L'Histoire

Sur le campus de l’Aigle, le baccalauréat derrière lui, Paul peut maintenant se concentrer sur ses études d’espionnage.
Entre les tests grandeur nature réservés par ses professeurs et la vie avec ses amis, Paul s’apprête à passer une année des plus chargées, sans compter son départ imprévu pour le Québec pour faire face à IceMan, un chef d’entreprise peu scrupuleux et qui souhaite déstabiliser les gouvernements et personnalités politiques de nombreux pays du monde.
Mais cette quatrième année sur le campus marquera aussi pour Paul une période éprouvante et de nombreuses nouvelles vont changer son quotidien.
Cette avant-dernière année charnière pourrait bien changer son avenir au sein des forces du renseignement.

IceMan

– Paul ! Tu devrais venir ! Ça fait vraiment du bien !

Le jeune espion regarda Antoine se débattre dans l’eau chlorée, rosie par le soleil couchant. L’air se rafraichissait. Le jeune espion répondit en souriant :

– Désolé, pas ce soir, il fait trop froid !

Antoine tenta de le convaincre :

– Tu rigoles ? Il fait bon et l’eau et à la même température que l’air !

Damien, qui regardait la scène, prit la défense de Paul :

– Pourquoi tu ne sors pas, toi ? Tu es toujours dans l’eau. On pourrait faire un jeu !

Antoine se défendit :

 – Vous pourriez profiter un peu ! Dans deux semaines on sera en cours, on aura largement le temps d’en faire, des jeux !

Paul n’avait pas envie de penser à la rentrée qui approchait. Il était bien, avec ses deux amis, dans cette grande maison. Leur troisième année sur le campus avait été bien remplie et celle qui arrivait leur réservait un programme au moins aussi chargé.

Deux semaines plus tôt, Damien avait envoyé un message à Paul, Antoine et Arthur pour leur proposer de partir en vacances ensemble. Lucy devait partir trois semaines en Espagne et son compagnon avait peur de s’ennuyer. Arthur avait répondu qu’il partait en Grèce avec ses parents et qu’il ne fallait donc pas compter sur lui. Paul, lui, tout comme Antoine, avait été ravi de cette proposition qu’il avait acceptée sans attendre. Il était déjà parti en juillet avec ses parents et avait été entièrement disponible pour cette escapade entre amis.

Damien avait tout organisé. S’il appréciait son oncle et sa tante, sa véritable famille était celle qu’il s’était constituée sur le campus de l’Aigle, avec Paul, Antoine, Arthur et Lucy avec qui il semblait toujours filer le parfait amour.

Lucy avait tout de même jalousé son petit ami, elle aurait préféré être avec eux dans cette grande villa, dans un petit village au nord de Perpignan, dans le sud de la France.

Pour Antoine, ce moment loin de chez lui était une occasion pour se ressourcer. La situation avec ses parents était compliquée depuis qu’il leur avait annoncé être en couple avec Anselme.

Paul avait rencontré les parents d’Antoine, une fois, à Paris, et avait bien senti qu’ils ne plaçaient pas leur confiance en leur fils. Lorsque ce dernier leur avait parlé de son homosexualité, la situation ne s’était pas arrangée. Bien sûr, Antoine n’avait pas voulu entrer en conflit avec ses parents et faisait en sorte de ne pas se fâcher avec eux, mais leur relation s’était distendue et ils ne se parlaient que très peu. Lorsque Damien avait proposé deux semaines de vacances, Antoine n’avait pas hésité une seconde, ne laissant pas le choix à ses parents. Son seul regret fut qu’Anselme, son petit ami, n’ait pas pu venir étant pendant toutes les vacances aux Etats-Unis, dans sa famille.

Pour Paul, la situation avait été plus simple. Lorsqu’il avait demandé à ses parents s’il pouvait envisager de partir en vacances avec ses amis, ils avaient accepté avec joie et l’avaient même encouragé.

Paul n’avait pas proposé à son ami Louis de venir. Malheureusement, ils ne s’étaient plus parlé depuis plusieurs mois. Louis était entièrement sous l’influence de Noémie qui l’empêchait de voir d’autres personnes. Le couple avait quitté le campus ensemble en fin d’année et Paul n’avait eu aucune nouvelle.

Paul se leva de son transat et regarda la belle bâtisse. Il n’y avait que le bruit d’Antoine qui nageait dans la piscine. Il pouvait y passer des heures. 

Il regarda sa montre, il était vingt-et-une heure. Il demanda à Damien qui jouait sur son téléphone :

– On fait quoi demain ?

Damien releva la tête :

– Je ne sais pas, tu as une idée ?

– On pourrait sortir un peu !

– On a le temps.

Paul et Damien, malgré leur grande amitié, avaient des caractères bien différent. Arrivés deux jours plus tôt, Paul avait en tête de visiter autant que possible la région. Damien, lui, préférait passer ses journées dans la villa à profiter du calme avant l’année à venir.

Paul insista :

– Si on se dit ça chaque jour, on n’aura pas fait grand-chose avant de rentrer.

Damien haussa les épaules :

– Ce n’est pas très grave, on profite !

Paul abdiqua :

– Bon, très bien, j’irai seul.

Antoine sortit de la piscine et s’approcha de ses amis :

– Vous parliez de quoi ?

Damien répondit d’un air las :

– Paul veut visiter la région.

– Maintenant ?

– Non, pendant les vacances.

Antoine regarda Paul puis répondit à Damien :

– Et toi tu n’as pas envie ?

Paul coupa la discussion :

– Ce n’est pas grave, je me débrouillerai.

Antoine se retourna vers lui :

– On ira ensemble.

Paul sourit. Cela lui fit plaisir que son ami prenne sa défense :

– Parfait. Je vais aller voir ce qu’on a pour dîner.

Les trois garçons avaient fait les courses la veille. Les menus n’étaient pas très élaborés mais suffisants. Paul prépara des tagliatelles dans lesquelles il versa de la sauce bolognaise en bocal.

Ils mangèrent tous trois avec appétit puis, Antoine résista à son envie de piscine pour jouer et discuter avec ses amis jusqu’à une heure du matin, heure à laquelle chacun retrouva sa chambre.

Damien se plia finalement et suivit ses amis les jours suivants, non sans résister lorsqu’il s’agissait de marcher un peu plus que d’ordinaire. Parfois, il restait dans leur maison de vacance, laissant les deux camarades en virée. Paul appréciait la campagne du sud de la France. C’était aussi le cas d’Antoine qui, de toutes manières, préférait être partout sauf chez lui.

Pendant deux semaines, les trois espions n’eurent pas le temps de s’ennuyer et, surtout, étaient parfaitement reposés pour entamer leur année scolaire.

Ils rentraient le vendredi soir, deux jours avant leur retour sur le campus.

Le jeudi soir, alors que Damien s’était éclipsé, Antoine s’adressa à Paul :

– Je voulais te demander… Tu crois que je pourrais venir chez toi ce weekend ?

Paul s’assura d’avoir bien compris :

– Tu veux dire rentrer avec moi demain et qu’on aille ensemble sur le campus ?

– Oui… J’ai pas vraiment envie de retourner chez moi.

Paul prit quelques secondes de réflexion :

– Si tu veux, tu es toujours le bienvenu, mais tu devrais peut-être avoir une discussion avec tes parents… C’est dommage de ne pas se parler, et tu vas être absent au moins un mois et demi.

Antoine répondit froidement :

– Mes parents ne m’aiment pas, c’est comme ça, il y a parfois des choses qu’il ne faut pas forcer.

– Désolé, je me mêle de ce qui ne me regarde pas, ça m’attriste juste un peu de te voir dans cette situation.

– C’est comme ça, tu ne peux pas comprendre, toi tes parents sont différents.

– Sans doute.

Damien revint ce qui coupa court à la discussion des deux amis. Paul envoya un message à sa mère :

Maman, est-ce qu’Antoine peut venir avec moi ce weekend ?

Sa mère répondit rapidement :

Oui si tu veux mais il ne rentre pas chez lui ?

Paul montra la réponse reçue à Antoine qui retrouva le sourire. Le jeune espion répondit ensuite :

C’est compliqué avec ses parents. Je t’expliquerai.“.

Le lendemain, Antoine et Paul arrivèrent à Paris. Les parents de Paul étaient venus les chercher. Ils étaient ravis de revoir Antoine. Le soir, pendant le dîner, Frank, le père de Paul, demanda au camarade de son fils :

– Alors Antoine, tu ne voulais pas rentrer chez toi ?

L’adolescent eut l’air gêné par cette question :

– C’est un peu compliqué en ce moment avec mes parents… On n’est pas vraiment pareils.

– Je suis sûr qu’ils tiennent à toi. Tu les as prévenus au moins ?

– Oui, ils savent que je suis là, je crois que maintenant, ils se fichent pas mal de ce que je peux faire.

Frank réfléchit avant de prononcer :

– J’espère que tu te trompes. Je ne veux pas trop m’immiscer dans ta situation mais je suis sûr qu’ils en souffrent autant que toi.

Antoine murmura :

– Ça ne se voit pas vraiment…

Frank préféra conclure la discussion :

– Ne t’en fais pas, tu es le bienvenu ici et nous sommes vraiment contents de t’accueillir.

Le sourire du lycéen fut plus franc et la discussion évolua vers d’autres sujets plus légers. Le lendemain, Paul et Antoine ne sortirent pas, préférant profiter d’une dernière journée de calme avant leur retour sur le campus.

Cette année, la rentrée de Paul se passait à quatorze heures.

Paul et Antoine arrivèrent ensemble, accompagnés par Frank et Maude. Les deux garçons traversèrent le bâtiment d’accueil après avoir déposé leur valise dans la pièce prévue à cet effet.

Dans la cour, ils retrouvèrent Damien et Lucy qui les accueillirent, puis ils furent rejoints par Arthur quelques minutes plus tard.

Ils n’eurent que peu de temps pour échanger sur leurs vacances avant d’être invités à rejoindre l’auditorium Victor Hugo pour la cérémonie habituelle de rentrée.

Lorsque tous les élèves furent en place, le directeur, Samuel Guyot, entra sur la scène, suivi du responsable des études Thomas Duchesne qui continuait à suivre Paul et se camarades de classe, depuis leur première année sur le campus.

Le directeur accueilli les élèves sans entrer dans les détails de leur année. Il laissa ce sujet au responsable des études qui, de sa voix calme habituelle, prit la parole :

– Bonjour à tous. Quel plaisir de vous retrouver ! Vous avez l’air en forme et reposés, du moins je vous le souhaite. Soyez les bienvenus dans les études dites supérieures. Vous avez tous brillé lors de votre baccalauréat et avez mérité de passer en quatrième année. Cependant, ce serait une erreur de penser que vous êtes tiré d’affaire et que vous pouvez relâcher la pression. Je ne vous présenterai pas vos cours maintenant, vous les découvrirez dans une certaine mesure lorsque vous ouvrirez votre traditionnel dossier de rentrée dans lequel votre emploi du temps est placé. Je sais que certains vont retrouver dans leur classe des camarades qui n’avaient pas les mêmes cours qu’eux l’an passé. Maintenant, plus de ES ou de S, mais une classe unique. Je vous sais très soudés et je vous souhaite de continuer sur cette dynamique. Je me bornerai à rappeler cependant que l’harmonie bruyante se fait en dehors des salles de classes. Vos professeurs comptent sur vous pour être plus silencieux que l’an passé.

Paul n’écoutait déjà plus. Il se laissa bercer par ses pensées, les yeux dans le vague, jusqu’à la fin du discours.

Les élèves de quatrième année, une fois la présentation terminée, sortirent de l’auditorium. Comme à l’accoutumée, une table avait été disposée avec les dossiers des élèves de la classe de Paul. Seule différence, personne n’était présent pour leur donner. Cette fois, ils se débrouillaient pour les retrouver, ce qui ne fut pas d’une grande complexité.

Paul regarda l’étiquette collée sur son dossier bleu et qui portait son nom. C’était le numéro juste en dessous de son état civil qui l’intéressait, son numéro de chambre. 5225.

Il regarda ses amis. Arthur annonça :

– 5212 !

Damien réagit :

– Moi aussi !

Paul se demandait s’il allait se retrouver avec l’un de ses amis, bien qu’il apprécie l’ensemble des élèves de sa classe. Antoine demanda avec une pointe d’inquiétude :

– Paul, tu es dans la 5225 ?

Le jeune espion acquiesça. Son ami sembla plus détendu :

– On sera dans la même chambre ! J’espère que tu n’en as pas assez de me voir, c’est la troisième année de suite quand même !

Paul s’amusa :

– Je vais devoir m’y faire, sans compter les suppléments à la maison !

Ethan passa derrière eux et intervint :

– J’ai entendu 5225 ?

Antoine se retourna vers son camarade :

– Oui pourquoi ?

– Il semblerait qu’on se retrouve tous les trois alors !

Paul appréciait Ethan, qui faisait partie des meilleurs élèves de sa classe. Il aurait préféré se retrouver dans la même chambre que Damien ou Arthur, mais c’était un moindre mal.

Damien intervint :

– Ho non…

Paul s’inquiéta :

– Qu’est-ce qu’il t’arrive ?

– Tu te souviens notre test de l’année dernière ? On avait commencé par groupe de chambrée, si on a une épreuve similaire cette année vous allez nous écraser !

– Mais non, et puis Arthur et toi vous êtes aussi très bons. Il suffit que vous ayez Aymeric et vous êtes aussi forts que nous.

– Mouais… On verra ça.

Les étudiants remontèrent et se dirigèrent vers le bâtiment cinq. Ils déposèrent leurs affaires dans leur chambre.

Damien et Arthur partageaient la leur avec Yanis, un camarade discret mais qui s’était avéré être un redoutable tireur d’élite lors du test grandeur nature auquel la classe de Paul avait participé l’année précédente.

Paul, Antoine et Ethan découvrirent leur emploi du temps. Leur première remarque fût qu’il était moins dense que l’année précédente. Cependant, d’autres aspects semblaient moins sympathiques.

Le réveil se faisait à sept heures et le petit déjeuner leur était servi jusqu’à huit heures, heure à laquelle chaque jour, ils avaient une heure de réveil musculaire. Le lundi, le mercredi et le jeudi, il s’en suivait deux heures de sport, de musculation ou de natation. Le mardi et le vendredi, ils avaient aussi deux heures de sport collectif ou d’endurance mais plus tard dans la journée. Le mercredi après-midi, deux heures étaient consacrées aux arts martiaux ou aux techniques de self-défense.

Les cours théoriques avaient pour certains des intitulés alléchants. Ainsi, les élèves de quatrième année allaient découvrir, en plus de la géopolitique, de l’histoire de l’espionnage et de l’indépendance, déjà aux programmes l’an passé, des matières comme les relations internationales, le droit pénal, les défis de sécurité nationale, l’intelligence et l’analyse stratégique, l’armement, l’aide à la décision, la sécurité intérieure, les technologies de la défense ou les sciences de la criminalité.

Leur pause déjeuner était chaque jour entre treize et quatorze heures et le dîner entre vingt et vingt-et-une heure, comme l’an passé.

Le weekend, en dehors des deux heures d’études le samedi matin, ils étaient entièrement libres.

Après avoir rangé ses affaires et discuté de ce programme, un peu avant seize heure, Paul s’excusa auprès de ses camarades de chambre :

– Je vous laisse, je ressors.

Antoine s’étonna :

– Tu ne veux pas nous attendre ?

– Non, ne vous inquiétez pas, je vous retrouverai.

– Bien, comme tu veux. Bonne balade !

Paul répondit en souriant :

– Merci. A tout à l’heure.

Paul sortit de sa chambre et descendit les deux étages. Il retrouva la cour centrale. Quelques élèves qui entraient en deuxième année étaient déjà présents et discutaient. Paul aperçut Nathan, le cousin de Mike, l’élève qui l’avait accueilli en première année. Nathan discutait avec des amis, Paul préféra ne pas le déranger.

Soudain, un des élèves de deuxième année s’approcha. Paul le reconnut, c’était lui qu’il était venu voir. Le plus jeune tendit la main que Paul saisit :

– Salut Axel, tu as passé de bonnes vacances ?

– Oui, très. Et toi ?

– Oui. Justement c’est toi que je venais voir.

– Ah bon ?

Paul sourit :

– Je voulais m’assurer que tu sois bien là à la rentrée et te souhaiter bon courage. Tu vas en quelle section ?

– En scientifique. C’est celle que tu avais faite, non ?      

– Oui.

– J’espère toujours être meilleur que toi, tu sais ?

– Je te le souhaite !

– Mouais, je sais que c’est pas possible.

– Mais si, tu verras.

– Et toi, ton année alors ?

– L’emploi du temps est pas mal, mais je pense qu’on va avoir du boulot.

– Ah… Nous aussi je crois.

– Oui, tu verras, c’est chargé mais ça vaut le coup.

Les élèves de deuxième année furent appelés à rejoindre l’auditorium pour leur rentrée. Paul salua Axel et retourna dans sa chambre.

Paul rattrapa la discussion qu’avaient Antoine et Ethan sur leur année à venir. Un petit quart d’heure avant l’heure de rentrée des élèves de troisième année, Antoine voulut quitter la chambre pour retrouver Anselme. Paul décida de l’accompagner, laissant Ethan rejoindre d’autres camarades.

Ils arrivèrent près de la cour centrale. Anselme arriva et les retrouva rapidement. Ils échangèrent quelques mots. Paul aperçut de l’autre côté son ami Louis. Malgré la distance, ils échangèrent un regard. L’élève qui entrait en troisième année tourna la tête, faisant comme s’il n’avait pas vu celui qui, un an auparavant, avait été son meilleur ami. Noémie arriva. Louis semblait déjà avoir oublié Paul.

Anselme rejoignit l’auditorium. Antoine et Paul allèrent trouver leurs amis Lucy, Arthur et Damien pour descendre au foyer.

Leurs réflexes étaient revenus, l’année pouvait débuter. 

Paul commença l’année avec un faux rythme. Il avait moins d’heures de cours que l’an passé ce qui lui donnait l’impression d’avoir moins de travail. Pourtant, les nouvelles matières demandaient une concentration et une application supplémentaire pour en comprendre les enjeux. Le programme des matières qu’il avait eu les années précédentes, comme l’histoire de l’espionnage, continuaient à le passionner. Il appréciait aussi particulièrement les cours d’analyse stratégique. Cependant, il avait plus de mal à se faire au cours d’armement, un cours très théorique sur les différents outils qui seront mis à leur disposition lors de leurs éventuelles missions des années à venir.

Les différents cours formaient un ensemble leur permettant de se familiariser avec la plupart des métiers de la défense et en particulier de l’Aigle, de l’agent de terrain jusqu’au coordinateur général de mission, en passant par les agents de renseignements.

Après un mois de cours, chacun des amis de Paul avait son domaine de prédilection. Ainsi, Antoine, en plus du sport, était particulièrement attentif aux cours d’armements et de sciences de la criminalité, tandis qu’Arthur ou Lucy préféraient ceux de stratégie ou de décision. On pouvait déjà imaginer ceux qui, dans la classe, rejoindraient les équipes de terrain et ceux qui préféreraient les postes d’agents dans les bureaux.

Thomas Duchesne croisait souvent les élèves de quatrième année dans la cour ou dans les différents bâtiments. Au début du mois d’octobre, il interrompit le cours de géopolitique. Salué par les élèves qui se levèrent à son entrée, il les remercia et leur permis de s’asseoir avant d’annoncer :

– Bonjour à tous. Je ne perturberai pas longtemps votre cours. Je souhaitais vous annoncer que, demain, vos cours seront annulés.

Les élèves de la classe de Paul se regardèrent étonnés. Jamais ils n’avaient eu une journée sans cours pendant leurs trois premières années et certains s’imaginaient déjà avoir un dimanche au beau milieu de la semaine.

Le responsable des études reprit :

– Cependant, je vous attendrai à huit heures précises dans le hall. Nous nous rendrons en bus à Paris pour une visite des locaux de l’Aigle afin que vous découvriez les différents services existants. Vous avez commencé à les étudier par la théorie, ce sera donc un moyen de visualiser plus précisément les possibilités de carrières auxquelles nous vous formons.

Thomas Duchesne marqua une pause, comme s’il voulait s’assurer que tous les élèves devant lui avaient bien intégré ce qu’il leur avait annoncé. Puis il termina :

– Je vous retrouve donc demain matin. Bonne journée à vous.

Le responsable des études sortit, le cours reprit.

L’autocar se stationna sur le parking vide, devant l’entrée du bâtiment d’accueil de l’Aigle.

Tous les élèves étaient arrivés à l’heure. Pour des raisons de sécurité, il leur avait été demandé de ne pas prendre de sac, simplement le strict nécessaire et une pièce d’identité.

Un à un, les élèves de quatrième année montèrent dans le bus. Paul, entouré par ses amis, laissa Lucy et Damien embarquer avant lui puis posa le pied sur la première marche. Il arriva en haut et chercha une place du regard lorsqu’il entendit :

– Salut Paul !

Paul se retourna vers la première banquette et afficha immédiatement un large sourire. Il n’avait pas vu Mike depuis que ce dernier avait terminé ses études, lorsque Paul était en deuxième année. Il le salua à son tour :

– Salut Mike ! Qu’est-ce-que tu fais là ?

– Thomas m’a appelé pour me prévenir que vous alliez visiter les locaux de l’Aigle aujourd’hui et m’a proposé de vous accompagner. J’ai tout de suite accepté ! Et toi, comment vas-tu ?

– Bien, comme d’habitude !

– Assieds-toi, je t’en prie.

Paul regarda la main de Mike qui désignait la place à côté de lui, sur la première banquette. Paul s’assura :

– Ce n’est pas la place de Thomas ?

– Non, tu peux y aller.

Paul regarda ses amis. Il les voyait assez et pouvait bien passer un trajet sans eux. Il s’assit à côté de Mike qui demanda :

– Comment ça s’est passé l’année dernière ? Si tu es là, j’imagine qu’elle a été bonne.

Le jeune espion repensa à sa troisième année, l’épreuve de l’Aigle en forêt puis sa mission dans les Alpes où il avait failli y rester :

– Oui, elle s’est bien passée, même si c’est moins animé depuis que tu es parti.

– C’est à vous de faire en sorte de prendre le relai. Il y a quand même du monde au foyer pour s’en occuper ?

– Des cinquième année surtout. Quand il n’y a personne, on se sert.

– C’est dommage. Surtout que j’ai cru comprendre que votre classe était particulièrement soudée.

Thomas Duchesne passa devant eux :

– Ça pour être soudés… On ne peut pas dire le contraire !

Paul sourit timidement et répondit à Mike :

– Oui, on a une bonne ambiance, c’est vrai. Surtout grâce au test de l’année dernière.

Mike sembla surpris :

– Le test ?

Paul se souvint que sa classe avait été la première à participer à cette épreuve. Il l’expliqua à Mike, aidé par son responsable des études qui avait pris place sur la banquette à côté d’eux.

Après avoir longuement parlé de ce test grandeur nature, Paul demanda à son voisin :

– Et toi ? Qu’est-ce-que tu fais depuis que tu n’es plus à l’Aigle ?

Mike sourit :

– Je suis toujours à l’Aigle, là où nous allons aujourd’hui. Pour le moment, je m’occupe d’aider les coordinateurs de missions pour guider les agents sur le terrain. Tu sais, après tes études, pendant cinq ans tu ne peux pas rejoindre les services de la DGSE ou de la DGSI, mais tu peux partir en mission avec l’Aigle, souvent en soutien. Ce sont ces agents-là dont je m’occupe. C’est amusant, j’ai participé à la mission d’élèves de ma classe. Sinon, je suis aussi administrateur des anciens élèves.

Thomas intervint :

– Et tu pourrais peut-être revenir sur le campus dans quelques temps…

Mike se reprit :

– Oui, peut-être que dans quelques temps, je reviendrais sur le campus pour aider un responsable des études ou découvrir un peu ce métier. Je n’ai pas encore assez d’expérience, mais j’aimerai beaucoup m’impliquer sur le campus.

Paul pensa que son ami ferait un très bon responsable des études. Il regarda Thomas, à peine plus âgé. Il se demanda comment il avait pu si rapidement obtenir ce poste. Comme s’il avait lu dans ses pensées, le directeur des études des élèves de quatrième année intervint :

– J’ai pu prendre ce poste très jeune, Mike, tu devrais pouvoir y arriver. Il faut surtout travailler pour.

– Et qu’un poste se libère…

– Oui, mais ça ne devrait pas tarder !

Paul demanda :

– Ha bon ? Quelqu’un va partir ?

Thomas sourit :

– Oui, un des responsables d’étude va nous quitter… Mais ce n’est pas vraiment sa décision. Le conseil a estimé qu’il n’était pas tout à fait en accord avec notre philosophie pour s’occuper des élèves. Ça n’enlève rien à ses autres qualités bien entendu.

Paul demanda :

– Maillard ?

Maillard était la responsable des études des élèves de troisième année. Si elle était sérieuse, elle était aussi stricte et semblait ne pas porter une grande attention à ses élèves. Paul espérait que ce serait elle mais Thomas lui répondit :

– Je ne peux rien dire pour le moment. Ça pourrait très bien être moi également.

Le jeune espion dévisagea son interlocuteur. Impossible que ce soit lui, on ne pouvait pas faire meilleur responsable des études selon Paul. Il répondit en souriant ironiquement :

– Bien sûr.

Paul comprit au visage souriant de son responsable des études que ce ne serait pas lui qui partirait dans les prochaines années.

Le bus s’engagea dans Paris. La circulation était difficile et les étudiants, comme leurs deux accompagnants, durent prendre leur mal en patience.

Ils arrivèrent à dix heures devant un bel hôtel particulier du centre parisien.

Les élèves sortirent du bus un à un. Paul reconnut le bâtiment. C’est celui dans lequel il avait vu son père rentrer et là où il avait croisé Thomas Duchesne quelques années plus tôt.

Paul et ses camarades furent priés de préparer leur pièce d’identité et de s’approcher des grilles menant à la cour principale.

Chacun passa par un portique de sécurité. Ils présentèrent ensuite leur passeport ou carte d’identité à un agent de sécurité qui vérifia systématiquement sur son ordinateur l’identité des étudiants. Il leur tendait ensuite un badge et gardait la pièce d’identité. 

Lorsque Paul présenta la sienne, l’agent le dévisagea puis entra un numéro sur son clavier. Il attendit quelques secondes puis, tout en regardant le jeune espion avec insistance, lui tint un badge.

Mike, qui avait vu la scène, s’approcha de l’étudiant :

– Pas toujours facile de porter un nom reconnu…

Paul haussa les épaules. Il s’habituait à sa condition. L’important pour lui était que ça ne lui porte pas préjudice.

Guidés par leur responsable des études et par Mike, le groupe d’élève entra dans le hall où deux personnes, assises derrière un comptoir, semblaient les attendre.

Une jeune femme se leva et s’approcha d’eux. Elle serra la main de Thomas Duchesne puis de Mike et s’adressa au groupe :

– Bienvenue au siège de l’Aigle. C’est peut-être ici que certains d’entre vous auront la chance de travailler après les études.

Paul regarda ses camarades. Il réalisa que, si Sacha, l’espion américain qui avait intégré leur classe en deuxième année était encore là, cette visite aurait été une grande source d’information pour les services pour lesquels il travaillait. Il chassa cette pensée. Il était parti depuis plus d’un an et il valait mieux ne plus y penser.

La jeune femme qui avait accueilli les étudiants en espionnage leur présenta dans un premier temps les différents services de l’Aigle.

La Direction Générale des Service de l’Aigle (DGSA) coordonnait l’ensemble des services, au nombre de quatre.

Le premier, appelé la Division de Liaison Interservices, ou DLI, était le point d’échange entre l’Aigle et les autres services de renseignements français. Leur rôle était de répondre aux demandes de ces services pour collaborer et, si nécessaire, demander à des agents de l’Aigle de participer aux éventuelles missions.

Le deuxième était le Service Général des Renseignements (SGR). Son rôle était de surveiller et d’obtenir des informations à travers le monde sur de possibles menaces pour la France après en avoir eu connaissance par la Division de Liaison Interservices.

La Direction des Ressources de l’Aigle (DRA) avait la charge du choix de l’espion qui intégrerait une mission. C’est aussi ce service qui inventait les nouvelles identités et suivait les agents en cours de mission. Paul comprit que c’était eux qui avaient demandé qu’il soit envoyé sur les deux missions qu’il avait effectuées avec son responsable des études.

Le Centre de Recherche pour l’Equipement des Agents (CREA), avait pour mission d’élaborer les accessoires des agents de terrain et d’équiper les autres services en assurant leur sécurité.

La visite commença par la DLI. Un grand bureau avec cinq agents, ayant chacun un téléphone et un ordinateur, qui prenaient en temps réel l’information des différents services français. Parfois, un téléphone sonnait pour une demande expresse d’un coordinateur de la DGSI ou de la DGSE, deux autres services de renseignement français.

Les étudiants furent ensuite conduits à la SGR. Le service était bien plus impressionnant que le précédent. Trois salles étaient nécessaires pour que la quinzaine de personnes y travaillant approfondissent les recherches des autres services. C’était eux qui étaient chargés d’avoir toutes les informations nécessaires avant d’estimer la nécessité d’envoyer un agent de l’Aigle en mission.

Après la visite de ces deux services, c’est la cantine que Paul et ses camarades découvrirent. Un self classique dans lequel la plupart d’entre eux mangèrent du poulet rôti avec des frites. Certains agents les saluaient en passant et certains commentaient :

– Merci d’être venus ! On ne mange pas aussi bien d’habitude !

L’accueil des employés de l’Aigle vis-à-vis des étudiant était toujours chaleureux. Dans chacun des services, le directeur ou l’adjoint prenait le temps de présenter les activités de leur équipe. 

Après cette pause, les jeunes étudiants de l’Aigle découvrirent le CREA. Les agents qui y travaillaient bénéficiaient de grands laboratoires. Si certains configuraient les Smartphones ou ordinateurs des autres services, d’autres étudiaient les possibilités de modifier un objet du quotidien pour les mettre au service des agents de terrain. Paul repensa aux différents outils qu’il avait eu pendant ses missions. C’était ici qu’ils étaient conçus et testés.

La journée se termina à la DRA, chargée du choix et du suivi des agents de terrain. C’était le service dans lequel Mike travaillait. C’est donc lui qui entra en premier.

Ce service était divisé en quatre pièces, toutes vitrées.

Deux salles de taille moyenne dans laquelle une dizaine d’agents travaillaient, une deuxième, plus grande, qui semblait servir pour les réunions et une quatrième, plus petite, composée de deux bureaux. L’un était vide, c’était la place de Mike qui assistait en temps normal l’autre personne, assise derrière son bureau et que Paul connaissait bien, Frank Osinski, son père.

Les élèves de la classe de Paul n’eurent pas besoin de beaucoup de temps pour déchiffrer le nom de famille de Paul sur la porte d’entrée. Ethan demanda :

– Paul, c’est de ta famille le directeur du service ?

Paul répondit honnêtement :

– Oui, c’est mon père…

Le jeune espion put lire une forme d’admiration dans les yeux de son camarade.

C’est à cet instant que Frank se leva et sortit de son bureau pour accueillir les étudiants :

– Bienvenue à tous. Je suis ravi d’accueillir ceux qui nous remplaceront dans quelques années !

Paul avait toujours su reconnaitre les talents d’orateur de son père. Il captait l’attention des étudiants :

– Je suis Frank Osinski, le directeur de la DRA, la Direction des Ressources de l’Aigle.

Paul ne put s’empêcher de remarquer les regards de ses camarades lorsqu’ils entendirent son nom. Frank poursuivit sa présentation :

– Ici, nous assurons le suivi des espions sur le terrain.

Frank désigna la première pièce :

– Les six personnes que vous voyez ici ont deux missions. La première est de choisir quel agent est le plus apte et le plus à-même de partir pour chacune des missions.

Paul regarda le groupe d’agents. C’était donc eux qui l’avaient envoyé en mission à deux reprises. Il entendit son père continuer :

– Leur seconde charge est de préparer les agents et les missions avec la CREA et la SGR. S’il y a besoin de changer des informations sur une identité, par exemple, ce sont eux qui s’assureront que tout soit fait de manière optimale.

Frank se tourna vers la seconde salle :

– Ici, nous suivons en permanence nos agents de terrain. Nous les suivons à la fois grâce à des dispositifs dont ils sont équipés, mais aussi parfois par mail ou par téléphone.

Paul les observa. Les six agents semblaient tous particulièrement affairés. Il se demanda si, parmi eux, celui qui s’était fait appeler “papa” au téléphone lors de sa première mission avec Thomas était présent.

Frank termina son propos en demandant si l’un des élèves avait des questions. De nombreuses furent posées. Paul avait peur que l’un de ses camarades demande à son père si un lien de parenté existait entre Paul et lui. Ce ne fut pas le cas.

Après la visite de ce dernier service, les étudiants de quatrième année se regroupèrent dans la cour, devant le bâtiment. Ils discutèrent avec Thomas de leur visite.

C’est aussi à ce moment que quelques élèves redemandèrent à Paul s’il connaissait le chef du service de la DRA. Paul acquiesça mais préféra couper court à toute tentative de discussion.

Un par un, les élèves rendirent leur badge et récupérèrent leur pièce d’identité à la guérite de sécurité.

Ils montèrent ensuite dans le bus qui arriva rapidement.

Paul s’approcha de Mike :

– Tu n’es pas resté ?

– Non, je vous accompagne, alors je fais aussi le retour. Je repartirais du campus demain matin, Thomas m’a trouvé une chambre de disponible sur le campus.

Paul sourit à son ami et retrouva sa place, à côté d’Arthur.

Les élèves de l’Aigle avaient beaucoup appris par cette visite des différents services. Tous avaient dans l’idée de rejoindre l’un d’eux après leurs études. C’était d’ailleurs exactement le but recherché, tout comme les différents cours qu’ils avaient pendant l’année.

Les premières vacances de l’année scolaire arrivèrent rapidement. Elles surprirent les élèves qui, passionnés par leurs cours, n’avaient pas vu les semaines passer.

Le samedi matin, après son petit déjeuner et avant de quitter le campus, Paul retrouva sa chambre. Antoine était assis sur son lit. Paul s’inquiéta :

– Ça va ?

Son camarade répondit d’une voix lasse :

– Je ne sais pas si mes parents seront là. Je vais peut-être rester sur le campus.

Paul s’assit aux côtés d’Antoine :

– Va quand même voir et prend tes affaires… Si jamais il n’y a personne, tu pourras toujours venir chez moi.

Antoine releva la tête :

– C’est vrai ? Je viens souvent chez toi, ça va déranger tes parents…

– Mais non, ne t’inquiètes pas. De toutes manières, tu seras peut-être attendu.

– Mouais, je crois que c’est mort maintenant.

Paul ne répondit pas. Il se releva, imité par son camarade de chambre.

Ethan les salua avant de sortir. Antoine soupira puis suivit Paul à l’extérieur.

Ils retrouvèrent Arthur, Damien, Lucy et Anselme dans la cour. Ils prirent le temps de se souhaiter de bonnes vacances tout en regagnant le hall d’accueil. Là, ils se séparèrent.

Paul et Antoine passèrent ensemble la porte d’entrée. Ils remarquèrent rapidement Frank et Maude, les parents de Paul, à côté de leur voiture. Paul se tourna vers Antoine :

– Tu vois, quelqu’un est venu !

– Comment ça ?

Paul désigna d’un signe de tête le bout du parking. Les parents d’Antoine semblaient en pleine discussion avec Thomas Duchesne. La discussion semblait sereine et chacun était souriant. Paul demanda à Antoine :

– Ça va aller ?

– Oui, je pense… Tu veux m’accompagner ?

– Ça te ferai plaisir ?

Antoine hocha la tête.

Les deux étudiants passèrent devant les parents de Paul. Ils les saluèrent et Paul les prévint qu’il revenait dans quelques minutes.

Les parents d’Antoine les virent arriver. C’est sa mère qui les salua en souriant :

– Bonjour les garçons ! Comment ça s’est passé ce début d’année ?

Paul laissa son ami répondre :

– Bien, ça va.

Le père d’Antoine reprit :

– Antoine, ton responsable des études était justement en train de nous parler de tes bons résultats. C’est très bien.

La mère ajouta :

– Oui, nous sommes fiers de toi. On y va ? Je pense que Paul doit lui aussi rejoindre ses parents. Nous avons discuté avec eux juste avant. Paul, tu as des parents vraiment gentils.

Le jeune espion répondit :

– Merci.

Antoine tendit la main à Paul avec un air étonné. La soudaine gentillesse de ses parents était surprenante. Paul serra la main de son ami.

La mère d’Antoine salua à son tour Paul :

– A bientôt Paul, nous sommes très contents de te connaitre. Bonnes vacances à toi !

Le jeune espion hésita :

– Merci… Vous aussi.

Antoine et ses parents montèrent en voiture et s’éloignèrent. Paul se tourna vers Thomas :

– Ils sont bizarres.

Thomas répondit :

– Je les trouve sympathiques.

– La dernière fois ils étaient plus… coincés.

– Les gens changent. Ils ne te connaissaient peut-être pas. Tu devrais rejoindre tes parents. Ils t’attendent.

Paul salua Thomas et fit volte-face. Il chargea sa valise dans le coffre de la voiture et monta sur la banquette arrière.

Ses parents l’accueillirent par une série de questions sur ses matières, ses résultats et l’ambiance générale sur le campus.

Frank ne parla à aucun moment de la visite de la classe de Paul à son bureau.

Maude, elle, précisa qu’ils avaient pu échanger avec les parents d’Antoine. Selon elle, ils avaient été bien plus agréables que lors de leur première rencontre.

Frank, lui, trouvait cela correct qu’ils soient venus chercher Antoine, bien que la situation ne fût pas facile avec leur fils.

Paul et ses parents arrivèrent à leur appartement. Le jeune espion ne pouvait s’empêcher, à chaque période de vacances, de penser à son ami Louis, maintenant élève en troisième année. Par le passé, ils passaient leurs vacances ensemble, mais depuis que Louis était tombé amoureux de Noémie, il s’était complétement coupé des autres personnes qui l’entouraient, en particulier de son meilleur ami Paul.

Paul laissa échapper un soupir en s’allongeant sur son lit. Il n’avait pas beaucoup de temps avant le déjeuner et préféra passer un moment sur son téléphone pour vider sa valise plus tard dans l’après-midi.

Paul s’ennuyait. Sans Louis, les vacances n’étaient pas les mêmes. Le jeune espion révisait chaque matin, prenant soin de finaliser ses devoirs. Il avait réalisé à temps qu’il devait se reprendre s’il voulait rester le premier de sa classe.

Pour la première fois, il n’allait pas fonctionner en trimestre mais en semestre, une chance de plus pour lui pour se rattraper.

Il avait aussi songé à contacter ses anciens amis, mais cela faisait trop de temps qu’il ne les avait pas vu, ils devaient avoir d’autres occupations et lui-même n’était pas certain d’avoir complétement envie de les retrouver. Il n’aurait sans doute pas grand-chose à leur dire.

Les après-midis de Paul étaient calmes, la plupart du temps entre films et jeux-vidéo, parfois avec Damien. Ses parents travaillaient et il était seul toute la journée.

Parfois, il sortait mais ce n’était en général que pour chercher à manger. Pourtant, les fast-foods ne le tentaient plus autant qu’avant. Il s’était habitué à la nourriture servie sur le campus et préférait maintenant se préparer un plat de pâtes plutôt qu’un kebab, une pizza ou un hamburger.

Il se demandait aussi comment se passaient les vacances de ses autres amis du campus, sans pour autant leur envoyer de message.

Le deuxième mercredi, il reçut un SMS d’Antoine. C’était pour lui que Paul s’inquiétait le plus et il espérait que la situation de son ami avec ses parents s’était améliorée. Le SMS était court :

Salut Paul. Comment ça va ?

Paul s’empressa de répondre :

Bien, et toi ?

La réponse arriva après quelques secondes :

Très bien. Tu peux venir sur Skype ? Je voulais te parler et j’aime pas les SMS.

Paul déverrouilla son ordinateur. Il ouvrit le logiciel d’appel vidéo. Antoine était connecté mais il n’eut pas le temps de cliquer sur son nom qu’une fenêtre s’afficha, l’invitant à répondre.

Paul cliqua sur l’icône représentant une caméra, activant la réponse avec la vidéo.

L’écran devint noir puis le visage d’Antoine apparut. Il était souriant.

Antoine accueilli Paul :

– Tu vas bien ?

