il prit un tee-shirt et un caleçon et se rendit dans la salle de bain. Il entra sous la douche. Il n’arrivait pas à penser à autre chose qu’à cet échange avec Sacha. Dans quelques minutes, Antoine et lui reviendraient, comme si rien ne s’était passé. Si Paul avait un comportement différent à l’égard de Sacha, Antoine n’aurait aucun mal à savoir qu’il y avait eu un problème. Paul allait devoir se forcer à jouer le jeu, à faire semblant de considérer encore l’américain comme un ami. Plus il y pensait et plus cela lui paraissait impossible.

Le jeune espion se prépara et retrouva son lit. Ses camarades de chambre n’étaient pas rentrés.

Quelques minutes plus tard, alors qu’il était dans un demi-sommeil, Paul entendit la porte de la chambre, suivit de chuchotements complices. Il reconnut les voix d’Antoine et de Sacha. Ils pouffèrent de rire. L’idée que Sacha s’amuse avec Antoine après lui avoir dévoilé travailler pour les américains l’énerva encore plus. Il se força à ne faire aucun bruit.

Lorsque ses camarades s’endormirent, Paul, lui, était toujours bien éveillé. Il ne parvenait pas à trouver le sommeil.

Lassé de se tourner dans son lit, il se releva. Il se dirigea lentement vers la porte et sortit dans le couloir. Changer de l’atmosphère de la chambre lui ferait du bien. Il s’assit dans le couloir, la tête entre les jambes.

– Hé ! Paul !

Paul ouvrit un œil puis le second. Il releva la tête. Face à lui, Antoine, visiblement bien réveillé et habillé. Paul le fixa sans comprendre. Antoine continua :

– T’as dormi là ? Dans le couloir ?

Paul bafouilla :

– Heu… Oui, j’ai dû m’endormir. Il est quelle heure ?

– Six heures, je sors toujours un peu avant en ce moment pour courir une demi-heure. Tu veux venir ?

– Je ne pense pas être assez réveillé pour ça.

– Aller, va te préparer, on court une demi-heure et on rentre.

Paul se leva. Il regarda la porte de la chambre. Il n’avait aucune envie de se retrouver seul avec Sacha et pouvait tout faire pour l’éviter, même aller courir. Il se tourna vers Antoine :

– Ok, ça marche.

Cinq minutes plus tard, Paul était ressorti. Sacha dormait encore, il n’avait pas eu à lui parler.

Antoine et Paul commencèrent à trottiner. Paul demanda :

– Mais on a le droit de sortir si tôt ?

– Bien sûr, on n’est pas les seuls d’ailleurs. Tant que tu as dormi et que tu ne veilles pas, tu peux bien sortir une heure avant les autres.

Les deux garçons s’engagèrent derrière le bâtiment et se dirigèrent vers le stade. Antoine demanda :

– Tu préfères quoi ? Courir en forêt, dans le parc ou au stade ?

– Le parc, c’est plus régulier et ça changera du stade.

– Ok.

Paul en profita pour demander :

– C’était bien hier soir ?

– Comme d’habitude.

– Je vous ai entendu rire en rentrant avec Sacha.

– Ha ? Possible.

Antoine n’était pas bavard lorsqu’il faisait du sport. Paul se garda de poursuivre la conversation et attendit la fin de la séance, devant la fontaine au centre de la cour centrale. Antoine proposa :

       – On remonte ?

       Paul hésita :

       – Tu veux pas aller prendre le petit-déjeuner ?

       – Sans prendre de douche ?

       Paul se justifia :

       – On ira après, c’est pas grave, en plus on va être tranquille.

       – Pourquoi pas. De toutes manières on n’est pas loin de l’entrée.

       Les deux jeunes espions entrèrent dans le réfectoire presque vide. Paul avait rarement été aussi éveillé pour un petit-déjeuner et le sport lui avait creusé l’appétit. Il s’assit avec Antoine autour d’une table. Les deux garçons commencèrent à discuter. Paul reprit rapidement son sujet du moment :

       – Tu en penses quoi de Sacha ?

       Antoine s’étonna de la question :

       – Comment ça ?

       – Je ne sais pas, tu as bien un avis sur lui.

       – Physiquement ?

       – Non, pas physiquement, sur lui en général.

       – Ha, et bien il est sympa, drôle… Je me suis trompé sur son compte en début d’année. Pour tout te dire, ça m’ennuie aussi qu’il soit avec Lucy.

       – D’accord.

       Antoine dévisagea Paul :

       – Ha, toi t’as un problème avec lui.

       – Non, pas vraiment.

       – Si, ça se voit.

       Paul avait pourtant tout fait pour cacher son ressenti :

       – Comment tu vois ça, toi ?

       – Ton “d’accord“, il était sec, comme si ça ne te plaisait pas que je l’apprécie. D’ailleurs tu as resserré légèrement ta cuillère à ce moment, tu voulais cacher ton énervement mais je l’ai bien vu.

       La capacité d’observation d’Antoine avait toujours forcé l’admiration de Paul. Déjà, lors du premier cours de première année, Antoine avait su analyser qui était Paul en moins d’une heure. Pour Paul, il était inutile de cacher la vérité :

       – Bon, ok, mais tu le gardes pour toi ?

       – Je suis une tombe.

       – Hier, il est venu me voir quand vous étiez au foyer et moi dans la chambre.

       – Ah bon ?

       – Il m’a fait une proposition qui m’a un peu dérangé et je ne sais pas quoi faire.

       Antoine sourit :

       – Ha, finalement ça peut me plaire !

       Devant le sérieux de Paul, Antoine effaça son sourire et se recadra :

       – Pardon, continue.

       Paul reprit :

       – Il travaille pour les américains et il est dans cette école pour me recruter.

       Antoine hésita avant de répondre :

       – Tu me fais marcher, là ?

       – Non. C’est vrai.

       – C’est un peu gros quand même…

       – Tu n’es pas obligé de me croire, je te demande juste d’être prudent… Et de ne pas faire l’erreur d’accepter s’il te propose.

       – Pourquoi j’accepterais ?

       – Ne me dis pas que ce n’est pas séduisant d’aller travailler pour la CIA.

       – Non, je ne trouve pas…

       – Bon, très bien. Tu ferais quoi à ma place ?

       – Pour ?

       – Sacha. C’est un agent double…

       – Je préviendrais le directeur.

       – C’est vrai ?

       – Bah oui.

       – Mais c’est ton ami.

       – Et alors ? C’est un agent double, donc pas un vrai ami. Si ce que tu me dis est vrai, il faut agir, c’est tout. Mais surtout, on va arrêter d’en parler pour l’instant.

       Paul regarda Antoine avec interrogation :

       – Pourquoi ?

       – Parce qu’il arrive avec Arthur.

       Comme si la discussion avec Paul n’avait jamais eu lieu, Sacha s’assit avec ses camarades.

       Paul, qui avait terminé son petit-déjeuner, les salua et décida de s’en aller, suivi d’Antoine.

       Les jeunes espions remontèrent dans la chambre et se préparèrent. Ils furent rejoints par Sacha que Paul croisa dans la chambre pendant qu’Antoine prenait sa douche. Sacha le fixa :

       – Alors, ça t’a fait du bien ?

       Paul répondit, méfiant :

       – De quoi tu parles ?

       – D’aller tout raconter à Duchesne.

       – Je n’ai rien raconté à Duchesne.

       – T’es sorti cette nuit, je le sais.

       – Oui, mais pas pour ça.

       – Pour quoi ?

       – Ça ne te regarde pas.

       – C’est ce que tu dis. Ils se sont bien trompés finalement, ceux qui m’ont donné ma mission.

       – Pourquoi ?

       – Aller recruter un soi-disant un futur grand espion qui va tout raconter à son cher responsable des études à la moindre contrariété.

       Paul s’agaça. Il sera le poing, prêt à faire taire Sacha, même par la force. L’américain le remarqua et l’utilisa immédiatement :

       – Tu t’énerves ? La vérité fait mal on dirait. Tu peux me frapper, je ne suis pas du genre à aller raconter le moindre bobo à un surveillant et je ne te le piquerai pas, ton Thomas.

       Paul fit son maximum pour se calmer :

       – Je n’aurais jamais honte de me faire bien voir pour des bonnes actions. Tu ne connaitras peut-être pas cela, toi. Tu as changé, c’est dommage. Je t’aimais bien mais la peur t’a transformé en garçon prétentieux, prêt à utiliser le moindre argument, aussi petit soit-il pour avoir une information ou tenter de te protéger.

       – La peur ? Tu crois que j’ai peur de toi ? Toi qui ne sais pas régler tes propres problèmes ?

       – Tu te répètes, Sacha. Oui, tu as peur, c’est la seule explication à ton comportement. Tu essayes de me déstabiliser car tu sais que si Thomas est au courant, tu te feras renvoyer. Tu es sans-doute un très bon espion, tu analyses la parole comme personne et tu es capable de manipuler les gens. Mais, dès que tu es en train de perdre, tu paniques. Tu n’arrives pas à changer ta stratégie et à l’adapter à la situation. Tu pensais que me déstabiliser me ferait renoncer à aller rapporter ton cas à Thomas, mais non, ça ne me touche pas. Moi non-plus, je n’ai pas peur de toi.

       Sacha sourit, ce qui étonna Paul. L’américain remarqua :

       – On n’est pas si différent Paul, au-delà de nos aptitudes, nous sommes deux bons espions. C’est pour cela que je regrette que nous ne fassions pas équipe. Regarde, tous les deux, nous sommes partis en mission à dix-sept ans, nous sommes dans les meilleurs en permanence, nous avons cette aptitude à gérer les situations qui pour d’autres seraient une montagne et notre atout, c’est la parole. Alors, finalement, tu me ressembles un peu.

       – Non, tu te trompes. Nous ne sommes pas les mêmes, nous sommes même bien différents et ce sont nos valeurs qui nous éloignent.

       – Si tu le dis, Paul. Tant pis pour toi.

       Sacha n’attendit pas de réponse. Il prit ses affaires et sortit de la chambre.

       Paul attendit Antoine pour se rendre en cours. Pas un regard ne fut échangé avec Sacha de la matinée. Il était clair maintenant que les deux adolescents resteraient en froid.

       Pendant la pause de midi, Sacha déjeuna avec Lucy. Paul, Antoine, Arthur et Damien purent partager leur table.

       Le soir, Paul ne parvint pas à éviter Sacha au foyer, dans le groupe d’amis. Il s’en contenta sans pour autant lui adresser la parole. Lucy le remarqua :

       – Ça va, Paul ?

       – Oui, pourquoi ?

       – Tu n’es pas bavard, tu ne nous as même pas parlé de la soirée.

       – Je suis fatigué.

       Sacha intervint :

       – C’est le problème quand on sort voir son Thomas la nuit.

       Il recommençait à tenter de déstabiliser Paul sur ce sujet. L’espion français ne s’était pas trompé, dans une situation compliquée, l’américain avait dû mal à changer de technique et à s’adapter. Cette fois, le moment avait été mal choisi et Antoine prit la défense de Paul :

       – C’était déplacé, ça, comme remarque. Quand on le taquine, ce n’est que de l’humour, là c’est méchant et gratuit.

