Après avoir réussi brillamment ses deux premières années sur le campus de l’Aigle, qui forme les jeunes espions français, Paul est bien décidé à poursuivre sur cette bonne voie. Cependant, il va découvrir qu’il peut être compliqué de réussir l’année du baccalauréat, tout en gérant ses relations amicales et devoir se rendre en Haute-Savoie pour démanteler un groupe mafieux qui commence à s’implanter dangereusement…
Paul arriva au bout de la Via Roma. Il découvrit l’arrière du baptistère. Le bâtiment noir et blanc était imposant, surplombé du dôme rouge de la cathédrale Santa Maria del Fiore, symbole de la ville de Florence, en Italie.
Il avait beau l’avoir vu plusieurs fois pendant cette semaine, avoir visité l’intérieur de la cathédrale, ce bâtiment l’impressionnait par sa beauté et sa construction. Il pensa à Thomas Duchesne, son responsable des études, à l’Aigle, qui aurait certainement commenté par une phrase sur la beauté de l’architecture et son importance dans le monde et la culture. Cette pensée arracha à Paul un sourire. Il avait hâte de retrouver le campus.
Le soir, sans les milliers de touristes qui se pressaient sur la place San Giovanni, la cathédrale et son dôme semblaient plus majestueux encore.
Son voyage florentin touchait à sa fin. Deux jours plus tard, il serait à Paris, ses parents reprendraient le travail et le jeune espion attendrait avec impatience la rentrée et le retour sur le campus de l’Aigle.
Paul contourna la cathédrale. Il regarda sa montre, il était bientôt une heure du matin. Il était largement temps de rentrer après cette virée nocturne, en ville, seul. Ses parents, eux, étaient rentrés à l’hôtel après le diner qu’ils avaient passé dans un petit restaurant du centre de la ville au nom de Za-Za.
Paul avait tenu à sortir et à se promener de nuit dans cette ville qui l’avait séduit. Il avait profité de ce voyage pour prendre quelques photos avec l’appareil qu’il avait reçu au dernier Noël.
L’espion emprunta la via dei Servi, étonnamment déserte comparé à l’agitation qui y régnait dans la journée. L’hôtel n’était plus très loin.
Trois garçons s’étaient arrêtés à quelques mètres devant lui. Ils étaient les seuls dans cette rue. Paul les vit avancer, face à lui. Lorsqu’ils furent à quelques mètres, les trois inconnus dévisagèrent le jeune espion. Paul eut soudain un mauvais pressentiment. Dans quelques secondes, il les croiserait. Par réflexe, Paul commença à observer les mains du trio. Ils se postèrent devant lui. Il était impossible pour le jeune espion de les esquiver, il était bloqué.
Le premier des trois inconnus, qui s’était planté face à Paul, devait être un peu plus âgé que lui. Le jeune espion estimait son âge entre vingt et vingt-cinq ans. Il était plus grand que lui, un mètre quatre-vingt-dix peut-être. Il était surtout très laid. Le deuxième, à sa gauche, était plus petit et devait avoir le même âge, un visage qui rappelait celui d’un rat avec des yeux noirs creusés. Le dernier était plus jeune. Paul lui donnait seize ans, peut-être même quinze. Il semblait surexcité et incapable de se contenir.
L’inconnu au centre s’adressa à Paul en italien. Le jeune espion ne comprit pas mais, au ton agressif, estima qu’ils n’étaient pas venus lui demander leur chemin.
Paul répondit en anglais :
– Désolé, je ne parle pas italien.
Le plus grand pouffa de rire. Paul le vit plonger la main dans sa poche et déplier un couteau avant de menacer le jeune espion dans un anglais approximatif et un accent qui rendait difficile la compréhension :
– Donne-moi ton téléphone et argent. On ne te fera pas de mal.
Paul demanda en affichant un léger sourire provocateur en coin :
– Parce-que sinon tu me feras du mal ?
La réponse irrévérencieuse de Paul décontenança son agresseur :
– J’ai un couteau, on est trois. Je peux te planter et tout te prendre.
Le jeune espion jaugea la situation. Les trois garçons étaient raides comme des piquets, les pieds parallèles sur le sol, légèrement écartés. Ils n’avaient pas l’attitude de personnes prêtes à se battre. Il savait que face à lui, les trois garçons ne feraient pas le poids. Son entrainement à l’Aigle l’avait préparé à des combats bien plus dangereux.
Paul avança son pied gauche. Il regarda la lame, tenue verticalement. Si son agresseur voulait le frapper, soit il n’utiliserait pas son couteau, soit il tenterait de la planter par un geste vertical de bas en haut, le blocage serait simple.
Le plus jeune des agresseurs ouvrit la bouche. Son anglais était meilleur :
– Tu as entendu mon frère ? Dépêche-toi. T’es un touriste, tu ne sais pas de quoi on est capable.
Paul sourit et haussa les épaules :
– Si, pas grand-chose.
Cette fois, l’espion avait acquis la certitude que les trois agresseurs n’étaient pas aussi dangereux que ce qu’ils essayaient de lui faire croire. S’ils avaient été déterminés, ils auraient d’ores et déjà tenté une attaque. Paul tenta tout de même de calmer le jeu :
– C’est ton frère ? Tu ne lui ressembles pas du tout.
– Qu’est-ce que ça peut te faire ?
– Bon, écoutez, laissez-moi tranquille, c’est mieux pour tout le monde. J’ai envie de retrouver mon hôtel et vous n’avez pas envie de vous battre.
Le troisième italien sortit une cigarette et l’alluma. Il cracha la fumée à la tête du jeune espion. Lui non-plus ne parlait pas bien anglais :
– Qu’est-ce que tu racontes ? Tu n’as pas vu qu’on est trois et armés ?
– Armés ? C’est un couteau qui coupe à peine.
Cette fois, le leader avança sa lame. C’était exactement ce que Paul avait cherché. S’ils étaient déterminés à l’attaquer, il se défendrait. Maitriser trois assaillants en même temps n’était pas simple, mais s’il neutralisait celui qui semblait le plus dangereux, il pourrait aisément se défaire des deux autres agresseurs. Paul regarda discrètement la lame, à hauteur de son torse. Il évalua la distance et sourit. Le plus jeune s’énerva :
– Arrête de sourire, on va te planter !
C’était le bon moment. Celui qui portait le couteau avait relâché son attention pour écouter son frère.
Paul lança son bras gauche et frappa le poignet armé qui pivota vers le corps de l’agresseur. L’espion en profita pour donner un coup de pied dans le genou de l’inconnu qui se plia. Paul enchaina en lui claquant l’oreille et termina par un coup de genou dans l’entrejambe de l’agresseur qui se plia en lâchant le couteau.
Paul avait parfaitement su analyser les personnalités de ses agresseurs. Les deux autres étaient restés tétanisés. Surpris, ils n’avaient pas su réagir. Paul eut le temps de récupérer l’arme que son agresseur avait laissé tomber à terre :
– Bon, maintenant que j’ai le couteau, il y en a un qui veut continuer ou vous arrêtez là ?
Le plus grand se releva péniblement :
– Non, c’est bon, on n’était pas sérieux.
Paul reconnaissait l’attitude habituelle d’un ennemi qui se sent vaincu. Il cherchait déjà des excuses. Le plus jeune en rajouta :
– Pourquoi t’a fait ça ? On rigolait !
– Dégagez maintenant. Et merci pour le couteau.
Les trois agresseurs n’attendirent pas leur reste. Ils firent volte-face et disparurent au coin de la rue en courant.
Paul regarda le couteau dans sa main. C’était un couteau à cran d’arrêt de mauvaise qualité. Il passa le doigt sur la lame, il n’était même pas aiguisé. Ses agresseurs étaient de vrais amateurs. Le jeune espion mit le couteau dans sa poche et se remit en marche. Son sourire ne s’était pas effacé. Pourtant, il n’avait eu aucun mérite, ses adversaires n’avaient pas été de taille.
Le jeune espion regagna sa chambre d’hôtel. Il sortit l’arme qu’il jeta à la poubelle. Il n’avait pas voulu le jeter dans la rue par prudence. Les agresseurs auraient pu aller porter plainte pour renverser la situation et la police aurait retrouvé l’arme avec les empreintes de Paul. Dans cette poubelle de chambre d’hôtel, personne n’irait fouiller et elle partirait rapidement dans un incinérateur, effaçant toutes les traces.
Paul se coucha en pensant à sa formation. Sans ces deux dernières années, il n’aurait sans doute pas su réagi de cette manière.
Paul et ses parents revinrent de vacances au milieu du mois d’août, après deux semaines passées en Italie.
Frank, le père de Paul, reprenait le travail dès le lundi. Quant à Maude, sa mère, elle avait encore quelques jours de congés, jusqu’au lundi suivant.
Paris était désert. Pas un seul des amis de Paul était dans la capitale et Louis ne rentrerait que deux semaines plus tard.
Les deux amis s’envoyaient régulièrement des sms. Louis était impatient de découvrir sa nouvelle école. Paul, lui, n’était pas si enthousiaste. Il craignait que son ami ne l’empêche d’avoir autant de temps avec ses camarades Damien, Arthur, Lucy et Antoine. Une peur infondée car ils n’entreraient pas dans la même classe. L’Aigle, et en particulier Thomas Duchesne, le responsable des études de Paul, avait jugé qu’il était préférable que le meilleur ami de Paul intègre la deuxième année, de sorte à ne pas avoir trop de retard dans les matières liées à l’espionnage. Les deux amis se verraient probablement seulement pendant les repas et le soir, ce qui était déjà beaucoup pour Paul.
Le jeune espion avait consolidé lors de sa deuxième année ses liens d’amitié avec Lucy, Damien, Antoine et Arthur, son groupe d’amis sur le campus. Il n’avait pas envie que cette amitié ne s’effrite à l’arrivée de Louis.
Paul prit des nouvelles de ses amis. Damien était en Espagne avec son oncle et sa tante. Lucy était partie au Canada, Arthur était dans le sud de la France et Antoine était encore chez lui. Il partait en vacances la semaine suivante et venait à Paris pendant une dizaine de jours.
Cette nouvelle fit plaisir à Paul. Antoine était à Paris la semaine où Paul se retrouvait seul chez lui. C’était l’occasion de revoir celui qui avait occupé la même chambre que lui l’année passée et surtout l’un de ses meilleurs amis. Ils discutèrent tous les deux de l’éventualité de se voir dans la capitale sans cependant arrêter de décision.
Le début de semaine passa rapidement. Paul passa le plus clair de son temps devant son ordinateur ou devant sa console de jeux.
La semaine suivante, il reçut un SMS qui lui fit particulièrement plaisir. C’était Antoine :
“Salut Paul, j’arrive à Paris ce soir. Je logerais avec mes parents dans un hôtel du 15e arr. Tu es loin ?“
Paul habitait très proche du quinzième arrondissement parisien. Il s’empressa de répondre :
“Non, juste à côté ! Tu sais dans quelle rue tu es ?“
La réponse arriva quelques minutes plus tard :
“Rue Saint-Lambert. Tu connais ?“
Paul savait très bien où était cette rue. Il pouvait rejoindre son ami en moins d’une demi-heure, une vingtaine de minutes si tout allait bien. Le parisien répondit par l’affirmative. Il ne lui fallut pas attendre longtemps avant de recevoir un nouveau message de son ami :
“Je dors dans la même chambre que mes parents. Ça va être vraiment long !!“
Paul s’amusa du message de son ami. Une idée lui vint à l’esprit. Il connaissait assez bien Antoine pour savoir que passer dix jours de visite avec ses parents ne l’enchantait pas.
Le jeune espion sortit de sa chambre. Maude et Frank regardaient un film. Paul se posta derrière eux et demanda à son père :
– Papa, j’ai un ami du campus qui vient passer dix jours à Paris. Il dort à l’hôtel, je peux lui proposer de venir ici ?
Frank sembla hésiter :
– Dix jours, c’est quand même un peu long. Il vient seul ?
– Non, avec ses parents, mais ils partagent la même chambre et je crois que ça le saoule un peu.
Frank réfléchit et se tourna vers Maude :
– Tu en penses quoi, toi ?
Maude passa la main dans ses cheveux. Elle faisait toujours ce geste lorsqu’elle était gênée ou hésitante. Elle répondit finalement :
– Comme tu veux, de toutes manières, moi je retravaille lundi.
Le père de Paul prit quelques secondes avant de demander :
– Comment s’appelle-t-il ?
Paul s’étonna :
– Mon ami ?
– Oui.
– Antoine… Il était dans ma chambre cette année, c’est un de mes meilleurs amis.
Frank sembla dans ses pensées :
– Et où va-t-il dormir ?
Paul répondit comme une évidence :
– Dans ma chambre, je peux dormir sur le canapé ou mettre un sac de couchage par terre… On a dormi tous les deux pendant près d’un an.
Le père de Paul s’étonna :
– Ce n’était pas des chambres de trois élèves ?
– Si… Le troisième a eu quelques soucis, du coup il n’a pas terminé l’année et on n’a pas changé les chambres pour les derniers mois.
Frank changea de sujet :
– Il arrive quand ?
– Aujourd’hui.
Paul vit son père avoir un geste de recul :
– Aujourd’hui ? C’est un peu court comme timing pour nous prévenir !
– Il m’a dit aujourd’hui qu’il logeait dans un hôtel dans le quinzième, je ne le savais pas avant.
– Bien, bien. D’accord mais est-ce qu’il peut venir à partir de dimanche soir ? Ça te conviendrait, Maude ? Ce serait un bon compromis et ça nous laisserai le temps de nous préparer et de profiter du weekend.
La mère de Paul répondit par un chaleureux sourire :
– Oui, ça me fait plaisir de rencontrer un des amis de Paul.
Paul regarda son père qui attendait sa réponse :
– Bien sûr ! Je vais lui proposer tout de suite de venir à partir de dimanche ! Merci beaucoup !
Paul retourna au pas de course dans sa chambre et prit son téléphone pour écrire le message à son ami :
“Tu veux passer la semaine chez moi ? Mes parents sont ok pour que tu restes à partir de dimanche soir.“
Le jeune espion était impatient d’avoir la réponse. Elle tarda à arriver. Il se doutait qu’Antoine devait négocier durement avec ses parents.
Une dizaine de minutes plus tard, Paul reçut une notification sur son Smartphone. Il s’empressa de le prendre pour regarder, mais ce n’était qu’un e-mail promotionnel.
Il dût attendre quelques minutes de plus, jouant à faire tourner son téléphone dans sa main, avant de recevoir la réponse d’Antoine :
“Ça n’a pas été facile ! Il a fallu qu’ils appellent l’hôtel pour savoir s’ils pouvaient changer de chambre dimanche et ils ne font pas confiance quand je dors chez des gens. J’ai dû répondre à un interrogatoire pour qu’ils soient persuadés que tu n’étais pas un délinquant et que tes parents seraient bien chez toi… Mais j’ai réussi ! Par contre il faudra que je sois avec eux de temps en temps.“
Paul ne retint pas un large sourire et retrouva le salon pour annoncer la nouvelle à ses parents. Il leur précisa les inquiétudes des parents d’Antoine quant à sa venue. Frank prit un temps de réflexion et proposa :
– Pourquoi ne viendraient-ils pas dîner avec nous dimanche ? Cela les rassurera peut-être…
Paul trouva que c’était une bonne idée. Il en fit part à Antoine qui répondit que ses parents l’accompagneraient mais ne resteraient pas dîner. Ils ne voulaient pas déranger les parents de Paul qu’ils trouvaient déjà sympathiques de loger leur fils pendant près d’une semaine.
Antoine arriva le dimanche à dix-huit heures, accompagné par ses parents. C’est Paul qui vint leur ouvrir la porte.
Il salua son ami et regarda ses parents. La mère d’Antoine était une femme élancée, elle paraissait sportive. Ses cheveux blonds et longs tombaient sur des épaules larges. Sa carrure, particulièrement musclée, n’enlevait rien à sa féminité. Elle avait les yeux bleus clair, une bouche fine et souriante. Paul pensa que son ami lui ressemblait particulièrement.
Le père d’Antoine avait une carrure de nageur professionnel. Grand lui aussi, les épaules larges. Il avait un visage plus dur que sa femme. Ses cheveux, châtains, étaient coupés courts comme un militaire et ses yeux marrons clair étaient perçants.
C’est sa femme qui salua Paul en premier en lui tendant la main :
– Tu dois être Paul ! Ravi de te rencontrer ! Depuis le temps qu’Antoine nous parle de toi…
Paul répondit poliment :
– Bonjour, je suis ravi de vous rencontrer moi-aussi.
Le père d’Antoine, sans ouvrir sa bouche pincée, serra la main du jeune espion.
Maude et Frank arrivèrent. Ils saluèrent Antoine et ses parents. Le père de l’ami de Paul laissa enfin entendre sa voix :
– Antoine nous a dit que ça ne vous dérangeait pas qu’il reste chez vous.
Maude répondit :
– En effet, les amis de Paul sont toujours les bienvenus ici.
– Je suis ravi qu’Antoine, malgré son insistance, ne nous ait pas menti. On sait bien qu’à cet âge, ils arrangent la vérité pour arriver à leurs fins. Nous nous demandions si vous seriez bien présent.
– Oui nous sommes là toute la semaine, ne vous inquiétez pas.
– Je vais vous laisser mon numéro. Si jamais cela venait à mal se passer, nous viendrions rechercher Antoine. N’hésitez pas surtout.
Frank intervint :
– Je suis persuadé que tout ira bien.
Le regard du père d’Antoine devint plus dur encore. Il n’avait visiblement pas apprécié la réponse de Frank mais préféra ne pas répondre. Il fixa Antoine :
– J’espère.
Frank insista :
– Antoine à l’air d’être un garçon très sage, et ils sont grands maintenant.
Le père d’Antoine répondit sèchement :
– Ils restent tout de même des enfants, et à deux… quoi qu’il en soit, nous vous remercions. Paul est dans la même école qu’Antoine, c’est bien ça ?
– Oui.
– Vous en êtes satisfait ? L’éducation à l’école est aussi importante que celle qui est à la maison.
– Nous en sommes très satisfaits. Paul à l’air très heureux là-bas.
– Antoine aussi. J’ai toujours pensé qu’une scolarité dans une école privée en internat était la meilleure solution. Ça forme les garçons. Et puis là-bas au moins… On sait qu’il n’y aura pas de problème.
Maude intervint :
– Quel genre de problème ?
– Nous serons bien d’accord pour dire que dans les établissements publics, nos enfants sont mélangés à des adolescents qui n’ont pas les mêmes objectifs.
Maude n’insista pas :
– Si vous le dites…
– Je le dis. Á l’Aigle, le niveau est assez élevé pour ne pas avoir ce genre de profiteurs. Nous sommes ravis de connaitre Paul, Antoine nous en a beaucoup parlé, nous voyons que vous êtes une famille stable et saine.
Paul regarda sa mère. Il la connaissait assez pour savoir que, si elle faisait son maximum pour rester impassible, elle bouillait intérieurement. Antoine ne savait pas où se mettre.
Maude tenta de conclure :
– Je vous remercie. Antoine à l’air d’être un garçon très sympathique et nous sommes heureux de le recevoir pendant ce séjour parisien.
Les parents d’Antoine saluèrent ceux de Paul et se tournèrent vers leur fils :
– Soit sage. Bonne semaine.
Une fois ses parents sortis, Maude proposa :
– Vous voulez un apéritif les garçons ?
Paul acquiesça et prit dans la cuisine quelques gâteaux apéritif, le whisky et du coca-cola. Il posa le tout sur la table basse.
Antoine, Paul et ses parents s’assirent. Frank saisit la bouteille d’alcool et proposa aux deux garçons :
– Whisky et Coca ?
Paul avait l’habitude que son père lui permette de prendre de l’alcool de manière raisonnable. Antoine, lui, semblait moins à l’aise. Il regarda d’abord Paul et se tourna vers Frank en hésitant :
– Oui… Pourquoi pas.
Frank servit l’invité. Il remarqua qu’il n’était pas aussi détendu que son ami. Maude, qui avait dû se faire la même observation, le rassura :
– On est content de t’avoir avec nous, Antoine. Si tu as besoin de quoi que ce soit, n’hésite pas. Et ne t’en fais pas, on peut bien fêter ton arrivée.
L’adolescent répondit :
– Merci, je me ferai discret.
Maude eut un air interrogatif :
– Pourquoi ça ? Tu es l’ami de notre fils, tu n’as pas à être gêné avec nous, vraiment.
– Merci pour votre accueil.
Le père de Paul sourit :
– Et nous n’avons aucun doute sur le fait que tu seras sage.
– Oui, vous n’avez pas à avoir de doute. Mes parents ont toujours un peu peur…
– Ce sont des parents, ils ont leur manière d’éduquer leur enfant, chacun est différent.
– Sans doute, ils ne sont pas toujours comme ça.
Frank le rassura :
– Antoine, cela ne nous regarde pas, tu n’as pas à chercher des excuses pour tes parents. Et puis quand bien même nous ne serions pas d’accord sur quelques sujets, nous n’aurions rien à dire.
Antoine, Paul et ses parents terminèrent l’apéritif et passèrent à table. Maude avait préparé un poulet rôti et des pommes de terre sautées, un des plats préférés de Paul.
Le soir, alors qu’Antoine prenait une douche, Paul retrouva ses parents dans le salon. Il surprit leur discussion. C’est sa mère qui parlait :
– Quand-même, je ne trouve pas cela sain pour un enfant d’être exposé à ce genre de discours. J’espère qu’il n’a pas les mêmes idées que ses parents, il ne sera pas à l’aise avec nous… et encore, ils n’ont pas vu Libé sur la table…
Paul se montra :
– Ne vous inquiétez pas, je ne pense pas qu’Antoine soit particulièrement intéressé par la politique, ni qu’il soit contre les étrangers si c’est bien ce que vous pensez de ses parents.
Maude sursauta, surpris par l’arrivée de son fils :
– Ha tu es là. Désolée, c’est juste qu’en quelques phrases, ça n’a pas été compliqué de comprendre qu’ils ont des idées un peu… différentes des nôtres. Mais Antoine à l’air d’être un garçon adorable.
Paul répondit par un sourire. Il souhaita une bonne nuit à ses parents et retrouva Antoine dans sa chambre.
Le jeune espion avait laissé son lit à son ami après avoir dû insister un moment et dormait sur un matelas, installé au sol, sur lequel il avait installé un sac de couchage.
Ils se couchèrent et discutèrent. Antoine demanda :
– Alors c’est lui ton père ?
Paul s’amusa et ironisa :
– Le monsieur qui était là toute la soirée ? Non, c’est le facteur, parfois il reste là comme ça.
Antoine éclata de rire :
– Bon, ça va, je reconnais que la question était idiote. Mais je suis quand même dans la maison d’un grand espion !
Paul sourit :
– Je ne le suis pas encore.
– Paul… Je parlais de ton père.
– Je sais bien, mais on n’en parle pas ici.
Antoine sembla déçu :
– Ha… Même pas de l’Aigle ?
– Même pas…
– J’aurais un père comme ça, je lui en parlerais tous les jours !
– Oui, mais lui non… J’imagine qu’on sera pareil plus tard.
– Peut-être. C’est dommage.
Paul ne répondit pas. Il sentit la fatigue s’emparer de lui. Heureusement, Antoine conclut :
– Allez, bonne nuit Paul, et merci !
– Bonne nuit Antoine.
Il ne fallut pas longtemps à Paul pour s’endormir. Il était heureux de recevoir son ami pour la semaine, il savait qu’elle serait plus agréable que s’il était resté seul chez lui.
Dès le lundi, Antoine semblait parfaitement à l’aise chez Paul et bien plus détendu que la veille. Cela leur rappelaient la vie sur le campus, les cours en moins.
Comme Antoine ne connaissait pas Paris, les deux adolescents passèrent leur semaine à se promener entre les monuments historiques et les quartiers touristiques. Ils commencèrent la semaine par les monuments les plus connus. La tour Eiffel, l’Arc de triomphe, puis les Invalides avant de terminer leur journée au Panthéon.
Le mardi, Antoine retrouva ses parents pour la journée et visita Montmartre et le Sacré-Cœur. Cela avait visiblement eu un bon effet car ils l’autorisèrent à passer le reste de son séjour avec Paul.
Le mercredi, les deux garçons visitèrent le musée du Louvre. Ils y passèrent la journée.
Antoine étant un passionné de la révolution française, les deux amis se promenèrent le jeudi entre le musée du jeu de paume et la conciergerie.
Le vendredi, ils visitèrent l’île de la cité et en particulier Notre-Dame avant de se promener sur l’île Saint-Louis. Paul fut fier de faire découvrir les glaces Berthillon – ses préférées – à Antoine.
Le dernier soir arriva. Le lendemain, Antoine repartait.
Ce soir-là, les deux garçons discutèrent un long moment et ne s’endormirent qu’à deux heures du matin. Ils avaient tous les deux l’impression que, malgré la semaine chargée, ils n’en avaient pas assez profité.
Le lendemain, à onze heures, les parents d’Antoine vinrent chercher leur fils.
Ils remercièrent les parents de Paul et partirent avec Antoine.
Deux jours plus tard, Louis était de retour à Paris et n’attendit pas pour voir son ami Paul.
Le jeune espion sentait qu’il ne se comportait plus comme avant avec son meilleur ami. Louis aussi avait changé. Il était impatient de découvrir sa nouvelle école et parlait régulièrement de ce sujet. Paul avait beau apprécier son école, il avait toujours de la difficulté à en parler avec son meilleur ami.
Dès son arrivée chez Paul, Louis lui annonça avoir regardé de nombreuses vidéos sur l’auto-défense sur Internet. Paul répondit :
– Tu sais, l’espionnage c’est pas comme dans les films, tu ne vas pas devenir James Bond.
Cette remarque sembla vexer Louis :
– Je sais bien, mais il faut bien apprendre à se défendre.
Paul réfléchit, repensant à son séjour à Florence et à la manière dont il s’était défendu face à trois agresseurs en pleine rue :
– Je doute que les vidéos sur YouTube soient aussi efficaces que nos cours.
– C’est un début.
Paul abdiqua :
– Peut-être.
Intérieurement, Paul savait que Louis se faisait des idées, qu’il serait peut-être déçu par ce qu’il allait trouver à l’Aigle. Le niveau était élevé et il y parviendrait sans doute, mais il semblait imaginer qu’on allait lui apprendre à devenir ce genre d’espion de film, ces mêmes films que Paul regardait maintenant avec un œil beaucoup plus critique.
Louis demanda :
– Au fait, tu sais avec qui je serai cette année ? Des profs ou des élèves ?
Paul chercha dans sa mémoire. Il pensa soudain aux responsables d’études qui suivaient maintenant leur classe. Celle qui s’occupait des élèves de première année et qui allait vraisemblablement être la responsable des élèves de deuxième année était Annabelle Maillard. Paul l’avait eu en première année, une femme sèche mais juste. Il répondit :
– Non, enfin je connais celle qui sera ta responsable d’étude.
– Elle est comment ?
Paul réfléchit à la meilleure manière de présenter celle que tout le monde appelait Miss Maillard :
– Ne t’attend pas à avoir un sourire. Elle est plutôt rigide.
– Bon, va pas falloir que je fasse de conneries.
– Tu sais, en règle général, ce n’est pas trop le lieu.
– C’est pas mon genre non-plus.
Paul ajouta :
– Et tu seras dans la classe d’Anselme.
– Anselme ? C’est qui ?
– Un élève qui entre en deuxième année cette année.
– Il est sympa ?
– Oui, ça va. Pas très bavard.
– Comment tu le connais ?
– C’est le copain d’un de mes amis.
– Ha bon. Et entre les classes on pourra se voir ?
Paul pensa à sa principale inquiétude :
– Oui, je pense, au moins le soir. Mais après, j’imagine que tu seras surtout avec ta classe. Et puis il faut que tu réussisses le premier mois.
– Je suis motivé, je suis sûr que je serai pris.
Paul savait que son ami serait accepté, tous les élèves qui passaient les premiers tests étaient acceptés, ce n’était qu’un rite de passage. Louis demanda à son ami :
– Paul… J’ai l’impression que tu n’as pas envie que j’entre dans cette école.
Paul ne sut quoi répondre. Il bafouilla :
– Si… Si, c’est pas ça.
– Alors c’est quoi ?
Paul soupira :
– Ça me fait bizarre.
– Pourquoi ? On était dans la même classe avant, il n’y avait pas de problème.
– Je sais, et je suis content qu’on puisse se voir à nouveau plus souvent. Mais…
Louis le coupa :
– Mais tu as tes potes et tes habitudes et tu as peur que ça change ?
Paul admira la capacité de déduction de son ami, cela lui facilitait la tâche :
– Oui, c’est ça.
Louis attendit quelques secondes :
– Paul, on est ami depuis quelques années maintenant, t’es mon meilleur ami. Tu ne crois pas que si ça arrivait tu pourrais me le dire, qu’on trouverait une solution ?
– J’aurais peur que tu le prennes mal.
– Bon, on va faire un pacte. Si quelque-chose ne va pas et que ça un lien avec moi, je veux que tu me le dises. Et je te promets que je ferai en sorte que ça s’arrange. Mais je t’assure que tout ira bien.
Paul regarda la main tendue de son ami. Il s’en saisit et sourit timidement :
– Marché conclu. Et tu as raison, c’est con de penser ça.
Paul était rassuré. Il apprécia que Louis ait eu cette réaction et soit maintenant conscient des inquiétudes de son ami. Le jeune espion pourrait toujours lui dire s’il vivait mal l’arrivée de Louis et il était certain que cela se passerait bien.
Maintenant, Paul avait tout pour passer une bonne année.
Le soir même, Frank demanda à Louis :
– Tu as ta date de rentrée ?
– Oui, je dois être le dimanche premier septembre là-bas. A seize heures.
Paul demanda :
– Avec ceux de deuxième année ?
– Oui. Je commence avec eux.
– Ha. Et pour tes tests ?
– D’après ce que j’ai compris, je les passerai la quatrième semaine, je raterai les cours.
Paul trouva que la préparation des tests d’intégration étaient importants et qu’il était dommage de s’en passer mais avait confiance en l’Aigle pour organiser l’accueil de Louis. Le jeune espion poursuivit :
– D’accord. Je dois y être pour dix-sept heures, on fait notre rentrée après vous.
Frank proposa :
– Tu veux que nous t’y emmenions, Louis ? Paul, tu pourras arriver un peu plus tôt et attendre un sur le campus, non ?
Paul hocha la tête en signe d’approbation, Louis répondit :
– C’est une bonne idée. Il faudra que j’en parle à mes parents !
Le soir même, l’affaire était entendue. Frank et Maude accompagneraient Louis et Paul sur le campus pour la rentrée des élèves de deuxième année. Cela ne dérangeait pas Paul qui pourrait attendre ses amis à la bibliothèque.
La voiture arriva devant les grilles du campus et s’engagea sur le chemin bordé d’arbres.
Frank se gara sur le parking extérieur, quelques élèves arrivaient avec leurs parents.
Le jeune espion ne reconnaissait pas son ami qui faisait sa première arrivée en tant qu’élève dans sa nouvelle école. Il était silencieux, concentré. Il comprit qu’il était stressé et le rassura :
– Ça va bien se passer, ils sont sympas tu verras.
Les deux adolescents descendirent de voiture et saluèrent Maude et Frank qui repartaient.
Paul entraina Louis dans le hall. Ils déposèrent leurs valises dans la pièce prévue. Paul prit soin de prévenir que sa valise était bien pour un élève de troisième année et non de deuxième année comme toutes les autres entreposées dans la pièce. Les deux amis sortirent ensuite dans la cour.
Louis s’émerveilla devant les bâtiments et la fontaine au centre de la cour. Paul pensa que son ami allait être encore plus admiratifs lorsqu’il découvrirait le reste du campus, le foyer, la bibliothèque, les chambres et les équipements sportifs.
Paul repéra Anselme devant le bâtiment où se trouvaient l’auditorium et les chambres. Il entraina Louis vers lui. Anselme les accueilli avec un grand sourire :
– Salut Paul ! Tu vas bien ?
Paul prit la main d’Anselme :
– Oui et toi ?
– Très bien, j’ai hâte de commencer l’année !
– Moi aussi. Je te présente Louis, il va faire sa rentrée avec toi.
– Super ! Sois le bienvenu sur le campus. Je m’appelle Anselme.
Louis répondit d’une voix timide :
– Salut. Moi c’est Louis.
– Oui, je sais, Paul vient de le dire.
Paul vit son ami rougir et s’excuser. Il ne le reconnaissait vraiment pas, lui d’un naturel si sûr de lui :
– Pardon, je suis un peu stressé.
Anselme le rassura :
– C’est normal, mais tu verras, c’est cool ici, il faut juste un peu bosser.
Louis retrouva timidement le sourire :
– Ça devrait aller. J’ai l’habitude.
– Alors tu n’as pas à t’inquiéter !
Paul intervint :
– Vous allez faire votre rentrée, les gens sont accueillants ici, et puis, vous serez peut-être dans la même chambre. Sinon, vous vous retrouverez rapidement.
Anselme répondit :
– Oui, je vais m’occuper de te faire visiter le campus ! Et puis on vous retrouvera après, Paul ?
– Oui bien sûr ! Je pense que tu as hâte de retrouver Antoine.
– Oui, il m’a raconté que vous vous étiez vus à Paris… J’aurais aimé être là aussi mais c’est cool que vous ayez pu vous voir !
– Oui, on a passé une très bonne semaine. Il n’a pas voulu arriver plus tôt pour te voir avant la rentrée ?
– Non, enfin ce n’est pas très utile, et puis ses parents…
Anselme ne termina pas sa phrase mais Paul acquiesça :
– Ils ont l’air sévère, oui, je les ai rencontrés.
– Oui… Je ne les ai jamais vus, mais je pense que ce n’est pas une bonne idée.
– Pourquoi ?
– Ils ne savent pas qu’Antoine et moi sommes en couple, ni qu’il est homo.
Paul regarda Anselme avec compassion :
– Ha, ça risque de mal passer ?
– Très. On verra ça plus tard.
Soudain, une voix féminine se fit entendre derrière les trois garçons :
– C’est l’heure messieurs, dépêchez-vous !
Ils se retournèrent vers Miss Maillard. Elle avait toujours son air sec et pincé. Anselme répondit :
– Oui, merci madame, nous y allons.
Celle qui allait être la responsable des études des élèves de deuxième année dévisagea Paul :
– Osinski, ce n’est pas votre rentrée, vous c’est après. Que faites-vous là ? Nous vous manquions ou vous aviez peur de la troisième année ?
Les remarques d’Annabelle Maillard étaient toujours aussi agréables. Paul répondit en souriant :
– Ni l’un ni l’autre, je suis venu avec Louis, qui est un ami.
Maillard regarda avec dédain le nouvel élève :
– Ha oui, j’ai entendu parler de vous, un nouvel élève qui entre directement en deuxième année et qui a un an de plus que les autres. Enfin, je ne vous demanderai pas comment vous avez réussi cet exploit.
Louis ne sut où se mettre, lui qui avait toujours été un bon élève ne savait même pas si sa nouvelle responsable des études insinuait qu’il avait eu un passe-droit ou si elle critiquait son niveau scolaire. Maillard conclut sèchement :
– Filez dans l’auditorium, nous allons commencer.
Sur ces mots, elle entra dans le bâtiment. Louis regarda Anselme puis Paul :
– C’est elle dont tu m’as parlé ?
– Oui, Miss Maillard. Tu verras, on s’y fait, et puis elle reste toujours intègre malgré tout.
– Pourquoi elle a dit qu’elle ne me demanderait pas comment je suis entré ?
Paul hésita :
– Je t’expliquerai.
– En tous cas, elle n’a pas l’air de t’avoir dans son cœur. Tu lui as fait quelque chose ?
– Non, elle est comme ça avec tout le monde. Si elle a le choix entre dire une phrase sympathique ou te casser, elle choisira la deuxième option. Aujourd’hui, elle a l’air particulièrement en forme…
– Ça commence bien.
– Bon, allez-y, vous allez être en retard.
Anselme et Louis entrèrent dans le bâtiment pour assister à leur rentrée. Paul flâna près de la fontaine. Il n’avait pas envie de s’enfermer par un si beau jour. Il faisait bon et il n’y avait aucun nuage dans le ciel.
Une demi-heure après, quelques élèves de son niveau arrivèrent. Lucy fut dans les premiers et le retrouva dans la cour :
– Paul ! Tu es déjà là ? Comment tu vas ?
– Salut Lucy ! Ça va et toi ? Oui, je suis là depuis presqu’une heure.
– Je vais bien. Comment ça se fait que tu sois arrivé si tôt ?
– La rentrée des élèves de deuxième année était juste avant, je suis venu avec Louis, mon ami qui entre à l’Aigle cette année.
– Ha oui, c’est vrai ! C’est super ça !
Arthur arriva quelques minutes après. Les trois amis discutèrent le temps que Damien ne les rejoigne. Il salua Paul et Arthur puis embrassa Lucy. Leur couple semblait tenir.
Il fut suivi de près par le dernier de la bande, Antoine, visiblement ravi d’arriver sur le campus.
Il ne leur restait que dix minutes avant le traditionnel discours de rentrée. Ils en profitèrent pour échanger sur leurs vacances. Paul leur raconta la tentative d’agression dont il avait été l’objet à Florence et comment il s’en était défendu. Ses amis l’écoutèrent avec une pointe d’admiration.
Les cinq amis se dirigèrent ensuite vers l’auditorium, maintenant vide. Les élèves qui avaient fait leur rentrée avant eux avaient dû rejoindre leurs chambres. Paul se demanda si Louis allait partager la sienne avec des élèves sympathiques.
Paul prit place sur l’un des fauteuil rouge, entouré par ses amis. Comme chaque année, le directeur entra sur la scène, accompagné du responsable d’études. Paul n’avait que peu de doute mais fut tout de même soulagé lorsqu’il vit que c’était bien Thomas qui occuperait ce poste.
La présentation commença, l’accent fut mis sur l’importance cruciale de cette année, qui se terminait par le baccalauréat.
Une demi-heure plus tard, les élèves étaient libérés et pouvaient aller chercher leur dossier, de couleur verte, et connaître ainsi leur chambre et leur emploi du temps.