Paul répondit :

– Oui, et toi ?

– Oui, tu passes de bonnes vacances ?

– Ça va, j’ai pas grand-chose à faire, et toi ?

– Oui. Tu sais, mes parents avaient l’air un peu étranges quand ils sont venus me chercher…

Paul acquiesça :

– Oui, j’avais remarqué. Qu’est-ce qu’il leur arrive ?

– Je ne sais pas trop, mais dans la voiture, pareil, ils étaient plutôt sympas, ils ne faisaient pas la gueule.

– C’est plutôt bon signe, non ?

– Oui, et on a parlé comme avant jusqu’à hier, pendant le repas.

Paul fut curieux :

– Ha bon, qu’est-ce qu’il s’est passé ?

– Ils m’ont parlé d’Anselme et de ce qu’il s’était passé.

Paul s’inquiéta :

– Ça s’est mal passé alors ?

– Pas du tout ! Ils se sont presque excusés de leur réaction. Ils m’ont dit qu’ils regrettaient. D’ailleurs, ma mère a même ajouté qu’elle était contente pour moi si j’étais heureux.

Paul sourit à son ami :

– Tout va mieux dans le meilleur des mondes alors ?

– Oui, mais je pense que c’est grâce à mon frère.

– Pourquoi ?

– Je pense qu’il leur a parlé et qu’il m’a défendu. Mes parents l’écoutent tout le temps et lui n’est pas comme eux. Je pense que c’est pour ça qu’ils sont un peu plus… ouverts.

Paul remarqua :

– L’important c’est qu’ils t’acceptent, non ?

– Oui, je crois aussi que mon père s’en veut de m’avoir fait la gueule pendant tout ce temps.

– C’est normal.

Antoine fut surpris :

– De faire la gueule ?

Paul se rattrapa :

– Non, de le regretter. Le principal est que ça aille mieux.

– Oui, sûrement.

Antoine laissa passer quelques secondes et reprit :

– Par contre ma mère te trouve mignon.

Paul s’étonna :

– Pourquoi ça ?

– Quand on parlait hier, elle m’a dit que tu étais mignon et même qu’on aurait pu s’embrasser avant les vacances.

Paul resta un instant sans voix avant de répondre :

– Je veux bien qu’ils soient plus ouverts mais là c’est un peu trop, non ?

Antoine éclata de rire :

– Mais non, elle pensait qu’on était ensemble, comme je suis venu dormir chez toi !

– Ha, je vois.

– Comme tout ce qu’ils avaient retenus c’était que j’étais homo, ils ne se souvenaient pas que je leur avais parlé d’Anselme. Je crois même que ma mère était un peu déçue.

– De ?

– Que je ne sorte pas avec toi.

Paul répondit vaguement :

– Mouais…

– Ça va, Paul, c’est pas grave.

Le jeune espion retrouva son sourire :

– Non, t’inquiète pas.

Antoine changea de sujet :

– Ho, tu ne sais pas ce qu’Anselme m’a dit ?

Paul provoqua son ami :

– Qu’on irait bien ensemble ?

Antoine hésita :

– Heu… non, je crois pas qu’il ait dit ça, mais il m’a parlé de Louis.

Paul n’était pas sûr d’avoir envie d’entendre parler de son ancien ami. Il n’eut pas le choix, Antoine continua sans attendre de réaction :

– C’est de pire en pire… Il parait qu’Anselme ne peut même plus lui parler sans que l’autre ne l’en empêche.

– L’autre ? Noémie ?

– Ouais…

Paul s’agaça :

– Je ne comprends pas pourquoi tu me dis ça en fait… On n’y peut rien, il fait ses choix.

Antoine sembla presque s’excuser :

– Je sais… Je me suis juste dit que tu aimerais que je te tienne informé.

Réalisant qu’il avait peut-être sur-réagit, Paul se reprit :

– Pardon, je crois que c’est encore un sujet un peu délicat pour moi, tu as bien fait de me le dire.

– Tu vas lui envoyer un message ?

Paul trouva l’idée étonnante :

– A Louis ? Pour quoi faire ? Il ne répondra pas, et peut-être même que c’est Noémie qui a son téléphone. Je crois qu’il n’a même plus de compte sur les réseaux sociaux.

– Chaud…

Paul haussa les épaules :

– On n’y peut rien.

– Et Thomas ?

– Il est responsable des études d’une autre année. Quant à Maillard, tu la connais, elle se fiche complétement de ses élèves tant qu’ils ont de bons résultats.

Antoine sembla dépité :

– C’est vrai qu’elle n’aide pas. Tu es sûr que Thomas n’y peut rien ?

– Je lui en ai déjà parlé. Il ne peut pas interdire à des élèves d’être amoureux.

– S’il mettait Louis en quatrième année ?

– Sans le bac ?

– Ouais, c’est un problème, c’est vrai.

– Tu vois, on ne peut rien faire.

– On va attendre et espérer qu’il le réalise.

Paul se résigna :

– On ne peut pas faire grand-chose d’autre.

Antoine reprit :

– Tu sais pourquoi Louis n’a plus le doit d’approcher Anselme ?

– Non ?

– Anselme m’a dit que Louis croyait qu’il le draguait.

– Ça ne m’étonne pas.

– Pourquoi ? Anselme n’est pas comme ça !

Paul explicita :

– Non mais c’est aussi ce que Noémie avait fait croire à ton sujet et au sujet de Lucy.

– Oui je m’en souviens. Comme si le campus entier était amoureux de Louis…

– Voilà, c’est exactement ça. Louis y croit aussi visiblement.

– C’est quand même un con…

Paul ne répondit pas. Il préféra changer de sujet et parler de la rentrée à venir. Puis, ils discutèrent à nouveau de la situation d’Antoine et de ses parents qui s’améliorait.

Paul arriva sur le campus au même moment qu’Antoine. Ses parents l’avaient déposé et tout semblait aller pour le mieux.

Ils furent rejoints par leurs autres amis et Antoine ne put s’empêcher de leur raconter le changement de situation au sein de sa famille. Tous étaient contents pour leur ami.

Les cours reprirent alors que le froid s’installait doucement sur le campus.

Paul s’appliqua à reprendre un bon rythme et travailler pour retrouver son niveau. Après deux semaines, il se sentait plus à l’aise et au moins aussi bon que les deux autres meilleurs élèves de la classe, Arthur et Ethan.

Après près d’un mois, alors que le mois de décembre arrivait, il était même largement devant les autres dans les matières les plus concrètes sur l’espionnage et en géopolitique. C’est son professeur de géopolitique qui le félicita début décembre de ses résultats en hausse.

Après ce cours, Paul ne put quitter son sourire en sortant de la salle, satisfait que ses efforts soient reconnus.

Son sourire s’effaça pourtant rapidement lorsqu’il eut passé le pas de la porte.

Dans le couloir, Louis était adossé au mur, face à la porte par laquelle Paul sortait.

Le jeune espion hésita à aller voir son ancien ami mais celui-ci coupa sa réflexion en s’approchant :

– Paul… on peut parler ?

L’élève de quatrième année sentit son cœur s’accélérer. Il n’était soudain plus sûr de vouloir cette rencontre. Il répondit pourtant avec une voix hésitante :

– Je ne t’ai jamais empêché de le faire.

– Tu as fini les cours ?

– Oui.

– On peut aller dans ta chambre ?

Paul haussa les épaules :

– Si tu veux, tant que Noémie n’écoute pas aux portes…

Louis ne répondit pas. Silencieusement, les deux élèves sortirent du bâtiment pour rejoindre la chambre de Paul. Aucun ne semblait oser ouvrir la discussion. Paul attendait de retrouver sa chambre pour savoir enfin ce que Louis avait à lui dire de si important, nécessitant de s’isoler. Il redoutait que cette rencontre scelle définitivement la situation. Paul sentit l’angoisse monter un peu plus. Il en était certain, Louis allait lui annoncer qu’il quittait le campus parce que Noémie lui avait demandé. C’était sans doute un adieu loin des yeux de son amie qui ne devait pas le cautionner. A moins qu’il ait quitté Noémie. L’espion se rassura. Louis avait dû rompre et réaliser son erreur, c’était pour cela qu’il voulait lui parler et s’excuser.

Paul n’en pouvait plus d’attendre mais il était bien décidé à ne pas entamer la conversation.

Ils entrèrent dans le bâtiment de la chambre de Paul puis montèrent les escaliers.

Paul ouvrit la porte. Louis s’arrêta sur le seuil :

– Ha, c’est pas mal les chambres en quatrième année !

Paul sourit malgré son inquiétude :

– Oui, de mieux en mieux.

Il indiqua ensuite son lit et invita son ami :

– Viens, assieds-toi.

Louis s’assit sur le lit. Paul préféra se mettre en face, sur la chaise de son bureau.

Les deux anciens amis se regardèrent en silence puis Paul le brisa :

– Alors ? Tu voulais me parler de quoi ?

Louis hésita quelques secondes puis commença :

– Voilà, je suis désolé pour ce qu’il s’est passé.

Paul sentit un regain de confiance en lui qui lui éclaircit la voix :

– Désolé pour quoi ? De m’avoir laissé tomber du jour au lendemain ? De m’avoir évité sans aucune raison ? Ou de te couper de tout le monde ? Peut-être aussi pour l’homophobie dont tu as fait preuve pendant ce temps ?

Louis passa le regard dans la chambre, cherchant un point où fixer ses yeux. Il finit par regarder Paul :

– Un peu tout ça, je crois.

Paul resta silencieux. Il ne savait quoi répondre. Louis reprit :

– Je vais quitter Noémie.

Devant le mutisme de son ami, Louis chercha d’abord à se donner une contenance et posa les mains sur le lit. Il reprit d’une voix plus faible :

– Je me suis fait avoir, je ne m’en rendais pas compte. Mais elle va trop loin.

Paul répondit sèchement :

– Ça fait un moment qu’elle va trop loin. Dès qu’elle a commencé à te priver de tes amis.

– Peut-être, mais j’étais amoureux.

– Et maintenant ?

– Je crois que je ne le suis plus.

– Je voulais dire, et maintenant, qu’est-ce que tu vas faire ?

– La quitter, déjà.

Paul pressa son ami :

– Quand ?

Louis hésita :

– Je ne sais pas trop, demain peut-être ?

Paul réagit :

– Pourquoi pas maintenant ?

– Je ne sais pas, je crois que c’est pas le bon moment.

– Ce ne sera jamais le bon moment. Tu as peur ?

Louis se défendit :

– Non !

– Alors vas-y.

Louis sembla réfléchir à sa décision. Pour Paul, ça n’avait que trop duré, il fallait que son ami se débarrasse de Noémie au plus vite. Il proposa :

– Tu veux qu’on y aille ensemble ?

– Je ne sais pas, ce sera peut-être pire.

– Mais sinon tu ne le feras jamais.

– Peut-être que je peux continuer à te voir quand même, je pourrais lui expliquer.

Paul soupira bruyamment :

– Tu ne peux pas me dire que tu n’es plus amoureux et chercher encore des excuses. Tu sais très bien qu’elle continuera. Même Anselme qui est dans ta classe, tu ne peux plus lui parler, tout ça pour aucune raison valable.

Louis s’étonna :

– Comment tu sais ça ?

Paul préféra détourner la vérité :

– Pour Anselme ? Il me l’a dit.

Louis se laissa quelques secondes de réflexion lorsqu’on frappa à la porte. Paul se leva et alla ouvrir. Il découvrit Noémie, le regard sombre. Le jeune espion referma la porte sans un mot. A peine s’était-il retourné qu’elle s’ouvrit à nouveau violemment. Paul fit volte-face et vit Noémie entrer en trombes :

– Il est là ?

Sans attendre de réponse, Noémie tenta d’avancer dans la chambre. Paul la retint :

– Désolé, c’est ma chambre ici.

Il la poussa dehors mais la jeune fille résista et cria :

– Laisse-moi entrer putain !

Paul essaya de faire preuve d’autorité :

– Non, t’as rien à faire ici.

Noémie tenta de le pousser :

– Dégage, laisse-moi passer, je sais que Louis est avec toi. T’es encore en train de lui retourner le cerveau.

Paul resta sur ses appuis et l’empêcha de passer :

– Pars maintenant, c’est bon, j’ai rien à te dire !

Noémie arrêta ses efforts vains pour pousser l’étudiant. Elle regarda le fond de la chambre :

– Qu’est-ce que tu fous là ?

Paul se retourna. Louis s’était levé et s’approcha :

– Laisse-nous Noémie. C’est fini.

La jeune élève de troisième année se décomposa :

– Comment ça “c’est fini” ?

Louis resta calme :

– Oui, c’est terminé, tu n’as plus à me dire ce que je dois faire ou non.

Noémie bégaya :

– Non… C’est pas possible, on va en parler. Tu ne peux pas me faire ça. Tu sais bien que tu peux faire comme tu veux.

La réponse de Louis fut sèche :

– Non, on arrête là. Désolé mais c’est plus possible.

Noémie regarda Paul sans rien dire. Elle tourna les talons et sortir de la chambre. Le jeune espion ferma la porte derrière elle et se tourna vers son ami :

– Ça va ?

– Oui… J’aurais cru que ce serait plus dur.

– Elle n’a même pas essayé de me tuer. Tu sais qu’elle va revenir ?

– Je ne sais pas, elle a l’air d’avoir compris.

Paul était dubitatif :

– Ça me parait un peu facile, elle n’a même pas essayé d’argumenter. Si jamais elle essaye de te convaincre, ne fais pas la même erreur.

– Non, ne t’inquiètes pas.

Paul regarda l’heure. Ses amis devaient bientôt avoir terminé de travailler sur leurs devoirs. Lui aurait du retard, un moindre mal si Louis était enfin de retour. C’est ce dernier qui proposa :

– Tu veux qu’on aille au foyer ? On a encore du temps avant le diner.

Paul sourit :

– C’est une bonne idée.

Les deux amis s’assirent autour de la table habituelle. Ils n’étaient que tous les deux dans l’espace que Paul partageait habituellement avec son groupe d’amis.

Paul et Louis avaient du temps à rattraper mais cela pouvait attendre. Louis avait besoin de parler de cette année passée avec Noémie, de comment elle avait pu le manipuler au point de le couper de toute autres personnes. Il se livra à Paul comme si cette discussion lui permettait de comprendre, de faire un deuil. Ce n’est que lorsqu’elle avait tenté de convaincre Louis d’arrêter de passer du temps dans sa famille et de se couper des réseaux sociaux qu’il avait réalisé qu’il ne pouvait plus tout accepter. Il avait repensé à ses amis et en particulier à Paul. Il s’était enfin rendu compte qu’après un an, leur amitié lui manquait.

Damien, Lucy, Arthur, Antoine et Anselme arrivèrent près d’une heure après Louis et Paul dans le foyer. Ils repérèrent immédiatement les deux amis et s’assirent avec eux.

Lucy dévisagea Louis puis regarda Paul en silence.

Damien salua son ami puis se tourna vers Louis :

– Tiens, un revenant.

Arthur adressa un sourire timide aux deux amis. Anselme et Antoine prirent place face à Paul et Louis. C’est Antoine qui demanda sèchement à Louis :

 – Qu’est-ce que tu fais là ?

Paul regarda son ami qui, devant cette question agressive, ne sut comment répondre. Louis bégaya enfin :

– Je… J’ai quitté Noémie.

Antoine haussa les épaules et répondit d’une voix lasse :

– Cool. Et ?

Louis regarda son interrogateur, étonné :

– Et ?

– Ouais, “et ?”. T’as quitté Noémie, bravo, un an pour faire le bon choix. Donc tu l’as quittée, ça te donne droit de revenir t’asseoir avec nous ? Tu te disais que ce serait une bonne idée, qu’on oublierait tout, on serait comme avant ?

Louis se décomposa :

– Non… J’ai voulu discuter avec Paul…

Antoine le coupa et se tourna vers Paul :

– Bien sûr, Paul, toi, tu pardonnes tout en trente secondes alors c’est facile. T’as tellement peur de te couper des gens que tu es prêt à tout pardonner.

Louis commença à se relever :

– Bon, je vais vous laisser.

Antoine lui asséna d’une voix sèche :

– Assieds-toi. J’ai pas fini.

Tout le monde regardait Antoine, étonné par la violence dans sa voix. Personne n’osait dire un mot et tous cherchaient à esquiver le regard de leur ami qui semblait dans une colère noire contre Louis.

Louis regarda Antoine et se leva complètement :

– Qu’est-ce qu’il t’arrive ? Ça va je discutais avec Paul.

– Assieds-toi je t’ai dit !

Anselme posa la main sur le genou de son compagnon :

– Ça va, calme toi…

Antoine ne l’écouta pas et se leva, faisant face à Louis :

– Tu crois vraiment que tu vas pouvoir t’installer tranquillement avec nous ?

Paul se leva à son tour, cette scène n’avait que trop durée à son goût et l’atmosphère, de plus en plus électrique, mettait tout le monde mal à l’aise. Il se tourna vers Antoine :

– Calme-toi Antoine. Louis est venu me voir et on a discuté, il a quitté Noémie, il s’est fait manipuler. C’est à moi de régler ça, pas à toi, même si ça t’a touché.

Antoine ne desserra pas les dents :

– Penser qu’on pourrait s’intéresser à lui, qu’Anselme voulait le draguer… Je vais pas oublier ça.

Anselme intervint :

– C’est ça qui te dérange, Antoine ? Je m’en fous moi, t’as pas besoin de me défendre.

Louis reprit :

– Ça va, je me suis déjà expliqué là-dessus. C’est Noémie qui m’a fait croire ça, j’ai rien demandé. Même si c’était vrai, qu’est-ce que ça peut faire ?

– Ça peut faire que t’as pas à revenir comme ça. J’attends un minimum d’excuse.

Louis s’énerva :

– Je me suis déjà excusé. Tu veux quoi de plus ? Je vais pas me mettre à genoux devant toi !

Paul eut à peine le temps de voir Antoine armer son bras. Louis reçut un violent coup de poing dans le ventre de la part d’Antoine. Tous se jetèrent sur l’attaquant et le plaquèrent sur le vieux canapé en cuir. Louis était tombé sur le fauteuil derrière lui, les mains sur le ventre.

Paul ne put s’empêcher de se remémorer le coup qu’il avait pris lors de sa dernière mission et qui avait failli lui coûter la vie. Il s’assit à côté de Louis :

– Ça va ?

Louis était rouge. Paul ne put déterminer si c’était la douleur ou l’énervement.

D’un coup, il se redressa et regarda Antoine, encore maintenu par ses amis qui tentaient de le raisonner. Louis fronça les sourcils :

– Toi, la prochaine fois, t’es mort.

Antoine répondit :

– Viens maintenant.

Damien intervint :

– C’est bon, arrête. Qu’est-ce qui te prend ?

– J’en peux plus de ce connard d’homophobe…

– Il est pas homophobe, il s’est déjà expliqué. Calme toi…

Louis défia Antoine :

– T’inquiètes pas, je m’occuperai de toi.

Paul prit son ami par le bras :

– Toi aussi, arrête. N’en rajoute pas. Arrêtez, tous les deux.

Soudain, une voix tonna derrière le groupe d’ami :

– Chailles, Jacobs et Osinski, suivez-moi.

Les concernés se retournèrent. Thomas Duchesne semblait furieux. Paul fut soulagé de le voir. La situation était bloquée et le responsable des études allait pouvoir calmer les esprits.

Les trois garçons suivirent le responsable des études des élèves de quatrième année jusqu’à son bureau. Malgré les regards de défi d’Antoine et de Louis, ils restèrent silencieux.

Ils pénétrèrent dans le bureau. Le responsable des études pris une chaise supplémentaire afin que tous puissent prendre place face à lui.

Paul s’assit entre ses deux amis. Thomas croisa les mains devant sa bouche puis les posa sur le bureau :

– Messieurs, je vais être très direct. Je ne tolèrerai pas ce genre de comportement ici. Nous ne sommes pas dans un zoo et il me semble qu’on vous apprend à gérer des conflits pour ne pas utiliser les armes que sont vos poings. Ce n’est pas pour vous voir vous battre ainsi. Monsieur Chaille, je suis sincèrement déçu du coup que vous avez porté à monsieur Jacobs.

Antoine tenta de protester :

– Mais…

Il fut coupé par le responsable des études :

– Je parle. Vous permettez que je termine ?

Antoine se tut. Thomas Duchesne reprit :

– Quant à vous monsieur Jacobs, je ne tolère pas non plus les menaces. Ni le comportement de l’un ni celui de l’autres n’est acceptable et j’ai convoqué un conseil de discipline dès demain. Monsieur Osinski, vous serez là vous-aussi. Je tiens à ce que vous nous présentiez précisément ce qu’il s’est passé entre vos camarades. Avez-vous des questions ?

Paul demanda :

– Oui… Comment vous avez su ce qu’il se passait ?

– Je sais tout.

– Vous voulez dire qu’il y a des caméras ?

– Non. Mais en général on m’appelle très rapidement quand mes élèves font n’importe quoi.

Paul hocha la tête avant de continuer :

– Antoine et Louis sont assez intelligents pour se réconcilier, c’est peut-être un peu beaucoup le conseil de discipline.

Thomas Duchesne répondit sur le même ton, quasi-militaire :

– Ici, je suis seul juge pour savoir ce qui est bon ou non. Face à cette situation, je n’ai pas d’autre choix et le conseil fera ce qui lui semblera le plus approprié.

Les trois garçons restèrent silencieux. Le responsable des études reprit :

– Monsieur Jacobs, j’avertirai aussi votre responsable, madame Maillard. Elle sera présente demain, tout comme moi. Puisque nous avons terminé, je vous dis à demain, dix heures, salle du conseil.

Les trois garçons saluèrent Thomas Duchesne puis sortirent du bureau.

Ils restèrent devant la porte en silence. Paul se demandait ce qui avait pu se passer pour en arriver à cette situation. Le comportement d’Antoine et cet accès de violence l’avaient étonné. Il savait que Louis avait fait une erreur, mais de là à vouloir le frapper, c’était autre chose. Paul n’avait pas envie de choisir entre ces deux personnes qu’il considérait comme ses deux meilleurs amis.

Antoine brisa le silence en s’adressant à Louis tout en lui tendant la main :

– Pardon Louis, j’ai été con.

Louis prit la main tendue :

– C’est rien, c’est ma faute, j’aurais pas dû venir comme ça.

– Non, non, vraiment, surtout si tu as quitté Noémie.

– Et vu ce qu’il vient de se passer, je risque pas de la retrouver.

Antoine sourit :

– Alors tu ne veux plus me tuer ?

Louis haussa les épaules :

– De toutes manières je pourrais pas faire grand-chose.

Paul intervint :

– Bon, je suis content que vous soyez réconciliés mais pour demain ?

Antoine fit la moue :

– On ne peut rien faire. On verra ce qu’ils nous diront, mais faudra montrer que c’était un moment d’égarement. Il faut éviter de se faire virer.

Paul, Louis et Antoine retrouvèrent leurs amis. Ils dinèrent ensemble, racontant à tous leur rendez-vous avec leur responsable des études et l’épreuve qui les attendaient le lendemain matin.

Antoine frappa à la porte de la salle du conseil. La voix de Thomas Duchesne indiqua que les trois garçons pouvaient entrer.

Paul découvrit une grande table ovale, entourée de plusieurs personnes. Seules trois chaises étaient inoccupées, devant le bord long.

Les trois élèves prirent place et dévisagèrent les présents. Face à eux, Monsieur Guyot, directeur de l’établissement, entouré par Thomas Duchesne et Miss Maillard, respectivement responsables des études des quatrièmes et troisièmes années.

A la droite de Thomas Duchesne, une personne d’une soixantaine d’années que le directeur présenta comme le délégué du conseil des Sages de l’école. De l’autre côté de la table, deux élèves, Ethan, un camarade de Paul et d’Antoine, et Sylvain, élève dans la classe de Louis. Ces deux élèves étaient observateurs et avaient autorisation de parler de leurs camarades si cela était nécessaire.

L’atmosphère était lourde, comme si un moment crucial de l’année allait se jouer.

Le directeur de l’Aigle commença :

– Bonjour messieurs. Vous avez été convoqués aujourd’hui pour nous expliquer ce qu’il s’est passé hier après-midi, dans la salle du foyer. Voici comment va se dérouler cet entretien. Je commencerai par exposer les faits qui m’ont été rapportés. Monsieur Duchesne et Madame Maillard viendront les compléter avant d’écouter votre version. Vos camarades seront alors entendus s’ils le souhaitent avant que nous vous posions nos questions si nécessaire. Enfin, nous prendrons l’avis du conseil des Sages, représenté ici par son délégué, Monsieur Jean Avia. Nous délibèrerons ensuite avant d’en tirer, si nécessaire, une sanction. Cela est-il clair pour vous ?

Les trois élèves hochèrent la tête en signe d’approbation. Le directeur poursuivit :

– Hier, en fin d’après-midi, monsieur Thomas Duchesne m’a rapporté, ainsi qu’à Madame Annabelle Maillard, avoir dû faire preuve d’autorité sur les élèves Antoine Chaille, élève sous sa responsabilité et Louis Jacobs, élève sous la responsabilité de Madame Maillard. Il avait été alerté d’un début de bagarre dans le foyer de l’établissement entre les deux élèves. Monsieur Chaille aurait frappé avec violence monsieur Jacobs qui l’aurait ensuite menacé en proférant, je cite “je vais te tuer”. Monsieur Duchesne, à son arrivée, a surpris monsieur Chaille retenu par ses camarades, et a convoqué les deux élèves dans son bureau, ainsi que monsieur Osinski qui semblait être au centre de cette bagarre. Il l’a aussi convoqué en sachant qu’il était ami à la fois de l’un et de l’autre et dans un but d’apaisement. Voici, aujourd’hui, les éléments en ma possession. Monsieur Duchesne, avez-vous quelque-chose à ajouter ?

Thomas s’avança sur son siège :

– Oui. Je dois ajouter que j’étais surpris de ce comportement. Antoine est un élève sérieux et qui n’est pas habitué à ces écarts. Cependant, je ne pense pas que nous puissions laisser cela se produire sans les conséquences qui en découlent. Je souhaiterai aussi que Paul puisse prendre la parole et nous exposer les faits tels qu’il les connait, lorsque ce sera au tour des élèves de parler, c’est pour cela que je lui ai demandé de venir.

Le directeur leva les yeux vers Paul puis se tourna vers Annabelle Maillard :

– Madame Maillard, des observations ?

Droite comme à son habitude, la responsable des études des troisièmes année répondit :

– Oui, je suis d’abord heureuse de savoir que Monsieur Duchesne puisse faire preuve d’autorité envers certains de ses élèves et je le remercie aussi de n’avoir pas pris de décision concernait l’un de mes élèves sans m’en avertir. Des comportements tels que ceux-là doivent être sévèrement sanctionnés.

 Paul pensa que l’animosité entre Thomas Duchesne et Annabelle Maillard était de plus en plus visible. Il s’étonna que la responsable des études n’ait pas parlé de Louis. Le directeur avait eu la même réflexion et demanda :

– Au sujet de monsieur Jacobs, avez-vous une observation ?

– C’est un élève arrivé en cours de cursus avec un an de plus que ses camarades. Il n’est pas mauvais élève mais il ne faudrait pas que sa camaraderie lui joue des tours, encore moins lorsqu’il s’agit d’élèves d’un autre niveau. Le redoublement est exceptionnel ici. Bien qu’il ait pu en profiter, il doit être averti qu’il n’aura pas toujours des passe-droits.

Louis eut envie de répondre face à ces phrases qu’il jugeait exagérées mais se résigna. Le directeur regarda les trois élèves :

– Nous vous écoutons. Je vous propose que Monsieur Jacobs nous dise quelques mots, puis monsieur Chaille et enfin monsieur Osinski.

Louis fut le plus sincère possible :

– Je venais de quitter ma copine et je discutais avec Paul quand Antoine est arrivé. Il n’était visiblement pas heureux de me voir, ce que j’ai pu comprendre ensuite. J’ai voulu partir de la pièce mais Antoine a voulu m’en empêcher, sous le coup de la colère. Je ne lui en veux pas et nous avons pu nous expliquer en sortant du bureau de monsieur Duchesne…

Le directeur remarqua :

– J’espère que l’explication fut plus calme que vos échanges précédents. Monsieur Chaille, confirmez-vous la version de monsieur Jacobs ?

Antoine hocha la tête :

– Oui, mais j’étais énervé car Louis était revenu sans prévenir, après un an sans vouloir nous parler, et imaginant… enfin après qu’il ait eût un comportement que je n’ai pas trop apprécié.

– Quel type de comportement ?

– Ce n’est rien, c’est du passé, mais je l’ai entendu avoir des remarques sur moi et un de mes camarades. Ça m’avait blessé mais je sais aujourd’hui que ce n’était pas sa faute…

Le directeur sembla réfléchir quelques secondes :

– Je pense, monsieur Chaille, que vous devriez être plus explicite. Monsieur Jacobs vous a insulté, vous et un autre camarade, mais finalement ce n’était pas lui ?

– C’était sa copine qui le manipulait. Mais maintenant ils ne sont plus ensemble.

Le directeur hocha les épaules, peu satisfait de cette réponse mais sachant qu’il n’aurait rien de plus :

– Monsieur Osinski, avez-vous autre chose à ajouter ? Essayez d’être plus clair que votre camarade de classe.

Paul réfléchit :

– Je connais Louis depuis longtemps, nous étions au collège ensemble. Antoine est aussi un de mes meilleurs amis et je pense qu’ils sont assez intelligents pour savoir qu’ils ont fait une erreur. Ils se sont réconciliés hier et je pense qu’aujourd’hui le calme est revenu.

Le directeur le coupa :

– Ce sera à nous d’en décider. Pouvez-vous revenir sur les faits ?

– Bien, je sais que Louis a eu des propos déplacés envers Antoine mais je ne pense pas que ça devait provoquer ce genre de réactions. Ils se sont tous deux expliqués.

– Peut-on en savoir plus sur ces mystérieuses insultes ?

Paul regarda Antoine puis Louis avant de répondre :

– Je ne pense pas que ce soit important.

– Bien. Au tour de vos camarades. Monsieur Sylvain Novo, étant dans la classe de monsieur Louis Jacobs, avez-vous quelque-chose à nous dire au sujet de vos camarades ?

L’élève de troisième année sembla peu à l’aise dans cet exercice mais s’efforça de répondre d’une voix timide :

– Louis est un élève un peu discret… Il est surtout avec Noémie et on ne le connait pas trop mais ce n’est pas un élève violent. Je ne connais pas Antoine même si je sais qu’Anselme, qui est aussi dans ma classe, est souvent avec lui.

Ce fut au tour d’Ethan, le camarade de Paul et d’Antoine de prendre la parole. Comme Paul, il semblait bénéficier d’une aura auprès de ses camarades de classe et de l’ensemble des professeurs. D’une voix calme et posée, il répondit :

– Antoine est l’un des piliers de cette classe. Lorsque vous m’avez convoqué à ce conseil, j’ai été très surpris de savoir qu’un élève de la classe avait pu s’être montré violent et je n’aurai jamais parié sur Antoine. C’est quelqu’un d’attentionné envers les autres et je n’ai jamais entendu parler de problème le concernant. Après trois ans et demi dans cet établissement, c’est la première fois qu’il fait preuve d’un énervement envers un camarade. Je connais son bon niveau, en particulier en sport et on peut tous compter sur lui pour nous aider. Il est toujours là pour les autres et c’est appréciable de l’avoir dans notre groupe. Je pense que ce qu’il s’est passé est explicable, bien que peu défendable. Je ne connais pas Louis mais peut-être qu’hier était un mauvais jour et que parfois, il suffit d’un mot pour déclencher la colère de la personne la plus calme du campus. Si je mesure la nécessité de ce conseil, je pense que le fait qu’ils se soient réconciliés est déjà une preuve que ce n’était qu’une erreur, un égarement voire un coup de folie de la part de l’un comme de l’autre. Chacun sait ici la complexité qui peut exister à être dans un endroit où s’isoler peut se montrer difficile. Il suffit d’un moment où la compagnie des autres devient une épreuve et un évènement minime peut prendre des proportions inattendues. Connaissant Antoine, c’est pour moi ce qu’il s’est passé. Sans avoir été présent, je peux me targuer de connaître mes camarades, en particulier Antoine qui, en plus de partager ma chambre, fait partie de mes amis. Je conviens aisément qu’il appartient au conseil de juger de cette situation et je ne saurai absolument pas m’y substituer bien entendu.

Paul ne put s’empêcher de sourire. Ethan était un bon orateur et il le prouvait continuellement. Le directeur lui répondit en souriant :

– Merci monsieur Peiser. Si jamais vous ne continuez pas dans la voie de la défense nationale, ce sera peut-être celle des accusés que vous pourrez porter.

Il marqua une pause :

– Avant que nous ne fassions sortir ces trois jeunes gens, y a-t-il des questions à poser ?

L’ensemble de la tablée resta silencieux. Le directeur se tourna vers le seul qui n’avait pas encore pris la parole :

– Monsieur Avia, vous avez la parole pour les observations du Conseil des Sages.

Le sexagénaire releva la tête et regarda Antoine et s’adressa à lui d’une voix calme :

– Jeune homme, dans cet établissement règne la concorde. Il est toujours triste de voir deux élèves en arriver aux mains. Je ne remets pas en doute votre intelligence et j’imagine bien que votre camarade vous a sans-doute un peu provoqué. Néanmoins, rien n’excuse l’agression physique dont vous avez fait preuve. J’ai pris la liberté de consulter votre dossier scolaire qui me semble en tous points correspondre à un élève motivé et sérieux, c’est le cas aussi pour le camarade que vous avez agressé, car c’est ainsi que cela s’appelle.  

En marquant une pause, le délégué du Conseil de Sages se tourna vers Louis et poursuivit :

– Mais ce coup n’aurait sans doute pas eu lieu s’il n’y avait pas eu provocation. Ici, l’insulte n’a pas sa place. La violence n’est pas que physique, elle peut être verbale, psychologique. Dans quelques instants, vous allez sortir le temps de la délibération. Nous discuterons ensemble d’une sanction appropriée pour chacun de vous. Profitez de ce temps pour continuer le travail que vous avez visiblement déjà entamé. Discutez et cherchez le pourquoi de cette dispute. Lorsque vous serez invité à entrer, j’espère avant tout que se tiendront devant nous deux élèves en parfaite entente. Vous n’êtes pas obligé d’être amis, mais ici, il n’y a pas d’ennemi.

Sur ces mots, le directeur invita Antoine, Louis et Paul à sortir.

Dans le couloir, malgré l’invitation du délégué du Conseil des Sages, tous furent silencieux. Paul pouvait voir sur les visages de ses camarades l’inquiétude qui occupait leurs esprits.

Ils attendirent une dizaine de minutes avant d’être invités à entrer dans la pièce. Ils s’assirent à leur place et le directeur commença :

– Messieurs, après une discussion et l’étude de l’avis de chacun, ce conseil de discipline a pris la décision de vous sanctionner tous deux. Monsieur Antoine Chaille, c’est votre premier écart. Aussi, nous vous sanctionnons, pour avoir frappé un camarade, de quinze heures de retenue à effectuer la semaine prochaine selon le calendrier suivant. Une heure par jour entre vingt et une heure et vingt-deux heures puis le samedi de quatorze à dix-neuf heures et le dimanche de huit heures à treize heures.

Le directeur se tourna vers Louis :

– Monsieur Jacobs, n’ayant aucun élément concret sur la provocation que vous auriez faite à votre camarade, nous avons retenu la menace de mort que vous lui avez proférée hier pendant votre bagarre et nous vous sanctionnons de neuf heures de retenue à effectuer la semaine prochaine à raison d’une heure par jour, de dix-huit à dix-neuf heures du lundi au vendredi et de quatre heures le dimanche, de huit heures à midi.

Le directeur marqua une pause et continua :

– Nous avons aussi pris la décision que ces évènements ne soient pas inscrits à votre dossier scolaire. Cependant, nous comptons sur vous pour ne plus être convoqués à pareil conseil. La décision n’appelle bien entendu aucune contestation. Vous êtes libres de vous retirer.

Sonnés mais aussi soulagés, les trois élèves sortirent de la salle. Louis ne comprenait pas la punition qu’il avait reçue, contrairement à Antoine qui semblait accepter avec plus de facilité sa sanction.

Louis reprit place doucement dans le groupe d’amis de Paul bien que ce dernier semblât être le seul à l’avoir complétement réintégré. Les autres n’étaient pas froid mais une gêne persistait entre eux, qui mettrait quelques temps à se dissiper.

Louis et Antoine firent leurs heures de retenue jusqu’au dimanche et se sentirent soulagés que cette histoire soit derrière eux.

Le dernier vendredi avant les vacances de Noël, tous participèrent à la fête traditionnelle de l’école.

Si la dispute entre Louis et Antoine n’était pas encore tout à fait effacée dans leurs mémoires, les deux amis de Paul semblaient s’être réconciliés et, même s’ils se parlaient peu, on ne sentait plus d’animosité entre eux.

C’était un soulagement pour Paul.

Après une soirée qui se termina tard, tous retrouvèrent le lendemain leurs parents pour rentrer chez eux et profiter des fêtes de fin d’année.

Sur le parking du campus, après avoir dit au revoir à ses amis, Paul retrouva ses parents. Il vit Antoine monter dans la voiture familiale et fut soulagé de voir que sa relation avec ses parents était toujours bonne.

Louis, quant à lui, et pour la première fois depuis plus d’un an, embarqua avec Paul pour rentrer à Paris.

Les vacances furent agréables pour Paul. Le début d’année avait été compliqué mais ses résultats étaient bien remontés. Il lui restait deux mois avant d’arriver à la fin du semestre. Il se rapprochait de la moyenne d’Ethan mais avait encore des efforts à fournir pour passer devant Arthur.

Si ce n’était pas un but primordial, il savait qu’il serait déçu de ne pas être en tête de classe.

Paul travailla donc pendant ses vacances pour garder son rythme.

Le soir du réveillon de Noël, il retrouva sa famille chez ses grands-parents paternels.

Pawel était souriant. Si tout le monde avait en tête la maladie qui l’avait touché, personne n’en parla, comme si, ce soir-là, le cancer était oublié.

Paul joua avec ses cousins et retrouva avec plaisir Michal, l’ainé de ses cousins, qui avait eu une permission pour les fêtes.

Militaire, Michal avait passé près de huit mois à l’étranger sur des bases françaises. Il parlait peu de ses missions mais annonça avec fierté qu’il avait été nommé caporal.

Paul et Michal discutèrent un long moment tandis que les autres cousins, plus jeunes, essayaient les jeux qu’ils avaient reçus pour Noël.

La famille se retrouva pour le nouvel an. Les parents de Paul avaient choisi d’organiser cette soirée en famille.

La soirée fut calme, tout comme les discussions qui animèrent la soirée malgré un désaccord politique entre Frank et sa sœur.

Le soir précédant la rentrée, c’est avec un léger pincement au cœur que Paul quitta son appartement. Il se sentait bien en vacances et, bien qu’il soit à l’aise sur le campus, il aurait apprécié avoir une semaine de repos supplémentaire.

Dès la rentrée, Paul accéléra son rythme de travail et fit le maximum pour continuer à avoir les meilleurs résultats de sa classe. Il y parvint au point où ses deux camarades tentèrent, eux-aussi, de donner le meilleur d’eux-mêmes pour rester devant lui. Cette saine compétition leur permis d’avoir l’admiration de leurs professeurs qui leur donnèrent plus de matière encore pour continuer leur travail.

Si Paul et Arthur se menaient cette compétition, leurs autres amis, bien que bons élèves, passaient un mois plus calme et profitaient même d’avoir un peu moins de devoirs pour se reposer.

Paul remarqua aussi que Louis et Antoine s’étaient finalement réconciliés. Louis avait retrouvé sa place au sein du groupe d’amis et Paul ne pouvait qu’en être satisfait.

Pendant la troisième semaine de l’année, Paul remarqua qu’Anselme ne s’était pas joint à eux. Il craignait que Louis en fut la cause.

 Le samedi soir, après avoir tous regagnés leurs chambres, Paul demanda à Antoine :

– Il y a un problème avec Anselme ? On ne le voit plus…

Antoine haussa les épaules :

– Pas vraiment un problème, mais on n’est plus ensemble.

Paul fut étonné par cette nouvelle. Il s’approcha et s’assit sur le lit d’Antoine, à ses côtés :

– Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Tu aurais dû nous en parler.