       Lucy, interloquée, demanda des explications à Sacha :

       – Pourquoi tu dis ça ?

       – Parce que c’est vrai, tout le monde le sait. Même vous, sous couvert d’humour, vous savez que je dis la vérité. Quand Paul a le moindre petit problème, il va voir Thomas pour être consolé. Je l’ai entendu sortir la nuit dernière, je sais très bien où il allait.

       Le ton de Sacha était méprisant. Le groupe d’amis ne le reconnaissait pas. Ils attendaient tous une réaction de Paul qui ne répondit pas. Il savait que Sacha tentait de rallier le groupe d’amis contre lui. Il se contenta de se lever et de se diriger vers la sortie de la pièce. Derrière lui, il entendait ses amis prendre son parti et tenter de raisonner Sacha. Tous trouvaient que sa réflexion avait été plus que déplacée. L’américain avait raté son coup mais continuait tout de même à soutenir que Paul allait à nouveau voir Thomas pour se plaindre.

Paul sortit du foyer. Vingt-quatre heure étaient passées depuis sa proposition à Sacha. Il traversa la cour et entra dans le hall d’accueil avant de monter au premier étage. Il se retrouva devant le bureau de Thomas et frappa.

Le jeune espion sourit en pensant que Sacha avait eu raison sur un point. C’était bien Thomas qu’il allait voir à cet instant.

La voix du responsable des études répondit qu’il pouvait entrer. Paul poussa la porte.

Thomas fut étonné de le voir :

– Tiens, Paul. Qu’est-ce que je peux faire pour toi à cette heure ?

Paul hésita :

– Il… faut que je vous parle de quelque chose d’important.

– Entre, assieds-toi.

Paul prit place sur l’une des deux chaises devant le bureau de Thomas. Le responsable des études s’assit face à lui :

– Je t’écoute.

– Il y a un agent double parmi les élèves.

Thomas sembla se figer. Ses yeux trahissaient son étonnement :

– C’est une accusation très lourde, Paul. J’imagine que tu ne m’annonces pas cela sans être sûr de toi… N’est-ce-pas ?

– Oui, il a essayé de me recruter.

Thomas précipita sa réaction :

– Qui-est-ce ? Il travaille pour qui ?

– La CIA je crois.

Thomas laissa passer quelques secondes. Il se calma et demanda avec une voix qui se voulait plus posée mais dans laquelle un trémolo se faisait sentir :

– Sacha Hayes ?

Paul hocha la tête et signe d’acquiescement. Thomas reprit :

– Il t’a dit autre chose en particulier ?

– Non, simplement qu’il avait été envoyé en France pour me recruter. Je lui ai proposé de ne rien dire s’il me donnait plus d’informations, il n’a pas voulu. Bien sûr, je vous aurais tout communiqué.

Thomas sembla ne pas entendre :

– Je le savais. Je leur avais dit que c’était une erreur. Maintenant, il connait beaucoup de choses. Trop de choses.

Il se laissa quelques secondes de réflexion avant de terminer :

– Merci, Paul. Je vais m’occuper de cela. Tu peux retourner auprès de tes amis. 

Le jeune espion précisa :

– Je pense qu’il ne donnera pas d’autres informations. Il est méprisant et n’est pas très bon devant le danger, mais je pense qu’il tiendra parole.

Sur ces mots, Paul remercia Thomas et sortit dans la cour. Il ne faisait pas beau. Il hésita à retourner au foyer mais se ravisa. Il prit la direction de la bibliothèque et choisit un livre. C’était Oliver Twist, en anglais. Il le commença et, lorsque la bibliothécaire s’approcha pour lui dire qu’elle allait fermer, Paul emprunta l’ouvrage pour le continuer dans sa chambre.

Il croisa son groupe d’amis à la sortie de la bibliothèque. L’ambiance était glaciale et la tension palpable. Même Lucy semblait tendue mais Paul ne parvint pas à savoir contre qui elle était en colère. Elle lui adressa un regard noir, le même qu’à son petit-ami américain qui ignora celui qu’il avait voulu recruter. Pour Paul, ce n’était pas grave. Maintenant, le sort de son camarade n’était plus entre ses mains.

Les jeunes espions retrouvèrent leur chambre. Paul ne tarda pas et se coucha immédiatement, tout comme Antoine, à qui il souhaita une bonne nuit, et Sacha. L’ambiance dans la pièce n’était plus celle qu’elle avait été, encore quelques jours auparavant.

Paul fut réveillé par un bruit qu’il ne put analyser immédiatement. Il ouvrit les yeux. Devant lui se tenait un homme, habillé en noir, protégé par un gilet pare-balle et un casque entourant sa tête encagoulée. Il tenait fermement dans ses mains un FAMAS. Paul redressa la tête. L’homme tourna la tête vers lui et lâcha la queue de détente de son arme pour porter son index devant sa bouche, signifiant à Paul de garder le silence.

La bouche de l’homme, apparente grâce à un trou dans la cagoule, laissait entrevoir à l’étudiant un léger sourire bienveillant, malgré le peu de lumière dans la pièce.

Paul entendit du bruit dans la chambre. D’abord un léger murmure, puis celui d’une personne qui tentait de crier, avec la bouche fermée.

Le silence se fit. Paul regarda l’inconnu devant lui. Il avait à nouveau posé la main sur son arme mais la lâcha pour mettre la paume de la main en direction de Paul, lui indiquant de ne pas bouger.

Il y eut des murmures, puis Paul comprit qu’un de ses camarades était en train de se lever.

La porte de la chambre s’ouvrit. L’inconnu qui gardait Paul passa la tête pour voir ce qu’il se passait puis se tourna vers Paul et lui dit d’une voix calme mais ferme :

– Tu dormais. Tu n’as rien vu ni entendu.

L’inconnu sortit de la pièce. Paul s’assit sur son lit. Quelques secondes passèrent, silencieuses. Puis, une lumière blafarde s’alluma et sembla courir sur les murs de la pièce. Paul entendit des pas discrets, la porte de la salle de bain se ferma.

Le jeune espion attendit. Il hésita à s’allonger à nouveau.

Quelques secondes plus tard, il entendit la chasse d’eau puis la porte de la salle de bain s’ouvrir à nouveau. Paul se leva et sortit de son box. Antoine s’approcha, éclairant Paul de sa lampe de poche.

Le jeune espion remarqua :

– Je suis réveillé, tu peux allumer la chambre si tu veux.

Antoine se retourna et appuya sur l’interrupteur, éclairant la pièce d’une lumière plus chaleureuse.

Paul s’approcha et ils s’assirent sur le lit d’Antoine qui commença :

– Ça y est.

– De ?

– Ils sont venus chercher Sacha.

– Oui, je m’en suis douté.

– Tu as tout dit à Thomas ?

– Non, juste le minimum.

– Pourquoi ?

– Il se doutait du reste, j’imagine. Il ne m’a pas posé de question.

Antoine laissa passer quelques secondes :

– Toi aussi, il y avait quelqu’un pour t’empêcher de bouger ?

– Oui.

– C’était qui ?

– Je ne sais pas, il avait une cagoule.

– Je veux dire… Quel service ? Ils n’avaient pas d’écusson.

– Je ne sais pas.

– Services secrets ?

– Sans doute.

– Lucy ne va pas être contente.

Paul considéra la situation. Il avait de la peine pour son amie, amoureuse depuis quelques semaines. Il était évident que Sacha ne reviendrait plus :

– Oui, mais elle s’en remettra, j’espère.

– Et nous ?

– Nous ? On s’en remettra aussi.

– Non, je veux dire… On lui dit quoi ?

– Rien, on dormait.

– D’accord.

Les deux garçons restèrent silencieux. Antoine regarda sa montre. Paul demanda :

– Il est quelle heure ?

– Trois heures douze.

Paul ne réagit pas. Antoine poursuivit :

– Tu es fatigué ?

Paul ne sentait aucune fatigue, le réveil devant cet inconnu armé l’avait réveillé. Il était inquiet pour les jours à venir. Il se demandait aussi ce qu’il se passerait si Sacha trahissait sa parole et divulguait les noms des élèves de l’Aigle. Les jeunes espions se retrouveraient peut-être sans école, leur couverture était fichue avant même la fin de leurs études. Il répondit enfin à la question d’Antoine :

– Non, je ne suis plus fatigué. Et toi ?

– Non plus, je ne pense pas que je vais dormir.

– Tu veux faire quoi ?

– J’ai un jeu de cartes. Tu veux faire une partie ?

Paul accepta.

Les deux espions jouèrent jusqu’au matin. Ils discutèrent de Sacha pendant un long moment, comme pour extérioriser l’évènement de la nuit. Ensuite, ils échangèrent sur leurs vies respectives.

Paul n’avait jamais eu cette discussion avec Antoine et réalisa qu’il ne le connaissait pas si bien. Cela lui fit plaisir de le découvrir un peu mieux. Antoine était un garçon sans histoire, très fleur bleue, passionné de sport et en particulier de natation. Paul apprit que son ami avait même été champion régional quelques années plus tôt. Antoine était aussi discret avec ses parents sur ses sentiments. D’après lui, ils ne supporteraient pas de savoir qu’il préférait les garçons et étaient particulièrement intolérants. 

Les deux garçons ne sortirent pas courir ce matin-là. Ils se rendirent dans les premiers au réfectoire, entièrement vide. C’était dimanche et rares étaient les élèves à se réveiller si tôt le weekend. Paul apprécia de ne pas voir Lucy dès le matin. Elle n’était sans doute pas encore informée du départ forcé de Sacha.

Ils regagnèrent ensuite leur chambre, attendant une heure plus avancée pour sortir.

Un peu après dix heures, on frappa à leur porte. Paul ouvrit, c’était Lucy, accompagnée de Damien et d’Arthur. Elle demanda :

– Sacha est là ? Je ne l’ai pas vu ce matin.

Paul répondit, le plus calmement possible :

– Non, je ne l’ai pas vu non plus, je pensais qu’il était avec vous.

Paul sentit chez Lucy une méfiance et une inquiétude inhabituelle :

– C’est bizarre, il est introuvable, et avec ce qu’il s’est passé hier…

– Ne t’inquiètes pas, il va bien finir par revenir.

Paul savait que c’était faux, mais il était incapable de dire la vérité à son amie. Devant son inquiétude il tenta :

– C’est dimanche, il a peut-être dû s’absenter et reviendra ce soir ou demain.

– Sans me prévenir ?

– Il n’a peut-être pas voulu te réveiller.

– Ça n’arrive jamais qu’un élève sorte en dehors des vacances.

– Si, je suis parti pendant quelques jours en début d’année.

Lucy reprit d’un ton qui sonna comme un avertissement aux oreilles de Paul :

– J’espère que tu as raison, Paul.

Elle fixa ses deux amis dans leur chambre et proposa :

– Vous venez ? On va à la bibliothèque pour faire notre travail pour la semaine. On va essayer d’oublier ce qu’il s’est passé hier.