Paul et ses amis se suivirent et découvrirent leur numéro de chambre. Paul avait la 5111. Il regarda ses amis, interloqué :
– 5111 ? Mais le bâtiment des chambres est le quatre, pas le cinq.
Lucy lui répondit :
– Moi aussi, j’ai le bâtiment cinq, chambre 5002.
Arthur confirma :
– Oui, on y est tous. Il faut croire qu’ils ont changé l’organisation des chambres cette année.
Paul tenta de retrouver où était situé le bâtiment numéro cinq. Il était certain de ne l’avoir jamais vu :
– Vous savez lequel c’est, le bâtiment cinq ?
Le groupe d’amis se représentaient le plan de l’école. Il était simple, quatre bâtiments entourant la cour avec la fontaine. Derrière, les cours de sport puis, proche de la forêt, l’infirmerie et le bâtiment technique. Antoine réagit :
– C’est pas l’un des deux du fond ?
– Il n’y a jamais personne là-bas, ce sont des bâtiments abandonnés.
– Tu as raison…
Thomas Duchesne apparut :
– Tout va bien ?
Paul répondit :
– Justement, on ne sait pas où est le bâtiment cinq… On pensait que nos chambres seraient dans le quatre, comme l’année dernière.
– Non, on a réorganisé le campus cet été, vous verrez, il y a quelques changements mineurs. Concernant les chambres, seuls les élèves des deux premières années sont ici, ensuite vous passez bâtiment cinq, c’est celui de l’infirmerie. De mémoire, les filles des classes de troisième année sont dans les chambres du rez-de-chaussée, les garçons au premier étage.
– Merci. On y va alors.
Thomas s’éloigna. Paul réalisa qu’il n’avait pas demandé à ses amis dans quelle chambre ils se trouvaient.
Arthur se retrouvait dans la chambre voisine de celle de Paul. Damien et Antoine étaient dans la chambre 5111, comme Paul. Pour le jeune espion, l’année commençait bien avec cette bonne nouvelle.
Le bâtiment cinq était bien plus agréable que le quatrième. Il était situé à l’orée de la forêt, à une trentaine de mètres des bâtiments principaux. On y accédait par un chemin en terre qui se terminait avec du bitume sous un auvent.
En entrant, l’infirmerie était sur leur droite. C’était un bâtiment qui n’était pas large mais très long. Paul n’y était allé qu’une seule fois, lorsqu’il avait dû aller à l’infirmerie. Il n’avait alors pas fait attention à la grandeur de ce bâtiment.
Lucy trouva sa chambre un peu plus loin dans le couloir et les garçons montèrent au premier étage. Les portes étaient particulièrement espacées les unes des autres.
Paul, Damien et Antoine abandonnèrent Arthur et découvrirent la pièce dans laquelle ils dormiraient. Elle était carrée et construite en croix.
Ils entraient dans un petit couloir. En avançant au centre de la pièce, ils découvrirent trois chambre séparées par des cloisons. Les deux au fond de la pièce avaient une fenêtre tandis que la dernière, à gauche en entrant, en était dépourvue. Elles étaient correctement meublées avec un lit plus large que les années précédentes, une armoire, un bureau et une chaise pivotante.
Sur chacun des bureaux, les garçons découvrirent une pochette blanche dans laquelle était placé un court mot de bienvenue. Les trois garçons se rendirent ensuite dans la salle de bains, face au troisième box, à droite en entrant. Elle était bien mieux équipée que celles qu’ils avaient connu lors des années précédentes. Des toilettes, une vasque, une grande douche et une baignoire. L’Aigle réservait visiblement à ses étudiants un confort croissant au fil des années.
Au centre des quatre parties de la pièce, un canapé deux place et un petit fauteuil se faisaient face en encadrant une petite table. L’endroit idéal pour discuter ou jouer lors des journées calmes du campus.
Damien remarqua :
– Les chambres sont de mieux en mieux ! On se croirait à l’hôtel !
Antoine répondit :
– Oui, c’est pas mal, mais il y a un box sans fenêtre. Les chambres du fond sont bien éclairées mais la première…
– Moi ça ne me gènes pas !
Le fait que Damien accepte de prendre le premier box arrangea Paul. Il aimait avoir la lumière du soleil au réveil et pouvoir voir le parc. Dans cette chambre, la vue donnait sur la forêt, c’était d’autant plus agréable.
Paul s’installa dans la partie de gauche. L’intimité était moins bonne que l’année précédente. Lorsque l’on se trouvait au centre de la pièce, on pouvait aisément voir l’ensemble des trois boxes. Paul s’en contenterait. Il se demanda comment allaient être les chambres des années suivantes. L’Aigle avait fixé la barre haute pour les élèves de troisième année.
Les trois adolescents rangèrent leurs affaires et se retrouvèrent au centre de la pièce. Ils avaient décidé de découvrir leur emploi du temps ensemble, tous s’attendaient à une année très chargée.
Paul et Damien prirent place sur le canapé. Antoine les retrouva et s’assit à même le sol :
– Ça vous plait comme chambre ?
Damien répondit :
– Elle est géniale !
– Oui, c’est pas mal. Mais on est plus aussi proche du self et des salles de cours.
– On a le stade en face, et puis ce n’est pas si loin.
– On regarde le programme de l’année ?
– Allons-y.
Les trois adolescents ouvrirent leur dossier. Ils passèrent la première page récapitulant leur état civil et leur classe et arrivèrent à la page qui les intéressaient.
Comme ils l’avaient prévu, leurs journées seraient bien remplies. Les matières de terminale prenaient un peu plus de la moitié du temps de cours, quant à ceux interne à l’Aigle, ils avaient changé. Les élèves n’avaient plus de cours sur les appareils d’espionnage ni d’exploration. Cependant, d’autres avaient fait leur apparition comme la sécurité intérieure, le cours nommé “Sécurité et défense” ou la Cyberdéfense.
Pour le sport, ils avaient une à deux heures de sport par jour, sauf le lundi, journée pendant laquelle ils commençaient par le cours d’EPS en lien avec leur année de terminale et terminaient par deux heures de sport collectif.
Les élèves de troisième année remarquèrent l’apparition de nouveaux sports comme le self-défense ou les arts martiaux. Ils en avaient déjà pratiqué pendant les années précédentes mais jamais dans un cours dédié.
Cette année était vraisemblablement une transition afin de les préparer à leur année suivante qui serait axée sur la défense et l’espionnage.
Paul remarqua que leurs heures de cours, bien que plus nombreuses que l’année passée, étaient aussi mieux organisées. Ainsi, ils commençaient tous les jours à huit heures, sauf le lundi où ils pourraient dormir une heure de plus. Ils auraient aussi deux heures pour déjeuner le vendredi. Antoine dû découvrir au même moment les heures de repas car il remarqua :
– On mange à vingt heures le soir…
Paul répondit :
– Oui, on termine tous les jours à dix-huit heures et on a deux heures d’études, sauf le jeudi où on a arts martiaux de dix-neuf à vingt heures. Ça a l’air de te déranger.
– Oui, tu te souviens à quelle heure on dinait en deuxième année ?
Paul fit un effort de mémoire :
– Dix-neuf heures je crois.
– Exactement. Si c’est pareil cette année, ça veut dire qu’on ne sera jamais avec les deuxièmes années.
– Oui, mais après on pourra les rejoindre, ce n’est pas trop grave.
Antoine sourit :
– On s’y habituera.
Paul savait que son ami souhaitait qu’Anselme puisse se joindre à eux. Paul pensa à Louis. Ils pourraient toujours se voir au déjeuner et le soir après le dîner, ce n’était pas un drame selon lui.
Après avoir remarqué que leur samedi matin était lui aussi occupé par les matières de l’Aigle, les étudiants espions tournèrent la page et découvrirent la liste des professeurs. Ils retrouvaient les mêmes que l’an passé. Un professeur venait s’ajouter le samedi matin, pour les cours de Sécurité et de Cyber-sécurité. C’était Thomas Duchesne qui allait les assurer.
Les trois garçons rangèrent leur dossier, Antoine demanda :
– On rejoint les autres ?
Damien acquiesça :
– Oui, ils doivent déjà nous attendre.
Les trois garçons retrouvèrent Arthur dans le couloir puis descendirent pour rejoindre Lucy qui les attendaient en bas des escaliers. Tous étaient content de leur nouvelle chambre.
Arthur, séparé de son groupe d’ami, partageait sa chambre avec Clément et Mathieu, deux élèves que Paul connaissait bien. Clément car il avait été le petit-ami d’Antoine et Mathieu car c’est avec lui que Damien et Paul avaient effectué leur mission d’intégration pendant trois jours, un mois après leur arrivée à l’Aigle lors de leur première année.
Le groupe sortit du bâtiment et s’installa au bord de la fontaine. Ils discutèrent un instant avant d’être rejoints par Anselme et Louis.
Paul leur demanda :
– La rentrée s’est bien passée ?
Louis avait retrouvé son air fier de lui. Il répondit :
– Oui, super ! On est dans la même chambre, c’est cool ! Par contre l’emploi du temps est…
– Chargé ?
– Oui, on peut dire ça.
Paul sourit :
– Tu vas t’y habituer. Le nôtre est assez lourd aussi.
Antoine précisa :
– Et on dîne super tard, à vingt heures !
Anselme confirma les doutes d’Antoine à ce sujet. Ils dinaient bien une heure plus tôt. Il le rassura cependant :
– Mais après on pourra toujours se voir.
– Oui, c’est vrai.
Ce soir-là, les cinq élèves de troisième année et les deux de deuxième année dînèrent ensemble avant de faire visiter le campus à Louis qui s’émerveillait à chaque nouveau bâtiment et à chaque nouvel espace qu’il découvrait.
Ils terminèrent comme à leur habitude leur journée au foyer. En entrant, Paul espérait retrouver Mike mais se rappela que ce dernier avait terminé ses études et n’était plus sur le campus. Le jeune espion ressentit un pincement au cœur en repensant qu’il ne reverrait sans doute plus l’élève qui l’avait accueilli et lui en avait appris beaucoup sur sa famille.
Louis trouva rapidement sa place dans le groupe d’amis. Il sympathisa aussi rapidement avec des élèves de sa classe. Il était le plus âgé des élèves de deuxième année mais cela ne lui porta pas préjudice. Au contraire, le fait qu’il connaisse la classe de première scientifique lui permettait d’aider ses camarades dans les matières classiques et, en échange, ils lui offraient des cours particuliers dans les matières d’espionnage qu’il découvrait.
Paul fut aussi rapidement rassuré. Son meilleur ami ne s’accaparait pas l’attention des autres et ne cherchait pas non plus à isoler Paul.
En trois semaines, Louis avait bien rattrapé les cours de première année et il faisait déjà partie des bons élèves de sa classe.
Un mois après la rentrée, Louis passa ses examens. Aucun des élèves de troisième année n’entendit l’appel nocturne pour le départ des élèves passant le test d’intégration. C’était un message diffusé uniquement dans le bâtiment des chambres où dormaient les élèves concernés. Paul se réveilla le lendemain en découvrant que Louis était parti, tout comme les élèves de première année. L’élève de troisième année aurait aimé l’encourager et espérait que les trois jours intenses pendant lesquels Louis allait être confronté à une mission d’essai se passeraient pour le mieux.
Le dimanche du retour de Louis, le groupe d’amis s’était retrouvé pour le déjeuner. A cette occasion, le nouvel élève leur annonça qu’il avait validé ses examens et était maintenant un élève à part entière de l’Aigle.
Il fut chaleureusement félicité par ses amis et raconta sa mission de manière particulièrement détaillée, comment il avait dû s’intégrer avec deux élèves qui étaient âgés de deux ans plus jeunes que lui, la manière dont ils avaient géré leur mission qui consistait à récupérer des documents au sein d’une maison bien gardée, et à quel point la marche avait été éprouvante. Il ne cacha pas sa fierté d’avoir réussi.
Le lendemain et pour la première fois depuis la rentrée, les sept amis se séparèrent un temps. Lucy et Damien avaient décidé de marcher dans le parc, Arthur voulait réviser, Antoine et Anselme discutaient et jouaient au foyer et Paul retrouva Louis pour occuper une des petites salles de musculation à la disposition des élèves.
Plus habitué à l’entrainement que son ami, Paul dirigea le programme. Ils s’échauffèrent, firent un peu de musculation et une série d’exercice d’endurance comme du vélo ou de la corde à sauter.
Louis dû s’arrêter avant Paul. Ce dernier lui demanda :
– Tu n’en peux déjà plus ?
Louis avait sa fierté :
– Si, je peux tenir encore un moment, mais j’en ai un peu marre. Continues si tu veux, je te regarde.
Paul savait que son ami n’avait pas encore autant d’endurance que lui mais préféra ne pas répondre. Il se contenta de sourire et continua à s’entrainer près de vingt minutes avant de s’arrêter.
Louis avait pris ses marques sur le campus. A la veille des vacances, Paul ne le voyait presque plus. Son meilleur ami s’était fait des amis dans sa classe avec qui il passait le plus clair de son temps. Parfois, il retrouvait Paul mais ces moments se faisaient de plus en plus rares.
Les parents de Paul vinrent chercher les deux amis qui passèrent leurs vacances à se voir presque chaque jour, comme à leur habitude. Paul remarqua cependant un changement. Louis parlait beaucoup de l’Aigle, presque exclusivement. Si au début de l’année, Paul avait pensé que c’était passager et dû à la nouveauté, il avait de plus en plus l’impression que Louis était obsédé par sa nouvelle école. Il parlait des cours, des épreuves qu’il avait passées, des professeurs, de sa responsable Miss Maillard, des élèves, … Il avait toujours quelque chose à dire et chaque occasion était prétexte à trouver un lien avec son école. Ce qui agaçait Paul plus que tout, c’était lorsque Louis mettait en avant ses notes, excellentes. Il se vantait systématiquement d’être le meilleur élève de sa classe. Paul se retenait toujours de lui répondre sauf lorsqu’il s’agissait de rappeler à Louis que les enseignements et buts de l’Aigle n’étaient pas à divulguer. Chaque fois, l’élève de deuxième année rassurait son ami en lui assurant qu’il n’en parlait jamais, sauf en compagnie d’un autre élève de l’Aigle.
Le samedi, veille du retour sur le campus, cependant, une phrase de Louis agaça Paul plus que d’ordinaire. Son meilleur ami, lors d’un de ces moments pendant lesquels il parlait de l’Aigle et de sa scolarité, lui dit :
– Je veux être le meilleur élève que l’école ait connu. Je suis déjà le meilleur de ma classe mais je suis certain que je peux faire mieux.
Paul tenta de garder son calme :
– Tu sais, tu es à l’Aigle depuis un peu plus d’un mois, en deux ans, je peux te dire qu’il y a eu de très bons élèves et j’imagine qu’il y a eu meilleur que toi.
– Il suffit de s’en donner les moyens.
– Mais aussi en avoir les capacités.
Cette dernière phrase de Paul eut l’air d’énerver Louis, comme s’il avait sous-entendu que Louis n’avait pas d’aussi bonnes capacités qu’il le pensait :
– Tu penses que je ne les ai pas ?
– Je n’ai pas dit ça… Je pense juste qu’en un mois, tu ne peux pas savoir si tu as les moyens d’être le meilleur élève que cette école ait connu. Tu es doué, c’est vrai, mais attends un peu.
– Tu sais, Paul, en un mois, je suis devant des élèves qui ont eu toute leur classe de seconde pour se préparer. C’est vrai que j’ai déjà fait une première avant l’Aigle mais on ne fait pas de matières concernant l’espionnage. Ça ne m’empêche pas d’être premier dans toutes les matières.
Paul se sentit plus tendu encore :
– On dit première année, pas seconde. Qu’est-ce que tu veux prouver ?
– Rien, que je suis le meilleur, c’est tout. J’ai déjà une moyenne de dix-sept et demi, deux points au-dessus du deuxième de la classe.
– C’est toujours moins que ce que j’avais, tu sais ?
Paul avait dit cette phrase en faisant claquer sa voix. Il en avait assez que Louis se mette en avant. Il avait l’impression que son ami faisait tout pour lui passer devant et il détestait cela. Pourtant, au fond de lui, Paul comprit que c’était la peur qui le faisait s’énerver. Il avait peur que Louis y arrive, qu’il ait une meilleure moyenne que celle qu’il avait enregistrée l’an passé. Paul savait très bien qu’il était le meilleur élève et son ami risquait de lui faire de l’ombre. Si Louis arrivait à devenir un très bon élève, c’est peut-être lui qui serait choisi la prochaine fois pour partir en mission, à la place de Paul.
Le jeune espion soupira. Il devenait intérieurement l’ennemi de Louis alors qu’il était son meilleur ami. Paul se sentit idiot. Il repensa à Arthur qui, pendant plus d’un an, avait tout fait pour être le premier de la classe mais s’écrasant toujours contre la moyenne de Paul, d’Ethan ou d’Antoine. Il avait fini par accepter qu’il ne pouvait pas toujours être le premier. Finalement, Paul devait peut-être lui aussi apprendre que ce n’était pas aussi important, moins que de perdre cette amitié.
Louis n’avait pas répondu à Paul qui tenta de calmer la tension qu’il avait lui-même créé dans la pièce :
– Ce que je veux dire, c’est que tu devrais attendre un peu avant de t’avancer. Il y a eu d’autres bons élèves, attends de voir les matières qui te seront favorables et connaitre un peu plus les autres élèves.
Paul regarda son ami hocher la tête en souriant. Il en profita pour conclure avant de changer de sujet :
– Mais si tu as besoin d’aide, Louis, tu pourras toujours me demander.
Cette fois, ce fut la bonne. Louis ne reparla pas de l’Aigle de la journée et n’en fit allusion que très peu le lendemain avant leur départ pour le campus. Paul fut satisfait de pouvoir, l’espace de quelques heures, retrouver son meilleur ami et échanger sur d’autres sujets, ceux qui les avaient toujours rapprochés, les jeux vidéo, les voitures et le cinéma.
A leur arrivée sur le campus, le dimanche, Paul fut heureux de retrouver ses amis. Louis se joignit à eux l’espace d’un instant mais les quitta pour retrouver sa classe.
Paul regarda le groupe d’amis de Louis, ils étaient quatre, trois garçons et une fille. Parmi les amis de Louis, Paul reconnut Nathan, le cousin de Mike, qu’il avait vu partir pour sa mission d’entrée l’année précédente.
Cela fit plaisir à Paul qui était certain que Nathan était une personne sympathique, à l’image de son cousin.
Les jours qui suivirent furent tels que ceux qui avaient précédé les vacances. Paul et ses amis travaillaient dur, ne voyant qu’à peine passer les journées.
Anselme était souvent avec eux le soir, quant à Louis, il les rejoignait de plus en plus rarement pour leur dire bonjour et passer quelques heures en leur compagnie.
Paul déplorait le fait que son meilleur ami continuait de penser qu’il était le meilleur élève que le campus ait jamais porté mais, si cela agaçait aussi Antoine et Arthur, Lucy semblait s’en amuser, le provoquant parfois. Pour elle, Louis était un élève de deuxième année comme un autre et elle n’avait pas d’affinité particulière avec lui.
Au fond de lui, Paul espérait qu’un autre élève passerait devant son meilleur ami pour lui donner une leçon d’humilité. Il se rassurait en pensant que l’état d’esprit de son ami, loin de celui préconisé par l’école, finirai par passer avec le temps.
Le début de mois de novembre marquait le commencement d’une série de contrôles pour Paul et ses amis de troisième année. Leurs professeurs leur avaient concocté un programme chargé et, une fois toutes les deux semaines, ils avaient une épreuve calquée sur le modèle du baccalauréat. Les professeurs faisaient leur maximum pour que les élèves de troisième année soient préparés au mieux pour l’échéance de fin d’année.
Paul n’avait pas de problème pour rendre de bons devoirs. Plus les semaines avançaient et plus il était confiant quant à la préparation de son baccalauréat, pourtant quelques mois plus tard. Cependant, il sentait que quelque chose lui manquait.
Les jours passaient et il se trouvait triste. Il avait de bons résultats, tout se passait pour le mieux sur le campus et il s’entendait bien avec ses amis. Une chose pourtant créait un vide en lui et il était incapable de trouver ce que c’était. La seule chose dont il était conscient était qu’il s’ennuyait.
Le jeune espion cherchait à savoir ce qui pouvait causer cet ennui en lui.
Un soir, alors que le groupe d’amis s’était séparé pour la soirée, Paul discuta de ce qu’il ressentait avec Antoine, au centre de leur dortoir. Avoir partagé la même chambre l’année passée et leur semaine parisienne avant la rentrée les avaient rapprochés. Une relation de confiance s’était installée entre eux et il n’était pas rare qu’ils aient des discussions plus posées et plus profondes qu’avec les autres élèves du campus. Paul ouvrit la discussion :
– Tu ne t’ennuie pas, cette année ?
Antoine fut surprit de cette question :
– Non, pas vraiment, on a quand même beaucoup de travail !
– Oui, mais en dehors du travail…
Antoine le coupa :
– Toi, tu déprime.
Paul rassura son ami :
– Non, je ne déprime pas… Mais je m’ennuie un peu oui.
– Fais du sport.
– Tu crois pas qu’on en fait déjà assez ?
– Je cours tous les matins, c’est efficace.
Paul observa quelques secondes de silence, ne sachant que répondre. Il préféra aller dans le sens de son ami :
– Oui, tu as sans doute raison, mais je ne pense pas que ce soit ça.
Antoine sembla réfléchir avant qu’un éclair ne traverse son regard :
– Il doit te manquer quelque chose qui t’animait l’année dernière !
Paul répondit d’un ton sarcastique :
– Bravo, mais ça je m’en doutais un peu.
Antoine ignora cette remarque :
– Je peux te poser une question ?
– Bien-sûr.
– Comment c’était, quand tu es parti en mission ?
Paul rassembla ses souvenirs et soupira :
– C’était bien, un peu stressant mais bien.
– Tu étais où déjà ?
– Londres puis Amsterdam et Tokyo.
– Tu as voyagé, c’est bien…
– Oui, mais je n’ai pas trop eu le temps de faire du tourisme.
– Et tu étais avec Thomas ?
– Oui.
– Ça devait être sympa.
Paul ne voyait pas où Antoine voulait en venir mais il continua à lui répondre :
– Oui, c’est un bon formateur.
– Et la mission s’est bien déroulée ?
– Oui, dans l’ensemble c’était pas mal.
– Et ça te manque ?
– Bien sûr.
Antoine garda le silence. Paul réalisa que son ami avait touché exactement là où il fallait. Il ne s’ennuyait pas, c’était la mission à laquelle il avait participé l’année passée qui lui manquait. Il se tourna vers Antoine et lui sourit :
– Tu le savais, hein ?
– Je ne vois pas de quoi tu parles.
Paul explicita :
– Dès le départ, quand je t’ai dit que je m’ennuyais, tu avais déjà compris que c’était la mission qui me manquait et que je m’ennuyais à cause de la routine, c’est ça ?
Antoine ne put cacher un sourire de fierté :
– Peut-être.
– Comment tu fais ?
– Je te connais, et je sais observer. Ça fait deux semaines que certains signes ne trompent pas.
Paul réfléchit. Il n’avait pas l’impression d’avoir agi différemment ces derniers temps. Il demanda :
– Quels signes ?
Antoine haussa les épaules :
– Ho, au hasard ? Tu es devenu plus compétitif, tu as l’air plus tendu, comme si tu avais besoin d’adrénaline. Tu es complétement obnubilé par les matières d’espionnages, en particulier les anecdotes ou les récits de mission, tu sembles toujours attendre quelque chose et puis surtout, il suffit de voir comment tu regardes Thomas…
Paul s’étonna :
– Comment je regarde Thomas ?
– Oui, pendant ses cours ou quand tu le croises, on dirait que tu n’attends qu’une chose, c’est d’être convoqué dans son bureau. Pour toi ce n’est plus notre responsable des études, tu le vois comme ton coéquipier et ton sésame pour une nouvelle mission.
– Tu exagères…
– Même pas.
Paul se contint. Il détestait quand Antoine avait raison, et, dans ces moment-là, il avait toujours raison. Il répondit avec dépit :
– Mais il va falloir attendre trois ans encore avant de repartir.
– Pourquoi ?
– Tu sais bien que tant qu’on est dans les études, on ne part pas en mission.
Cette fois, le ton d’Antoine fut bien plus ironique :
– Oui, tu as raison, c’est pour cela que tu n’es pas parti l’an dernier en mission pendant que nous, nous révisions pour le bac.
– Justement, ils ne me laisseront pas partir cette année, raison de plus s’il y a le bac.
– Demande à Thomas.
Paul attendit quelques secondes :
– Et lui dire quoi ? “Bonjour Thomas, je veux repartir en mission parce que je m’ennuie” ? Je ne suis pas sûr qu’il apprécie.
– Tu peux lui dire autrement, il est quand même abordable et compréhensif. Au pire il te dit que ce n’est pas possible et il fera en sorte que tu ailles mieux, tu le connais.
Paul reconnut que son ami était dans le vrai :
– Tu as peut-être raison, je vais y réfléchir…
La porte de la chambre s’ouvrit et Damien apparut. Antoine le fixa, interrogatif :
– Déjà là ?
– Il est onze heures, on doit retrouver nos chambres.
Paul regarda sa montre. Malgré le réconfort et les conseils d’Antoine, son spleen n’était pas passé :
– Déjà ? Bon, je vais aller me coucher, c’est le meilleur moyen de faire passer le temps…
Paul vit Damien qui allait ouvrir la bouche mais Antoine lui fit signe de s’abstenir.
Les trois garçons se préparèrent et se couchèrent.
Dans son lit, Paul repensa à la discussion qu’il avait eue avec Antoine. Plus il y pensait et plus le manque de la mission se faisait sentir. Il savait que son ami avait raison, c’est en allant parler à Thomas que Paul pourrait peut-être repartir. S’il n’en discutait pas avec son responsable d’études, il risquerait de s’en vouloir. C’était décidé, il irait le voir dès le lendemain.
Paul laissa finalement passer le weekend de trois jours à l’occasion du onze novembre avant d’oser aller voir Thomas, il avait repoussé l’échéance par peur de la réaction de son responsable des études. Les trois jours depuis la discussion avec Antoine ne lui avaient pas été bénéfiques. Il avait passé son temps à réfléchir à son discours face à son responsable des études et son moral ne s’était pas amélioré.
Les cours terminés, le jeune espion traversa la cour et entra dans le bâtiment d’accueil. Il monta l’étage et se retrouva devant le bureau de Thomas Duchesne.
Paul prit une inspiration et frappa à la porte. Quelques secondes passèrent avant qu’il n’entende la voix de Thomas répondre à travers la porte close :
– Entrez.
Paul tourna la poignée et poussa la porte.
Thomas Duchesne était assis derrière son bureau. Son regard trahissait sa surprise de voir Paul mais il l’accueilli de sa voix calme et posée habituelle :
– Entre Paul, assied-toi.
Le jeune espion s’avança et prit place face au responsable des études qui reprit :
– Qu’est-ce que je peux faire pour toi ?
Paul hésita, il tenta de se souvenir des phrases qu’il avait préparées mais aucune ne lui revenait, il improvisa :
– Je venais vous voir car j’ai un problème.
Thomas Duchesne sembla soucieux :
– Qu’est-ce qu’il t’arrive ? Ce n’est pas trop grave j’espère !
Paul le rassura :
– Non, non, ne vous inquiétez pas, ce n’est rien d’important mais c’est embêtant.
– Je t’écoute.
Paul murmura :
– Je m’ennuie.
Thomas se redressa sur son fauteuil :
– Ha. C’est un problème en effet. Tu sais pourquoi tu t’ennuies ? Les cours ne sont pas assez intéressants ? Tu trouves cela trop facile ?
– Non…
Thomas ne laissa pas Paul continuer :
– C’est la vie sur le campus alors ? C’est trop monotone ?
– Peut-être que ça joue…
– Tu sais, Paul, c’est une école et vous y vivez, il est normal que le rythme soit un peu répétitif. Il faut profiter des weekends pour faire d’autres choses. Je sais que tes amis et toi êtes souvent au foyer par exemple, vous devriez sortir un peu, surtout que votre bâtiment est bien situé et est sympathique.
Paul hésita :
– Oui, bien sûr, mais j’ai réfléchis et j’ai trouvé pourquoi je m’ennuyais.
– Je t’écoute.
– J’ai envie de repartir en mission.
Thomas garda le silence. Paul le fixa un instant, ne sachant quoi dire.
Le responsable des études sembla embêté. Il réfléchit à sa réponse et finit par dire :
– Tu sais, Paul, je suis conscient qu’une mission est une période particulière, en dehors du temps et que cela peut être passionnant. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que tu es un lycéen, tu passes le bac à la fin de l’année et partir en mission ne serait pas la meilleure idée qu’il soit, malgré tes excellents résultats. De plus, nous ne faisons que très rarement appel à… notre “vivier” pour partir en mission. Nous préférons attendre la fin de vos études, lorsque vous maitrisez les techniques.
Paul tenta de se défendre :
– Mais ça s’est bien passé l’année dernière, et avec un bon encadrant…
Thomas le coupa sèchement :
– Paul, tu as été privilégié, sois en satisfait et contente-en toi. Ce n’est pas à toi de choisir quand tu pars en mission.
Le jeune espion fut vexé par le ton dur de son responsable des études qui poursuivit plus doucement :
– Excuse-moi, mais il faut que tu sois conscient que tu restes un élève. Je ne peux pas décider de qui pars et où, ce n’est pas mon travail et il n’y a pas en permanence des missions qui peuvent concerner des jeunes de ton âge. L’an passé, c’était exceptionnel et je ne veux pas regretter le choix qui a été fait de t’avoir emmené en mission avec moi. Tu es…
Thomas marqua une pause. Paul le vit chercher la fin de sa phrase avant de poursuivre :
– Tu es un élève exceptionnel, je le sais et je suis sûr que toi aussi. Je me doute que c’est parfois un peu dur ici pour toi de te dire que tu ne peux pas mettre la théorie en pratique. Tu as de nombreuses qualité et, comme je te l’ai dit, ce sera un plaisir de retourner en mission avec toi. Cependant, il va falloir attendre un peu. La seule chose que je peux te promettre aujourd’hui c’est que si nous avons besoin d’un élève pour partir en mission et que tu corresponds aux critères, je t’en ferais part. Malheureusement, cela n’arrive que rarement.
– Merci Thomas. Je suis désolé, c’est juste que… Je veux arrêter de m’ennuyer.
Thomas se pencha légèrement en avant, les mains posées à plat sur le bureau :
– N’y a-t-il rien d’autre que tu puisses faire pour contrer cet ennui ?
Paul soupira :
– Je n’ai pas encore trouvé.
– Je suis désolé Paul, il va falloir t’y faire en attendant.
Paul resta muet. Thomas demanda :
– Il y a autre chose que je peux faire pour toi ?
– Non, tout va bien à part ça.
– Bien, si jamais ça ne va toujours pas dans quelques jours… reviens me voir, nous en discuterons.
Paul se releva et prit la main tendue de Thomas Duchesne avant de sortir.
Dans le couloir, Paul soupira. Il était déçu de cet entretien. Il s’était douté que Thomas ne le ferai pas partir en mission mais une petite partie de lui avait gardé espoir. Il avait espéré au moins un peu plus de compréhension, que Thomas lui dirait qu’il aurait bientôt du travail pour lui.
Il déambula dans la cour jusqu’au bâtiment cinq puis entra dans sa chambre avant de s’asseoir sur son lit.
Ses amis étaient encore à la bibliothèque et il avait du temps avant le dîner.
Le jeune espion s’allongea sur son lit. Son moral était encore plus bas. Il prit son casque et mit de la musique. Cela faisait longtemps qu’il n’avait pas eu un moment de calme. Il laissa la musique commencer en mode aléatoire.
Cela faisait longtemps qu’il n’avait pas entendu le rythme de piano de cette chanson, qui s’arrêtait après quelques secondes. C’était une chanson que Paul n’avait pas écouté depuis longtemps. Il laissa son regard s’abandonner par la fenêtre. Quelques nuages passaient rapidement devant le ciel bleu, ce qui arracha un sourire à l’étudiant. Il décida de profiter de ce moment et ferma les yeux un instant en prenant soin de mettre un réveil un peu avant le diner au cas où il s’endormirait.
La musique l’agaça. Il retira ses écouteurs. Il réalisa que le sommeil l’aiderait à aller mieux et à positiver.
Le soir, tout comme les suivants, il se coucha plus tôt.
Paul sursauta. La pièce était sombre. Il entendait des bruits au loin, des cris.
Le jeune espion se leva, imité au même moment par Antoine et Damien. Ils se retrouvèrent près de l’entrée. Ils distinguaient maintenant le bruit des portes qui s’ouvrent violement. Des voix donnaient des ordres dans le couloir. Paul entendit distinctement :
– Allez, bougez-vous !
Antoine regarda ses amis :
– Vous croyez qu’ils vont venir ici ? On devrait se cacher ?
Paul réfléchi et désigna la salle de bains :
– On peut essayer mais s’ils rentrent on va se faire repérer. On n’a pas d’endroit où se cacher ici.
Dehors, les cris continuaient, de plus en plus proches.
Damien intervint :
– On se laisse faire, ce sera le mieux.
Paul s’étonna de l’idée de son ami :
– Pourquoi ?
– Comme tu l’as dit, on ne peut pas se cacher. Et à nous trois, on pourra toujours s’aider s’il y a un problème.
Antoine remarqua :
– Ou alors il n’y a pas de problème.
– Comment ça ?
– On est dans un campus sécurisé, si c’était une attaque, la sécurité serait déjà là.
– Sauf si elle n’a pas eu le temps d’être contactée.
Paul guida ses amis :
– On se prépare alors. Passez au moins un tee-shirt et un sweat, il fait froid dehors.
Alors que les trois garçons s’apprêtèrent à suivre les conseils de Paul, la porte s’ouvrit violemment. Trois hommes habillés en noir, cagoulés et armés de fusils d’assaut entrèrent. Ils se saisirent des garçons et les plaquèrent contre le mur. Paul se sentit écrasé contre le mur de la salle de bain. Ses poignets furent saisis par son agresseur qui les lui menotta dans le dos. Il regarda ses amis dans la même situation.
Le cœur de Paul s’emballa. Il sentit son souffle devenir plus court et sa gorge se serrer. Il savait que dans ces situations, il ne fallait rien laisser paraitre et tout faire pour se calmer. Il tenta de respirer plus calmement. Cela lui était difficile.
Les trois garçons furent sortis violemment de leur chambre. Dans le couloir, les autres élèves étaient tous menottés et conduits vers l’extérieur.
Paul remarqua deux surveillants à terre, ils semblaient avoir été neutralisés et restaient impuissants.
Soudain, il y eut une explosion suivie d’une fumée grise s’échappant du fond du couloir. Une forte odeur de soufre se dégageait de l’explosion qui avait laissé tous les élèves tétanisés. L’homme qui tenait Paul menotté lui ordonna :
– Avance ! Et dépêche-toi un peu !
Paul ne résista pas et, poussé par l’agresseur, avança jusqu’à l’extérieur du bâtiment.
Il faisait nuit noir. Les lumières du campus étaient éteintes.
Les élèves de troisième année traversèrent le campus et arrivèrent au centre de la cour qui était déserte. Paul se demanda ce qui était arrivé aux surveillants, aux vigiles de nuit et aux autres élèves. Il espérait que les assaillants ne soient pas passé par l’autre bâtiment des chambres ou qu’il puisse retrouver ses camarades rapidement.
Les jeunes espions traversèrent le hall d’accueil. Il y avait deux vigiles neutralisés sur le sol, gardés par des hommes en noir. Cette fois c’était une certitude, le campus s’était fait attaqué.
Trois camions militaires étaient garés sur le parking. Ils avaient une cabine vert sombre, de la même couleur que la toile qui recouvrait leur remorque.
Paul fut sommé de monter à l’arrière du second camion, suivi par Antoine et Damien. Ils s’assirent sur un des bancs en bois contre la paroi de tissus. Tous les élèves de troisième année étaient embarqués dans les camions et prenaient place au fur et à mesure de leur arrivée. Paul repéra Arthur, prostré, assis un peu plus loin.
Quatre hommes en noir montèrent à l’arrière et refermèrent le camion qui démarra quelques secondes plus tard.
Paul regarda Damien, il semblait tétanisé. La plupart des élèves l’étaient. Tous se demandaient ce qui allait leur arriver. Antoine demanda à ses amis :
– Ça va ?
Damien répondit :
– J’ai froid.
– Oui, ils ne nous ont même pas laissé le temps de nous préparer. C’est qui d’après vous ?
– Aucune idée, mais ils sont organisés.
Du fond du camion, les espions entendirent un des hommes leur ordonner avec un fort accent de l’est :
– Silence ! On écoute radio.
L’homme monta le son du vieil appareil qu’il tenait sur les genoux, Paul reconnut la station France Inter par son Jingle. Il parvint à entendre :
“Nous revenons sur l’attaque qui a eu lieu cette nuit. Nous vous confirmons que l’ensemble des bâtiments officiels ont été pris d’assaut par une attaque simultanée émanent d’un commando Russe. Nous avons appris qu’il en était de même en Angleterre. Le président des Etats-Unis vient de communiquer et annonce son soutien aux pays européens. Il a sommé son homologue russe de cesser au plus vite cette attaque afin que le calme revienne. Le président américain a ajouté que, sans réponse des russes dans un délai de trois jours, il n’exclurait pas la possibilité d’une riposte nucléaire. Le Président de la république française serait actuellement prisonnier des forces Russes et nous n’avons pour le moment aucune nouvelle le concernant. Cependant, les députés et ministres qui n’étaient pas dans les bâtiments officiels seraient en train de se réunir pour un conseil de crise exceptionnel dans un lieu qui nous est inconnu. France Inter continuera de suivre l’évènement tant que nous en aurons la possibilité. Nous apprenons à l’instant que certains de nos collègues de Radio France, de RMC et de BFM TV ont eux-aussi été attaqués, mettant fin aux diffusions de leurs programmes. Nous vous rappelons que pour votre sécurité, il vous est conseillé de trouver refuge dans un endroit sous-terrain et de ne pas en sortir tant qu’aucun ordre ne vous sera donné. Restez à l’écoute de notre radio pour suivre cette information.