– Ce n’est rien, et puis ça ne s’est pas mal passé, c’est juste qu’on n’avait plus vraiment de sentiments l’un pour l’autre.

Paul donna une tape amicale sur le genou de son ami :

– Je vois. Si tu as besoin d’en parler… N’hésite pas.

Antoine répondit immédiatement :

– Merci Paul…

Après avoir hésité un instant, Antoine poursuivit :

– C’est surtout lui qui est parti… et qui n’avait plus de sentiment.

Paul s’inquiéta :

– Et toi ?

– Il me manque…

– Ça fait combien de temps ?

– Il m’a quitté samedi dernier.

– Je suis désolé… Mais ça va passer.

– Je sais. C’est long…

– Oui, mais on sera là, si tu as des moments compliqués, tu pourras compter sur moi et sur nous tous.

– Je sais. Ce n’est pas trop mon style mais heureusement que vous êtes là.

Paul sourit amicalement à son ami et se releva :

– On devrait aller se coucher. Je ne suis pas loin si tu as besoin.

– Tu as raison, merci Paul.

Paul fit particulièrement attention à être aux côtés d’Antoine dans ce moment difficile. Ses autres amis, informés eux-aussi de la situation, étaient aussi attentifs à leur ami.

La fin du mois de janvier arriva rapidement.

Le dernier vendredi, les élèves trouvèrent sur la porte de chaque chambre, une lettre fermée qui leur était destinée.

Paul, Ethan et Antoine entrèrent dans leur chambre et se réunirent dans l’espace de Paul pour l’ouvrir.

C’est Antoine, assis sur la chaise de bureau, qui s’en chargea.

Chers élèves,

Le temps de votre examen de fin de semestre arrive. Préparez-vous à une semaine chargée. Nous vous conseillons de bien vous reposer ce weekend pour être prêts lundi matin.

Bon courage !”

Les trois amis se regardèrent. Impossible de savoir avec cette lettre ce que leur réservait leur école pour la semaine à venir. La seule chose sur laquelle ils s’accordaient était le fait que cela n’allait pas être de tout repos.

Paul et Antoine retrouvèrent leurs amis au self. Tous avaient reçu la même lettre et aucun d’eux ne pouvait prévoir ce qui allait se passer dès le lundi.

Il mangeait avec appétit ce vendredi soir et ne tardèrent pas à se coucher. Le samedi, plutôt que de réviser, se doutant que leurs épreuves ne seraient pas uniquement basées sur leur connaissance, ils préférèrent se détendre et passer du temps au foyer. Ils firent de même le dimanche, et se couchèrent à 23 heures. Paul eut du mal à trouver le sommeil, ses pensées étaient toutes dirigées dans les épreuves à venir. Ce n’est qu’après s’être tourné et retourné dans son lit qu’il parvint à s’endormir.

Paul fut réveillé par l’ouverture de la porte avec fracas. Il se leva d’un bond et regarda qui était entré. Ethan et Antoine, eux aussi surpris par ce bruit sortirent de leur lit comme un seul homme.

– Salut les garçons !

Paul ne put s’empêcher de sourire en voyant son responsable des études, Thomas Duchesne, entrer dans la pièce.

D’une voix encore caverneuse, Paul répondit :

– Bonjour Thomas, quelle heure est-il ?

– Six heures, il est l’heure de vous préparer.

Antoine, voulant en savoir plus, demanda :

– Nous préparer pour quoi ?

– Pour votre examen, bien sûr !

Thomas marqua une pause puis repris :

– Nous allons partir dans une vingtaine de minutes, regroupez-vous au centre de la chambre je vais vous donner tous les détails de ce qui nous attend.

Les trois étudiants obéirent et s’assirent face à Thomas qui prit la chaise de bureau d’Antoine et se rapprocha.

Le responsable des études prit une inspiration et commença :

– On m’a communiqué les informations suivantes. Un groupe armé étranger aurait pris possession d’une base en pleine forêt et nous allons devoir découvrir de qui il s’agit. Je n’ai que peu d’informations en ma possession. La seule chose que je peux vous dire, c’est qu’ils sont venus sans en informer nos services de renseignement et qu’il semblerait que leur but soit de nous espionner. Ils se seraient installés dans le parc naturel régional du Morvan, là où nous allons nous rendre dès ce matin. Pour commencer nous allons à mon bureau afin de récupérer du matériel. Avez-vous des questions ?

Antoine demanda :

– Oui, j’ai deux questions. Notre équipe sera-t-elle formée de Paul, Ethan et moi ?

Thomas répondit en souriant :

– Oui, ainsi qu’une quatrième personne.

Devant l’air interrogateur des trois garçons, Thomas poursuivit :

– Je serai là, moi aussi. Pour vous encadrer et guider la mission.

Ravi de cette nouvelle, Antoine continua avec sa deuxième question :

– Toutes les équipes auront-elles la même mission ?

– Aucune idée, je n’ai pas pris part aux décisions, seul le conseil des Sages sait exactement ce qu’il se passera. La plupart des professeurs font partie des équipes.

Les étudiants n’avaient pas d’autres questions à poser à Thomas pour le moment. Ils se préparèrent rapidement, avant de sortir de leur chambre avec leur responsable des études.

Les couloirs du campus étaient vides. Ils arrivèrent devant le bureau de Thomas Duchesne sans croiser personne.

Dans le bureau, quatre sacs étaient posés sur une table basse à l’entrée de la pièce. Thomas invita les trois garçons à s’asseoir puis, il ouvrit un des sacs et en sortit une paire de jumelles. Il indiqua :

– Ce sont des jumelles avec trois modes différents. Elles permettent d’avoir une vision nocturne, une vision thermique et de pouvoir conjuguer les deux. C’est le seul objet dont nous aurons besoin et nous avons deux paires pour l’équipe. Elles permettent de prendre des photos, que nous enverrons au besoin à l’Aigle.

Il prit une inspiration et poursuivit :

– Nous avons deux sacs plus gros qui nous permettront de monter deux tentes. Nous avons à disposition trois jours de vivres, que nous allons devoir économiser dans le cas où notre mission serait plus longue que prévue. Pour information, la DGSE nous a indiqué qu’il nous faudrait une semaine d’observation.

Antoine demanda :

– Comment sommes-nous censés faire ?

– Comme je vous le disais, il faudra rationner et ne pas être gourmand. Maintenant, il faut y aller.

Les quatre garçons sortirent du bureau et descendirent pour traverser le hall d’accueil. Ils pénétrèrent par une porte que Paul connaissait bien, c’était l’entrée du parking.

Après avoir descendu deux étages à pied, Thomas sorti une clé sur laquelle il appuya et qui fit réagir une voiture que Paul connaissait elle aussi, c’était la voiture personnelle de Thomas.

Après avoir chargé le coffre de la Mercedes de leur responsable des études, les trois garçons embarquèrent, Paul aux côtés de Thomas qui prit le volant.

La voiture démarra et sortit du campus, ils avaient trois heures de route devant eux.

La voiture rejoignit l’autoroute. Thomas accéléra.

Les quatre espions discutaient de leur année en cours, lorsque Paul s’aperçut qu’il y avait de la musique. La voiture était reliée au Smartphone de Thomas, ce devait être sa musique personnelle. Malgré le faible volume, Paul pouvait déceler quelques paroles d’une voix modifiée par ordinateur sur une musique électronique.

Surpris, il remarqua :

– Je ne vous voyais pas écouter ce genre de musique.

Thomas, amusé, répondit :

– Ce n’est pas vraiment ce que j’écoute habituellement, mais c’est une chanson d’un ancien ami.

Paul, curieux, demanda :

– Et qu’est-ce que vous écoutez habituellement ?

– Un peu de tout, mais je dois admettre que la musique électronique et ses dérivés ne sont pas mes styles de prédilection. Et vous, qu’est-ce que vous écoutez ?

Antoine fut le premier à répondre :

– En général du rock.

Ethan ajouta :

– Moi, du rap, du hip-hop et parfois de la techno.

Thomas se tourna vers le dernier qui n’avait pas répondu :

– Et toi, Paul ?

– Un peu de tout, ça dépend des moments.

Thomas chercha une nouvelle chanson. C’était maintenant du rock avec des paroles en espagnol.

Paul s’étira sur son siège et aperçu le compteur de vitesse. Son responsable des études roulait vite, à près de 200 km/h. Dans la voiture on remarquait à peine la vitesse.

Paul sentit ses paupières devenir plus lourdes, les voix de ses amis se firent plus lointaines, il s’endormit.

Ce n’est qu’en sentant la voiture ralentir, que Paul se réveilla. Ils étaient à l’orée d’une forêt et Thomas arrêtait le véhicule sur le bas-côté.

Le responsable des études s’adressa à ses étudiants :

– Nous allons continuer à pied afin que la voiture ne se fasse pas remarquer. Antoine et moi prendrons les sacs de tentes, Paul et Ethan vous vous chargerez des sacs de vivres et du matériel. Nous devons trouver un endroit où nous installer. Pour votre information, nous sommes entre la Nièvre et l’Yonne.

Les trois étudiants obéirent aux ordres de Thomas puis, ils avancèrent dans la forêt.

Après quarante-cinq minutes de marche, Thomas arrêta le petit groupe et désigna un espace sans arbres :

– Nous allons nous installer ici.

Les garçons posèrent leur sac et commencèrent à déplier les tentes.

Une fois montées, les tentes étaient assez grandes pour accueillir deux à trois sacs de couchage, eux aussi fournis dans le matériel des espions.

Thomas indiqua :

– Vous dormirez tous les trois dans une tente et moi dans la seconde.

Les trois étudiants installèrent leur sac de couchage avant de ressortir et de découvrir Thomas, une boîte de conserve à la main, proposer :

– Nous allons déjeuner rapidement avant de faire un repérage des entourages.

Suivant ce programme, les quatre équipiers mangèrent de manière frugale avant de stocker le matériel dans la tente de Thomas.

Ils marchèrent ensuite une heure jusqu’à découvrir un point d’eau, devant lequel Thomas précisa :

– Nous avons des réserves d’eau dans les tentes mais si nous avons besoin, nous saurons où nous réapprovisionner.

Le groupe continua d’explorer les environs pendant tout l’après-midi. Vers dix-huit heures, un message arriva sur l’une de leurs radios :

Nous avons repéré une activité suspecte au nord de votre position, à deux kilomètres.

Les espions comprirent que c’est à cet endroit-là que devrait commencer leur enquête

Le soir, alors qu’ils dînaient, les quatre espions établirent un plan. Ils partiraient vers vingt-trois heures afin de savoir où se trouvaient les espions étrangers.

C’est donc armé de jumelles que les espions se mirent en route dans la nuit hivernale. Après avoir marché une vingtaine de minutes, ils arrivèrent face à un lac. Thomas indiqua :

– Ethan et moi allons le contourner par l’est, Antoine et Paul, vous prendrez l’ouest. Notre cible devrait se trouver de l’autre côté de ce lac. Je vous propose que nous nous séparions afin d’avoir deux points de vue différents sur ce qui se passe là-bas. Nous resterons une heure trente en observation, aucune communication radio, nous pourrions être écoutés. On se retrouve au campement.

Suivant les ordres, Antoine et Paul se mirent en marche. Ils ne tardèrent pas à arriver devant une route qui longeait le lac.

Antoine proposa :

– On devrait traverser et rester dans la forêt, on aurait moins de chance de se faire remarquer.

Paul acquiesça.

Les deux garçons poursuivirent donc à quelques mètres, cachés par les arbres.

Ils contournèrent doucement l’étendue d’eau puis, lorsque la route s’éloigna, ils la traversèrent à nouveau afin de se retrouver proche de l’eau, prenant soin de rester cachés.

Les deux garçons savaient qu’ils arrivaient proches de leur cible. Ils ralentirent et progressèrent doucement. Antoine portait les jumelles et s’arrêtait parfois pour observer les environs.

Après une dizaine de minute de marches, il arrêta son coéquipier :

– Paul, je vois du monde un peu plus loin.

Les deux espions se mirent à genoux et Paul prit les jumelles. Il passa en mode thermique nocturne et distinguait vaguement une couleur orange signifiant une source de chaleur, sans doute deux personnes. Il repassa en mode nocturne et comprit pourquoi les masses étaient si peu visibles. Les arbres cachaient ses cibles. Doucement, les deux espions s’avancèrent afin d’avoir une vue plus dégagée. Paul voyait maintenant plus distinctement les deux personnes qui se tenaient debout dans une petite clairière. Ils semblaient surveiller les environs.

Antoine prit à son tour les jumelles et observa :

– Ils sont armés. Mais je n’arrive pas à voir quelles armes ils ont, il fait trop sombre.

Antoine relâcha les jumelles :

– C’est bizarre.

– Quoi ?

– Qu’est-ce qu’ils peuvent bien garder ? Il n’y a rien.

Paul réalisa que son ami avait raison et chercha une explication :

– Peut-être que ce n’est pas ici qu’ils sont basés mais un peu plus loin.

Antoine proposa :

– Tu veux qu’on aille voir ?

Après réflexion, Paul répondit :

– Non, on suit les ordres de Thomas.

Pendant une demi-heure, les deux garçons se passèrent les jumelles, continuant d’observer leurs cibles qui ne semblaient pas prêts à bouger.

Lorsque l’heure fut venue de retourner au campement, les deux garçons s’éloignèrent à tâtons, reprenant le chemin par lequel ils étaient venus.

Ils profitèrent de ce moment pour échanger sur ce qu’ils avaient observé. Malheureusement, ils durent rapidement constater que leurs indices étaient maigres.

A leur arrivée sur le campement, ils trouvèrent Ethan et Thomas assis devant les tentes à discuter. Paul et Antoine se joignirent à eux.

C’est l’ainé qui demanda :

– Alors, comment ça s’est passé ?

Paul fit la moue :

– Bof, on n’a pas grand-chose. On a vu deux personnes qui semblaient armés mais pas de base en vue. Et vous ?

Thomas fit un signe de tête à Ethan pour qu’il réponde :

– On n’a pas grand-chose de plus mais on a quand même pu voir une forme sur le sol, une sorte de carré métallique. Ça pourrait être une trappe mais impossible d’en savoir plus. Ils avaient un écusson sur l’épaule mais nous n’avons pas réussi à voir à quoi il correspondait. La seule chose bizarre étaient leurs chargeurs, ils étaient transparents.

Thomas ajouta :

– Nous avons pu prendre quelques photos, avec les vôtres, nous pourrons peut-être en tirer quelques informations.

Paul regarda Antoine, lui aussi gêné. Ils avaient oublié que leurs jumelles pouvaient prendre des photos qui leur permettraient d’avoir d’autres informations qui auraient pu leur échapper.

Penaud, Paul s’excusa :

– On n’a pas de photo… On a oublié d’en prendre.

Visiblement déçu, Thomas répondit :

– Bon, on fera sans. Nous y retournerons demain après-midi pour une observation un peu plus longue. Avec le jour, nous verrons mieux ce qu’il se passera. On inversera les positions pour être sûr de ne rien rater.

Paul et Ethan firent un signe de tête, signifiant qu’ils avaient compris. Seul Antoine semblait dans ses pensées et en sortit pour dire :

– Ça ne ressemblait pas à des Beryl…

Paul se montra curieux :

– Des Béryl ?

– Une arme de fabrication polonaise, ce sont les seuls que je connaisse à faire des chargeurs transparents, si c’est bien ce que vous avez vu. Mais la forme ne correspond pas, les leurs étaient trop petit.

Thomas conclut :

– Tu regarderas demain si tu vois une information. En attendant il est tard, allons nous coucher.

Tous retrouvèrent leur sac de couchage. Ce n’était pas inconfortable. Paul s’endormit rapidement, après avoir souhaité une bonne nuit à ses camarades.

Paul fut réveillé par le bruit de la fermeture de la tente. C’était Antoine qui se levait. Il lui fallut quelques minutes pour remettre son esprit en place et sortir de son sac de couchage. Ethan dormait encore.

Dehors, malgré le froid de l’hiver, il faisait beau. Thomas semblait être réveillé depuis quelques temps déjà.

Paul prit son petit déjeuner avec Antoine avant d’être rejoint par Ethan.

Thomas leur annonça ensuite le programme de la journée :

– Ce matin, nous allons faire une marche de deux heures avant de revenir déjeuner. Ensuite, nous retrouverons nos points d’observation afin de découvrir à qui nous avons affaire.

Les espions marchèrent jusqu’au point d’eau qu’ils avaient découvert la veille.

Antoine demanda :

– Vous pensez qu’on peut se baigner ?

Ethan répondit vivement :

– Avec le froid qu’il fait ? T’es malade ?

– Mais non, et puis ça fait du bien.

Thomas intervint :

– Je pense qu’Ethan a raison, si tu n’es pas malade, tu risquerais de l’être en rentrant là-dedans.

Déçu, Antoine se plia aux instructions de Thomas. Il s’approcha tout de même pour plonger les mains dans l’eau, une maigre consolation pour celui qui était un excellent nageur et qui passait beaucoup de temps dans la piscine du campus.

Après une marche sportive de deux heures, les espions déjeunèrent en continuant de se rationner. Il allait être difficile pour eux de tenir la semaine avec le peu de nourriture qu’ils avaient et sans ressource à proximité. Cependant, Paul faisait confiance à Thomas pour ne pas les laisser mourir de faim.

Ils prirent ensuite la direction de leur cible tout en gardant les mêmes équipes que la veille.

Paul et Antoine étaient bien décidés à trouver les réponses qu’ils cherchaient.

Ils prirent place sur une petite butte, abrités afin de ne pas être vus.

Deux hommes étaient en faction et, grâce aux jumelles, les deux étudiants purent voir la trappe dont Ethan leur avait parlé la veille. C’était une grande trappe en métal qui semblait neuve. Les deux espions conclurent qu’elle avait été posée récemment ou parfaitement nettoyée.

Antoine prit soin d’observer les armes et fit part de ses conclusions à son ami :

– Ce sont bien des Beryl mais plus petit, je crois que l’armée polonaise les utilisent aussi, des mini-Beryl en quelques sorte. Je ne vois pas qui pourrait les utiliser à part eux, mais pourquoi les polonais viendraient ici ?

– Aucune idée, c’est peut-être des armes volées ou venant du marché noir.

– Ce n’est pas l’arme à laquelle je penserais en premier si je voulais acheter des fusil d’assaut.

Paul prit à son tour les jumelles. Il observa les deux hommes, en particulier leurs tenues. Des tenues tactiques noires mais dont les poches réservées aux grenades étaient vides. Sur les écussons, aucun logo identifiable mais une inscription en alphabet cyrillique. Paul prit des photos de ce qu’il pouvait observer. Cette fois, il n’allait pas oublier.

Soudain, la terre sembla trembler légèrement. Surpris mais concentré, Paul regarda les deux hommes qui se dirigeaient vers la trappe. Elle s’ouvrait lentement.

Les deux hommes disparurent dans le sol, laissant la clairière sans surveillance.

La trappe était restée ouverte.

Quelques minutes plus tard, deux autres personnes sortirent, un homme et une femme, vêtus comme les deux précédents. Ils se postèrent autour de la trappe, la relève avait été assurée.

Lorsque le moment fut venu, ils quittèrent leur point d’observation discrètement pour rentrer sur le campement. Ils y arrivèrent avant Thomas et Ethan.

Lorsque l’équipe fut au complet, Paul et Antoine purent décrire ce qu’ils avaient vu, comment se passait la relève et parler de la mystérieuse inscription sur les écussons des personnes qu’ils avaient observées.

Thomas et Ethan n’avaient pas d’autre information importante.

Thomas envoya quelques photos à l’Aigle, en particulier celles des écussons, en espérant avoir bientôt une traduction. Il leur fit part aussi des informations rapportées par Paul et Antoine.

Pendant le dîner, Ethan demanda au responsable des études :

– Qu’est-ce qu’on doit faire maintenant ?

– Nous avons fait notre travail, maintenant nous allons attendre les ordres afin de savoir comment poursuivre notre mission.

Ce n’est que plus tard dans la soirée que Thomas reçut un appel. C’était un agent de l’Aigle.

Grâce au haut-parleur du téléphone, tous purent entendre :

Merci pour les informations que vous nous avez transmises. Nous avons pu traduire le texte des écussons, c’est du russe et indique tout particulièrement le FSB. Votre mission est donc remplie et nos équipes d’interventions vont se tenir prêtes. Vous pourrez rentrer dès demain mais nous vous demandons de rester sur place jusqu’à quinze heures dans le cas où nous aurions besoin d’autres informations. Bonne soirée.

La communication se coupa.

Paul fut presque déçu que cette mission se soit si vite terminée, mais c’était peut-être une bonne nouvelle, ils avaient rempli leurs objectifs plus vite que prévu.

Les quatre espions ne s’éternisèrent pas. Le froid les poussa à regagner leurs sacs de couchage.

Paul, Antoine et Ethan discutèrent une demi-heure avant de s’endormir. Tous avaient espéré une mission plus longue et plus palpitante.

Paul se réveilla brusquement. En ouvrant les yeux, il vit d’abord une lumière aveuglante puis deux hommes entrer dans la tente.

Sans un mot, les deux inconnus se saisirent des jeunes espions et les sortirent de la tente. Il était inutile de se débattre, ils étaient armés et bien plus préparés.

Dehors, Paul vit que Thomas était menotté et surveillé par un autre homme. Les écussons ne faisaient aucun doute, c’étaient bien les agents qu’ils avaient espionnés.

Paul fut à son tour menotté puis bâillonné, comme ses camarades, avant d’être conduits jusqu’à un chemin. Une camionnette, gardée elle aussi, les attendaient. Ils furent chargés manu-militari avant que le véhicule ne se mette en route.

Paul regarda ses camarades. Antoine semblait songeur quant à Ethan, d’habitude très sûr de lui, on pouvait lire la peur dans ses yeux. Le seul qui était serein était Thomas. Il paraissait même détendu.

Paul rassembla ses esprits. Il savait qu’il ne risquait rien. C’était une mission organisée entièrement par son campus et un test grandeur nature. Leurs bourreaux ne devaient être que des agents et tout avait été prévu. C’est sans doute pour cela que leur mission avait été faite si rapidement.

Pour tenter d’apaiser Ethan, Paul le regarda dans les yeux, tentant de lui montrer qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter. Doucement, son camarade semblait se calmer.

La route ne fut pas longue. La camionnette se gara dans une clairière et les espions furent débarqués. A peine eurent-ils posé le pied à terre que le véhicule redémarra et s’éloigna dans la forêt.

Cinq gardes étaient autour des étudiants et de leur responsable des études. L’un d’eux sortit une petite télécommande et appuya sur un bouton.

Le sol trembla légèrement.

La trappe métallique, à-peine visible dans l’obscurité s’ouvrit. Un garde entra et un deuxième fit signe aux espions de le suivre.

Thomas fut le premier à s’engouffrer sous terre.

Paul découvrit une échelle et suivit son responsable des études.

Une fois qu’ils furent tous descendus, les espions se retrouvèrent dans un couloir éclairé par une lumière blafarde. La trappe se referma.

Un des étrangers leur fit signe de le suivre. Ils progressèrent dans le couloir jusqu’à une pièce circulaire. Là, ils empruntèrent un autre couloir sur quelques mètres avant de s’arrêter. Un garde ouvrit une porte, fermée par un loquet. Il ordonna :

– Entrez.

Puis, il regarda Paul :

– Sauf toi.

Paul laissa Ethan, Antoine et Thomas, entrer dans une petite pièce ressemblant à une cellule. Il se retrouva seul avec les gardes.

L’un d’eux l’empoigna et le fit marcher dans le couloir. Après avoir passé une lourde porte, Paul se retrouva dans une petite pièce dans laquelle il n’y avait qu’un bureau et une chaise.

Le garde le plaqua contre un mur et l’y attacha à l’aide des menottes. Paul savait à quoi s’attendre, il allait sans doute être interrogé.

Le garde sortit de la pièce, laissant le jeune espion seul.

Il n’eut pas à attendre longtemps avant que la porte ne s’ouvre à nouveau. Cette fois, c’était une autre personne qui entra. Paul sourit malgré le bâillon en reconnaissant Jordan Warden, son professeur d’anglais. Maintenant, il n’avait plus aucun doute sur le fait que l’Aigle soit derrière ce kidnapping.

Warden posa un dossier et un revolver sur la table puis s’approcha de Paul pour lui retirer son bâillon :

– Hello.

Paul hocha la tête et répondit par le même mot.

Le professeur d’anglais continua :

– Paul, quel plaisir de te voir ici. C’est moi qui vais te noter pour ton épreuve de fin de semestre et ta note dépendra en grande partie de toi. Je suis censé t’interroger sur les raisons de ta présence dans cette forêt. Je te connais assez pour savoir que tu n’aurais aucun mal à réussir cette épreuve, mais j’ai une autre proposition à te faire.

Paul s’étonna mais ne répondit pas, attendant que son professeur ne continue :

– Avant toute chose, saches que j’ai pris mes dispositions. Cette pièce est insonorisée afin que nous soyons libres de discuter. La porte est fermée à clé et personne ne viendra. Tout ce que tu me diras restera entre nous.

Il marqua une pause :

– Tu te souviens de Sacha Hayes, l’élève que tu as fait renvoyer ?

Paul répondit :

– Oui, un agent double.

– Si tu veux. Il avait été envoyé à l’Aigle pour te recruter et tu as refusé, sans manquer d’aller raconter ça afin qu’il soit renvoyé. Paul, Sacha ne pourra plus partir en mission nous le savons, il est grillé.

Paul intervint :

– Il s’est grillé tout seul.

Warden fit mine de ne pas entendre :

– Quoi qu’il en soit, nous avons besoin d’une personne pour le remplacer, comme tu l’imagines. Alors je peux déjà te prédire la suite, tu vas d’abord refuser la proposition, puis tu finiras par accepter. Comme je te l’ai dit, tout est prévu. Tu vas travailler pour nous.

– Nous ?

– La CIA. Nous avons besoin d’un jeune agent au sein de l’Aigle et nous avons décidé que ce serait toi. Pourquoi ? Car tu as éliminé notre agent sur place, c’est donc logique que ce soit toi qui le remplace, non ?

– Vous savez que jamais je ne le ferai.

Paul remarqua que le coin de la bouche de Warden se releva, comme un rictus timide. Le professeur d’anglais ouvrit le dossier sur la table et en sortit quelques feuilles avant de se tourner à nouveau vers l’étudiant :

– Je sais que tu le feras car tu n’as pas le choix. J’ai avec moi une arme chargée, contrairement à toutes celles ici qui ont des balles à blanc. Il sera facile de maquiller ta mort en regrettable accident. J’ai un second choix bien plus amusant. J’ai en ma possession des documents montrant la relation ambigüe que tu entretiens avec ton responsable des études et ce pourquoi tu as été recruté. Je ne pense pas que cela soit du goût de l’administration ou de l’Etat-Major. Je ne parle même pas de la presse.

– Qu’est-ce que vous racontez ? Il n’y a rien d’ambigu entre Thomas Duchesne et moi !

– Ce n’est pas ce que montrent ces photos, habilement fournies par les services de la CIA et te montrant en pleine discussion avec lui. Discussion visiblement passionnée. Alors, soit tu acceptes et en prime tu auras une bonne note à ton examen, soit je ferai mon choix entre faire virer Thomas Duchesne, faire en sorte que l’Aigle soit fermé ou avertir la presse qu’il existe une école formant de jeunes espions, et qu’un de ses plus éminents responsables a une liaison avec l’un de ses élèves. Quel sera le regard de la population à ton avis ? Et des puissances étrangères ?

– Vous bluffez.

Warden se saisit des feuilles qu’il tenait et les fit défiler lentement devant les yeux de Paul qui découvrit avec effroi que son professeur d’anglais disait vrai.

Warden continua :

– Nous avons aussi de très bons enregistrements sonores de conversations téléphonique, des SMS et des emails.

– Vous savez que c’est faux !

– Moi, oui. Toi aussi, mais qui croiront le Conseil des Sages ou l’Etat-Major ? Les accusés ou les preuves accablantes d’un professeur voulant bien faire son travail ? Est-ce que tu penses qu’ils prendront le moindre risque ? Bienvenue dans l’espionnage, Paul, ici c’est œil pour œil, dent pour dent. Un agent partout.

– Vous êtes dégueulasse.

Warden retrouva son rictus :

– A toi de choisir, Paul. Ton intégrité ou la survie de l’Aigle ?

Le jeune resta silencieux, il sentit sa gorge se nouer. Il répondit doucement :

– Qu’est-ce que je devrai faire ?

– Me fournir les informations que je te demanderai. Avant la fin de la semaine prochaine, je veux tout savoir sur tes deux camarades de chambre. Ensuite, ce sera les vacances et je te dirai ce dont j’aurai besoin par la suite. Bien entendu, inutile d’en parler à qui que ce soit, tu imagines bien que tu seras surveillé de près. 

Paul analysa la situation. Il était bloqué :

– Bien… Je n’ai pas le choix.

– Je suis ravi que tu le concèdes, Paul. Pour ce qui est de maintenant, officiellement je t’ai interrogé sur ta mission dans la forêt. Bien entendu, tu ne m’as rien dit. Entendu ?

– Oui, entendu.

– Je te serrerai bien la main, mais tu es attaché. Bonne continuation, et n’oublie pas ta nouvelle mission.

Warden regroupa ses affaires et sortit de la pièce. Il fut rapidement remplacé par un garde qui détacha Paul et le conduisit dans la cellule dans laquelle ses amis avaient été placés.

Paul retrouva Thomas qui lui demanda :

– Comment ça s’est passé ?

Paul répondit, cachant sa peine :

– Bien, on m’a interrogé mais je n’ai pas parlé. J’ai connu pire.

Paul regarda la pièce, il y avait deux bancs en pierre collés au murs et rien d’autre. Les camarades de l’étudiant n’étaient pas là :

– Et Antoine et Ethan ?

– Ils ne sont pas encore revenus.

Paul s’assit. Il fit son maximum pour ne rien laisser paraitre de ce qu’il avait vécu.

Quelques minutes plus tard, la porte s’ouvrit avec fracas. Trois hommes, cagoulés et portant un gilet pare-balle avec l’écusson de la DGSI entrèrent. L’un d’eux ordonna :

– Suivez-nous, on n’a pas beaucoup de temps.

Paul se redressa et suivit les agents français. Il retrouva rapidement ses deux camarades, eux aussi libérés. Malgré toute sa bonne volonté, il ne parvint pas à se prendre au jeu. Il savait que tout cela était une mise en scène.

Une fois à l’extérieur du complexe sous-terrain, Paul se retrouva avec cinq autres agents de la DGSI qui leur indiquèrent de fuir et de retrouver leur campement. Ils pouvaient ensuite rentrer au campus.

Thomas, Ethan, Antoine et Paul prirent la route et suivirent les ordres. Ils rangèrent leurs affaires et, sans attendre la fin de la nuit, retrouvèrent la voiture de Thomas.

Ils arrivèrent au petit matin sur le campus. Fatigués, ils posèrent les sacs de leur mission dans le bureau de Thomas et retrouvèrent leur chambre.

Antoine et Ethan reparlaient de leur mission. Paul, lui, préféra retrouver son lit, prétextant la fatigue pour ne pas participer à la conversation.

Les trois garçons étaient libres en ce mercredi. Tous les groupes n’étaient pas encore revenus et ils ne seraient au complet que le vendredi.

C’est ce jour-là que les jeunes espions de quatrième année avaient les résultats de leur semestre.

Tous assis dans l’auditorium, la rumeur ambiante cessa lorsque l’équipe pédagogique entra sur la scène. Paul repéra immédiatement son professeur d’anglais qui lui adressa un sourire entendu.

Par ordre alphabétique, les résultats des examens et la moyenne du semestre étaient donnés à chacun des élèves par leur responsable des études.

Le tour de Paul arriva. Il avait eu dix-huit à son examen, lui permettant de passer en tête de sa classe.

Arthur lui, passait deuxième et félicita son ami. Paul répondit par un sourire timide. Il n’avait pas mérité cette note, il le savait.

Le mardi, Paul revit Jordan Warden pendant son cours d’anglais. Rien ne laissait à penser qu’il était lui aussi un agent de la CIA.

A la fin du cours, alors qu’il allait sortir, Paul fut arrêté par son professeur :

– Paul, pouvez-vous rester un instant je vous prie ? Je souhaiterai vous parler.

Paul s’arrêta devant le bureau. Il resta silencieux. Les autres élèves sortirent puis, le professeur ferma la porte d’entrée de la salle. Il s’assit derrière son bureau :

– Je souhaitais vous féliciter pour vos bons résultats et vous dire que vous avez fait du bon travail pendant votre interrogatoire. Ho, n’oubliez pas les informations demandées. Vous les glisserez sous la porte de la chambre 741, vendredi soir. Bonne fin de semaine !

Paul acquiesça et, sans dire un mot, sortit de la salle de classe.

Ses amis ne manquèrent pas de l’interroger sur les raisons de cet entretien privé avec leur professeur, ce à quoi il répondit :

– Il voulait me féliciter et reparler de la mission d’examen, rien de palpitant.

Cette réponse suffit à faire cesser les questions.

Paul arrivait de mieux en mieux à faire semblant que tout allait bien.

Le soir, dans son lit, il s’appliqua à rédiger les informations demandées par Warden, omettant quelques détails. Il sacrifiait ses amis, il le savait. Cependant, son professeur avait déjà la liste des élèves, ce n’était plus une information primordiale. Paul se doutait que les informations qu’il fournissait avaient deux buts, celui de s’assurer qu’il ferait bien ce qu’on lui demandait et glaner des informations personnelles dont la CIA pourrait se servir plus tard, si ses amis devenaient espion, pour les faire chanter.

Le vendredi soir, Paul s’excusa auprès de ses amis alors qu’ils partageaient une boisson chaude en jouant au tarot.

Il remonta dans sa chambre, prit les informations sur ses amis et les glissa sous la porte de son professeur. Il retrouva ensuite le groupe d’amis en prétextant simplement un besoin de récupérer sa montre dans sa chambre car il n’aimait pas ne pas l’avoir avec lui. Il avait pris soin de ne pas la porter de la journée pour que cette excuse paraisse la plus naturelle possible.

Le lendemain, les étudiants de l’Aigle étaient en vacances.

Après avoir raccompagné Louis chez lui, Paul retrouva son appartement avec ses parents.

Il passa la journée dans sa chambre, en dehors des repas.

Le soir, il savait qu’il ne parviendrait pas à trouver le sommeil. Il avait besoin d’aide.

Il entendit sa mère rejoindre la salle de bains et en profita pour rejoindre son père, resté dans le salon. C’était sans doute la personne la plus à-même de le conseiller, par sa maitrise de l’espionnage et son naturel calme et réfléchi.

Paul s’assit face à lui.

Frank demanda :

– Ça va ?

Paul le regarda et hocha lentement la tête de haut en bas.

Frank compris que Paul n’avait pas été franc. Il demanda :

– Le campus ?

Paul répondit par le même geste.

Frank était une personne très logique. Paul savait que, sans dire un mot, il pourrait lui donner un signe que quelque-chose n’allait pas et lui donner des informations. Face à eux, la CIA aurait très bien pu équiper l’appartement de micros ou de caméra et surveiller que Paul ne dise rien à son père.  

Frank se leva et prit une feuille dans un tiroir. Il y écrivit quelques mots, plia le bout de papier avant de dire :

– Tu prendras du jus d’orange quand tu iras faire les courses ?

Paul répondit par l’affirmative et Frank conclut :

– Inutile que je te le note alors.

Il froissa le bout de papier et le laissa sur la table avant de se lever en direction de la cuisine.

Paul en profita pour se lever, prit le papier, le déplia et lut :

1h15. -2.

Paul regarda l’heure, il était minuit passé de sept minutes. Il tourna la tête vers son père et demanda :

– Tu laisses la liste des courses ici ?

– Non, tu peux la jeter si tu n’en as pas besoin.

– Ok, je vais le faire. Au fait, J’avais envie de faire du vélo pendant les vacances. Tu sais s’il est à la cave ?

Frank sourit :

– Oui. C’est une bonne idée de faire un peu de vélo, il faudrait que j’aille chercher le mien aussi.

Frank avait parfaitement compris le message de Paul. Le jeune espion n’avait pas été certain de comprendre le mot écrit par son père, cependant, la cave de l’appartement était au deuxième sous-sol. Demander si le vélo s’y trouvait permettait à Frank de répondre sans éveiller aucun soupçon au cas où ils étaient écoutés. De plus, en disant à son fils qu’il irait aussi chercher le sien, Frank lui avait indiqué qu’il le rejoindrait ou s’y trouverait aussi.

Paul se leva, déchira le bout de papier et le jeta dans la poubelle. Il traversa la pièce et indiqua à son père en souriant :

– Bonne nuit papa.

Frank lui répondit :

– Bonne nuit à toi aussi. Ne te couche pas trop tard.

– Non, je vais jouer jusqu’à une heure, une heure et quart et j’éteindrai l’ordinateur.

– Parfait.

Paul fit exactement ce qu’il avait dit. Il joua jusqu’à une heure et quart puis éteignit son ordinateur. Il sortit ensuite de sa chambre, sans allumer aucune lumière dans l’appartement, il prit les clés de la cave et descendit par les escaliers jusqu’au deuxième sous-sol. Là, il attendit quelques minutes, hésitant à ouvrir la porte de la cave, quelques mètres plus loin.

Soudain, il entendit des pas se rapprocher par les escaliers. Une personne descendait rapidement. Frank apparut.

Sans un mot, le père de Paul prit les clés et se dirigea vers la cave. Il l’ouvrit et laissa Paul entrer avant de le suivre.

Il referma la porte derrière lui. Paul découvrit qu’un système d’aimant permettait de garder la porte de la cave fermée. La lumière s’alluma.

Frank se fraya un chemin jusqu’au fond de la cave et prit un carton pour le poser en hauteur. Il tâtonna, semblant chercher un endroit précis à même le mur.

Soudain, un pan de quelques briques s’enfoncèrent et glissèrent derrière le mur, libérant une entrée à peine assez haute pour y entrer en se baissant.

Frank pénétra dans le mur, suivi de Paul. Le mur se referma.

Paul découvrit une petite pièce faiblement éclairée. Sur un côté, quelques écrans éteints sur une table où était posée un téléphone.

Sur le mur du fond, une grande armoire, fermée et verrouillée par un code.

Sur le dernier côté enfin, deux fauteuils se faisaient face et encadraient une petite table basse. Derrière, une nouvelle armoire fermée elle aussi par un code.

Frank s’approcha de cette dernière et tapa un code que Paul ne regarda pas. Les portes coulissèrent, révélant un petit frigidaire, des boites de conserve et quelques boissons. Frank prit une bouteille de whisky déjà entamée et en versa un peu dans deux verres. Il les posa sur la table avant d’inviter Paul à s’asseoir.

Paul prit place dans un des fauteuils. Frank, toujours debout, lui demanda :

– Tu as ton téléphone ?

Paul sortit son Smartphone et le tint à son père qui le plaça dans un petit tiroir du meuble où étaient posés les ordinateurs.

Paul demanda :

– On est où ?

Frank s’assit et sourit :

– A la cave. Tu as ici des ordinateurs reliés à Internet. Bien sûr, toute connexion est protégée et impossible à tracer. Le téléphone fonctionne de la même manière. Il y a une liste des numéros d’urgence à côté. Derrière toi, quelques vivres pour tenir un moment et un réfrigérateur avec congélateur. Tu n’as pas pu voir mais c’est assez profond. Dans la dernière armoire, c’est le mieux. Lorsqu’elle s’ouvre, tu as d’un côté des armes, des sacs de couchage et une trousse à pharmacie très bien fournie. De l’autre côté, une porte et derrière elle, une petite pièce avec douche et toilettes. Les fauteuils se transforment en lit.

Paul fut impressionné et demanda :

– Tu es une sorte de…survivaliste ?

– Non, mais on ne sait jamais ce qui pourrait arriver, guerre, attaque, blackout, … Ici on est en sécurité. Si une bombe nucléaire tombait sur nous, il resterait ce bunker. Nous sommes des espions, il peut arriver que nous soyons en danger. Ici, il sera impossible de nous trouver alors que nous resterons à quelques mètres de l’appartement. Tout fonctionne avec un code très simple A1357B. Il y a aussi un lecteur d’empreinte digitales qui permet de tout ouvrir et de changer le code ou ajouter des empreintes. Bien entendu, les tiennes sont déjà enregistrées.  

– C’est… impressionnant.