Lucy avait vraisemblablement été marquée par leur soirée mouvementée. Paul et Antoine acceptèrent, c’était une idée raisonnable compte tenu de la grande quantité de devoirs qu’ils avaient pour les jours à venir.

Ils n’eurent aucune nouvelle de Sacha pendant cette journée. Lucy était visiblement inquiète mais n’en parla pas. Elle attendait un signe ou le retour de son petit-ami avec impatience, ce qui mettait Paul mal à l’aise.

Le lendemain, au petit déjeuner, Sacha n’était toujours pas présent. Lucy était plus inquiète encore que la veille, sachant que son compagnon n’était pas rentré au campus. Elle avait même demandé à l’infirmerie au cas où Sacha avait été blessé. Paul fut rassuré que son amie n’ait pas eu l’idée de demander à leur responsable des études. Pourtant, Thomas Duchesne aurait sans doute trouvé une bonne explication.

Le premier cours débuta. Paul était à côté d’Antoine, qui lui chuchota :

– On va devoir faire quelque-chose pour Lucy.

Paul hésita :

– Oui, mais je ne me vois pas lui dire la vérité, et puis on m’a bien dit de ne rien dire.

– J’espère qu’on aura rapidement une solution.

Soudain, on frappa à la porte. Le professeur donna l’entrée. Thomas Duchesne salua la classe de Paul :

– Bonjour à tous, je serai bref, je viens vous donner des nouvelles de l’un de vos camarades. Sacha Hayes a dû partir précipitamment dans la nuit de samedi à dimanche. Ses parents sont venus le rechercher pour repartir aux Etats-Unis.

Paul jeta un regard furtif à Lucy qui sembla se décomposer. Elle tentait tant bien que mal de contenir ses sentiments.

Thomas ressortit de la salle de classe en remerciant les élèves pour leur attention et le cours se poursuivit dans les murmures des camarades de Paul, rapidement éteints par le professeur.

A la fin du cours, Paul et Antoine sortirent dans les premiers, attendant leurs amis.

Lucy, les sourcils froncés, était parmi les derniers élèves à sortir. Elle se dirigea, pressant le pas, vers son groupe d’amis, les yeux fixés sur Paul :

– C’est toi hein ?

Paul prit l’air étonné :

– Moi ?

– C’est toi qui as fait en sorte qu’il parte. Tu ne le supportais pas. Je sais que c’est à cause de toi ! J’ai bien vu ces derniers jours, tu ne lui adressais pas la parole et ça s’est mal terminé. Il avait raison, tu es allé voir ton cher Thomas qui te laisse tout passer, tu n’as eu qu’à demander pour que Sacha soit viré. De toutes manières il m’a tout dit !

Paul resta sans voix le temps de digérer ce que Lucy venait de dire. Il se reprit et tenta de raisonner son amie :

– Calme toi… Il t’a dit quoi ?

– Que tu voulais qu’il s’en aille, que tu allais inventer ce que tu pouvais pour ça ! Je le sais.

Antoine intervint :

– Tu te fais des films, Lucy, Paul a été le premier à l’accueillir. Et tu as entendu Duchesne, il a dû repartir précipitamment.

– Je sais que c’est faux. Comme tout dans cette école. Vous n’êtes qu’une bande de manipulateurs et prêts à tout pour arriver à vos fins. Paul, tu es le pire d’entre tous ! Tu nous cache tout. Comment tu peux expliquer qu’il m’ait dit avant-hier qu’il allait partir à cause de toi ? La nuit suivante il disparait.

Paul répondit :

– Peut-être qu’il savait qu’il allait devoir partir mais qu’il ne voulait pas avoir cette discussion avec toi. Il t’a dit ça pour pas que tu le retiennes car vous vous aimiez et que ça lui faisait du mal, il ne voulait pas te dire au revoir et préférait trouver une personne extérieure pour se cacher.

– Tu es un menteur, Paul Osinski. Tu détruis tout, c’est ta grande spécialité, en particulier quand c’est le bonheur des autres ! Surtout quand ça te rend jaloux. Tu devrais essayer d’être heureux par toi-même plutôt que d’abaisser le niveau des autres pour te sentir mieux.

Paul ne sut quoi répondre. Il vit la main de Lucy se lever. Damien retint son bras et la fit pivoter vers lui pour intervenir d’une voix étonnamment calme :

– Hop, on arrête ça, Lucy. Tu sais que c’est faux. Ici, les élèves ne sont pas renvoyés si un autre élève raconte quelque chose sur lui. On ne serait plus très nombreux sinon. Paul n’a rien d’un grand destructeur ni ne parait particulièrement malheureux. Sacha a dû partir avec ses parents, son père a été rappelé aux Etats-Unis. Tu ne veux pas voir la vérité car tu es triste qu’il soit parti, mais c’est comme ça.

Lucy se défendit en murmurant :

– Non, ce n’est pas vrai…

Doucement, elle se résignait. Une larme perla sur sa joue. Damien, qui tenait toujours son bras, la fit se rapprocher de lui et l’enlaça pour la réconforter.

Thomas Duchesne passa dans le couloir :

– Jeunes gens, vous avez cours. Rejoignez votre salle de classe.

Il adressa un regard à Paul, accompagné d’un sourire en coin. Paul comprit que Thomas savait exactement ce qu’il se passait. Son sourire trahissait sa personnalité. Il était insensible à la tristesse de Lucy ou au désarroi de Paul. Il restait un très bon agent, satisfait d’avoir pu régler un problème de contre-espionnage, le reste était futile et finirait par passer. Paul le regarda s’éloigner. Il se demanda si l’inconnu dans sa chambre n’était pas Thomas. C’était impossible, il n’allait pas venir sur le terrain pour cette histoire.

Damien relâcha son étreinte pour libérer Lucy tout en gardant son bras. Le groupe se dirigea vers le cours suivant, silencieusement.

Lucy ne se remit pas réellement du départ de Sacha dans les jours suivants. Elle avait en permanence cet air triste d’une personne qui se retrouve perdue, seule. Le soutien de Damien n’y changea que peu de choses, cependant, il semblait être le seul à parvenir à lui faire décrocher un timide sourire. Paul était admiratif de ce talent jusqu’à lors caché de son ami. Lucy en voulait à Paul, elle ne semblait pas savoir exactement pourquoi mais, même si elle ne l’exprimait pas, le jeune espion savait qu’elle le considérait toujours pour responsable du départ prématuré de Sacha. Elle ne lui adressait que peu la parole et, lorsqu’elle le faisait, ce n’était que par des phrases courtes et avec un ton las lorsqu’il n’était pas sec.

Paul s’en contenta. Il savait que le temps effacerait la peine. Il ne s’en voulait pas d’avoir dénoncé Sacha. Après tout, c’était un espion américain. Antoine le soutenait dans cette vision, ce qui rassurait le jeune espion et le confortait dans sa décision. Ce soutien, le fait de partager la même chambre et les discussions qu’ils avaient maintenant tous les deux les avaient aussi rapprochés.

A chaque fois qu’il passait devant le lit vide de Sacha, Paul ne pouvait tout de même pas s’empêcher d’avoir un léger pincement au cœur.

Les vacances de février arrivèrent. Paul les avait attendues avec grande impatience. Le climat qui avait régné dans le groupe d’amis lors de cette dernière semaine avait été particulièrement tendu.

Il profita de ce temps hors du campus pour se reposer, voir son ami Louis et jouer. Il détestait toujours autant cette période de l’année et les quelques beaux jours lui indiquèrent que bientôt, le printemps prendrait la place de l’hiver, le froid céderait progressivement sa place à la chaleur du soleil et, il l’espérait, la morosité s’en irait pour retrouver une ambiance plus heureuse.

Les vacances passées, Paul était de retour sur le campus, reposé.

Dès son arrivée, il retrouva Antoine et Arthur. Ils eurent à peine le temps de se retrouver que Damien arriva, suivi de près par Lucy. Elle avait le sourire, un sourire franc retrouvé que Paul apprécia voir. Cela lui importait peu qu’elle lui en veuille, son air gai suffisait. Il hésita à lui parler au-delà du traditionnel bonjour de retrouvailles. Heureusement, c’est elle qui fit le premier pas :

– Paul, je peux te parler… en privé ?

Paul suivit Lucy à l’écart du groupe d’amis sans dire un mot. Lucy sembla chercher comment tourner sa phrase :

– Paul, j’ai réfléchi et… Je suis désolée.

– Comment ça ?

– De ce que j’ai pu te dire, d’avoir pu te blesser. Je sais que tu n’y es pour rien pour Sacha, j’étais juste triste et il me fallait un coupable. Comme vous ne vous entendiez pas trop avant son départ et qu’il m’avait dit que tu voulais qu’il parte, j’ai pensé que c’était toi. Mais je sais que tu avais raison, il m’a menti pour ne pas me faire de peine. Je ne sais pas où il est exactement mais je suis sûr qu’un jour il m’enverra un message. Pour le moment, son téléphone est toujours sur messagerie…

Paul hésita à lui dire la vérité mais il réalisa que pour Lucy, cette version était la meilleure. C’était sans aucun doute celle-là qu’elle souhaitait garder. Le jeune espion laissa passer quelques secondes en silence. Devant son amie qui semblait dans l’attente d’une réponse, il finit par lui dire :

– Je suis content que tu aies réalisé cela, même si je sais que ça n’a pas été facile pour toi. Ça m’ennuyait de ne pas pouvoir avoir les mêmes discussions qu’avant, que tu m’en veuilles. Mais tu sais, on est là, et je suis là aussi. Si tu as besoin.

– Je sais, merci, c’est important pour moi. Et, je voulais te poser une autre question.

– Oui, bien sûr.

– Damien, tu le connais bien…

Devant l’hésitation de son amie, Paul répondit :

– Oui, c’est un ami.

Lucy se rattrapa :

– Enfin, tu le connais mieux que nous, l’année dernière vous étiez toujours ensemble et cette année vous vous voyez souvent.

– Oui.

– Tu crois que j’ai mes chances ?

Cette question étonna Paul. Il se demanda pourquoi Lucy venait lui demander à lui son avis sur cette interrogation, si peu de temps après la fin de sa relation avec Sacha. Cela le fit sourire :

– Je ne sais pas, ce n’est pas un peu tôt ? Mais si tu veux savoir ce que je pense, il avait l’air de tenir à toi, alors, j’imagine que peut-être.

Lucy s’amusa :

– “J’imagine que peut-être“. Tu me fais toujours autant rire, Paul.

– C’est vrai, je ne suis pas à la place de Damien, mais si tu as des sentiments, ça ne coûtera rien de le lui dire.

– Et toi ?

– Moi ? Non, je n’ai pas de sentiment pour Damien.

Lucy pouffa de rire :

– T’es bête ! Je ne t’ai jamais vu avec une fille, t’es un peu timide non ?

– Moi ? Non, mais je n’en parle pas forcément.

– Alors… Il y a quelqu’un ?

Devant la curiosité de son amie, Paul répondit sur le ton du secret :

– Non, mais je te promets que tu seras la première informée si ça arrive.

– T’as intérêt !

Après quelques secondes, Lucy termina :

– Allez, on va rejoindre les autres et… merci d’être mon ami Paul.