Nous revenons sur l’attaque qui a eu lieu cette nuit…”
L’homme coupa sa radio qui commençait à émettre le même message à nouveau. Il préféra mettre de la musique, une chanson qui ressemblait à un chant folklorique dans une langue inconnue aux oreilles de Paul. Damien se tourna vers ses amis et chuchota :
– Je connais cette musique…
Antoine s’étonna :
– Comment ça ?
– C’est un chant que j’ai entendu chez un ami, j’avais bien aimé. Aujourd’hui j’ai plus vraiment le même avis.
– Tu sais d’où il vient ?
– Oui attend, j’essaye de me souvenir, mon ami est fier de ses origines…
Damien garda le silence le temps de réfléchir puis annonça fièrement :
– Cosaques ! Cette chanson c’est Oysa Oysa je crois, si je me souviens bien c’est une prière pour leur pays ou quelque-chose comme ça.
Antoine intervint :
– On est mort quoi.
– Pourquoi ?
– Rappelle-toi de nos cours, les cosaques appartiennent à la Russie et constituent une force pro-Russe. C’est pas vraiment des tendres il me semble.
– Donc tout est vrai ? Ce qu’on a entendu à la radio ?
– Visiblement.
– Il faut faire quelque chose.
Paul comprit que les hommes qui les avaient attaqués étaient bien liés à l’attaque que subissait la France bien qu’il peinait à croire qu’une telle attaque puisse avoir eu lieu sans qu’il n’y ait de riposte. Il regarda ses camarades assis dans le camion. Il devina que certains retenaient des larmes. Lui aussi, il se sentait désemparé.
Damien chuchota :
– Paul, on fait quoi alors ?
Paul répondit sur le même ton :
– On ne peut rien faire pour l’instant, si on bouge, ils tireront.
Après un long moment, le camion se gara enfin. Paul regarda l’arrière du véhicule. Trois élèves furent débarqués, accompagné d’un des russes qui remonta après quelques secondes.
Le camion se remit en route.
Il s’arrêta plusieurs fois, à des intervalles irréguliers. Chaque fois, trois élèves des quinze présents dans le véhicule devaient descendre.
Paul, Damien et Antoine se retrouvèrent seuls dans le camion, encadrés par les quatre russes.
Le véhicule s’arrêta à nouveau.
Un des assaillants les regarda et leurs fit signe que c’était leur tour.
Les trois jeunes espions se retrouvèrent dans une forêt. Deux hommes en noir les attendaient et les firent marcher quelques mètres, jusqu’à une petite grotte fermée par une grille.
L’un des hommes ouvrit et fit entrer Paul et ses camarades. Il leur retira les menottes, les regarda fièrement puis ferma la grille.
Paul entendit la clé tourner dans la serrure puis les hommes en noir s’éloignèrent.
Au loin les espions purent entendre le bruit du camion démarrer et s’éloigner.
Les yeux de Paul se firent à l’obscurité. Il distinguait maintenant les parois de la petite grotte dans laquelle ils avaient été enfermés.
Les trois espions s’approchèrent de la grille rouillée qui les coupaient de l’extérieur. Antoine demanda :
– Vous pensez qu’on peut l’ouvrir ?
Damien tira sur la porte qui ne bougea pas :
– C’est bien fermé.
– La grille doit être là depuis un bon moment.
Paul qui était resté derrière ses amis intervint :
– Il y a quelque chose qui ne colle pas… plusieurs choses même.
Antoine se retourna :
– Comment ça ?
– Pourquoi nous ont-ils séparés pour nous mettre dans ce genre d’endroit ? Je veux dire, si vous deviez attaquer une école et capturer des élèves, vous vous y prendriez comment ?
– Je ne sais pas, comme eux j’imagine. Pourquoi ?
– Il serait mieux d’enfermer les prisonniers au même endroit, en le gardant par plusieurs hommes armés. En plus nous sommes les seuls, s’ils avaient tué les autres, pourquoi pas nous ? Là, nous sommes en pleine forêt, personne ne nous surveille. Quelque chose ne va pas dans leur manière de procéder.
– Tu penses à quoi ?
– Que c’est un test.
– De l’Aigle ?
– Oui, ça y ressemble non ?
Antoine garda le silence que Damien coupa :
– Mais la radio ? Tu as bien entendu comme nous dans le camion, non ?
– Justement, pourquoi auraient-ils mis la radio pour écouter ce qu’ils savaient déjà ?
– Pour nous faire peur et montrer qu’ils étaient sérieux.
– Exactement, pour nous faire croire à leur scénario. Il n’est pas compliqué d’enregistrer un message et de le diffuser ensuite sans même passer par une vraie radio. Ils nous mettaient en condition.
Antoine acquiesça :
– Tu as raison… Les autres n’ont même pas été tué, je suis sûr qu’ils dormaient. Il n’y avait pas de lumière dans le bâtiment quatre. En plus, je n’ai vu aucun élève de quatrième année qui dorment juste au-dessus de nous. Ils auraient dû aussi être capturés, ou descendre à cause des cris.
Antoine marqua une pause et reprit :
– Vrai ou non, ça n’empêche pas qu’il faut sortir d’ici. Gardons en tête ce qu’on a entendu et restons concentrés. Que ce soit une simulation ou non, nous devons rester sérieux. Paul, tu as une idée ?
– Commençons par bien inspecter l’environnement. Il y a toujours une solution.
Les trois garçons inspectèrent tant bien que mal les murs de la grotte. Dans la pénombre, il leur fallut plus de concentration et un temps conséquent pour bien distinguer chaque recoin.
Après une dizaine de minutes, Damien s’écria :
– J’ai trouvé un bout de papier !
Ses amis se retournèrent et Damien sortit sa trouvaille avant d’annoncer, déçu :
– C’est un papier de KitKat qui s’était coincé….
Paul encouragea ses amis :
– On continue, on va trouver.
Quelques secondes plus tard, ce fut au tour d’Antoine d’arrêter ses amis :
– Ici, il y a une sorte de morceau en métal, je vais essayer de le sortir.
Après avoir tiré avec force, Antoine réussit à extraire la pièce métallique. C’était une petite plaque au bout de laquelle pendait une petite clé. Antoine regarda l’objet et découvrit une inscription qu’il déchiffra :
– 14S90. Qu’est-ce que c’est ? Le numéro de série ?
Paul réfléchit :
– Quatorze S quatre-vingt-dix… Aucune idée, mais regardons si la clé peut être utile.
Antoine s’approcha de la grille qui les enfermaient. La clé entra dans la serrure et tourna sans même résister. Les trois espions sortirent et regardèrent leur prison. Paul remarqua :
– Bon, j’avais raison.
Damien s’étonna :
– Comment ça ?
– Si nous avions vraiment été prisonniers, je ne pense pas qu’on nous aurait laissé une clé.
– Pas bête. On fait quoi alors ?
Paul réfléchit :
– On a plusieurs possibilités, soit on tente de regagner le campus pour voir ce qu’il s’y passe, soit on va chercher les autres, soit il y a autre chose à trouver.
Antoine répondit :
– Et pour le 14S90 ? Si le but était de trouver la clé, j’imagine que l’inscription n’est pas due au hasard non plus…
– Ça ne me dit rien pour le moment…
Damien prit part à la réflexion :
– Si c’était un code ? Pour une porte, ou une énigme ?
– C’est possible, encore faut-il pouvoir la résoudre.
Antoine remarqua :
– On est perdu au milieu de nulle part avec seulement cette indication. Sauf si nous avons raté quelque chose dans notre prison.
Damien eut visiblement une idée et annonça en souriant :
– Tu as raison, Antoine ! On est perdu !
Le jeune espion se tourna et s’approcha d’un arbre puis revint devant la grille. Il semblait chercher quelque-chose du regard. Antoine se tourna vers Paul :
– Et il est content en plus.
Paul sourit pour répondre à son ami. Il ne comprenait pas plus que lui ce qu’il se passait mais faisait confiance à Damien qui semblait sûr de lui.
Damien fit plusieurs grands pas, passant devant ses amis. Il se tourna, continua ses enjambées puis s’arrêta :
– Bon, vous venez ou vous restez plantés là ?
Les deux espions restés en retrait s’approchèrent. Damien désigna fièrement un sac de sport noir posé devant ses pieds.
Antoine, interloqué, lui demanda :
– Comment tu as fait ?
– Des années de jeux vidéo, des livres d’énigmes et des escapes games. C’est un classique. Ce n’était pas quatorze S quatre-vingt-dix, tu as confondu le zéro avec un O, Quatorze S neuf O, quatorze Sud neuf Ouest, j’en ai conclu que c’était des pas ou des mètres et voici. C’était simplement derrière un arbre.
Antoine admira son camarade :
– Bravo.
Damien se baissa et ouvrit le sac. Les trois espions découvrirent une radio, deux feuilles, trois pommes, trois paires de basket, des pantalons et des tee-shirt noirs.
Damien remarqua :
– Au moins, on va pouvoir s’habiller, il commence à faire froid.
Paul, en caleçon depuis le départ comme ses amis, eut soudain un frisson. La peur et l’excitation lui avaient même fait oublier le froid jusqu’à cet instant.
Antoine acquiesça en prenant un pantalon et un tee-shirt :
– Oui, mais ce n’est pas non plus exceptionnel, en plus ce sont des manches courtes.
Paul prit les feuilles et lut la première :
“Chers élèves,
Vous avez été séparés en plusieurs groupes de trois à divers endroits afin de prendre part à une mission de test.
Attention cependant, pour que cette mission soit une réussite, il faudra que tous les groupes arrivent à mener à bien sa tâche. Vous avez en votre possession une radio réglée sur le canal 3. Passez sur le canal 4 qui vous permettra d’échanger avec l’ensemble des élèves de votre classe. Chaque groupe doit avoir en sa possession une radio.
Menez à bien votre mission. Bon courage. “
Antoine réagit :
– Trois pommes pour deux semaines ? Ils sont devenus complétement fous ?
Paul le rassura :
– Ne t’inquiètes pas, tu les connais, ils doivent avoir tout prévu. Je vais lire la seconde feuille, nous verrons bien ce que ça dit.
Paul s’exécuta :
“Ordre de Mission – Équipe 3
Vous êtes sept équipes sur le terrain pour mener à bien l’organisation avant la contre-attaque face à un ennemi ayant pris le contrôle de plusieurs bases alliées de la région.
Vous allez devoir travailler ensemble et vous coordonner.
Les trois positions sont les suivantes :
– Une cache d’arme. Elle est située dans une ancienne demeure. C’est à cet endroit que nos forces alliées se retrouveront afin de se ravitailler et ce sera pour vous tous un lieu sûr dans lequel vous pourrez vous équiper. La demeure se situe à un kilomètre au nord de la position de l’équipe trois.
– Un bâtiment servant de ravitaillement en nourriture et en eau a été repéré au Sud-Est de la forêt. Il vous sera indispensable pour tenir jusqu’à l’arrivée des alliés. Nous n’avons pas plus d’information à ce sujet.
– Un grand bâtiment désaffecté servira d’hôpital pour nos alliés. Nous avons de bonnes raisons de croire que les ennemis s’en sont déjà emparé. Il va falloir le capturer et le garder. Vous le trouverez à l’ouest de l’équipe cinq.
Bon courage.“
Damien demanda :
– Paul, il va falloir bien s’organiser, tu devrais être le seul à prendre les décisions et être chef d’équipe.
Antoine acquiesça. Paul fut flatté de la confiance de ses amis mais savait aussi que ses choix allaient être importants :
– Vous êtes sûrs de vous ?
Antoine répondit :
– Tu es le meilleur de la classe et tu sais prendre les décisions, je pense que tu es le mieux placé pour être chef d’équipe, Damien a raison.
– Bon, si c’est ce que vous souhaitez, je vais essayer de faire les bons choix.
Sur ces paroles, Paul prit la radio qui était restée dans le sac. Une molette affichait les chiffres de zéro à neuf. Elle était placée sur le numéro 3. Paul la tourna sur le 4 puis appuya sur le bouton pour parler :
– Ici Paul, équipe numéro trois, quelqu’un m’entend ?
Quelques secondes passèrent :
– Paul, Arthur ici, équipe cinq. Tout va bien ?
– Oui, super. Content de t’entendre. Des nouvelles des autres équipes ?
Une autre voix se fit entendre :
– Ici Aymeric, équipe une. On vous entend, et vous ?
Paul répondit :
– On vous entend parfaitement. Il nous manque les équipes deux, quatre, six et sept.
Une voix féminine, plus lointaine, grésilla dans la radio :
– Sophie, équipe sept.
– Bonjour Sophie.
– Bonjour Paul, on n’est pas loin d’une autre équipe, on a vu le camion s’arrêter après nous avoir déposés. On va tenter de les rejoindre et de les aider si besoin. On vous tient informés.
– Merci Sophie. Nous allons attendre que tous les groupes soient joignable puis faire un plan d’action en fonction de nos missions. Afin de faciliter les communications, commencez par donner votre nom et équipe avant de parler.
– Arthur équipe cinq, je suis d’accord.
– Aymeric, équipe une, moi aussi.
– Sophie, équipe sept ça me va.
Le silence se fit dans la radio avant qu’un grésillement annonce une communication. Les trois espions entendirent :
– Quelqu’un nous entend ?
Paul répondit :
– Oui, qui est-ce ?
– C’est Ethan.
– Ok Ethan, tu es dans quelle équipe ?
– La deux.
– Parfait. Lorsque tu parles, annonce d’abord ton nom et numéro d’équipe.
– Ok.
Il fallut à nouveau attendre un moment avant une nouvelle communication :
– Sophie, équipe sept, on a récupéré l’équipe quatre, ils ont aussi une radio, je leur ai expliqué. Il nous manque quelle équipe ?
– Paul, équipe trois, il manque l’équipe six.
– On est là ! C’est Lucy, équipe six.
Après s’être assuré que chacun des élèves soit bien dans une équipe, Paul commença à échafauder un plan. Il décida qu’il était primordial que l’emplacement où se trouvait la nourriture soit repéré au plus vite. Il ne savait cependant pas quelle équipe était la plus proche ni par où commencer. Il prit sa radio pour annoncer :
– Paul, équipe trois. Il faut que nous trouvions le ravitaillement. Il est au sud-est de la forêt. Dirigez-vous vers cette position. Nous allons vers le nord pour trouver les armes et l’équipe cinq, allez vers l’ouest pour trouver l’hôpital.
– Julien, équipe quatre. Comment on peut trouver le sud-est ?
– Paul, équipe trois, repérez la grande ourse, ce sera approximativement le Nord.
– Il n’y a pas d’ours dans cette forêt !
Paul fit son maximum pour ne pas s’énerver :
– La grande ourse, l’étoile. On l’a étudié en première année en cours d’indépendance.
– Je te faisais marcher, Paul, on est déjà en route.
Après près d’une heure de marche, la radio grésilla :
– Julien, équipe quatre, on est avec l’équipe sept et on est arrivé au bout de la forêt.
– Paul, équipe trois, allez vers l’ouest, vous ne devez pas être très loin.
– Arthur, équipe cinq, on a trouvé l’hôpital. C’est gardé.
– Parfait, attendez que nous ayons trouvé les armes et nous viendrons vous aider.
Quelques minutes plus tard, Paul, Damien et Antoine distinguèrent les contours d’un grand bâtiment. Ils s’approchèrent discrètement. Damien demanda :
– Vous croyez que c’est la cache d’arme ?
Paul observa les alentours puis remarqua :
– Ça ressemble à une grande maison, comme indiqué dans l’ordre de mission. On doit être au bon endroit.
La radio coupa leur réflexion :
– Julien, équipe quatre, on a trouvé le bâtiment avec la nourriture, il est gardé aussi.
Paul prit sa radio :
– Paul, équipe trois, on a trouvé le bâtiment des armes, il n’y a pas de mouvement pour l’instant. Que chaque équipe garde sa position en restant discret. On va voir ce qu’il se passe ici.
Les trois espions de l’équipe de Paul restèrent quelques minutes en observation. Il n’y avait aucun mouvement. Antoine avança doucement vers la maison et regarda par l’une des fenêtres. Il fit signe à ses coéquipiers de le rejoindre. Ils s’approchèrent de la porte.
Antoine tourna la poignée mais le bâtiment était fermé à clé.
Damien demanda :
– On peut essayer par une fenêtre ?
Antoine acquiesça :
– Bonne idée, faisons le tour.
Les trois espions firent doucement le tour de la maison. Aucune fenêtre n’était ouverte. Antoine proposa :
– Vous voulez que je casse un carreau ?
Paul réfléchit :
– Je crois qu’on n’a pas le choix. Tu sais le faire ?
Antoine haussa les épaules :
– Bien sûr.
Paul et Damien observèrent Antoine prendre son tee-shirt et l’entourer autour de son poing. Le carreau, fin, ne résista pas au premier coup que donna l’espion. En quelques secondes, la fenêtre était ouverte et ils purent entrer dans la demeure.
Ils en firent le tour rapidement pour confirmer qu’elle était bien déserte. Damien tenta d’allumer la lumière mais aucune ne fonctionna, il n’y avait pas d’électricité. De plus, aucun radiateur ne chauffait.
Les trois espions trouvèrent à l’étage, dans une grande pièce, quatre malles. Ils les ouvrirent une à une.
Dans la première, les trois espions découvrirent un grand nombre de sweats ainsi que des paires de chaussettes et des tee-shirt à manche longue. Ils se changèrent afin de se réchauffer et ouvrirent la seconde malle.
Elle contenait des pistolets, des boites de cartouches et des chargeurs. Antoine prit une arme et observa :
– Ce ne sont pas des vrais mais de belles imitations de Colt M1911.
Il sortit une cartouche :
– Ce sont les bonnes.
Paul trouva au milieu des cartouches une feuille pliée sur laquelle était inscrit quelques mots. Il lut à haute voix :
“Vous n’imaginiez quand même pas trouver de vraies armes ? Ce sont des imitations de Colt M1911. Il y en a seize contenant tous un chargeur. Vous trouverez cent douze cartouches ainsi que seize chargeurs supplémentaires. Vous comprendrez donc aisément que vous aurez deux chargeurs par arme. Les cartouches sont une invention de l’école, elles libèrent de la peinture et sont réellement inoffensives.”
Antoine s’équipa d’une arme :
– Cinq élèves n’en auront pas. Il va falloir réfléchir à qui aura le droit d’être armé ou non.
Paul ouvrit la troisième malle. Cette fois, aucune arme mais des lunettes, assez pour chaque élève. Paul en passa une paire :
– Ce sont des lunettes qui permettent de mieux voir de nuit, ce n’est pas non plus le top mais c’est déjà ça. Elles vont nous être utiles.
Damien n’attendit pas et ouvrit la malle suivante. Les trois espions eurent un geste de recul. Cinq fusils à lunette étaient empilés. A côté d’eux, une cinquantaine de munitions et des grenades. Un mot était posé sur la première arme. C’est Damien qui le lut à ses amis :
“Ces Accuracy AT308 sont factices, ils tirent des munitions à peinture. Il y a dix munitions par armes. Comme vous l’aurez remarqué, seuls cinq fusils de précision sont à votre disposition. Les grenades sont de grenades pseudo-assourdissantes. Méfiez-vous tout de même lors de leur utilisation…“
Antoine sortit un fusil de précision et déclara :
– Il en faudra deux par bâtiment à sécuriser, ici, celui des vivres et un dernier en soutien. Paul, tu sais qui pourra s’en charger ?
– Il faudra des personnes calmes qui pourront tirer à distance et qui seront précises. Tu as une idée ?
Antoine, le passionné d’armement réfléchit :
– Arthur, il est calme et posé et c’est quelqu’un de confiance.
– Oui, tu as raison.
– Baptiste, il est discret mais je pense que c’est le genre de personne sur qui on peut compter. Ensuite, Yanis, il conviendra parfaitement.
– Et les deux derniers ?
– Aurélien et Léa. C’est une tueuse, ça se voit.
– Entendu, nous avons nos cinq snipers.
– Tireurs d’élite.
– Si tu veux.
– On risque de devoir réorganiser les équipes lorsqu’on se retrouvera.
– Tu as raison, Paul.
Sur ces mots, Antoine ouvrit la dernière malle. Il découvrit sept pistolets de détresse accompagnés de quatorze cartouches. Aucun mot ne l’accompagnait.
Paul prit la radio et annonça :
– Paul, équipe trois. Nous avons trouvé les armes, on sera bien équipés. Nous avons aussi des pistolets de détresse, je vous propose de nous rejoindre, Antoine va tirer une fusée pour vous indiquer le lieu. Courage, on a des sweats pour se réchauffer.
Quelques élèves confirmèrent avoir reçu le message. Paul précisa aux équipes ayant trouvé d’autres bâtiments de les rejoindre mais de s’assurer qu’ils pourraient retrouver leur chemin par la suite.
Antoine sortit de la maison et tira une fusée qui illumina le ciel d’une vive lumière rouge.
Quelques secondes plus tard, Paul entendit à la radio :
– Arthur, équipe cinq. Paul, on vient de voir une dizaine d’hommes quitter l’hôpital. Ils ont repéré la fusée !
– Paul équipe trois, bien reçu. Merci. Faites attention en nous rejoignant de ne pas vous faire repérer !
– Julien, équipe quatre, six personnes sont sorties de la réserve de vivres et se dirigent aussi vers vous.
– Merci Julien. On va aviser.
Soudain, Damien s’écria :
– Venez voir !
Paul et Antoine accoururent. Damien avait ouvert un placard et découvert de nombreux sacs de couchage qui leur permettraient de dormir de manière confortable pendant leur mission. Derrière, des sacs à dos vides étaient entreposés.
Paul ne voulait pas s’attarder et prit à nouveau la direction de l’équipe :
– Antoine, prends un pistolet et un sniper. On risque d’avoir des visiteurs. Poste-toi à la fenêtre de l’étage en direction du sud, je pense que notre position est au nord des autres. Damien, va prendre deux pistolets, je vais faire de même et nous allons attendre près de l’entrée au cas où nous serions attaqués. La fusée a alerté des ennemis.
Les deux amis de Paul s’exécutèrent puis Paul prit la radio :
– Paul équipe trois. Lors de votre arrivée, prévenez-nous par radio. Nous avons pris des armes au cas où nous serions attaqués.
Un quart d’heure passa avant que Paul n’entende à la radio :
– Ethan, équipe deux, nous arrivons.
Paul indiqua qu’il avait bien reçu le message et alla ouvrir la porte après avoir prévenu ses coéquipiers de ne pas tirer.
Quelques secondes après, Ethan entra dans la maison, accompagné de Lucas et de Yanis.
Les six espions se mirent d’accord pour chacun prendre un pistolet, sauf Yanis qui prit un fusil d’assaut. Grâce à lui et à Antoine, ils verraient les ennemis venir depuis deux directions. Les quatre autres élèves gardèrent des armes de poing et se postèrent en bas de la maison.
L’équipe une et l’équipe six, menée par Lucy, arrivèrent peu de temps après. Ils étaient maintenant douze à protéger la maison lorsqu’un bruit vint de la radio. Les espions entendirent des voix sans distinguer ce qu’il se disait. Puis, une voix fut plus nette :
– Non, arrêtez !
Paul reconnut la voix d’Arthur mais la communication se coupa malgré les relances de l’espion qui comprit que l’équipe de son ami s’était faite repérée et capturée.
Il n’y avait rien à faire, les espions n’avaient aucune idée de l’endroit où leurs amis allaient être emmenés, que ce soit dans un des bâtiments à capturer ou dans l’une des prisons dans lesquelles ils avaient été enfermés à leur arrivée. Paul donna l’ordre de rester dans la maison pour la protéger, ils iraient secourir l’équipe capturée plus tard.
Après un quart d’heure, Antoine s’écria :
– J’ai un groupe de personnes au sud !
Paul ordonna :
– Yanis, va en soutien pour les avoir de loin. Les autres, dispersez-vous aux fenêtres du rez-de-chaussée. Damien et moi on reste aux fenêtres sud.
Soudain, un premier coup de feu fut tiré. C’était Yanis qui annonça :
– Un ennemi neutralisé.
Antoine avait vu juste en le désignant comme tireur. Il avait été précis.
Plusieurs tirs de la part des deux tireurs d’élite furent tirés, systématiquement suivi de la phrase “Ennemi neutralisé” sauf après l’un des tirs d’Antoine qui avait raté sa cible. Antoine et Yanis prouvaient qu’ils étaient des tireurs hors-pair malgré leur peu d’expérience. Ils avaient été précis et aucun ennemi ne parvint à s’approcher de la demeure. Paul demanda à Antoine de garder l’un des fusils. Arthur ayant été capturé, il en restait un de libre pour lui.
Les deux dernières équipes arrivèrent quelques minutes après. Chacun s’équipa et, lorsqu’Antoine prévint qu’un autre groupe ennemi était en approche, ils furent assez nombreux pour les repousser sans grande difficulté.
Les dix-huit élèves de la classe qui n’avaient pas été capturés se retrouvèrent dans un grand salon au rez-de-chaussée. C’est Ethan qui proposa :
– Il va falloir se coordonner. Il y aura moins d’ennemi dans les deux autres positions maintenant que certains nous ont attaqué. Mais nous ne savons pas combien il en reste.
Paul proposa :
– Peut-être qu’on devrait refaire les équipes, il n’est pas utile d’en avoir six si plusieurs restent toujours ensemble.
– Tu as raison, comment souhaites-tu faire ?
Paul était content qu’on lui demande son avis et répondit :
– Il faudra au minimum trois équipes, une par bâtiment. Le mieux est de les équilibrer. De plus, il va falloir sauver l’équipe cinq qui s’est faite capturée. Je propose qu’une équipe reste ici et que les deux autres partent ensemble dans un premier temps secourir l’équipe cinq. Une fois que ce sera fait, chacun d’eux se joindra à une équipe.
Ethan demanda :
– Tu sais déjà qui ira dans quelle équipe ? Par affinité ?
– Non, par compétence. Il y aura cinq snipers.
Antoine intervint :
– Tireurs d’élite.
– Oui, tireurs d’élites. Nous avons vu qu’un seul suffisait ici pour voir arriver des ennemis, donc il y en aura deux dans l’équipe hôpital et deux dans l’équipe ravitaillement.
Ethan continua :
– Antoine restera ici, avec Paul, Damien, Lucas et moi. Nous serons l’équipe A si cela convient à Paul.
– Oui, parfait.
Paul découvrait chez Ethan des talents de meneur d’homme qu’il ignorait jusqu’à lors. Ethan continua :
– L’équipe H pour hôpital et l’équipe V pour les vivres seront composées pour la première de Baptiste et Yanis en tireurs, puis Aymeric, Sophie et Laura. Léa et Aurélien seront les tireurs de l’équipe V avec Clarence, Nicolas, Julien et Valentin. Ça convient à tout le monde ?
Personne ne contesta et Ethan poursuivit :
– Aymeric, tu seras chef de l’équipe H et Léa de l’équipe V. Paul, tu veux bien diriger la A ? C’est vous qui êtes arrivés ici et tu as mené la défense du bâtiment jusqu’à maintenant.
Paul hésita. Ethan était visiblement au moins aussi bon pour prendre des décisions. Il répondit :
– Tu ne veux pas le faire ?
– Non, tu es bien meilleur stratège que moi, de plus tu connais mieux les membres de l’équipe, tu seras parfait.
– Bien. C’est d’accord.
– Comment veux-tu que nous fassions maintenant ?
Paul réfléchit et répondit :
– Les équipes H et V vont aller secourir l’équipe manquante. Il va falloir vous séparer pour les trouver. L’équipe H s’occupe de l’ouest et l’équipe V de l’est. Lorsque l’une des équipes aura trouvé nos prisonniers, pas de tir de fusée mais une correspondance radio. Une fois qu’on les aura libérés, on ira prendre les vivres. Une équipe nous amènera de quoi tenir quelques jours avant d’aller attaquer l’hôpital. Si nous ne trouvons pas l’équipe capturée d’ici le midi, nous changerons nos plans pour attaquer le bâtiment des vivres. N’oubliez pas de vous équiper. Ne prenez pas de sac de couchage pour le moment, il ne faut pas vous surcharger. Vous viendrez les prendre lorsque vous aurez une position à tenir. Cela vous convient ?
Léa demanda :
– Et pour se reposer d’ici là ? Si nous n’arrivons pas à avoir le bâtiment des vivres tout de suite, il faudra bien que nous dormions.
– Si jamais cela arrive, tout le monde dormira ici afin d’être protégé par une autre équipe.
– Ça me parait bien.
– Alors allez-y, n’oubliez pas, trouvons rapidement l’équipe manquante afin d’avancer dans notre mission.
Les élèves des équipes H et V sortirent de la demeure. Antoine remonta et se posta à la fenêtre, accompagné par Damien. Au rez-de chaussée, Paul resta avec Ethan, Pauline et Lucy. Ethan proposa :
– Si certains veulent dormir, d’autres peuvent monter la garde.
Lucy ajouta :
– Oui, si notre équipe reste ici plusieurs jours, nous devrions faire trois équipes. Chacun pourra dormir à tour de rôle.
– Tu as raison. Paul, tu connais presque tout le monde, tu peux faire les équipes de garde ?
– Et bien… Damien et Lucy j’imagine. Antoine est tireur et il nous en faut au moins un deuxième.
Ethan précisa :
– Moi je peux.
– Ok, alors Antoine et Pauline et Ethan et moi. Ça vous va ?
Tout le monde était d’accord. Chaque équipe pouvait se reposer pendant cinq heures avant deux heures trente de garde. Si la situation était plus délicate, ils inverseraient les heures de repos et de garde.
Par radio, Paul prévint de cette décision afin qu’elle soit appliquée par chaque équipe lorsqu’ils tiendraient des positions.
Les premiers à pouvoir bénéficier de deux heures trente de pause étaient Damien et Lucy.
– Aymeric, équipe H. On a repéré les prisonniers.
Paul venait de terminer son tour de pause et prit la radio posée devant lui :
– Paul, équipe A. Tu peux nous donner un peu plus d’infos ?
– Ils sont dans une cage au milieu de la forêt. Il n’y a personne autour. On va tenter de les libérer, je pense qu’on peut le faire sans renfort.
– Soyez prudents. Equipe V, revenez vers nous pour les attendre.
– Léa, équipe V, bien reçu.
– Equipe H, vous nous tenez informé ?
– Oui, Baptiste et Yanis restent en retrait pour nous couvrir, on va vers la cage.
Le silence se fit. Par la radio, Paul n’entendit que de légers bruits des membres de l’équipe H qui se mouvaient lentement. S’en suivit un bruit métallique puis, soudain, un coup de feu. Aymeric reprit la parole :
– On a ouvert la porte. Attends, il y a du bruit.
La radio se coupa. Paul sentit sa gorge se nouer, si les trois prisonniers avaient servi d’appât et que l’équipe H se faisait à son tour capturer, il allait être beaucoup plus difficile de résister. Il faudrait réorganiser tous les plans. Paul demanda à Ethan, resté avec lui :
– S’ils se font prendre, il faudra qu’on aille les libérer avec l’équipe V.
Ethan sembla réfléchir :
– Non, tout le monde à faim, il faudra commencer par le bâtiment des vivres avant.
– Tu as raison. Dans ce cas, on chargera le matériel dans les sacs et on déplacera tout dans le deuxième bâtiment. On reprendra celui-ci ensuite.
– C’est plus sage oui, à douze, on devrait être assez pour agir rapidement.
La radio se remit à grésiller :
– Aymeric, équipe H.
Paul poussa un soupir de soulagement alors que son camarade continuait :
– On s’est fait attaquer mais ils n’étaient que deux. On les a éliminés. Paul, qu’est-ce qu’on fait maintenant ?
– Les prisonniers sont libérés ?
– Oui.
– Revenez ici pour que chacun d’eux rejoigne une équipe. Vous partirez ensuite vers le bâtiment des vivres avec l’équipe V. Certains savent où il se trouvent.
Une autre voix se fit entendre :
– Léa, équipe V. Julien vient de me dire qu’il y avait au moins une heure de marche entre le bâtiment des vivres et celui des armes. D’après lui, on est à mi-chemin. Le jour se lève et on commence tous à être fatigués.
Paul réfléchit :
– Bien, équipe V, revenez quand même ici. Pendant ce temps, on va réfléchir à une nouvelle organisation de notre plan d’action, mais certains ont faim et on veut le prendre au plus vite quitte à prendre l’hôpital plus tard.
– On arrive.
Une demie heure plus tard, l’équipe V était dans la demeure. Paul leur proposa à tous de se reposer pendant qu’il continuait à monter la garde avec Ethan.
Il fallut une demie heure de plus avant que les prisonniers et l’équipe H ne les retrouvent. Paul leur accorda aussi un répit et répartit les trois nouveaux éléments dans les équipes. Arthur resterait avec l’équipe A et remplacerait Ethan au fusil de précision. Il serait dans le même tour de ronde que Paul. Clément était dans l’équipe H et Mathieu dans l’équipe V.
Le soleil était haut dans le ciel quand Paul indiqua qu’il était temps de se remettre en route pour les équipes H et V. Ethan demanda cependant :
– Tu ne penses pas qu’il faudrait attendre la nuit ? Nous n’avons que des vêtements sombres et on risque de se faire repérer en plein jour.
Paul fut ferme :
– Non, cela va bientôt faire seize heures que nous n’avons pas mangé. Si nous continuons à attendre, nous aurons moins de force encore et moins de concentration. C’est cette deuxième position qui nous permettra de tenir.
Pauline, pourtant discrète, appuya le meneur :
– Paul a raison, s’il faut, je peux remplacer quelqu’un dans une des équipes sur le terrain.
Léa continua :
– Non, l’équipe V s’est reposée, on peut y aller sans problème.
Paul se tourna vers Aymeric :
– Parfait, et l’équipe H ?
– Pas de problème.
– Alors allez-y. Une fois là-bas, dites-nous comment est la situation et si vous avez besoin de renforts.
Julien intervint :
– Quand nous y étions, il n’y avait pas trop de monde, je pense qu’on sera bien assez pour capturer le bâtiment. Ensuite, il faudra que quelqu’un vous apporte de la nourriture.
– L’équipe H reviendra après avoir mangé avec des réserves pour nous et eux. L’équipe V, vous pensez pouvoir garder un bâtiment ?
Léa répondit pour son équipe :
– Bien sûr.
Paul hocha la tête :
– Prenez toutes les radios sauf la mienne. Nous n’avons pas besoin d’en avoir deux et vous pourriez être amenés à vous séparer et vous coordonner pour attaquer.
Les deux équipes en charge de capturer le bâtiment de vivres se mirent en route.
Lorsqu’ils furent sortis, Arthur remarqua :
– Paul, l’équipe H ne sera pas suffisante pour l’hôpital. Il faudra une deuxième équipe.
– Pourquoi ?
– Lorsqu’on s’est fait repérer, une dizaine d’hommes venaient vers vous. Ce sont eux qui nous ont surpris. On est repassé ensuite par l’hôpital, on a vu qu’ils étaient très nombreux, je me demande si ce n’est pas pour eux une base importante d’hommes.
– Tu as une idée de combien ils sont ?
– Une soixantaine, peut-être même une centaine.
– Merci, Arthur. Dans ce cas, il faudra tous y aller.
– Il faut que j’ai un fusil, je vous serai bien plus utile.
– Tu prendras celui d’Antoine, il est plus efficace avec un pistolet.
– Il reste combien de cartouches ?
– Trente-huit pour les fusils, une petite centaine pour les pistolets.
– On n’aura pas le droit de se rater.
– Exact.
Il fallut attendre un peu plus d’une heure avant que la radio de l’équipe A ne se mette à grésiller à nouveau :
– Léa, équipe V. On est en place. Pas besoin de renfort. Nous avons pu repérer une dizaine de personnes. Les tireurs d’élite vont en éliminer la moitié, les autres vont agir simultanément afin de ne pas avoir trop de résistance. Nous allons communiquer par radio pour nous coordonner. Paul, nous te tiendrons au courant de l’issue de l’attaque.
Quelques minutes plus tard, les communications reprirent. C’est Léa qui avait pris le commandement des deux équipes de terrain :
– Prêts ? A mon signal.
Quelques secondes passèrent :
– Maintenant.
Par la radio, Paul entendit plusieurs tirs simultanés, suivi d’autres plus espacés. Le silence se fit suivi de la voix de Léa par radio :
– On entre.
Léa avait laissé sa radio allumée. C’était une bonne idée pour que l’équipe de Paul puisse être informée en temps réel de ce qu’il se passait.
Ils entendirent l’équipe entrer dans la maison puis, pendant plusieurs secondes, des bruits de pas rapides suivi de la voix de la meneuse :
– C’est bon, plus personne. Les tireurs, rejoignez-nous, vous monterez la garde.
La radio se coupa pour se rallumer quelques minutes plus tard :
– Equipe A ? Nous avons trouvé de quoi tenir des mois ! Trois frigos pleins, des congélateurs, deux fours et des caisses pleines. L’équipe H va pouvoir manger et vous amener de quoi calmer votre faim pour deux jours. Je pense qu’on devrait garder le stock ici et que les équipes A et H viennent récupérer de quoi tenir quelques jours lorsqu’ils sont à court.
– Tu as raison, on attend avec impatience l’équipe H.
Deux heures passèrent avant que l’équipe de Paul ne voient arriver les vivres qui leur étaient destinées. Ils rationnalisèrent pour cinq repas. Ainsi, ils pourraient aller se ravitailler deux jours plus tard.
Pendant l’après-midi, Paul s’isola pour réfléchir à un plan contre l’hôpital. Il savait qu’il aurait besoin de tous les élèves mais il ne voulait pas laisser les stocks sans surveillance.
Vers deux heures du matin, alors qu’il faisait sa garde avec quelques autres élèves de l’équipe H ainsi qu’Ethan et Arthur, une voix se fit entendre par la radio :
– Bonjour, me recevez-vous ?
Paul prit l’appareil :
– Qui êtes-vous ?
– Je suis le général en charge de l’arrivée des troupes françaises sur votre position. Nous serons là dans douze jours. Pensez-vous que vous serez prêt et que chacune des positions seront sécurisées ?