– Je sais. Bien, ce n’est pas pour ça qu’on est là. Je ne pense pas qu’il y ait des micros ou caméras dans l’appartement mais j’ai cru comprendre qu’il t’était compliqué de parler librement. Ici, personne ne nous écoutera.

– Le tiroir dans lequel sont nos téléphones…

Frank ne laissa pas Paul terminer sa question :

– La pièce ne laisse passer aucune onde, à moins de le vouloir grâce à une option sur l’ordinateur. Le tiroir est une sécurité supplémentaire.

– Bien. Mais le whisky…

– Tu es majeur, ça ne me pose pas de problème tant que tu fais attention. J’imagine bien que tu n’as pas attendu pour prendre de l’alcool.

Paul but une gorgée qui lui brula la gorge. Pourtant, il aimait le goût. Frank, reprit :

– Alors, quel est le problème ?

Paul ne savait pas par où débuter et préféra aller à l’essentiel :

– Je travaille pour la CIA.

Frank devint livide. Paul hésita à continuer et laissa son père reprendre ses esprits. C’est ce dernier qui prit la parole :

– Paul… Je ne peux pas croire que tu aies fait ça. Tu n’as pas eu le choix, rassure-moi ?

Paul prit une inspiration et raconta le chantage face auquel il avait été mis, comment il avait été approché par Sacha et refusé. Doucement, Frank comprit que son fils n’avait fait que ce qu’il pouvait.

Lorsque Paul eut terminé, son père prit quelques secondes avant de lui répondre :

– Mercredi, viens me chercher au travail à dix-sept heures trente. Nous irons retrouver une personne qui saura quoi faire.

Paul acquiesça :

– Merci.

– Ne t’en fais pas, il y a toujours une solution. En attendant, si tu me parlais de tes cours ?

Paul ne parlait jamais de l’Aigle avec son père. Pour la première fois, il put en parler librement et même poser quelques questions à son père, en particulier sur sa carrière sur le campus. Ils terminèrent lentement leur verre. Paul se détendait et profitait de ce moment.

Ils restèrent quarante-cinq minutes ensemble. Avant de sortir de la pièce, Frank referma le placard et s’adressa à son fils :

– Paul, je suis vraiment fier d’avoir un fils comme toi.

Le jeune espion savait que cela n’appelait aucune réponse. Il remercia son père puis, ils quittèrent la cave pour remonter dans l’appartement. Paul retrouva son lit et s’endormit, soulagé de ne plus avoir à garder son secret pour lui.

Le mercredi, dix minutes avant l’heure prévue, Paul était sur le trottoir, face à l’hôtel particulier de l’Aigle, qu’il avait visité quelques mois plus tôt et où Frank travaillait.

Il observait les voitures passer dans cette petite rue.

 Cinq minutes avant l’heure à laquelle Frank lui avait donné rendez-vous, une Mercedes Classe E noire se gara juste à côté de lui. Le chauffeur en descendit et alluma une cigarette. Paul comprit qu’il allait attendre un client en nettoyant le capot de sa voiture.

Paul se concentra sur la porte gardée par laquelle son père sortirait bientôt.

A dix-sept heures trente précises, Frank sortit du bâtiment. Il repéra Paul et l’accueilli avec un sourire :

– Tu as passé une bonne journée ?

– Oui et toi ?

– Journée de boulot.

Frank fit un signe vers la voiture garée proche de Paul :

– On y va ?

– Oui.

Frank serra la main du chauffeur. Ils échangèrent quelques mots puis montèrent dans la voiture.

Paul, sur la banquette arrière avec son père entendit le chauffeur demander :

– Même endroit que d’habitude ?

– Oui, mais le restaurant au bout de la rue, je vais partager un verre avec mon fils.

Le chauffeur adressa un regard à Paul :

– Ça se voit, vous vous ressemblez.

La voiture se mit en marche.

Malgré les bouchons, la voiture arriva après une vingtaine de minutes dans le dix-septième arrondissement de Paris et se stationna devant une petite place.

Frank demanda au chauffeur :

– Vous pouvez rester là pour accompagner mon fils à la maison ?

– Oui, bien sûr. Et ce soir ?

– Oui, aussi. Comme d’habitude.

C’est ainsi que Paul découvrit que son père avait un chauffeur.

Frank et Paul descendirent et se dirigèrent vers un bar.

Ils entrèrent par une porte vitrée dans une grande terrasse abritée, protégée par une haie et une grille. Malgré le temps froid, la terrasse était chaude. Paul observa les deux grandes tablées et les petits fauteuils dans le fond de la terrasse. Il reconnut le seul client qui y était assis, son responsable des études Thomas Duchesne.

Frank s’approcha de lui et lui fit la bise. Thomas serra ensuite la main de Paul qui remarqua que son responsable portait son costume-cravate noir habituel. Son père avait les mêmes habitudes et l’étudiant pensa que ce devait être une marque de fabrique de l’espionnage, tout comme dans les films Men in Black.

Le serveur arriva :

– Salut Frank, ça va ?

– Ça va et toi ?

– Qu’est-ce que je vous sers ?

– Un whisky.

– Bien, et pour le jeune homme ?

Paul répondit :

– Un coca.

– Ça marche, à tout de suite.

Paul s’excusa et entra dans la salle du restaurant. Malgré l’espace, il n’y avait que trois grandes tables. Il demanda les toilettes et se lava les mains avant de retrouver Frank et Thomas. Les boissons étaient déjà posées sur la table.

Trois personnes entrèrent, elles-aussi en costume et s’assirent devant l’une des deux grandes tables.

Frank exposa à Thomas le problème de Paul. Tout en gardant son calme, le responsable des études semblait prendre chacune des informations en compte, réfléchissant au fur et à mesure du récit. Lorsque Frank eut terminé et après s’être assuré auprès de Paul qu’il n’avait oublié aucun élément, Thomas répondit :

– Bon, je vais prévenir des agissements de Warden auprès du Conseil des Sages. Il va falloir la jouer fine mais nous trouverons le moyen de détruire les montages qu’il a en sa possession. Il faudra contacter la CIA ensuite pour négocier. J’imagine qu’il va falloir garder notre taupe un moment pour négocier.

Frank réfléchit un instant :

– Il y a des chances.

– Le problème serait qu’il ne soit pas seul et dans ce cas, Paul n’est plus en sécurité sur le campus.

– Tu as une solution j’espère ?

– Oui, un coup du destin sans doute. Je dois partir au Québec pour une mission avec un élève tout juste sorti de l’école pour sa première mission. Je vais voir s’il est possible de partir le lundi de la rentrée et que Paul m’accompagne. Je devrais pouvoir négocier facilement, Paul à bien plus le profil. Cela devrait durer assez longtemps pour faire le ménage sur le campus.

Frank acquiesça :

– Je l’espère. Tu sais que tu auras notre soutien.

– Je le sais, oui. De toutes manières, ce ne sera pas moi qui m’occuperai de Warden.

– La seule chose que je te demande c’est de faire attention à mon fils.

– Frank, tu me connais, je ferai attention comme mon propre fils, enfin, frère plutôt.

Frank adressa un sourire entendu à Thomas :

– Je le sais, mon frère.

Paul savait que son père n’avait pas été informé qu’il était déjà parti en mission. Ce n’était pas le moment de lui dévoiler.

Thomas s’adressa enfin à Paul, laissé jusqu’à lors hors de la discussion :

– Tu ne viendras pas sur le campus à la rentrée. Je passerai te chercher le lundi matin.

Frank regarda sa montre :

– Thomas, il va être l’heure. Paul, le chauffeur doit t’attendre devant, il va te raccompagner à la maison.

Thomas se leva et se dirigea vers le bar, à l’intérieur du restaurant. Frank tenta de l’arrêter mais le responsable des études de Paul lui répondit :

– Ça me fait plaisir, et puis ce sont peut-être les premiers pas d’un futur louveteau.

Sans comprendre, Paul sourit et remercia Thomas de l’inviter. Frank n’insista pas.

Comme Frank l’avait prédit, la voiture attendait Paul et le raccompagna chez lui.

Sa mère avait prévu deux assiettes et Paul dîna avec appétit.

Maude ne semblait pas surprise que Paul rentre sans son père. Frank était parfois absent le soir, sans doute pour son travail.

Après le diner, Paul tenta de savoir pourquoi Thomas l’avait désigné comme un “Futur louveteau“. Malgré des recherches rapides sur Internet, il ne trouva pas d’informations parlantes. Il pensa qu’il découvrirait cela plus tard mais que ce devait être lié à l’Aigle.

Le soir, Paul entendit son père rentrer un peu avant une heure du matin. Il décida d’aller le retrouver.

Frank avait l’air d’avoir passé une soirée agréable.

De nombreuses questions venait en tête pour Paul mais il choisit de commencer par celle qu’il s’était posée toute la soirée :

– C’était un restaurant de l’Aigle ?

Frank sourit malicieusement :

– Non, rien à voir, simplement un lieu qu’on apprécie.

– Mais après, vous alliez autre part avec Thomas.

– En effet, mais il va falloir que tu attendes un peu avant de savoir ce que c’est.

Paul n’aimait pas qu’on lui cache des informations. Il se résigna cependant et poursuivit avec une autre question :

– C’est quoi un louveteau ?

– Le petit du loup.

– Thomas m’a appelé comme ça, enfin “futur” louveteau.

– Tu as du mal entendre…

Paul commençait à perdre patience mais il savait que s’énerver ne servirait à rien. Il préféra changer de tactique :

– Il t’a appelé mon Frère, non ?

– Thomas ? Oui, on est un peu comme des Frères.

– Donc si je cherche les termes “Frères” et “louveteau”, je ne trouverai aucune réponse ?

Frank sembla hésitant :

– Aucune idée, pourquoi voudrais-tu trouver quoi que ce soit ?

Paul sortit son téléphone :

– Je ne sais pas, je suis curieux.

Frank prit une voix plus douce :

– Paul, il faut parfois laisser les choses venir. Il n’y a rien d’important là-dedans, fais-moi confiance.

Paul abdiqua. Il retourna dans sa chambre.

Avant de se coucher, l’interrogation persistait. Contre l’avis de son père, Paul prit son Smartphone et rechercha les deux termes sur Google. Il ne trouva que des résultats concernant le scoutisme. Il savait qu’il faisait fausse piste et se résigna. Il posa son Smartphone et s’endormit.

Paul put voir Louis plusieurs fois pendant les vacances. Il était soulagé d’avoir retrouvé son ami.

Le vendredi, il resta dormir chez lui et en profita pour le prévenir qu’ils ne partiraient pas ensemble le dimanche. Bien sûr, Frank avait déjà prévenu les parents de Louis qui était également informé. Il demanda à Paul pourquoi il ne retournait pas au campus.

Paul répondit honnêtement :

– Je pars en voyage scolaire si on veut, mais ça doit rester entre nous. Sur le campus, dis que tu n’as pas eu de nouvelle et que tu ne sais pas où je suis.

– Promis. Tu pars en mission ?

– Oui.

Le lundi, Paul se réveilla à sept heures du matin. Thomas l’avait prévenu, par l’intermédiaire de Frank, qu’il serait là à neuf heures et qu’il sonnerait.

Le jeune espion avait tenu à saluer ses parents avant qu’ils ne partent travailler. Il ressentait un sentiment étrange. C’était la première fois qu’il voyait ses parents directement avant de partir en mission et que son père était au courant. Pour Maude, la version officielle était que la classe de Paul se rendait à Paris et qu’il les rejoignait sur place sans avoir besoin de passer par le campus. Elle avait été ravie qu’il reste une nuit de plus avec eux.

A huit heures quinze, Maude et Frank saluèrent Paul et sortirent pour se rendre au travail. Frank lui avait glissé en lui souhaitant une bonne journée :

– Sois prudent.

Paul avait compris que son père s’inquiétait. Pour lui, c’était la première fois que son fils partait en mission.

Paul commença à préparer ses affaires quand, à huit heures quarante-cinq, on sonna à l’interphone.

Paul répondit, c’était Thomas qui, pour une fois, était en avance. Paul s’excusa :

– Je termine ma valise et j’arrive. Tu veux monter ?

– Pourquoi pas.

– Troisième étage.

Paul accueilli Thomas et lui proposa un café qu’il accepta. Celui laissait le temps au jeune espion de terminer à préparer ses bagages.

A neuf heures précises, Paul et Thomas sortirent de l’appartement. Thomas était garé à quelques mètres de là.

Dans la voiture, Paul remarqua :

– Je ne sais toujours pas ce que je vais devoir faire pendant cette mission.

– Tu as raison, j’ai prévu de te faire le briefing quand on aura nos dossiers. Ça te va ?

– Oui, parfait.

Comme lors des missions précédentes, ils passèrent par le bâtiment où ils seraient préparés pour leur mission.

La femme que Paul commençait à connaitre sortit une mallette avec plusieurs objets.

       Le premier était une veste en Goretex multifonction qui avait l’avantage d’être chaude et complétement étanche, mais aussi de pouvoir se refroidir en cas de grande chaleur. Elle était aussi capable de se gonfler autant que l’on voulait jusqu’à former un gilet de sauvetage très résistant. Elle reprenait ensuite sa forme normale dès que celui qui la portait le souhaitait.

       Le deuxième était un stylo qui contenait un laser puissant, capable de faire fondre tous les matériaux.

       Le dernier objet était une console portable PSVita.

       La femme la présenta :

       – Cette console sert à plein de choses, à jouer, regarder des films, lancer des applications. Mais le plus utile c’est surtout les jeux que l’on met à l’intérieur.   

       Elle prit une série de petits disques :

       – Voici cinq jeux. Ils ont tous une fonction différente et il faudra que vous lanciez le jeu pour développer la fonction associée. Le premier est Rayman Legend. Lui, je l’aime bien, il sort un grappin de la console avec une toute petite pointe qui se développe lors du déploiement du grappin. Je ne sais toujours pas comment ils ont réussi à faire entrer un câble aussi long dans une si petite console. Ce que vous devez savoir, c’est que le fil est très fin mais très résistant, que ce soit face à la chaleur, les scies ou un fort poids. Pas de problème pour vous y accrocher, aucun risque qu’il ne se casse. Pour l’enrouler à nouveau, il suffit d’appuyer sur la flèche du bas de la console.

       Elle s’arrêta pour que les espions enregistrent les informations puis poursuivit :

       – Le deuxième jeu est Dragon Ball Z, il développe un faisceau lumineux très puissant sur la console qui vous permettra de voir en pleine nuit comme en plein jour. Cependant ne regardez pas la LED de la console en l’allumant, ça vous détruirait la rétine et vous rendrait probablement aveugle pour un bon bout de temps. Le jeu suivant, Fifa 15, ne transforme pas la console en ballon de foot mais vous permettra de lancer une flèche en avant. Elle paralysera n’importe quel être vivant. Le poison contenu dessus à une durée d’une heure, ensuite, votre cible reprendra connaissance sans séquelle. La console contient cinq flèches.

       La femme sortit fièrement un dernier disque :

       – Mon jeu préféré enfin, Duke Nukem 3D. Celui-là est à usage unique et ce sera le dernier jeu que connaitra la console. Lorsque vous la lancerez, vous aurez quinze secondes pour vous mettre à l’abri avant que la console ne se transforme en bombe multifonction. Elle électrisera tout à une dizaine de mètres à la ronde en explosant et en projetant plusieurs petites billes de métal. J’espère que vous courez rapidement.

       Paul regarda la console. Il était impressionné par ses capacités. Il remarqua aussi que la femme n’avait cité que quatre jeux :

       – Et le dernier ?   

       Celle qui présentait les outils s’étonna :

       – Le dernier ?

       – Vous nous avez parlé de cinq jeux mais vous n’en avez présenté que quatre.

       – Exact. Le dernier, c’est Uncharted.     

       Paul regarda le disque dans sa boite :

       – Et il a quelle fonction ? Nous envoyer dans l’espace ?

       – Non, il distrait. C’est un jeu.    

       Un sourire satisfait aux lèvres, la femme sortit un nouvel objet :

       – J’oubliais, voici aussi deux liseuses qui permettent d’éditer des textes. Lorsque vous voudrez communiquer entre vous, ce sera à la page 76 du guide du voyageur galactique. Troisième paragraphe. Des adresses email ont aussi été configurées pour vous afin de communiquer avec nous. L’adresse vous sera communiquée dans votre dossier.

Sur ces mots, la femme rangea les accessoires dans une petite pochette qu’elle donna à Paul avant de sortir deux dossiers. Paul savait qu’ils contenaient les informations sur leurs nouvelles identités. Il demanda avant de quitter la pièce :

– Il n’y a qu’un exemplaire de nos outils ?

Comme une évidence, la femme répondit :

– Oui, il me semble qu’un seul de vous deux sera réellement sur le terrain.

Paul ne répondit pas, il poserait les questions à Thomas, qu’il savait déjà informé de leur mission.

Les deux espions quittèrent la pièce pour se rendre dans un petit bureau afin d’étudier leurs nouveaux profils.

Lorsqu’ils furent assis, Thomas indiqua :

– Je vais d’abord te faire le briefing afin que tu aies ta mission en tête.

Paul acquiesça et laissa Thomas poursuivre :

       – Comme tu le sais, nous allons partir au Québec. Il y a là-bas un homme que nous souhaitons surveiller de près.  Il est connu sous le nom de « IceMan », c’est un entrepreneur français qui est installé à Montréal. Nous savons qu’il a créé une entreprise et nous pensons qu’il s’en sert pour intercepter des communications de la plus haute confidentialité. Des conversations d’états et de personnalités politiques de nombreux pays. Nous imaginons qu’il s’en servira pour faire chanter les dirigeants ou les attaquer sur des points faibles que ces conversations pourraient lui révéler. Notre mission sera donc d’infiltrer cette organisation, trouver ce qu’elle prépare, collecter des preuves et les rapporter.

       Paul avait compris le but de sa mission, il demanda :

       – Tu sais comment on s’y prendra ?

       – Oui, il faudra que tu deviennes un stagiaire d’une des sociétés de IceMan. Ensuite, à toi de bien jouer ton coup mais je serai là pour te guider.

       – Bien.

Thomas ouvrit son dossier, imité par Paul.

Il découvrit sa nouvelle identité, celle de Paul Kuipers, dix-neuf ans, étudiant en télécommunication à Paris. Il avait, comme à son habitude, un frère, Thomas Kuipers. Ils étaient tous deux nés à Bruxelles. Ils avaient leur mère en commun mais nés de pères différents. Celui de Thomas avait quitté leur mère sans jamais donner de nouvelle.

Le père de Paul était un vendeur dans l’immobilier tandis que leur mère ne travaillait pas.

Il avait aussi un oncle, Tom Kuipers, qui vivait en France et qu’il voyait régulièrement.

Paul découvrit une série de documents traitant des cours qu’il avait eu depuis le début de l’année.

Il avait rejoint son frère au Québec pendant ses vacances afin de chercher un stage. Amateur de voyage, c’était pour Paul Kuipers une évidence de partir outre-Atlantique pour cette période.

Paul demanda :

– Je peux garder le dossier pour le voyage ? Je ne pense pas avoir le temps de lire les cours avant de partir.

– Non, garde juste les cours.

– Bien, c’est le principal.

Paul rangea son dossier et laissa les feuilles de cours sorties afin de les mettre dans son sac. Il demanda :

– On part combien de temps ?

– Le temps qu’il faudra. Ne t’inquiètes pas, ça se passera bien.

– J’en doute pas.

Les deux garçons retrouvèrent leurs affaires et montèrent en voiture en direction de l’aéroport d’Orly.

Paul demanda :

– Le vol est à quelle heure ?

– Treize heures. On mangera dans l’avion.

La voiture se gara sur le parking de l’aéroport, les deux espions s’enregistrèrent, les billets avaient déjà été réservés en avance.

Ils montèrent dans l’appareil. Une hôtesse leur indiqua leur place. L’Aigle les avait gâtés, ils avaient été placés en classe affaire.

Paul et Thomas se trouvaient face à face mais assez éloignés pour ne pas pouvoir s’entendre parler s’ils étaient assis dans le fond de leur siège. Ils étaient protégés par une cloison personnelle et le siège légèrement tournés vers l’allée.

Paul s’installa. Le siège était confortable. Il regarda le tarmac par son hublot.

Une femme d’un certain âge passa entre eux alors qu’ils discutaient. Elle dévisagea Paul avant de poursuivre vers sa place.

Un homme en costume les salua poliment et s’installa un peu plus loin.

Le signal fut donné, l’avion se mit en mouvement et décolla quelques instants plus tard.

Paul ne prit pas le temps de profiter des sièges entièrement inclinables. Il passa le vol à discuter avec Thomas. C’était un riche moment d’échange, un de ces rares instants que Paul chérissait car Thomas n’était plus son responsable d’études mais un coéquipier qui, à chaque fois, devenait de plus en plus un ami.

Ils atterrirent à quatorze heures quarante-cinq, heure locale, à Montréal.

A peine sortis de l’aéroport, Thomas indiqua à Paul un homme tenant une pancarte avec leur nouveau nom de famille.

Les deux espions embarquèrent dans une voiture noire et furent conduits dans le centre de Montréal, rue Notre-Dame Ouest.

Le chauffeur se gara devant le numéro 1874 et descendit de la voiture. Il ouvrit la porte à l’ainé de ses deux passagers et sortit leurs valises avant de les inviter à le suivre.

Devant la porte d’un bâtiment ancien le chauffeur fouilla dans sa poche et en sortit un trousseau de clés qu’il donna à Thomas :

– Le loft est au quatrième, porte de droite.

L’espion prit le trousseau et remercia le chauffeur qui ne s’attarda pas, remontant dans son véhicule pour repartir.

Thomas ouvrit la porte, l’intérieur de l’immeuble était moderne et agréable.

Les deux espions montèrent par les escaliers et ouvrirent la porte de leur appartement.

Ils découvrirent un petit couloir qui menait à une grande pièce à vivre.

Paul fut ébahi devant l’immense pièce à la hauteur sous plafond impressionnante. Une bibliothèque longeait le mur de droite et encadrait un grand écran de télévision. Devant elle, une table basse en verre était entourée en partie par un grand canapé d’angle en cuir et un fauteuil club qui semblait avoir été abimé au fil des années.

Un grand lampadaire et une petite table de chevet étaient à côté du canapé, derrière lequel se trouvait une grande table encadrée de six chaises.

Au mur, une armoire contenait de la vaisselle, à côté d’une grande toile représentant la ville de Montréal.

Paul regarda vers le mur face à lui. D’immenses fenêtres faisaient entrer la lumière.

Au plafond, un ventilateur était entouré de spots qui éclairaient les tableaux aux murs.

Les espions s’avancèrent dans la pièce. Derrière eux, ils découvrirent un escalier en colimaçon menant à une mezzanine.

Face à la table haute, une grande cuisine équipée aux murs en bois, semblait être encastrée sous la mezzanine. Paul regarda le plan de travail au centre, devant lequel se trouvait deux tabourets en bois. Il s’étonna de voir l’évier sur cet îlot central mais réalisa que le four et le réfrigérateur prenaient une place conséquente sur le mur du fond.

Une porte, sous l’escalier, menait à une grande salle de bains aux murs recouverts de carrelage blancs, réhaussant celui de couleur bleue posé sur le sol. Les espions avaient à disposition une baignoire, une douche et un grand lavabo.

Paul avait rarement vu des toilettes dans la même pièce mais Thomas lui expliqua que c’était habituel sur le continent américain.

Les deux garçons montèrent par l’escalier en colimaçon, protégé d’une rambarde métallique.

Un grand lit double faisait face au muret donnant sur la pièce à vivre. Un petit meuble bas servait de table de nuit. Au fond, une porte donnait sur une seconde chambre, avec une simple fenêtre pour recevoir la lumière de la pièce à vivre. Ce serait la chambre de Paul.

Les deux espions s’assirent autour de la table de la salle à manger. Deux téléphones et une enveloppe de taille A4 avait été déposés à leur intention. Les téléphones seraient les leurs pour la mission, quant à la lettre, il était indiqué sur la face avant au feutre noir “Paul Kuipers”. Thomas remarqua :

– Ouvre-la, c’est pour toi.

Paul prit l’enveloppe et l’ouvrit délicatement. Il en sortit une liasse de documents qu’il posa sur la table. Agrafé à la première page, il y avait une carte de visite blanche avec un logo, un carré rouge dans un cercle bleu. Au centre, on trouvait la lettre N. Sous le logo, on pouvait lire en lettres noires “NTech Corp.”. Un nom était inscrit sur le côté, celui de Jean Blanchet, responsable des ressources humaines, suivi de son adresse électronique et d’un numéro de téléphone. Une carte de visite classique.

Paul la détacha méticuleusement et lut la note inscrite sur la première page de la liasse :

Bonjour Paul,

Comme convenu ensemble, voici la carte de visite de Monsieur Jean Blanchet, il s’occupe de recrutement chez NTech Corp. Tu peux lui envoyer un email en expliquant que tu cherches un stage dans la télécommunication. J’ai aussi revu ton CV comme tu me l’as demandé. Tu le trouveras après ce petit mot. Je te laisse t’occuper de ta lettre de motivation.

N’oublie pas de bien réviser pour ton entretien, je suis sûr que tu seras pris.

Passe un bon séjour avec ton frère à Montréal et passe-lui le bonjour de ma part.

Tom.

Paul prit la feuille suivante, c’était son CV, ou plutôt le CV de Paul Kuipers.

Il était étudiant à Télécom Paris depuis cette année, avait obtenu un bac scientifique avec brio. Il était passionné de voyage et pratiquait la natation en club.

Quelques autres feuilles présentaient la société NTech Corporation. Paul étudia l’historique de la société et les informations primordiales qui lui permettraient de passer un bon entretien.

Lorsqu’il eut terminé, Thomas demanda :

– Tu veux faire ta lettre maintenant ?

Paul ne put retenir un bâillement :

– Je suis un peu fatigué. Demain.

– Bien, tu enverras aussi le mail. Si tu n’as pas de réponse dans trois jours, il faudra appeler. Si notre stratégie ne fonctionne pas, on sera obligé de changer nos plans, je compte sur toi pour que ça se passe bien.

Paul hocha la tête. Thomas repris :

– Pour l’instant, ils ne nous connaissent pas. Dès que tu auras envoyé ton email, il faudra être prudents. J’imagine que s’ils ont des choses à cacher, ils feront une petite enquête sur toi avant d’accepter que tu les rejoignes.

– L’Aigle a tout prévu ?

– Comment ça ?

– S’ils font une enquête, ils vont forcément s’assurer que je suis bien élève à Télécom Paris, non ?

– Certainement.

Paul vit Thomas prendre son téléphone. Il tapota quelques instants puis plaça l’appareil à son oreille.

Paul l’entendit :

– Bonjour, je vous appelle car mon frère vient d’arriver au Québec, il cherche actuellement un stage et je voulais savoir si vous étiez bien informé de cette situation et m’assurer qu’il n’y a pas de problème.

Après quelques secondes de silence, Thomas répondit à la personne au téléphone :

– Bien, je patiente.

A nouveau, Thomas garda le silence avant de répéter, quasiment mot à mot, la phrase qu’il avait dite juste avant. Cette fois, on semblait lui répondre. Paul écouta sans entendre l’interlocuteur de Thomas :

– Oui c’est bien ça… Paul Kuipers, il est entré cette année dans votre école… En effet, il est très discret… Donc vous vous chargez des conventions ? Merci madame.

Thomas posa son téléphone et s’adressa à son coéquipier :

– Très gentille cette femme. Ils ont bien ton dossier et prépareront les conventions de stages dès que tu l’auras, ils n’ont pas de problème pour que tu fasses ton stage ici. Elle ne se rappelait pas t’avoir beaucoup vu mais elle a beaucoup d’élèves et ne se souvient visiblement pas de tout le monde.

– C’est une bonne nouvelle !

Puis, Paul demanda :

– Comment ils ont eu mon dossier ?

– Tu sais que ce n’est pas vraiment Télécom Paris que j’ai eu au téléphone ?

Paul s’étonna :

– C’est pas eux que tu as appelé ?

– Bien sûr que si.

– Alors pourquoi tu ne les aurais pas eu ?

– L’ensemble de leurs appels est filtré par l’Aigle. En fonction de qui appelle, on rebascule sur leur accueil ou on intercepte l’appel.

Paul s’émerveilla :

– On peut faire ça ?

– Tu es en école de télécommunication non ?

Paul tenta de se défendre :

– Oui mais…

Il ne parvint pas à trouver une suite à sa phrase. S’il savait que Thomas blaguait, il réalisa que ses connaissances en télécommunications étaient limitées et qu’il allait sérieusement devoir se plonger dans les révisions du dossier qu’il avait reçu avec ses prétendus cours.

Après avoir attendu le soir pour se coucher afin de se caler sur les heures québécoises, les deux espions passèrent une longue nuit, en particulier pour Paul.

Le lendemain matin, il sortit de sa chambre et descendit l’escalier menant dans la salle à manger. Thomas l’accueillit avec un grand sourire :

– Bien dormi ?

Á-peine réveillé, Paul répondit sans forcer sa voix :

– Il est quelle heure ?

– Dix heures et demie. Tu as du café qui est chaud et j’ai trouvé des céréales. On fera des courses dans la journée.

Paul se dirigea vers la cuisine, se servit un bol de muesli et un grand café avant de s’asseoir face à Thomas, absorbé pas la lecture d’un document que Paul reconnut, c’était son CV.

Thomas remarqua :

– Il faudra que tu visites ton école, on ne sait jamais.

– Comment je peux faire ? On ne va pas faire un aller-retour à Paris…

– On a fait une belle découverte la nuit dernière, ça s’appelle Internet, et on peut même faire des recherches d’images ou aller sur des sites. Je suis sûr que ton école en a un. Je te montrerai comment on fait.

Paul ne releva pas la moquerie de Thomas. Il n’était pas de bonne humeur au réveil.

Les deux espions gardèrent le silence.

Paul termina son petit-déjeuner et, après avoir rangé, se rendit dans la salle de bains. Cela faisait longtemps qu’il n’avait pas pris un bain mais il préféra tout de même la douche, plus propice à un réveil rapide.

A onze heures trente, il était fin prêt.

Les deux espions firent quelques courses et déjeunèrent dans l’appartement.

L’après-midi fut studieux. Paul prépara sa lettre de motivation, demandant l’avis de Thomas régulièrement afin de pouvoir s’assurer d’être rappelé par le responsable des ressources humaines de NTech Corporation.

Il envoya ensuite son mail. Il ne lui restait plus qu’à attendre.

Les espions partageaient leur temps entre les révisions de Paul, qui lui prenaient une grande partie de la journée, et des visites de Montréal.

Le vendredi matin, alors qu’il s’apprêtait à déjeuner, Paul reçut un appel sur son téléphone portable québécois. Il décrocha :

– Allô ?

Une voix de femme se fit entendre :

– Monsieur Paul Kuipers ?

– C’est bien moi.

– Bonjour, je suis Samia Kacem, je suis la secrétaire de monsieur Blanchet, de la société NTech.

La femme laissa passer quelques secondes pour s’assurer que Paul ait bien intégré l’information. Il répondit :

– Oui ?

– Je vous appelle car votre profil a retenu notre attention. Vous êtes toujours disponible pour un stage chez nous ?

– Oui bien sûr.

– Nous avons cependant un problème. Vous indiquez dans votre lettre rechercher un stage de quatre semaines. Nous souhaiterions savoir s’il est possible d’étendre cette durée à huit semaines, ce qui est a durée habituelle de nos stages.

– Oui, je pense que c’est possible, je dois demander à mon école mais ça devrait pouvoir se faire.

– C’est parfait. Vous êtes donc étudiant dans une école française…

Entendant la secrétaire chercher ses mots, Paul termina sa phrase :

– Télécom Paris, oui.

– Parfait. Vous êtes en première année, c’est bien ça ?

– Oui, mais je m’intéresse aux technologies de l’information depuis plusieurs années et votre société m’a intéressé.

– NTech ? Nous ne sommes pourtant pas axés sur le grand public, encore moins en France.

Paul, ayant révisé l’historique de la société, ne se démonta pas :

– Mais vous êtes en avance sur beaucoup de vos concurrents, en particulier sur les liaisons satellites, c’est un des domaines qui me passionnent.

– C’est parfait. Donc vous connaissez déjà notre société ?

– Oui, je sais que cela fait vingt ans qu’elle a été créée, d’abord pour de la téléphonie de société ou de groupe puis vers le privé. Il me semble qu’après le rachat de Ntech il y a quatre ans, vous vous orientez plus vers la téléphonie internationale avec un grand pôle de recherche et développement, conjoint avec une de vos filiales, NTech Med, qui s’occupe des innovations dans le domaine des ondes et du médical.

Paul put sentit le sourire de son interlocutrice :

– Seriez-vous disponible mardi à dix heures pour rencontrer monsieur Blanchet ?

– Oui, bien sûr.

– Très bien, avez-vous notre adresse ?

– C’est bien au 3400 Jean Talon Ouest ?

– Exactement. Venez avec votre CV si possible.

– Bien entendu.

– A mardi monsieur Kuipers.

– A mardi, merci.

Le secrétaire de Jean Blanchet raccrocha. Paul se tourna vers Thomas :

– Mardi, dix heures.

– Félicitations. Tu es au point ?

– Je pense mais ce ne sera pas le même exercice avec le responsable. Je me doutais que sa secrétaire ne serait pas très technique, il le sera un peu plus.

– Sûrement. Prépare-toi ce weekend.

Paul hocha la tête.

Il passa son après-midi et son weekend à étudier les télécommunications et les liaisons satellites. S’il se présentait comme un passionné, il ne fallait aucune faille, encore moins un manque de connaissance basique qui le trahirait.

Le mardi, Paul se réveilla à huit heures. Il s’était couché tôt et était reposé, prêt à affronter son premier entretien d’embauche de sa vie et qui était déjà d’une importance capitale.

A neuf heures passées de cinquante minutes, il était devant le siège de NTech corporation, un bâtiment cubique en briques rouges.

Il s’approcha de la porte vitrée dont l’ouverture était protégée par un badge et un interphone. Il sonna.

Une voix féminine demanda :

– Bonjour, vous êtes ?

– Paul Kuipers, j’ai rendez-vous pour un entretien avec monsieur Blanchet.

La porte vitrée s’ouvrit. Paul entra.

Il arriva dans un bel espace avec des canapés aux couleurs vives. Il s’approcha d’un comptoir derrière lequel se tenait une jeune femme, celle qui avait dû répondre à l’interphone. Elle accueillit le jeune étudiant :

– Bonjour Monsieur.

– Bonjour, je viens pour un entretien avec monsieur Blanchet.

Paul vit la personne le dévisager avant de se saisir de son téléphone et appuyer sur une touche de composition directe.

La jeune femme patienta quelques secondes avant de prévenir son interlocuteur :

– Monsieur Kuipers est là, il a une entrevue avec monsieur Blanchet… Bien, c’est parfait. Merci.

Elle raccrocha et s’adressa à Paul :

– Vous avez votre carte d’identité ?

Paul fouilla dans sa poche et sortit son passeport qu’il tint à la jeune femme. Elle s’en saisit et le rangea dans une boite d’où elle sortit une petite carte qu’elle posa sur le comptoir :

– Voilà votre badge de visiteur. Vous pouvez patienter, quelqu’un va venir vous chercher. N’oubliez pas de revenir prendre votre passeport avant de partir.

Elle adressa sur ces mots un sourire à Paul qui prit le badge, remercia l’hôtesse et s’assit sur un canapé vert clair.

Quelques personnes traversaient le hall, disparaissaient dans le couloir ou sortaient en discutant.

Après cinq minutes, une femme d’une trentaine d’années s’avança vers Paul :

– Monsieur Kuipers ?

Paul se leva :

– C’est moi.

– Je suis Samia Kacem, la secrétaire de monsieur Blanchet, nous nous sommes parlé au téléphone vendredi.

– Oui, je me souviens.

– Suivez-moi, monsieur Blanchet va vous recevoir.

Paul suivit la secrétaire de Jean Blanchet dans un long couloir menant à des ascenseurs. Ils montèrent au deuxième et dernier étage du bâtiment, traversèrent un open space où une dizaine de personnes semblaient concentrées sur leur travail attinrent une porte vitrée.

Samia Kacem frappa et ouvrit.

Jean Blanchet, un peu plus âgé que sa secrétaire, physique fin, chemise rose saumon et cravate bleue claire se leva et indiqua à Paul de s’asseoir.

Le responsable des ressources humaines prit à nouveau place sur sa chaise :

– Bienvenue Paul. Tu as trouvé facilement ?

– Oui, très.

– Tu es arrivé récemment à Montréal ?

– Lundi dernier oui.

– Tu as trouvé où te loger ?

– Mon frère habite ici, je loge chez lui le temps du stage.

– C’est parfait ! Cela fait longtemps qu’il vit à Montréal ?

– Un peu plus d’un an, mais il est venu en France le mois dernier pour que nous fassions le vol ensemble.

– Des frères soudés, c’est une bonne chose !

– Oui, on s’apprécie vraiment beaucoup.

Jean Blanchet prit le CV de Paul qu’il avait imprimé. Il le parcourut :

– Tu as eu de bons résultats au baccalauréat.

– Seize, j’aurais pu avoir mieux mais la philosophie ne m’a pas aidé.

Jean Blanchet haussa les épaules :

– Pas sûr que ce soit très utile dans ta carrière de toutes manières. Comment ça se passe à Télécom Paris ?

– Bien, les cours sont intéressants, c’est très théorique et il y a une partie que je connais déjà mais j’aime bien.

– Tu es autodidacte ?

– Oui, je fouille pas mal sur Internet.

Jean Blanchet se releva et prit une caisse sur un meuble. Il la posa sur son bureau et en sortit une planche en carton, du fil de cuivre, un tube de rouleau de papier toilette, un crayon, une lame de rasoir et des trombones. Il regarda Paul :

– Tu connais ?

Paul sourit. Il reconnaissait parfaitement le matériel qu’il avait croisé sur de nombreux forums :

– Oui, le matériel nécessaire pour construire une radio maison.

Jean Blanchet sembla ravi :

– Tu saurais faire ?

Paul hocha la tête :

– Bien-sûr !

– Vas-y.

Paul prit le fil de cuivre qu’il enroula autour du tube. S’il n’était jamais passé à la pratique, il avait bien étudié la théorie, en particulier car cela l’avait intéressé, même au-delà de sa mission.

Il prit la plaque en carton et plaça les épingles à nourrice qu’il attacha à la plaque.

Le recruteur observait avec attention ce que faisait Paul qui plaça enfin la lame de rasoir.

A ce moment, il s’arrêta :

– Cela fait longtemps que je ne l’ai pas fait mais il me semble qu’il fallait chauffer la lame avant de placer le crayon dessus.

Jean Blanchet sourit :

– Bien, tu peux arrêter.

Sur ces mots, il reprit le matériel et le replaça dans sa boite avant de reprendre sa place :

– Pourquoi veux-tu faire ton stage chez NTech ?

Paul fit mine de réfléchir. En réalité, il avait passé sa journée du lundi à s’entrainer à toutes les éventualités de questions avec Thomas :

– Car je sais que ce sera NTech qui sera à la pointe de la technologie d’ici cinq à dix ans.

– Pourquoi cela ?

– Votre pôle de recherche est le plus important, en terme financier et en chercheurs. En plus, le pôle médical vous permettra aussi d’augmenter les bénéfices de la société et d’approfondir les futures technologies avant vos concurrents, ce que d’autres sociétés ne font pas, se reposant sur l’avenir à court terme.

Jean Blanchet sembla ravi des réponses de Paul :

– Tu sais que pour travailler ici, il faut remplir quelques conditions ? Il sera difficile de te laisser tout voir sans être citoyen canadien. Tu viens de France, c’est bien ça ?

– Oui.

– Ça ne te posera pas de problème de ne voir qu’en surface nos technologies ?

– Absolument pas, je ne suis qu’en première année.

– C’est parfait. Tu as de la famille à l’étranger ?

– Non, seulement mon frère, ici à Montréal.

– Personne qui ne travaille dans le même secteur ?

– Du tout.

– Pas de passé judiciaire ?

– Non, aucun.

– Tu pourrais passer deux mois dans notre société ?

– Oui, bien sûr, j’en serai ravi.

– Je te laisse voir les modalités avec ma secrétaire. Je pense que tu as toutes les qualités pour travailler avec nous.

– Merci monsieur.

– A lundi.

Paul adressa un sourire entendu à Jean Blanchet et sortit de la pièce.

Samia Kacem était assise derrière un bureau et se leva à la vue de Paul :

– Tout s’est bien passé ?