Le jeune espion se contenta d’un hochement de tête. Lucy et lui retrouvèrent leurs amis.

Le calme était revenu dans ce groupe plus soudé que par le passé. Antoine et Paul gardèrent leur secret. Ils profitaient parfois de leur chambre, dans laquelle aucun élève avait pris la place de Sacha, pour échanger à ce sujet. Doucement, l’américain se faisait oublier.

Les cours reprirent leurs droits pour les six semaines suivantes. Le baccalauréat s’approchait, le professeur de français avait accéléré le rythme des textes à apprendre et demandait un effort supplémentaire à ses élèves.

C’est pendant ce mois que Paul passa sa première épreuve, les travaux personnels encadrés. Cela ne lui posa aucun problème, comme si cette première épreuve avait été un détail. Il la réussit sans difficulté. Maintenant, c’était concret, le bac était bien enclenché.

Paul, concentré sur ses cours, ne vit même pas la date des vacances de Pâques arriver. Pourtant, comme toutes les vacances, il les appréciait.

Il en profita pour rendre visite à Louis, dès le mardi.

Alors que le jeune espion pensait que le sujet de son école ne reviendrait pas, son ami était visiblement à nouveau décidé à en savoir plus.

A peine Paul était-il arrivé chez Louis, que celui-ci lui demanda :

– Alors, les cours ?

L’espion répondit d’un ton distant :

– Ça va. Et toi ?

– Oui, bientôt le bac.

Paul remarqua :

– On a encore un peu de temps.

– Tu es prêt ?

– J’espère que je le serai quand ça arrivera.

Louis attendit quelques secondes avant de continuer :

– Vous passez le bac quand même ?

– Oui, pourquoi ?

– Je ne sais pas, comme ton école est quand même particulière.

– Je t’ai déjà dit que non.

– Tu ne veux toujours pas me dire alors ?

Paul s’agaça :

– Mais… Il n’y a rien à dire.

Louis insista :

– Je ne sais pas, c’est comme si ton école était un secret défense. Impossible de te faire décrocher le moindre mot ni même savoir ce qu’il s’y passe ou qui sont les autres élèves.

– C’est une école classique, mais on est obligé d’être en internat. C’est un beau campus et tout s’y passe bien.

– Et les profs ?

– Ils sont assez cools dans l’ensemble.

– Vous portez un uniforme ? Comme en Angleterre ?

– Non, c’est normal, comme toutes les autres écoles.

– Et je pourrais y entrer ?

La question dérangea Paul. Il répondit à Louis avec le plus de tact possible :

– Tu sais… Je crois qu’on ne peut entrer qu’en seconde là-bas.

Louis sembla embêté :

– Encore un truc bizarre.

Paul voulut trouver un moyen pour clore le sujet :

– Ecoutes… Je demanderai à l’administration dès que je serai là-bas, à la rentrée. Si jamais il y a une possibilité, je te le dirai.

– Merci. Mais tu connais déjà la réponse, n’est-ce pas ?

Paul resta songeur. Il savait très bien que c’était mission impossible de faire entre Louis en troisième année, mais il ne voulait pas décevoir son ami :

– Je te tiens au courant, promis.

Les deux amis changèrent de sujet et jouèrent le restant de l’après-midi.

A dix-huit heures passées, Paul salua Louis et sortit.

Sur le chemin du retour, il tourna et retourna les mots de la discussion qu’il avait eue avec son ami dans sa tête. Il se demandait comment il allait pouvoir s’y prendre pour demander à l’administration si Louis pouvait être admis. Il ne pourrait participer qu’à la rentrée de troisième année, il aurait un retard considérable sur les autres élèves dans les matières d’espionnage. Paul savait qu’il ne pouvait demander qu’à Thomas, et il avait peur de paraître prétentieux. Les élèves contactés l’étaient généralement par cooptation et après une étude approfondie de leur dossier. Paul, lui, n’était personne pour se permettre de proposer un élève.

Soudain, il eut un déclic. Il connaissait deux personnes qui avait le poids nécessaire pour le renseigner et, si besoin, appuyer une candidature. Cela voulait dire briser le silence sur le sujet avec Frank ou Pawel Osinski, son père et son grand père. Ils étaient des agents respectés et reconnus. Paul n’aimait pas mêler sa famille et ses études. Il faisait tout pour ne pas être comparé aux deux espions qui l’avaient précédé. Il ne parlait jamais de l’école ou de l’espionnage en famille, sauf lorsque son grand-père lui avait offert son cadeau de Noël. Le jeune espion avait bien compris que c’était son parcours et qu’il n’aurait aucun soutien ni aucune aide familiale, pas plus que les autres élèves. Frank et Pawel, comme Paul, voulaient qu’il fasse ses preuves, seul.

Le jeune espion était tout de même décidé à en parler à son père, ne serait-ce que pour lui demander des conseils. Maintenant, c’était la manière d’aborder le sujet que Paul tentait d’imaginer. Sans avoir trouvé la réponse, il se retrouva devant la porte de son appartement.

Paul entra, son père l’accueilli :

– Salut ! Ça s’est bien passé avec Louis ?

– Oui très bien. Et toi ta journée ?

– Ça va, journée de boulot.

Paul hésita :

– Maman n’est pas encore rentrée ?

– Non, pas avant une heure.

– Je voulais te parler d’un truc…

Paul avait lancé cette phrase sans même y réfléchir. Il vit le visage de son père changer, on y lisait une forme d’inquiétude :

– Oui, bien-sûr, qu’est-ce qu’il t’arrive ?

– C’est au sujet de l’Aigle.

– Ha.

Le ton avait été neutre. Frank se servit un whisky, ce qu’il ne faisait presque jamais. Il prit un petit paquet de gâteau apéritif sans dire un mot. Il se tourna vers Paul :

– Prends à boire, on va aller dans le salon, j’ai besoin de m’asseoir.

Paul prit un verre et se servit de l’eau gazeuse. Il retrouva son père, assis sur l’un des fauteuils du salon. Il prit place sur le canapé, face à lui. Frank demanda :

– Alors, de quoi voulais-tu me parler ? Tu n’es plus heureux là-bas ?

Paul s’étonna de cette question :

– Si, tout se passe bien ! Je suis très bien sur le campus, c’est pas ça.

Paul sentit que son père était mal à l’aise d’évoquer ce sujet. C’était la première fois qu’ils en discutaient depuis l’an passé. Paul continua :

– J’ai une question sur les procédures de l’école.

Paul regarda son père qui se détendait à vue d’œil. Il avait retrouvé un sourire discret, comme s’il avait été soulagé de savoir que les inquiétudes de son fils n’étaient qu’administratives :

– Ha oui ? Quelle procédure ?

– Les admissions. Ce n”est vraiment rien comme question.

Frank était d’un naturel direct et indiqua à son fils d’aller droit au but :

– Dis-moi ce que tu veux savoir.

– Un élève peut entrer autrement qu’en première année ?

Frank réfléchit :

– Je dois dire que ça ne m’est jamais arrivé. Ce n’est pas la procédure classique en effet mais rien ne l’interdit. Cependant, il lui faudra un dossier en béton et d’excellents parrains.

– Plusieurs parrains ?

– En général, si on souhaite présenter un élève en première année, il est conseillé d’avoir deux parrains. Ensuite, à moins de trois ça sera compliqué.

Paul voulut en savoir plus :

– Mais on ne peut rentrer qu’en étant parrainé ?

– En première année non, il y a des enquêtes sur de nombreux élèves qui ne sont pas parrainés ou qui n’ont qu’un parrain mais d’autres, environ la moitié, comme toi, le sont par deux ou plus. Ensuite oui, c’est obligatoire.

– J’ai été parrainé ?

– Oui, bien sûr.

Paul se doutait que son père et son grand-père avaient joué un rôle dans son entrée à l’Aigle mais il souhaitait une confirmation :

– Qui étaient mes parrains ?

– Il y a forcément quelqu’un qui initie le dossier, qui fait la demande. C’est obligatoire. Ensuite il y a eu deux autres personnes qui ont appuyé ta demande.

Paul était étonné de savoir qu’il avait eu trois parrains et ne parvint pas à deviner qui pouvait être le troisième. Il demanda :

– Tu sais qui étaient mes parrains ?

– Oui.

Le jeune espion comprit que son père ne dirait rien mais il espérait qu’il aurait joué un rôle dans son entrée. Il revint sur son sujet principal :

– Donc, c’est possible d’entrer en troisième année ?

– Dans l’absolu oui, pas facile mais faisable.

– D’accord.

Le silence se fit. Frank le brisa d’une voix calme et posée :

– Qui est-ce ?

Paul ne put retenir un sourire. Son père lisait en lui comme dans un livre ouvert. Il se demanda si l’espion face à lui avait déjà mené des interrogatoires dans des missions car cela lui irait à merveille. Le jeune espion hésita à répondre mais, face au silence déjà trop long, Frank répondit pour lui :

– Louis ?

Paul acquiesça. Son père n’attendit pas pour lui demander :

– Tu lui as parlé ?

– De l’Aigle ?

– De ce que tu y faisais vraiment.

– Non.

– C’est bien. C’est lui qui t’a demandé ?

– Oui.

– Et tu lui as dit quoi ?

– Que je ne savais pas si c’était possible mais que j’allais me renseigner.

– C’est bien, je te félicite.

– Qu’est-ce que j’aurai pu répondre d’autre ?

– Je ne te félicite pas pour ta réponse, mais pour m’avoir demandé, d’avoir tenu la parole donnée à ton ami.

– Alors, tu penses que je peux demander à mon responsable d’études ?

Paul observa son père se lever. Il remuait le whisky dans son verre, lentement. Il regarda Paul puis laissa son regard se perdre un instant par la fenêtre qui donnait sur la cour. Il but le reste de Whisky avant de dire :

– Je le parrainerais. Ne va pas voir Thomas, je m’en occuperai.

Paul retourna en cours avec la satisfaction de savoir que son ami Louis aurait l’appui de son père. Frank connaissait bien le meilleur ami de son fils. S’il avait voulu le parrainer, c’est qu’il était sûr qu’il ferait un bon élève. Paul savait pertinemment que son père réfléchissait ses actions. Cela le rassura. Il choisit cependant de ne rien dévoiler à son ami et de laisser les choses se faire naturellement.

Lors de son retour en cours, il retrouva avec joie son groupe d’amis. Chacun échangea sur ses vacances, cependant, seul Antoine avait eu une réelle activité puisqu’il était parti skier dans les Alpes. Paul savait que si son ami était resté inactif, il se serait ennuyé. Il ne pouvait jamais rester sans rien faire.

Les cours reprirent leur rythme habituel. Après une semaine, les élèves avaient retrouvé leurs habitudes. C’était la dernière ligne droite avant le baccalauréat et la fin de l’année.

En filière scientifique, Paul avait deux épreuves de français, une à l’écrit et l’autre à l’oral, en plus de la présentation de son travail personnel encadré qu’il avait passée en mars. Il avait hâte de finir ses épreuves, ainsi que celles internes à l’Aigle, pour passer en troisième année.