– Oui mon général, nous serons prêts pour votre arrivée.
– Parfait. Bonne chance à tous.
La radio se coupa. Paul avertit chacun des élèves éveillés de l’arrivée des troupes douze jours plus tard. Cela lui laissait de temps pour planifier son attaque contre l’hôpital.
Paul prévint ses camarades qu’ils attaqueraient ensemble quatre jours plus tard et de nuit. Le délai permettait à tous de prendre un rythme et d’être reposé avant d’attaquer.
Paul avait prévu que deux personnes restent à proximité de la cache d’armes et du stock de vivre afin de prévenir s’ils étaient attaqués. Son plan était qu’une autre personne irait au sud de la forêt, là où il n’y avait personne et tirerait une fusée éclairante. Cela ferait peut-être sortir quelques ennemis de l’hôpital, facilitant la tâche des assaillants qui, pendant ce temps, attaqueraient le bâtiment.
Paul prit le Colt M1911 et y inséra un chargeur plein. Il était une heure du matin, il partait avec les autres élèves à l’assaut de l’hôpital de fortune. Une grande partie de l’équipe V les avait rejoints un peu plus tôt. Paul regarda ses camarades, armés de leurs pistolets ou fusils à lunette. Il donna le signal et ils se mirent en marche.
Seul Antoine était parti plus tôt que ses camarades pour se poster au sud de la forêt et servir de leurre.
Les étudiants marchèrent une heure. Discrètement, ils encerclèrent le bâtiment éclairé de l’intérieur. Ils distinguaient des ombres. Les ennemis étaient là en nombre. Paul prit sa radio :
– Antoine, tu peux donner le signal quand tu veux. N’oublies pas de courir vers le stock de vivres ensuite.
Paul avait prévu qu’Antoine, après avoir lancé une fusée de détresse, vienne les rejoindre. Il s’était ensuite ravisé de peur qu’il ne croise des ennemis qui arriveraient en sens inverse.
Une lueur rouge éclaira la nuit. Tout le monde retint son souffle. Face à Paul, une porte s’ouvrit. Il dénombra douze personnes qui se précipitèrent dans la forêt en passant proche de deux étudiants bien cachés. Après quelques secondes, Paul indiqua par radio à Antoine :
– Bien joué, ils sont une douzaine à être partis.
Antoine, haletant, répondit :
– Parfait, bon courage à tous. Je cours vers V et j’y serai dans une vingtaine de minutes. Je suis déjà loin de la fusée.
Le plan de Paul se déroulait comme prévu. La partie la plus compliquée était devant eux. Paul reprit sa radio :
– Arthur, à ton signal.
Quelques secondes passèrent. Paul put imaginer son ami viser et retenir son souffle. On entendit le premier coup de feu, suivi de plusieurs autres, une douzaine.
Paul lança l’assaut. Tous les élèves, en colonne et armés de Colt, s’élancèrent et entrèrent avec fracas. Paul couvrait les arrières. Deux hommes arrivèrent et il n’eut aucun mal à les neutraliser.
Quelques minutes suffirent pour nettoyer le rez-de-chaussée puis l’étage. Des hommes montèrent depuis le sous-sol. Les jeunes espions se séparèrent et continuèrent à nettoyer la maison. Soudain, Paul sentit une étreinte. Il se retourna et vit un homme en noir, casqué. Il l’empêchait de bouger. Julien se retourna vers lui, incapable d’agir. L’ennemi tenait Paul fermement, une arme sur sa tempe. Il cria avec un fort accent russe :
– Si tu bouges, je le tue !
Paul entendit un coup de feu. L’homme relâcha son étreinte. Le jeune espion le regarda tomber à terre, une éclaboussure rouge de peinture sur le casque. A la radio, Paul entendit la voix malicieuse d’Arthur :
– De rien !
Paul répondit :
– Je savais que tu serais un excellent sniper. Merci.
La voix d’Antoine se fit entendre par radio :
– Tireur d’élite !
Soudain, une autre voix interrompit la communication, Paul reconnut la voix du général :
– Jeunes gens, changement de plan, regagnez immédiatement la cache d’arme et les vivres.
Etonné, Paul répondit :
– Bien reçu, mais nous venons de capturer l’hôpital. Il y a une raison ?
– Vous la connaitrez bien assez tôt. Exécution.
Paul s’assura que tout le monde était informé de cette décision. Inutile de contester un ordre d’un général de l’armée. L’équipe V et la moitié de l’équipe H regagnèrent le bâtiment des vivres, le reste des élèves retrouva celui des armes.
La nuit se termina calmement. Chaque élève se demandant pourquoi ils avaient dû se replier après avoir terminé de prendre possession du bâtiment qui servirait d’hôpital.
Un peu après neuf heures du matin, Paul prit son tour de garde lorsqu’il entendit une voix à la radio :
– Ici l’équipe V, on a des ennemis en ligne de mire. On va pouvoir s’en occuper mais soyez sur vos gardes.
Paul répondit :
– Bien reçu. Arthur, tu vois quelque-chose ?
Arthur était posté à l’étage, fusil à lunette en main.
– Oui, une demi-douzaine d’hommes. Ça devrait aller.
A l’étage, Arthur, aidé de Baptiste, vinrent rapidement à bout des assaillants. Dans le bâtiment des vivres, il en était de même.
Un peu plus tard dans la journée, un nouveau message radio leur parvint. Les jeunes espions avaient l’autorisation de retourner dans le troisième bâtiment.
Paul en profita pour que, dans chaque bâtiment, il y ait assez de nourriture pour tenir quelques jours.
Il ne leur restait que deux jours et tous savaient que ce serait long. Il ne se passait rien depuis la dernière attaque. Lorsqu’ils étaient revenus à l’hôpital, tous les corps avaient été retirés et il n’y avait rien à faire pour s’occuper. Ils devaient simplement s’assurer que tout se passe bien avant l’arrivée des renforts.
Le soir, un message radio leur parvint :
– On signale un important mouvement près de la forêt. Tenez-vous prêt.
Cet avertissement permit à Paul de remobiliser les trois équipes. Il se doutait que c’était une dernière attaque pour les déstabiliser. Il gardait en tête son objectif pour réussir sa mission, qu’il n’y ait aucun prisonnier.
Une heure plus tard, les trois positions furent attaquées. Paul, en chef de groupe, demanda que les tireurs d’élite fassent leur possible pour neutraliser le plus d’ennemi en amont. Malheureusement, les quelques munitions qui leur restaient furent vite épuisées.
Au rez-de-chaussée, les étudiants, arme à la main, se mirent aux fenêtres. Ils tirèrent à vue malgré le nombre d’homme qui arrivaient. Chacun avait ordre de se placer en binôme afin d’alterner les tirs.
Soudain, La porte d’entrée vola en éclat. Paul se précipita vers elle. Trois hommes en noir avaient réussi à entrer. Paul se saisit de son arme et tira à trois reprises. Les deux premières balles touchèrent leur cible, la troisième la manqua de peu.
Le dernier homme se précipita en avant. Paul l’esquiva d’un réflexe et passa derrière son agresseur. Il tira, toucha sa cible qui tomba en avant.
Dehors, les quelques ennemis restant se repliaient. Quelques élèves tiraient mais Paul les arrêta rapidement. Il était inutile de gâcher des munitions, ils ne savaient pas si une autre attaque aurait lieu.
A la radio, chaque équipe confirma que les assaillants s’étaient repliés. Ils avaient gardé leurs positions et défendu les bâtiments.
Paul demanda un décompte des munitions. Plus aucune munition de fusil de précision et une dizaine de munition de pistolet pour chaque équipe. C’était trop peu pour résister mais Paul prit les devants en demandant à chaque élève de ne pas se démobiliser.
La nuit était tombée depuis plusieurs heures. Paul et ses camarades entendirent un ronflement lointain. Il se rapprochait. Paul regarda par la fenêtre. A travers les arbres, on devinait deux lueurs se déplaçant lentement.
La radio grésilla quelques secondes :
– La cache d’arme est-elle sécurisée ?
Paul répondit :
– Oui, mais nous avons un véhicule qui semble arriver.
– C’est nous, nous arrivons pour prendre la relève. L’hôpital est-il sécurisé lui-aussi ?
La voix d’Aymeric se fit entendre :
– Oui, tout est sécurisé.
– Et la réserve de vivres ?
Léa répondit :
– Oui, tout va bien ici aussi.
La communication coupa.
Quelques minutes plus tard, un camion se posta devant le bâtiment gardé par l’équipe de Paul. Un homme entra et leur intima de monter dans le camion en laissant leurs armes.
Les écussons ne laissaient aucun doute sur l’origine de ces visiteurs, c’était l’armée française. Les jeunes espions comprirent que leur mission était terminée.
Deux autres camions s’étaient rendus devant les bâtiments des camarades de Paul pour les récupérer.
Tous étaient épuisés mais affichaient pourtant un sourire béat.
Les camions arrivèrent après une longue demi-heure devant le campus de l’Aigle. Les élèves descendirent. Devant la porte, Thomas Duchesne les attendait. Il leur demanda de rejoindre l’auditorium. Paul entendit Damien soupirer à ses côtés :
– Et on ne dort jamais ici ?
Paul pensait comme son ami, comme tous les autres élèves. Il le motiva :
– Ne t’inquiètes pas, c’est presque fini.
– J’espère.
Lorsque tous les élèves de troisième année furent assis dans les fauteuils confortables de l’auditorium, luttant contre le sommeil, le responsable des études prit la parole :
– Je tiens tout d’abord à vous féliciter. Vous avez participé pour la première fois à un test grandeur nature en troisième année et je pense que, grâce à votre réussite, nous réitérerons ce petit exercice pour les classes qui vous suivront. Je sais qu’il n’est pas simple de tenir une douzaine de jours sans en être informé dans une forêt et de tenir trois position comme vous l’avez fait. Cependant, vous vous en êtes parfaitement sorti. Je ne vais pas être long, je lis sur vos visage le besoin de vous reposer. Sachez que nous vous avons observé pendant toute la durée de la mission. Notre but était de vous faire passer un test afin de valider vos compétences, de savoir comment vous vous débrouillez face à l’imprévu. L’équipe de l’Aigle et moi-même sommes satisfait de vos résultats. Je tiens à féliciter particulièrement les chefs d’équipe qui ont su prendre les bonnes décisions. Nous allons vous noter sur l’ensemble de ce test et vos notes vous serons communiquées la semaine prochaine. Je sais qu’il est tard, vous pouvez donc rejoindre vos chambres et vous reposer.
Demain, vos cours sont annulés, vous reprendrez mercredi.
Paul et ses amis Antoine et Damien retrouvèrent leur chambre. Chacun passa de longues minutes sous la douche avant de se coucher. Le lendemain, ils dormiraient jusque tard pour s’assurer de reprendre rapidement des forces pour les cours qui arrivaient le mercredi.
Le mercredi après-midi suivant, les élèves de troisième année entrèrent en classe pour leur cours d’indépendance. C’était, avec le cours de self-défense du matin, les seuls de la journée qui différaient des matières d’un élève de terminal classique. Paul appréciait le cours d’indépendance qui arrivait immédiatement après une heure de philosophie.
Pendant ce cours, leur professeur leur apprenait des techniques de survie, les réflexes à avoir dans des milieux hostiles et à pouvoir agir sans l’aide d’un coéquipier ou d’un référent.
Lorsque tous les élèves furent installés, leur professeur les salua et leur annonça :
– L’épreuve que vous avez passée il y a deux semaines était grandement basée sur votre capacité d’indépendance et je suis content de voir que vous avez globalement appliqué la théorie vue pendant mon cours à une situation que l’on pourrait qualifier d’exceptionnelle. Bien entendu, vous n’étiez pas seuls, cependant, c’est une forme d’indépendance de pouvoir être plusieurs à se confronter à ce type de situation, n’est-ce pas ? Je suis aussi très satisfait de certains d’entre vous. Alors que parmi vous se sont révélés de véritables leader, d’autres, plus discrets, ont su être des piliers pour leur équipe et je suis persuadé que tout le monde les aura remarqués. Nous avons, avec vos autres professeurs, pu établir une notation précise que je vais vous communiquer. Si jamais vous avez des interrogations à ce sujet, n’hésitez pas à venir me voir. Votre note est importante car elle représente près de la moitié de votre résultat de l’année dans les matières spécialisées.
Le professeur énuméra ensuite les élèves en leur donnant leur note ainsi qu’un commentaire sur leur réussite. Ce fut le tour de Paul :
– Monsieur Osinski, nous vous avons donné la note de dix-huit. Nous avons été particulièrement content de voir que vous avez su prendre le rôle de chef d’équipe tout en écoutant l’avis de vos camarades. C’est, selon nous, un pas franchi dans votre évolution, n’est-ce pas ? Il vous faudra cependant quelques années avant d’acquérir les réflexes qui vous permettront d’analyser rapidement une situation et de faire le choix qui s’impose. Cette mission a été très encourageante et nous sommes persuadés que, quel que soit votre choix de carrière, vous saurez être un bon élément dans le service que vous intégrerez, y compris dans le civil.
Le jeune espion fut satisfait des commentaires de son professeur et de la note qu’il avait obtenue.
Une grande partie du cours ayant été consacrée aux résultats, leur professeur les autorisa à continuer à échanger pendant les dernières minutes avant de les libérer.
Le mois de décembre arriva. Paul allait mieux. La mission lui avait fait oublier son ennui et tous les élèves de sa classe voyaient en lui un camarade prêt à les aider. Ces douze jours les avaient tous rapprochés et leur classe était maintenant particulièrement soudée.
Ce dernier vendredi de décembre sur le campus, Paul entra dans le réfectoire réaménagé pour le traditionnel diner de Noël. Les tables avaient été réunies, formant de grandes rangées d’élèves.
Le jeune espion retrouva ses amis qui lui avaient gardé une place. Lucy, Damien, Antoine, Anselme, Arthur et Louis étaient ravis de ce diner.
Aux côtés de Louis, une jeune fille brune aux yeux marrons, le visage fin et l’air enjoué s’adressa à Paul :
– Alors c’est toi Paul ? Louis ne m’avait pas menti !
Paul s’assit au milieu du groupe d’amis et regarda, interloqué, l’inconnue :
– Enchanté, tu es… ?
– Noémie.
– Bonsoir Noémie, ravi de te rencontrer.
Louis fit les présentations :
– Noémie est dans ma classe.
Paul acquiesça :
– Oui, j’avais deviné.
Antoine intervint :
– Et vous êtes ensemble.
Louis et Noémie se retournèrent et demandèrent d’une même voix :
– Comment tu sais ?
Antoine sourit :
– Vous êtes arrivés ensemble. Louis, tu regardes toujours Noémie lorsque tu parles, comme si tu avais besoin de son approbation. Noémie, tu cherches toujours à te rapprocher de Louis, comme un besoin protecteur que tu ne peux avoir seulement en ayant des sentiments pour Louis. Donc j’en ai conclu que soit vous étiez en couple soit tous les deux amoureux. Lorsque Paul est arrivé, Louis tu as présenté Noémie en disant qu’elle était dans ta classe mais tu ne l’as pas laissé faire elle-même. C’est parce que tu connais Paul et que tu es fier de pouvoir lui présenter ta nouvelle petite amie. Ho, et je suis désolé d’avoir ruiner la surprise que tu voulais faire à Paul en lui annonçant plus tard, je viens juste de le comprendre en voyant ton visage se décomposer.
Louis et Noémie restèrent sans voix. Damien leur précisa :
– Oui, il est toujours comme ça, mais on s’y fait. Il faut juste savoir qu’on ne peut pas lui mentir.
Louis réagit enfin :
– C’est impressionnant mais… Tu inventes un peu, non ?
Antoine sourit :
– Même pas.
Paul laissa passer un instant avant de demander à Noémie :
– En quoi Louis ne t’avait pas menti ?
La jeune fille eut un sourire discret :
– Il m’avait dit que tu étais son ami.
Cette réponse étonna Paul :
– En effet, il aurait été étonnant qu’il te mente à ce sujet.
– Non mais comme tout le monde te connait, Louis est arrivé cette année et on ne voyait pas pourquoi il aurait été ton ami.
– On se connait depuis longtemps, bien avant d’entrer sur le campus.
– C’est vrai que tu as fait une fugue de nuit dans ta première année ?
Paul resta sans voix. Lors de sa première année, il avait été enlevé par son professeur de natation. Les rumeurs avaient rapidement couru sur son séjour à l’infirmerie puis sa disparition. Certains avaient dit qu’il avait tenté de mettre fin à ses jours, d’autres qu’il avait fugué. Très peu d’élèves étaient arrivés à la bonne conclusion et l’école n’avait jamais communiqué à ce sujet afin de ne pas inquiéter les autres élèves.
Paul hésita à répondre avec la vérité mais se ravisa :
– Pas exactement, mais c’était il y a longtemps.
– qu’est-ce qu’il s’est passé ?
La curiosité de l’élève de deuxième année mit Paul mal à l’aise :
– Ce ne sont que des rumeurs, il ne s’est rien passé.
Noémie abdiqua :
– Oui, quand on est populaire, il arrive que certains s’amusent à dire n’importe quoi… Il y en a beaucoup à ton sujet.
Paul s’inquiéta :
– Beaucoup de rumeur ?
– Oui, il parait que tu es parti en mission, que ton père est un espion connu, … C’est à peu près tout mais c’est déjà pas mal, non ?
Paul sourit :
– Oui, c’est déjà pas mal mais certains ont besoin de se mêler de la vie des autres.
Noémie hocha la tête et ajouta :
– En tous cas, Louis avait raison, t’es très sympa !
– Merci…
Louis profita de ce moment pour changer de sujet de discussion. La tablée échangea sur les cours et sur le campus ainsi que sur cette fête de fin d’année.
Le menu était festif et se termina par le discours habituel du directeur et des responsables d’études. La soirée se poursuivit par la fête traditionnelle qui se termina après deux heures du matin.
Le lendemain, tous rentraient chez eux.
Pour Paul, les vacances de Noël constituaient toujours un moment agréable.
Les années précédentes, il en profitait pour voir son ami Louis. Cette année, maintenant qu’il le voyait sur le campus, il ressentait moins ce besoin. Bien sûr, ils profitaient de certains jours pour se retrouver, mais cela n’arriva que trois fois pendant toute la durée des congés.
Le réveillon du vingt-quatre décembre arriva. Paul retrouva sa famille le soir avec qui il fêta le réveillon de Noël.
Une semaine plus tard, la famille se retrouva à nouveau pour fêter la nouvelle année. Deux dates importantes pour Paul qui profitait le plus possible de sa famille. Des moments hors de ses habitudes sur le campus et qui lui redonnait de l’énergie.
Le jeune espion se reposa pendant ces deux semaines. Il réussit à laisser le campus de côté. Aucun professeur n’avait donné de travail pendant ces vacances, jugeant que leurs élèves avaient largement mérité un repos après le test grandeur nature qu’ils avaient vécu.
Le premier dimanche de janvier, malgré le froid, tous les élèves de l’Aigle se retrouvèrent. Pour Paul comme pour ses amis, l’idée de reprendre les cours n’était pas ce qui les enjouaient le plus, mais cela était effacé par le plaisir des retrouvailles.
Le début d’année était toujours compliqué pour Paul qui n’aimait pas l’hiver mais il avait appris au cours des deux années précédentes, qu’il pouvait compter sur ses amis pour lui faire passer ce moment de la manière la plus agréable possible.
Paul était content de sa situation sur le campus. Après deux ans et demi, il avait su trouver sa place, ses habitudes et son rythme. Il connaissait bien l’Aigle et son fonctionnement et s’y engageait à sa manière, en aidant les élèves les plus jeunes à s’adapter à cette vie. Il gardait toujours en tête l’aide précieuse qu’il avait reçue de la part de Mike lors de sa première année et regrettait qu’il ait terminé ses études. Que ce soit au foyer ou pendant les soirées de l’Aigle, de nouveaux visages l’avaient remplacé et Paul savait que ce serait bientôt à son tour d’être parmi les plus âgés.
Paul était aussi ravi de voir que tous ses amis se sentaient bien. Damien et Lucy semblaient vivre le parfait amour, tout comme Antoine et Anselme. Louis s’était rapidement fait à la vie sur le campus, aidé par Noémie, par Paul et ses amis. Il était moins arrogant que lors de son arrivée et Paul avait remarqué que son ami s’était fait une place dans sa classe pourtant constituée un an avant son arrivée.
Arthur était toujours fidèle à lui-même, il connaissait tout, tout le temps. Pourtant, il semblait ne plus être aussi jaloux que lors de son arrivée sur le campus. Il n’était plus aussi déçu lorsqu’il n’était pas le premier.
La mission que Paul avait partagée avec sa classe avait eu un effet bénéfique sur tous. Elle avait resserré les liens entre les élèves. Paul avait appris à connaitre certains de ses camarades comme Léa, Aymeric ou Ethan, avec qui il n’avait que trop peu discuté par le passé. Il n’était pas rare maintenant que la classe de troisième année se retrouve après le diner, la plupart du temps au foyer, pour échanger, discuter ou jouer. Les rares élèves qui osaient, ces soir-là, entrer dans la même pièce, avaient surnommé la classe de Paul “Le clan des troisième” en référence à leur capacité à se soutenir en permanence et à toujours se préoccuper des autres membres du “clan”. Ce surnom avait même atteint l’équipe pédagogique. Un de leur professeur, madame Hoarau, qui leur enseignait les mathématiques, avait utilisé ce nom lorsque sa classe avait débuté le cours dans un brouhaha de discussions.
Après leur mission en forêt, les élèves de la classe avaient aussi appris à se reposer sur Paul qui avait, sans le vouloir, prit une place centrale dans ce groupe. Il n’était pas peu fier de savoir que ses camarades lui faisaient confiance et il arrivait parfois qu’un élève vienne le voir lorsqu’il avait un problème, que ce soit pour un cours ou pour un point d’organisation.
Les professeurs, eux-aussi, avaient doucement prit le réflexe de s’adresser à Paul. C’est vers lui qu’ils se tournaient lorsqu’ils avaient une remarque à faire à la classe ou une information à transmettre. Il n’y avait pas de délégué à l’Aigle, mais Paul en avait endossé le rôle de fait.
Le jeune espion était content de cette situation, il ne s’ennuyait plus car il avait trouvé sa place. Un soir, il en fit part à Antoine :
– Tu sais, je crois que tu t’étais trompé.
Antoine le regarda, étonné :
– Comment ça ?
– Ce n’étaient pas les missions qui me manquaient en début d’année.
– Qu’est-ce que c’était ?
– Je n’arrivais pas à trouver un but à mes études.
– Je ne sais pas ce qu’il te faut… C’est pourtant assez clair qu’on nous prépare aux postes d’espionnage.
– Oui, bien sûr, mais je suivais les cours sans prêter vraiment attention. Maintenant, je me sens bien dans la classe et je crois que ça me permet de ne pas m’ennuyer.
Antoine sourit :
– Je suis content pour toi. C’est rassurant de savoir que tu te sens bien et je pense que tout le monde est satisfait de pouvoir compter sur toi. Tu devrais en parler à Thomas.
– Comment ça ?
– Tu te souviens, lorsque ça n’allait pas, tu étais allé le voir et tu avais été vexé qu’il te dise qu’il ne pouvait pas te faire partir.
– Oui, je l’avais trouvé assez sec.
– Tu devrais aller lui dire que ça va mieux, je suis sûr qu’il serait content de le savoir.
Il était vrai que leur responsable d’études, Thomas Duchesne, avait à cœur de savoir que les élèves étaient heureux et s’inquiétait lorsque l’un d’eux n’était pas en grande forme. Paul avait toujours reconnu chez lui ce côté humain qui rendait la vie plus facile sur le campus. Les élèves de seconde année n’avaient pas cette chance. Miss Maillard, leur responsable, était une femme stricte qui n’avait que faire des problèmes de ses élèves tant que ceux-ci étaient studieux. Pourtant, Paul était persuadé qu’elle s’intéressait à leur bien-être à sa façon, sans pour autant le montrer.
Paul répondit à Antoine :
– Tu as sans-doute raison, j’irai le voir dans la semaine.
C’est dans cette ambiance détendue et fraternelle que le mois de janvier débuta.
Conformément à ce qu’il avait dit à Antoine, Paul frappa à la porte du bureau de Thomas Duchesne dès le vendredi. Le responsable des études autorisa à Paul l’entrée de son bureau.
Thomas Duchesne était assis derrière son bureau. Le sourire aux lèvres, il accueilli Paul :
– Bonjour Paul, assied-toi. Comment vas-tu ?
Paul prit place sur l’un des deux sièges faisant face au bureau du responsable des études :
– Je vais bien, c’est justement pour cela que je venais vous voir.
– C’est assez rare que l’on vienne me voir car tout va bien. En général on vient me trouver lorsque ça ne va pas.
– Oui, et c’est ce que j’avais fait il y a quelques mois justement. Je voulais vous rassurer.
– C’est très prévenant de ta part. A quoi est dû ce changement d’état ?
– Je crois que j’ai trouvé ma place.
Thomas Duchesne fronça les sourcils :
– Trouvé ta place ? Comment ça ?
– Le test que vous nous avez fait passer a permis à la classe de mieux se connaitre et je pense que j’ai pu avoir un rôle important dans la réussite de la mission. Tout le monde m’apprécie et je pense que c’était ce dont j’avais besoin.
– C’est possible en effet. Tu sais, Paul, cela arrive à tout le monde d’avoir des moments de doute ou des moments où l’on se sent moins en forme. Il ne faut pas se laisser abattre et surmonter ces difficultés. Tu en as les capacités, comme chacun ici. Puisque tu en parles, je voulais justement revenir sur ta manière de gérer ce petit test de début d’année.
Paul fut intéressé par cette dernière phrase de son responsable des études :
– Ha bon ? Quelque-chose n’allait pas ?
– Rassure-toi, ça va. Je souhaitais même parler de ta scolarité en général. Tu es un élève pour le moins… surprenant. Si l’on m’avait demandé quel rôle tu allais prendre dans le test de début d’année, je n’aurais pas pensé que tu aurais dirigé l’ensemble de ta classe. Le groupe de trois oui car tu es le plus polyvalent comparé à Damien et à Antoine. Tu as aussi, si je me souviens bien, su aiguiller tes camarades dès ton arrivée sur le campus lors de la courte mission d’intégration à laquelle tu as participé. Pour être honnête, j’aurais tout misé sur Ethan ou Aymeric pour prendre la tête de la classe. Ils ont de moins bons résultats, c’est vrai, mais il n’y a pas que cela pour être leader. J’ai été très étonné qu’Ethan te laisse décider à sa place. C’était un très bon choix de sa part, ce qui montre à nouveau sa lucidité, mais je n’aurais pas pensé que cela fut dans sa nature. D’un autre côté, je pensais même à ce moment-là que tu refuserais de diriger ta classe. Je dois reconnaitre que je ne suis plus étonné, maintenant, de savoir que tous te font confiance pour être leur représentant.
Paul coupa son responsable des études :
– Représentant ? Comment ça ?
– J’ai pu remarquer que tu étais le référent des élèves de troisième année. Tes professeurs m’en ont fait part eux-aussi. Je pense que c’est la place que tu mérites. Si cela vient naturellement, c’est une excellente chose.
– Oui, je n’ai rien fait pour.
– Je suis satisfait de voir que tu ne cesses de progresser au sein de l’école tout en gardant un très bon niveau, pour ne pas dire excellent, dans tes résultats scolaires.
– Merci, j’essaye de bien travailler, c’est vrai.
– Si je peux me permettre une petite remarque cependant, il ne faut pas que cette situation te dépasse. Ne sois pas trop fier ni trop sûr de toi car cela pourrait te jouer des tours. Fais aussi attention à ne pas en faire trop.
– J’en suis bien conscient.
– C’est une bonne idée que tu as eu de venir discuter avec moi. C’est un bon réflexe.
– Il n’est pas de moi, pour être tout à fait honnête. Mais puisque je suis là, est-ce que je peux vous poser une autre question ?
– Bien-sûr.
Paul voulut profiter de l’occasion pour échanger avec son responsable des études sur la vie de la classe. Il occupait maintenant un rôle de médiateur entre sa classe et son équipe pédagogique et il ressentait le besoin d’asseoir cette position. Il demanda :
– Que pensez-vous de notre classe ? Vous en avez connu d’autres avant nous et vous êtes notre responsable pédagogique, je pense que vous avez votre avis sur nous.
Thomas Duchesne resta silencieux quelques secondes avant de répondre :
– Je n’ai jamais été responsable des études d’une autre classe de troisième année. Cependant, puisque tu me le demandes, j’ai bien entendu mon avis sur votre groupe. Je pense que vous avez su développer un véritable esprit d’équipe et que rares sont les promotions qui y sont parvenues. Vous êtes une classe sympathique et motivée, c’est agréable pour moi car il est facile de travailler avec vous. Cependant, on me rapporte parfois quelques problèmes de bavardage, mais je suis certain que vous allez remédier au problème et profiter de vos heures libres pour échanger et ainsi être plus calmes en classe. Cela répond-il à ta question ?
– Parfaitement. Merci beaucoup.
– Paul, avant de te laisser repartir, je souhaiterai te revoir lundi après les cours.
Paul s’inquiéta :
– Bien-sûr, c’est à quel sujet ?
– Je ne peux pas t’en parler pour l’instant, je n’ai pas tous les éléments en main, mais ne t’inquiète pas, le sujet n’a rien de grave.
– Bien, je vous revois lundi, à vingt heures.
– Parfait. Bonne fin de journée et bon weekend.
Paul se leva, salua son responsable des études et sortit. Tout en regagnant la cour, il se demanda pourquoi Thomas Duchesne voulait le revoir. Surtout, il n’aimait pas ne pas avoir les clés en main. Le responsable des études avait refusé de lui donner des informations. Paul espérait qu’il ne s’agissait pas d’un problème interne à l’école et ne savait pas à quoi s’attendre.
Il chassa tant bien que mal ce rendez-vous de son esprit pendant le weekend. Le lundi après-midi, il ressentit pendant les cours une hâte de retrouver Thomas Duchesne. A vingt heures, après les deux heures d’étude, il s’excusa auprès de ses amis qui allaient diner et se précipita en direction du bureau où il avait rendez-vous.
Il frappa puis entra.
Paul découvrit Thomas, assis comme à l’accoutumé derrière son bureau. Samuel Guyot, le directeur de l’Aigle, se tenait debout à ses côtés. Cela rappela à Paul la fois où les deux hommes, dans cette même position, lui avaient proposé sa première mission.
Le jeune espion remarqua deux personnes assises sur le canapé à l’entrée du bureau. Il les salua poliment puis prit place devant Thomas sous ses instructions.
C’est le responsable des études qui prit la parole :
– Paul, je te présente messieurs Lievens et Blanchet, ils sont tous deux agents à la DGSE.
Le jeune espion regarda les deux agents. Ils étaient très différents. Le premier était grand, carré, l’air dur et des cheveux coupés tel un militaire. Le second, plus petit, avait un visage plus sympathique et souriant. Paul leur adressa un sourire rendu uniquement par Blanchet puis se retourna vers Thomas Duchesne qui poursuivit :
– Ils sont venu me voir il y a quelques jours pour un besoin bien particulier, mais je vais les laisser prendre la parole, ce sera plus simple.
Paul regarda Lievens se lever. Il était encore plus impressionnant debout. Il boutonna sa veste de costume et vint se poster devant le jeune espion :
– Ravi de vous rencontrer monsieur Osinski.
La voix de l’agent était froide et grave :
– Nous avons entendu beaucoup de bien de vous. Nous n’avons pas pour habitude de travailler avec de jeunes personnes et croyez-bien que ce n’est pas par gaité de cœur. Je vais être direct. Connaissez-vous la Camorra ?
Paul chercha dans sa mémoire et répondit avec humour :
– Il me semble que c’est un nom de mafia italienne… Ou une sauce pour les pâtes ?
Lievens ne releva pas le trait d’humour et poursuivit :
– Une mafia napolitaine. Du moins, pour le moment. Nous avons enquêté à leur sujet après une alerte des services italiens. Ils nous prévenu que cette mafia souhaitait s’implanter en France. Le sujet est grave. La Camorra étend doucement son réseau hors des frontières italiennes et il est hors de question que nous les laissions faire sans réagir. La Camorra s’est implantée dans les Alpes. Là, ils recrutent des adolescents pour s’occuper de la basse besogne. Passage de migrants contre de belles sommes d’argent, trafic de drogue, d’armes et bien pire si nous ne les arrêtons pas. La Camorra est constituée de plusieurs groupes qui se disputent en permanence des territoires et des marchés. Si nous les laissons faire, c’est toute une région française qui pourrait devenir leur nouveau terrain de jeu. Vous allez donc partir sur place. Votre mission est de vous faire intégrer dans l’une de ces mafias et de nous communiquer les informations relatives à leur organisation. Membres, rôles, fonctionnement, tout ce qui vous semblera nécessaire pour que nous intervenions. Vous partirez dès jeudi. Nous avons eu l’accord de votre directeur pour vous faire manquer les cours. Sachez que cela nous coûte de faire appel à une personne si jeune mais il paraitrait que vous êtes une personne de confiance. Avez-vous bien compris tout ce que je vous ai dit ?
Paul hésita :
– Oui, je crois.
– Ne croyez pas. S’il y a un détail qui n’est pas clair, dites-le-moi maintenant.
– Tout est clair.
– Parfait. Monsieur Duchesne vous expliquera le côté organisationnel afin que vous partiez sereinement à Saint-Gervais-les-Bains.
Lievens se tourna vers le directeur de l’Aigle et le responsable des études. Il baissa légèrement la tête en signe de salut :
– Messieurs.
Les deux agents de la DGSE sortirent du bureau sous le regard de Paul qui se tourna ensuite vers Thomas Duchesne qui reprit :
– Paul, je sais que cette situation peut te faire un peu peur. Mais nous avons besoin d’une personne de ton âge pour infiltrer cette mafia composée de nombreux adolescents de ton âge. Ne t’inquiète pas, je partirais bien entendu avec toi et nous ferons cette mission à deux. Cependant, c’est sur toi que tout reposera.
Paul hésita :
– Vous ne me demandez pas si j’accepte ou non ?
Lors de sa mission précédente, le directeur de l’Aigle avait en effet insisté sur le fait que Paul était libre de choisir ou non de partir en mission. Cette fois, Paul avait l’impression de ne pas avoir le choix. Thomas eut l’air gêné et répondit :
– Si, tu as le choix, bien-sûr. Cependant, nous ne voyons pas d’autre élève à qui nous pourrions confier une mission telle que celle-ci.
Paul repensa au discours de Lievens. Le jeune espion savait que la Camorra était une organisation particulièrement dangereuse et l’infiltrer relevait de l’exploit. S’il était découvert, les membres de cette mafia le tueraient sans se poser de question. Paul répondit :
– J’accepte.
Le directeur de l’Aigle, Samuel Guyot, sortit de son mutisme :
– C’est parfait. Nous vous remercions et croyez-bien que nous ferons notre possible pour que vous ne ressentiez à aucun moment un quelconque danger. Nous connaissons les capacités qui sont les vôtres et nous sommes persuadés que, aidé par monsieur Duchesne, vous saurez mener à bien cette mission. Vous partirez dès jeudi.
Paul acquiesça. Les deux hommes le remercièrent avant qu’il ne soit autorisé à quitter la pièce.
Le jeune espion retrouva ses amis qui avaient commencé leur repas. Lucy lui demanda dès son arrivée :
– Alors, qu’est-ce qu’il voulait te dire ?
Devant la mine inquiète de son ami, Antoine insista :
– Tu as encore une grande tante qui est morte ?
Devant cette référence à l’excuse qu’il avait utilisée lors de son premier départ en mission, Paul esquissa un sourire :
– Oui, exactement.
Lucy réagit :
– C’est super ! Tu pars quand ?
– Jeudi.
Le départ occupa l’esprit de Paul jusqu’au jeudi. Il salua ses amis qui partaient en cours et prépara ses affaires. Thomas lui avait donné rendez-vous à dix heures dans le hall d’accueil du campus.
Paul arriva avec sa valise. Il avait pris soin de ne marquer aucune affaire.
Les deux espions descendirent au deuxième sous-sol, au parking, où ils embarquèrent dans la confortable Mercedes Classe E bleue nuit de Thomas. Paul connaissait cette voiture dans laquelle il avait rejoint Paris avec son responsable des études lors de sa première mission, l’année précédente.
Les valises chargées, Thomas démarra la voiture et sortit du campus.
Lorsqu’ils furent sur la route, Thomas demanda :
– Tu es moins stressé que lors de notre départ à Londres ?
Paul réfléchit un instant avant de répondre :
– Je ne sais pas, je ne crois pas. La Camorra ce n’est pas rien.
– En effet, mais je suis certain que tout se passera bien. J’ai eu les dernières informations sur notre mission, tu t’en sortiras sans problème. Je t’en parlerai pendant notre voyage.
La route était dégagée. Les travailleurs avaient déjà rejoint la capitale quelques temps plus tôt et les deux espions arrivèrent en moins d’une heure dans le septième arrondissement de Paris.
Thomas s’arrêta devant la porte du parking des locaux parisiens de l’Aigle et ouvrit la porte. Le responsable des études se stationna sur une des places libres. Les deux espions descendirent du véhicule et prirent leurs valises avant de monter par l’ascenseur jusqu’à l’accueil du bâtiment.
Ils s’approchèrent du comptoir où un jeune homme les accueilli :
– Bonjour Messieurs, comment puis-je vous aider ?
Thomas répondit :
– Nous partons pour Saint-Gervais-les-Bains.
Le jeune homme leva la tête. On devinait que c’était la première fois qu’il entendait ce nom :
– C’est en France ?
Thomas s’amusa de cette question :
– Oui, oui c’est en France, dans l’est, près de Chamonix et de la Suisse.
– Excusez-moi, je déteste le ski, ce doit être pour cela que je ne connais pas.
– Aucun problème.
Le jeune homme regarda les deux espions avant de se rattraper :
– Pardon, est-ce que je peux prendre vos pièces d’identité ?