– Oui, monsieur Blanchet m’a demandé de voir les modalités de mon stage avec vous.

La secrétaire parut gênée :

– Ha, bien. Patientez.

Elle frappa au bureau de Jean Blanchet avant de revenir auprès de Paul :

– Il faut que vous nous donniez vos conventions de stage. Pouvez-vous me les transmettre par email ?

– Bien sûr.

– Monsieur Blanchet m’a dit que vous devriez commencer dès lundi prochain, il faudra donc faire cela rapidement.

– Je vous les envoie dès que je suis rentré chez moi.

Samia Kacem retrouva son sourire :

– Alors je vous raccompagne dans le hall.

Paul suivit la secrétaire jusque dans le hall où ils se saluèrent. Il récupérera ensuite son passeport en rendant son badge et ressortit.

Il se dépêcha de rentrer et, à peine arrivé dans l’appartement, annonça :

– C’est bon !

Thomas, plongé dans une casserole à l’eau frémissante, se retourna :

– Tu es pris ?

– Oui !

– Il t’a déjà donné sa réponse ?

– Oui.

– Génial.

Paul laissa passer un instant :

– Mais je me posais une question en rentrant, si leurs agissements ne sont pas clairs, pourquoi ils acceptent quand même les stagiaires ?

– C’est tout l’intérêt, NTech Corp est une entreprise tout ce qu’il y a de plus normal, c’est ce que ça cache qui est intéressant, et cela va être tout l’intérêt de ta mission, montrer que tu es bon afin qu’ils te fassent passer sur ces projets.

– Ils feront confiance à un stagiaire ?

– S’ils ne t’expliquent pas le but, je pense que ça en sera pas un problème, c’est là-dessus que l’on compte.

– Ils m’ont dit que sans être canadien, je ne pourrais pas voir tous leurs projets.

– Oui, c’est normal, ils ont peur de l’espionnage industriel, mais c’est pour la partie légale, je ne pense pas qu’ils seront regardants sur le reste. On sait qu’ils ont du mal à trouver des collaborateurs assez bons pour développer leurs projets, on estime en analysant les différents éléments que l’on a, qu’ils ont pris du retard dans leur développement. Ils risquent de ne pas être prêt avant les prochaines élections américaines et on a émis l’hypothèse que c’était la date à laquelle ils souhaitaient être en place.

– Alors ma mission maintenant ?

– Être bon dans ton stage pour découvrir le plus d’informations en un mois.

– Ils veulent me prendre pour deux mois.

– Encore mieux !

– Il me faut une convention de stage par contre.

Thomas haussa les épaules :

– Appelle ton école.

– Mais…

Paul se souvint que tous les appels de Télécom Paris étaient interceptés par l’Aigle.

Il appela le numéro de l’école et une jeune femme répondit :

– Télécom Paris, bonjour.

Paul hésita :

– Bonjour, je suis Paul Kuipers, je dois faire un stage et je cherche à avoir des conventions de stage.

– Paul Kuipers, très bien, je vous passe le service des relations entreprise.

Paul patienta quelques instants avant qu’une autre femme ne prenne l’appel :

– Marine Paulsen, service des relations entreprise.

– Bonjour, c’est Paul Kuipers, je cherchais à avoir une convention de stage pour un stage de deux mois.

Marine Paulsen répondit comme une évidence :

– Bien sûr Paul ! Quelle est l’entreprise ?

– NTech Corp.

– Où est-elle ?

– A Montréal.

– Ha, c’est à l’étranger, c’est très bien. Peux-tu m’envoyer les informations sur la société par mail ? Je te répondrai avec la convention de stage que tu devras signer et faire remplir par la société. N’oublie pas de bien nous renvoyer une copie !

– Oui, très bien.

– Je pense que nous pourrons te l’envoyer demain si tu nous envoie le mail ce soir.

– Parfait, je le fais tout de suite.

– Tu as mon adresse email ?

Paul réfléchit :

– Je ne crois pas.

– mpaulsen@telec-paris.fr. N’oublie pas le tiret surtout !

– C’est noté, merci.

– N’hésite pas à m’appeler si tu as des questions.

– Merci, je le ferai.

– Ho, Paul ?

– Oui.

– Tu as un logement là-bas ? Sinon nous avons des accords avec l’université de Sherbrooke, c’est un peu loin mais c’est gratuit.

– Merci mais je suis chez mon frère, il vit ici.

– C’est parfait ! A bientôt alors ! Amuse toi bien !

– Merci.

Paul raccrocha et se tourna vers son coéquipier :

– Faut que j’envoie les informations par mail.

– Tu feras ça après déjeuner ? J’ai préparé des pâtes à la bolognaise !

– Super !

Paul déjeuna avec appétit puis s’occupa de son mail.

Le lendemain, il reçut les conventions de stage dans la matinée qu’il fit suivre à Samia Kacem.

Le soir même, tout était prêt pour qu’il commence son stage dès le lundi suivant.

Paul arriva sous les recommandations de Samia Kacem à dix heures le lundi suivant.

On lui fit visiter le bâtiment puis rencontrer le manager qui se chargerait de lui, Nolan.

Nolan était un jeune homme de vingt-cinq ans, athlétique, les cheveux en bataille et un look d’adolescent. Il l’invita à entrer dans un petit bureau :

– Bienvenue parmi nous Paul !

– Merci.

– Pour commencer, j’aimerais que tu aies une vision des différents métiers que nous avons ici. Jean m’a dit beaucoup de bien de toi, que tu étais un passionné de télécommunication.

– Oui, c’est vrai.

– C’est parfait. Tu vas t’amuser ici ! Tu tombes bien, l’un des analystes est tombé malade et ne sera pas là cette semaine, j’ai décidé que tu le remplacerais. Ce n’est pas très scientifique, mais c’est un poste essentiel pour comprendre le travail que l’on fait ici. Ensuite, tu pourras travailler avec certains techniciens en connaissant l’impact de ton métier sur le réseau. Nous avons un outil de statistique des appels passés à Montréal. Il faudra que tu reportes le nombre d’appels de chaque heure de la veille sur un classeur Excel. Tu auras aussi certains numéros qui s’afficheront de différentes couleurs, il faudra que tu fasses une liste des numéros rouge, des appels qu’ils ont émis et reçus, le temps de communication ainsi que la position géographique.

Paul s’intéressa à ces numéros :

– Ce sont des appels particuliers ?

– Oui, ce sont ceux qui ont de mauvais réseaux, on essaye de comprendre pourquoi et de les arranger.

– Très bien, je comprends.

– Chaque soir, tu déposeras tes fichiers dans un dossier sur le serveur. Bien entendu, toutes les informations sont confidentielles et tu ne dois pas amener du travail chez toi, encore moins les numéros que tu verras ou les noms de nos clients.

– Oui, bien sûr.

– Tu es prêt ?

– Oui.

– Alors on va aller voir ton poste de travail !

Paul s’installa à son bureau dans un espace ouvert. Là, il lui était impossible de faire quoi que ce soit sur son écran sans être observé.

Sa tâche était répétitive et peu intéressante, si bien que le soir, il rentra fatigué.

Il raconta sa journée à Thomas qui l’écouta attentivement. Lorsque Paul eut terminé, il lui demanda :

– Les numéros en rouge, qu’est-ce que c’est ?

Paul lui expliqua qu’il s’agissait les numéros avec une mauvaise communication, ce sur quoi Thomas insista :

– Tu pourrais les copier et me les rapporter ?

– Je ne sais pas, il n’y en a pas beaucoup mais difficile de les noter, on peut facilement voir ce que je fais.

– Bon, essaye quand même demain, sinon nous trouverons une autre solution, j’ai bien envie de savoir pourquoi ils portent tant d’attention à leurs mauvaises communications.

– Pour les corriger ?

– Ça m’étonnerait. Ça pourrait leur donner des indications sur des antennes défaillantes mais je suis certain qu’ils ont d’autres outils pour ça. Pour moi ce n’est pas logique.

– Je vais essayer d’en copier quelques-uns, en espérant qu’on ne me voit pas.

Paul, fatigué, se coucha rapidement après le diner. Le lendemain, il se réveillait à sept heures pour une nouvelle journée de travail au sein de NTech Corp.

Parvenir à copier les numéros n’était pas une tâche facile. Paul ne put pas tous les recopier mais profita de la concentration de ses collègues pour écrire près de la moitié des numéros sur son téléphone et les enregistrer. 

Le soir, il les communiqua à Thomas qui les reporta sur une feuille. Il demanda à Paul de continuer le lendemain s’il le pouvait.

Thomas chercha un lien entre les numéros récoltés pendant les deux jours. Il était persuadé que la raison des mauvaises communications n’était pas valable. Il commença par les chercher dans un annuaire en ligne et trouva qu’ils avaient tous un point commun, ils étaient situés à Rimouski, une ville au nord, bien au-dessus de la ville de Québec.

Malheureusement, si cela confortait l’idée de Thomas que ces appels n’étaient pas répertoriés uniquement parce qu’ils étaient de mauvaise qualité, rien ne pouvait le renseigner sur la raison de cette possible surveillance.

Pour Thomas, plus Paul aurait d’informations et mieux ce serait. Il espérait ne pas faire fausse piste.

Paul lui fit part d’une de ses observations :

– J’ai remarqué que c’était des appels assez courts.

– C’est-à-dire ?

– Entre quinze et trente-cinq secondes, sauf quelques exceptions, mais j’ai dû en voir que deux ou trois.

– Quelles exceptions ?

– Des appels de cinquante seconde environ.

– Bon, ça ne m’aide pas trop mais on trouvera peut-être la réponse plus tard. En attendant, continue de bien travailler. La semaine prochaine, tu dois changer de poste, on aura peut-être d’autres indications. En tous cas, j’ai de plus en plus l’impression que NTech se dédie bien plus à leur projet d’espionnage qu’on ne le pensait.

– J’espère que je pourrais trouver quelque-chose d’autre. Si je vois des choses étonnantes, je te préviendrais.

Le lendemain, Paul ne releva pas de numéro. Thomas lui avait dit de sécuriser son poste et de s’assurer de pouvoir rester dans l’entreprise.

C’est donc sans plaisir mais en faisant attention aux moindres détails que Paul commença sa journée et termina sa semaine.

Le vendredi après-midi, Paul reçut la visite de Nolan, qui lui demanda de prendre ses affaires, de laisser son poste et de le suivre.

Paul traversa l’étage jusqu’à un grand bureau dans lequel il fut invité à entrer.

Deux personnes étaient déjà présentes, travaillant sur des ordinateurs avec deux écrans. Ils semblaient absorbés dans leur tâche et ne prirent que quelques secondes pour saluer Paul.

Nolan installa le stagiaire devant un ordinateur qu’il alluma :

– Voilà ton nouveau poste. Jean m’a dit que tu connaissais bien les ondes radio. Ici, tu vas changer un peu de domaine. Nous utilisons un réseau de satellites permettant à nos utilisateurs d’avoir Internet partout et en permanence. Samy et Eliott travaillent actuellement pour orienter cette couverture sur l’ensemble du continent américain. A terme, le réseau couvrira l’ensemble de la planète, permettant à nos utilisateurs de ne jamais changer de réseau, où qu’ils soient dans le monde. Nous avons un problème sur la ville de Bathurst, sur la côte. Visiblement, la couverture n’est pas bonne. Il faudrait analyser pourquoi et réorienter l’un de nos satellites pour que le problème soit résolu. Bien entendu, sans pénaliser une autre ville. Tu t’en sens capable ?

Paul comprenait sa mission mais n’était pas certain de pouvoir jouer avec des satellites sans risque. Il répondit tout de même :

– Je peux essayer.

– C’est très facile tu verras, c’est comme un jeu vidéo. Samy et Eliott son là pour t’aider si besoin !

Paul hocha la tête et posa ses affaires. Sur son ordinateur, un programme était ouvert par défaut, celui qu’il allait utiliser.

Il y avait trois applications dans le programme. La première sortait une série de chiffres et de statistiques sur le réseau de NTech et sa couverture.

La deuxième présentait une carte sur laquelle on voyait l’important réseau de satellites utilisés par la société pour envoyer le réseau Internet. En cliquant sur un satellite, il était possible de l’orienter voire de lui faire changer de trajectoire. Les satellites pouvaient s’éviter et le programme bloquer une mauvaise trajectoire, dans le cas d’une mauvaise manipulation et, surtout, pour éviter qu’un utilisateur détruise un matériel particulièrement couteux.

La troisième application présentait une carte du monde avec des zones en vert, en orange, en rouge ou en noir. Sur le continent américain, tout était vert avec quelques tâches oranges. Le reste du monde était en rouge. C’était la couverture réseau de NTech. Paul zooma sur Bathurst. La ville et ses alentours étaient en rouge.

Le jeune espion allait devoir trouver le satellite qui lui permettrait de résoudre ce problème sur l’autre carte. Heureusement, les déplacements n’étaient pas en temps réel et il pouvait faire des essais avant de valider.

Si la tâche pouvait paraitre simple, c’était en réalité bien laborieux. Tout d’abord, un léger mouvement pouvait parfois faire déplacer une zone bien plus que souhaité. Parfois, c’était l’inverse.

Paul réussit même à bouger un satellite qui, s’il l’avait validé, aurait bien eu l’effet de rétablir un bon réseau à Bathurst mais aurait privé toute la région de connexion.

En fin de journée, il avait pu réussir à redonner un bon réseau à une partie de la ville. Le reste attendrait le lundi. Bathurst resterait le weekend avec une couverture moins bonne que prévu.

Paul et Thomas profitèrent du weekend pour visiter Montréal et passer le samedi après-midi à la Ronde, le parc d’attraction de Montréal. Thomas n’était pas un grand amateur de sensations fortes, contrairement à Paul qui passa un moment loin de sa mission.

A dix-sept heures, Ils avaient fait plusieurs attractions et se reposèrent en prenant une boisson. Paul regarda Thomas. Á son sourire, il savait qu’il préparait une phrase pour le taquiner. Elle ne tarda pas :

– Tu n’as pas quitté ton sourire du weekend.

Paul ne put se retenir de rire :

– Tu ne manques jamais de le remarquer !

– Tant que tu le prendras mal, oui, je continuerais à te le faire remarquer.

– Bon, je ne dis plus rien alors !

Les deux espions restèrent jusqu’au diner dans le parc d’attraction. Cette pause était un agréable moment pour Paul, avant de reprendre son travail le lendemain.

Le jeune espion se remit sur le paramétrage des satellites dès son arrivée, à neuf heures précises, dans son bureau.

Il commençait à trouver la bonne manipulation en fonction des satellites et de leur hauteur.

A quinze heures, la porte du bureau s’ouvrit. Paul se retourna et vit un homme petit, bedonnant, et qui portait un chapeau melon d’un très mauvais goût. Il s’approcha du bureau de Paul :

       – Enchanté, tu es ?

       Paul fut étonné de cette approche et répondit poliment :

       – Paul, je suis stagiaire.  

L’inconnu remarqua :

       – Et déjà sur des joujoux de grands ! En tout cas, bienvenue parmi nous ! Tu arrives à un résultat ?

       – Oui, je ne suis plus très loin et je devrais y arriver d’ici ce soir !

Un sourire illumina le visage de l’inconnu :

       – Brillant. Je ne sais pas qui t’a engagé ici mais c’était un bon choix, définitivement. Sais-tu qui je suis, Paul ?       

       Paul dévisagea l’homme. Il ne l’avait jamais vu. Son briefing de mission ne contenait aucune photo. L’espion répondit en choisissant de faire un trait d’humour :

       – Absolument pas, mais j’imagine que vous avez un meilleur poste que le mien.      

       L’inconnu se fendit d’un rire gras et bruyant :

       – Et il a de l’humour en plus !

L’homme reprit un ton plus sérieux :

– Je suis Armand Fortin, mais tout le monde m’appelle IceMan ici.

– Vous êtes donc le directeur de NTech.

– Exactement. Jean m’a dit beaucoup de bien de toi. C’est rare pour un stagiaire qui n’a pas d’expérience. Je suis venu te voir car nous aurions besoin de toi à un autre poste, nous souffrons d’un manque d’effectif et, le temps de notre recrutement, je suis sûr que tu pourras assurer le remplacement. C’est un poste plus intéressant et tu y seras bien encadré. Quand tu auras terminé le paramétrage de ton satellite et que tu auras permis à cette petite ville d’avoir une bonne connexion, nous en rediscuterons.

Paul était ravi de cette proposition. Plus il découvrirait de poste dans l’organisation de NTech, plus il aurait d’informations à livrer à l’Aigle. Ayant rapidement analysé la personnalité de son interlocuteur, Paul répondit en souriant :

       – Merci Monsieur Man

IceMan éclata à nouveau de rire puis sortit de la pièce.

       Paul termina un peu avant son heure de fin de travail d’orienter les satellites dans la bonne direction.

C’est à cet instant que Blanchet entra dans la pièce :

– Paul, peux-tu venir dans mon bureau ? Merci.

Paul rangea ses affaires et suivit le responsable des ressources humaines jusqu’à son bureau. Jean Blanchet indiqua à Paul de s’asseoir et ferma la porte avant de commencer :

– Paul, notre directeur m’a demandé que tu sois accompagné chez lui demain matin. Il faut que tu sois informé que c’est un honneur et que nous te faisons confiance. Une de nos voitures viendra te chercher demain matin chez toi pour t’emmener à destination. Ton adresse est bien celle qui est sur la convention de stage ?

– Oui.

– Il est fort possible que le poste que te proposera notre directeur soit un poste important. Je veux m’assurer que tu t’en sentes capable. Tu as de bons résultats ici, bien que tu sois arrivé récemment, et tu es un excellent élément, mais je ne veux pas que tu prennes un poste si tu ne t’en sens pas les épaules.

– Je ne connais pas encore ce poste mais on m’a dit que je serais encadré. Si jamais je ne me sentais pas à l’aise, je viendrais vous voir.

– C’est parfait Paul. Huit heures demain en bas de chez toi, n’oublie pas.

– Promis.

Paul ressortit du bureau et rentra à l’appartement.

Il annonça la nouvelle à Thomas, profitant de l’occasion pour donner l’identité de IceMan qui fut immédiatement envoyée à l’Aigle. Armand Fortin n’avait aucun passé judiciaire, c’était un homme d’affaire qui s’était construit tout seul, rien dans son parcours ne laissait à penser qu’il préparait un espionnage à l’échelle mondiale de personnalités influentes. Paul demanda :

– C’est possible qu’on fasse fausse route ? L’Aigle s’est déjà trompé ?

Thomas réfléchit :

– En général, quand on intervient, c’est qu’on a des soupçons assez bien fondés. Il est arrivé que ce soit moins grave que prévu, mais nous ne nous sommes jamais trompés, du moins je ne le crois pas.

– Je vais continuer et on verra bien. Je vais chez IceMan demain, s’il y a un élément bizarre chez lui, je te le dirai.

– Merci Paul, continue de bien travailler pour eux.

Le lendemain, Paul descendit dans la rue un peu avant huit heures. Un 4×4 se gara devant lui quelques minutes plus tard. Le chauffeur descendit la vitre face à Paul :

– Paul Kuipers ?

– Oui.

Le chauffeur descendit de sa voiture et ouvrit la porte au stagiaire avant de reprendre le volant et de démarrer.

Le trajet dura un peu plus d’une demie heure. La voiture se stationna devant une maison, au bord de l’eau, dans le sud de Montréal.

Lorsque Paul descendit, il vit IceMan ouvrir la porte et l’accueillir pour inviter son stagiaire à entrer.

Paul traversa un grand salon avant de ressortir de l’autre côté de la maison, dans un beau jardin. Il faisait froid mais IceMan ne semblait pas en souffrir. Son regard se perdit puis, il sortit un cigare et l’alluma. Il recracha l’épaisse fumée et se tourna vers son invité :

– Paul, il parait que tu travailles bien depuis ton arrivée. J’ai vu que tu étais étudiant à Paris et un passionné des télécoms. Si tu le souhaites, je voudrais te proposer de faire un essai sur un nouveau poste. S’il te plait et que nous sommes contents de toi à l’issue de ton stage, j’envisagerai de te payer ta formation ici, au Québec, pour que tu puisses continuer à travailler pour nous. Nous avons besoin d’éléments passionnés et sérieux comme toi. Cette idée pourrait-elle te plaire ?      

Pour Paul, la réponse était évidente. Il n’hésita pas :

– Oui, ce serai super de pouvoir continuer à travailler pour vous.

IceMan sembla satisfait de cette réponse :

– En attendant, j’aimerai tester tes capacités sur un poste un peu plus gratifiant pour ton stage, plus technique. Est-ce que tu pourrais t’éloigner de Montréal ?

Paul fit mine de réfléchir, tout en sachant que sa mission l’obligeait à accepter :

– Il faut que je prévienne mon frère, je vis chez lui, mais je pense que ce sera possible. Il faudra simplement que je trouve à me loger si c’est loin d’ici.

IceMan le rassura :

– Un appartement t’y attends déjà. C’est à Ikaluktutiak, là où nos équipes principales sont installées. Si tu cherches sur une carte, c’est très simple, on ne peut pas faire plus au nord.          

– Alors j’imagine que c’est d’accord.

– Bien, très bien. Nous fournissons les logements car les projets là-bas sont soumis au secret. Tout ce que tu y verras ne doit pas en sortir. C’est une règle d’or pour éviter que nos idées ne soient prises par des concurrents. Nous te ferons signer un contrat pour cela. Après ton stage, nous t’en donnerons un nouveau avec les mêmes clauses. Bien entendu, ton salaire ira avec l’importance de ta tâche.          

Paul joua l’humilité :

– Je ne fais pas ça pour l’argent, ce sera surtout formateur pour moi. Ne vous inquiétez pas, je suis fidèle et rien ne sortira de chez vous.

IceMan tendit la main au jeune espion :

– Marché conclu. Prends la journée pour préparer tes affaires et dire au revoir à ton frère. Nous passerons te chercher demain pour t’emmener dans ton nouvel appartement.

       IceMan raccompagna Paul à sa voiture qui le déposa au loft.

Paul fit part de son avancée à Thomas qui sembla ravi pour lui. Le jeune espion lui annonça ensuite :

– Je pars demain m’installer dans leurs locaux.

Le visage de Thomas se changea, il sembla soucieux :

– Tu sais où c’est ?

– Il m’a dit qu’on ne pouvait pas faire plus au Nord, Ikaluktutiak.

Thomas rechercha sur son ordinateur :

– C’est loin. Tu veux que je trouve un moyen de venir ?

Paul prit quelques secondes de réflexion :

– Non, ils pourraient s’inquiéter de voir que tu me suis.

– Tu as raison. N’oublie pas ta liseuse, on pourra communiquer facilement avec.

– Oui, ne t’inquiète pas, je vais prendre toutes mes affaires.

Thomas eut un sourire dans lequel Paul put lire sa volonté de le rassurer. Le jeune espion lui répondit :

– Ça ira.

– Oui.

Paul prépara ses affaires pour s’installer dans le grand nord. Thomas l’emmena acheter quelques vêtements pour le froid.

Le lendemain, le 4×4 noir attendait Paul en bas de l’appartement.

Le jeune espion regarda Thomas :

– A bientôt !

L’ainé eut un sourire amical :

– Fais attention à toi.

Paul quitta l’appartement et embarqua dans le 4×4.

Ils roulèrent un long moment jusqu’à un aérodrome où Paul embarqua dans un petit avion qui s’envola pour la destination du Nunavut.

Le vol était interminable. Paul en profita pour jouer à la console, qu’il avait chargée pendant la nuit.

Une escale et dix-sept heures plus tard, Paul toucha terre.

Une voiture l’emmena ensuite jusqu’à un grand bâtiment, le complexe NTech. La nuit était bien installée.

Une femme l’accueillit dès son arrivée :

– Bonsoir Paul, j’espère que tu as fait un bon voyage.

– Un peu long.

– Tu dois être fatigué, je vais te conduire tout de suite à ta chambre, suis-moi.

Paul fut conduit dans un ensemble de bâtiments, tous blancs, puis dans une petite chambre où on lui dit qu’il pouvait terminer sa nuit. Dès le lendemain, il commencerait son travail, dont il n’avait pour le moment aucune idée.

       Le voyage avait épuisé Paul. Il se changea et se coucha pour s’endormir quasi-immédiatement.

Le lendemain, dès son réveil, Paul eut la visite d’un jeune homme, Harry, qui se présenta comme son référent.

Il le laissa s’habiller avant de le conduire au self du complexe pour un petit déjeuner.

Paul apprécia le repas. Malgré la distance avec les grandes villes, le repas était complet.

Une fois qu’il eut terminé, le jeune espion fut conduit dans un bureau dans lequel l’attendait la responsable du lieu. C’était elle que Paul avait vu la veille, lors de son arrivée. Elle semblait moins fatiguée que le stagiaire. Elle se présenta sous le nom de madame Carter. Âgée d’une quarantaine d’années, elle avait une taille de guêpe, des traits fins et marqués. Elle portait une robe rouge qui s’arrêtait au niveau de ses genoux et fumait, beaucoup.

       Elle accueillit Paul en lui restituant les louanges qu’avait pu dire IceMan à son sujet mais prévint l’espion que le travail serait rude. Elle le pria ensuite de la suivre et le conduisit à travers de longs corridors modernes. Toutes les portes, en métal, étaient fermées.

Paul découvrit au bout de sa traversée une salle avec plusieurs ordinateurs. Une fenêtre donnait sur une cour contenant six antennes paraboliques géantes.

La responsable s’arrêta et regarda la salle :

– C’est ici que tu travailleras. Tu seras en lien direct avec le parc d’antennes que tu vois par la fenêtre. Ton rôle est simple, nous allons te communiquer des zones à travers le monde et tu devras orienter les antennes pour les atteindre. Ce sont pour le moment des phases de test. Comme tu le sais, nous travaillons avec des satellites qui couvrent une grande partie de la planète. Ces antennes sont liées à eux. Nous avons mis en place des appareils qui envoient des données partout dans le monde et nous allons maintenant voir s’ils reçoivent bien nos réseaux et si nous arrivons à les capter. Tu as un enregistreur qui est actif en permanence, ainsi, une autre équipe pourra vérifier que tout se passe bien dans chacune des zones.

Paul, curieux, demanda :

– Les enregistrements sont sous quelle forme ?

Carter sembla dérangée par cette question :

– Ici, la règle, c’est que si on ne te donne pas une information, c’est que tu n’as pas à la connaitre. Les enregistrements sont une série de sons, de toutes manières, tu ne peux pas y avoir accès ici. Tout est bien compris ?

Paul acquiesça :

– Oui.

– Bien, je te laisse, si tu as un problème, adresse-toi à ton référent. Commence par découvrir ton environnement, nous serons conciliants avec les premières demandes mais ne tarde pas trop à t’acclimater. A plus tard.

La responsable du centre quitta la pièce et Paul se mit au travail. Son environnement n’était pas compliqué mais impressionnant. De nombreux écrans renvoyaient des informations de différents types, comme la zone d’émission et de réception, la qualité des signaux, l’orientation des antennes ou des données statistiques peu intelligibles pour le moment.

       La tâche n’était pas si compliquée. Paul devait surtout entrer des coordonnées GPS et s’assurer que les antennes fonctionnent comme attendu.

Chaque heure, il recevait de nouvelles coordonnées géographiques, Paul paramétrait les antennes et passait le reste du temps à vérifier que tout fonctionnait comme espéré. Il lui fallait être précautionneux.

Discrètement, Paul prenait parfois le temps de noter les coordonnées sur une feuille à côté de lui. Si on lui demandait pourquoi, il répondrait que c’était un moyen d’y revenir pour vérifier que tout fonctionnait. En réalité, il voulait les garder pour trouver de quelles zones géographiques il s’agissait. Cependant, il ne pourrait sans doute le savoir qu’une fois de retour à Montréal.

       Les journées de Paul étaient répétitives. Son travail l’occupait toute la journée et le soir, il rentrait dans sa chambre, dans un bâtiment voisin. Sa chambre n’avait rien à voir avec le loft qu’il occupait avec Thomas à Montréal. C’était une petite pièce avec un lit, un bureau, une petite salle de bain et une lucarne assez petite pour ne laisser passer que très peu de lumière le jour. Il n’y passait que peu de temps, exclusivement pour dormir. Rien ne permettait à Paul de s’évader de son travail. Il n’avait à aucun moment besoin de sortir du centre. Chaque repas était assuré par NTech, à heures fixes, pour tous les employés.

Comme il travaillait seul, les interactions sociales étaient rares. Parfois, pendant le déjeuner, il trouvait une personne pour discuter mais cela ne durait jamais plus longtemps.

Cela faisait moins d’une semaine qu’il était arrivé et pourtant, il avait l’impression d’être resté des mois. Le weekend allait être interminable.

Il décida de mettre à profit ce temps pour visiter le complexe autant que possible, bien que de nombreuses portes soient protégées par un badge.

Après une matinée, il n’avait vu que des bureaux et, en sous-sol, une grande salle remplie de postes de travail. Il ne savait pas par où commencer ses recherches ni comment les poursuivre.

        L’après-midi, le jeune espion choisit de sortir du complexe, pour tenter de découvrir les alentours.

Il se dirigea vers l’entrée et s’apprêta à sortir lorsqu’un garde lui barra la route :

– Où vas-tu ?

Paul répondit le plus naturellement possible :

– Me promener.

– Il n’y a rien autour du centre, tu dois rester ici.

Paul chercha une excuse qu’il trouva rapidement :

– Je voulais acheter quelque chose à manger pour cet après-midi.    

Le garde répondit sèchement :

– Prends du pain au self, il n’y a aucun commerce. C’est dangereux ici.

Paul se résigna, il ne fallait pas compromettre sa mission en se faisant bêtement remarquer. Il comprit qu’il lui serait impossible de sortir.

Il retourna dans sa chambre et y resta un bon moment avant de ressortir dans la cour. Il avait l’impression que cette observation ne donnait rien.

Le soir, Paul se coucha avec sa console. Il n’avait pas dans l’idée de dormir. Il attendit jusqu’à une heure du matin puis se leva, s’habilla chaudement et se dirigea vers la porte de sa chambre.

A cette heure avancée, il aurait moins de difficulté à faire le tour du centre sans se faire remarquer et pourrait même en profiter pour tenter d’ouvrir certaines portes, en prenant soin d’être à l’abri des caméras. Il posa délicatement la main sur la poignée et la baissa. Paul sentit une résistance, la porte était bloquée. Il était enfermé dans sa propre chambre.

Paul se recula et s’assit sur son lit, observant la pièce et tentant de trouver un moyen de sortir. Détruire la porte ou la serrure ne serait pas utile et, si on venait à le découvrir, ce serait la fin de son observation. Il regarda sa console portable. Il pouvait toujours activer la bombe mais il se tuerait certainement sans même ouvrir la porte. Ce serait aussi un bon moyen de faire sauter sa couverture.

       Paul se coucha, l’observation de nuit était une option à oublier. Il se releva pour se rendre aux toilettes.

Il laissa son regard parcourir la pièce et découvrit une petite grille. Elle était étroite mais il pourrait sans doute s’y glisser et tenter de voir où cela le mènerait. Il y avait de grandes chances que cela ne l’avance pas mais c’était à cet instant sa seule piste.

La grille était scellée au mur. Paul retourna dans la chambre et arrangea son lit de manière à ce que, si une personne entrait, on puisse le croire endormi. Il se rendit ensuite près de la grille et se saisit de son stylo laser. Méticuleusement, il découpa les contours de la grille. Elle se dérocha et Paul la rattrapa à temps pour ne pas qu’elle tombe. Il la posa sur les toilettes et regarda le passage qu’il venait de créer.

L’ouverture était à peine assez grande pour lui mais il s’en contenterait. Paul s’équipa de sa console de jeu et garda son stylo sur lui. Sa combinaison en Goretex ne passerait pas dans un si petit passage, il allait devoir s’en passer.

Paul s’avança dans le conduit d’aération, attendant le moment où il serait coincé. Pourtant, le conduit ne semblait pas se rétrécir et il progressa, sans savoir où cela le mènerait.

Il prit soin de ne faire aucun bruit. Les grilles qu’il voyait lui indiquaient qu’il devait passer près de chacune des chambres.

Il lui fallut parcourir plusieurs dizaines de mètres avant de tourner. Paul sentit soudain le froid contre le métal se saisir de lui. Plus il avançait, plus la température baissait.

Après quelques minutes, Paul arriva au bout du conduit, un cul-de-sac. C’était l’endroit où la température était la plus froide.

Paul regarda autour de lui. Malgré l’obscurité, il distinguait une faible lumière venant d’au-dessus de lui. C’était une grille, large, ouverte sur l’extérieur.

Le jeune espion sortit son stylo et découpa avec précautions une ouverture. Il put se hisser hors du conduit d’aération.

Une fois dehors, il reposa la grille sur son socle et regarda autour de lui. Tout était sombre. Il était à l’extérieur, dans la cour, devant le bâtiment principal.

Paul préféra ne pas s’aventurer dans le bâtiment, s’il n’y avait pas de garde, il y avait forcément au moins une alarme. De plus, cela ne lui apporterait rien de plus. L’important se trouvait dans les autres ailes du complexe, là où se concentrait l’activité dans la journée. Paul voulait savoir pourquoi toutes ces données étaient récoltées et quel en était le but. Il ne pouvait pas croire que ce n’était qu’une question de couverture réseau, sinon il n’aurait pas été nécessaire d’ouvrir ce centre si loin de la civilisation, au milieu de nulle part. Il n’y aurait eu aucune raison pour enfermer les employés dans leur chambre ou leur interdire tant d’accès.

Le seul endroit qui contenait les réponses était le bâtiment de travail, en particulier les serveurs, dans la salle principale que Paul avait déjà vue, celle où il y avait le plus de poste de travail.

Impossible cependant de passer naturellement par la porte principale, il se ferait remarquer.

Paul observa les bâtiments. Le plus discret et le plus sûr était de passer par le toit. Il ne pouvait pas être certain de pouvoir ensuite entrer dans le bâtiment mais il distinguait des formes cubiques en hauteur. Si la chance jouait avec lui, il trouverait un moyen d’entrer une fois en haut.

Monter ne serait pas compliqué avec la nuit. Il n’y avait personne aux alentours et il était impossible de distinguer clairement les formes à plus de quinze mètres.

Paul prit sa console et se dirigea vers le bâtiment qu’il contourna afin d’être certain de ne pas être à découvert.

Il avait dans sa poche les différents jeux à insérer dans sa console et choisit Rayman.

L’écran s’alluma et afficha du gris puis un point rouge. Doucement, l’écran s’éclaircissait et Paul put voir le retour d’une caméra. C’était le bâtiment qui était devant lui. Il bougea la console de sorte à voir le rebord du toit.

Parfois, le curseur au centre devenait vert. Paul trouva cela intuitif, et bougea doucement la caméra jusqu’à avoir un viseur vert. Cela devait signifier qu’il pourrait viser en toute sérénité.

Paul prit une inspiration, il espérait que tout fonctionne correctement. Il appuya sur la touche X de la console. Un léger claquement se fit entendre et a console vibra. Une fine cordelette, presque invisible, s’éjecta de l’arrière de la console.

Sur l’écran, Paul put lire :

Merci de patienter. Ne bougez pas.

Puis, après quelques secondes :

Grappin accroché. Vérifiez que l’attache soit à l’endroit souhaité et validez avec X. Sinon, appuyez sur O pour recommencer.

Sur l’écran, Paul vérifia que le curseur, maintenant devenu violet avec un petit cadenas, était à l’endroit où il avait visé. Il valida avec la touche indiquée. Le petit personnage, héro du jeu, se mit à danser.

Soudain, Paul sentit la console le tirer doucement vers l’avant. Il se demanda s’il n’était pas trop lourd avant que la console ne soit proche de lui échapper. Il s’agrippa tant bien que mal, se disant qu’il ne manquerait pas de faire remarquer à l’Aigle qu’il était difficile d’avoir une prise bien stable sur ce type d’objet.

Paul regarda devant lui. Le mur du bâtiment se rapprochait à grande vitesse, il fallait agir vite ou sa console le projetterait directement dans le mur avant de s’enrouler et de finir sur le toit.

Paul se mit de côté. Ce serait son épaule qui prendrait le choc.

Il se sentit doucement décoller et ralentir. Il toucha en effet le mur mais très doucement, sans aucun risque. Il montait, lentement mais sûrement.

La console se bloqua juste devant le toit, le grappin encore bien fixé. Paul posa une main sur le rebord et se hissa en s’aidant de ses jambes. Une fois en haut, il déverrouilla le grappin qui rentra automatiquement dans la console que Paul put éteindre.

Le jeune espion regarda autour de lui. Au centre, un grand trou lui donnait accès aux gigantesques antennes paraboliques sur lesquelles il travaillait pendant la semaine.

Ce n’était pas son but pour le moment. Il fit le tour, regardant quelles étaient ses possibilités d’entrée. Il trouva trois accès.

Les deux premiers étaient ce qu’il avait espéré, des portes donnant directement dans le bâtiment.

La deuxième solution était une grande grille, correspondant à l’aération.

Paul jaugea les deux possibilités. La première risquait de déclencher une alerte alors que la seconde, bien qu’elle l’obligerait sans doute à suivre un chemin défini, le protégerait assez, au moins pendant un temps.

       Il découpa donc la grille d’un immense conduit. Il pouvait sentir un air tiède s’en échapper.

Lorsque l’accès fut dégagé, Paul regarda dans le conduit. Il était à la verticale sur plusieurs mètres. Il ne pourrait pas se laisser tomber sans risque de faire du bruit ou pire, détruire la colonne.

Il posa ses pieds contre la paroi, se tenant à l’extérieur à la force de ses mains. Il se lâcha doucement, se coinçant avec ses coudes et ses mains. Il se bloqua dans le conduit.

Il relâcha doucement la pression pour se laisser glisser de quelques centimètres et répéta l’opération jusqu’à se poser en douceur.

Il sentit ses mains le bruler en raison de la friction et souffla dessus.

Paul regarda au-dessus de lui et réalisa qu’il lui serait impossible de ressortir. Trop tard pour se poser la question, il trouverait le moment voulu un moyen de sortir, du moins il l’espérait.

Cette fois, il était dans un vrai dédale de conduits, sans direction précise. Il avait cependant une idée d’où il voulait se rendre et, pour cela, il fallait descendre.

Heureusement, les conduits qui descendaient n’étaient pas aussi abruptes que celui qui lui avait permis d’entrer dans le bâtiment et il n’eut pas de mal à descendre le plus loin possible dans le bâtiment.

Lorsqu’il fut certain de ne pas pouvoir descendre plus bas, il continua de progresser dans le conduit. Régulièrement, des grilles lui permettaient de voir l’intérieur des salles qu’il traversait.

Si la plupart n’avaient aucun intérêt, Paul nota qu’il passait devant quelques salles ou bureaux avec du matériel d’analyse, là où travaillaient certains de ses collègues.

Il toucha au but peu de temps après lorsqu’il aperçut la salle qu’il voulait visiter à travers l’une des grilles devant lesquelles il passait. Il était en hauteur, impossible de se laisser tomber sans se blesser.

Après avoir observé la salle, Paul vit qu’il y avait un système de passerelle qui courait au-dessus de la pièce, à-peine un mètre en dessous de lui.

Il lui fut aisé de s’y laisser tomber.

Il prit à nouveau quelques secondes pour observer la pièce sous ses pieds puis descendit par une échelle avant d’emprunter un escalier en métal jusqu’au sol.

Tout était silencieux, il semblait parfaitement tranquille, après ce périple, pour fouiller à loisir. Il ne put retenir un sourire de satisfaction.

Il déambula dans la pièce avant de se ressaisir. S’il était tranquille, il ne fallait pas tenter le diable et donc ne pas trainer.

Au centre de la pièce, il trouva sur un bureau un ordinateur portable. Il était relié à deux écrans de grande taille et Paul décida de commencer par là. Il alluma l’ordinateur.

Un écran bleu éclaira le visage de Paul, un cadenas indiquait qu’il fallait entrer un mot de passe.

Le jeune espion réfléchit un instant et entra la première chose qui lui passa par la tête, “IceMan“. Un message s’afficha :

Mot de passe incorrect, Essai n°2

       Paul tenta “NTech corp.” Mais, de nouveau, un écran lui dit que le mot de passe n’était pas le bon, et le renvoya devant l’écran de saisie de mot de passe, avec une nouvelle alerte :

Mot de passe incorrect, dernier essai.