Pendant cette dernière période, les élèves de l’Aigle eurent un weekend de quatre jours à l’occasion de l’Ascension. Ils n’étaient pas autorisés à rentrer chez eux et Paul reconnut qu’il avait tendance à s’ennuyer lors des journées sans cours.

Pour s’occuper, il alternait, avec ses amis, entre la bibliothèque et le foyer. Antoine s’éclipsa régulièrement pendant ces quatre jours.

Le samedi après-midi, alors que Paul, Lucy, Arthur et Damien discutaient sur les gradins du stade où ils venaient de courir, Lucy demanda :

– Vous avez des nouvelles d’Antoine ? Il n’a pas été beaucoup avec nous ce weekend.

Damien répondit :

– Il doit être amoureux.

– Pourquoi ?

– L’année dernière, il faisait la même chose lorsqu’il sortait avec Clément.

– Il pourrait nous le présenter quand même. On est ses amis et il sait bien qu’on est content pour lui.

Paul intervint, prenant la défense de son ami :

– Il le fera en temps voulu. D’ailleurs, on n’en sait rien, c’est peut-être autre chose.

Paul, au fond de lui, espérait qu’Antoine s’éclipsait pour une autre raison. Ils étaient dans la même chambre et discutaient souvent tous les deux. Il aurait eu envie d’être le premier informé si son camarade de chambre et ami était en couple.

Antoine les retrouva le soir même. Personne ne lui posa la moindre question.

Le dimanche soir, après une journée d’absence, Antoine revint auprès de ses amis qui discutaient devant la fontaine de la cour centrale du campus. Paul le vit arriver, accompagné d’un garçon qu’il n’avait jamais vu. Il avait le physique fin, de taille moyenne. Cheveux bruns coupés courts, yeux noirs derrière des lunettes rondes et un sourire discret aux lèvres, trahissant sa timidité. Antoine fit les présentations :

– Les amis, je vous présente Anselme.

Lucy demanda :

– Salut ! Tu es arrivé cette année ?

Anselme répondit :

– Oui, je suis en première année. Vous êtes tous en deuxième année ?

Tous répondirent de concert par l’affirmative. Lucy se tourna vers ses amis et les désigna un par un :

– Voici Arthur, Damien et Paul. Moi c’est Lucy.

– Enchanté.

– La première année se passe bien ?

– Oui, ça va. Antoine m’aide bien sur certaines matières, heureusement d’ailleurs.

Anselme fut tout de suite bien accueilli dans le groupe. Tous préféraient l’avoir avec Antoine plutôt que de se retrouver à quatre. De plus, un groupe de six était l’idéal pour les tables du réfectoire.

Le lendemain, lundi trois juin, Paul attendait le premier cours avec ses amis lorsque Thomas Duchesne apparut dans le couloir. Il se dirigea vers eux et s’adressa à Paul :

– Peux-tu venir me voir cet après-midi après tes cours ? J’aimerai discuter avec toi.

Paul acquiesça :

– Oui, bien-sûr, je viendrai.

Le responsable des études salua le groupe d’élèves et fit volte-face, repartant par le couloir d’où il était venu. Antoine remarqua :

– Alors là, maintenant il te convoque directement juste pour discuter. Et tu vas nous dire que tu ne mérites pas ton surnom ?

Malgré le sourire de son ami, Paul resta songeur, se demandant quel était le but de cette rencontre avec son responsable des études. Lucy lui demanda :

– Pourquoi il veut te voir ?

– Aucune idée…

– Peut-être que ta grand-tante est décédée !

Lucy ponctua sa phrase par un large sourire, montrant sa référence au mensonge que Paul avait dû dire à ses amis avant de partir en mission, en début d’année. Il répondit :

– Je ne pense pas, en plus le bac arrive.

– Oui, c’est vrai. Tu nous raconteras ?

– Oui, bien-sûr.

– La vraie version ?

– Oui, ne t’en fais pas.

Paul reconnut qu’il méritait bien ces remarques de la part de ses amis et que ce n’était qu’un moindre mal. Ils avaient étonnamment bien réagi en apprenant que leur ami leur avait menti, Paul pouvait bien supporter quelques remarques.

La journée passa sans que Paul ne pense plus à ce rendez-vous avec son responsable des études. Après les cours, il se dirigea vers le bureau de Thomas Duchesne qu’il connaissait maintenant bien. Il frappa et entra.

Le responsable des études l’accueillit et lui fit signe de s’asseoir avant de commencer :

– Bonjour, Paul. Tu sais pourquoi je t’ai demandé de venir ?

– Non, pas du tout.

– J’ai eu ton père au téléphone. Il m’a fait suivre ce weekend un dossier de candidature pour un nouvel élève. Il semblerait que tu le connaisses bien.

Paul joua l’innocent :

– Ha bon ?

– Oui, d’ailleurs je t’ai déjà vu avec lui, lorsque je t’ai recruté. Louis… Louis Jacobsen.

Paul répondit avec franchise :

– Oui, en effet, c’est mon meilleur ami.

– Bien. Je ne sais pas si tu le sais, mais il est très exceptionnel que nous autorisions un élève à rejoindre le campus en dehors de la première année. D’ailleurs, il lui faut trois parrains. Comme tu dois le savoir, il en a déjà deux mais je ne sais pas trop quoi penser de cette candidature.

– C’est-à-dire ?

– Je me doute que, puisque c’est ton ami, tu seras ravi de le voir rejoindre notre campus. Tu y as sans doute une part d’implication, mais, parfois, il est bien de séparer, de ne pas confondre amitié et scolarité.

Les mots de Thomas Duchesne étaient durs aux oreilles de Paul qui eut l’impression qu’on remettait en doute son intégrité, que Louis profitait de lui pour entrer à l’Aigle. Il tenta de se défendre :

– Non… Je pense que…

Le responsable des études le coupa :

– Ton avis est forcément biaisé, Paul. C’est normal, c’est ton ami, tu veux qu’il vienne te rejoindre, qu’il vive les mêmes expériences que toi quand elles te paraissent être les meilleures, et si je te demande si tu es sûr qu’il est fait pour nous rejoindre, alors tu me diras oui. Mais entrer en troisième année ce n’est pas rien. Tout d’abord, c’est le dernier moment où l’on accepte des élèves. C’est exceptionnel mais c’est faisable. A partir de la quatrième année, ce n’est plus possible. Ensuite, cela veut dire qu’il aura du retard dans toutes les matières qui ne sont pas générales. Je ne sais pas s’il aura les capacités de rattraper.

Paul tenta de rassurer Thomas :

– C’est quelqu’un d’intelligent.

– Sans doute… J’ai regardé son dossier scolaire, c’est vrai qu’il est bon. Mais il me semble un peu… dissipé.

Paul s’étonna :

– Comment pouvez-vous savoir ça ?

– Tu sais, on enquête un minimum ici. Lorsque je t’ai recruté, j’aurai pu proposer à Louis de se joindre à nous, mais il ne me semblait pas à la hauteur, c’est pour cela que tu as été le seul que j’ai approché ce jour-là.

– C’était il y a deux ans.

– En effet, c’est pour cela que je pourrai être amené à reconsidérer la possibilité qu’il nous rejoigne. Mais ce point noir me dérange.

– Un point noir ?

– Sa volonté d’être le meilleur peut être une bonne chose, pas quand il s’agit d’être arrogant.

Paul tomba des nues, ce n’était pas le portrait de son ami :

– Louis n’est pas arrogant.

– Tu ne vas pas en cours avec lui, mais il a une fâcheuse tendance à se penser le meilleur, ce n’est pas toujours une bonne chose, même si dans son cas c’est souvent vrai. L’humilité est une qualité essentielle tu sais ?

Paul trouva que son responsable des études exagérait. De plus, des personnes arrogantes, il y en avait aussi sur le campus. Arthur, lui aussi, se pensait être le meilleur et malgré la grande sympathie que Paul lui portait maintenant, il était difficile de ne pas décrire le garçon des mêmes mots que ceux utilisés par Thomas à cet instant pour caractériser Louis. Paul tenta à nouveau de défendre son ami :

– Oui, mais Louis…

Thomas le coupa :

– Plusieurs personnes m’ont donné le même avis.

Paul ne sut quoi répondre. Il avait l’impression que Thomas l’avait convoqué uniquement pour critiquer son ami. L’étudiant se demanda si le responsable des études n’y prenait pas un certain plaisir. C’est lui qui choisissait s’il allait donner son parrainage ou non. Le jeune espion pensa que ça ne lui ressemblait pas. Il n’était pas du genre à aimer profiter d’une situation de supériorité malgré son poste.

Sans réponse de Paul, Thomas enchaîna :

– Tu sais, Paul, l’année prochaine, je risque de m’occuper des élèves de troisième année. Les responsables d’études de chaque classe monteront avec leurs élèves pour pouvoir les suivre au mieux. C’est une décision qui a été prise récemment et il ne manque que la validation du Conseil des Sages. Si je parraine ton ami, je l’aurai dans mon niveau. Je ne tiens pas à avoir un vantard qui perturbera la bonne ambiance qui existe dans votre classe. Tu comprends ce que je veux dire ?

Paul hocha la tête. Il était content de savoir que Thomas resterait sans doute son responsable d’étude et comprenait ses inquiétudes bien qu’il ne les rejoigne pas.

Derrière son bureau, Thomas soupira :

– Il a de bons parrains, j’imagine aisément que si je ne le parraine pas, un autre le fera.

Paul, curieux, demanda :

– Qui sont les deux premiers ?

Thomas fixa Paul, l’air abasourdi :

– Comment ça ? Tu ne sais pas ?

Paul se doutait que son père constituait le premier des deux mais il persistait un doute quant au second :

– Non.

– Tu sais au moins qu’il y a cette proposition ?

– Je l’imaginais, je pense que mon père est l’un des parrains, j’en ai parlé avec lui mais sans lui forcer la main. Je lui avais simplement demandé s’il existait une procédure en troisième année. Cependant, je ne connais pas le second parrain.

Thomas sourit :

– Je suis ravi de savoir que tu n’as pas insisté auprès de qui que ce soit pour cette candidature, j’imagine que ton père estime que ton ami est donc en mesure d’intégrer le campus… Il le connait ?

– Oui, Louis vient souvent chez moi. Mais ça ne me dit pas qui est son deuxième parrain…

Thomas prit son temps avant de répondre, comme s’il hésitait à livrer une réponse :

– C’est aussi en raison de ce deuxième parrain que je sais qu’il y aura forcément une troisième signature. C’est un membre d’honneur de l’Aigle, reconnu pour son travail et ses missions prestigieuses… Je sais pertinemment qu’un candidat présenté et soutenu par Monsieur Pawel Osinski… ton grand-père, sera acceptée. C’est aussi pour cela que je pensais que tu en avais parlé à ton père et à ton grand père.

Paul répondit honnêtement :

– Non, seulement à mon père.

– Bien…

Thomas réfléchit et continua sa phrase :

– Alors c’est ton père qui a demandé à ton grand-père ?

– J’imagine.

– Penses-tu que cela aurait pu être décidé pour te faire plaisir ?

Paul réfléchit. Ce n’était pas la manière de procéder de son père :

– J’en doute fortement.