Paul et Thomas donnèrent leur passeport que le jeune homme inspecta avant de se saisir de son téléphone de bureau et de le porter à son oreille. Quelques secondes passèrent puis il annonça à son interlocuteur :
– Deux personnes partent à…
Le jeune homme regarda Thomas qui répéta :
– Saint-Gervais-les-Bains. C’est aussi près du Mont Blanc.
L’hôte reprit, au téléphone :
– Saint-Gervais-les-Bains près du Mont Blanc… Oui… très bien merci.
Il raccrocha et indiqua aux espions :
– Il faut que vous montiez au troisième étage. Ce sera ensuite sur votre gauche et la troisième porte du couloir. Je me permets de garder vos passeports et de leur envoyer.
Paul et Thomas remercièrent le jeune homme et entamèrent leur montée dans les vieux escaliers en bois du bâtiment.
Arrivés devant la porte, Thomas frappa et attendit une réponse. Une voix féminine leur indiqua d’entrer.
Paul connaissait la pièce et la personne qui les accueillit. C’était elle qui, l’année précédente, leur avait changé leur identité, dans ce même lieu.
La femme leur tendit deux passeports et un dossier chacun avant de vérifier leurs valises. Les deux espions se redirent ensuite dans une autre salle pour découvrir leur nouvelle identité.
Paul s’assit en face de Thomas et ouvrit le dossier qui contenait six pages. Il découvrit son personnage, Paul Beeckman, né le vingt-sept septembre deux mille un à Tours. Il est le fils de Hugo Beeckman et d’une mère inconnue. Á la suite du décès de son père dans un accident de voiture trois ans plus tôt, Paul retrouva son frère ainé, Thomas, à Bordeaux pour entrer au lycée.
Les deux frères qui ne s’étaient pas vus depuis deux ans retrouvaient doucement une relation de confiance et l’ainé, amateur de ski et aimant les paysages de montagne, avait décidé de déménager dans les Alpes. Paul avait suivi pour terminer son année de terminale scientifique.
Paul releva les yeux vers Thomas :
– J’ai à nouveau un frère ?
Thomas sourit :
– Il semblerait, oui.
Paul retourna à la description de son personnage.
Paul Beeckman, plus jeune, avait été un garçon joyeux et extraverti. Depuis le décès de son père, il parlait moins et ne retrouvait que rarement le sourire. Son frère avait dû faire preuve de patience pour le comprendre et l’aider.
Côté résultats scolaires, Paul Beeckman était bon élève. Il faisait partie de ces élèves discrets du haut de la classe, les élèves qui passent inaperçus même pour leurs professeurs.
Cependant, Paul Beeckman avait un côté moins glorieux. Un an après le décès de son père, il avait été arrêté pour possession et vente de produits stupéfiants ce qui l’avait fait cesser son activité illégale. Intelligent, il avait le profil idéal pour un recruteur de la Camorra qui pourrait le protéger et lui faire découvrir le monde de la pègre.
Il n’avait aucune présence sur Internet. Paul Beeckman n’avait pas de compte sur les réseaux sociaux et une adresse mail très peu utilisée.
Paul referma le dossier :
– Bien, ça ne me ressemble pas vraiment.
Thomas releva la tête :
– Tu t’y feras, c’est comme un comédien, il faut rentrer dans le rôle. Tu es prêt ?
Paul acquiesça.
Les deux espions retournèrent dans la salle où on leur avait remis leurs nouveaux passeports. La femme avait sorti une caisse qu’elle posa devant eux. Elle en sortit deux stylos métalliques :
– Pour votre voyage, on m’a demandé de faire léger. Il ne faudrait pas qu’on vous remarque en raison d’un de vos accessoires. Ce stylo est comme tous les autres, à la seule différence que le petit bouton en son somment envoie un signal à votre coéquipier, une vibration et un message sur son Smartphone avec vos coordonnées GPS. C’est un message crypté que vous ne pourrez ouvrir qu’avec un code secret. 0357. Retenez-le, il n’est noté nulle part et nous comptons sur vous pour ne pas l’oublier.
La femme marqua une pause pendant laquelle elle tint les stylos aux espions. Paul le rangea dans la poche arrière de son pantalon tandis que Thomas le glissa dans sa veste.
On leur montra ensuite un trousseau de clé :
– La clé principale est celle de votre maison. Une lame particulièrement aiguisée y est dissimulée. Vous pouvez la sortir très simplement en pinçant le trousseau. C’est la pression, assez forte, que vous exercez qui fait sortir la lame, aucun risque qu’elle ne se déclenche sans que vous le vouliez. Il y a au trousseau une petite lampe de poche assez puissante pour aveugler l’espace d’un instant une personne si vous dirigez le faisceau vers ses yeux. Enfin, il y a un porte-clés en forme de globe oculaire. Celui-ci a un effet semblable à une grenade lacrymogène. Pour le dégoupiller, il faut tirer un coup sec puis, vous n’aurez plus qu’à le lancer, rapidement. Il produit une fumée assez épaisse pour qu’on ne puisse rien voir dans une pièce d’une vingtaine de mètres carrés pendant quelques minutes. En extérieur, l’effet sera moins important et se dissipera plus vite mais sera tout de même efficace.
Paul et Thomas prirent le porte clé. Le plus jeune regarda l’œil qui cachait le gaz. Il n’était pas très grand et il espérait qu’il ne se dégoupillerait pas dans sa poche.
L’employée de l’Aigle leur présenta pour terminer un Smartphone :
– Comme je vous le disais, il reçoit les alertes de votre coéquipier. L’application Maps cependant, à quelques fonctionnalités autres que la version de base. En entrant “Tsévié” suivi du nom complet de votre coéquipier dans la recherche, vous pourrez le localiser. Lorsque vous recherchez “Loch Ness View”, vous serez en mesure de voir son écran, activer la caméra et le micro sans même que cela ne se remarque sur le Smartphone cible. La dernière recherche que vous serez en mesure de faire est “Fangataufa”. Une fois que vous aurez appuyé sur le bouton de recherche, lancez votre Smartphone et éloignez-vous, il explosera exactement cinq secondes et cinq centièmes plus tard.
Les deux espions prirent les appareils et saluèrent la femme qui avait terminé son explication.
Après avoir récupéré leurs bagages, Paul et Thomas sortirent du bâtiment par la cour avant et passèrent les grilles d’entrée. L’ainé proposa :
– Il est presque treize heures. On mange avant de se mettre en route ?
– Oui, bonne idée.
– Le restaurant au coin de la rue ?
Paul sourit. C’est dans cette brasserie que les deux espions avaient déjeuné avant de partir pour leur première mission ensemble un an auparavant et où ils avaient diner à leur retour, avant de retrouver le campus. Il accepta volontiers.
Ils prirent place dans la salle à moitié pleine du restaurant. Le serveur s’approcha et leur tendit des cartes en les dévisageant :
– Bonjour messieurs, les plats du jour sont sur l’ardoise au mur.
Il fixa Thomas qui s’en aperçût :
– Je peux vous aider ?
Le serveur fut gêné d’avoir semblé impoli :
– Pardon mais… J’ai l’impression de vous avoir déjà vu tous les deux…
Paul intervint :
– Nous sommes venus ici il y a quelques temps. C’est vous qui nous avez servi.
L’employé de la brasserie retrouva son sourire :
– Mais oui ! Les demi-frères, et vous, vous tenez de votre mère ! J’ai une bonne mémoire, vous voyez !
– En effet…
– Allez ! Je vous laisse faire votre choix, je reviens vous voir dans quelques minutes !
Le serveur tourna les talons. Paul s’adressa à Thomas :
– Il ne nous a même pas demandé si nous voulions commander à boire !
Thomas eut une expression étrange que Paul ne comprit pas. Une sorte de sourire gêné et timide. Il répondit :
– C’est vrai, cependant fais attention, nous ne sommes pas demi-frères.
Paul se justifia :
– C’est ce qu’il croit, je me suis dit que si je le contredisais il se méfierai.
– Peut-être, mais je pense que la mémoire de ce serveur pourrait nous jouer des tours, il sera mieux de ne plus revenir… Sauf si nous redevenons demi-frères à l’avenir.
– Je comprends… Mais nous pouvons bien dire ce que nous voulons, ce n’est qu’un serveur.
– Un serveur qui pourrait être interrogé oui.
Paul ne répondit pas. Il réalisa qu’il n’avait pas été prudent mais se jura qu’on ne l’y reprendrait pas.
Le serveur vint prendre la commande. Paul choisit un hamburger et Thomas une entrecôte. Lorsque leurs plats arrivèrent, Thomas demanda :
– Tu te sens prêt pour le bac ?
Paul regarda son assiette et répondit vaguement :
– Ça va…
– Si tu as besoin d’aide, n’hésite pas.
– Ne t’inquiètes pas, ça ira. Je ne suis pas mauvais élève.
Thomas marqua un temps de réflexion :
– C’est vrai, mais parfois, les examens peuvent être différents de ceux que tu as déjà passé…
Paul releva les yeux vers Thomas et répondit sèchement en fronçant les sourcils :
– Thomas, ça va je te dis. Ne t’inquiète pas comme ça, tu n’y es pas obligé.
Thomas sourit :
– C’est bien.
Le visage du jeune espion se détendit et il reprit d’une voix plus aimable :
– Je me suis fait avoir une première fois, ici même, je n’allais quand même pas refaire exactement la même erreur.
– Je vois ça, c’est parfait.
Les deux espions terminèrent leur plat puis retrouvèrent le parking du bâtiment un peu après quatorze heures. Ils placèrent leurs valises dans le coffre et embarquèrent. Paul demanda :
– On a un train à quelle heure ?
Thomas se tourna vers son coéquipier :
– Un train ?
– Quoi ? On part en fusée ?
Devant l’ironie de Paul, Thomas répondit en haussant les épaules :
– Non, en voiture.
– Ha.
Thomas entra dans le GPS une adresse de destination et sortit du parking.
La Mercedes se gara sur un grand parking. Les deux espions en sortirent et entrèrent dans le premier bâtiment face à eux.
Paul suivit Thomas qui lui demanda :
– Tu veux boire quelque-chose ?
Le jeune espion réfléchit :
– Un chocolat s’il te plaît.
Thomas pianota sur une machine et tint la boisson chaude à Paul qui la posa sur une table, face à Thomas qui avait pris un café. Le plus jeune remarqua :
– Je ne sais pas pourquoi, j’ai toujours aimé les chocolats chauds sur les aires d’autoroute.
Thomas répondit par un sourire. Paul demanda :
– Il reste combien de temps de route ?
– Quatre heures trente environ. Je m’arrêterai une deuxième fois avant d’arriver.
Les deux garçons terminèrent leurs boissons puis sortirent. Thomas s’arrêta devant le bâtiment et sortit un paquet de cigarette. Il en alluma une devant Paul qui remarqua :
– Je ne savais pas que tu fumais.
Thomas sourit :
– Je ne sais pas pourquoi, j’ai toujours aimé fumer sur les aires d’autoroute.
La cigarette consumée et jetée, les deux espions reprirent place dans la voiture.
Lorsqu’ils avaient repris une vitesse de croisière, Thomas demanda :
– Tu as remarqué que tu ne me tutoyais jamais quand nous ne sommes pas en voyage ?
Paul réalisa que Thomas avait raison. Sur le campus, il le vouvoyait toujours mais, dès qu’ils étaient en dehors, il le tutoyait sans même y réfléchir :
– C’est vrai, je crois que je n’y ai même pas pensé. Je pense que c’est ta fonction qui fait que je te vouvoie. Quand on est en dehors du campus, ici ou quand tu es venu chez moi, je crois que c’est différent.
Thomas changea de sujet :
– Pour le moment, personne ne te connaît là-bas, on pourra établir un plan d’action tranquillement. La maison sera sécurisée, il n’est pas possible d’y installer de caméra ou de micro et je ne pense pas que ce soient les méthodes des camorristes. Jusqu’à ton arrivée en cours lundi, on pourra parler librement. Une fois que tu auras commencé les cours, il faudra tout de même être prudents.
– Compris.
Les deux espions changèrent de sujet. Paul apprécia discuter avec Thomas de divers sujets. Ils avaient des goûts très similaires dans plusieurs domaines, en particulier lorsqu’il s’agissait de divertissement.
Près de deux heures plus tard, Thomas sortit à nouveau de l’autoroute pour s’arrêter à l’aire de la Ferté, proche d’une forêt. L’ainé en profita pour faire le plein de carburant et ils commandèrent les mêmes boissons que lors de leur premier arrêt.
Il restait encore plus de deux heures de route avant d’arriver à Saint-Gervais-les-Bains. Le temps passait rapidement en discutant.
Lors d’un rare silence marquant la fin d’un de leur sujet de discussion, Paul demanda à Thomas en hésitant :
– Il était comment, mon père ?
– Lequel ?
– Le vivant. Quand il était prof. On n’en parle jamais.
Thomas se laissa quelques secondes de réflexion avant de répondre :
– C’était un excellent professeur et un très bon responsable d’étude. Il avait simplement des élèves de qui il était plus proche et d’autres dont il avait tendance à moins s’occuper… Mais cela ne l’empêchait pas d’être très bon à chacun de ses postes.
Paul remarqua :
– Comme toi ?
Thomas ne répondit pas. Paul avait eu peur d’être indiscret. Après quelques secondes, l’aîné reprit :
– Il est toujours un très bon espion.
– Mon père ?
– Oui.
– Je pensais qu’il ne partait plus…
– C’est vrai, il reste dans son bureau mais c’est aussi grâce à lui que les missions se déroulent bien.
– Tu t’entends bien avec lui ?
– Oui. Il m’a appris beaucoup. On est assez proches mais… C’est un autre sujet.
– C’est pour ça que tu es venu chez nous ?
– Oui, aussi.
Paul avait de nombreuses questions à poser à Thomas mais il ne voulut pas le mettre mal à l’aise. Il avait facilement senti que son ainé n’avait pas envie d’entrer dans les détails. Il se contenta de demander :
– Et moi ?
– Toi… Tu as encore un peu de chemin mais je suis sûr que tu feras une belle carrière.
Paul n’insista pas.
Les Alpes se dessinèrent devant eux et ils entrèrent dans Saint-Gervais-les-Bains. Thomas se gara derrière le portail d’un chalet situé dans une ruelle.
Paul demanda à l’aîné :
– Le lycée est loin ?
– Je t’y emmènerai le matin et viendrai te rechercher. J’ai regardé le plan hier et tu en aurais pour près d’une heure à pied.
Les deux espions sortirent leurs affaires et découvrirent le chalet.
Au rez-de-chaussée, on entrait dans un grand salon aménagé sur lequel donnait une cuisine ouverte. Un petit couloir continuait sur une belle salle de bains et un bureau.
En montant à l’étage, les espions découvrirent trois belles chambres et une nouvelle salle de bains ainsi qu’un petit salon.
Au sous-sol, une grande salle avait été aménagée en bar privé et salle de jeux. Paul demanda :
– C’est l’Aigle qui possède ces bâtiments ?
– Ça dépend, souvent ce sont des locations.
Paul et Thomas s’assirent sur le canapé du salon. Il était vingt heures. Ils décidèrent de se rendre en ville pour découvrir leur nouvel environnement.
Ils passèrent devant le nouveau lycée de Paul. C’était un grand bâtiment blanc et vitré. Il semblait immense pour un simple lycée. Le jeune espion comprit que l’établissement était aussi un internat pour certains élèves. Il se décida à étudier son nouveau cadre scolaire pendant le weekend avant d’y faire son premier jour.
Les deux espions dinèrent en ville avant de rentrer au chalet. Le lendemain, Thomas avait prévu de discuter des premiers jours d’action de Paul et de la manière dont il se ferait repérer par la Camorra.
Certains lycéens avaient déjà été embrigadés dans le lycée où Paul allait entrer. Il allait devoir faire ses preuves et attirer l’attention. Selon Thomas, un nouvel élève qui arrive en cours d’année ne passerait pas inaperçu et il ne serait pas étonnant qu’un élève lui pose quelques questions pour savoir d’où il venait. Si Paul tenait son rôle, son profil correspondrait parfaitement à celui que la mafia pourrait recruter.
Paul et Thomas passèrent leur weekend à étudier leur nouvelle vie, en particulier le nouveau lycée du jeune espion.
Le dimanche soir, peu de temps avant que Paul ne rejoigne sa chambre, Thomas lui demanda :
– Prêt pour demain ?
Paul répondit d’un air malicieux :
– Oui, j’ai même hâte. Je me suis habitué à l’Aigle, je devrais me faire à un lycée plus…classique.
L’ainé répondit par un sourire entendu.
Accompagné par Thomas, Paul arriva un peu avant neuf heures dans son nouveau lycée. Il fut accueilli par le directeur de l’école qu’il suivit dans son bureau. Le directeur était un homme à l’allure sportive d’une quarantaine d’années, qui semblait amical et sympathique. Il pria Paul de s’asseoir devant le bureau et s’installa face à lui :
– Bienvenue, Paul. Ta nouvelle vie te plait ?
– Oui, je suis arrivé vendredi mais ça a l’air sympa.
– Tu vis avec ton frère, c’est bien cela ?
– Oui.
– Je vois. Je suis certain que tu te plairas ici. Cependant, il faut que tu sois conscient que ton profil est un peu atypique. Bien entendu, tes camarades seront accueillants mais si tu as le moindre problème, n’hésite pas à venir me voir pour en discuter.
– Merci, mais je suis sûr que ça se passera bien.
– J’imagine.
Il tendit un dossier à Paul qui l’ouvrit. Il contenait plusieurs feuilles dont l’emploi du temps.
Lorsque le nouvel élève eut pris connaissance de l’ensemble des documents, le directeur lui demanda :
– On y va ?
Paul acquiesça.
Le directeur se leva et alla ouvrir la porte de son bureau par laquelle Paul passa. Le directeur ferma derrière lui et indiqua :
– Je compte sur toi pour ne pas faire de vague. C’est un établissement calme ici.
Paul sourit en repensant à sa mission et aux élèves du lycée déjà embrigadés dans la camorra :
– Ne vous inquiétez pas, je ne causerai pas de problème.
Paul fut guidé jusqu’à une salle de classe. Après avoir frappé à la porte, le directeur entra suivi du nouvel élève. La classe se leva à leur entrée. Le directeur leur fit signe de s’asseoir et prit la parole :
– Bonjour à tous. Je vous présente Paul Beeckman, il arrive tout juste dans notre région et intègre votre classe aujourd’hui.
Paul n’écoutait plus la présentation qu’on faisait de lui. Il regarda la vingtaine d’élèves face à lui, tentant d’analyser les regards de chacun. La plupart avaient l’air étonnés. Certains ne portaient qu’une attention discrète à sa venue et trois élèves semblaient écouter la présentation du directeur avec attention.
Le premier était assis au deuxième rang. Il portait un polo blanc et semblait plus jeune que les autres. Le cahier ouvert sur sa table – le seul de sa classe – ainsi que le parfait alignement des stylos fit comprendre à Paul que ce n’était pas l’un des jeunes de la Camorra mais plutôt un élève qui écoutait toujours studieusement les professeurs et le directeur.
Le second, au milieu de la salle, était une jeune fille aux cheveux roux et longs. L’air sûr d’elle, elle semblait juger Paul de ses deux grands yeux. Paul détourna le regard.
Le regard du troisième élève fit penser à Paul qu’il n’était pas le bienvenu. Un regard méfiant et dur. Paul regarda le garçon, blond, fin, quelques taches de rousseur et des yeux marrons en amande. Il ne semblait pas méchant malgré l’air qu’il voulait se donner. Le jeune espion pensa qu’il était peut-être l’un des mafieux qu’il recherchait.
– Paul, bienvenu. Tu peux aller t’asseoir à côté de Kevin.
Paul tourna la tête vers la professeure de mathématique. Il lui sourit en la remerciant et repéra l’élève au troisième rang qui lui indiquait une place libre de la main.
Paul s’assit. Le garçon à ses côtés l’accueillit :
– Salut, moi c’est Kevin.
– Paul.
– Tu viens d’où ?
Paul soupira :
– Bordeaux.
– Ho cool ! Ça doit être sympa comme ville !
L’engouement de son nouveau camarade fit rappeler à Paul la première fois qu’il avait connu Damien. Il l’avait trouvé trop agité, trop curieux, exactement comme Kévin. Pourtant, si Kévin l’exaspérait déjà, Damien s’était avéré être bien plus intelligent que ce dont Paul avait présumé. Il répondit, restant dans son nouveau rôle et sans adresser un regard à son voisin :
– Ça va.
La professeure de mathématiques les coupa, à la grande joie de Paul :
– Kevin ! Je sais bien qu’un nouvel élève est un évènement mais je pense qu’il y a un temps pour tout. Vous aurez bien le temps de l’accueillir lors des pauses.
Le cours ennuya Paul. Il réalisa que le niveau de l’Aigle était bien plus élevé que celui des autres établissements. L’avantage c’est qu’il n’aurait pas à fournir d’effort sur les études et qu’il pourrait se concentrer sur sa mission.
La pause de la matinée arriva.
Kevin eut l’air de vouloir sympathiser avec Paul. Discret et peu bavard, Paul Beeckman écoutait son nouveau camarade lui parler de la région et des bons côtés qu’il y avait à vivre en montagne, en particulier lorsqu’on aimait le ski et la neige en hiver.
Malgré tout, Paul en profita pour observer les différents regards des personnes dans la cour. Quelques groupes de filles passèrent en le dévisageant et en souriant. Plus loin, un groupe de cinq garçons dont un qui était dans sa classe, parlaient de lui sans cacher leurs regards. Visiblement, il était le sujet de discussion de nombreuses personnes.
Deux garçons qui semblaient avoir son âge s’approchèrent :
– Salut. Tu es nouveau ?
Paul releva les yeux vers celui qui avait posé la question. C’était un garçon grand, brun, un visage encore jeune. Il répondit sèchement :
– Ouais.
Celui qui avait posé la question sembla troublé par la réponse laconique de Paul mais insista :
– Bienvenu. Je m’appelle Pierre, et lui c’est Laurent.
Paul regarda Laurent, plus petit que son ami. Il avait des cheveux blonds courts, des yeux verts et un sourire que Paul trouva amical mais insupportable.
– Enchanté. Paul.
Pierre lui sourit :
– Je vois que tu as déjà fait connaissance avec Kevin. Nous on est en ES. Si tu as besoin de quelque chose, tu peux nous demander.
– J’y penserai. Merci.
Les deux garçons ne sachant comment poursuivre la conversation tournèrent les talons et s’éloignèrent. Kevin reprit :
– Ils sont sympa mais se mêlent toujours de tout. Ce sont les délégués des ES.
Paul hocha la tête :
– Excuse-moi, Kevin, mais je vais te laisser, on va bientôt reprendre et j’aimerai faire un tour avant.
– Tu veux que je t’accompagne ?
– Non, je pense que ça ira.
Kevin sembla déçu :
– D’accord… On se revoit en classe, je te garde une place si tu arrives après moi !
Paul ne répondit pas et s’éloigna. Kevin ne pourrait que le desservir malgré sa sympathie.
Après les derniers cours de la matinée, Paul rejoignit le self en prenant soin d’éviter Kevin qui avait trouvé d’autres personnes avec qui discuter.
Le jeune espion s’assit à une table encore vide et commença son repas par des carottes rappées.
Deux garçons posèrent leurs plateaux face à lui en demandant :
– On peut s’asseoir ?
Paul hocha la tête en reconnaissant les deux nouveaux venus. L’un d’eux s’appelait Timothée. C’était celui qui l’avait dévisagé avec méfiance lors de son arrivée en cours. L’autre avait été son voisin toute la matinée. Pour le jeune espion, si dans sa classe il y avait des jeunes mafieux, ce ne pouvait être qu’eux. C’est le second camarade de Paul qui lui demanda :
– Alors, Paul, qu’est-ce que tu viens faire ici ?
Paul haussa les épaules :
– Mon frère voulait déménager dans les Alpes.
– Ton frère ?
Paul répondit avec une pointe d’agressivité :
– Oui, mes parents ont eu deux enfants, je suis le second ce qui fait du premier mon frère.
Restant serein, le curieux continua :
– Tu ne te feras pas que des amis si tu réponds comme ça.
– Je n’y tiens pas forcément.
– Un rebelle, magnifique. Tu devrais faire attention.
– A quoi ?
– Certains pourraient mal réagir.
Paul haussa les épaules à nouveau. Le premier des deux garçons reprit :
– Et tes parents écoutent ton frère ? Il veut déménager donc tout le monde suit ?
Paul répondit sans aucun sentiment dans la voix :
– Mon père est mort et je ne connais pas ma mère.
Cette dernière phrase laissa planer un silence de quelques secondes avant que Timothée ne reprenne :
– Tu étais où avant ?
Paul se rappela ce que Thomas lui avait dit. L’élève qui lui poserait le plus de questions serait probablement celui qui pourrait le faire entrer dans la Camorra. Il répondit :
– Bordeaux depuis la mort de mon père. Mais avant j’étais à Tours.
– Et donc tu vis avec ton frère ?
– Oui.
– Il est sympa ?
– Ça va, on parle pas trop.
– Ça doit pas être facile, tu as l’air assez… solitaire.
– On s’y habitue.
Paul jouait parfaitement son rôle. Il restait le plus distant possible tout en répondant aux questions qu’on lui posait. Il savait que son profil intéresserait des recruteurs mafieux et donnait doucement toutes les informations à Timothée et à son ami. C’est ce dernier qui reprit :
– Ça ne doit pas être facile de déménager aussi loin.
– Je n’ai pas trop d’attache.
Timothée continua l’interrogatoire :
– Tu fais quoi en dehors des cours ?
– Pas grand-chose.
– Tu vis où ?
– Assez loin, à Saint Gervais.
– Tu joues un peu aux jeux vidéo ?
– Ça m’arrive, pourquoi ?
Timothée sembla hésiter avant de proposer :
– Tu veux venir chez moi après les cours ?
Cette proposition intrigua Paul. Ce n’était pas courant d’inviter un nouvel élève dès le premier jour de son arrivée :
– Pour quoi faire ?
– Je ne sais pas, tu ne sembles pas avoir grand-chose de prévu. Ce sera l’occasion de discuter un peu plus et de voir si tu joues bien.
– Pourquoi pas.
Paul regarda son assiette vide et conclut :
– J’y vais, on se retrouve après les cours.
Timothée sourit :
– Super ! A tout à l’heure.
Paul sortit du self. Il envoya un SMS à Thomas :
“Ne viens pas me chercher, je vais chez un pote. Je te dirai si j’ai besoin que tu viennes me chercher chez lui“
Il n’eut comme réponse qu’un simple “OK” quelques minutes plus tard.
L’après-midi fut aussi ennuyeux que la matinée. Il apprit cependant, pendant l’appel de leur professeur, que le nom de l’ami de Timothée était Valentin.
Paul termina les cours à quinze heures. Il retrouva Timothée pour aller jusqu’à son chalet. Le jeune espion demanda :
– Valentin ne vient pas ?
Timothée sembla étonné par cette question et répondit :
– Non, pourquoi ?
– J’avais cru comprendre qu’il serait là aussi.
– Ha, non, je crois qu’en plus le lundi après-midi il a un cours de guitare.
Le nouveau camarade de Paul sembla soudain soucieux :
– Tu aurais préféré qu’il soit là ?
– Non, ça m’est égal.
Timothée retrouva son sourire. Il guida Paul jusqu’à un beau chalet à un quart d’heure du lycée. Pendant le trajet, Paul apprit que les parents de Timothée travaillaient tous deux dans une grande entreprise de l’énergie et gagnaient très bien leur vie, expliquant la belle demeure dans laquelle ils vivaient.
Timothée était le genre d’adolescent que Paul aurait pu avoir en horreur. Il était de toute apparence un garçon à qui les parents donnent tout. Pourtant, il n’avait pas ce comportement d’enfant “pourri-gâté”, comme certains camarades de classe de Paul, lorsqu’il était au collège. Il était même étonnamment sympathique.
Les deux garçons s’installèrent devant l’une des quatre consoles de Timothée et jouèrent un moment en discutant. Timothée semblait curieux de la vie de son camarade qui n’avait aucun mal à incarner le personnage de Paul Beeckman. Rien ne pouvait laisser penser que toute cette vie avait été inventée.
Après une heure, Timothée remarqua :
– Finalement, tu n’es pas si froid que ce que je pensais.
Paul s’étonna :
– Comment ça ?
– Tu réponds toujours sèchement, on a l’impression que tu ne t’intéresses pas aux autres et que tout t’ennuie mais je t’ai plusieurs fois vu sourire en jouant.
Paul se sentit presque vexé :
– Je ne vois pas pourquoi je ne sourirai pas.
– Disons qu’on n’a pas vraiment vu ton sourire aujourd’hui.
– Possible.
Timothée laissa quelques secondes passer avant de demander :
– Surdoué ?
– Non, pourquoi ça ?
– Tu avais l’air de t’ennuyer en cours.
– C’est le cas. J’étais dans un bon lycée et on a déjà vu tout ce qu’on a fait aujourd’hui.
– Je vois.
Paul ne résista pas à revenir sur la discussion qu’ils avaient eue dans le self, le midi même :
– Pourquoi tu m’as dit que je ne me ferai pas que des amis, ce midi ?
La partie se termina. Timothée se souvint à son tour de la discussion :
– La première impression que tu donnes n’est pas très avenante. Tu es plutôt… Sec.
– Possible.
– Enfin je comprends… Ça n’a pas dû être facile.
– De déménager ?
– Oui, enfin ce que tu as vécu aussi…
– Mouais.
– Désolé, il ne fallait peut-être pas en parler.
Paul soupira :
– Mon père est décédé, c’est comme ça. Ce n’est pas qu’on ne peut pas en parler mais je ne vois pas l’intérêt.
Timothée se justifia :
– Parfois… Ça permet de se libérer.
– Je ne suis pas sûr qu’on se connaisse assez pour cela. Un jour peut-être.
– D’accord… On ne se connaît pas encore mais si jamais tu as besoin d’en parler, avec moi tu peux.
Sans attendre de réponse, Timothée tenta de changer de sujet :
– Bon, on refait une partie ?
Paul sourit :
– D’accord.
– Tu vois !
– Quoi ?
– Tu as encore souri. Tu y arrives quand tu veux !
Paul haussa les épaules en levant les yeux vers le plafond :
– Si tu le dis.
Les deux nouveaux camarades jouèrent jusqu’à dix-neuf heures. Paul décida de demander à Thomas de venir le chercher un peu plus loin.
Dans la voiture, Paul fit un résumé de sa journée à son coéquipier. Il lui parla des cours, de l’accueil du directeur et de Kevin qui était particulièrement bavard.
Une fois arrivés, alors qu’il garait la voiture, Thomas demanda :
– Et ton… “Pote“, c’est qui ?
– Celui chez qui j’étais cet après-midi ?
– Oui.
– Timothée. Il m’a regardé bizarrement ce matin quand je suis arrivé. Ce midi, il s’est assis à ma table et m’a posé pas mal de question avec un autre élève, Valentin, il est aussi dans ma classe.
– Et cet après-midi ?
– Il était seul, il a continué à me poser des questions.
– Tu crois qu’il cherchait à en savoir un peu plus sur toi ?
– Oui, c’est évident, mais je ne sais pas si c’est juste pour être sympa ou pour savoir s’il allait m’engager.
Thomas fronça les sourcils :
– C’est étonnant quand même…
– De quoi ?
– Tu arrives aujourd’hui et il t’invite chez lui alors que tu as tout fait pour être désagréable.
– Oui, c’est vrai. Il a aussi l’air d’avoir pas mal d’argent.
– Dans la région ce n’est pas rare… Tu crois qu’il a quelques revenus en plus venant d’activités illégales ?
– Je ne sais pas. S’il fait partie de ceux qu’on cherche, il cache très bien son jeu.
– Continue à bien t’entendre avec lui, si ça doit arriver, ça arrivera.
– Sans doute.
Les semaines de cours passèrent doucement. Paul arrivait à garder son rôle distant avec les autres élèves bien qu’il ait rapidement appris à en connaitre plusieurs. Timothée devint même un bon camarade. Paul savait que s’il était lié à la Camorra – et tout le laissait à penser – il finirait par lui en parler.
Kevin avait été moins bavard que le premier jour mais continuait à régulièrement s’asseoir à côté de Paul en classe. Il discutait avec lui lorsqu’il n’était pas avec d’autres amis et dès que Paul se retrouvait seul. Le jeune espion n’avait rien contre lui, il le trouvait aimable, mais n’avait que très peu de points communs avec son camarade.
La troisième semaine se termina. C’était la date des vacances parisiennes. Le vendredi sept février au soir, Paul demanda à Thomas :
– Mes parents ne vont pas s’inquiéter ?
Thomas répondit, étonné :
– S’inquiéter pour quelle raison ?
– C’est les vacances et je ne serai pas avec eux.
– Ha, non, ils ont été prévenus.
– Que j’étais ici ?
– Dans les Alpes oui, pour un voyage organisé.
– Et ils y ont cru ?
– Bien sûr, et puis on prendra une photo.
– Dans une école normale, ils ont un papier à signer et ça se prévoit un peu avant.
– Ils ont signé un papier qu’ils ont reçu par mail et tu auras remarqué que notre école n’est pas tout à fait… “normale“.
– Sans doute. Tu crois que je vais y arriver ? Pour l’instant, aucun signe de la Camorra.
– C’est vrai. On va rester une semaine avec cette stratégie. Si ça ne paye pas, on changera.
– Tu as déjà une idée, c’est ça ?
– Oui, il faudra te faire plus présent et te faire remarquer… Un vol à main armée par exemple.
– C’est pas rien.
– On parle de la mafia.
Paul laissa passer quelques secondes avant de demander :
– Tu crois que la Camorra est vraiment ici ?
– Pourquoi cette question ? Si les services secrets ont l’information, ça m’étonnerait qu’ils se soient trompés.
– On n’a aucun signe d’eux, la région est calme.
– Ils sont intelligents. Nous n’avons pas non plus tous les trafics de la région dans les journaux. Mais regarde celui d’aujourd’hui, ça répondra peut-être à ta question. Il est sur la table de la cuisine.
Paul se dirigea vers la cuisine ouverte sur le salon. Il ouvrit le journal et feuilleta les premières pages. Un titre inquiétant l’intrigua :
“Fusillade à Domancy : Un mort”
Paul abaissa le journal et s’adressa à Thomas :
– La fusillade ?
– Oui, lit.
Paul regarda l’article de deux petites colonnes :
“Hier, un jeune homme de dix-sept ans a été tué de deux balles tirées depuis un scooter à Domancy. Les tireurs, à l’apparence jeune selon les témoins, ont pris la fuite. La gendarmerie est actuellement à leur recherche malgré le peu d’indice sur les lieux du crime.
D’après les voisins, la victime était un jeune sans problème. Cependant, d’après les autorités, il aurait été impliqué dans un trafic de stupéfiants. La piste du règlement de compte est actuellement privilégiée.“
Le jeune espion posa le journal :
– Tu penses que ça a un lien avec notre affaire ?
– Aucune idée, mais ça pourrait être le cas, non ?
– Peut-être.
Les vacances d’hiver dans la zone du lycée de Paul n’arrivaient que deux semaines plus tard. Paul comprit que Thomas voulait un premier signe de la Camorra avant cette date. Le jeune espion allait devoir se faire remarquer le weekend suivant.
Le mardi onze février, après la pause déjeuner, Kevin s’assit à nouveau à côté de Paul. Leur professeur d’histoire allait arriver et Kevin profita de ce moment pour demander :
– Tu fais quoi demain après-midi ? On n’a pas cours.
Paul réfléchit :
– Pour le moment rien, pourquoi ?
– On déjeune ensemble ? Je dois rejoindre des potes après, tu pourrais venir avec moi !
– Pourquoi pas… Je te confirme demain ?
– Pas de problème.
Le professeur d’histoire-géographie entra dans la salle, mettant fin aux discussions.
Paul n’avait pas réellement envie d’aller déjeuner avec Kevin. Il était curieux de savoir qui étaient les amis de son camarade et comment ils faisaient pour le supporter. De plus s’il refusait, Thomas lui dirait sans doute qu’il ne faut jamais laisser passer une occasion d’en apprendre plus sur une personne. Le lycéen espérait que Timothée lui propose une alternative, lui permettant d’échapper à ce rendez-vous qui ne le passionnait pas.
Les espoirs de Paul furent déçus. Il apprit que Timothée avait déjà prévu de rejoindre ses parents pendant leur pause déjeuner puis de passer l’après-midi avec eux.
Lorsque Paul rentra le mardi soir, Thomas le dévisagea et s’inquiéta :
– Quelque chose ne va pas ?
– Non, pourquoi ?
– Tu as l’air embêté.
– Ha, non, c’est juste que Kevin veut qu’on déjeune ensemble demain et me présenter à ses amis.
– Et donc ?
– Il parle tout le temps et on n’est pas vraiment proches, contrairement à ce qu’il pense.
– Tu devrais y aller.
– Pourquoi ?
– Il va te présenter ses amis, plus tu connaitras de monde dans la région et plus tu auras de possibilités. Peut-être que ses amis ont un lien quelconque avec la mafia.
Paul avait vu juste. Pour Thomas, toute occasion était bonne :
– Les amis de Kevin ? S’ils sont comme lui…
– On ne sait jamais.
– Bon, d’accord, j’irai.
Le lendemain matin dès son arrivée, Paul fut attendu par Kevin :
– Alors ? C’est bon pour ce midi ?
– Oui, c’est bon, je viendrai.
– Super !
Après les cours, Paul et Kevin s’arrêtèrent dans une pizzeria. Ils commandèrent et Kevin, qui s’était arrêté de parler depuis plusieurs minutes, demanda d’un air bien plus sérieux qu’à son habitude :
– Tu es qui, Paul Beeckman ?
Paul regarda Kevin d’un air suspicieux :
– Comment ça ?
– On ne sait pas grand-chose sur toi.
– Tu ne m’as pas posé de question.
– Alors je peux t’en poser ?
Paul fit la moue :
– Si tu veux.
– Qui vient te chercher au lycée ?
– Mon frère.
– Il a une super voiture…
– Ouais, elle est pas mal.
– Une classe E, c’est ça ?
– Oui.
– Il doit avoir un bon job.
– Sûrement.