       L’espion ne pouvait pas se permettre de se tromper à nouveau et se résigna, il regarda autour de lui et songea qu’il lui serait toujours utile de fouiller la pièce.

Il ouvrit plusieurs armoires, ne trouvant rien d’intéressant. Il trouva enfin un coffre qui n’était pas fermé. Il regarda la pile de dossiers épais à l’intérieur et saisit le premier. Il lut le titre inscrit sur une étiquette blanche :

All. Gov.

Paul l’ouvrit et découvrit un grand nombre de pages, répertoriant des centaines de conversations en allemand, traduites en français.

Le jeune espion parcourut plusieurs pages et s’aperçut que la plupart des conversations traitaient des affaires diplomatiques de l’Allemagne, parfois avec des projets de décisions, sans doute privées.

Il avait trouvé la preuve que NTech n’était pas l’entreprise qu’elle souhaitait afficher. L’Aigle avait eu raison.

Paul prit trois autres dossiers au hasard, ils concernaient l’Angleterre, le Japon et le Venezuela. Ils contenaient des conversations similaires, parfois bien plus privées, comme celle d’un ministre parlant de sa maitresse à un autre membre du gouvernement.

Avec ces dossiers, NTech pouvait aisément contrôler la plupart des pays étrangers et faire tomber des gouvernements entiers.

Paul regarda l’autre pile de dossiers. Il en prit un au hasard et découvrit de nouvelles données, des plans, des résumés de conversation et des listes de sujet afin de faire pression sur les différentes personnes qui avaient été sur écoute.

Le jeune espion reposa le dossier, plus décidé que jamais à terminer sa mission et mettre un terme au projet de NTech corp et de son dirigeant, IceMan.

Il ressortit du bâtiment en remontant sur la passerelle qu’il avait empruntée et fit le chemin inverse dans les tuyaux d’aération, non sans mal pour remonter sur le toit.

Il décida d’arrêter son exploration ici. Il avait assez d’éléments pour envoyer un premier rapport à Thomas et assez de temps pendant son stage pour ressortir de nuit si besoin.

Il retrouva sa chambre et sentit la fatigue l’envahir. Le rapport pourrait attendre le lendemain.

Il se changea, retira la forme qu’il avait créé dans son lit et se coucha. Il n’eut aucun mal à s’endormir, réchauffé par sa couette.

Paul se réveilla avec un goût amer dans la bouche et le sentiment que la salive lui manquait. Il déglutit avec difficulté. Il avait l’impression qu’une enclume lui était tombée sur la tête. Le froid le cingla soudainement et il réalisa qu’il n’était plus dans son lit. Il ouvrit les yeux avec difficulté. Il n’arrivait pas à bouger.

Il était solidement attaché sur une chaise, en caleçon et tee-shirt. Il n’y avait devant lui qu’un bureau blanc et au mur, une caméra.

Alors qu’il tentait de se faire basculer sur le côté, il fut coupé dans son élan par la porte de la pièce qui s’ouvrit. 

Paul reconnut Jean Blanchet, le directeur des ressources humaines de NTech. Son sourire lui donnait un air calme, reposé et confiant. Pourtant, il avait dû passer un certain temps en avion pour rejoindre Ikaluktutiak depuis Montréal. Il s’assit face à Paul et s’adressa au jeune espion d’une voix posée :

– Bonjour Paul.

Sur ces mots, il plaça un dossier sur la table. Paul répondit, hésitant :

– Bonjour.

– Comment vas-tu ce matin ?

Paul n’arrivait pas à retrouver l’assurance dans la voix et décida de s’en servir :

– Ça pourrait aller mieux, je me demande pourquoi je suis là. Vous pouvez me détacher ?

– Je ne pense pas, Paul. Je suis là pour savoir ce que tu faisais cette nuit.

Paul voulut savoir ce que Blanchet pouvait savoir, c’était nécessaire pour argumenter. Il savait que s’ils avaient voulu le tuer, ils auraient pu faire pendant son sommeil. NTech voulait discuter et il fallait pour Paul avoir toutes les cartes en main :

– Je dormais. Pourquoi ? Il s’est passé quelque-chose ?

Le responsable des ressources humaines sembla dubitatif :

– Tu dormais… Pourtant nous t’avons vu en dehors de ta chambre et surtout, nous t’avons vu dans des bureaux dans lesquels tu n’es pas censé aller, en particulier en pleine nuit.

Paul ne parvint pas à trouver une réponse, cela l’énerva. Il tenta :

– Vous avez dû vous tromper.

– Ne te moques pas de moi, nous savons que c’était toi, nous t’avons vu sortir de ta chambre, nos caméras t’ont suivi jusqu’à notre bureau central. Que cherchais-tu ?

Le jeune espion savait que les caméras n’avaient pas pu le suivre dans les conduits d’aération. Cependant, il avait tout à fait pu être repéré dehors et dans le bâtiment. S’il était interrogé, c’est parce qu’il avait été repéré. Maintenant, il devait protéger sa couverture :

– Bon, c’est vrai, je suis sorti de ma chambre. J’avais besoin de sortir et j’ai essayé par la porte mais elle était fermée. J’ai un peu paniqué et j’ai trouvé un autre moyen de sortir. Comme ça allait mieux, j’ai voulu voir comment était le complexe une fois endormi.

– En dévissant la grille d’aération de ta chambre ?

Paul se doutait que Blanchet savait qu’il était impossible de sortir de la chambre par la porte et que la grille d’aération était le seul moyen d’y parvenir. Le jeune espion préférait laisser échapper quelques informations qui n’étaient pas primordiales, laissant à penser qu’il se confiait alors qu’il ne donnerait rien de plus que ce que savait déjà son interrogateur :

– Oui, j’ai dévissé la grille.

– Pourquoi aller dans les bureaux ?

– Par curiosité, comme je vous l’ai dit, je voulais voir le complexe de nuit. J’aime bien explorer et découvrir des endroits comme ceux-là.

Blanchet posa ses mains sur le bureau :

– Nous te faisions confiance, Paul. Tu sais que je suis venu de Montréal juste pour toi ? Je voulais voir comment cela se passait et, à mon arrivée, je découvre que tu te promènes dans le centre sans autorisation et en pleine nuit. Pour ta sécurité, ce n’est pas l’idéal, pour la nôtre non plus.

Paul reconnut une nouvelle technique d’interrogatoire. Après l’accusation, Blanchet jouait la carte de la compréhension pour que Paul se livre plus facilement. Le jeune espion rétorqua :

– Il ne fallait pas, tout se passe bien, vraiment.

Jean Blanchet pris un air embêté :

– Tu comprends, Paul, nous savons que tu détiens maintenant des informations confidentielles sur notre société. C’est un risque pour nous, tu pourrais faire de l’espionnage industriel par exemple, revendre des informations à des concurrents.

Paul comprit que Blanchet était un professionnel. A aucun moment il n’évoquerait la réelle nature des informations que Paul pouvait avoir découvert, au cas où il se tromperait sur le jeune espion ou s’il était écouté. La discussion ne se ferait qu’à mots couverts. Paul garda sa défense :

– Ce n’est pas le cas, et puis je ne saurais même pas à qui vendre ces informations.

Blanchet restait d’un calme olympien :

– Une société belge, française ou québécoise, il est vrai que tu cumules les possibilités. 

Blanchet venait de faire une première erreur. Paul avait assez étudié pour savoir que le responsable des ressources humaines avait donné un argument qui n’était pas valable et qu’il ne parlait pas d’entreprises mais de gouvernements. Il répondit, assuré :

– Une société concurrente ? Les deux premières ne s’intéressent pas au marché canadien et vous êtes la seule au Québec.

Jean Blanchet savait que Paul avait raison. Son regard changea, comme s’il pouvait soudainement concevoir que Paul fut réellement un stagiaire qui n’avait fait que se promener. Un regard de pitié, comme celui d’un matador qui, après avoir fait souffrir un taureau, allait achever ses souffrances :

– Paul, tu comprendras que NTech ne pourra pas te garder, que tu as commis une faute grave.

Le jeune espion se rassura. Il serait renvoyé à Montréal. Blanchet continua :

– Mais nous ne pouvons pas non plus te laisser partir, les informations que tu détiens sont trop importantes pour nous. 

Paul s’était trompé, NTech n’avait pas l’intention de le renvoyer à Montréal. Cette fois, sa défense allait devoir changer pour qu’il s’en sorte. Jean Blanchet continuait de le regarder avec pitié, attendant une réponse, comme si Paul avait une dernière chance. Il tenta :

– Vous allez m’enfermer ici toute ma vie pour un doute sur des informations que je pourrais avoir et que je pourrais peut-être revendre ?

Blanchet fit la moue. Visiblement la réponse de Paul ne l’avait pas convaincu.

La porte de la pièce s’ouvrit à nouveau. Le directeur de NTech corp. entra. Décidément, ils étaient tous venus à Ikaluktutiak.

Il était vêtu d’une veste noire sur une chemise saumon. Ce n’était pas particulièrement seyant.

Il regarda Paul :

– Benjamin Franklin disait que le trop de confiance dans les autres est la ruine de bien des gens. J’en suis l’exemple aujourd’hui. J’ai placé ma confiance en toi, pensant que tu étais un bon élément, que tu ferais preuve de docilité mais je me suis trompé. C’est ton travail, je pense, de tromper les gens.

– Comment ça ?

– Tu n’es pas là par hasard, je ne le pense pas. Je suis même persuadé que tu es entré chez Ntech pour nous espionner. Je ne prends pas de risque, jamais, et tu m’as dupé. J’ai espéré être tombé sur une perle rare, un élève très doué en classe, comprenant déjà tout des télécommunications, ayant fait des expériences par lui-même comme Jean me l’a dit. Tu me semblais un jeune plein d’avenir mais je n’ai compris qu’après que ce n’était pas possible. Tu as accepté trop vite de venir ici, tu as accepté trop vite de changer de pays et d’études lorsque je te l’ai proposé et surtout, tu as bien trop de connaissances pour un simple étudiant. Tu m’as bien eu, tu as gagné ma confiance pour mener à bien ton projet, mais maintenant, c’est fini.

Paul se défendit :

– Vous vous trompez.

IceMan ne prêta aucune attention à la défense de Paul :

– Je suis heureux d’avoir installé ici des brouilleurs de communications. C’est assez amusant pour nous qui sommes dans le domaine de la télécommunication mais je suis déjà assuré qu’aucune information n’a pu sortir, ce que tu sais aujourd’hui m’importe peu. Qui es-tu, Paul ?

– Vous savez qui je suis, je vous ai dit la vérité. Vous m’accusez à tort. J’ai fait une erreur en me promenant, je ne recommencerai pas. Je suis juste un stagiaire et vous n’avez pas le droit de m’attacher comme ça.

IceMan portait bien son nom. Il resta stoïque, froid comme la glace mais un léger sourire se dessina aux coins de ses lèvres :

– J’en doute aussi.

Après avoir marqué une pause, il reprit :

– Maintenant, explique-moi ce que tu sais. Qu’as-tu vu dans le bureau ?

Paul savait que IceMan voulait l’avoir à l’usure, quitte à reprendre l’interrogatoire à zéro. Paul était décidé à tenir et à faire semblant de négocier :

– Détachez-moi, je vous répondrai après.

– Je ne pense pas que tu sois dans une position confortable pour te permettre de négocier. Finalement, peu m’importe ce que tu auras vu, ça ne sortira pas d’ici.

Paul était mis en échec. Débattre contre une personne qui connaissait déjà l’issue de la conversation n’avait aucun intérêt. Le jeune espion tenta tout de même d’en savoir le maximum. Si par chance il s’en sortait, il aurait au moins répondu aux attentes de l’Aigle :

– Dans ce cas, dites-moi au moins ce que vous faites ici. Pourquoi êtes-vous si méfiants ?

Le visage d’IceMan s’illumina. Il semblait content que Paul lui pose cette question :

– Nous sommes une entreprise de télécommunication. Nous permettons aux gens de se parler à distance. Cependant, nous avons aussi une activité d’écoute, nous récupérons des communications, nous les analysons et, si besoin, nous les utilisons contre rémunération. Bien entendu, ce n’est pas NTech qui le fait officiellement, cela nuirait à notre image. C’est intéressant de savoir ce que font nos dirigeants, non ? Finalement, nous prônons la transparence, mais nous donnons la possibilité à chacun de s’en protéger. C’est étrange un monde où tout le monde veut tout savoir, en particulier sur son gouvernement mais dans lequel personne ne veut donner ses informations. Nous jouons sur ces deux tableaux, nous sommes dans l’air du temps. Nous sommes aussi comme des magiciens, si le truc est connu, nous ne pourrons pas continuer à œuvrer. Paul, qu’en penses-tu, toi, au fond ? Que les populations soient informées de ce que font vraiment les personnes qu’elles ont élues de leur argent ? Crois-tu que certains ne seraient pas intéressés de connaitre qu’on se moque d’eux, qu’ils sont déconsidérés ? Imagines toi si, dans ton pays, on découvrait qui sont réellement ceux qui te dirigent. Le monde vit dans le mensonge et nous sommes décidés à le révéler, sauf si on nous paye pour ne pas le faire. C’est ça, le business. Tout s’achète et tout se vend aujourd’hui, nous ne sommes qu’un acteur du marché comme un autre.

IceMan était une personne intelligente, il tentait de convaincre que sa cause était juste, se justifiant par la société et la maxime “La fin justifie les moyens“. Il usait d’un stratagème pour rallier Paul à sa cause et la rendre sympathique. Paul ne se laissa pas avoir par la rhétorique de IceMan :

– Je ne crois rien, je pense juste que vous voulez rendre le monde pire qu’il est.

Le directeur de NTech sourit :

– Question de point de vue, mon cher Paul. Tout est question de point de vue… et d’argent.

– C’est lâche.

– Mieux vaut être lâche que mort, non ? Tu auras tout le loisir de te poser cette question très bientôt. Je t’envoie en mission, tu es toujours stagiaire ici après tout. Tu iras jusqu’à une ile, plus au nord, avec une équipe. Vous êtes envoyés pour réparer une antenne défectueuse en haut d’une falaise à pic sur la mer. Malheureusement, une fois là-bas, tu glisseras et tomberas. Un bien cruel accident pour un stagiaire de ton âge, mais ce sera de ta faute, tu n’auras pas écouté les consignes des autres membres de l’expédition.

Paul regarda IceMan, il pouvait dire les pires horreurs sans sourciller, sans un trémolo dans la voix.

Le jeune espion tenta de gagner du temps, trouvant les failles du plan de son adversaire :

– Je présume que vous allez m’y emmener attaché ? C’est louche, non ?

IceMan éclata de rire :

– Ce n’est pas le nombre d’habitants dans la région qui nous dérangera et je n’ai jamais vu un pingouin appeler la police.

– On s’inquiétera de ma disparition.

– Peu de temps, oui. Tu es stagiaire encore un mois ici, ce qui nous laisse un peu de temps. Nous enverrons rapidement l’alerte en précisant que tu as glissé, les secours arriveront quelques heures plus tard car ils ne pourront pas arriver plus vite. Ils te trouveront en bien mauvais état et mort. Ils concluront à un accident. Nous déplorerons cet accident, peut-être publiquement même. Tu peux compter sur moi pour envoyer une couronne à ton enterrement. Tu resteras aux yeux de ton employeur une erreur fatale dans un début de parcours car rien ne laissera à penser que cette discussion ait pu avoir lieu avant. En général, on ne fait pas partir les traitres en expédition.

– Sauf pour les tuer ?

– Exactement. Si tu penses aussi que tes collègues du renseignement trouveront quoi que ce soit et poursuivront la mission qu’ils t’ont confiée, c’est malheureusement une erreur. Tu as révélé nos failles et nous nous protégerons.

Paul garda sa défense :

– Je ne suis pas au renseignement.

IceMan haussa les épaules :

– Moins de problème pour nous.

– Il y a une chose à laquelle vous n’avez pas pensée.

IceMan retrouva son sourire :

– Laquelle ?

– Si je reste en caleçon, il y a peu de chance que j’arrive vivant jusqu’à votre falaise. Si on me retrouve habillé comme cela, je pense que les secours se poseront des questions, il sera difficile d’expliquer que ce sont des pingouins qui m’auront pris mes vêtements. Vous voyez, vous ne pensez pas à tout.

– Même devant la fatalité, tu continues à me faciliter la tâche. Tu es vraiment un stagiaire formidable !

Paul avait calculé sa remarque. Il espérait pouvoir récupérer certaines affaires pour trouver le bon moment et échapper à cette expédition. Cependant, IceMan précisa :

– On t’apportera des affaires. Bon voyage Paul et merci pour tes services, ce fut un vrai plaisir de travailler avec toi.

Le jeune espion garda le silence, il espérait qu’on lui amènerait de quoi rester en vie mais ne se faisait pas d’illusion quant à sa console de jeux qui aurait été d’une aide précieuse.

IceMan sortit de la pièce, suivit de Blanchet. Paul resta seul, attaché sur la chaise. Il n’avait étonnamment aucune peur, aucune angoisse. Il attendait la suite.

Quelques minutes plus tard, la porte de la pièce s’ouvrit à nouveau. Deux hommes entrèrent, chacun mesurant près de deux mètres et particulièrement musclé. Paul les avait déjà vus, ils faisaient partie de la sécurité du centre. Ils avaient dû être tenus pour responsable de la virée nocturne de Paul ou peut-être était-ce eux qui avaient donné l’alerte. L’un d’eux portait un sac à dos que Paul reconnut, c’était le sien. On lui déposa sur la table. L’autre vigile portait quelques vêtements, ceux récupérés dans la chambre de Paul. Il les posa sur le sac.

Le premier fit le tour de la table et détacha le jeune espion :

– Prend ce dont tu as besoin, pas plus. On te surveille et on saura facilement te maitriser si tu tentes quelque chose.

Paul hocha la tête pour signifier qu’il avait compris. Il se leva malgré l’engourdissement et passa un pantalon et un pull. Il prit sa veste en Goretex, elle lui serait sans doute indispensable.

Il fouilla dans son sac et sentit son téléphone et sa console portable. Il regarda discrètement les deux vigiles. L’un d’eux se retourna tandis que l’autre gardait les yeux rivés sur Paul.

Doucement, le jeune espion tira ses affaires vers lui, toujours cachées dans le sac. La poche de sa veste était à quelques centimètres mais il risquait de se faire repérer. Il fallait tenter le tout pour le tout.

Paul fixa le vigile qui s’était retourné pour regarder sur son téléphone. Le regard insistant persuada le deuxième vigile à vérifier ce que faisait son collègue. Paul profita de ce court instant pour agir et glisser les appareils dans sa poche, assez grande pour ne pas laisser à penser qu’elle était pleine.

Le vigile se retourna au même moment. Paul avait la main dans sa poche, il était certain que le vigile comprendrait qu’il venait d’y glisser un objet, quel qu’il soit.

Paul garda son calme et glissa la main dans la poche avant de son sac. S’il récupérait son stylo, il aurait tout avec lui. On ne lui fit aucune remarque.

Paul rangea son stylo dans sa poche et enfila sa paire de chaussures. 

Le vigile le regarda :

– Tu as tout ce qu’il te faut ?

– Oui, je pense.

– On va ranger le reste dans ta chambre.

Puis, le vigile adressa un sourire de compassion au jeune espion :

– Bonne chance.

Paul hocha la tête en guise de remerciement. Il comprit que le vigile l’avait vu prendre ses affaires mais l’avait laissé faire. On lui attacha à nouveau les mains.

Paul fut conduit dans un 4×4 blanc, garé dans la cour déserte et sombre. Le jour n’était pas encore tout à fait levé et les employés dormaient encore en ce dimanche matin.

Trois hommes montèrent dans le véhicule, le conducteur démarra. Le bruit du moteur remplaça le silence et le 4×4 sortit du complexe.

Ils traversèrent Ikaluktutiak. La ville était déserte. Aucune voiture, aucune âme n’était encore sortie. Paul se dit qu’il devait être difficile de vivre dans cette ville, loin de tout, dans un environnement aux températures extrêmes. Cependant, il avait d’autres problème. Les habitants de la ville n’allaient pas mourir aujourd’hui, leur condition était, de ce point de vue, une chance.

Le véhicule sortit de la ville. Il prenait la route du nord. La route se changea en chemin puis, plus rien. Seule une étendue blanche, à perte de vue. Le silence était pesant, un silence de mort qui dura plusieurs heures, jusqu’à l’arrêt du véhicule, devant une grande étendue d’eau.

Paul regarda autour du véhicule, tout n’était que blanc. Il n’y avait qu’un parc d’antennes satellites et un panneau contenant un sens interdit et le logo de NTech.

Tous descendirent du 4×4. Paul remarqua que les trois hommes portaient une arme. L’un d’eux la sortit et la pointa vers Paul :

– Approche du bord.

Paul s’avança et découvrit la falaise, à pic. Il entendit l’homme lui ordonner :

– Saute.

Le jeune espion regarda en bas et fut pris d’un vertige. Ce n’était pas le moment. La chute lui serait fatale, c’était évident. Il n’avait plus qu’un espoir, que le plan qu’il avait pu élaborer dans la voiture fonctionnerait. Il se retourna et regarda l’homme, au pistolet braqué sur lui, qui réitéra sèchement :

– Saute.

Paul compta lentement. Un. Il fallait se vider de la peur de la mort et compter sur sa chance. Deux. Il inspira un grand coup et prit une impulsion. Trois.

Il tomba en arrière, accueilli par le vide.

Il regarda les rochers devant lui. L’impulsion qu’il avait prise avait été suffisante pour l’éloigner des rochers et ne pas se blesser. Il gonfla sa veste qui mit moins d’une seconde à trouver sa forme maximum. Il était impossible depuis le haut de la falaise de voir que la veste avait pris un léger volume. Paul ferma les yeux et bloqua sa respiration. Il attendit la fin de la chute.

Son sang se glaça. Il était dans l’eau. Il fallait continuer à suivre son plan. Il était entièrement immergé et commençait à remonter. Il fit de son mieux pour ne pas revenir à la surface et s’approcha du bord. Ceux qui l’avaient forcé à sauter vérifieraient surement qu’il soit bien mort, Paul ne leur donnerait pas ce plaisir. Il était impossible de le voir depuis le haut de la falaise.

Il fallait maintenant être rapide pour ne pas mourir de froid. Sa veste était efficace mais avait aussi ses limites.

Paul se mit sur le dos et prit soin de garder le ventre hors de l’eau. Il espérait que sa veste soit réellement étanche. Il ouvrit sa poche et sortit sa console, elle était sèche. Il referma la poche et vérifia que le jeu Rayman soit toujours bien dans la console. C’était le cas. Il poussa un soupir de soulagement. Il visa la paroi. Le signal devint vert lorsque la console trouva un point d’accroche. Paul vérifia qu’il était assez éloigné de l’endroit où on lui avait demandé de se jeter.

Le jeune espion ne s’attarda pas. Il lança le grappin et se laissa hisser, lentement, laissant l’air s’échapper de sa veste.

Plus que quelques mètres.

La première partie s’était bien passée, il fallait penser à la suite et espérer que le 4×4 ne soit pas déjà reparti.

Il arriva enfin en haut. Il posa les mains sur le rebord glacé et laissa dépasser légèrement sa tête pour observer ce qu’il se passait.

Deux des trois hommes étaient remonté dans le 4×4, le troisième semblait être au téléphone.

Paul se dépêcha de se hisser et de ranger son grappin. Si personne ne regardait dans sa direction, il aurait le temps de les surprendre. De plus, ils ne s’attendaient pas à le voir remonter et avaient relâché leur attention.

Paul sortit le jeu de sa console et inséra Dragon Ball Z, permettant de créer une puissante lumière pour éblouir ses adversaires.

Le jeune espion se dirigea vers le véhicule, espérant ne pas être vu.

Raté.

L’homme au téléphone s’était retourné et regardait Paul, ébahi, ne sachant comment réagir.

Il saisit enfin son arme, prévenant ses deux coéquipiers qui sortirent du 4×4, arme à la main. Paul attendit une seconde et ferma les yeux. Il démarra le jeu.

Malgré les yeux fermés, Paul put savoir que le flash fonctionnait par la lumière puissante derrière ses paupières. La lumière s’était reflétée sur la neige, accentuant sa puissance.

Paul continua à diriger la console vers ses ennemis tout en courant pour les contourner. Il entendit des coups de feu et ouvrit les yeux. La lumière était puissante mais Paul pouvait voir ce qui l’entourait tant que la console n’était pas dirigée vers lui.

Paul s’amusa de voir les trois hommes tirer en direction de là où ils pensaient que l’espion se trouvait.

Paul courut vers le 4×4, continuant de profiter de sa diversion et de la désorientation des trois hommes.

Ils arrêtèrent de tirer mais n’avaient pas recouvré la vue. Paul se figea, il ne fallait faire aucun bruit pour ne donner aucun indice.

Doucement, Paul s’approcha du 4×4. Il ouvrit la portière du chauffeur sans faire un bruit et prit place sur le siège. Il chercha les clés pour démarrer mais ne les trouva pas. Le chauffeur avait dû les retirer.

Paul sortit le jeu de sa console et glissa Fifa 15. Il visa lentement le garde qui avait conduit à l’aller et tira.

La flèche sortit de la console et fusa. Elle atteignit le dos de sa cible qui tomba à terre, non sans bruit.

Les eux autres se demandaient ce qu’il se passait. Ils appelaient leur coéquipier, tâtonnant pour le trouver. Une scène que Paul trouva cocasse. Il ne s’attarda pas dans la moquerie.

Le jeune espion s’approcha des deux hommes. Ils semblaient commencer à se résigner, étaient désorientés et maintenant à quelques mètres du corps du troisième homme de main. Ils grommelaient et juraient contre Paul.

L’espion s’approcha du corps inerte et commença à le fouiller. Il ne lui fallut que quelques secondes pour trouver les clés du véhicule. Il les soupesa dans sa main, regarda les deux hommes et sourit.

Il retourna au véhicule et prit à nouveau place sur le siège conducteur qu’il régla à sa taille. Il démarra le véhicule et accéléra puis alluma le chauffage.

Le jeune espion eut soudain quelques scrupules à laisser les trois hommes aveugles dans le froid puis il repensa à ce qu’il venait de vivre. Il jeta un œil dans son rétroviseur et vit qu’un des deux gardes qui était debout avait buté sur celui au sol et était tombé. Paul sourit puis accéléra.

Il n’était pas compliqué de retrouver le chemin, le 4×4 avait roulé presque tout droit depuis Ikaluktutiak.

Paul conduisit une vingtaine de minutes, assez pour être certain de ne pas être rattrapé. Il prit la direction de l’est, évitant ainsi d’être croisé par une voiture qui viendrait au secours des trois hommes abandonnés.

Il reprit ensuite vers le Sud pendant un long moment. Il savait qu’en continuant, il tomberait forcément sur la côte et pourrait retrouver la ville d’où il était venu.

Paul n’eut de plus aucun mal à conduire. Il ne l’avait que rarement fait mais la boite automatique lui facilitait les choses.

Il arriva à Ikaluktutiak et s’approcha du complexe. Il s’arrêta au début du long chemin menant aux grilles protégées par deux gardes qui s’apprêtaient déjà à l’ouvrir pour laisser entrer le 4×4. Visiblement, aucune alerte n’avait été donnée.  

Paul se repassa son plan dans sa tête. Tout était clair. Il avait eu tout le chemin pour se reposer, il était l’heure de mettre un terme à NTech. L’Aigle lui en voudrait certainement d’avoir agi sans les consulter et il risquait certainement une sanction mais il se sentait prêt. Il repensa à Thomas, à Montréal. Il se demandait comment il l’accueillerait en sachant qu’il avait agi sans ordre. Il espérait qu’il le défendrait.

Paul sentait l’accélérateur sous son pied droit. Il appuya, gardant le volant droit.

Au moment où les gardes comprirent que le véhicule ne s’arrêterait pas, Paul ouvrit sa portière et se jeta hors du 4×4 qui s’écrasa dans un grand fracas contre les grilles encore fermées.

Il se releva, prit sa console et tira une première flèche sur l’un des gardes, encore abasourdi. Le deuxième, plus alerte, sortit son arme. Une flèche se planta dans son abdomen avant qu’il ait eu le temps de tirer. Les deux hommes étaient à terre.

Paul s’approcha doucement, craignant que l’un d’eux ne se relève. Ce ne fut pas le cas.

Le jeune espion regarda les deux corps et se saisit des deux pistolets. Il regarda le complexe devant lui et rangea les armes à sa ceinture.

Il passa les grilles et se cacha derrière la guérite de contrôle.

Déjà, des pas rapides se rapprochaient. L’alerte serait vite donnée lorsque les corps seraient découverts. Il n’avait pas de silencieux et il ne lui restait que deux flèches. Il prit son courage à deux mains et se dirigea le plus discrètement possible vers l’arrière du bâtiment principal. Il s’assura de ne pas être vu.

Il s’avança vers l’opposé de l’entrée. Il fallait se dépêcher et profiter de la courte avance qu’il avait.

Paul chercha des yeux une fenêtre ouverte pour entrer dans le bâtiment mais n’en trouva pas. Il était rare qu’il y en ait avec le froid qui régnait dans la région. Il ne lui restait qu’une possibilité, emprunter le chemin qu’il connaissait, celui qu’il avait fait la nuit précédente.

Il sortit sa console et remit le jeu Rayman. Rapidement, il visa le toit et y monta, avant de s’engouffrer dans le conduit d’aération.

       Il se souvenait du chemin qu’il avait emprunté la fois précédente et n’eut aucun mal à retrouver la salle qu’il cherchait. Il descendit du conduit et s’accroupit sur les passerelles au-dessus de la grande salle.

Contrairement à la nuit précédente, il y avait une dizaine d’employés et quelques gardes. Paul ne pourrait pas les neutraliser avec les deux flèches qu’il lui restait.

L’espion se déplaça le plus discrètement possible au-dessus de la salle. Tant que personne ne levait les yeux et qu’il restait silencieux, il ne risquait rien.

Une alarme rauque se fit entendre. Maintenant, tout le monde était informé de l’intrusion.

       Paul se cacha dans un coin de la pièce. Là, il pouvait réfléchir et observer les gardes de haut sans se faire voir. En jetant un œil à l’ensemble de la pièce il s’aperçut qu’un boitier électrique était fixé au mur en dessous de lui, caché par un grand bureau. C’était l’occasion ou jamais. Il prépara la cartouche de Dragon Ball Z et glissa Duke Nukem 3D dans sa poche de pantalon. Il s’accrocha ensuite à la rambarde et se laissa tomber sur le sol le plus discrètement possible. Le léger bruit de sa chute ne sembla pas avoir été entendu par les gardes.

Paul essaya d’ouvrir le boitier électrique mais il était fermé par une serrure. Il se saisit de son stylo et fit sauter le verrou en moins d’une seconde. Le boitier s’ouvrit instantanément.

A l’intérieur, il y avait plusieurs boutons oranges qui devaient certainement couper le courant de plusieurs parties de la pièce ou du bâtiment. En dessous, un bouton rouge, plus gros, avec l’inscription « ARRÊT ».

       Paul inspira un grand coup, appuya dessus et prit à nouveau sa console. Tout s’éteignit. Il entendit le bruit des machines qui se stoppaient. Autour de lui, tout le monde s’était arrêté. Les gardes avaient saisi leur arme, cherchant l’intru et prêt à l’abattre.

L’espion se tourna vers le centre de la salle, ferma les yeux et démarra le jeu avant de l’éteindre aussitôt. Le flash éclaira la pièce l’espace d’un instant. Pour être sûr de son effet, Paul appuya à nouveau. Il regarda rapidement la pièce et se dirigea vers l’ordinateur principal.

Il profita que les gardes soient aveuglés pour prendre le disque de Duke Nukem 3D et l’insérer dans la console. D’une main, il arracha l’ordinateur portable principal de ses branchements, le glissa dans sa veste qu’il gonfla légèrement et retourna sur la passerelle par l’échelle qu’il avait repéré la veille.

Il savait que s’il avait été assez rapide, personne ne s’apercevrait du vol avant un assez long moment, assez pour ressortir et être déjà loin.

Le défi qui l’attendait était de taille. Il allait devoir ressortit du complexe et s’en éloigner, le tout pendant que tous les gardes étaient en alerte.

       Il marcha lentement sur la passerelle jusqu’à arriver devant l’entrée du conduit d’aération. Il regarda sa console et appuya sur le bouton pour démarrer le jeu. Il regarda l’écran s’allumer puis le centre de la salle. Il laissa tomber la console au milieu de la pièce et se dépêcha de monter dans le conduit pour sortir au plus vite.

Une trentaine de secondes plus tard, il arriva à quelques mètres de la sortie donnant sur le toit. Il entendit un bruit sourd. La console venait d’exploser. Il sentit un souffle qui le poussa en avant d’un mètre. Malgré qu’il craigne d’être électrisé, la bombe qu’il avait déclenchée ne l’atteignit pas.

       Paul ressorti sur le toit et se pencha vers la cour. Des gardes courraient vers le bureau principal qui venait d’exploser. L’espion ne pouvait pas descendre par la face avant du bâtiment sans se faire voir. Il allait devoir trouver un stratagème pour ne pas se faire repérer et rejoindre la sortie.

Il fut soudain pris d’un doute. Il n’avait aucun véhicule pour fuir et, à pieds, il ne pourrait pas aller bien loin.

Paul réalisa que sa fuite était incertaine. Il regarda autour de lui. Heureusement pour lui, sur le toit, il était bien protégé et personne ne monterait pour l’instant. Il pouvait attendre et espérer que les gardes se résignent, pensant qu’il s’était enfuit mais cette possibilité était trop aléatoire, il risquait de se faire découvrir avant l’abandon de ses ennemis et cela ne faisait que décaler la problématique de sa fuite.

Soudain, son regard se posa à l’arrière du bâtiment. Trois motoneiges étaient garées. C’était la seule solution qui lui restait.

Paul vérifia ses chargeurs, ils étaient pleins. Il vérifia la position des gardes et attendit qu’aucun d’entre eux ne se trouve à proximité. Il se laissa glisser contre une gouttière qui allait du toit jusqu’en bas du bâtiment. Il courut vers sa chance de sortie, qu’importe qu’on le voit. Il enfourcha l’un des engins et appuya sur le bouton de démarrage.

       Impossible de s’éclipser par une autre issue que l’entrée principale, tout le centre était protégé par un grillage. Paul allait devoir faire le tour du complexe pour y arriver. Il sentit un frisson le parcourir. Il accéléra autant que possible, passa devant un garde ahuri par ce qu’il voyait.

Il lui restait vingt mètres. La grille était ouverte, deux gardes étaient au secours des deux que Paul avait neutralisé.

Paul prit une arme et visa. Tout en accélérant, il tira comme il put. Le retour de l’arme le surprit mais il s’y habitua rapidement. Comme il l’espérait, les gardes se protégèrent et il put franchir la grille en esquivant le 4×4 encore encastré sur le côté de la grille d’entrée.

Paul regarda derrière lui, le centre s’éloignait doucement.

       Paul allait retourner la tête pour regarder devant lui lorsqu’il vit qu’un 4×4 s’était lancé à sa poursuite. Il continua au bout du chemin et s’engagea vers la ville. Si ses poursuivant arrivaient à sa hauteur, ils n’oseraient peut-être pas l’attaquer devant de possibles passants.

       Malheureusement, la ville était déserte et le 4×4 se rapprochait de lui. L’espion arriva bientôt au bout de la ville et il décida de s’engager en dehors de la route, profitant des capacités de son véhicule. Il savait qu’il aurait un léger avantage sur ses poursuivants et qu’il pourrait en profiter, au moins pour un temps.

       La poursuite dura ainsi pendant plusieurs minutes avant que Paul ne voie deux autres 4×4 qui arrivaient en face de lui à pleine vitesse. Paul braqua pour faire un virage à angle droit. Le 4×4 qui le suivait l’imita. Les deux nouveaux véhicules arrivaient maintenant par le côté. Paul était à sa vitesse maximale, sa motoneige tremblait sous ses pieds.

Il passa devant les deux nouveaux arrivants qui tournèrent derrière lui. Le 4×4 qui le suivait passa entre les deux et Paul entendit plusieurs coups de feu. Il regarda derrière lui et vit que le véhicule qui le poursuivait depuis le complexe se retournait. Un des autres véhicules s’arrêta à ses côtés. Paul n’était plus suivi que par un dernier 4×4 qui semblait gagner du terrain.

       L’espion tenta de le semer mais c’était peine perdu. Le 4×4, puissant, arriva rapidement à sa hauteur et se mit à sa gauche. La vitre du passager se baissa et un homme fit signe à Paul de s’arrêter en le pointant d’un revolver. Paul regarda devant lui, il n’y avait rien qui puisse l’aider et n’avait plus le choix. Il mit la main dans sa poche. Il sentit l’un des deux pistolets. S’il le sortait, il serait sans doute tué immédiatement. Il toucha aussi son laser, un dernier recours si nécessaire.

Il laissa la motoneige ralentir et s’arrêta. La personne dans le 4×4 lui fit signe de monter à l’arrière du véhicule. Paul descendit de son véhicule et obéît, la main dans sa poche, entourant son laser.

       L’intérieur du véhicule était chaud. Paul dévisagea les trois personnes autour de lui.

       A sa gauche, une femme prit la parole avec un fort accent québécois :

       – Ne t’inquiètes pas, Paul, on est de ton côté et on sait qui tu es.

       Ces phrases agaçaient le jeune espion qui répondit :

       – Moi je ne sais pas qui vous êtes.         

       La femme répondit naturellement :

       – CSIS, les renseignements canadiens. On sait qui tu es depuis ton arrivée à Montréal.

       La femme en profita pour sortir une carte attestant de sa fonction au sein de l’organisation. Paul enchaina :

       – Une chance que vous soyez là. Vous auriez peut-être même pu arriver un peu plus tôt.         

       – Tu as fait du très bon travail. On va te ramener à Montréal et on va prendre le relai.  

       Paul hocha la tête en signe d’approbation. La femme reprit :

       – Un avion nous attends, tu pourras t’y reposer. A ton arrivée à Montréal, nous serons contraints de t’emmener à notre bureau pour te poser quelques questions mais ne t’inquiète pas, ce ne sera pas long.

Soudain, Paul réalisa qu’il n’avait pas donné de ses nouvelles à Thomas, qui devait être inquiet. Il demanda :

– Vous avez pu prévenir mon frère ?

L’agent du CSIS répondit en souriant :

– Oui, il a été prévenu et nous lui dirons que tu es en sécurité et bientôt de retour. Je suis sûr qu’il t’attend avec impatience.

       Les trois espions qui encadraient Paul l’accompagnèrent jusqu’à l’aéroport, à quelques kilomètres de là. Ils prirent ensuite un avion privé confortable.

Paul discuta avec l’espionne pendant une partie du trajet sans jamais évoquer sa mission. Après une demi-heure de vol, il s’excusa et s’endormit. Il eut l’impression de ne jamais avoir été aussi fatigué.

Il dormit quasiment jusqu’à l’arrivée à Montréal où l’avion se posa à six heures du matin. Paul embarqua ensuite dans une voiture et conduit dans un immeuble du centre-ville.

La voiture entra dans un parking et Paul fut placé dans un bureau. On lui servit un chocolat chaud et de quoi manger. La femme qui état avec lui depuis Ikaluktutiak s’assit devant lui, prête à prendre des notes sur un petit ordinateur portable :

       – Paul, mets-toi à l’aise, il faut que je te pose quelques questions. Ce ne sera pas long. Je sais que ce que tu as vécu a été éprouvant.

       Paul était fatigué et n’avait pas envie de se répéter. Il garda sa veste et répondit :

       – Je suis désolé, je ne peux rien vous dire, il me faudrait l’accord de mes supérieurs.

La québécoise sembla déçue :

       – Tu es un bon espion et fidèle en plus. Mais tu dois me faire confiance. Nous sommes là pour les mêmes raisons que toi. Dis-moi ce que je veux savoir et nous te raccompagnerons, cela relève de la sécurité Canadienne.

       L’insistance de l’espionne trahissait son manque d’assurance, Paul savait ce qu’il avait à faire :  

       – Non. Je ne peux rien dire pour le moment, faites ce que vous voulez mais je ne vous dirai rien tant que je n’aurai pas pu voir l’un de mes responsables.

       L’espionne sembla prête à négocier devant le refus catégorique du jeune espion français :

       – Et si je te proposais de travailler pour nous maintenant ? Tu serais un bon élément et nous te paierons bien plus que ton salaire actuel. Combien ils te donnent en France ?    