– Pardonne cette soudaine curiosité, Paul. Tu comprends, ton père est connu pour son côté intègre, mais je ne sais pas comment il est avec toi. Tu sais aussi que je ne tolérerai pas que cela change le sérieux de tes études ?

– Oui, je le sais, et ça n’arrivera pas. Louis et moi avons été dans la même classe pendant plusieurs années, cela ne m’a pas empêché d’être bon élève. Ça ne m’a pas déconcentré non plus. Aujourd’hui, je sais ce que je veux, et je veux d’abord terminer mes études de la même manière qu’elles ont commencées. De toutes manières, j’ai aussi des amis ici, dans ma classe, et je ne pense pas être mauvais élève.

Thomas reconnut que l’argumentation se tenait. Il faisait confiance à son élève :

– Tu n’as pas tort, si ce n’est que ces amis dont tu parles, tu les as rencontrés ici. J’aurai aussi besoin, pour terminer, de connaître ton avis sur cette question, que penses-tu de cette candidature ?

Paul prit le temps de réfléchir avant de répondre :

– Je pense que d’un côté, cela me fera plaisir que Louis soit avec moi, mais d’un autre côté… Ce sera étrange.

– Étrange ?

– On n’est plus en cours ensemble depuis deux ans, je suis entré dans une école d’espionnage dont il ne sait absolument rien, je ne lui ai même pas dit ce qu’on faisait ici, ce qu’on apprenait. J’imagine que s’il le découvre, il m’en voudra un peu. Cependant, s’il vient, c’est aussi car je l’ai un peu aidé. J’ai de nouveaux amis ici et, peut-être par égoïsme, j’ai un peu peur qu’ils deviennent amis avec Louis… Alors je suis partagé.

– Je vois. Je ne pense pas que tes amis préfèreront Louis à toi, car si je comprends bien, c’est aussi de cela qu’il est question. Ils ont vécu avec toi deux années qui vous ont particulièrement liés. J’espère simplement que ton ami s’intégrera. J’ai besoin que tu me confirmes que tu ne t’opposes pas à sa venue. Cela influencera forcément mon choix et mes discussions avec les recruteurs.

Paul se laissa quelques secondes de réflexion supplémentaires. C’était le moment où jamais. S’il acceptait, Louis pourrait le rejoindre. S’il refusait, Louis n’aurait plus aucune chance d’intégrer l’Aigle. C’était son meilleur ami, il lui avait promis qu’il ferait en sorte de se renseigner pour le faire entrer et il ne pouvait pas le poignarder dans le dos. Le jeune espion répondit :

– Non. Je n’y suis pas opposé.

Thomas posa les mains sur son bureau :

– Parfait. Je vais y réfléchir de mon côté avant de faire un choix. J’imagine que s’il est fait pour ça, il rentrera. Cependant, je demanderai peut-être un redoublement.

– Un redoublement ?

– Oui, qu’il entre en deuxième année. Cela lui fera moins à rattraper et il pourra garder ses notes du bac de cette année. Ce sera mieux pour lui.

Paul ressenti un soulagement. Finalement, que Louis entre à l’Aigle dans une autre classe était peut-être la meilleure solution pour tout le monde. Il sortit de ses pensées :

– C’est toi qui décides.

Paul réalisa soudain qu’il était passé au tutoiement, ce qu’il n’avait plus fait depuis sa mission. Thomas l’avait remarqué et souri :

– Oui, j’espère bien.

Sur ces mots, Paul se redressa et salua Thomas avant de sortir pour retrouver ses amis.

A peine arrivé, ils le questionnèrent, Lucy en tête :

– Alors ? C’était pour quoi cette discussion ?

– Pas grand-chose.

– Arrêtes, la dernière fois que tu nous as dit ça, t’es parti en mission.

– Rien à voir, visiblement il veut recruter un de mes amis, il voulait savoir ce que j’en pensais.

– Ha c’est génial ! On va enfin pouvoir connaitre un morceau de ta vie si palpitante dont tu ne veux jamais nous parler !

– Comment ça ?

– En deux ans, je ne connais pas grand-chose de toi. Tu n’es pas du genre à te confier. Je ne sais pas si un seul d’entre nous sait ce que tu faisais avant.

Antoine, avec qui Paul avait régulièrement de longue discussion dans leur chambre, intervint :

– Si, moi.

Damien, que Paul avait longtemps considéré comme son meilleur ami sur le campus, compléta :

– Moi aussi.

Lucy fut vexée en apprenant que ses amis en savaient plus sur Paul qu’elle ne le pensait :

– Ha… Alors j’en apprendrai plus toute seule.

Damien demanda :

– C’est Louis ?

Paul s’étonna :

– Oui. Comment tu sais ?

– Aucune idée, c’est le seul de tes amis que je connaisse. Donc on va l’avoir dans notre classe l’année prochaine ?

– Non, Thomas réfléchit encore à le recruter, mais de toutes manières ce sera sans doute en deuxième année… Pour qu’il ne soit pas trop dépassé.

Anselme, silencieux, osa prendra la parole :

– Il sera peut-être dans ma classe !

– Tu veux faire quelle filière ?

– S.

– Alors oui, sans doute.

– J’espère qu’il est sympa !

Paul répondit d’un sourire. Il avait toujours trouvé ces remarques idiotes. Si Paul était ami avec Louis, c’était forcément qu’il le considérait comme quelqu’un de sympathique, cela lui semblait évident.

 Le troisième lundi de juin, dans l’après-midi, Paul était devant sa table, dans le gymnase principal de l’école. L’épreuve écrite de français commençait un quart d’heure plus tard.

Les élèves, qui avaient dû arriver une demi-heure avant le début de l’épreuve, se jetaient des regards furtifs, parfois accompagnés de sourires complices.

Thomas Duchesne arriva avec l’enveloppe contenant les sujets. Il s’adressa à ses élèves :

– Bonjour à tous, je vous souhaite tout d’abord une très bonne réussite pour cette première partie de votre baccalauréat. Je tiens aussi à vous dire que l’épreuve interne à l’Aigle aura lieu mercredi matin, à huit heures. Vos oraux sont programmés le vingt-cinq suivi d’entretiens individuels le lendemain. Concernant votre épreuve interne, elle sera composée de questions en lien avec les matières d’espionnage. Il n’y a pas de tests sportifs, la moyenne de vos matières dans ce domaine seront regroupées et nous en tirerons une note unique. Je vous laisse maintenant entre les mains de vos professeurs.

Les copies furent distribuées et à quatorze heures précises, les élèves étaient autorisés à commencer.

Paul parcourut le sujet. Il traitait de la poésie, du moyen-âge à nos jours. Pour le jeune espion, il n’y eut aucune difficulté particulière. Il termina d’écrire une demi-heure avant la fin de l’épreuve et se relut avant de rendre sa copie, satisfait.

A la sortie, le sujet de français était au cœur des discussions. Cependant, il laissa rapidement la place aux interrogations quant à l’épreuve qui les attendaient le mercredi matin. Pour pouvoir se préparer au mieux, les élèves n’avaient pas cours le mardi. Ils passèrent leur journée à réviser et, le lendemain, à huit heures, Paul fut devant sa copie.

Le sujet comportait cinq cents questions sous forme de QCM. Ils avaient quatre heures, soit un peu moins de trente seconde par question.

Si personne ne leur avait précisé l’importance de cet examen final dans leur note générale, Paul savait qu’elle était particulièrement élevée. Il avait eu de bons résultats lors des contrôles tout au long de l’année et ne s’en faisait pas pour son admission en classe supérieure. Cependant, il avait aussi envie d’être le meilleur, comme l’an passé.

Il commença à répondre, jetant régulièrement un regard à l’heure. Plus il avançait, plus les questions étaient précises et plus il devait passer du temps sur chacune d’entre elles. Il s’aperçut qu’il prenait progressivement du retard.

Une heure avant la fin de l’épreuve, il avait répondu à trois cent vingt-deux questions. Le temps pressait.

Une demi-heure avant la fin, il comprit qu’il ne pourrait pas terminer. Il lui restait quarante-deux questions, et elles devenaient particulièrement dures.

L’heure fatidique arriva. La voix de leur professeur d’EPS, amplifiée par son micro, retentit dans le gymnase :

– Posez vos crayons, nous allons ramasser vos copies.

Paul cocha une dernière réponse. Il regarda son numéro, quatre cent soixante-deux. Il lui manquait trente-huit questions pour terminer le sujet et il s’en voulait.

Une fois les copies ramassées, Paul retrouva ses amis en dehors du gymnase. Il était le dernier du groupe à sortir. Lucy avait l’air furieuse et l’accueillit quasiment en l’agressant :

– Et toi ? Je suis sûr que tu as répondu à tout parfaitement !

Paul hésita :

– Heu… Je ne sais pas, qu’est-ce qu’il se passe ?

– Ce qu’il se passe ? Tu as vu le sujet ? C’était impossible de finir ! J’ai répondu à quatre-cent quarante questions !

Paul rassura son amie :

– Oui, calme-toi, je n’ai pas pu finir non plus.

Lucy sembla se calmer :

– Ha bon ? Toi ?

– Ben… oui, moi. Pourquoi ?

Cette fois, la jeune espionne passa à l’euphorie :

– Mais c’est génial !

Paul s’étonna :

– Pourquoi génial ?

– Si tu n’as pas fini, personne n’a pu terminer. Donc c’est qu’ils ont mal fait leur sujet.

Arthur intervint :

– Ou très bien.

Lucy se tourna vers lui :

– Pourquoi ? Si personne ne peut terminer c’est idiot.

– Non justement, c’est… brillant !

Cette fois, Lucy ne comprenait pas ce que son camarade voulait dire. Arthur s’expliqua :

– L’Aigle teste nos connaissances, c’est vrai, mais on est en permanence mis à l’épreuve sur d’autres choses, comme notre capacité à s’adapter, nos manières de réagir…

– Oui, et ?

– Et quelqu’un qui a répondu à tout, c’est qu’il a mis une grande partie au hasard, il aura forcément moins de point et l’école se méfiera.

– Je ne suis pas convaincue…

– Mais si, c’est logique ! En plus c’est une énorme sécurité ! Si une partie des élèves répond correctement à tout et termine dans les temps, c’est qu’ils ont triché. Si certains répondent à tout et ont une bonne note, c’est qu’ils ont de la chance, et ceux qui répondent mal, c’est qu’ils ont tout coché au hasard en espérant avoir bon. C’est loin d’être idiot !

Lucy commençait à comprendre la logique du test :

– Donc ça veut dire que c’est normal ?

– Exactement.

– Toi tu as répondu à combien ?

– Quatre cent cinquante.

Lucy se tourna à nouveau vers Paul :

– Et toi ?

– Quatre cent soixante-deux.

Lucy eut l’air rassurée. Paul trouvait que la méthode employée pour le test, si Arthur disait vrai, était particulière mais il reconnaissait aussi qu’elle était bien pensée.

Les élèves de première scientifique avaient quelques jours avant leur épreuve d’oral.

Pendant les jours qui le séparait de cette date, Paul révisa avec ses amis l’ensemble des textes étudiés en cours.