Kevin s’étonna :
– Tu n’as pas l’air de savoir ce qu’il fait.
– Non, je ne lui ai jamais demandé.
– Attends… Tu ne sais pas ce que fait ton frère ?
– Non, on ne parle pas beaucoup.
Kevin s’amusa :
– C’est peut-être un mafieux !
Paul resta impassible :
– J’en doute, pas son genre.
– En général ils le cachent.
– Sûrement.
– Et tes parents ?
– Je n’ai pas connu ma mère et mon père est décédé il y a quelques temps. C’est pour ça que je vis avec mon frère.
Kevin sembla gêné :
– Désolé…
– Laisse.
Il y eut un silence que Kevin brisa, l’air amusé malgré la discussion :
– D’ailleurs, je pourrais très bien être dans la mafia, moi !
Paul redressa la tête. Le serveur arriva avec les deux assiettes, coupant la conversation. Paul s’énerva intérieurement, espérant que les plats se posent le plus vite possible. Kevin avait soudainement abordé, bien qu’avec humour, un sujet intéressant.
Le serveur reparti, Paul reprit :
– On parlait de quoi ?
– De rien en particulier, je disais qu’on ne pouvait pas savoir qui était dans la mafia et que je pourrais très bien en faire partie.
Paul sourit malicieusement :
– Toi ? Je ne veux pas être désobligeant mais tu n’es pas vraiment l’idée que je me ferais d’un membre de la mafia.
Kevin sembla vexé :
– Pourquoi ?
– Je ne sais pas, je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de membres de notre âge.
Le camarade de Paul réfléchit :
– Ouais, peut-être. Toi si on te proposait d’entrer dans la mafia, tu accepterais ?
– Je ne sais pas trop.
– Aller, je suis sûr que tu as déjà commis quelques délits, non ?
– Moi ? Oui.
Kevin fut surpris de cette réponse si franche :
– Sérieux ? Attends ça m’intéresse… Tu as fait quoi ?
Du coin de l’œil, Paul regarda son interlocuteur :
– Tu ne diras rien ?
Kevin adressa un sourire entendu :
– Tu peux me faire confiance.
– Bien… Trafic.
Peul fixa Kevin qui reposait la fourchette qu’il était en train d’amener à sa bouche. Le jeune espion s’expliqua :
– C’était il y a quelques temps.
– Gé-nial !
Devant l’air interrogatif de Paul, il continua :
– Je veux dire, c’est impressionnant, je n’aurais pas cru. Et tu continues ?
– Non, pourquoi ?
– Tu voudrais ?
Paul fit semblant de réfléchir à la question :
– Je ne sais pas, si je me fais prendre, j’irais en taule.
– Tu sais… Je connais des personnes qui pourraient s’arranger pour que tu ne le sois pas.
– Comment ça ?
– Moi aussi, j’ai un secret.
Kevin prit un air mystérieux. Paul comprit qu’il tenait enfin son entrée et qu’il s’était trompé dès le départ. Ce n’était pas Timothée qui tentait de l’approcher mais Kevin qui, lors des dernières semaines, avait gagné sa confiance et l’avait sans doute observé. Paul relança celui qui était devenu sa nouvelle cible :
– Ha bon ?
Kevin eut l’air fier de lui :
– Je suis un peu dans le business.
– Toi ?
– Et si tu veux en être, je te fais entrer.
– Entrer ?
Pour Paul, il s’agissait maintenant d’obtenir le plus d’informations possible. Kevin avait baissé sa garde :
– Oui. Depuis quelques temps, on a une famille italienne qui s’est installée dans la région. Ils font quelques affaires.
– Intéressant. Quels types d’affaires ?
– Je ne peux pas t’en dire trop pour le moment, je ne suis pas censé en parler, mais deal, vol, ce genre de choses.
– Et tu disais que je pourrai entrer ?
– Oui. Je vais te présenter à mes amis après le repas.
Kevin ne parla plus de ce sujet. Après leur déjeuner, ils sortirent et marchèrent quelques minutes jusqu’à un chalet dans lequel se trouvait plusieurs appartements. Kevin emmena Paul au premier étage et frappa à la porte. Paul entendit du bruit puis devina qu’une personne s’assurait de l’identité des visiteurs avant d’ouvrir.
C’était un petit appartement dans lequel se trouvaient trois personnes. Paul les reconnut immédiatement. Valentin était assis sur un fauteuil, Pierre et Laurent sur un canapé.
Le jeune espion suivit Kevin et s’assit avec eux. Valentin le toisa du regard et Kevin le rassura :
– C’est bon.
Depuis son fauteuil, l’ami de Timothée s’adressa au nouveau venu :
– Tu ne sais absolument pas où tu mets les pieds, hein ?
Paul hésita :
– Kevin m’en a un peu parlé mais je n’imaginais pas vous retrouver ici.
– Il n’y a pas que nous.
Paul regarda autour de lui, Valentin éclata d’un rire moqueur :
– Pas dans l’appartement. En général, il n’y a pas que nous.
Paul se rattrapa :
– Ha, je vois. Vous êtes nombreux.
Valentin alluma une cigarette :
– Pose pas de question. Alors comme ça tu joues les gros durs ?
A en juger par leurs gabarits et leur comportement, Paul savait pertinemment que les lycéens ne savaient pas exactement ce qu’ils faisaient. Si Valentin reprochait à Paul de jouer les “gros durs“, c’était lui qui tentait tant bien que mal de coller au rôle qu’il voulait se donner. Paul savait que, s’il voulait se faire respecter, il allait devoir prendre le contrepied et les déstabiliser. Il répondit calmement :
– Non, pas vraiment.
– En classe, tu t’amuses à faire semblant de ne t’intéresser à personne.
– Et alors ?
– Alors c’est pas poli.
– Il parait que tu sais être intéressant. Si c’est juste pour me faire des remarques sur mon comportement, j’ai rien à faire ici. Si on parle affaires, c’est une autre histoire.
Valentin se tourna vers les deux autres garçons sur le canapé en souriant. Paul remarqua que Pierre avait une arme à portée de main. Valentin commenta à ses amis en parlant de Paul à la troisième personne :
– Il me plait lui.
Paul répondit :
– Je suis là tu sais.
Valentin se retourna vers Paul :
– Joue pas trop les malins non plus. Tu peux faire tes preuves ?
– Dis-moi comment.
– Quelqu’un nous doit de l’argent. Tu peux t’en occuper ?
– Qu’est-ce qu’il faut faire ?
– Lui faire peur, lui donner une leçon, le faire payer. Tu es assez intelligent pour comprendre.
– Le tabasser quoi.
– Voilà. Tu vois, quand tu veux, tu sais être intelligent !
Paul ne releva pas :
– Dis-moi qui c’est.
– Un consommateur. Il habite un peu plus loin, Kevin va t’y conduire. Si tu fais ça bien, on parlera.
– D’accord. Quand ?
– Maintenant.
Paul sentit Kevin lui saisir le bras. Ils se dirigèrent vers la porte de l’appartement et sortirent.
Valentin n’avait pas menti. En cinq minutes, ils s’étaient arrêtés devant un immeuble. Kevin sortit son téléphone et montra une photo d’un homme à Paul :
– C’est lui, il habite en face.
– Et tu es sûr qu’il est là ?
– Ouais.
– On attend qu’il sorte ?
– Moi je ne fais rien, toi tu te démerdes.
– Bien. Quel étage ?
– Premier droite.
Paul regarda Kevin puis l’immeuble. Il avait le visage de sa cible en tête. Il demanda :
– A qui doit-il de l’argent ?
– Pourquoi, tu veux lui demander ?
– Non, mais au moins qu’il sache pourquoi je suis là…
– Il le sait.
– Combien ?
– Dans le doute, prends tout ce qu’il a.
Paul n’insista pas et traversa la rue. L’immeuble était protégé par un code qui permettait d’ouvrir la grande porte vitrée de l’immeuble. L’espion réfléchit aux possibilités qu’il avait pour le trouver quand soudain une silhouette apparut derrière la vitre de la porte. Cela lui faciliterait le travail.
La femme d’une soixantaine d’années s’approcha et ouvrit :
– Bonjour, vous n’avez pas le code ?
Paul tenta :
– Non, je vais voir un ami. Il m’a donné le code mais ça ne fonctionne pas.
– C’est embêtant, c’est un, sept, deux, trois.
Paul sourit :
– Merci madame !
Il tint la porte à la femme qui le remercia.
Paul monta l’étage et se retrouva devant trois portes. Il se dirigea vers celle de droite, réfléchissant à sa manière d’agir. Sur la photo que lui avait montré Kevin, l’homme ne semblait pas dangereux. Un consommateur de cannabis d’une trentaine d’années.
Paul approcha de la porte et posa le doigt sur la sonnette.
L’espion entendit du bruit venant de l’intérieur. Des pas s’approchèrent. Paul fit en sorte de ne pas pouvoir être vu depuis le judas. Il entendit une voix demander d’un ton amical :
– Qui est-ce ?
Paul hésita mais dit d’une voix assurée :
– Le facteur. J’ai un colis pour vous.
La porte s’entrouvrit. Paul vit l’œil de l’inconnu qui le regardait, étonné d’avoir affaire à un lycéen. Avant qu’il ne puisse réagir, Paul poussa la porte de toutes ses forces, faisant tomber le trentenaire à la renverse. Le jeune espion entra et ferma la porte derrière lui. L’homme encore à terre semblait tétanisé par cette entrée fracassante :
– Qu’est-ce que vous me voulez ?
Paul ne sut quoi dire pendant quelques secondes mais se reprit, d’une voix forte et assurée :
– Tu sais ce que je veux !
– Non, je vous jure que non !
– Donne-moi tout ce que tu as et je ne te ferai pas de mal.
– J’ai rien, je vous le jure !
Paul regarda autour de lui. Il y avait une bibliothèque avec plusieurs cadres, des bibelots et un vase. Il passa la main et fit tomber le tout. Les cadres se brisèrent, tout comme le vase. L’homme, encore au sol, le supplia :
– Arrêtez, je vais payer, mais je n’ai rien ici, je vous le jure.
Paul arma son poing. Il crut déceler une larme sur la joue de l’homme. Il le frappa au visage. Il lui avait ouvert l’arcade. Le trentenaire comprit que Paul ne le laisserait pas tranquille. Il montra une porte :
– Dans mon bureau, il y a du liquide. C’est tout ce que j’ai !
Paul enjamba le corps et se rendit dans le bureau. Il ouvrit les deux tiroirs et trouva une liasse de billets de cinquante euros. Il évalua rapidement le total à près de huit cents euros.
Il les mit dans sa poche et retourna dans l’entrée. Il regarda l’homme allongé qui tentait de calmer son hémorragie :
– Tu vois, tu avais de quoi payer.
L’homme supplia en sanglotant :
– J’allais vous payer, je vous jure. Partez maintenant, laissez-moi tranquille.
Paul lui intima en lui donnant un coup de pied dans la jambe :
– Maintenant, paye à temps, sinon je ne serai pas aussi sympa.
L’espion ressortit de l’appartement et s’enfuit dans l’escalier.
Kevin l’attendait au même endroit. Lorsque Paul arriva, il lui demanda :
– Alors ?
– J’ai l’argent.
– Et lui ?
– Il a coopéré assez vite.
– Il fallait le frapper, Paul !
– Il a l’arcade ouverte.
Kevin sembla satisfait :
– Ha ! Ça c’est bien. Viens, on retourne voir les autres.
Valentin, Pierre et Laurent les avaient attendu en discutant. En entrant, Paul sortit les billets et les tendit à Valentin qui lui sourit en s’en saisissant avant d’en donner un à Paul :
– Tu as l’air efficace.
Paul le rassura :
– Oui, comme tu le vois.
– Je vais te faire rencontrer Enzo, c’est un membre de la famille. Il pourra te donner quelques petits boulots.
– Maintenant ?
– Sois pas pressé. Je te donnerai rendez-vous un autre jour. Tu veux une clope ?
Paul regarda le paquet de cigarette :
– Non, merci, c’est pas mon truc.
– Bon, on n’a plus besoin de toi Paulo. A demain au lycée.
Le jeune espion rectifia :
– Paul.
– Quoi ?
– Mon prénom c’est Paul, pas Paulo.
– Ouais, si tu veux. A plus.
Conduit par Kevin, l’espion sortit du bâtiment. Il serra la main tendue de son nouvel ami qui retourna auprès de Valentin, Pierre et Laurent.
Paul s’empressa d’envoyer un message à Thomas :
“Tu viens me chercher dans 15 minutes au lycée ?“
La réponse affirmative ne tarda pas. Paul avança jusqu’au bout de la rue. Il s’arrêta devant une poubelle et vomit.
Il retrouva son coéquipier à l’endroit prévu et monta en voiture. Thomas lui demanda :
– Bonne journée ?
– Ça va.
– Ça a l’air…
Paul ne répondit pas et Thomas ne parla pas plus. Pendant les quelques minutes du trajet, Paul repensa à ce qu’il avait fait. Il revoyait cet inconnu, l’arcade ouverte et le sang qui coulait. Il eut un nouveau haut-le-cœur.
Thomas se gara et descendit. Les deux espions entrèrent dans le chalet et s’assirent dans le salon. Thomas demanda :
– Alors, Kevin ?
– C’est lui qui était la porte d’entrée.
– Super. Il te l’a dit ?
– J’ai tabassé un mec.
Thomas s’arrêta un moment. Il servit deux verres d’eau et les posa sur la table. Paul en but une gorgée tandis que Thomas voulut en savoir plus :
– Pourquoi ?
– Valentin me l’a demandé.
– Bon, il va falloir tout reprendre. Kevin t’a fait entrer et tu as rencontré Valentin ?
– J’ai déjeuné avec Kevin qui m’a proposé. J’ai accepté, on est allé dans un appartement dans lequel se trouvait Valentin qui est dans ma classe. Il y avait aussi Pierre et Laurent, ils sont en terminale ES. Valentin avait l’air de diriger l’équipe. Il m’a demandé d’aller récupérer de l’argent en tabassant un mec. Je l’ai fait.
Thomas sembla se réjouir :
– C’est parfait alors !
Paul s’étonna :
– Comment ça ? Je viens de te dire que j’avais tapé un innocent.
– Innocent ? S’il méritait de se faire frapper, c’est pour une bonne raison, non ? Et puis tu ne l’as pas tué.
– Oui, c’était un consommateur je crois.
– Alors rien de grave.
Paul trouva que Thomas était particulièrement cynique mais comprit que tout pouvait justifier la réussite de la mission :
– Sans doute. De toutes manières, j’ai la confiance de Valentin. Il va me présenter à une autre personne, Enzo. Visiblement c’est de lui qu’il tient ses ordres car il m’a dit qu’il pourrait me donner du travail.
– Tu sais quand tu le vois ?
– Non.
– Si jamais tu n’as pas le temps de me prévenir, envoie-moi un message pour que je puisse activer ton micro.
– Oui, je le ferai.
Thomas marqua un temps avant de conclure :
– Bienvenue dans le monde réel, Paul.
Paul préféra ne pas répondre. Il prit une gorgée dans son verre d’eau. Sa seule envie était de retrouver son lit.
Paul n’eut pas à attendre longtemps avant d’avoir des nouvelles de Valentin. Dès le lendemain midi, celui qui dirigeait le petit groupe que Paul avait rencontré la veille vint le voir pour lui donner rendez-vous à dix-huit heures au stade.
Le jeune espion s’empressa de prévenir Thomas.
Le soir même, à dix-huit heures précises, Paul était sur le parking, sur le lieu de rendez-vous.
Il attendit quelques minutes avant de voir apparaitre une voiture d’où sortirent trois personnes.
Paul reconnut Valentin. Il y avait deux autres garçons. Paul estima que le premier devait avoir l’âge de Thomas, entre vingt-cinq et trente ans. Châtain, les cheveux courts qui tombaient sur son front. Il semblait particulièrement nerveux.
Le second, roux, était plus grand mais plus jeune. Paul remarqua une arme à sa ceinture.
Le premier tendit la main vers Paul et se présenta avec un léger accent italien :
– Bonjour, je suis Enzo.
– Bonjour, moi c’est Paul.
– Je sais. Alors tu veux travailler pour nous ? Valentin m’a dit que tu faisais du bon travail.
– Je sais m’appliquer.
– Parfait. Tu travailleras avec Valentin pour le moment. Si vraiment tu es bon, j’aurais de quoi te faire évoluer. Fais pas de vague, on sait punir ceux qui sortent des clous.
– J’ai cru comprendre oui.
Enzo regarda Paul :
– A bientôt, Paul.
L’échange ne dura pas plus longtemps. Les trois garçons remontèrent dans leur véhicule et abandonnèrent Paul.
Le jeune espion suivit les ordres de Valentin à la lettre. Pendant les vacances, les tâches s’accélérèrent. La famille camorriste tenait à asseoir son influence dans la région.
Paul participa à des surveillances de trafic de stupéfiant et à quelques règlements de compte. Il s’habitua doucement à la violence à laquelle il était confronté en tentant tant bien que mal d’éviter d’y participer.
Thomas le suivait en permanence grâce au Smartphone mais aussi en restant à proximité. Il savait exactement ce qu’il se passait et ce à chaque instant.
Le soir, Paul et Thomas échangeaient sur la journée et les différentes missions que Valentin confiait à Paul. Cela permettait au jeune espion de se décharger parfois du stress causé par des bagarres violentes ou la vue d’un homme gisant sur le sol. Pour Thomas, c’était une manière de lister les différentes activités des mafieux et d’établir leur évolution.
Enzo avait aussi remarqué que Paul savait se battre. Il n’avait pas posé de question mais n’hésitait pas à l’envoyer au front afin de régler rapidement une rixe.
La famille mafieuse contrôlait le trafic de drogue de la région et personne n’osait le contester.
Paul fut convoqué par le jeune italien dès le lundi de la rentrée. Le rendez-vous avait été donné dans un appartement du centre de la ville de Passy, proche du lycée.
Lorsque le lycéen arriva, il découvrit que Valentin, Kevin et Enzo étaient accompagnés de deux autres personnes, âgés d’une cinquantaine d’années. Enzo fit les présentations :
– Alberto, Alessandro, je vous présente Paul, le frappeur dont je vous ai parlé.
Alberto s’adressa au nouveau venu avec un accent plus prononcé que le jeune italien :
– Bonjour, Paul. On m’a dit que tu étais un garçon dévoué et honnête. C’est le cas ?
Paul répondit :
– Oui.
– Parfait. Je suis Alberto Ruggieri. Tu connais mon neveu, Enzo. Voici mon frère, Alessandro.
Paul hésita et s’adressa à Alessandro :
– Vous êtes donc le père d’Enzo ?
Sans attendre de réponse, Alberto reprit :
– Si cela ne te dérange pas, je préférerai que tu ne poses pas de question. Ecoute et comprends, c’est déjà beaucoup.
Paul hocha la tête, Alberto reprit :
– Nous dirigeons la famille ici, en France. Tu vas nous aider.
– Bien sûr.
Alberto se tourna vers les autres jeunes :
– Enzo, laisse-nous, les autres aussi.
Valentin et Kevin sortirent, suivi d’Enzo.
Alberto Ruggieri reprit :
– Bien. Paul, tu vaux bien mieux que ces… enfants. Toi tu as quelque chose en plus d’après ce qu’on m’a rapporté. Je ne peux pas te laisser diriger une équipe mais tu seras à mon service directement. Tu t’occuperas des graisses et des convois.
– Les graisses ?
– Oui, tu iras donner un peu d’argent, en récupérer quand il faut. Nous assurons la protection de plusieurs magasins et du casino. Tu es un peu jeune pour y aller mais si tu peux récupérer toutes les semaines l’argent des trois magasins proches de ton lycée, ce sera une belle aide. Je te demanderai aussi d’aller parfois au commissariat, déposer des lettres et un peu d’argent pour les aider dans leur tâche si particulière de protection de la population.
– Bien, je le ferai.
– C’est parfait. Je t’enverrai tout par message sur ce téléphone.
Alberto tendit un ancien téléphone à Paul qui le prit et le rangea dans sa poche :
– Merci.
– Ensuite, nous envisagerons de te faire prendre la place d’Enzo.
– C’est-à-dire ?
– Tu sais, Paul, notre famille se crée doucement. Mon frère la gère avec brio. Moi, je ne suis que son exécutant et Enzo redistribue les tâches. Tu connais déjà quelques-uns de ses camarades qui l’aident. Mais il y en a d’autres, qui s’occupent de punir nos ennemis, mettre hors circuit les personnes qui dérangent, ou prendre un petit pourcentage des filles qui font le plus vieux métier du monde. C’est toute une organisation.
Alessandro fit claquer sa langue et prit la parole. Il avait la même voix que son frère :
– Paul, va. Travaille bien et nous verrons si tu peux devenir un vrai Ruggieri.
Paul acquiesça. Il comprit que la discussion était terminée.
Le soir, il s’empressa de raconter sa rencontre à Thomas. Ils arrivaient à reconstituer l’ensemble des agissements des camorristes dans la région. Alessandro et Alberto dirigeait, Enzo donnait les ordres. Des policiers fermaient les yeux sur les agissements de la famille italienne qui récupérait de l’argent de la drogue, des vols, mais aussi de la prostitution et des magasins sous leur protection.
Les deux espions comprirent que les faits divers de la région, comme le commerce qui avait brulé quelques jours plus tôt, n’étaient que rarement des accidents.
Paul était chargé de se rendre dans les magasins. Lorsque les commerçants le voyaient arriver, ils ne résistaient pas et payaient des sommes importantes.
Une fois, Paul dut déposer une enveloppe à la gendarmerie. Il ne se risqua pas à l’ouvrir mais savait pertinemment qu’elle contenait des billets, permettant aux Ruggieri de continuer à agir dans l’impunité.
Paul exécutait ses taches avec soin. Jamais il ne comptait les billets ni même ouvrait une enveloppe. L’important était de garder la confiance de ses supérieurs et pour cela, il fallait être le plus professionnel possible.
Le vendredi, Alberto Ruggieri lui donnait sa part, en général quelques centaines d’euros.
Thomas et Paul arrivèrent doucement à repérer l’ensemble des membres des Ruggieri. Cependant, ils avaient sous-estimé leur influence et leur richesse. La main mise qu’avait la famille italienne sur les commerces, le casino et les ventes de produits stupéfiants leur permettaient de gagner des sommes considérables et rapidement. Cet argent leur permettait de se fournir en armes et de payer les membres de la mafia.
Paul gagna la confiance des frères Ruggieri et il fut rapidement convoqué à nouveau, le dix mars.
Comme la première fois, Alessandro ne parla pas, laissant son frère Alberto s’en charger :
– Paul, tu es un garçon loyal et tu es quelqu’un de fort. Tu n’es pas fait pour être coursier. Demain, tu iras t’occuper d’une personne qui nous pose problème.
Alberto prit un pistolet posé sur une petite table et le tint à Paul en continuant :
– Impossible à tracer. Tu vas au casino, tu t’occupes du patron et tu reviens. Ce n’est pas compliqué.
Paul s’assura d’avoir bien compris :
– Vous voulez que je tue le patron du casino ?
– C’est ça. Cela te pose un problème ?
Paul répondit en hésitant :
– Non… Merci de me faire confiance.
– Parfait, quand ce sera fait, reviens nous voir, à vingt heures trente. Á demain Paul.
Le jeune espion rentra au chalet qu’il partageait avec son coéquipier.
A peine arrivé, Paul prévint Thomas :
– Je dois tuer le patron du casino demain.
L’ainé sembla embêté :
– Je sais, j’ai entendu lorsque tu étais avec Alberto. J’avais activé le micro de ton téléphone.
– Je fais quoi ? Je ne peux pas le tuer, c’est un innocent. Ne me dis pas que le simple fait qu’il soit lié à la mafia mérite qu’il soit assassiné.
– Oui, c’est un innocent. Un innocent qui blanchit l’argent des Ruggieri et qui a dû les contrarier.
Paul se braqua :
– J’ai frappé, volé, joué au coursier pour les Ruggieri, je ne peux pas aller tuer un homme qui n’a rien fait. Je n’en serai pas capable.
– Pourtant cela te permettrait de monter dans la hiérarchie et nous faciliterait le travail.
– Pourquoi on n’intervient pas ? On connait les adresses des mafieux, la plupart des membres, ceux qui les aident. On pourrait tout dire et ils seraient arrêtés rapidement.
– C’est vrai, mais nous n’avons pas encore le moment pour le faire.
– Les Ruggieri m’ont reçu deux fois dans le même appartement, on pourrait les arrêter là-bas !
– Paul, tu imagines bien que si nous nous y rendons, l’appartement sera entièrement vide. Ces gens sont précautionneux.
– En moins d’un mois, je connaissais presque tout le monde. S’ils sont dangereux, ils ne sont pas malins.
Thomas réfléchit :
– Au contraire, ils sont très malins.
Paul s’étonna :
– Comment ça ?
– Ce sont des leurres.
Paul se tut, attendant que Thomas poursuive, ce qu’il ne tarda pas à faire :
– Les deux frères Ruggieri, ce ne sont pas eux qui dirigent réellement. Je ne pense pas qu’ils t’auraient rencontré si vite. Il y a certainement une autre personne au-dessus d’eux. C’est un système pyramidal comme beaucoup d’autres.
Paul s’inquiéta :
– Alors je tue le patron du casino ?
– Non, il va falloir savoir qui dirige vraiment l’organisation dans la région et trouver comment esquiver ce meurtre.
– Tu as déjà une idée, c’est ça ?
– Oui.
Thomas regarda l’heure :
– On sort à vingt-deux heures.
La Mercedes filait à travers Saint-Gervais-les-Bains. Paul indiqua à Thomas l’adresse de l’appartement où il avait rencontré les deux mafieux. Les deux espions espéraient les trouver sur place.
Thomas se gara à bonne distance et les deux espions terminèrent à pied, en prenant soin de ne pas se faire repérer.
Arrivés en face, Paul chuchota en désignant la fenêtre d’un appartement :
– Il y a du monde, la lumière est allumée.
– Tu as raison, on va la jouer discrètement. Reste-là, j’y vais.
Paul n’eut pas le temps de répondre. Thomas se dirigea vers l’immeuble.
Soudain, un homme surgit et l’arrêta avant qu’il ne puisse approcher de la porte. Paul voulut intervenir mais ne sut comment faire. Il sortit son Smartphone et ouvrit l’application Maps.
Il s’empressa de taper dans la barre de recherches “Loch Ness View” et appuya sur l’icône pour lancer la recherche.
L’écran devint noir puis trois icônes apparurent en haut de l’écran. Le premier était un téléphone, le second une caméra, le troisième un micro. Paul appuya sur le micro et porta le Smartphone proche de son oreille. Il entendit la voix de Thomas :
– Non, je viens voir un ami.
La voix de l’homme qui l’avait arrêté se fit entendre :
– Comment s’appelle votre ami ?
– Ça ne vous regarde pas.
– Vous n’avez pas d’ami ici.
Thomas se défendit :
– Vous n’en savez rien.
– Si, c’est un immeuble privé.
– Je vous dit qu’un ami habite ici, je sais ce que je dis. Je suis bien au numéro trente-quatre ?
– Non, au vingt-huit.
Paul n’entendit rien pendant quelques secondes et Thomas reprit :
– Je me suis trompé, excusez-moi.
– Filez.
Paul releva la tête pour voir la scène. Thomas s’éloignait doucement de l’immeuble et disparut un peu plus loin.
Le jeune espion se demanda comment retrouver son coéquipier lorsque ce dernier arriva par une autre ruelle afin de le rejoindre :
– Bon, l’immeuble leur appartient visiblement.
Paul répondit :
– Oui, j’ai entendu la fin de la conversation.
– Il va falloir employer la manière forte.
– Tu veux forcer le passage ?
Les deux espions regardèrent l’immeuble.
Soudain, la lumière de l’entrée s’alluma. Trois personnes sortaient du bâtiment.
Paul reconnut les frères Ruggieri mais ne connaissait pas le troisième homme.
Une voiture arriva par le bout de la rue et s’arrêta. Les trois hommes montèrent.
Thomas se tourna vers Paul :
– Vite, à la voiture. Il faut les suivre.
Les deux espions retrouvèrent en quelques secondes leur véhicule. Thomas démarra et retrouva l’immeuble des Ruggieri. La voiture avait disparue. Thomas avançait à bonne vitesse :
– C’était une Ford noire, ils ont dû rejoindre la route principale. Dis-moi si tu les vois.
Thomas accéléra.
Ils arrivèrent au centre-ville, les espoirs de retrouver les mafieux étaient minces.
Soudain, Paul aperçut la voiture qu’ils recherchaient :
– Thomas, elle est garée là, à droite !
L’ainé stoppa la voiture et les espions en descendirent.
Ils n’eurent pas de mal à trouver les frères Ruggieri qui discutaient à quelques mètres de là. Thomas demanda à Paul de rester en retrait et s’approcha discrètement. Il revint quelques minutes plus tard :
– Le troisième, c’est lui qui donne les ordres.
– Qu’est-ce qu’on fait ?
– On continue à le suivre, je veux savoir où il vit.
Quelques minutes plus tard, une berline noire s’approcha des trois hommes. L’inconnu monta à l’arrière, laissant les frères Ruggieri repartir dans la voiture précédente.
Paul et Thomas montèrent dans leur véhicule pour suivre la nouvelle berline.
Leur cible prit la route vers la frontière Suisse et les mena jusqu’à la ville d’Argentière.
Lorsque la voiture se stationna devant un chalet, Thomas s’arrêta le temps de s’assurer que leur homme descende de son véhicule et qu’il ne ressorte pas.
Quinze minutes plus tard, Thomas redémarra, les espions rentraient chez eux.
Paul arriva devant le casino le lendemain soir. Il avait caché son arme dans son pantalon. Il sentait son cœur s’accélérer. Sa cible, le directeur, allait sortir quelques minutes plus tard d’après les informations qu’on lui avait données, reçues sur le téléphone qu’on lui avait confié. Paul n’aurait que quelques secondes pour agir.
Le directeur allait sortir du bâtiment et rejoindre sa BMW garée à quelques mètres, sur le parking. Cela lui prendrait une dizaine de secondes, quinze tout au plus.
Le jeune espion repéra la voiture du directeur et s’approcha de l’entrée. Deux vigiles fouillaient les visiteurs.
Paul regarda sa montre. Il était dix-neuf heures douze. Il s’accroupit derrière une voiture en prenant soin d’avoir une vue dégagée sur l’entrée du casino sans se faire repérer.
Le directeur sortit. Il traversa la voie vers sa voiture.
Paul surgit, arme à la main, la pointant sur l’homme qui se figea.
Soudain, une petite explosion se fit entendre et un nuage de fumée se forma rapidement autour de la cible de Paul.
La fumée arriva jusqu’au lycéen. Impossible pour lui de voir devant lui, ses yeux commençaient à le faire souffrir terriblement et sa respiration se fit de plus en plus difficile. Il entendit une voiture démarrer en trombe puis les cris des vigiles.
Paul s’écarta péniblement en dehors du nuage. Il s’assit derrière une voiture.
Il lui fallut près de trente secondes avant de recouvrer l’usage de la vue. Le nuage blanc se dissipait. Le directeur n’était plus là, contrairement à sa voiture.
Paul rangea son pistolet et se remit en marche vers le centre-ville. Il avait rendez-vous avec les Ruggieri et allait devoir s’expliquer.
A vingt heures trente précises, Paul était dans l’appartement des frères mafieux.
Alberto lui demanda :
– C’est fait ?
Paul hésita :
– Quelqu’un d’autre était là.
La voix de l’italien tonna :
– Comment ça ?
– Je n’ai pas eu le temps de le tuer, quelqu’un m’a doublé et a utilisé une lacrymogène. Je n’ai rien pu faire. Le directeur a été enlevé devant moi.
Le visage d’Alberto Ruggieri se décomposa et il mit quelques secondes avant de poursuivre calmement :
– C’est décevant, Paul. Tu étais censé le tuer. Maintenant, nous avons un gros problème et c’est ta faute. Je devrais te tuer pour cette erreur. Mais tu es encore jeune. C’était peut-être une erreur de ma part de te confier cette mission.
Paul se défendit :
– Non, s’il n’y avait pas eu l’enlèvement, il serait mort maintenant.
Alberto sourit :
– J’apprécie ta détermination, Paul, mais il n’est pas mort. Reviens me voir demain soir, nous verrons ce qu’on pourra faire de toi.
Paul sortit de l’immeuble. Il s’avança dans la rue puis tourna à droite. Il regarda derrière lui en pensant qu’il s’en était sorti trop facilement. Quelqu’un allait peut-être surgir. Heureusement, la Mercedes de Thomas l’attendait à quelques mètres.
Paul monta à la place du passager. Thomas démarra :
– Alors ?
– Pour l’instant tout va bien. Ils ont juste voulu me tuer car le directeur a été enlevé. Ils veulent me revoir demain pour que savoir ce qu’ils feront de moi. J’imagine qu’en ce moment même ils réfléchissent à comment me buter. Je pensais que quelqu’un m’attendrait dehors.
– Bien.
– J’imagine que tu ne comptes pas arrêter la mission ni même me raccompagner immédiatement à Paris pour que je sois en sécurité ?
Thomas sourit :
– Bien sûr que non.
La voiture arriva au chalet des espions. Paul et Thomas entrèrent et descendirent à la cave.
Un homme était assis devant le bar, un verre à la main. Il accueillit Paul :
– Alors c’est toi, celui qui devait me tuer ?
Paul répondit en souriant, rassuré que Thomas soit bien à la manœuvre :
– Oui, ravi de vous voir en vie.
– Vous auriez quand même pu me prévenir avant de m’enlever.
Thomas intervint :
– Il fallait que ce soit le plus réaliste possible.
– Je comprends. Peut-être que maintenant vous pouvez m’en dire un peu plus ? A part m’avoir dit que vous m’enleviez pour ma sécurité, je ne sais rien. Je ne sais pas qui vous êtes, ni qui voulait me tuer.
– Je m’appelle Thomas Beeckman et voici mon frère Paul. Je ne peux pas vous en dire plus, simplement que je travaille pour votre sécurité.
– Vous pouvez prouver ce que vous dites ? Car pour le moment cela ressemble à un enlèvement. Je peux appeler ma femme ?
– Non, c’est une question de sécurité. Je m’occuperai de prévenir votre femme.
– Vous ne m’avez pas répondu, qui voulait ma mort ?
– Je ne peux pas vous répondre.
Le directeur du casino grommela :
– Je suis sûr que ce sont ces Ruggieri.
– Vous avez beaucoup d’ennemi ?
– Non.
– Alors vous devriez trouver rapidement.
– Et combien de temps je vais rester ici ?
– Le temps que vous soyez définitivement en sécurité. Vous resterez dans ce sous-sol, il y a un lit et de quoi vous occuper. Je vais vous descendre de quoi vous nourrir pour les prochains jours, en espérant que cette situation se résolve rapidement. Ne tentez pas de sortir, je suis prêt à parier que pas mal de personnes vous attendent dehors.
– Je n’en ai pas l’intention. Au moins ici je suis vivant… même si mon soi-disant meurtrier est là, lui aussi.
Thomas et Paul allaient sortir de la pièce lorsque le directeur les arrêta :
– J’ai oublié de vous remercier. Finalement, vous m’avez sauvé la vie ce soir.
Thomas répondit :
– Nous avons fait ce qui était juste.
Les deux espions remontèrent dans leur salon. Paul demanda :
– Tu crois qu’on va devoir le garder longtemps ?
– Non, je pense qu’on a toutes les clés pour agir. Il faudra couper la tête des Ruggieri pour démanteler la famille.
– On prévient la gendarmerie ?
– Non, avec les pots-de-vin, je suis persuadé qu’ils ne feront rien. Au contraire, ils nous mettraient des bâtons dans les roues. Je vais prévenir la DGSE qui prendra le relais.
– Et nous ? On s’en va ?
– Non, ils nous demanderont peut-être d’autres informations et tant que le directeur est en bas, on ne bouge pas. Continue à aller en cours et à travailler pour les Ruggieri, le principal est que notre couverture ne soit pas découverte.
Paul protesta :
– Et s’ils veulent me tuer ?
– Ils ne le feront pas.
– Comment tu peux être aussi sûr de toi ?
– Tu les as bien aidés, ils ne te tueront pas, pas tout de suite. Cependant c’est toi qui vas t’occuper de retrouver celui que tu as manqué. Là, ils te tueront. C’est la mafia, tu leur dois toujours quelque-chose.
Paul acquiesça et, après un temps, demanda :
– Je peux te poser une question ?
– Oui ?
– Tu as été dans la mafia pour les connaitre si bien ?
Thomas s’amusa :
– Non, mais en tant que responsable d’équipe, il a fallu que je me documente un minimum.
Malgré l’appréhension, Paul préféra faire confiance à Thomas. Il savait qu’il n’avait pas le choix.
Le lendemain, le jeune espion continua de jouer son rôle.
Paul entra dans l’appartement des Ruggieri, la boule au ventre. Thomas était posté non loin, prêt à agir au cas où il se serait trompé.
Un homme s’avança vers le jeune espion. Paul l’avait déjà vu dans le bâtiment. C’était une montagne de plus de deux mètres au physique d’ours.
Il s’avança vers Paul :
– Ton téléphone.
Paul s’étonna :
– Pourquoi ?
– La conversation est confidentielle. Pas de micro dans la salle.
Paul comprit qu’il n’avait pas le choix. Il prit le téléphone qu’il avait obtenu par le groupe mafieux et le tendit à l’ours qui ne se fit pas avoir :
– L’autre aussi.
– Quel autre ?
– Ton téléphone personnel.
Paul se résigna. Il fouilla dans sa poche et tint son Smartphone. L’homme le prit et le rangea dans un coffre.
Une fois entré, Paul se retrouva face aux deux mafieux. Alberto, assis à côté de son frère sur un fauteuil, demanda à Paul :
– Avance-toi un peu que je puisse te parler.
Paul fit quelques pas vers les deux frères.
Il sentit une main se poser sur sa bouche. Un coup sur la jambe lui fit mettre un genou à terre. Il comprit que l’ours l’avait piégé.