       – Je ne vois pas de quoi vous voulez parler. Je ne suis qu’un simple étudiant et j’étais en stage chez NTech corp. Il y a eu un accident et je me suis enfuis.

Cette fois, Paul avait provoqué la colère de son interlocutrice :

       – Ça suffit. Tu ne partiras pas d’ici tant que je n’aurais pas les informations que tu nous dois. On t’a sauvé la vie, là-bas, ne l’oublie pas !

       – Je suis toujours vivant mais je m’en serai sorti, même sans vous.

       – Bien, Paul, tu ne me laisses pas le choix, je vais te fouiller et sans ton passeport, tu ne pourras pas quitter notre territoire.

       Paul se résigna. Il avait envie de retrouver Thomas, de revoir le campus et la France. Il savait bien que si les services secrets lui confisquaient son passeport, il resterait sur le territoire. Et si on le fouillait, on trouverait aisément l’ordinateur, toujours caché dans sa veste gonflée. Il abdiqua :

       – D’accord, je vais tout vous dire à une condition, c’est qu’ensuite vous me raccompagniez à mon appartement.

       Le sourire de l’espionne trahissait sa satisfaction :

       – Bien entendu, c’est ce que je t’ai promis. Alors ?

       – Ils préparaient des dossiers sur chaque gouvernement pour les faire chanter mais malheureusement, ma couverture a été découverte et j’ai dû fuir. Je n’ai rien pu récupérer et je n’ai même pas eu le temps de trouver d’autres informations, le bâtiment principal a explosé et je n’ai pas pu y retourner. Je pense que les antennes doivent encore fonctionner. Je pense qu’avec un peu de travail, vous retrouverez les informations que vous cherchez.     

       – Qui dirige l’organisation ? Tu as dû le savoir au moins. Et lui parler peut-être.       

Paul répondit, assuré :

       – Non, les stagiaires ne parlent pas aux directeurs, seulement à leurs managers.

       L’espionne semblait déçue mais faisait maintenant confiance à Paul. Elle était déjà persuadée qu’il lui avait dit tout ce qu’il savait. Elle appela un de ses collègues et lui ordonna de raccompagner le jeune espion jusqu’à son appartement. Paul l’entendit pester après son départ :

       – Tout ça pour sauver les fesses d’un ado qui n’a rien trouvé. Quelle perte de temps !

Paul fut conduit au parking du bâtiment puis déposé devant l’immeuble. Il monta jusqu’au loft et ouvrit la porte.

Thomas était assis à la table du salon. Il se leva en voyant Paul.

Le jeune espion regarda son coéquipier. Il lui rendit son sourire et fondit en larmes.

Thomas posa une tasse de café sur la table basse et s’assit à côté de Paul. Le jeune espion prit la tasse et l’enserra de ses mains. Elle était chaude.

Il sentit la main réconfortante de son coéquipier se poser sur sa cuisse en signe de soutien.

Paul but silencieusement puis reposa sa tasse sur la table.

Il retrouva ses esprits et sa respiration. Il se calmait doucement.

Thomas regarda la veste posée sur l’une des chaises de la table de la salle à manger puis l’ordinateur portable. Il tourna la tête vers Paul :

– Ça va ?

Paul hocha la tête. Thomas poursuivit :

– Tu n’es pas obligé de me raconter maintenant.

Paul regarda Thomas :

– Je les ai tués.

– Qui ?

– Ceux qui étaient dans la salle principale du complexe, j’ai fait exploser la console, ils sont morts.

– Toi tu es vivant.

– Oui.

Le silence gagna la pièce avant que Paul ne reprenne :

– Ils m’ont fait sauté d’une falaise pour faire croire à un accident.

– Tu t’en es sorti. Tu veux me raconter ce qu’il s’est passé ?

Paul commença par expliquer son stage puis sa sortie nocturne, les documents qu’il avait trouvés. Plus il racontait, mieux il se sentait. Il marqua une pause avant de raconter son interrogatoire et la tentative de meurtre dont il avait fait l’objet.

Il poursuivit avec le récit de sa fuite et termina avec l’interrogatoire au bureau du CSIS.

Lorsqu’il eut terminé, Thomas répondit :

– Tu n’as fait aucune erreur, Paul. Tu as agi comme beaucoup d’espions aguerris auraient agi, mieux peut-être. Tu as aussi rapporté une preuve, du moins je l’espère. J’ai aussi été interrogé par le CSIS, ils savent qui nous sommes et je suis fier de toi, tu as répondu exactement comme il le fallait.

Paul demanda :

– Et IceMan ?

– Je ne sais pas ce qu’il est devenu, mais il ne pourra pas se cacher bien longtemps. Nous aurons vite les preuves nécessaires et, dès que ce sera fait, nous les transmettrons aux services canadiens. Il faut simplement que nous les analysions avant.

– Je suis fatigué.

– Va te reposer. Je vais préparer nos affaires, je pense qu’on doit rentrer en France maintenant.

Paul monta les escaliers en colimaçons, traversa la mezzanine et trouva sa chambre. Il regarda la porte et ne la ferma pas. Il s’allongea sur son lit et ferma les yeux. Il repensa à sa mission, à son sac resté à Ikaluktutiak. Sa gorge se noua et il s’efforça de respirer lentement. Il s’endormit rapidement.

Lorsqu’il se réveilla, il était seize heures. Le soleil éclairait le loft. Il descendit et retrouva Thomas. Il était souriant, un sourire qui cachait mal son inquiétude. Paul, à son tour, lui adressa un sourire :

– Ça va.

Thomas hocha la tête :

– Quelque-chose te ferait plaisir ?

Le jeune espion réfléchit :

– Notre mission est terminée ?

– Oui.

– Un restau.

– Parfait, je vais réserver. Tu as une préférence ?

– Non, comme tu veux, je veux juste sortir un peu ce soir.

Thomas emmena Paul dans un restaurant chic, une parenthèse loin de ce que le jeune espion avait vécu. Thomas profita du moment pour lui annoncer qu’ils rentreraient à Paris le lendemain. Ils pourraient retourner au campus sans risque, Warden avait été mis hors d’état de nuire pendant l’absence de Paul.

Dès son retour dans le loft, Paul prépara ses affaires puis se glissa dans un bain chaud avant de se coucher.

Le Boeing 797-9 de la compagnie française décolla à dix-neuf heures vingt-cinq de Montréal.

Paul, souriant, profitait des sièges luxueux de la classe business, au centre des allées. Thomas était sur le siège à ses coté.

Une fois le décollage effectué, ils discutèrent. Aucun des deux n’était fatigué et ils ne dormirent pas du voyage.

Ils touchèrent le sol à huit heures quinze, heure de Paris.

Thomas conduisit jusqu’au bâtiment de l’Aigle, au centre de Paris.

Les deux espions récupérèrent leurs identités, rendirent leur matériel et, après avoir pris un café dans un bar non loin du bâtiment, prirent la route vers le campus.

Une fois sur place, ils montèrent dans le bureau de Thomas qui demanda :

– Tout va bien ?

Paul hocha la tête :

– Oui, merci. Qu’est-ce qu’il va se passer maintenant ?

– Je vais essayer de t’épargner un long interrogatoire par la direction. Je vais leur raconter ce que tu m’as dit et leur donner l’ordinateur portable. Quant à toi, tu vas te reposer et tu reprendras les cours lundi.

– Entendu.

Thomas marqua un temps avant de reprendre :

– J’aimerais que tu ailles rencontrer une personne importante sur le campus… N’y voit surtout pas un problème, mais je pense que c’est nécessaire de ne prendre aucun risque et être sûr que tu vas bien.

Paul sentit la gêne chez Thomas et lui demanda :

– Qui est-ce ?

– Monsieur Villa, notre psychologue.

Paul contesta :

– Je n’en ai pas besoin ! Tout va bien, vraiment. Lorsque je suis rentré à Montréal, j’étais fatigué, mais je vais bien, vraiment.

Thomas garda une voix calme :

– Paul, c’est un ordre. C’est à lui de définir si tu vas bien et ne t’inquiète pas, c’est un professionnel habitué à ce genre de situation.

Paul ne répondit pas. L’idée de consulter un psychologue ne lui donnait aucune envie mais il ne pouvait pas aller à l’encontre d’un ordre. La hiérarchie commençait à se faire sentir, il était tenu de la respecter.

Les deux coéquipiers se saluèrent et Paul retrouva sa chambre. Ses deux camarades, Antoine et Ethan, étaient en cours.

Il retrouva ses amis le midi, pour déjeuner, et fut chaleureusement accueilli.

Peu de choses avaient changées depuis son départ, les cours se poursuivaient. Seul un détail important était à relever, la classe de Paul avait changé de professeur d’anglais. Monsieur Warden avait laissé sa place à Monsieur Everett dès leur retour de vacances. Ce départ précipité avait posé question auprès de la classe de Paul qui apprit que la direction avait choisi de le muter.

Le jeune espion se garda de raconter à ses camarades la vérité sur ce départ et préféra leur raconter sa vie au Québec, omettant les parties les plus importantes de sa mission.

Dès le soir, la vie reprit au foyer. Paul était ravi de ne pas avoir à aller en cours pendant quelques jours et en profita pour se reposer.

Il rencontra comme convenu le docteur Villa, psychologue de l’Aigle. Il n’eut pas à entrer dans les détails de sa mission. Cependant, le docteur insista pour le revoir au moins deux fois pendant les semaines qui suivaient, afin de s’assurer que Paul fut en bonne santé.

       Trois semaine plus tard, alors que Paul était retourné en cours, il apprit que l’ordinateur qu’il avait récupéré contenait toutes les informations nécessaires pour écrouer les dirigeants de l’entreprise, IceMan en tête. Les antennes et le matériel avaient été confisqués par le CSIS et le dirigeant arrêté, ainsi que toute son équipe.

Cette arrestation avait fait un tollé dans les journaux canadiens mais les chefs d’accusations avaient été très différents de la réalité. Paul savait qu’on entendrait plus parler de NTech corp et que les informations qu’il avait pu découvrir ne seraient jamais connues en dehors des réseaux d’espionnage français et canadien. Il n’y prêta aucune attention.

Paul eut du mal à laisser sa mission derrière lui. Il y repensait souvent, ce qui pouvait parfois le distraire pendant ses cours. La nuit, il lui arrivait de rêver du Québec, de son stage et de IceMan. C’était en général après avoir mis du temps à trouver le sommeil.

Plus il approchait des vacances et plus il les attendait. Il avait besoin de repos, de passer à autre chose, de faire une pause dans l’espionnage. C’était ce qui l’agaçait le plus. Il avait envie de tout arrêter, de retourner à la vie normale. Pourtant, il avait aussi besoin de continuer à étudier à l’Aigle et avait déjà l’envie de repartir en mission. Cette dualité l’énervait, il ne supportait pas ne pas savoir quoi faire. Il ne supportait pas cette impression qu’il allait échouer. Il avait besoin de repos mais avait peur de décevoir.

Il s’était finalement livré au psychologue de l’école qui l’avait rassuré. En trois ans il avait vécu des évènements marquants qui n’étaient pas anodins. Le Québec avait été une expérience qui laissait des traces. Il avait aussi mis les mots sur ce que vivait Paul, un syndrome post-traumatique, léger, qui passerait avec le temps mais au sujet duquel il fallait être vigilant. Surtout, il voulait protéger l’étudiant d’autres réactions, en particulier une trop grande irritabilité ou un possible dépression.

Le vendredi, veille des vacances de Pâques, arriva.

Si Paul avait toujours du mal à sourire, il sentit néanmoins que, ce soir-là, il était plus en forme. La perspective des vacances était plus présente, plus concrète.

Ses amis avaient eux-aussi tout fait pour qu’il se sente au mieux pendant cette période. Bien entendu, ils ne pouvaient pas grand-chose mais leur sympathie suffisait. Paul avait rapidement vu dans leur yeux la compassion. Il détestait cela.

Le samedi matin, Paul et ses amis prirent un petit déjeuner à neuf heures. Ils pouvaient sortir à partir de dix heures. Paul avait préparé ses affaires la veille, prêt à partir et rentrer chez lui pour deux semaines de vacances.

Paul monta dans la voiture de ses parents à côté de Louis. Frank et Maude leur posèrent une batterie de question sur leurs cours et leur vie sur le campus.

Une fois chez lui, Paul se sentit soudainement mieux, comme s’il était pour la première fois depuis son retour du Québec réellement en sécurité.

Le lendemain, pendant le déjeuner, Paul demanda à ses parents comment ils fêteraient Pâques cette année. Habituellement, c’était chez eux ou chez les grands-parents paternels de Paul.

Maude eut l’air gênée par cette question :

– Cette année, nous fêterons Pâques ici, entre nous.

Paul s’inquiéta :

– Pourquoi ? Il y a eu un problème ?

Frank prit la parole :

– Ton grand-père est à l’hôpital pour des soins, il ne sera pas sorti pour Pâques. Il est rentré la semaine dernière et il a besoin de repos. Nous voulions te l’annoncer aujourd’hui.

– C’est… grave ?

– Nous ne savons pas, il peut en guérir mais les chances sont de plus en plus maigres.

– Je peux aller le voir ?

– Bien sûr, tu as le droit d’aller le voir, mais je dois te prévenir qu’il est affaibli, tu pourrais ne pas le reconnaitre.

Paul sentit les larmes lui monter aux yeux. Il vit dans le regard de son père l’inquiétude. Il confirma :

– Je veux le voir.

– Nous irons ensemble mercredi.

Trois jours plus tard, après déjeuner, Paul et son père sortirent en direction de l’hôpital. Il leur fallait moins d’un quart d’heure pour s’y rendre.

Ils arrivèrent dans le grand hall de l’hôpital, entièrement vitré. Frank emmena Paul jusqu’au service oncologie puis devant la porte de la chambre de son grand-père. Il se tourna ensuite vers son fils :

– C’est là. Je vais entrer en premier voir s’il n’est pas occupé.

Frank entra, Paul l’entendit :

– Bonjour papa, comment vas-tu ? Paul est avec moi, je vais le laisser entrer.

Frank fit signe à Paul d’approcher.

Le jeune espion entra dans la chambre et découvrit son grand père, alité. Il était souriant mais avant changé. Son visage était creusé, il avait maigri. Il était visiblement fatigué et peinait à rester concentré.

Pawel accueilli Paul :

– Tiens, tu es là ! Comment vas-tu ?

Paul sentit sa gorge se nouer. Il avait envie d’éclater en sanglots. Il se retint et répondit :

– Je vais bien, et toi ?

Pawel sourit :

– Comme tu vois, j’ai connu mieux. Mais ça va aller.

Paul hocha la tête. Tout le monde dans la pièce savait que ça n’irait pas.

Le jeune espion regarda son père puis son grand-père. Sa gorge était plus serrée encore. Il était incapable de parler et resta en retrait.

Frank reprit la discussion mais, rapidement, Pawel s’endormit sans pouvoir résister.

Frank regarda Paul :

– Bon, on va y aller.

Le jeune espion regarda son grand-père une dernière fois et se tourna vers son père. Il hocha la tête sans répondre puis quitta la pièce.

Paul avait envie de pleurer. Il descendit lentement les escaliers menant au rez-de-chaussée, silencieusement. Il ne parvenait pas à se contrôler. Une larme coula sur sa joue, il l’essuya. Il ne voulait pas la montrer à son père.

Dehors, il prit une grande inspiration. Il eut l’impression que l’air lui brûlait les poumons.

Frank lui demanda :

– Tu veux aller au café ? Je ne travaille pas aujourd’hui.

– Oui.

Paul commanda un coca, Frank un café. Ils ne discutèrent pas de Pawel.

Frank posa quelques questions à Paul sur sa mission au Québec mais le jeune espion préféra répondre que tout s’était passé pour le mieux, sans entrer dans les détails. Il ne voulait pas inquiéter son père.

Ils restèrent une demi-heure au café, ils discutèrent de divers sujets avant de rentrer chez eux.

A dix-sept heures, Frank annonça à son fils :

– Je sors ce soir, j’ai un rendez-vous.

Paul regarda son père, vêtu comme pour aller à son travail, en costume noir et cravate noire sur une chemise blanche immaculée. Il portait une mallette noire, protégée par deux codes. Paul demanda :

– Tu n’étais pas en congés ?

– Si, je ne vais pas travailler, c’est amical.

– En costume ?

Frank sourit :

– T’es de la police ?

– Non, je m’intéresse, c’est tout. Tu vas voir Thomas ?

– Oui entre autres.

– C’est quoi ?

– De ?

– Où vous allez.

– Tu le découvriras plus tard, ne t’en fais pas.

– Bon. En tous cas, ça fait très espion comme tenue.

Frank s’amusa de cette remarque et salua son fils. Maude ne rentra du travail qu’une heure plus tard et partagea le diner avec son fils. Ils discutèrent de l’état de santé de Pawel. Paul savait que son grand père n’en réchapperait pas, cela avait été évident.

Maude avait préparé un copieux déjeuner pour Pâques, avec le traditionnel gigot d’agneau et haricots blancs. Pour Paul, c’était un sentiment étrange de ne pas être avec sa famille, comme cela avait été le cas chaque année.

Le repas fut tout de même agréable et ce fut l’occasion pour Paul de discuter avec ses parents de sujets qu’ils n’abordaient que rarement comme la vie politique du pays.

Paul profita de cet instant et resta à table avec ses parents pendant près de trois heures avant qu’ils ne poursuivent leur discussion dans le salon.

Ces vacances furent pour Paul un véritable havre de paix. Il ne pensa pas au campus ni à sa dernière mission. Ses blessures s’estompaient.

Bien entendu, il voyait Louis régulièrement. La relation du meilleur ami de Paul avec Noémie était maintenant oubliée et ils étaient parvenus à se ressouder et à retrouver l’amitié qu’ils avaient connue auparavant.

Les congés passèrent rapidement, trop rapidement pour Paul qui n’aurait pas été dérangé par une semaine supplémentaire. Cependant, il avait aussi envie de retrouver le campus, le calme de l’été qui arrivait, ses amis et l’ambiance qui y régnait.

Le dimanche, Louis et Paul furent conduits sur le campus par Frank et Maude.

Ce fut finalement un certain soulagement pour Paul de retrouver le campus. Les vacances étaient derrière lui et c’était bien ainsi.

Le lundi matin, dernière semaine du mois d’avril. On frappa à la porte de la salle de classe.

Le professeur donna l’entrée, c’était leur responsable des études, Thomas Duchesne.

 Les étudiants l’accueillirent en silence. Il s’avança au centre de la pièce :

– Bonjour à tous. Je sais que ma venue est rare parmi vous. Je viens vous parler de cette dernière ligne droite dans votre quatrième année. Nous sommes bientôt au mois de mai et il vous reste deux mois de présence ici avant vos vacances d’été. Comme chaque année, vous passerez un examen afin de valider votre deuxième semestre et donc votre année.

Il marqua une pause avant de reprendre :

– Cet examen se fera en deux partie, comme souvent. La première sera composée d’épreuves écrites sur les matières étudiées cette année. Je compte sur vous pour vous montrer à la hauteur. La seconde partie sera une épreuve sportive sur une journée. Entrainez-vous bien, elle sera à la hauteur de vos espoirs, si vous espérez qu’elle soit des plus complexes. La moyenne de vos épreuves sera calculée avec celles de vos deux semestres pour connaitre votre moyenne générale. Bon courage à vous, il vous reste six semaines pour vous préparer.  

Thomas adressa un sourire entendu aux élèves et sortit de la salle. Un murmure parcourut les élèves de la classe. Ils imaginaient déjà les épreuves et les redoutaient.

Leur professeur fit cesser le bruit des discussions. Alors qu’il allait reprendre, Arthur lui demanda :

– Vous savez, vous, quelles questions nous aurons ? c’est vous qui préparez les sujets ?

Le professeur lui adressa un sourire :

– C’est bien moi, ne vous inquiétez pas, si vous avez bien travaillé cette année, vous n’aurez aucun problème.

Le cours reprit. Paul regardait la feuille devant lui. Il était resté silencieux. Lui aussi essayait de savoir quelles épreuves les attendaient mais une autre question tournait en lui.

Il fut distant toute la matinée et, alors que le groupe d’ami s’apprêtait à aller déjeuner, il s’excusa :

– Allez-y, je vous rejoins, il faut que j’aille voir Thomas…

Antoine réagit :

– Essaye de lui demander des informations sur les examens !

Paul sourit :

– J’essaierai d’y penser !

Paul traversa la cour centrale et s’engagea dans le bâtiment d’accueil. Il monta au premier étage, espérant que le responsable des études serait dans son bureau. Il frappa à la porte.

Il entendit Thomas lui répondre qu’il pouvait entrer.

Le responsable des études était assis derrière son bureau et se redressa en voyant son élève :

– Paul ! Comment vas-tu ? Assieds-toi je t’en prie.

L’étudiant prit place face au responsable des études :

– Ça va, à peu près.

– Tu repenses toujours au Québec ?

– Non, non, je crois que j’ai pu tourner la page.

– Je crois voir que quelque-chose te préoccupes.

– Oui, c’est au sujet des épreuves. Les moyennes des deux semestres seront cumulées pour donner une moyenne finale, c’est bien cela ?

Thomas hocha la tête :

– Exactement, comme d’habitude.

– Et le major de la promo sera celui qui aura eu la meilleure moyenne ?

– Là aussi, rien d’exceptionnel.

– Je n’aurai pas dû être premier pendant le premier semestre.

Thomas sembla compatissant :

– Paul, tu as mérité tes notes, n’en doute pas.

– Non, justement, il y a une chose que je ne t’ai pas dite.

Le visage de Thomas changea. On pouvait maintenant y lire son inquiétude.

Paul hésita et, devant le silence de son responsable des études, s’expliqua :

– Lorsque l’on m’a demandé de travailler pour les américains, il y avait une contrepartie et je ne t’ai rien dit. J’aurai dû. Je n’avais pas à être premier, c’est Warden qui m’a noté et qui m’a délibérément donné assez de point pour passer premier.

Thomas hocha la tête :

– Je sais.

Paul regarda le responsable des études :

– Comment ça ?

– Lorsque l’on m’a communiqué ta note, j’ai été surpris. Lorsque j’avais fait mon rapport sur cette mission d’essai, j’avais soulevé certaines erreurs de ta part qui ne méritait pas cette note. Même un interrogatoire parfait n’aurait pas pu te faire passer premier. Cependant, j’ai respecté la décision finale de celui qui te donnait la note. Je n’avais rien à dire. Lorsque j’ai appris ce qu’il s’était passé, j’ai rapidement fait le rapprochement et j’ai compris que ta note avait été une contrepartie pour le travail que tu avais à faire.

– Et tu ne m’as rien dit ? Tu n’as rien fait ?

Thomas répondit en souriant :

– Une note est une note, je n’avais rien à dire et certainement pas à te mettre la pression. On est aussi parti immédiatement après au Canada, ce n’était pas le moment. J’attendais et j’espérais que tu viennes m’en parler par toi-même.

– Arthur aurait dû être premier et moi au moins deuxième, ou troisième.

– C’est vrai. Qu’est-ce qu’il te parait le plus juste, à toi ? Tu aimerais que l’on t’enlève des points ? Ce serait arbitraire et nous ne saurions jamais combien tu aurais pu avoir. D’un autre côté, c’est en effet injuste pour tes camarades.

– J’aimerais que, si je suis premier, le deuxième soit major de l’année.

– C’est impossible, comment le justifierais-tu ?

Paul se sentit bloqué. Enervé, il répondit :

– Alors je ferai en sorte de rater mes examens, quitte à redoubler.

Le jeune espion crut entendre son responsable des études rigoler discrètement en répondant :

– Ce n’est pas ce que tu veux.

– Non… Non c’est sûr, mais je ne veux pas non plus avoir une place que je ne mérite pas.

– Et si tu avais eu deux, trois points de moins à cette épreuve, soit un point ou un point et demi en moins sur ta moyenne, tu aurais tout de même pu être premier au terme de l’année, n’est-ce pas ?

– Oui, sûrement.

– Voici ce que je te propose. Je ferai en sorte de te retirer ce point sur ta moyenne du semestre. Est-ce que tu trouverais cela juste ?

– Je pense, oui.

– Alors réussis tes examens. Sois premier même avec ce point en moins, mais ne sabote pas une excellente scolarité pour cela, tu ne le mérites pas.

Paul hocha la tête. La proposition de Thomas lui avait parue juste et cela lui retirait un poids qu’il aurait eu du mal à supporter, en particulier vis-à-vis de ses camarades.

Paul remercia Thomas et retrouva ses amis. Il fut bien plus souriant et présent que lors de la matinée.

Paul avait retrouvé sa concentration pendant les cours. Ses notes étaient bonnes, il faisait en sorte de suivre pour réussir ses examens. Il était bien décidé à être premier de sa classe, même avec un point de moins sur sa moyenne.

Pendant leur temps libre, Paul et ses amis faisaient du sport afin de se préparer pour l’épreuve de fin d’année, déjà annoncée comme particulièrement difficile. Certains avaient fait des pronostics mais personne ne savait réellement à quoi s’attendre.

Chaque jour de la semaine, ils changeaient de sport et alternaient course, vélo, lutte, piscine et basket. Le samedi, c’était musculation et le dimanche repos.

Après trois semaines, au milieu du mois de mai, ils s’étaient tous bien améliorés mais n’étaient pas décidés à se relâcher pour autant.

Alors qu’ils faisaient des longueurs, profitant d’une piscine quasiment vide, les garçons virent leur responsable des études s’asseoir sur les gradins.

Les élèves espions terminèrent leur longueur et Paul s’adressa au nouvel arrivant :

– Bonjour Thomas !

Le responsable des études leur adressa un signe de tête :

– Bonjour à tous, je vois que vous vous entrainez, c’est bien, ça vous sera utile.

Antoine demanda :

– Ce sera vraiment si dur ?

Thomas Duchesne eut un sourire malicieux :

– Tu n’imagines même pas.

Il n’était pas décidé à donner la moindre information aux élèves. Après une courte pause, il reprit :

– Paul, je suis désolé de t’interrompre mais peux-tu me rejoindre dans mon bureau ? J’aurai à te parler.

Etonné, Paul se hissa hors de l’eau :

– Je vais me changer et j’arrive. Rien de grave ?

– Nous en parlerons tous les deux.

Paul fut soudain inquiet. Il se demanda ce que Thomas avait à lui dire et n’arrivait pas à trouver. Ce ne pouvait pas être au sujet de ses examens, l’affaire était entendue.

Tout en se changeant, il repensa à sa mission. Il se demanda si le psychologue de l’Aigle n’avait pas fait part de conclusions qu’il aurait divulgué à Thomas. C’était impossible, cela était maintenant derrière lui. Peut-être était-ce au sujet de sa mission ou, une autre possibilité bien plus plausible, un nouveau départ. Cela n’était pas vraiment le moment mais Paul avait déjà hâte de repartir. Les missions étaient éreintantes mais étaient aussi des moments à part, pendant lesquels Paul ressentait une excitation qu’il ne retrouvait pas en dehors.

Il sortit de la piscine et monta jusqu’au bureau de Thomas. La porte était ouverte, le responsable des études debout, une cigarette à la main. Il se tourna vers Paul :

– Entre, ferme la porte derrière toi s’il te plait et prend place sur le canapé.

Paul obéît. A l’air tendu de son responsable d’études, qui ne fumait que très rarement et s’interdisait habituellement de le faire dans son bureau, le jeune espion comprit que la discussion n’allait pas être simple. De plus, rares étaient les entretiens sur le canapé. L’étudiant regarda Thomas s’asseoir face à lui et demanda :

– Tu voulais me voir ? 

Thomas Duchesne fit tomber sa cendre dans un petit cendrier posé sur la table entre eux :

– Paul, c’est une chose difficile à annoncer. Je viens de recevoir un appel de ton père, ton grand-père est décédé en début d’après-midi.

Paul sentit un vertige. Il eut l’impression que le monde s’écroulait autour de lui. Il n’existait plus rien que cette pièce, lui et son responsable des études devant lui. Sa gorge se noua. Il sentit une larme couler doucement sur sa joue droite et atteindre le bord de ses lèvres. L’image de son grand-père lui revint, allongé sur son lit d’hôpital, affaibli.

Thomas reprit :

– Je suis désolé. Ton grand-père était un grand espion et un homme de bien.

Paul releva la tête :

– Tu l’as connu ?

– Oui, un peu, pas assez.

Paul resta silencieux. Thomas reprit :

– Paul, si tu as besoin… Même si je sais que je ne pourrais pas faire grand-chose, je serais à tes côtés.

– Merci, Thomas.

– Il sera inhumé lundi, j’irai aux obsèques. Si tu le souhaites, ton père pourra venir te chercher samedi ou nous irons ensemble lundi. Je te raccompagnerai sur le campus ensuite.

Paul hocha la tête. Il ne savait pas que choisir mais il avait envie d’être entouré pendant le weekend, y penser le moins possible. Il espérait que son père comprendrait :

– J’aimerais rester ici ce weekend.

– Bien, c’est entendu.

Paul resta assis. Il était encore sous le choc de cette annonce à laquelle il ne s’était pas attendu.

Thomas proposa :

– Tu veux rester un peu ?

Paul acquiesça. Il ne se sentait pas prêt à rejoindre ses amis.

Thomas se releva et disparut par la porte de son appartement, de l’autre côté de son bureau.

Il revint quelques secondes plus tard avec une bouteille d’eau et deux verres :

– Je n’ai que de l’eau.

Il posa les deux verres et les remplit.

Paul but une gorgée :

– Merci.

Sa gorge s’était un peu dénouée. L’envie de pleurer était passée :

– On partira à quelle heure ?

– Lundi ? Dix heures. Mais ne t’inquiète pas, je m’occuperais de tout.

– C’est un peu… Bizarre.

– Je sais… C’est difficile de perdre un proche.

– Non, que tu m’y emmènes.

– Ça te dérange ?

Paul se rattrapa :

– Non, non pas du tout. Je pense que tu dois être le seul responsable des études à emmener un élève à un enterrement.

– Sans doute…

Paul eut un rire nerveux :

– Désolé, je crois que je ne me rends pas encore tout à fait compte.

– C’est rien, Paul. Je sais que ce n’est pas facile. Tu le voyais souvent ?

– Oui, à Noël et à Pâques, surtout. Je l’ai vu pour la dernière fois pendant les vacances. Depuis que je suis à l’Aigle, j’ai eu moins d’occasions de le voir. On était assez proches et je crois qu’il m’appréciait.

– J’en suis sûr.

– Aucun de mes cousins n’a fait de l’espionnage. Ça commençait à nous rapprocher je crois.

– C’est vrai, il me semble qu’il y a un militaire, c’est bien ça ?

– Oui, Michal.

– Tu sais, si tu as besoin de quelques jours de repos, je te comprendrai et je te ferai une dérogation.

– Non, je dois réussir mes examens.

Thomas hocha la tête :

– Comme tu le veux.

Paul eut un sourire :

– Je peux abuser ?

– Comment ?

– J’aimerais qu’on dîne ensemble, tous les deux. Je n’ai pas très envie de retrouver les autres.

Thomas hocha la tête :

– Ce n’est pas vraiment conventionnel, Paul. Que diraient tes camarades ? Ils penseront que je te favorise.

– Si on dinait dehors ?

– Tu n’es pas en vacances… C’est interdit de sortir pendant les périodes de cours.

– D’accord…

Paul fut déçu. Il s’était fait à l’idée que partager cette soirée loin du campus l’aiderait à surpasser cette nouvelle. Depuis le Québec, Thomas était devenu bien plus qu’un simple responsable des études, il était devenu un repère pour Paul. Au fond de lui, le jeune espion savait que ce dîner était une substitution mais cela aurait pu l’aider. Il changea de sujet.

A vingt heures, il se rendit compte qu’il était l’heure d’aller dîner :

– Bon, je vais aller dîner…

Thomas acquiesça :

– Ça va aller ?

– Oui…

Paul se leva et se dirigea vers la porte lorsque Thomas l’interrompit :

– Paul ?

L’étudiant se retourna :

– Oui ?

– Tu veux toujours dîner dehors ?

Paul retrouva son sourire :

– Oui.

Thomas hocha la tête :

– Bon, on va sortir alors.

Thomas se prépara et ils descendirent au parking. Ils montèrent dans la voiture de Thomas et sortirent du campus. Paul savait qu’il serait questionné à son retour mais cela lui importait peu.

Ils dinèrent dans un restaurant à quelques kilomètres du campus. Ils discutèrent sans évoquer le grand-père de Paul. Deux heures plus tard, ils étaient de retour au campus.

Ils restèrent un moment à discuter dans le bureau de Thomas puis, Paul dût revenir à sa vie d’étudiant. Avant de partir, il adressa un regard à Thomas :

– Merci pour ce soir, Thomas. Merci d’être là.

Le responsable des études hocha la tête :

– Tu sais où me trouver si tu as besoin de moi.

Paul prit la main tendue de Thomas et sortit du bâtiment.

Dans la cour, des élèves discutaient. Il faisait bon. Paul marcha jusqu’à sa chambre, elle était vide. Il ouvrit le tiroir et prit dans sa main le paquet de cigarette et le briquet que son grand-père lui avait offert. Il les serra et soupira avant de les ranger.

Ses camarades de chambre rentrèrent une demi-heure plus tard.

Ethan se prépara et se coucha. Antoine s’approcha de Paul, allongé sur son lit :

– Ça va ? On t’a pas vu ce soir.

Paul se redressa :

– Désolé, j’ai pas pu vous rejoindre et quand je suis revenu, je ne savais pas où vous étiez.

– Dehors, pas loin de la forêt. Tu n’as pas diné ?

– Si, ne t’inquiètes pas.

– D’accord. Tout va bien, tu es sûr ? Comment ça s’est passé avec Thomas ?

Paul baissa la voix :

– Tu le gardes pour toi ?

– Tu me connais.

– J’ai dîné avec Thomas… Mon grand-père est mort et je me sentais pas trop de revenir tout de suite.

Le visage d’Antoine se ferma :

– Je suis désolé…

– Ne t’inquiètes pas.

– Je suis content que Thomas et toi ayez pu échanger ce soir, ça ne me regarde pas mais… Je sais qu’il a su trouver comment t’accompagner.

– Oui… C’est quelqu’un de bien.

Paul laissa passer un temps et reprit :

– Je ne serai pas là lundi, j’irai à son enterrement.

– Je comprends, tu veux que je prévienne les autres ?

– Quand ils demanderont.

– Bien. Si tu as besoin de quoi que ce soit, préviens-moi.

– Je vais dormir un peu.

– Bonne nuit Paul.

– Merci, bonne nuit à toi aussi.

Paul posa la tête sur l’oreiller. Il repensa à son grand-père mais ses pensées s’envolèrent rapidement. Il s’endormit.

Thomas stationna la voiture à proximité de l’Eglise. Sur le perron, une trentaine de personnes étaient déjà présentes.

Paul, aux côtés de son responsable des études, s’avança. Ils montèrent les quelques marches du perron. Frank les aperçut et s’avança vers eux. Il salua son fils :

– Ça va Paul ?

Paul hocha la tête :

– Oui. Et toi ?

– Ça va.

Le père de Paul se tourna vers Thomas :

– Merci d’être venu.

Le responsable des études s’avança et embrassa son ami :

– C’est normal, Frank.

– La route s’est bien passée ?

– Oui, très bien.

Frank resta silencieux. Thomas reprit :

– Je vais vous laisser en famille, je vais aller saluer quelques amis.

– Oui, François est arrivé, lui aussi.

– J’ai vu.

Thomas tourna les talons. Il salua chaleureusement un petit groupe de personnes qui discutaient entre eux.

L’Eglise était pleine. Paul retrouva ses cousins, ses oncles et tantes et sa grand-mère. Il ignorait que son grand-père avait eu tant d’amis.

La cérémonie commença. Le prêtre prit la parole, puis ce fut au tour du père de Paul puis de son oncle. Deux personnes que Paul ne connaissait pas déclamèrent un texte issu de la Bible. Puis, le père de Paul se tourna vers son fils :

– Tes cousins vont dire quelques mots. Il serait bien que tu ailles avec eux.

Paul hocha la tête en signe d’approbation.

L’ensemble des petits-enfants de Pawel Osinski montèrent et firent face à l’assemblée. Trois des cousins de Paul lurent un texte qu’ils avaient écrit pour leur grand-père. Paul eut dû mal à retenir une larme. Il regarda les personnes présentes. Toutes étaient là pour son grand-père. Il se demanda combien d’espions étaient dans l’Eglise pour ce dernier Adieu.

Alors qu’il descendait l’estrade, il sentit la main de Côme, l’un de ses cousins, contre la sienne et s’en saisit. Lui ne cachait pas sa tristesse.

La cérémonie se termina. Paul retrouva sa grand-mère qu’il enlaça. Cette fois, il ne put se retenir de fondre en larmes.

Lorsqu’il sortit accompagné de son père, Paul retrouva Thomas qui discutait avec un groupe de personnes. Il vint à leur rencontre :

– Je vais vous laisser en famille. Tu n’auras qu’à me dire quand je pourrais passer récupérer Paul, aujourd’hui ou plus tard.

Frank répondit :

– Tu peux te joindre à nous, tu fais partie de la famille, toi aussi.

– Je suis à ta disposition, Frank.

– Cela me ferait plaisir.

– Très bien. Je vais aller saluer les autres.

Thomas tourna les talons puis revint quelques minutes plus tard.

C’est en comité réduit que Pawel Osinski fut inhumé au cimetière du Montparnasse.

Ceux qui y avaient assisté rejoignirent ensuite le domicile de Frank et Maude pour déjeuner. La famille de Paul était réunie, ainsi que quelques amis. Pour la première fois, Thomas était là, lui aussi. C’était un moment étrange pour Paul que de voir, dans ces circonstances, son responsable des études présent chez lui avec sa famille.

Personne ne posa de question. Thomas semblait être connu de tous, y compris de la grand-mère de Paul qui discuta un moment avec lui. La gêne que Paul avait pu ressentir était passée, il s’était habitué et les circonstances particulières de cette rencontre jouait sans doute dans ce ressenti.

Une grande partie de la famille de Paul partit vers dix-huit heures. Il ne restât bientôt que Paul, ses parents, sa grand-mère et Thomas.

Frank proposa :

– Vous restez dîner avant de repartir ?

Paul regarda Thomas qui répondit :

– Je n’ai pas autorité ici, Frank, nous sommes chez toi.

– Installez-vous.

Frank servit un verre de whisky qu’il tendit à Thomas puis en prit deux autres. Il en posa un devant Paul et garda le deuxième.

Ils dînèrent en discutant jusqu’à vingt-trois heures, heure à laquelle la grand-mère de Paul alla se coucher dans la chambre d’amis.

Maude, elle, abandonna les trois espions un peu plus tard.

Frank changea alors de sujet et se tourna vers Thomas :

– Merci d’être venu ce soir, Thomas, et merci pour ce que tu fais pour Paul.

Thomas parut gêné :

– Tu n’as pas à me remercier, Frank, c’est normal.

– Mon père t’estimait beaucoup, il parlait peu de notre métier, mais il a apprécié que tu sois le responsable de Paul.

– Il l’a appris ?

– Je lui ai dit.

– Il nous manquera.

Frank hocha la tête :

– C’est dans notre ADN que d’espérer.

– Tu as raison.

Frank se tourna vers son fils :

– Paul, j’espère que tu auras la chance de faire la même carrière que ton grand père.

Paul acquiesça. Frank se servit un verre de whisky. Thomas intervint :

– Frank, tu peux compter sur moi. On va peut-être devoir rentrer, je vais ranger.

– Je vais le faire, t’en fais pas.

Frank se leva. Paul l’aida à débarrasser la table. Il regarda ensuite son fils et son ami :

– Une génération d’espion a disparue mais trois autres sont bien présentes.

Les trois espions se saluèrent puis Paul monta dans la voiture de Thomas.

Ils arrivèrent après une heure du matin sur le campus.

Paul regagna sa chambre, il se sentait épuisé.

Discrètement, il regagna son lit. Il entendit du bruit dans la chambre et Antoine apparut :

– Ça va Paul ?

– Oui, ça va.

– Je sais pas trop comment demander mais… ça s’est passé comme tu le voulais ?

– Oui.

Paul raconta la journée à Antoine qui l’écouta religieusement. Lorsque son ami eut terminé, il demanda :

– Alors c’est pour ça que Thomas et toi êtes si proches ? Il connaît très bien ta famille ?