Il passait à quinze heures. C’était une heure qu’il n’appréciait pas, au milieu de l’après-midi, au moment où il était le moins performant.

Pourtant, il se présenta sûr de lui devant l’examinatrice, une femme grande, fine, à l’air sévère. Paul estima son âge à soixante ans. Pendant toute l’épreuve, elle fixa Paul de ses yeux marrons et pétillants, derrière des lunettes aux montures fines et dorées.

D’une voix sèche, elle asséna à Paul une rafale de questions sur son année littéraire. Paul, qui n’était pas un grand lecteur, répondit tant bien que mal, ayant l’impression à chaque fois que sa réponse décevait l’examinatrice.

A la fin de l’épreuve, le professeur le salua à peine, laissant à Paul un doute important sur sa réussite.

Il y avait trois examinateurs. Damien était le seul à avoir été interrogé par la même personne que Paul et il avait eu exactement le même sentiment.

Maintenant, il fallait attendre deux semaines pour avoir les résultats de ces épreuves du baccalauréat. Les élèves, eux, rentreraient chez eux le samedi précédent, après une semaine sans cours sur le campus.

Ce soir-là, après avoir fêté la fin des épreuves avec ses amis, Paul retrouva sa chambre à minuit, accompagné d’Antoine.

Il découvrit sur son lit une enveloppe. Paul frissonna. Il avait encore bien présent en sa mémoire les menaces qu’il avait reçues l’an passé dans des enveloppes similaires placées sous son oreiller. Il reprit ses esprits et s’approcha lorsqu’il entendit Antoine :

– Hé, Paul ! Toi aussi tu as une enveloppe ?

Paul se sentit rassuré :

– Oui, c’est quoi ?

– Attends, je n’ai l’ai pas ouverte.

Paul s’approcha de son lit et ouvrit l’enveloppe. Il en sortit une feuille pliée en deux. En en-tête, il trouva son nom, suivi d’un titre :

Convocation – Entretien de fin d’année

Il lut le court message centré au milieu de la page :

Monsieur Osinski, merci de vous présenter ce mercredi à dix heures précises, salle 201

Antoine sortit Paul de sa lecture :

– C’est la convocation pour demain.

– Oui, j’ai vu.

Le lendemain, Paul se présenta un peu avant dix-heures devant la salle 201. Arthur le précédait. Lorsque la porte s’ouvrit, c’est avec un grand sourire que le camarade de Paul sortit :

– Félicitations. Tu peux entrer.

Paul ne comprit pas la remarque d’Arthur et pénétra dans la salle de cours. Derrière le bureau du professeur, Thomas était assis, préparant un dossier :

– Bonjour Paul, je t’en prie, assied-toi.

Paul prit place en face du responsable des études. Le climat était détendu :

– Bonjour Thomas.

– Comment vas-tu ?

– Bien, je suis content d’avoir terminé les épreuves. Et toi ?

Pendant sa mission, Thomas avait dit à Paul que, lorsqu’ils étaient dans la même pièce sans autre personne, il pouvait le tutoyer. En cette fin d’année, Paul avait choisi d’en profiter. Le responsable d’études répondit sans aucune remarque :

– Je te comprends. Tu vas pouvoir profiter de vacances bien méritées… Et moi aussi. J’attends déjà avec impatience mon premier diner chez des amis.

Paul sourit devant l’égarement de son responsable des études sans répondre. Thomas se reprit :

– Nous sommes là pour faire le bilan de cette année scolaire et pour te donner les résultats du test de fin d’année. Avant tout, je tenais à te féliciter pour cette deuxième année exemplaire. Bien sûr, cette mission de début d’année était particulière mais nous nous en sommes bien sortis. Quant à Sacha Hayes… Je garderai toujours en mémoire le fait que tu as su nous signaler rapidement ce qu’il se passait.

Thomas marqua une pause et continua :

– Sur le plan scolaire, tu as une moyenne, test compris, de dix-huit et demi, ce qui te place en première position dans ta classe. Félicitations.

– Merci.

– Je dois maintenant te poser la dernière question de l’année… Souhaites-tu poursuivre tes études à l’Aigle ?

Paul ne put cacher un sourire satisfait en répondant :

– Non.

Le jeune espion observa le visage de son responsable des études se décomposer. Il sembla pâlir avant de bégayer :

– N… non ? Paul… Tu as bien réfléchi ? Tu ne veux pas rester chez nous l’an prochain ? Tu es un excellent élève et nous comptions sur toi…

Paul sourit :

– A ton avis ? Tu crois vraiment que je pourrais me passer du campus ?

Thomas se calma mais répondit sur un ton qui trahissait encore son étonnement passé :

– Ne me fais plus de coup comme celui-là. Tu m’as vraiment fait peur !

– Désolé.

Thomas retrouva enfin son sourire :

– Non, tu m’as bien eu. Bienvenue en troisième année Paul, à moins que tes résultats aux épreuves du bac français ne soient pas satisfaisants, mais je pense que nous n’aurons pas de surprise.

Thomas et Paul échangèrent un sourire entendu et le responsable des études libéra son élève.

Paul retrouva ses amis, tous avaient bien entendu confirmé leur choix de passer en troisième année.

Antoine était quatrième de la classe. Lucy et Damien étaient sixième et septième.

Arthur, deuxième, avait étonnamment bien prit le fait que Paul l’ait devancé. Il gardait en tête qu’il avait battu un autre très bon élève, Ethan, arrivé troisième. Arthur s’était amélioré depuis l’année passée, quand il ne supportait pas de voir un autre élève meilleur que lui. Paul comprit les félicitations de son ami avant son rendez-vous personnel.

Le jeudi après-midi, veille du dernier jour de l’année, Paul avait laissé ses amis, comme il le faisait parfois, pour se ressourcer dans sa chambre. Ces moments de solitude étaient nécessaires pour lui. Il avait pris l’habitude, au moins une fois par semaine, de s’isoler dans sa chambre. C’était un choix que ses amis avaient compris et Antoine ne dérangeait jamais son compagnon de chambre pendant ces moments.

Paul repensa à son année. Cette fois, il eut rapidement envie de retrouver ses amis qu’il allait quitter deux jours plus tard.

Il sortit de la chambre et descendit l’escalier. Il allait continuer vers l’auditorium pour rejoindre le foyer lorsqu’il entendit une voix familière :

– Hé ! Paul !

Le jeune espion se retourna. Mike s’approcha de lui, souriant :

– Tu vas bien ?

– Oui, et toi ?

– Oui, très bien. Tu n’es pas avec tes amis ?

– Je vais les rejoindre au foyer.

– J’y vais aussi. Je suis content de te voir.

– Moi aussi.

Les deux élèves se mirent en marche. Mike continua :

– Tu sais, dans deux jours, ce sont les vacances…

– Oui.

– Et nous ne nous reverrons plus ensuite.

Paul réalisa que Mike terminait sa cinquième année. Il avait fini ses études à l’Aigle. Il eût un pincement au cœur, il appréciait Mike qui avait toujours fait preuve de bienveillance pendant ces deux années à l’égard du jeune espion, le conseillant toujours avec sagesse. C’était lui qui lui avait appris son passé familial, qui l’avait encouragé lors des moments de doute.

Le jeune espion répondit :

– Oui, c’est vrai que tu vas partir. Tu vas faire quoi ensuite ?

– Pendant l’été, je vais me reposer et en septembre, j’espère rejoindre la DGSE ou continuer à l’Aigle.

– L’Aigle ?

– Oui, dans les bureaux. Je me suis beaucoup engagé pendant mes études et j’aimerai bien rester dans l’organisation. J’aime l’espionnage, mais peut-être que ma place est dans les bureaux.

– Ou sur le campus ?

– Non, malheureusement, je n’ai pas assez d’expérience pour être prof ici, il faut avoir fait quelques missions.

– Pourquoi tu ne deviens pas responsable d’études ? Tu serais très bien !

– Pour les mêmes raisons, tant qu’on n’a pas une expérience de terrain ou quelques années dans l’organisation, c’est mission impossible. En plus tous les postes sont occupés.

– C’est vrai…

– Mais en restant à l’Aigle, je pourrais peut-être partir en mission aussi. Il y a quelques postes de coordinateurs qui pourraient m’être ouverts. Tout cela est encore incertain.

– Je te le souhaite !

– Quoi qu’il en soit, je ne serai plus sur le campus.

– Oui, malheureusement.

– Tu sais… Je tenais à te dire… Je suis persuadé que tu seras un des meilleurs espions que ce pays connaisse. Surtout, ne doute pas de tes capacités. Je pars mais d’autre prendront ma place, et peut-être qu’ensuite ce sera toi. Tu as tout pour devenir l’espion que tu veux être et je ne m’en inquiète pas.

Paul fut touché par ces mots :

– Merci, Mike.

– Et prends soin de Nathan !

Paul se souvint du cousin de Mike, qu’il avait vu lors de la nuit pendant laquelle les élèves de première année partaient pour leur mission d’intégration :

– Ne t’inquiètes pas, s’il a besoin, il pourra compter sur moi.

– Merci. J’ai beaucoup apprécié te rencontrer et passer un peu de temps avec toi pendant tes deux premières années !

– Moi aussi, et merci pour ce que tu as fait pour moi.

– C’est normal, je n’ai rien fait d’exceptionnel !

Paul sourit devant l’humilité de son ami qui continua :

– Je suis persuadé qu’on se reverra dans les prochaines années.

– Je l’espère !

Les deux espions échangèrent un sourire et Mike poursuivit :

– Ça va me faire bizarre de quitter le campus samedi.

– J’imagine.

– Profites bien des trois prochaines années, tu verras, ça passe vite.

Paul tourna la tête vers son ami :

– Tu ne serais pas déjà un peu nostalgique ?

Mike répondit en souriant :

– Un peu, sans doute.

Paul ne répondit pas. Ils arrivèrent au foyer. Mike reprit :

– Bien, je te laisse avec tes amis. J’irai leur dire au revoir demain pendant la soirée.

– Pas de problème ! A demain alors.

Mike tint la main vers Paul qui la serra. L’ainé conclut :

– N’oublie pas, rien n’est laissé au hasard à l’Aigle. Si on te propose quelque-chose, c’est que tu en as les capacités. A bientôt.

Mike relâcha la main de Paul. Il lui adressa un dernier sourire et disparut vers d’autres élèves de sa classe.

Paul retrouva ses amis. Il se sentait bien dans cette école, et était heureux de connaitre toutes ces personnes qui étaient devenues ses amis.

Le lendemain, pour le dernier soir sur le campus, pas de dîner au réfectoire de prévu.

De grandes tables avaient été installées dans le parc du campus. Un immense barbecue fournissait la viande pour les élèves, accompagnée de frites. Il faisait bon, Paul se sentait bien.

Avant le dessert, les différents responsables d’études prirent la parole, remerciant les élèves pour leur année et leur souhaitant à tous de bonnes vacances.

Après le diner, la soirée se poursuivit, toujours dans le parc, où les élèves discutaient autour des tables ou dansaient.