Paul n’eut d’autre choix que de se laisser bâillonner. On lui passa les mains derrière le dos afin de lui passer des menottes et on l’attacha sur une chaise, face aux deux frères Ruggieri.
Alberto, d’une voix calme, s’adressa au jeune espion :
– Paul, tu nous as beaucoup déçu hier en échouant à ta mission. Tu sais pourquoi tu as échoué ?
Paul ne bougea pas. Alberto continua :
– Parce qu’une autre personne était informée de ce que tu projetais. Nous avons mené notre petite enquête et on nous a dit que le véhicule qui avait enlevé le directeur du casino était une Mercedes Classe E AMG bleu nuit. Il n’y en a qu’une en ville et c’est exactement celle qui t’accompagne le matin au lycée. C’est donc celle de ton frère.
Alberto marqua une pause avant de reprendre :
– Nous avons interrogé tes camarades. Visiblement tu ne sais pas quel métier exerce ton frère. Je pense que tu savais très bien qu’il était dans la police et qu’il est venu ici pour enquêter sur nous. Nous savons que tu l’as aidé volontairement. Malheureusement, c’est peine perdue pour toi.
Ruggieri fit un signe à l’ours qui sortit de la pièce. Il poursuivit :
– Maintenant, je vais te demander de me dire où est caché notre ami directeur de casino. Nous ne tuons pas au hasard. Il nous doit beaucoup d’argent et nous ferons tout pour le récupérer. Visiblement, ton frère n’est pas idiot car personne ne sait où vous vivez. Mais tu vas nous le dire, sinon, tu le paieras de ta vie et nous finirons par le retrouver.
Paul secoua la tête de gauche à droite. Ruggieri sembla contrarié :
– Non ? Paul… tu sais ce que ça fait d’avoir une vie entre les mains ? Je veux dire, pas comme hier où tu savais très bien que personne ne serait tué, mais d’avoir réellement le droit de vie ou de mort sur quelqu’un ?
La porte de l’appartement s’ouvrit. Paul entendit des cris étouffés. Une jeune femme, bâillonnée elle aussi, fut assise à côté des deux frères et solidement attachée à sa chaise.
Alberto regarda la nouvelle arrivante et se tourna à nouveau vers l’espion :
– Paul, je te présente Madame Gallant, la femme de Monsieur Gallant, directeur du casino. Ma proposition est la suivante, tu nous dis où est la personne que nous cherchons et nous libérons cette femme qui n’a rien demandé. Sinon, nous la tuons sous tes yeux. Nous allons te permettre de parler mais fait bien attention à ce que tu vas nous dire.
L’ours s’approcha de Paul et lui retira son bâillon. Paul ne répondit pas, Alberto continua :
– Alors, Paul ?
Le jeune espion regarda la femme du directeur du casino. Il ne pouvait pas la condamner ni trahir Thomas. Il se trouvait dans une impasse.
“Les choix à deux possibilités, n’ayant aucune issue positive ou qui sont de même valeur ont presque toutes une troisième solution écartant les deux autres. Si la troisième solution venait à ne pas exister, débarrassez-vous de la question pour ne plus avoir à choisir.“
Les mots du professeur d’indépendance de Paul lui revinrent en tête. La théorie était parfois compliquée à mettre en œuvre et Paul ne voyait aucune troisième solution. Il chercha un moyen d’éviter la question mais Alberto s’impatienta :
– Tu sais que ton silence la tuera ?
Paul regarda l’ours s’approcher de la femme, un couteau de boucher dans la main. Le jeune espion devina des larmes couler sur les joues de la femme du directeur. Elle n’avait rien fait pour mériter cela, pas plus que son mari. Paul inspira lentement et donna sa réponse :
– Je vais vous dire où il se trouve mais je veux être sûr que vous la relâcherez.
Alberto eut l’air étonné :
– Tu ne nous fait pas confiance ?
– Là, tout de suite… je dois admettre que c’est compliqué.
– Sais-tu que nous répondons à un code d’honneur ? Si je te donne ma parole qu’il ne lui arrivera rien, tu peux me croire.
– Relâchez-la.
Alberto regarda la femme bâillonnée puis passa le regard sur le jeune espion avant de se retourner vers son frère Alessandro, resté impassible jusqu’à lors. Il fit un signe de la tête et Alberto s’adressa à nouveau à Paul :
– Bien. Tu m’as dit que tu allais nous dire où se trouvait son mari, je vais la relâcher. Mais si tu ne nous dis pas ce que nous attendons, nous te tuerons avant de la retrouver. Cela te convient ?
Paul acquiesça :
– Je vous ai dit que je vous donnerai ce que vous vouliez.
Alberto fit un signe à l’ours qui détacha la femme et l’emmena à l’extérieur.
L’atmosphère était pesante. L’ours revint :
– Elle est dehors.
Alberto fixa Paul, attendant sa réponse. Le jeune espion parla lentement :
– Mon frère n’a plus le directeur. Il l’a laissé à quelqu’un d’autre. Je ne sais pas où il se trouve mais je sais qu’il est en sécurité.
Alberto s’approcha. Paul reçut une gifle puissante du revers de la main du chef mafieux qui le fit vaciller.
Paul continua :
– Vous ne pourrez pas le retrouver. Sa femme a déjà dû être mise à l’abri elle-aussi à la seconde où elle est sortie.
Alberto retrouva son sourire. Il fit un signe de la main à l’ours qui s’approcha de Paul armé de son couteau de boucher. Paul pouvait voir son reflet dans la lame métallique.
Alberto arrêta son homme de main :
– Ne le tue pas tout de suite. Je veux m’assurer qu’il n’ait rien à dire de plus.
L’ours rangea son couteau et se dirigea vers une étagère dans laquelle il prit un sac en toile. Il en sortit quelques outils qu’il posa devant le jeune espion qui découvrit plusieurs couteaux, des tournevis, un marteau et une perceuse. Paul demanda :
– Vous avez du bricolage à faire ?
Alberto sourit. L’ours s’approcha. Paul le vit armer son poing.
La respiration du jeune espion se coupa sous la violence du coup qu’il venait de recevoir dans l’estomac.
Le chef mafieux précisa :
– Paul, il va falloir me dire tout ce que tu sais.
L’espion protesta :
– Je vous ai tout dit !
Un claquement venu de l’extérieur surprit l’ensemble des personnes de la pièce. Alberto reprit après quelques secondes :
– Oscar, qui s’occupe actuellement de toi, connait parfaitement l’anatomie humaine et est un très bon chirurgien. Il peut te perforer un organe sans que tu le sentes mais tu en mourrais en quelques heures. Il peut aussi pratiquer une petite incision pour travailler sans anesthésie à une ablation aléatoire dans ton corps. Bien entendu, ce ne sera pas plus agréable. J’hésite encore sur ce que je vais lui demander.
Paul sentit sa gorge se nouer et son cœur s’accélérer. L’issue lui serait fatale mais il avait sauvé le directeur et sa femme. Il se demanda s’il n’aurait pas mieux fait d’accomplir la mission que les Ruggieri lui avaient donnée. Cela lui aurait évité une mort prématurée et l’Aigle ne punissait pas les échecs de mission de la même manière que la mafia.
L’ours se tenait aux côtés d’Alberto qui demanda à Paul :
– Pour la dernière fois, où est-il ?
Paul se tut. Quoi qu’il réponde, il serait tué, qu’importe le temps que cela prendrait.
Alberto haussa les épaules et se recula :
– Oscar, fais ton travail.
L’ours s’approcha de Paul. Il arma à nouveau son poing qu’il envoya avec plus de puissance encore que le précédent dans le ventre de Paul.
La douleur fut telle que l’espion eut la nausée. Oscar s’amusa :
– Tu ne tiendras pas longtemps. Ton foie est abimé et dans cinq heures tu mourras d’une hémorragie interne dans une souffrance atroce. Dis-nous ce que l’on veut savoir et je t’achèverai rapidement.
Paul ressentit la douleur irradier dans tout son buste. Il se tut. Ce dernier coup l’avait décidé, il ne parlerait plus.
Un nouveau claquement, aussi lointain que le précédent, semblait venir de l’extérieur. Alberto s’agaça :
– Qu’est-ce que c’est que ça ? Ce sont encore les voisins qui jettent leurs poubelles ? Il faudra vraiment que je leur parle de leurs manières. Ils sont d’un bruyant !
Alberto s’était assis avec son frère. Oscar prit place sur un fauteuil. Ils regardaient Paul et attendant qu’il parle ou succombe à sa blessure. Ce n’était plus qu’une question de temps. Les Italiens étaient patients… et sadiques.
Paul put lire la stupeur sur le visage des trois hommes lorsque la porte de l’appartement vola en éclat.
Le lycéen ne pouvait pas voir ce qu’il se passait mais les trois mafieux se levèrent comme un seul homme. Paul sourit d’un air moqueur et mesquin.
Le jeune espion vit une clé le frôler et se planter dans le thorax de l’ours qui regarda ébahit le petit objet métallique planté dans son corps.
Le nouvel invité passa à côté de Paul et chargea Alberto. Le quinquagénaire tomba à la renverse et resta au sol. Paul reconnut Thomas. Il n’avait plus son air calme mais semblait en furie.
L’ours se lança vers le responsable des études. La différence de carrure était impressionnante mais la technique d’Oscar n’avait aucune chance de venir à bout de celle de Thomas. Dès la première attaque de l’homme de main, Thomas esquiva en se saisissant du bras de son agresseur. Il le fit s’accroupir avant de le frapper violement au visage. L’ours, surprit, ne se démonta pas. Il saisit son couteau et l’agita en direction de Thomas qui évita la lame qui le frôla.
L’espion fit face. Il attendait une nouvelle attaque de l’ours qui ne tarda pas. Cette fois, Thomas saisit le poignet de l’homme de main et le désarma. Il lui porta à nouveau son poing au niveau du cou. L’Ours en eut le souffle coupé. Thomas se saisit de la lame et la brandit avant de la planter dans le meuble à côté de lui.
Le coéquipier de Paul souriait. Il se saisit de l’Ours qui ne parvenait plus à résister. Thomas porta un coup à la tempe d’Oscar qui le fit tomber à la renverse. Il ne bougea plus.
Les frères Ruggieri n’avaient pas bougé. A cet instant, Alessandro s’élança vers la sortie en appelant du secours. Alberto se relevait et sortit une arme. Paul prévint Thomas :
– Il va tirer !
Ce cri lui arracha une grimace de douleur, due à sa blessure.
Thomas s’élança vers Alberto qui n’eut pas le temps de réagir. L’espion avait déjà saisi le canon de l’arme et le tourna vers l’entrée de l’appartement. Un coup partit dans une détonation qui résonna dans la pièce. Paul crut sentir le souffle de la balle passer à quelques centimètres de son oreille.
L’espion maitrisa à nouveau le chef mafieux et le plaqua au sol. Il l’attacha avec sa ceinture et le retourna face à lui pour lui demander d’une voix ferme :
– Il est où ton chef ?
Alberto sourit :
– J’ai pas de chef.
Thomas lui asséna un violent coup de poing dans la joue. Paul crut voir une dent voler dans la pièce. Du sang s’échappa de la bouche d’Alberto qui continua :
– Tue-moi si tu veux, je n’ai rien à te dire à part que l’on te retrouvera et qu’on te fera subir bien pire que ce qu’on a fait à ton frère.
Thomas se tourna vers Paul puis à nouveau vers Alberto :
– Qu’est-ce que vous lui avez fait ?
Alberto n’avait pas quitté son sourire :
– A ton avis ?
Thomas frappa à nouveau le mafieux au visage. Sa tête trembla sous la violence du choc. Il eut l’air de perdre connaissance. Thomas se releva et prit l’arme d’Alberto qui était tombée au sol. Il la chargea et la pointa vers le mafieux qui ouvrit les yeux. Il souriait toujours :
– Paul va mourir, c’est trop tard.
Paul regarda la tête d’Alberto avoir un spasme dans un bruit assourdissant. Le sang éclaboussa le sol.
Thomas se tourna vers son coéquipier et le détacha de la chaise :
– La clé des menottes, elle est où ?
Paul réfléchit. Il tenta de se lever mais la douleur l’en empêchait. Oscar avait réussi son coup. Paul pouvait sentir le sang se répandre à l’intérieur de son corps :
– Je crois que c’est le garde du corps qui l’avait.
Thomas se précipita sur le corps de l’ours et lui fouilla les poches. Il en sortit une petite clé pour libérer Paul.
Le jeune espion demanda :
– Et l’autre frère ?
Thomas fit un signe de tête vers l’entrée de la pièce. Alessandro gisait sur le sol dans une mare de sang. La balle que son frère avait tirée lors de son combat contre Thomas lui avait été fatale.
Paul regarda les trois hommes sur le sol. Il eut un haut-le-cœur.
Thomas demanda d’une voix angoissée :
– Comment ça va ? Qu’est-ce qu’ils t’ont fait ?
– Le gros, il m’a perforé le foie je crois.
– Tu peux marcher ?
Paul fit un pas qui lui arracha une crispation de douleur :
– Difficilement mais ça ira.
– On y va.
Paul suivit Thomas à l’extérieur de l’appartement. Dans le couloir, un homme était assommé.
Au rez-de chaussée, un autre était lui aussi au sol. Paul demanda :
– Ils sont morts ?
Thomas se retourna. Paul ne pouvait plus avancer et se laissa tomber sur le sol dans une douleur proche de lui faire perdre connaissance. L’aîné s’avança vers lui :
– Faut que je t’emmène à l’hôpital.
Paul sentit les mains de Thomas le saisir. Il le releva doucement et le tira en le maintenant par les côtes.
La voiture était stationnée devant l’immeuble. Paul s’assit péniblement sur le siège passager. Son coéquipier démarra :
– L’hôpital est à un quart d’heure. Je vais faire au plus vite.
La voiture filait sur la départementale trente-neuf à grande vitesse. Le confort de la voiture permit à Paul de ne pas souffrir des aspérités de la route, un moindre mal.
Neuf minutes plus tard, la voiture arriva devant l’entrée des urgences.
Thomas ouvrit la porte à Paul et l’accompagna à l’intérieur. Le jeune espion s’assit sur une chaise tandis que son aîné s’approcha du comptoir d’accueil. Paul ne put entendre ce que Thomas disait mais le vit sortir une carte de son portefeuille et longuement parler à l’infirmière qui hochait régulièrement la tête.
Un médecin arriva rapidement et installa Paul sur un brancard pour l’emmener à l’intérieur de l’hôpital.
Paul se réveilla doucement. Il regarda autour de lui. Il était dans une chambre aux murs blancs. Ses yeux le brulaient et sa tête tournait mais il lutta pour ne pas se rendormir.
Il tenta de se lever. Il eut une douleur presque intenable au côté et se rallongea.
Il chercha un bouton pour appeler une infirmière et le trouva après quelques secondes. Il appuya dessus et tenta de se détendre. Il regarda par la fenêtre, il faisait jour.
Quelques secondes passèrent avant que la porte de la chambre ne s’ouvre. Un jeune infirmier entra et s’approcha :
– Vous allez bien ?
Paul répondit :
– J’ai mal quand je me lève.
L’infirmier sourit :
– C’est normal, ça va passer dans quelques jours. Vous avez besoin de quelque chose ?
– Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
Le jeune homme en blanc prit un air inquiet :
– Vous êtes arrivé avec une lésion hépatique au foie, vous avez perdu connaissance dès que vous avez été pris en charge, sans doute en raison de la douleur et en sachant que vous étiez entre de bonnes mains. Ça arrive parfois. Vous avez été opéré immédiatement. Le chirurgien a dit que vous aviez perdu beaucoup de sang mais que vous étiez arrivé à temps. Je n’en sais pas plus mais le médecin viendra vous voir très bientôt. Je vais l’avertir que vous êtes réveillé.
Paul le remercia et demanda :
– Et Thomas ?
– Thomas ? C’est la personne qui vous a accompagné ?
– Oui.
– Votre frère est là lui aussi, je crois qu’il est sorti pour chercher à déjeuner mais je suis persuadé qui reviendra vite. Il tient à vous, il est resté là tout le temps depuis qu’on vous a placé dans cette chambre. Vous souhaitez peut-être vous reposer avant son arrivée ?
– Quelle heure est-il ?
L’infirmier regarda sa montre :
– Treize heure vingt-quatre.
– Je crois que je me suis assez reposé. Je peux allumer la télévision ?
– Bien sûr, mais évitez de rire, cela peut être douloureux.
Paul sourit et alluma la télévision. C’était un documentaire.
L’infirmier ressortit de la pièce.
Paul resta seul une dizaine de minutes avant que la porte ne s’ouvre à nouveau. C’était Thomas qui, le voyant réveillé, afficha un large sourire malgré un visage fatigué et tendu :
– Paul, tu vas bien ?
Paul lui sourit à son tour :
– Oui, je crois que ça va maintenant même si je ne peux pas rire ni me lever.
– J’ai vu le médecin ce matin, il m’a dit que tout allait bien mais que tu allais devoir te reposer quelques jours. Tu as faim ?
Paul réalisa qu’il avait le ventre creux :
– Oui, très faim même.
– Je t’ai pris un sandwich et du chocolat. Je ne savais pas ce que tu aimais… Je vais appeler une infirmière pour qu’elle t’apporte un plateau.
– Un infirmier est passé, je pense qu’il va m’en apporter un.
Thomas sourit en guise de réponse. Paul ne lui avait jamais connu ce visage. Il semblait empathique. Après quelques secondes, Paul précisa :
– Je veux bien mon chocolat par contre.
Thomas tendit une tablette à Paul qui se redressa difficilement pour en manger quelques morceaux.
Le plateau repas arriva quelques minutes plus tard, suivi du médecin qui s’adressa à Paul :
– Bonjour jeune homme.
– Bonjour.
– Ce n’était pas joli ce que vous nous avez fait. Mais rassurez-vous, tout va bien maintenant. Vous allez rester quelques jours ici, le temps qu’on surveille l’évolution de votre guérison et que vous vous reposiez. Si jamais vous sentiez le moindre symptôme, avertissez l’infirmier. Nous allons aussi vous faire des prises de sang régulières pour nous assurer que tout se passe bien.
Paul hocha la tête. Le médecin conclut :
– Bon courage, et surtout soyez prudent pendant les prochaines semaines, même après votre sortie. Evitez le sport par exemple.
Le médecin adressa un signe de tête aux deux espions et sortit de la pièce.
Paul termina son assiette et Thomas lui demanda :
– Tu peux mettre une chaine d’informations ? Il va être quatorze heures et j’aimerai avoir les titres.
Paul changea de chaine et monta le son. La journaliste annonça son titre principal après une publicité :
“Un important réseau criminel, certainement lié à la mafia napolitaine, la Camorra, a été démantelé ce matin à Saint-Gervais-les-Bains en Haute-Savoie. Le PSIG est en effet intervenu à plusieurs adresses pour interpeller une grande partie des membres de l’organisation qui s’était implantée depuis quelques mois en France. Au terme d’une enquête menée par la gendarmerie locale, des preuves ont montré leur implication dans de nombreuses activités illicites comme le commerce de produits stupéfiants, le racket et la prostitution. Giovanni Ruggieri dirigeait ce clan mafieux sur place, accompagné par ses fils, Alberto et Alessandro, tués pendant l’assaut du PSIG, très tôt ce matin. De nombreux adolescents, déjà surnommés les “baby-mafieux”, ont aussi été interpellés, suspectés d’avoir participé au développement et aux activités criminelles de ce réseau.“
– Tu peux éteindre, merci.
Paul éteignit la télévision et remarqua :
– Le PSIG ? Alors c’est eux et la gendarmerie qui auront les honneurs ?
Thomas sourit :
– C’est le propre même des services secrets, Paul, être secret.
– Mais c’est nous… enfin c’est toi qui as tué les Ruggieri.
– C’est Thomas Beeckman qui les a tués.
Paul reposa lourdement sa tête sur l’oreiller. Il avait l’impression que ces dernières semaines n’avaient servies à rien. Personne ne saurait jamais ce qu’il avait fait ni ce qu’il avait enduré.
Comme s’il avait lu dans ses pensées, Thomas continua :
– Tu as très bien travaillé, Paul. Peu importe ce qui sera dit, c’est grâce à toi que les Ruggieri ont été démantelés. Il faudra t’y faire si tu deviens espion, seule ta hiérarchie comptera et tu n’auras les honneurs qu’en interne. Mais on s’y fait, et finalement, la plus grande gloire que l’on connait c’est la satisfaction de savoir que l’on a bien agit.
Paul ne répondit pas. Il savait que Thomas avait raison.
Le jeune espion ne sortit que quatre jours plus tard. La douleur due à la chirurgie se faisait moins forte et il n’avait plus besoin de faire de prises de sang. Thomas le raccompagna au chalet où Paul demanda :
– Pourquoi tu l’as tué ?
– Qui ?
– Ruggieri.
– La balle est partie toute seule pendant que je désarmais son frère.
– Non, justement, l’autre Ruggieri.
Thomas regarda Paul un instant. Le jeune espion comprit qu’il n’aurait pas de réponse. Il avait vu son coéquipier tuer de sang-froid le mafieux et savait très bien qu’il aurait pu le maitriser. Paul regarda Thomas qui semblait pensif. Les deux espions savaient que ce qu’avait fait Thomas était une faute grave qui pourrait lui coûter son poste si quelqu’un l’apprenait. Paul le rassura :
– J’ai bien vu qu’il te visait avec son arme. Tu n’avais pas le choix.
Thomas acquiesça. Le jeune espion demanda :
– Et maintenant ?
– On passe la journée ici et on part demain.
– Parfait.
Paul se reposa le reste de la journée.
Le lendemain, les deux espions rentrèrent à Paris.
La Mercedes entra dans le parking souterrain du bâtiment parisien de l’Aigle.
En quelques minutes, Paul et Thomas Beeckman disparurent et les deux espions retrouvèrent leurs identités. Le Smartphone de Paul avait pu être récupéré par le PSIG dans l’appartement des Ruggieri.
Les deux espions décidèrent de diner sur place avant de rentrer au campus. Ils ne parlèrent ni des cours ni de la mission. Sur le chemin, Paul réalisa qu’il lui restait deux semaines et demie de cours avant les prochaines vacances. Il demanda à Thomas :
– Je reprends demain ?
– Tu n’y es pas obligé, tu peux te reposer jusqu’à lundi si tu veux. Les autres ont eu des vacances pendant le mois où nous étions en montagne.
Paul réfléchit. Il était fatigué mais n’aimait pas rater de cours. Cependant, il savait qu’il ne serait pas en état pour suivre une journée complète en classe :
– Si ça ne te dérange pas, je pense que ce serait mieux.
– Bien entendu. Par contre, tu seras dispensé de sport jusqu’aux vacances. Le médecin m’a confirmé qu’il ne fallait pas que tu en fasses.
– Je ne m’en sens pas vraiment capable pour l’instant de toutes manières.
Le silence se fit dans la voiture qui filait en pleine nuit. Thomas le brisa :
– Paul, je sais que ce n’est pas simple mais tu ne dois pas parler de ce qu’il s’est passé pendant la mission.
– Je le sais, je ne le ferai pas.
– Mais si tu as besoin, tu sais où me trouver.
– Merci Thomas, je n’hésiterai pas si j’ai besoin de venir te parler.
La voiture n’était plus très loin du campus.
Paul quitta Thomas dans le hall du bâtiment d’accueil. Il était près d’une heure du matin, les élèves dormaient.
Paul traversa la cour et retrouva le bâtiment cinq, aussi silencieux que le reste du campus.
Il ouvrit discrètement la porte de sa chambre et posa sa valise au pied de son lit. Une lumière s’alluma, Paul entendit l’un de ses camarades se lever. Antoine apparut :
– Salut Paul, ça fait plaisir de te voir. Ça va ?
– Oui, et toi ?
– Oui. C’était bien ta mission ?
– Fatigante, mais ça va.
Antoine sourit :
– Tu me raconteras ?
– Promis, tout ce que je pourrais te dire en tous cas.
– Bonne nuit. Repose-toi bien. Je te réveille demain ?
– Non, je suis excusé pour la semaine.
– Cool ! Bonne nuit Paul !
– Bonne nuit Antoine.
Paul regarda son camarade disparaitre du box. Il l’entendit se recoucher. Antoine ne pouvait pas imaginer ce que son camarade avait vécu et l’avait accueilli comme s’il était revenu de vacances.
Paul sentit en lui un soulagement, celui de retrouver ses amis et un lieu où il se sentait en sécurité. Après cet échange avec Antoine, il savait qu’il était enfin chez lui.
Paul revint à la réalité des cours le lundi suivant. Il avait passé ses premiers jours sur le campus à se reposer pendant que ses camarades allaient en cours.
Le weekend, il avait répondu aux questions de ses amis au sujet de sa longue absence. Tous savaient que Paul était parti en mission et il ne s’en cachait pas. S’il avait eu peur de la jalousie de ses amis, il n’en était rien, au contraire, ils semblaient ravis pour lui.
L’exercice difficile pour le jeune espion fut de contenter ses amis en répondant aux questions, tout en ne dévoilant rien de ce qu’il avait pu faire. Seuls Arthur et Antoine avaient fait le lien entre les informations sur le clan Ruggieri qu’ils avaient lu dans les journaux et les dates d’absence de Paul. Cependant, respectant le choix de leur ami, ils n’en firent pas part au reste du groupe.
Les autres élèves de la classe de troisième année ne posèrent pas de question à Paul. Lors de son arrivée en cours le lundi, ils l’accueillirent tous très chaleureusement. Le jeune espion était ravi de les retrouver et, aux visages de ses camarades, il comprit que cela était réciproque. Même les professeurs le retrouvaient avec plaisir.
Après la pause déjeuner, Paul croisa Ethan à la sortie du self qui l’arrêta :
– Paul, ça fait plaisir de te revoir.
Le jeune espion sourit timidement :
– Merci, moi aussi.
– Tu sais, pendant tout ce mois où tu étais parti, on sentait qu’il manquait quelque chose à notre classe.
– C’est gentil, mais je ne suis pas sûr d’avoir un tel pouvoir.
Ethan s’étonna :
– Bien sûr que si ! Tout le monde se repose sur toi ! Il y en avait qui étaient perdus ! Ils tournaient en rond dans des pièces vides, avançaient en se cognant contre des murs. Il y en a même un qui est resté bloqué comme ça près de deux jours !
Les deux camarades éclatèrent de rire puis Ethan poursuivit :
– J’espère que ça s’est bien passé pour toi ce petit voyage. Pour être tout à fait honnête, c’était très calme ici, il n’y a pas eu grand-chose même s’il est vrai que tu nous as manqué et à certains plus que d’autres. Si tu as besoin de quelque-chose n’hésite pas, je serai ravi de pouvoir t’aider.
– Merci Ethan.
Les deux élèves se séparèrent pour se retrouver un peu plus tard, pendant les cours.
Pendant cette première semaine, Paul ne croisa Louis qu’une seule fois, le mercredi. Son ami était en deuxième année et n’était pas en cours avec lui, mais Paul ne le voyait plus, y compris pendant les moments de libre ou les repas. Le weekend non plus, Louis n’était pas avec le groupe d’amis de Paul, contrairement à Anselme. C’est par ce dernier que Paul avait des nouvelles de son ami de collège qui l’avait à peine accueilli lorsqu’ils s’étaient croisés, comme s’il n’avait pas remarqué son absence pendant ce dernier mois.
Le dimanche soir, Paul, qui avait terminé son travail avant ses amis, avait décidé de les attendre au foyer. Il fut rejoint par Antoine et commandèrent un chocolat chaud chacun. Antoine remarqua :
– Anselme devrait nous rejoindre, je crois qu’il finit lui aussi un devoir pour cette semaine. C’est pas simple de ne pas être dans la même classe parfois.
Paul répondit :
– Oui. J’espérais qu’avec la venue de Louis je le verrais plus souvent mais je ne le vois jamais finalement.
Antoine sembla embêté pour son ami :
– C’est vrai qu’on ne le voit pas très souvent depuis qu’il est avec Noémie.
– Oui, on les voyait un peu en début d’année mais depuis mon retour, je ne l’ai croisé que rapidement et c’était comme s’il n’avait même pas remarqué que j’avais été absent un mois.
– Peut-être qu’il a eu une semaine difficile et qu’il sera plus présent ensuite.
– Vous l’avez vu depuis mon départ ?
– Non, il n’était pas avec nous, mais comme c’est ton ami, on pensait que c’était parce que tu étais absent.
Paul s’étonna :
– Il ne vous a même pas demandé où j’étais ?
– Non… Tu ne l’avais pas prévenu ?
– Non.
Paul se sentit blessé par l’indifférence de son ami. Antoine tenta de trouver une solution :
– Tu devrais peut-être aller lui parler ?
– Pour lui dire quoi ?
– Que tu t’étonnes qu’il ne vienne plus avec nous, que tu te poses des questions sur ce qu’il pense. Dis-lui ce que tu ressens.
– J’y réfléchirais.
Damien et Lucy arrivèrent au foyer, ce qui mit fin à la discussion des deux amis. Ils furent rejoints quelques minutes plus tard par Anselme puis par Arthur qui avait décidé de travailler un peu plus longtemps. Le lendemain, ils entamaient leur dernière semaine avant les vacances de printemps.
Paul passa la journée suivante à se demander s’il devait aller parler à son ami Louis. Son absence l’intriguait et l’embêtait. Devant ce questionnement qui lui occupait l’esprit, il repensa aux conseils d’Antoine, qui lui avait indiqué d’avoir une discussion avec Louis.
Comme il savait à quelle heure terminait son ami, Paul l’attendit à la sortie de sa salle de classe.
Louis sortit parmi les premiers élèves. Paul l’arrêta :
– Louis !
L’élève de deuxième année sembla surpris :
– Paul ? Qu’est-ce que tu fais là ?
– On peut discuter cinq minutes ?
Louis hésita :
– Je ne sais pas… J’avais prévu d’aller travailler, on a étude.
Paul garda un ton assuré :
– Tu iras après, j’en ai pour cinq minutes.
Le jeune espion remarqua le regard fuyant de son ami :
– Quel est le problème ?
Louis regarda à nouveau sur le côté. Noémie arriva :
– Salut Paul, qu’est-ce qu’il se passe ?
– Salut Noémie. Je t’emprunte Louis un instant.
La jeune élève sembla méfiante :
– Pourquoi ?
– Parce que c’est mon ami et que j’ai besoin de lui parler.
– Je peux venir ?
Paul répondit sèchement :
– Non.
Noémie eut l’air de mal prendre cette réponse et argumenta :
– On n’a pas de secret l’un pour l’autre, alors ça ne change rien que je sois là ou non. En plus on avait prévu d’aller réviser. Ça peut peut-être attendre votre discussion, non ?
– Non, ça n’attendra pas. Si cela ne change rien, alors tu comprendras qu’il peut venir seul.
Noémie sembla vexée par le ton de Paul. La tension était bien présente entre eux. Louis abdiqua :
– Bien, Paul, je t’écoute. Noémie, tu peux m’attendre un peu plus loin ?
Le jeune espion continua :
– Suis moi, on va discuter plus loin.
Noémie, sans un mot, s’éloigna. Paul entraina Louis à l’écart. L’élève de deuxième année semblait doucement se détendre et demanda :
– On peut parler dans ta chambre ? On sera mieux.
– Oui bien sûr.
Les deux amis sortirent du bâtiment et traversèrent les quelques mètres jusqu’au bâtiment cinq. Ils montèrent jusqu’à la chambre de Paul et s’assirent sur le lit. Paul demanda :
– Qu’est-ce qu’il se passe ?
Louis s’étonna :
– Rien, c’est plutôt à moi de te demander, c’est toi qui voulais me parler.
– Oui car on ne se voit plus. Je ne sais même pas si tu as remarqué que j’avais été absent un mois…
– Bien sûr que j’ai remarqué… Tu étais où ?
– Dans les Alpes, mais peu importe. Pourquoi je ne te vois plus ?
– Avec nos cours différents, c’est pas simple.
– On peut se voir le soir et le weekend.
Louis semblait chercher une réponse et fini par dire :
– Je suis souvent avec Noémie, on ne se voit pas vraiment souvent pendant la semaine.
– Vous êtes dans la même classe et vous pourriez très bien nous rejoindre de temps en temps.
– On aime bien être seuls.
Paul regarda son ami. Il lui trouva un air qu’il ne lui avait jamais connu. Un air triste. Louis ne regardait jamais Paul, fuyant sans cesse son regard. Paul le remarqua :
– Je vois bien qu’il y a autre chose. Je m’inquiète, Louis, vraiment. Tu es mon meilleur ami et je n’aime pas que tu t’éloignes comme ça.
Louis regarda le sol et murmura :
– C’est Noémie.
Paul s’étonna :
– Quoi, “C’est Noémie” ?
Louis regarda pour la première fois Paul dans les yeux :
– Noémie ne veut plus qu’on se voit.
Cette phrase laissa Paul sans voix.
Quelques secondes passèrent avant qu’il puisse répondre :
– Comment ça ?
– Elle préfère que je ne te voie plus, c’est tout.
Paul balbutia :
– Mais… pourquoi ?
– Elle pense que tu n’as pas une bonne influence sur moi… et il y a Antoine et Lucy.
– Quel est le rapport avec eux ?
– Noémie a bien vu comment Lucy me regardait… Et Antoine…
Paul s’agaça :
– Lucy est avec Damien, tu es au courant ? Et qu’est-ce qu’il a Antoine ?
– C’est pareil que Lucy.
– N’importe quoi… Et moi dans l’histoire ? Moi aussi je suis un concurrent ?
– Noémie a raison, on passe beaucoup de temps ensemble, parfois au détriment de ma relation avec elle…
– Donc c’est une raison pour ne plus se voir ?
– Je crois que c’est mieux, oui.
Cette fois, c’en fut plus que ce que Paul ne pouvait supporter. Il s’emporta :
– Tu ne crois rien du tout ! C’est Noémie qui te manipule. Lucy n’en a rien à faire de toi, et c’est pareil pour Antoine. Quant à moi, oui, j’apprécie passer du temps avec toi car tu es mon ami. Je suis content que tu sois dans cette école, dans laquelle tu es entré grâce à moi, mais si j’avais su ce que ça donnerait, je n’aurais jamais donné mon accord.
Louis resta calme :
– Tu vois, tu t’énerves alors qu’on discutait calmement…
Paul le coupa :
– Oui je m’énerve car tu me racontes des conneries. Noémie te manipule et te coupe de tout le monde. Toi tu crois tout ce qu’elle dit.
– Tu as peut-être raison, Paul, mais… C’est comme ça, c’est tout.
– Quitte-la.
Louis eut un air surprit :
– Quoi ?
– Quitte-la. Elle est nocive, elle t’emprisonne, je le vois bien que tu es triste tu sais ? Je te connais depuis quelques années maintenant.
– Je l’aime.
– Non, tu es habitué à elle. Tu veux voir un couple qui s’aime ? Regarde Damien et Lucy, eux ils sont heureux tous les deux et c’est aussi pour ça que Lucy se fiche éperdument de toi. Toi tu n’es pas heureux.
Soudain la porte de la chambre s’ouvrit. Antoine apparut :
– Paul ? Ha je te cherchais.
Antoine vit Louis :
– Tiens, salut Louis.
Louis hocha la tête en guise de réponse. Antoine demanda :
– Je dérange peut-être ?
Paul répondit :
– Non, au contraire. Louis était en train de me dire combien il était heureux que sa copine le prive de toute relation sociale.
Antoine s’approcha :
– Ha, tu vois je sentais bien que je dérangeais. Mais maintenant que je suis là, Louis, tu devrais faire attention à ce genre de personnes.
Louis répondit :
– De quoi tu te mêles ?
– De ce qui ne me regarde pas, peut-être. Mais quand je vois une personne en souffrance, je fais en sorte de l’aider.
– Je ne suis pas en souffrance.
– Je pense que si mais de toutes manières je ne parlais pas de toi.
– De qui ?
– Ton ami qui fais tout pour te sortir de ta situation.
– Ça ira, vraiment. Je n’ai pas besoin de tes conseils, je sais bien ce que tu essayes de faire.
Antoine s’étonna :
– T’aider, oui.
– Non, et je ne suis pas gay.
Antoine resta étonnamment calme :
– Oui, je le sais, et ni mon genre, vraiment. Mais pour revenir sur un sujet plus sérieux, tu devrais vraiment prendre tes distances avec Noémie. Tu es peut-être aveuglé par l’amour mais cela arrivera au point où elle t’empêchera de faire tout ce que tu aimes.
Louis détacha sa réponse :
– Vous ne la connaissez pas.
– Pas besoin. Tu es heureux de ne plus voir tes amis ?
Louis baissa à nouveau la voix :
– Non mais… c’est comme ça.
– Tu devrais t’éloigner d’elle ou avoir une sérieuse discussion. D’ailleurs, elle ne te fait aucune confiance.
– Comment ça ?
Antoine se dirigea vers la porte de la chambre à pas de velours et l’ouvrit brusquement :
– Salut Noémie, tu t’es trompée de bâtiment ?
La jeune fille balbutia :
– Non je… cherchais Louis et comme il est parti avec Paul j’ai pensé qu’il pouvait être là.
– Il l’est.
– Je peux entrer ?
– Non.
Antoine ferma la porte et revint auprès de Louis et de Paul :
– Tu vois, Louis ? Une personne qui aurait fait confiance n’essaierai pas d’écouter aux portes.
– Tu as raison… Mais elle s’inquiète.
– De quoi pourrait-elle s’inquiéter ?
– Je ne sais pas.
– Tu as les clés en mains. Maintenant tu peux aller la rejoindre ou rester avec nous et rejoindre les autres.
– Je vais y aller… Merci.
Louis se tourna vers Paul :
– Je suis désolé Paul. J’espère que tu ne m’en voudras pas trop.
Louis se leva et sortit.
Antoine s’assit à côté de Paul resté silencieux :
– Ça va ?
– J’aurais préféré que ça se passe autrement, ou que ce soit ma faute.
– Tu n’as pas à t’en vouloir, il a fait son choix, il l’avait déjà fait avant même que vous discutiez. Il changera peut-être d’avis un jour mais ça prend du temps.
Paul haussa les épaules puis se laissa tomber sur son lit. Après quelques secondes, il demanda :
– Tu crois qu’on peut faire quelque chose ?
Antoine fit la moue :
– Ça me semble compliqué. Dans ce genre de situation, plus tu vas tenter de le faire quitter sa copine et plus il s’y accrochera. Tu veux qu’on en parle aux autres ? Ils auront peut-être une idée.
– Pourquoi pas.
Les deux amis retrouvèrent le reste du groupe à la bibliothèque. Lucy les accueillit :
– Alors les garçons ? On vous attendait !
Devant les mines inquiètes de ses amis, la jeune fille se rattrapa :
– Ho, mauvaise nouvelle ? La grand-tante de Paul est encore décédée ?
Paul sourit timidement, Antoine répondit :
– On a besoin de vous.
– Ça doit vraiment être une très mauvaise nouvelle alors…
– On a pu parler à Louis, Noémie le coupe complétement des autres.
Anselme intervint :
– Ça se voit, même pour nous c’est difficile de lui parler.
Les six amis réfléchirent à un moyen de faire prendre conscience à Louis qu’il n’était pas heureux mais n’en trouvèrent aucun. Ils se résignèrent. Seul le temps pourrait lui faire réaliser le problème.
Le samedi matin arriva. Paul attendait ce jour avec impatience et appréhension. Louis rentrait en général du campus avec Paul et ses parents.
Lorsque l’heure fut venue, Paul rejoignit le hall avec ses amis. Tous se saluèrent chaleureusement avant de se séparer. Cependant, Louis était introuvable.
Le jeune espion sortit et retrouva ses parents. Son père lui sourit :
– Comment ça va Paul ?
– Bien et vous ?
Maude remarqua :
– Ça fait long lorsque tu ne rentres pas pendant trois mois.
– Oui…
– On y va ?
Paul s’inquiéta :
– On n’attend pas Louis ?
Le père du jeune espion répondit :
– Non, il part en vacances avec une amie.
Paul monta dans la voiture, dépité par cette nouvelle. Pendant ces vacances, il savait qu’il s’ennuierait.
Pour la fête de pâques, Paul et ses parents se rendaient chez les grands-parents paternels de Paul.
C’était l’occasion pour le jeune espion de retrouver sa famille. Malgré l’occasion, les retrouvailles et le repas copieux, Paul ressenti que sa grand-mère n’était pas aussi joyeuse qu’à l’accoutumée. Elle semblait fatiguée et moins enjouée. Pawel, le grand-père de Paul, quant à lui était égal à lui-même, calme et posé.
Lorsque la fin du repas arriva, Paul quitta la table pour rejoindre ses cousins.
Paul était le deuxième plus âgé de sa génération, du côté de son père, composée de huit cousins. L’ainé, Michal, avait vingt-cinq ans et n’était pas avec eux pour cette fête. Il s’était engagé dans l’armée et était souvent en déplacement à l’étranger. Après Paul, Alice était la plus âgée. Elle avait seize ans et avait un tempérament fort et décidée. Kamila, la sœur de Michal suivait de six mois Alice. Discrète et plus féminine que sa cousine ainée, elle n’avait jamais manqué d’imagination, plus jeune, pour embêter son cousin Paul par tous les moyens imaginables.
Maxime était sans-doute le cousin avec qui Paul avait le plus d’affinité. Le frère d’Alice avait toujours été un garçon éveillé et, maintenant qu’il avait quatorze ans, Paul pouvait avoir des discussions plus construites et plus intéressantes. Maxime était aussi amateur de jeux vidéo que Paul. Son état d’esprit faisait que Paul était persuadé qu’il suivrait probablement ses traces sur le campus de l’Aigle lorsqu’il aurait l’âge, deux ans plus tard.
Les jumeaux Côme et Jules, frères de Maxime et d’Alice, avaient douze ans. Très soudés, ils ne maquaient jamais d’inventivité pour s’amuser, souvent au détriment des personnes ou des objets autour d’eux. Cet état d’esprit leur avait valu le surnom des “jumeaux terribles”, surnom trouvé par Kamila et rapidement adopté par toute la famille.
La plus jeune des cousins était la sœur de Michal et de Kamila, Natalia. Agée de six ans, elle avait parfois du mal à trouver sa place dans cette famille, bien que Paul prenait toujours le plus grand soin de l’inclure dans les moments pendant lesquels les cousins se retrouvaient.
Les repas de famille étaient souvent animés entre les discussions des adultes, des adolescents et des plus jeunes.
La journée se passa comme la plupart des réunions de familles. L’après-midi, les enfants les plus jeunes participaient à la traditionnelle “chasse aux œufs” avant d’en manger la plupart. Paul quitta un moment ses cousins pour rejoindre ses parents. L’ambiance à table semblait pesante. Paul s’assit en silence. L’une de ses tantes demanda :
– Et ça peut s’arranger ?
La grand-mère de Paul répondit :
– On ne sait pas, ça va être compliqué.
Pawel intervint :
– Peut-être qu’on peut passer à autre chose ? Nous sommes en famille profitons-en.
Le père de Paul lui répondit :
– Il n’y a que pendant ces moments que nous pouvons en parler.
Paul glissa discrètement à sa mère :
– Qu’est-ce qu’il se passe ?
Elle lui répondit sur le même ton :
– Nous en parlerons après. Tu devrais retourner avec tes cousins.
Paul hésita à rester à table mais obéit à sa mère.
Il participa sans entrain aux derniers jeux de la journée.
Il était très rare que la famille reste pour le dîner. Cette fois-ci, ce fut le cas. L’atmosphère semblait plus détendue lorsque tous les plus jeunes avaient rejoint la table.
Paul et ses parents repartirent les derniers de chez les grands-parents. Le retour était rapide. Dans la voiture, Paul demanda timidement :
– Quelqu’un est malade ?
C’est Maude qui répondit :
– Paul… Le médecin a diagnostiqué un cancer à ton grand-père.
Le jeune espion eut la sensation qu’une enclume lui tombait dessus. Il eut soudain des difficultés à respirer et il eut chaud. Il se reprit doucement, contenant un rire nerveux :
– Ça peut se guérir ?
– C’est possible mais très compliqué.
– Et…
Paul se résigna de peur d’être indiscret mais Maude dut lire dans ses pensées :
– On ne peut pas savoir combien de temps cela peut durer, cela peut se maintenir, nous l’espérons.
Frank était resté silencieux. Paul savait que la maladie de son père l’inquiétait bien qu’il se refuse à le montrer.
Lorsqu’ils arrivèrent, Paul se rendit rapidement dans sa chambre. Quelques minutes plus tard, sa mère frappa à la porte et entra :
– Je venais te souhaiter une bonne nuit.
– Bonne nuit maman.
– Paul, ton père risque d’être un peu ailleurs ces prochains temps. Ne t’inquiète pas.
Paul regarda sa mère :
– Je sais. J’aimerais pouvoir rester avec vous… après les vacances.
Maude réconforta son fils d’un simple sourire :
– Ne t’en fais pas, ta place est sur ton campus et ton père sera bien plus heureux si tu y es. Ton grand-père était là aujourd’hui, tu l’as vu, il a l’air d’aller bien. Ne l’enterrons pas trop vite.
Lorsqu’il posa la tête sur son oreiller quelques minutes plus tard, Paul ne parvint pas à s’endormir. Il repensait à son grand-père et s’imaginait la douleur de son père. Il ne cessait de se demander comment il réagirait si son père venait à tomber gravement malade.
Le jeune espion s’endormit finalement, emporté par la fatigue.
“Salut Paul, tu vas bien ?“
Le jeune espion répondit au SMS de son ami Antoine :
“Ça va. Et toi ? Les vacances se passent bien ?“
Les deux amis échangeaient rarement pendant les vacances. Ils se croisaient parfois sur les réseaux sociaux, que Paul n’utilisait que peu et se retrouvaient avec plaisir dès la rentrée. La réponse surprit Paul :
“Une horreur !“
Le jeune espion s’inquiéta :
“Qu’est-ce qu’il se passe ?“
“J’ai annoncé à ma famille que j’étais en couple avec Anselme. Ils ne l’ont pas bien pris.“
Paul repensa aux parents d’Antoine. Il ne les avait pas trouvés particulièrement sympathiques et leur réaction ne l’étonnait qu’à moitié.
Le jeune espion tenta tant bien que mal de rassurer son ami, en lui disant que le temps aiderait certainement à faire accepter cette nouvelle, ce à quoi Antoine douta fortement.
Paul sentait que son ami souffrait de ne pas être soutenu par son entourage. Pendant plusieurs heures, les deux amis échangèrent des messages. Paul eut l’impression qu’il était parvenu doucement à remonter le moral de son ami.
Pour Paul, ces vacances n’étaient pas de tout repos. Il se sentait fatigué et son moral avait été atteint, à la fois par l’annonce de la maladie de son grand-père, mais aussi par la détresse d’Antoine et la décision de Louis de se couper de ses amis.
Le soir du dernier dimanche des vacances, sur le campus, l’ambiance était pesante pour le groupe d’amis. Antoine avait annoncé et raconté la réaction de ses parents. Il avait précisé qu’il avait passé une longue semaine dans sa chambre sans parler à son père. Il n’avait pas été loin d’être contraint de quitter son domicile et le retour sur le campus lui faisait du bien.
Paul n’avait pas parlé de son grand-père, il jugeait qu’il n’avait pas à confier cela à ses amis pour le moment.
Le jeune espion avait aperçu Louis, toujours aux bras de Noémie. Cette vision lui avait provoqué une réaction étrange, un mélange de colère et de tristesse. Il n’arrivait pas à lui pardonner.
Le troisième soir, Paul et Antoine avaient profité que Damien passe un moment avec Lucy pour discuter comme ils le faisaient parfois. Ils s’assirent dans ce qui ressemblait à un petit salon au milieu de leur chambre. Antoine remarqua :
– C’est Louis qui te met dans cet état ?
– Comment ça ?
– Depuis que tu es arrivé ici, tu as l’air triste.
Paul avait évité de parler de son grand père et hésitait encore :
– Non, juste une petite inquiétude…
– Tu veux m’en parler ?
– Je ne veux pas t’embêter avec ça, et c’est peut-être rien.
– Tu ne m’embêtes pas.
Paul laissa quelques secondes et se confia :
– Mon grand-père est malade… Un cancer.
Antoine sembla bouleversé par cette nouvelle :
– Ho Paul… Je suis désolé. Tu sais s’il peut être soigné ?
– Il parait que oui, mais ce sera compliqué.
– Il faut y croire et tenter de ne pas s’inquiéter. Je souhaite vivement qu’il s’en sorte. Je suis là si tu as besoin d’en parler.
– Merci Antoine… et toi, ça va ?
– Moi… Je fais avec. Ce n’est juste pas une bonne période pour moi.
Paul réconforta son ami :
– Oui… Tes parents ne sont pas très compréhensifs, mais j’espère que ça changera. Tu as toujours Anselme qui te soutiendras… Et moi aussi.
– C’est gentil Paul. Merci.
C’est dans cette ambiance particulièrement morose que les beaux jours revinrent et que les étudiants se préparèrent pour le baccalauréat.
Il y eut cependant petit à petit de plus en plus de moments de joie. Chacun oubliait ses problèmes pour se concentrer sur la vie du groupe et ses révisions.
Les cinq amis de troisième année furent particulièrement appliqués lors des révisions. S’ils étaient tous bons en classe et avaient de bons résultats, ils tenaient aussi à réussir avec brio ce dernier examen avant de terminer le cursus de lycée. De plus, le programme était chargé puisqu’ils devaient réussir leur baccalauréat ainsi que les examens de troisième année propres à l’Aigle.
Tous les soirs, au-delà des plages horaires prévues pour les révisions, ils avaient l’habitude de passer une heure ensemble à la bibliothèque. L’un d’eux choisissait un thème et posait des questions sous forme de jeu à ses amis. Celui qui avait le plus de bonne réponse gagnait la partie.
Les scores étaient en général très serrés bien que Paul gagnât quelques parties de plus qu’Arthur, qui arriva second.
Un jeudi soir, alors que le groupe d’ami jouait comme chaque soir, leur professeur d’anglais, monsieur Warden, les surprit. Il instaura dès son cours suivant ce jeu afin de faire progresser ses élèves.
Le lundi quinze juin arriva. Paul et ses amis devaient se rendre à sept heures quarante-cinq dans le gymnase principal du campus.
Chaque élève avait sa table attitrée pour la durée des examens.
Paul posa sur sa table des stylos ainsi qu’une bouteille d’eau fournie par l’école. Leur professeure de philosophie, Madame Vigneau, était présente et distribua les sujets.
A huit heures précises, les élèves de troisième année de l’Aigle pouvaient commencer.
Pendant quatre heures, on entendit uniquement le bruit des stylos sur le papier. Comme à chaque devoir dans cette matière, Paul était incapable de savoir s’il avait réussi. C’était aussi le cas de ses camarades.
L’après-midi, le groupe d’amis révisa l’histoire-géographie pour le lendemain pendant deux heures avant de se reposer. Ils savaient qu’arriver à une épreuve en étant fatigué pouvait couter des points, en général en raison d’erreurs d’inattention.
La matière d’histoire-géographie était plus concrète pour Paul. Il sut en rendant sa copie qu’il avait bien réussi son travail.
Comme la veille, les cinq amis révisèrent pour l’épreuve de langue étrangère du lendemain. Comme elle avait lieu l’après-midi, ils décidèrent de travailler une heure le mardi après-midi et une heure le mercredi matin.
L’épreuve parut simple à Paul pour qui de bons résultats se dessinaient doucement.
Le jeudi, les élèves de troisième année scientifique passèrent leur épreuve de physique-chimie, suivie le lendemain de l’épreuve de mathématiques. Les matières scientifiques n’étaient pas un problème pour Paul qui eut l’impression de les réussir, tout comme l’épreuve de sciences de la vie et de la terre, dernière épreuve du baccalauréat, qu’il passa le lundi suivant.
Pas de fête le soir de la dernière épreuve. Tous étaient dans leurs examens. Si le baccalauréat était passé et que Paul était content de lui, il lui restait l’ensemble des autres matières à passer.
Les épreuves s’étalaient du mercredi matin au vendredi soir.
Le programme était chargée car les futurs espions avaient deux matières par jour. Le mercredi, ils commencèrent par l’histoire de l’espionnage suivi de deux heures de questionnaire sur l’indépendance, l’après-midi. Le jeudi était consacré à la géopolitique avec une épreuve de quatre heures le matin, puis trois heures l’après-midi de sécurité internationale. Le vendredi, huit heures de sport les attendaient avec au programme des sports collectifs le matin et un parcours de course, natation et cyclisme l’après-midi.
Le vendredi soir, il n’y eut aucun bruit dès vingt-deux heures dans les couloirs du bâtiment cinq du campus de l’Aigle. Comme Paul, tous les élèves s’étaient couchés et endormis tant les deux dernières semaines avaient été épuisantes.
Paul se réveilla à sept heures et sauta du lit. Ce vendredi était un jour très spécial pour les élèves de troisième année.
Tout d’abord, ils obtiendraient les résultats des épreuves internes à l’Aigle, à dix heures précises.
A quatorze heures seraient publiées les résultats du baccalauréat à côté des premiers résultats obtenus le matin.
S’en suivait à partir de quinze heure trente les entretiens individuels avec les membres de l’équipe de l’Aigle.
A dix-huit heures, les élèves de troisième année étaient convoqués à l’auditorium avant le traditionnel diner de fin d’année qui précédait une grande fête.
Le lendemain, les élèves se quitteraient pour deux mois de vacances.
Paul, Antoine et Damien se préparèrent et retrouvèrent Lucy et Arthur pour le petit déjeuner. Le campus était silencieux, seuls les élèves de première année avaient encore cours.
Le groupe d’amis discutèrent de leurs espérances. Tous semblaient s’accorder pour dire que Paul serait le premier de sa classe. Le jeune espion, bien que flatté, était plus réservé. Surtout, il espérait avoir une bonne moyenne.
Les futurs espions sortirent du réfectoire à huit heures trente. Ils croisèrent dans la cour Ethan et Mathieu qui venaient de se réveiller. Ils ne semblaient pas inquiets pour les résultats.
Paul et ses amis s’assirent autour de la fontaine au centre de la cour. La douceur de la matinée était agréable. Chacun profitait du calme et du silence jusqu’au moment où Lucy le brisa :
– Faut en profiter, demain on rentre.
Tous hochèrent la tête. Paul était content d’être en vacances mais n’appréciait pas quitter ses amis si longtemps. Damien répondit :
– On va surtout en profiter ce soir. Aujourd’hui, entre les résultats, les rendez-vous et la conférence, on va être occupés.
– Quelqu’un sait pourquoi on a cette conférence ?
Arthur intervint :
– Non, ils ne veulent rien nous dire.
– Il y en avait les années passées ? On pourrait demander à ceux de quatrième année.
– Je l’ai déjà fait, personne ne veut me répondre. Je crois que c’est une sorte de conférence traditionnelle des élèves de troisième année.
Lucy changea de sujet :
– J’ai pas envie de partir d’ici pour l’été.
Antoine secoua la tête :
– Et moi donc…
L’heure des résultats approchait. Tous les élèves de la classe de Paul étaient impatients. Ils attendaient dans la cour principale en discutant. Chacun y allait de son pronostic.
A dix heures, Thomas sortit du bâtiment de l’administration sous les yeux des élèves. Il tenait plusieurs feuilles dans sa main.
Il s’approcha de l’entrée du bâtiment deux, devant lequel un tableau en liège était installé. Aucun élève ne bougea lorsque le directeur des études punaisa ses feuilles.
Lorsqu’il s’éloigna, tous s’approchèrent.
Les résultats étaient présentés sous forme d’un tableau avec le nom de chaque élève, sa note sur cent points ainsi que sur vingt et son classement. Paul chercha sa ligne :
OSINSKI | Paul | 94.5 – 18.9 | 1 |
Arthur était second avec une moyenne de 91, suivi d’Ethan avec 90. Lucy était cinquième avec 87, Antoine huitième avec 82.5 et Damien neuvième avec un résultat de 81.5.
Tous étaient satisfaits de leurs résultats. Arthur se tourna vers Paul en souriant :
– Bon, il faut croire que je ne serai pas premier ici.
– L’an prochain peut-être, tu te rapproches chaque année !
– Qui sait…
Ethan arriva près du groupe d’amis :
– Félicitations Paul, et bravo à toi aussi Arthur, j’avais espéré passer devant toi mais il s’en est fallu de peu !
Leur camarade s’éloigna, Paul s’adressa à Arthur :
– Tu vois, on a tous quelqu’un que l’on veut dépasser !
– Sauf toi.
– Il y en a forcément…
La classe de troisième année resta dans la cour principale, discutant des résultats par petits groupes jusqu’au déjeuner.
A quatorze heures, la même scène que le matin se produisit. Les résultats du baccalauréat furent affichés.
Paul obtint son diplôme avec une moyenne de 17.5. Là encore, il était le premier de sa classe.
Les élèves avaient une heure et demie devant eux avant de rencontrer un membre de l’équipe pédagogique. Paul resta avec ses amis et rejoignit les salles de classes à l’heure prévue. Une grande feuille leur indiquait l’heure et la personne qu’ils devaient rencontrer. Paul devait encore attendre une heure avant de rencontrer Thomas. Il était parmi les derniers élèves à avoir un rendez-vous.
Le jeune espion profita que ses amis passent avant lui pour retrouver sa chambre. Il savait comment se passerait le rendez-vous. Il savait que son responsable des études lui demanderait s’il voulait rester dans l’école l’an prochain. Il savait qu’il répondrait par l’affirmative.
Son année était passée incroyablement vite. Il avait l’impression d’avoir bien plus progressé que les années précédentes, d’avoir su trouver sa place. Cependant, il regrettait la dernière partie de l’année, les mauvaises nouvelles qui s’étaient enchainées. Cela n’entachait en rien ses bonnes performances et il était plus décidé que jamais à continuer et à rester le meilleur.
Quinze minutes avant son rendez-vous, Paul se leva de son lit et rejoignit la salle dans laquelle il aurait rendez-vous. Avant lui, Arthur passait lui aussi avec Thomas à quinze heures cinquante.
Paul vit son camarade sortir de la salle en souriant :
– Je crois que c’est à toi.
– Ça s’est bien passé ?
– Tu imagines bien que oui. On se retrouve en bas ?
– Oui, j’arrive.
Paul s’approcha de la porte entrouverte. Thomas Duchesne le vit :
– Entre, Paul.
Paul poussa la porte et la referma derrière lui. Il s’assit face à son responsable des études qui commença :
– Paul, tout d’abord, je souhaite te féliciter pour ta très belle année. Tes résultats sont très bons, tu as passé le test de début d’année de manière exemplaire et tu as eu ton bac haut la main, ce dont je ne doutais pas. La mission que nous avons faite ensemble s’est globalement bien passée malgré ta blessure et je suis heureux de ta fin d’année. As-tu des remarques à faire ou des points dont tu aimerais parler ?
Paul réfléchit :
– Oui, un.
– Je t’écoute.
– Il n’est pas directement lié à ma scolarité, mais à la vie de l’école.
– Bien sûr, on peut tout à fait en discuter.
– L’année prochaine, les élèves qui sont actuellement en deuxième année seront à notre place. J’aimerai vraiment que leur groupe soit aussi soudé que le nôtre mais je sais que ce ne sera pas possible.
– Pourquoi cela ?
– J’avais dit l’année dernière que je donnais mon accord pour que Louis entre à l’Aigle. Je m’étais trompé.
Thomas Duchesne accueillit cette nouvelle avec étonnement :
– Comment ça ? D’après ce que j’ai pu voir, c’est un bon élève, il a même corrigé certains de ses défauts.
– Peut-être. Mais Noémie le coupe des autres. Je ne lui ai pas parlé depuis janvier. Enfin, si, une fois pour lui faire part de mon inquiétude. C’est à ce moment-là que j’ai appris que sa copine était jalouse et ne supportait pas qu’il voit d’autres personnes. C’est contraire à la manière de penser de notre école et, je le regrette, mais je pense que ce n’était pas l’école qu’il lui fallait.
– Ou la copine.
– Sans doute.
– Je ne pourrais rien faire. Louis n’est pas l’un de mes élèves et il a de bons résultats, tout comme Noémie. Je ne pense pas que Madame Maillard soit particulièrement sensible à ce souci. Je comprends que tu puisses en souffrir mais, malheureusement, on perd parfois des amis de manière idiote. Si Louis accepte cette situation, tu ne peux espérer qu’une chose, qu’il le réalise par lui-même. De ton côté, tu dois avancer.
Paul hocha la tête pour signifier qu’il avait compris. Thomas continua :
– Vous êtes encore jeune. Laisse-toi le temps.
– Merci, Thomas.
– Je t’en prie. Y avait-il un autre sujet dont tu voulais me parler ?
– Non.
– Bien. J’ai une nouvelle un peu difficile à t’annoncer maintenant et sache que je n’y suis pour rien.
Paul regarda Thomas en fronçant les sourcils :
– Rien de grave ?
– J’en ai bien peur. Le conseil des Sages a étudié ton profil, comme celui de tous les élèves. Il s’est un peu plus arrêté sur le tiens, en particulier les deux missions auxquelles tu as déjà participé. Le conseil a peur qu’elles soient arrivées un peu tôt. De plus, ils n’ont pas eu le même avis que moi sur ton année.
– Je ne comprends pas… Ce n’est pas eux qui ont décidé de me faire partir avec toi ?
– Si, et ils pensent avoir fait une erreur. Paul, je suis désolé mais… Ils souhaitent que tu ne restes pas avec nous l’an prochain.
Paul resta sans voix. Il pensa à ses amis. Il se sentait perdu, il ne savait pas ce qu’il pourrait faire en dehors de l’Aigle, il ne l’avait jamais envisagé. Il eut envie de s’enfuir. Thomas reprit :
– Un partout ?
Paul regarda Thomas sans comprendre :
– Comment ?
– Paul, c’est faux, évidemment que l’on veut te garder ! Mais l’an dernier tu m’as dit que tu voulais partir, je me suis dit que ce serait une bonne idée de te rendre la pareille, une petite revanche !
Paul ne put s’empêcher de rire, un rire nerveux et salvateur :
– Ce n’est absolument pas drôle ! Ne me fais plus jamais ça !
– Bon, alors… J’imagine que nous te reverrons en quatrième année ?
– Bien sûr !
– Si tu n’as pas d’autres questions, nous nous revoyons dans l’auditorium à dix-huit heures ?
– Oui. D’ailleurs, c’est à quel sujet cette conférence ?
– Tu verras, je ne peux rien en dire.
– A tout à l’heure alors.
Paul sortit de la pièce et retrouva ses amis. Tous les élèves de troisième année se retrouveraient l’an prochain.
Les élèves discutèrent jusqu’à dix-huit heures, heure à laquelle ils furent tous assis dans l’auditorium Victor Hugo. La scène resta vide pendant près de cinq minutes avant que Thomas ne s’avance depuis les coulisses. Il fut accueilli par les applaudissements nourris des élèves, qui firent un accueil similaire au directeur qui arriva quelques secondes plus tard.
Thomas s’adressa aux élèves :
– Bonsoir à tous ! Je sais que vous vous demandez tous pourquoi on vous a demandé de vous réunir ici. Nous allons être très brefs et, ne vous inquiétez pas, vous serez à l’heure pour le diner de fin d’année. Tout d’abord, nous tenions à vous exprimer notre joie d’avoir passé cette année avec vous. Vous avez été une très bonne classe, vos résultats en sont la preuve. Deuxièmement, nous voulions vous féliciter d’avoir tous obtenu le baccalauréat avec mention. Vous êtes un excellent groupe, mais cela n’est pas seulement de votre fait. Je vais vous demander d’accueillir ceux qui vont me rejoindre maintenant.
Les élèves découvrirent leurs professeurs qui s’avancèrent sur scène. Ils furent eux-aussi applaudis par les élèves qui avaient passé une excellente année avec eux. Certains sifflaient pour montrer leur enthousiasme. Lorsque les applaudissements se firent réguliers et à l’unisson, Thomas Duchesne tenta de calmer les élèves, il dut insister et renouveler sa demande avant que le calme ne se fasse.
Thomas Duchesne poursuivit :
– S’ils m’ont rejoint, c’est aussi pour une raison bien particulière. Chaque année, les élèves de troisième année passent par cette petite épreuve que nous vous concoctons. Je vais être très bref car nous n’avons qu’une heure. Tout d’abord, nous allons vous appeler un par un pour vous remettre un cadeau que vous allez rapidement apprendre à détester. Il s’agit de la tenue officielle de l’Aigle. Cette tenue, vous la porterez lors des soirs importants que vous connaitrez l’an prochain. Ce sont des soirées qui concerneront uniquement votre classe et, parfois, qui seront commune avec la classe de cinquième année. C’est aussi dans cette tenue que nous vous remettrons vos diplômes lorsque vous l’obtiendrez. Afin de les inaugurer comme il se doit, vous aurez dix minutes pour vous rendre dans le gymnase et vous changer avant de revenir ici pour la suite de cette soirée. Bien entendu, vous remettrez vos tenues civiles dès la fin de la cérémonie car il est hors de question qu’un élève de première ou deuxième année vous voit, nous comptons sur vous pour faire perdurer cette tradition.
Thomas énuméra les noms des élèves qui passèrent un par un sur scène récupérer des mains du directeur sa tenue avant de sortir.
Dans le gymnase, les élèves s’habillèrent. La tenue de l’Aigle était noire. Elle était constituée d’une veste coupée au carrée et bordée d’un liseré doré qui courait sur le bas, remontant par la fermeture éclair jusqu’au col. Au bout des manches, on retrouvait ce même liseré puis une épaisse bande rouge avant une deuxième ligne dorée. Ce qui dérangea Paul, comme beaucoup d’élèves qui n’étaient pas habitués, ce furent les épaisses épaulières qui se rejoignaient dans le dos. La pièce était en cuir souple et semblait reposer sur les épaules des futurs espions. Bordée de doré, la partie visible de face, sur les épaules, était un motif complexe en argent sur fond noir alors que la deuxième partie, plus grande et joignant les deux épaules dans le dos était bleue marine. Une chaine en métal s’attachait à l’avant pour faire tenir l’ensemble.
Paul noua l’épaisse ceinture du costume au-dessus de sa veste comme on leur avait indiqué et passa le large pantalon noir.
Il troqua ses baskets pour les bottes noires du costume.
Les filles s’étaient changées dans une autre pièce. Leur costume était similaire à celui des garçons, mais la partie sur les épaules passait sous un grand col et n’entourait pas le cou. Le motif argenté était plus long et elles n’avaient pas de pantalon mais une jupe taillée au carré. Une courte cravate rouge était nouée autour de leur cou.
Les élèves de troisième année retrouvèrent l’auditorium. Lorsqu’ils furent tous assis, Thomas Duchesne repris :
– Je vois que votre costume vous va parfaitement bien. Si ce n’est pas le cas aujourd’hui, vous le porterez à l’avenir toujours avec une chemise blanche. Nous allons continuer. Sachez, chers élèves, qu’au-delà de la fierté que nous avons concernant votre groupe, nous avons su reconnaitre en certains d’entre vous des qualités particulières et c’est le but de cette petite cérémonie. Vos professeurs, votre directeur et moi-même allons maintenant vous remettre des prix pour récompenser certains efforts. Je vais donc commencer par appeler votre professeur de sport, monsieur Bianchi pour remettre le prix du meilleur sportif.
Le professeur de sport s’avança. Le responsable des études lui tint un micro et il commença :
– Il y a eu quelques discussions autour de l’élève que nous allons récompenser pour ses qualités sportives. Nous nous sommes demandé s’il n’était finalement pas “trop bon” pour ce prix. Je vais appeler monsieur Antoine Chaille à me rejoindre.
Antoine se leva et descendit les quelques marches menant à la scène. Pour tous, il était évident qu’Antoine méritait cette récompense. On lui remit un diplôme ainsi qu’un petit trophée sur lequel était gravé un aigle.
La cérémonie se poursuivit. Tous les élèves reçurent un ou plusieurs prix. Il était évident que la plupart de ces prix avaient été fait pour que chacun puisse être récompensés. Cependant, les dernières récompenses distribuées étaient bien particulières.
L’une d’elles était le prix des professeurs. Il récompensait l’élève que les professeurs avaient appréciés pour l’ensemble de son année mais aussi son comportement. Il fut remis à Valentin. C’en suivit le prix du responsable des études. Paul se prépara à être appelé mais ce fut, à son grand étonnement, Ethan que Thomas Duchesne récompensa. Il y eut ensuite le prix du directeur. Cette fois, c’est à nouveau avec étonnement que Paul fut appelé à monter sur scène.
Les trois derniers prix furent distribués sans surprise car ils récompensaient les meilleurs élèves aux examens de fin d’année, en terminant par le major de la promo, Paul.
Les étudiants n’avaient que peu de temps pour remettre leurs vêtements civils et ranger leur nouveau costume. Il était déjà dix-neuf heures cinq et le diner allait bientôt commencer.
Paul et ses amis arrivèrent à dix-neuf heures vingt dans la cour centrale. Pendant leur cérémonie, des tables avaient été installées et un grand buffet dressé. La soirée commença par un grand apéritif.
Paul profita de ce moment pour parler à de nombreux élèves de sa classe. Ils se félicitaient de leur année et échangeaient sur leurs attentes de l’année à venir.
Un peu avant de passer à table, un jeune élève s’approcha de Paul :
– Désolé de te déranger mais… C’est toi, Paul Osinski ?
Paul fut surpris et répondit :
– Oui, pourquoi ?
– Ça fait plaisir de mettre enfin un visage sur ce nom ! On nous a beaucoup parlé de toi cette année !
Paul s’étonna :
– Ha bon ?
– Oui, il parait que tu es le meilleur élève, notre professeur de mathématiques veut qu’on batte ta moyenne l’an prochain. On n’a pas réussi cette année.
Paul sourit :
– Ça ne doit pas être si compliqué.
– Tu as fait une année presque parfaite. Surtout lors de la mission d’intégration.
– J’ai eu un peu de chance.
– Toi aussi, tu as eu la mission SPACE 2001 ?
Paul se souvint du premier mois passé à l’Aigle qui s’était terminé par cette mission de test mettant à l’épreuve les nouveaux élèves :
– Oui. C’était aussi la tienne ?
– Oui. Au fait, je m’appelle Axel, Axel Eder.
– Enchanté Axel.
Paul repensa à sa première année. Les souvenirs de Mike lui revinrent, c’est lui qui l’avait aidé lors des deux premières années et l’avait conseillé. Il proposa :
– Si tu as besoin d’aide ou si tu as une question sur le campus, n’hésite pas à venir me voir.
Axel afficha un large sourire :
– Ho c’est super ! Merci Paul !
Axel salua Paul et tourna les talons. Le jeune espion se dit qu’il était peut-être devenu, à son tour, le “Mike” d’un autre élève et il ressentit un sentiment de satisfaction et de fierté à cette idée.
Paul retrouva ses amis à table. Il faisait bon et c’était un plaisir de diner en extérieur. C’était la deuxième année consécutive que l’Aigle organisait ce repas hors du réfectoire.
L’entrée fut copieuse, suivie d’un barbecue.
Les discussions allaient bon train. L’avantage de l’extérieur était que les discussions ne résonnaient pas comme ce pouvait être le cas dans le réfectoire et Paul apprécia d’autant plus ce moment.
Après le dîner, c’est dans le parc que la soirée se poursuivait. Un buffet avait été installé sur la pelouse du campus et de la musique était diffusée. La nuit tombait doucement sur le campus en fête.
Paul s’était éloigné quelques instants des autres élèves pour discuter avec ses amis. Il vit au loin Louis. Il le regarda avec nostalgie. Il trouvait cela dommage que leur amitié se soit brisée. Un soir comme celui-ci, ils auraient pu passer un moment d’amitié exceptionnel.
Paul hésita à aller le voir. C’était peut-être le moment pour tenter de se réconcilier et faire entendre raison à son ami.
Le jeune espion regarda Noémie, à quelques mètres de Louis. Il se résigna. Le problème ne venait pas de lui et il avait déjà dit ce qu’il pensait de cette situation. Il n’y pouvait plus rien.
La fête se poursuivit. Vers minuit, Paul s’écarta de ses amis pour aller prendre un verre. Thomas Duchesne faisait de même et se tourna vers Paul :
– Félicitations encore pour ton année.
– Merci, Thomas !
– Je suis vraiment content de votre classe, ce sera un plaisir de vous retrouver l’an prochain.
– Pour nous aussi, vraiment !
Thomas et Paul échangèrent un sourire puis le jeune espion retrouva son groupe d’amis.
A deux heures trente du matin, il ne restait plus que quelques élèves sur la pelouse. Certains groupes étaient rentrés, d’autres dormaient déjà.
Le Clan des Troisième, quant à lui, était encore au complet. Ils furent les derniers à rester dehors, prouvant encore leur réputation de classe soudée.
Ils ne rentrèrent que lorsque la soirée fut définitivement terminée par l’équipe pédagogique de l’Aigle, à trois heures du matin.
Paul se coucha, fatigué mais heureux de son année.
Le premier samedi de juillet marquait la fin de l’année pour les élèves de l’Aigle qui pouvaient quitter le campus à partir de dix heures du matin.
Paul se réveilla péniblement à huit heures trente. Ses amis dormaient encore. Il en profita pour se préparer et ranger ses affaires. Dans un peu plus d’une heure, cette chambre serait comme il l’avait trouvée en entrant le premier jour de l’année, impersonnelle et semblable à toutes les autres.
Paul termina sa valise à neuf heures, heure à laquelle Antoine se réveilla. Les deux amis réveillèrent leur dernier camarade endormi et attendirent qu’il soit prêt pour descendre prendre leur dernier petit déjeuner de l’année.
Le réfectoire était calme. Tous parlaient à voix basse, fatigués par la courte nuit qu’ils avaient passée.
Le groupe d’amis se retrouva un peu avant dix heures dans le hall de l’école, entouré de l’ensemble de la classe. Aucune autre classe ne formait un ensemble si soudé. Les élèves des autres niveaux passaient et discutaient en petits groupes.
L’heure arriva. Les élèves furent libérés sous les yeux de l’équipe pédagogique qui veillait jusqu’aux derniers instants. Paul salua ses amis et termina par Antoine :
– Bonne vacances. J’espère que ça ira. On s’envoie des messages !
Antoine sourit :
– T’inquiète-pas pour moi, ça ira. On se reparle bientôt par SMS de toutes manières !
Paul sortit. Sur le parking, il croisa les parents d’Antoine qu’il salua. Ils lui répondirent par un sourire peu franc. Paul retrouva ses parents, heureux de le revoir et ravis pour ses résultats au baccalauréat, qu’ils avaient reçus la veille.
Frank chargea la valise de Paul dans le coffre :
– Tu sais si Thomas est là ?
– Oui, je pense qu’il est dans le hall.
– Bon, je ne vais pas le déranger.
Paul assura :
– Je pense que ça ne pose pas de problème.
Frank réfléchit mais, alors qu’il allait prendre la décision de tourner les talons, le responsable des études de son fils sortit du bâtiment et se dirigea vers lui. Frank salua Thomas. Ils échangèrent quelques mots avant que le directeur des études ne s’en aille vers d’autres parents.
Paul monta dans la voiture.
Le jeune espion se sentait fatigué mais ne dormit pas, répondant aux nombreuses questions de sa mère sur son année et, déjà, sur l’année à suivre. Paul fit l’effort de répondre au mieux.
Arrivé chez lui, il rangea ses affaires, prit une douche et s’assit sur la chaise de son bureau. Il ne savait pas encore ce qu’il allait faire. D’habitude, il aurait appelé Louis mais il avait quitté le campus avec Noémie et Paul n’avait aucune envie de prendre de ses nouvelles.
Il alluma son ordinateur et lança un jeu comme par réflexe.
Le jeune espion regarda par la fenêtre. Il se doutait que son ennui serait de courte durée, il avait toujours su s’occuper. D’ailleurs, sa mère l’appelait déjà pour le déjeuner.
Paul pensa une dernière fois au campus, aux cours, à ses professeurs et à ses amis. Il soupira, se leva et rejoignit ses parents. Cette fois, l’année scolaire était bien terminée.