Damien et Lucy étaient partis sur la piste de danse. Paul restait avec ses autres amis, assis à quelques mètres de l’agitation, sur la pelouse. Il les regarda un a un. Arthur, observateur et rêveur, regardait le ciel :

– C’est beau, quand même.

Paul leva à son tour les yeux au ciel :

– Oui, ça fait peur aussi.

– Pourquoi ?

– Tu te rends compte de l’immensité autour de nous ? On n’est pas grand-chose finalement.

– Oui, mais on s’en fout. On est bien.

Antoine répondit :

– Oui.

Paul le regarda, assis, les bras autour d’Anselme devant lui. Ils semblaient heureux, Paul était content pour Antoine qui paraissait bien mieux avec Anselme qu’avec Clément.

Paul regarda à nouveau la voûte étoilée qui les couvraient, emplie de nombreuses étoiles.

Damien et Lucy arrivèrent. Lucy demanda :

– Alors ? De quoi vous parlez ?

Antoine répondit :

– On se disait qu’on n’était rien mais qu’on s’en fichait parce qu’on était heureux.

Paul baissa les yeux sur Lucy, debout. Elle leva les yeux à son tour :

– C’est vrai, c’est beau.

Damien posa ses bras autour de la taille de son amie et la tête sur son épaule :

– Comme toi.

Paul sourit devant la remarque de Damien. Il ne l’avait jamais entendu dire une remarque romantique, bien qu’il trouvât que cette dernière avait été particulièrement classique.

Antoine ne put s’empêcher de remarquer :

– Décidément, Lucy, les soirées de l’Aigle te réussissent.

Lucy baissa le regard vers son ami :

– Faut croire. Au moins, Damien ne partira pas aux Etats-Unis en cours d’année.

Les six amis restèrent un moment silencieux, repensant à leur année et à l’immensité de l’univers au-dessus d’eux. L’air était frais en ce soir d’été, mais agréable.

La dernière soirée de l’année se termina vers trois heures du matin. Le groupe se sépara et chacun retrouva sa chambre.

Paul se coucha, l’oreiller lui caressa la joue. Il s’endormit.

Lorsque l’on est élève à l’Aigle, bien que l’on suive le même cursus que les élèves des autres lycées, il y a toujours quelques particularités. C’est ce que Paul avait pu remarquer au cours de ces deux dernières années.

Les résultats des épreuves anticipées devaient être publiées le deuxième jeudi de juillet. Pourtant, le mercredi, Paul reçut un mail de l’adresse du secrétariat de l’Aigle, ayant pour objet “Résultat de votre baccalauréat“.

Paul ouvrit le mail et lut le message :

Cher élève,

Merci de trouver ci-dessous les résultats aux épreuves anticipées du baccalauréat :

TPE : 18/20

Épreuve écrite de français : 18/20

Épreuve orale de français : 19/20

L’Aigle n’est pas responsable des notes attribuées. Ainsi, en cas de contestation, merci de nous contacter par téléphone afin de connaître la marche à suivre.

Vous souhaitant un bel été,

Bien à vous,

Secrétariat de l’Aigle

Paul sourit. Ses résultats allaient au-delà de ses espérances. Il envoya un message à chacun de ses amis. S’ils avaient eu des résultats légèrement inférieurs, tous avaient largement dépassé la moyenne et partaient avec des points d’avance pour la suite de leur baccalauréat l’année suivante. 

Le soir, il attendit avec impatience le retour de ses parents. Il prépara un apéritif.

Lorsque Frank arriva, il s’étonna :

– Tiens, on fête quelque chose ?

Paul répondit, sourire aux lèvres :

– J’ai eu les résultats du bac.

– Déjà ? Alors ?

– Dix-huit en TPE et à l’écrit, dix-neuf à l’oral.

– C’est bien, avec ces notes-là tu pars bien pour l’an prochain.

C’est à ce moment que Maude, la mère de Paul, entra dans l’appartement :

– Bonjour vous deux, en pleine discussion ?

Frank répondit :

– Paul a préparé l’apéritif, il a eu de bonnes notes au bac.

– Super ! Combien ?

– Dix-huit, dix-huit et dix-neuf.

– Parfait. Je vois qu’on va fêter ça !

Paul et ses parents partagèrent une bouteille de champagne et dînèrent d’un grand apéritif.

Paul voyait régulièrement Louis pendant les vacances. Ils partaient tous deux en vacances à la fin du mois de juillet.

 Ils se retrouvèrent une dernière fois chez Paul avant leurs départs.

A peine arrivé, Louis interpella son ami :

– Faut que je te dise un truc, Paul.

L’air enjoué de Louis faisait plaisir au jeune espion :

– Ha oui ?

– J’ai rencontré un mec que tu connais avant-hier.

– Ha bon ? Qui ?

– Tu te souviens, le mec bizarre qui nous suivait il y a deux ans ?

Paul savait très bien que Louis parlait de Thomas Duchesne mais joua l’innocent :

– Je ne me souviens pas de tout ce qu’il s’est passé il y a deux ans, tu sais ?

– Allez, je sais que tu t’en souviens. Tu savais qu’il était espion ?

– Qu’est-ce que tu me racontes ?

– Bon, il m’a proposé d’entrer dans ton école, je sais tout, ne t’en fais pas, tu peux arrêter de jouer la comédie.

Paul sourit :

– Alors ? Tu vas y rentrer ?

– Tu me poses vraiment la question ?

– Jusqu’à maintenant tu ne savais pas ce que c’était, peut-être que maintenant tu vas changer d’avis.

– On me propose de devenir espion et je vais refuser ? T’es malade ? En plus je serai dans la même école que toi ! Ça ne te fait pas plaisir ?

– Si, j’avais peur que tu réagisses mal au fait que je ne t’ai pas dit la vérité jusqu’à maintenant.

– C’est normal, je comprends que tu aies été obligé de garder le silence.

Paul ne répondit pas. Louis continua :

– Par contre, on ne sera pas dans la même classe. Si j’accepte, je dois refaire mon année de première pour rattraper le retard dans certaines matières.

– C’est logique. Mais tu acceptes de redoubler ?

– Évidemment.

– Et tes parents ?

– Mon père m’a dit qu’il avait appelé le tiens. Il l’a convaincu que je devais m’y inscrire. Mais… Ton père sait ce qu’on fait dans cette école ?

– J’en sais rien, on a interdiction d’en parler à notre entourage, pourquoi ?

– Non, comme ça.

Paul n’eut pas le temps de parler, Louis enchaîna :

– Tu te rends compte ? On va être des espions !

Paul calma les ardeurs de son ami :

– Oui, enfin c’est une des possibilités en sortant de l’école, mais il faut quand même aller jusqu’au bout de la cinquième année.

– Tu as passé des tests en entrant, toi ?

– Oui, comme tout le monde.

– Visiblement je vais avoir un mois d’intégration, et après ce mois ils décideront si je peux rester ou non.

Paul comprit que, même si Louis entrait en deuxième année, il ne serait pas exempt du mois de test, traditionnel à tout nouvel élève dans l’espionnage. Il réalisa que, si Sacha y avait échappé, c’était parce qu’il avait déjà passé un an dans une autre école similaire.

Paul répondit à Louis :

– C’est normal, ils vont voir si tu es assez motivé.

– C’est dur ?

– Tu verras bien, surtout que je n’ai peut-être même pas passé le même.

– En tous cas, je vais passer les vacances à m’entrainer.

– Tu fais bien, c’est physique comme école.

Louis hocha la tête. Les deux garçons changèrent de sujet et s’installèrent devant la console de jeux-vidéo. Louis ne put s’empêcher de reparler de l’Aigle à plusieurs moments de l’après-midi.

Paul était content que son ami ait la possibilité de rejoindre la même école que lui, mais il se demandait toujours si cela n’allait pas perturber son groupe d’amis. Il ne voulait pas que Louis l’empêche de continuer à les fréquenter en le sollicitant trop régulièrement. De plus, il serait en deuxième année, certainement avec Anselme, ce qui, finalement, leur laisserait que peu de temps pour se voir.

Frank rentra à dix-huit heures. Paul et Louis arrêtèrent leur jeu pour le saluer. Louis ajouta :

– Merci.

Frank s’étonna :

– Pourquoi ?

– Pour avoir parlé à mon père de ma nouvelle école.

– Ha, de rien, je n’ai fait que dire ce que j’en pensais avec ce que j’en connaissais à travers Paul, mais je suis ravi si j’ai pu t’aider.

Les deux garçons retournèrent jouer avant que Louis ne retourne chez lui.

Le soir, à table, Maude annonça qu’elle ne serait pas avec Frank et Paul le vendredi soir. Elle avait un rendez-vous avec une amie avec qui elle resterait diner. Frank lui répondit :

– Alors on passera une soirée ensemble, avec Paul, c’est très bien.

Le vendredi, Paul entendit son père rentrer depuis sa chambre. Il semblait en pleine discussion. Le jeune espion se concentra et put percevoir Frank dire :

– Entre, bienvenue, on va se mettre dans le salon.

Paul sortit de sa chambre pour découvrir qui était l’invité de son père en ce soir où Maude était absente et alors qu’il devait passer la soirée en tête à tête avec son père. Il arriva sans le salon et regarda la personne assise sur le canapé. Il reconnut avec étonnement Thomas Duchesne. Il s’approcha et saisit la main tendue de son directeur des études :

– Bonsoir. Vous… Allez bien ?

Thomas lui sourit, sans relâcher sa main :

– Très bien. Je te propose qu’on se tutoie ici aussi, on aura bien le temps de reprendre les formalités l’an prochain. Ton père m’a invité à venir diner. Ça ne te dérange pas au moins ?

– Non, j’étais juste surpris de vous… te voir.

Thomas relâcha la main de Paul qui s’assit dans le canapé, rapidement rejoint par son père :

– Salut Paul, je ne fais pas les présentations ?

– Je pense que ce ne sera pas nécessaire.

Si Frank ne parlait jamais de son travail avec son fils, ce soir-là, les trois espions discutèrent un long moment de l’Aigle, de Paul puis de Louis. Frank était persuadé des capacités du meilleur ami de son fils, ce qui sembla rassurer Thomas.

Si au début, Paul eut du mal à se sentir à l’aise avec son responsable d’étude chez lui, il prit rapidement confiance et participa aux conversations.

Thomas partit après le diner, vers minuit. Il dit au revoir à Frank puis à Paul :

– Ne t’inquiètes pas, je ne dirai rien à tes amis, je sais bien qu’ils ont tendance à croire que je t’ai à la bonne.

– Ha bon ?

– Un surnom ça circule…

Paul avait pris l’habitude et son surnom, “Le favori“, ne le dérangeait plus. Il savait que ses amis l’appelaient ainsi avec humour et bienveillance. Ils avaient trouvé ce terme car ils avaient été persuadés en première année qu’il était l’élève préféré de Thomas. Paul répondit d’un sourire, relâcha la main du responsable des études et le laissa partir.

Frank regarda la télévision pendant que Paul retrouva sa chambre. Il s’allongea sur son lit et repensa à cette année chargée qu’il venait de vivre. Il était heureux dans cette école et les semaines de vacances allaient lui paraitre longues avant la rentrée.