– Tu trouves vraiment qu’on est proches ?

– Oui, ça se voit un peu, enfin quand on y fait attention et surtout depuis quelques mois, mais il le cache bien, t’en fais pas.

Antoine avait toujours su lire dans les personnes, trouver le moindre indice pour déceler ce qu’ils ne voulaient pas toujours dire. Il n’était pas rare qu’il ait déduit une information avant même de la connaitre. Paul demanda :

– Ça te dérange ?

– Non, je suis sûr qu’après les études, vous resterez amis. C’est bien. Thomas est sympa en plus, ça ne change pas le fait qu’il soit un excellent responsable d’études.

– C’est vrai.

– Je vais retourner me coucher. Si tu as besoin de moi, n’hésite pas.

– Merci Antoine. Bonne nuit, désolé de t’avoir réveillé.

– Je t’attendais. Bonne nuit à toi aussi.

Antoine repartit se coucher. Paul repensa à cette journée, à son grand-père. Il aurait voulu rester chez lui, Thomas aurait sans doute accepté, son père aussi, il n’y avait pas pensé. Il lui restait quelques semaines à tenir et une épreuve l’attendait, celle de ses examens de fin d’année. Il devait s’y concentrer.

Il soupira et s’endormit.

Paul fit face au questionnaire de quarante questions. C’étaient les premières d’une série de deux cent, étalées sur deux jours et demi. L’Aigle tenait ses promesses, les questions demandaient des réponses argumentées et étaient d’une grande précision.

A la fin de la première journée, les étudiants de quatrième année étaient tous épuisés par l’effort qu’ils avaient dû fournir.

Paul était assis sur la pelouse, entouré de ses amis. Ils avaient discuté pendant toute la durée du repas de leurs épreuves et, s’ils tenaient à se coucher tôt, ils profitèrent de la douceur du mois de juin pour se changer les idées.

Paul appréciait ces moments où ils se retrouvaient loin de l’agitation. Ils étaient les seuls sur cette pelouse et les premiers autres élèves étaient assez loin pour ne pas les entendre.

Le groupe d’ami discuta plus d’une heure avant de se coucher. Le lendemain, une deuxième journée d’épreuve les attendaient et ils savaient qu’elle serait au moins aussi intense que la précédente.

Si les trois premières demi-journées étaient sur des notions encore fraiches dans l’esprit de Paul, les deux dernières étaient plus délicates et il dût faire appel à sa mémoire. Les questions traitaient de sujets étudiés les années précédentes. Il savait qu’il avait oublié des notions et s’en voulait de n’avoir pas pensé à réviser ses cours passés.

Le mercredi, en fin de matinée, les élèves avaient terminé le questionnaire de deux cent questions. Il leur était cependant demandé de rester en place, dans le grand gymnase qui accueillait chaque années les élèves des différents niveaux pour leurs examens. La semaine suivante, ce serait au tour des élèves de troisième année, dont Louis, qui passeraient leur baccalauréat.

Les copies des élèves de quatrième année furent ramassées et posées sur un bureau. Les piles de feuilles qui contenaient l’ensemble des réponses des élèves était impressionnante.

Un des professeurs qui les surveillait prit le micro :

– Bravo à tous pour avoir passé ces premières épreuves. C’en est terminé pour l’écrit. Je suis chargé de vous demander de vous rendre à quinze heures dans l’auditorium Victor Hugo afin que l’équipe pédagogique vous parle de la suite de votre examen. Prenez le temps de déjeuner et soyez à l’heure. Bon appétit.

Cette phrase terminée, les élèves de la classe de Paul se levèrent, rangèrent leurs affaires et sortirent.

Paul, accompagné d’Antoine, alla poser son sac dans sa chambre. Il le regarda un instant. Il avait le même sac à dos depuis son arrivée sur le campus, en première année, un sac noir, carré, avec des coutures vertes autour des fermetures éclaires. Il faudrait qu’il en change, il commençait à s’user.

Pendant le déjeuner, chaque élève de quatrième année allait de son pronostic sur la suite des épreuves. Chacun avait ses espoirs et ses envies. Pour Antoine, il espérait une dominante natation, sport où il excellait – comme de nombreux autres. Damien tablait sur une majorité de sports d’équipe. Cela était envisageable, l’Aigle avait déjà organisé un grand nombre d’examen sur ce modèle et appréciait mettre les étudiants dans des situations où ils ne se retrouvaient pas seuls avec eux-mêmes. Lucy avait tendance à être d’accord avec cette vision des épreuves, elle argumenta que c’était pour l’Aigle un moyen efficace de noter leurs élèves, leur placement dans un groupe, leur capacité de décision et leur manière d’affronter un adversaire commun.

Arthur s’attendait à une épreuve des plus difficile, composée de lutte, de musculation et d’endurance. Des épreuves complètes et demandant à la fois une force physique et mentale. Paul remarqua que son ami avait changé en quatre ans. En première année, il était loin d’apprécier le sport, pourtant très présent dans leurs cours mais, au fil des années, il avait su développer son corps et s’était amélioré. S’il ne rivalisait pas avec Antoine, Arthur avait acquis un bon niveau en sport, c’était aussi grâce à cela qu’il concurrençait Paul en tête du classement de la classe, maintenant que le sport ne lui retirait plus autant de point.

Paul, lui, préféra ne faire aucun pari. Il n’avait aucune idée de ce qui les attendaient et n’essayait pas de deviner. Tout ce qu’il espérait, c’était d’arriver au bout des épreuves et bien classé. Aucun de ses amis ne savait qu’il avait une difficulté supplémentaire, celle d’avoir un point de moins sur sa moyenne générale.

Le groupe d’amis attendit patiemment l’heure à laquelle ils étaient convoqués dans l’auditorium.

Dix minutes avant, toute la classe était assise sur les fauteuils rouges et attendaient tout en discutant. Le murmure des discussions se termina lorsque leurs professeurs et leur responsable des études arrivèrent sur la scène. C’est ce dernier qui prit la parole :

– Bonjour à tous. Cette conférence sera brève. Comme vous devez vous en douter, nous sommes ici pour discuter des deux prochaines journées qui concerneront vos épreuves physiques et sportives et compteront dans votre note de deuxième semestre et donc dans votre moyenne annuelle. Vos épreuves se dérouleront sur deux jours. Il y aura trois groupes de cinq garçons et deux groupes de trois filles. Avant de composer ces groupes, voici ce qui vous attend. Les deux groupes féminins s’élanceront demain à seize heures pour cinquante kilomètres à vélo. S’en suivra une épreuve de natation d’un kilomètre et une course de quinze kilomètres. Vous aurez vingt minutes de pause entre les deux premières épreuves qui est imposée. Après le diner qui vous sera fourni, programme d’exercices de musculation pendant une heure que vous découvrirez à ce moment-là. Pour les garçons, le premier groupe s’élancera vendredi à quatorze heures, le deuxième à quinze heures et le dernier à seize heures. Vous commencerez par soixante kilomètres à vélo, suivi de trois kilomètres de natation et vingt kilomètres de course. Dix minutes de récupération entre chaque épreuve. Après la dernière épreuve d’endurance, vous aurez une heure de musculation avec exercices imposés. Pour chacun des groupes, vous prendrez vos repas aux moment que l’on vous indiquera et nous vous fournirons votre nourriture. 

Thomas marqua une pause et lut une fiche qu’il tenait dans sa main avant de reprendre :

– Voici la composition des groupes.

Le responsable des études commença par les groupes féminins puis énuméra les masculins. Paul était dans un groupe composé d’Arthur, Ethan, Lucas et Clément. Un groupe dans lequel il pouvait aisément finir premier ou deuxième, en fonction de la performance d’Ethan. Les trois autres étaient en théorie moins fort que lui.

Les élèves furent libérés, après qu’on leur ait donné l’emplacement du départ de leurs épreuves sportives.

Le soir, chacun se plaignait de l’épreuve qu’ils allaient subir, conscients qu’ils n’auraient pas le choix que de s’y plier.

Paul s’élança à quinze heures. Il faisait partie du deuxième groupe. Il espérait aller au bout et il appréhendait déjà l’état dans lequel il serait à l’arrivée. Il le découvrirait bien assez tôt. Il n’avait pas vu Lucy le matin, elle était restée se reposer. Paul avait entendu qu’une de ses camarades, Laura, avait fait un malaise pendant l’épreuve.

Il roulait sans forcer pour s’économiser. Ethan avait pris la tête, suivi d’Arthur. Paul était à quelques mètres derrière eux et devançait Lucas et Clément. Les écarts se creusèrent mais, au bout de quarante-cinq minutes, Paul rattrapa Arthur qui avait ralenti.

Lorsqu’il arriva à sa hauteur, Paul eut quelques mots pour son ami :

– Economises-toi, il faut que tu ailles au bout. Courage !

Arthur ne répondit pas, il se laissa doubler.

Lorsque Paul termina et arriva à l’entrée de la piscine, Ethan était assis à même le sol et buvait de l’eau tout en haletant. Il avait terminé quelques minutes plus tôt mais peinait à reprendre son souffle. Paul s’assit lui aussi par terre.

L’un de leurs professeurs de sport, monsieur Bianchi, attendait les participants. Il s’approcha de Paul :

– Tout va bien ?

Paul hocha la tête, il était incapable de sortir un mot.

Son professeur lui tint une bouteille d’eau et une banane :

– Bois lentement, tu as dix minutes.

Paul s’efforça de reprendre un souffle normal. Son rythme cardiaque ralentit doucement.

Cinq minutes plus tard, leur professeur s’adressa au premier arrivé :

– Ethan, descends à la piscine et va te changer.

Clément arriva une minute plus tard, immédiatement suivi par Arthur. Paul était content qu’il ait tenu et qu’il n’ait pas mis trop de temps à arriver.

Ils eurent droit à la question du professeur et à leur bouteille d’eau.

Monsieur Bianchi revint deux minutes plus tard :

– Paul, descends à la piscine, tu te changes en arrivant dans le vestiaire et tu ne perds pas de temps.

Paul se releva avec peine, ses jambes étaient lourdes. Il descendit les escaliers menant à la piscine et trouva les vestiaires. Sur l’un des bancs, il y avait des affaires et un mot portant son nom. Il le lut :

Merci de vous changer rapidement et de laisser vos affaires à cette place“.

Paul enfila le maillot et le bonnet de bains et laissa ses vêtements sur le banc. Il sortit du vestiaire pour se rendre devant la piscine. Ethan nageait, seul au milieu de la piscine de cinquante mètres.

Leur professeur de natation, monsieur Masson, se tourna vers Paul :

– Vas-y, couloir six. Tu dois faire quarante longueurs.

Paul s’avança et plongea. La fatigue était bien présente et il nagea d’abord lentement, prenant soin d’économiser son crawl. Il accéléra doucement après les dix premières longueurs. Les cinq garçons étaient dans la piscine, chacun à un couloir. Seul le premier n’était pas occupé. Paul ne prêta pas attention à ses camarades, il s’appliquait à nager le mieux possible.

Après vingt-deux longueurs, son corps tout entier le suppliait d’arrêter mais l’option n’était pas envisageable.

Paul continua de nager, gardant son rythme, s’habituant à la douleur. Il espérait ne pas avoir de crampe. Leur professeur les observait, notant parfois quelques mots sur un carnet.

Paul l’entendit :

– Osinski, dernière longueur, vous sortez à la fin de celle-ci.

C’était la quarantième. Paul tenta d’accélérer légèrement mais il en fut incapable. Il arriva au bout de sa longueur et se hissa hors de l’eau.

Il avait du mal à marcher mais pu tout de même rejoindre les gradins sous les ordres de son professeur.

Il s’assit sur une serviette qui lui était réservée et se sécha. Il avait à disposition une bouteille d’eau et quelques gâteaux sec qu’il avala rapidement.

Ethan sortit de l’eau deux minutes plus tard, suivi d’Arthur. Les deux autres élèves avaient pris un retard plus important.

Après six minutes, le professeur s’adressa à Paul :

– Va prendre une douche, te changer et remonte. Tu as quatre minutes. Prend ta serviette.

Paul se dépêcha de retrouver les vestiaires. Il prit une douche et retrouva la place de ses affaires. Un sac plastique avait été posé avec de nouvelles instructions :

Laissez ici votre serviette et vos vêtements de bains. Nous avons récupéré vos vêtements. Voici ceux à votre disposition pour la suite des épreuves.

Paul se changea et passa le short et le tee-shirt fournis par l’Aigle. Il ressortit à l’extérieur et retrouva monsieur Bianchi :

– Tu peux partir, tu as vingt kilomètres à faire, tu suis le chemin et tu fais deux tours.

Paul s’élança. Les premiers kilomètres furent compliqués. Comme dans la piscine, il avait l’impression que son corps allait lâcher. Ce ne fut pas le cas, il continua à courir. Il termina le premier tour et commença le second. Après quelques minutes, il sentit son cœur se soulever. Il fut obligé de s’arrêter un instant. Appuyé à un arbre, il se laissa vomir. Il s’en voulait, il avait été trop gourmand et avait couru trop vite. Maintenant, il perdait du temps en s’arrêtant. Il retira son tee-shirt qu’il avait salit et le laissa par terre, il aurait l’occasion de le récupérer plus tard.

Il reprit sa course. Ethan n’était pas loin derrière. Paul se força à garder un bon rythme pour distancer son concurrent. Il pouvait arriver premier il le savait.

Il lui restait un kilomètre, le plus dur, ensuite, il aurait terminé cette épreuve d’endurance. Il donna un dernier coup de collier, il se doutait qu’Ethan ferait la même chose et risquait de le rattraper.

Paul vit son professeur qui l’arrêta. L’étudiant se laissa tomber par terre, sur le dos. Il entendit son professeur lui indiquer :

– C’est bien Paul, remets-toi. Tout va bien ?

Paul fut incapable de répondre, il leva le pouce.

Il se redressa après une trentaine de secondes et regarda son professeur. Sa vue se troubla. Il respira lentement, l’impression passa. Il fit l’effort de reprendre sa respiration en buvant régulièrement.

Ethan arriva trois minutes plus tard, tout aussi épuisé.

Arthur termina neuf minutes après Paul, suivi, trois minutes plus tard, par Lucas. Clément avait eu plus de mal mais termina sept minutes après le dernier arrivé. Tous s’étaient surpassés.

Leur professeur les laissa reprendre leurs esprits avant de leur annoncer :

– Allez au stade, vous allez pouvoir manger un peu avant la suite.

Le groupe de cinq obéît.

Arrivés au stade, ils s’approchèrent des gradins et s’assirent. Thomas Duchesne était debout devant eux et leur adressa un sourire :

– Bonjour à tous. Ça s’est bien passé ?

Les étudiants acquiescèrent, le responsable des études reprit :

– Bien, vous avez à disposition des sacs avec vos repas. Dans une demi-heure, vous êtes attendus en bas pour l’épreuve de musculation. Mangez tranquillement, reprenez des forces.

Il se tourna ensuite vers Paul :

– T’as perdu ton tee-shirt ?

– Non, je l’ai laissé pendant la course… J’ai eu un petit accident de parcours mais j’irai le rechercher ce soir.

Thomas hocha la tête :

– Ne t’en fais pas, je vais demander à quelqu’un de s’en charger.

Il reprit ensuite à l’ensemble des jeunes garçons :

– Bon appétit.

Thomas Duchesne s’éclipsa.

Les garçons découvrirent leur repas, composé d’une salade de pâtes, d’un œuf, d’une tomate, d’un petit carpaccio de bœuf, d’un yaourt, d’une pomme et d’un bout de pain. Les quantités n’étaient pas énormes mais calculées pour que les jeunes n’aient pas le sentiment d’avoir trop mangé avant l’épreuve de musculation.

Après quinze minutes, il n’y avait plus rien, tous avaient terminé leur sac.

Ethan s’adressa à Paul :

– Bravo, j’espérais être devant mais tu as été meilleur.

– Merci.

– Qu’est-ce qu’il t’es arrivé pendant la course ?

– Pour ?

– J’ai pu te rattraper à un moment et tu as dit à Duchesne que tu avais eu un accident.

– J’ai dû faire une pause, mon corps risquait de lâcher.

– C’est permis ça ?

– Je ne sais pas mais j’avais pas le choix.

Ethan haussa les épaules et resta silencieux, à l’image de ses camarades. Ils étaient épuisés et aucun n’avait envie de discuter.

Thomas revint :

– Bien, les garçons, c’est l’heure, vous êtes attendus au sous-sol, salle M21.

Les cinq élèves de quatrième année se levèrent tant bien que mal et rejoignirent la salle de musculation.

Cinq tapis étaient étendus par terre. Monsieur Rouanet, professeur de renforcement musculaire, leur indiqua de :

– Un tapis par personne.

Les cinq garçons se mirent en place, le professeur reprit :

– Voici votre programme. Vingt pompes, trente abdos, gainage trois minutes, pause de quinze secondes. Trente Jumping Jacks, trente burpees avec pompe, pause de quinze secondes. Vous faites les mêmes exercices trois fois.

Paul et ses camarades s’élancèrent. Leurs muscles tétanisaient, la crampe était proche mais Paul se força à continuer. Il termina les exercices un peu avant les autres et s’assit. La crampe était arrivée, il était incapable de bouger la jambe.

Son professeur s’approcha :

– Allez Paul, va falloir que ça passe.

Paul décupla ses efforts. La douleur était vive mais il allait pouvoir continuer. Lorsque tous eurent terminés, quelques secondes seulement après Paul, le professeur annonça :

– Le Gall, allez-vous asseoir.

Clément se releva et boita jusqu’au mur, le long duquel il se laissa glisser.

Lorsque ce fut fait, monsieur Rouanet indiqua aux quatre restants :

– Vingt burpees avec pompes, pause de cinq secondes, dix pompes, dix abdos, pause de vingt secondes. Vous faites ça trois fois.

Les quatre garçons s’exécutèrent. Lorsqu’ils eurent terminé, le professeur annonça :

– Rivière, contre le mur à côté de votre camarade.

Arthur rejoignit Clément. Le professeur s’adressa aux trois autres élèves :

– L’un de vous doit arrêter ?

Tous répondirent par la négative, monsieur Rouanet indiqua :

– Vingt jumping jack, vingt burpees avec pompe, pause de dix secondes. Trois fois.

A nouveau, les trois garçons obéirent et arrivèrent au bout. Le professeur annonça :

– Bouvier, au mur.

Lucas s’installa aux côtés de ses camarades. Paul et Ethan restèrent sur les tapis. Le professeur s’adressa à eux :

– Allez contre le mur, position de chaise.

Paul regarda Ethan et ils échangèrent un sourire qui portait les traces de leur fatigue. Ils étaient à bout de leur capacités physique, ils savaient que c’était maintenant la dernière épreuve.

Ils se mirent en position, leur professeur leur annonça :

– A mon top, vous vous mettez en position. Prêts ?

Paul et Ethan hochèrent la tête, leur professeur leur indiqua le départ.

La position de la chaise était intenable dans leur état. Paul attendait que leur professeur les arrête mais il ne le fit pas, ni après une minute, ni après la deuxième. Paul comprit que l’exercice durerait tant que l’un des deux ne craquerait pas. Il était décidé à tenir plus longtemps que son camarade.

Paul fixa un point sur le mur face à lui. Il s’efforça d’oublier la douleur, la sensation de crampe, sa jambe douloureuse et la fatigue.

Ethan tenait.

Quatre minutes passèrent, les plus longues de la vie du jeune espion. Il sentit qu’Ethan tournait la tête. Paul fit de son mieux pour ne montrer aucune trace d’impatience.

Il entendit le bruit du corps d’Ethan contre le sol, il avait lâché sa prise.

Leur professeur regarda le camarade de Paul qui venait d’abandonner :

– Peiser, rejoignez vos camarades.

Paul regarda son professeur, il se demanda s’il allait vraiment le laisser dans cette position plus longtemps. Rouanet s’approcha :

– C’est bon, Osinski, relachez.

Paul se laissa tomber au sol. Il espérait que ce soit terminé.

Les cinq garçons furent invités à s’asseoir sur les tapis qu’ils avaient occupés. Leur professeur s’accroupit :

– Félicitation, vous allez pouvoir rentrer au vestiaire. Vous êtes libres. Pour information, le self reste ouvert et vous pouvez aller dîner. Bonne soirée.

Paul s’empressa de se changer avec les affaires que l’Aigle avait déposées dans les vestiaires, à son nom. Cette fois, aucun mot ne les accompagnaient.

Paul mangea avec les quatre autres garçons de son équipe. Ils n’échangèrent pas un mot et, après dix minutes, se séparèrent.

Paul salua Arthur et retrouva sa chambre, accompagné d’Ethan. Les deux garçons se préparèrent et se couchèrent.

Paul entendit à peine Antoine rentrer une heure plus tard. Il ouvrit un œil, se lever était compliqué mais il se força. Antoine aussi avait l’air fatigué :

– Salut Paul, ça s’est bien passé ?

– Oui, et toi ?

– Ça va, je suis content de moi.

Paul savait que si son ami disait cela, c’est qu’il avait fait un temps excellent. Il lui sourit. Antoine poursuivit :

– Je vais prendre une douche et me coucher, ça ne te dérange pas si je fais un peu de bruit ? J’ai vraiment besoin de passer par la salle de bains.

– Non, vas-y, on n’entend presque rien dans la chambre et puis le bruit de l’eau ça me berce. Je dormirai sans doute quand tu ressortiras.

– Bonne nuit, on parlera de l’épreuve demain, ce sera mieux je pense.

– Oui, moi aussi. Bonne douche.

– Merci.

Paul retrouva son lit. Il s’endormit sans résister.

– J’ai plus de jambe !

Damien venait de rejoindre ses amis pour le petit-déjeuner. Aucun d’eux n’était bien réveillé.

Paul avait des courbatures, plus qu’il n’en avait jamais eu. Heureusement, l’année était terminée, les élèves de quatrième année étaient libres dans le campus.

Antoine répondit :

– Même en s’étirant c’est pareil.

Lucy intervint :

– Vous avez tous réussi à finir ?

Tous répondirent par l’affirmative. Antoine fut plus précis :

– J’ai finis premier du groupe, mais on n’a pas nos temps. Je pense que le groupe le plus difficile était celui de Paul et Arthur, avec Ethan en plus et Lucas…

Damien le coupa :

– Moi ça allait, Aymeric est arrivé huit minutes après.

Tous les élèves avaient pu terminer les épreuves, bien que certains avaient eu quelques difficultés. Paul ne raconta pas à ses amis l’épisode où il avait dû s’arrêter. Ils étaient tous fatigués malgré une longue nuit de sommeil.

Ils n’avaient eu aucune indication sur la suite et la date des résultats.

Pendant le weekend, ils n’y repensèrent pas. Ils se reposèrent, discutèrent et jouèrent ensemble. A aucun moment l’un d’entre eux ne proposa de faire du sport.

Le mardi soir, Paul, comme tous ses camarades, découvrit une lettre sur son lit. Il l’ouvrit :

Monsieur Osinski,

Merci de vous présenter ce jeudi, à quinze heures, salle 213 pour votre entretien de fin d’année.

L’étudiant sentit son cœur s’accélérer. Dans deux jours, il saurait quelle était sa moyenne et son classement. Il se doutait que l’entretien se ferait avec son responsable des études. Ethan passait à la même heure et Antoine à seize heures.

Paul et ses amis avaient tous hâte de ce moment. Leurs rendez-vous étaient étalés sur la journée. Damien était le premier à être convoqué, à onze heures. Lucy à treize et Arthur à quatorze heures trente.

Paul se présenta dix minutes plus tôt devant le bureau. Arthur en sortit presque immédiatement. Paul lui demanda :

– Ça s’est bien passé ?

– Très bien ! Je pense qu’il t’appellera quand ce sera ton tour, il ne m’a rien dit de particulier.

– Et pour ta moyenne ?

– Dix-huit quatre, j’ai fait une belle année, même en sport !

– Je suis content pour toi !

– Je vais retrouver les autres, bon courage.

Paul remercia son ami et attendit qu’on lui dise d’entrer.

A quinze heures précises, Thomas Duchesne l’appela.

Paul entra dans le bureau et s’assit sur une chaise, face à son responsable des études, qui commença :

– Bonjour Paul, comment vas-tu ?

– Ça va, et toi ?

– Très bien. Tu t’es remis de tes examens ?

– Oui, ça va.

– Bien, je vais pas te faire attendre plus longtemps. Tu as eu dix-sept huit à l’écrit, dix-huit cinq en épreuves sportives. Ta moyenne sur l’ensemble du semestre est de dix-huit sept et sur l’année, dix-huit six. C’est une excellente moyenne et tu finis donc premier. Le second n’est pas loin derrière, avec dix-huit quatre.

Paul demanda :

– C’est Arthur ?

– Oui.

– Je suis quand même premier ? Tu as bien réajusté ma moyenne ?

– Oui Paul, tu as un point en moins sur ta moyenne générale du semestre.

– Merci.

– Concernant ton année, l’équipe pédagogique est bien entendu satisfaite de ton travail. Nous avons trouvé que tu avais été moins en forme en début d’année, sans que ce soit alarmant, mais tu as su monter progressivement et terminer l’année d’une belle manière. A titre personnel, je souhaitais aussi te féliciter d’avoir su garder ton niveau malgré les différents évènements de cette fin d’année. Tu es un excellent élément, je tiens à te le redire. Ce fut aussi un plaisir de pouvoir à nouveau travailler avec toi au Québec. Tu t’en es sorti admirablement bien. J’ai décidé, comme tu t’en es rendu compte, de t’épargner un débriefing avec l’ensemble du conseil, je m’en suis chargé et ils ont tout à fait compris que cela aurait été délicat pour toi. Cependant, je dois tout de même te faire part de leurs remarques.

Thomas sortit une feuille qu’il résuma à son élève :

– Le conseil a apprécié la manière dont tu as intégré la société NTech et le fait que le plan de mission ait été suivi à la lettre pendant cette période. Tu as acquis la confiance de tes supérieurs et la mission a vite pris un tournant positif avec ton départ pour la base de NTech. Ils ont cependant déploré un manque de communication sur place. Ils sont conscients que tu as fait face à une épreuve délicate mais tu as su t’en sortir avec brio, là où nous aurions pu perdre un élève. Ils ont trouvé que ton intervention, seule dans le complexe était une initiative dont tu aurais pu te passer. Tu aurais dû trouver un endroit où te réfugier et m’appeler. Cependant, tu as aussi permis d’avoir des données supplémentaires grâce à l’ordinateur que tu as pu récupérer. Dans ce sens, ce fut une bonne décision. J’ai aussi raconté l’interrogatoire par les services canadiens, ils ont trouvé qu’ils avaient manqué de professionnalisme et le CSIS nous a présenté des excuses. Tu as parfaitement bien agi pendant ce moment. Beaucoup auraient livré les informations sans réfléchir et tu ne l’as pas fait, ce qui a impressionné le conseil. Voilà pour les notes que j’ai prises. As-tu des questions ?

– Non, aucune.

– Bien. Je dois aussi te confier que ton nom circule en dehors de l’Aigle, je te demande tout de même de terminer ta scolarité ici, même si tu es approché avant cela. Ce sera important pour la suite de ta carrière. Aussi, j’aimerai que, si une proposition t’es faite, tu prennes le temps de réfléchir au service que tu voudras intégrer. Je serai là pour en discuter bien entendu.

– Mon nom circule ? Auprès de qui ?

– Tu intéresses déjà la DGSE et la DGSI. La DRM devrait aussi se pencher sur ton profil. Bien entendu, l’Aigle souhaitera aussi te voir continuer parmi ses membres mais tu seras libre de choisir, peut-être même que tu pourras travailler en lien avec deux services. Mais, à nouveau, c’est une question que je te demande de laisser de côté encore une année.

– Je veux finir mes études, je n’accepterai rien avant cela.

Thomas sourit :

– C’est parfait. Tu as d’autres questions ?

– Non, tout est clair. Merci Thomas.

– C’est un plaisir. Si tu as besoin de moi, tu sais où me trouver.

Paul hocha la tête puis se rattrapa :

– Si, j’ai une question à te poser.

– Oui ?

– Qu’est-ce que tu penses de moi ?

Thomas croisa les bras sur sa poitrine :

– En ma qualité de responsable des études, tu es sans aucun doute le meilleur élève de ma classe. Tu es motivé, intelligent, bon dans toutes les matières et tu as un mental que tu as développé en quatre ans, parfois malgré toi, qui surpasse un grand nombre d’espion déjà en poste. C’est un réel plaisir de t’avoir dans ma classe et de voir que tu as su, sans le vouloir, créer une cohésion avec tes camarades.

– Merci.

Paul marqua une pause puis reprit :

– Et en ta qualité de… Thomas ?

– Personnellement ? Je ne pense pas que mon ressenti soit important sur ce plan-là, mais si tu le souhaites, nous en discuterons un jour.

– Bien, j’attendrai alors.

– Je te libère ?

Paul se releva :

– A bientôt Thomas !

– A bientôt !

Le jeune espion retrouva ses camarades, tous satisfaits de leurs résultats.

Ils avaient passé une année dense et leurs attentes pour celle à venir étaient grandes. Dans un an, ils termineraient leur scolarité.

L’heure n’était cependant pas à la nostalgie. Dans une dizaine de jours se tiendrait la fête de fin d’année, avant qu’ils puissent rentrer chez eux pour deux mois de vacances.

Paul passa la ceinture sur sa veste de cérémonie bleue nuit. Ce soir, l’Aigle autorisait pour la première fois les élèves de quatrième et de cinquième année à porter leurs habits officiels. Cela afin, entre autres, de donner un caractère solennel à la soirée et, aussi, à encourager les plus jeunes à poursuivre dans leurs études sur ce campus.

Paul, Antoine et Ethan sortirent de leur chambre. Un parfum de déodorant bon marché régnait dans le couloir.

Ils descendirent dans la cour, imités par de nombreux élèves. Une estrade était installée et les étudiants se massaient devant. Les habits de la soixantaine d’élève autorisés à le porter faisaient effets.

Lorsque tous furent prêts, à dix-neuf heures, l’ensemble des responsables des études, le directeur et le délégué du conseil des Sages prirent place sur des chaises sur l’estrade. Paul remarqua qu’une autre personne était présente, assise à côté de Thomas. C’était Mike, qui avait été élève de l’école et avait terminé ses études deux ans plus tôt. Il avait été de bons conseils pour Paul lorsqu’ils avaient côtoyé le campus ensemble. Paul se demanda la raison de sa présence mais se doutait qu’il le saurait rapidement.

Le responsable des études des élèves de premier année prit la parole, félicitant sa promotion pour une année réussie. Il leur présenta brièvement la suite de leur parcours, insistant sur leur baccalauréat. Ce fut ensuite le responsable de deuxième année qui prit sa place pour un discours similaire.

Lorsqu’il reprit sa place, Annabelle Maillard, la responsable des études des élèves de troisième année, dont Louis et Anselme, s’avança devant le micro. Elle était fidèle à elle-même, sèche, l’air sévère :

– Bonjour à tous. Je voudrais tout d’abord féliciter mes élèves. Vous avez travaillé dur cette année et vos résultats sont à la hauteur de mes attentes.

Paul pensa que les félicitations de miss Maillard étaient rares, la classe de troisième année avait dû faire une année exceptionnelle. Il se concentra sur la suite du discours :

– Je suis certaine que vous aurez tous votre baccalauréat, cela sans difficulté. Je dois admettre que j’ai apprécié passer ces trois premières années avec vous. Je ne suis pas habituée aux longs discours donc je serai brève. Je vous adresse à tous mes plus franches félicitations.

Damien se tourna vers Paul :

– Elle est malade ?

Paul haussa les épaules :

– C’est bizarre oui.

Le discours continua :

– Vous avez su, pendant ces trois années, devenir des élèves à la fois disciplinés, équilibrés, motivés et travailleurs. Ce soir, je suis fière d’avoir été votre responsable des études pendant ces trois ans. Je dois cependant vous annoncer que je ne serai pas avec vous l’an prochain. En effet, je vais rejoindre un autre service dès le mois d’août qui ne pourra pas coïncider avec mon activité sur ce campus. Je ne doute pas que je vous recroiserai, ici ou dans votre vie future. J’espère que vous aurez passé, pendant ces trois ans, de belles années et que les deux qui vous attendent sauront être au moins aussi belles.

Elle marqua une pause puis reprit :

– L’an prochain, vous serez encadrés par une autre personne en qui je place toute ma confiance. C’est une personne attentive, qui connait parfaitement vos études et la vie sur ce campus. Ancien élève, j’ai eu la chance de travailler ici avec lui et cela a toujours été un plaisir. Vous pouvez placer une entière confiance en lui et je vais lui demander de dire quelques mots à son tour.

Elle se tourna vers l’équipe des responsables des études :

– Mike, si tu veux bien.

Mike se leva et s’approcha. Annabelle Maillard le présenta :

– Chers élèves, je vous présente votre nouveau responsable des études, monsieur Mike Milosevic.

Des applaudissements commencèrent au fond de l’estrade, rapidement rejoints par ceux des élèves.

Le sourire aux lèvres, Mike fit signe de les arrêter :

– Bonsoir. Je vous remercie mais je n’ai pas encore commencé mon travail ici, vous m’applaudirez lorsque je le mériterai.

Un rire parcourut l’assemblée.

– Que puis-je ajouter après cette présentation si élogieuse ? Je vais devoir me montrer à la hauteur. Pour ceux qui ne me connaissent pas, en particulier les élèves des trois premières années, je m’appelle Mike. J’ai étudié sur ce campus et ai donc suivi les mêmes enseignements. C’est un plaisir de retrouver ces bâtiments qui, je le pense, restent toute notre vie gravés dans notre esprit et dans notre cœur. C’est un réel plaisir d’être ici, de retrouver des visages connus, parfois avec lesquels j’ai appris, des professeurs, des responsables des études. Je suis particulièrement honoré de les rejoindre. Ils me paraissaient tels des super-héros quand je suis arrivé sur ce campus. Puis, au fil des années, je me suis rendu compte qu’ils n’étaient que des hommes et des femmes passionnés par l’éducation et par l’espionnage, dévoués pour leur travail et leurs élèves. C’est une tâche que je ne mesure pas encore mais j’espère pouvoir être à leur hauteur, si toutefois elle était atteignable.

Les responsables des études s’amusèrent de cette remarque, à la limite de la flagornerie. Mike poursuivit :

– Je vais cesser ici mes plaisanteries. Pendant deux ans, j’ai été en poste comme assistant de coordination au sein de l’Aigle, c’est un métier passionnant, au cœur de l’action de nos espions de terrain. Lorsque notre directeur m’a appelé pour me demander si j’accepterais de prendre un poste ici, sur ce campus, j’ai pris le temps de la réflexion, environ une demie seconde, avant d’accepter. C’est donc avec envie et plaisir que je vais participer, pour les élèves de troisième année aujourd’hui, à vos deux prochaines années. Bien entendu, elles ne seront pas simples, vous entrez dans les études supérieures. Je suis certains qu’ensemble, nous saurons atteindre un niveau que vous êtes tous capables d’atteindre. Vous voyez, parmi vous, ceux qui portent notre uniforme et vous serez bientôt à leur place. Le travail sera long et parfois particulièrement ardu, mais vous y arriverez et vous pourrez compter sur moi pour vous guider dans ce parcours. Je ne garderai pas le micro plus longtemps, certains de mes nouveaux collègues doivent eux-aussi prendre la parole et je sais que vous avez hâte d’aller diner. C’est d’ailleurs un de mes mentors qui va s’adresser à vous maintenant, monsieur Thomas Duchesne.

Mike se tourna vers Thomas qui se leva. Ils s’adressèrent un sourire. Paul savait qu’ils s’appréciaient et ce duo allait certainement leur réserver quelques surprises maintenant qu’ils allaient travailler à des postes similaires.

Thomas Duchesne fit face au micro :

– Je tiens tout d’abord à remercie mes élèves. Ce fut une belle année, concrétisée par un résultat exceptionnel en cette fin d’année. Bien entendu, vous avez tous réussi vos examens, mais la prouesse est que la moins bonne moyenne, si je puis l’appeler ainsi, est de quatorze, ce qui est au-dessus de la moyenne générale de la plupart des classes qui vous ont précédées. Vous êtes un groupe soudé, solidaire et vous aimez travailler ensemble. Autant de qualité qui font de vous ce que vous êtes, d’excellents éléments, et ce que vous serez ensuite dans votre vie professionnelle. C’est une fierté de vous voir tous, en costume de cérémonie ce soir. L’an prochain, vous ferez votre dernière année ici, ce sera une belle année, j’en suis persuadé. Je ne dirai jamais assez quel plaisir j’ai de vous encadrer. J’ai eu l’occasion de voir certains d’entre vous pour vous donner vos résultats et j’ai donc pu m’exprimer à ce sujet. Continuez d’être ensemble, de montrer le meilleur de vous-même et d’entretenir cette bonne compétition amicale. Je ne serai pas plus long, je vous souhaite de très bonne vacances, amusez-vous bien et reposez-vous bien, la dernière ligne qui vous attend ne sera peut-être pas la plus simple. Bonnes vacances.

Thomas Duchesne reprit sa place. Le responsable des études des élèves de cinquième année prit sa place. Il fit un discours plein d’émotion, félicita ses élèves et leur fit part de sa joie d’avoir été leur responsable des études.

S’en suivit le mot du directeur. Il semblait lui aussi ravi des élèves de l’école et du travail accompli par l’équipe pédagogique.

A vingt heures, les élèves purent rejoindre la grande pelouse du campus et s’asseoir autour des grandes tables installées pour le dîner.

C’était un grand barbecue, préparé par l’équipe des cuisines.

Les élèves discutèrent de leur année, revinrent sur certaines périodes avec un regard amusé.

A la fin du repas, ils étaient invités à rester dehors. Un buffet était installé avec des boissons, une piste de danse avait été improvisée.

Paul et ses amis avaient préféré s’éloigner de quelques mètres pour s’asseoir sur l’herbe. Tous semblaient heureux en cette fin d’année, en particulier Damien et Lucy dont le couple semblait durer.

Après un moment, les deux amoureux abandonnèrent leurs amis pour aller danser.

Paul poursuivit la discussion avec ses amis avant de se lever pour aller chercher un verre.

Il se servit à côté de Thomas et Mike qui discutaient. Le futur responsable des études lui fit part de sa joie de le retrouver :

– Paul ! Ça me fait plaisir de te voir, surtout dans ce costume. Tu vas bien ?

Paul sourit :

– Oui, content de voir que tu reviens ici.

– Moi aussi. Thomas me vantait tes qualités.

Paul crut rougir et se tourna vers son responsable des études :

– C’est vrai ?

Thomas s’amusa :

– Nous parlions de ta classe, j’ai sans doute dû dire que tu faisais partie des bons éléments et que c’était facile de travailler avec vous.

Mike intervint :

– Tu me disais aussi que Paul t’avait impressionné par ses résultats.

– C’est vrai, difficile de battre certains anciens élèves mais, dans un an, nous serons fixés.

Paul ne répondit pas, Mike s’excusa :

– Je dois retrouver un de mes anciens professeurs que je vois disponible, je vous retrouve plus tard.

Il salua Thomas et Paul.

Le responsable des études se servit un verre de coca :

– Alors, cette fin d’année ?

Paul répondit :

– Je crois qu’elle s’est bien passée sur un plan scolaire, non ?

– En effet.

– Et maintenant je me sens un peu chez moi ici, après quatre ans.

– Tu t’y plais ?

– Oui, beaucoup.

– Tu connais le kiosque ?

Paul s’étonna :

– Le kiosque ? Qu’est-ce que c’est ?

– Un des plus beaux endroits du campus, j’y vais parfois pour avoir un moment de calme. Je suis sûr que tes amis et toi aimerez. Il faudrait que vous le découvriez un jour.

– C’est loin ?

– Non, un petit endroit dans la forêt.

Paul sourit :

– Tu me montres ?

– Si je le fais, vous allez venir me déranger.

– Mais non, promis.

– C’est bien de découvrir pas soi-même, tu ne penses pas ?

– Ça fait quatre ans, je pensais tout connaitre de cet endroit et je ne l’ai jamais vu, tu crois qu’en un an je vais pouvoir découvrir un lieu caché au milieu de la forêt ?

Thomas s’amusa :

– Allez, suis-moi.

Les deux garçons s’engagèrent dans la forêt par un petit chemin que Paul connaissait pour s’y être parfois promené.

Rapidement, Thomas bifurqua et se fraya un chemin à travers les arbres.

Une dizaine de minutes plus tard, Paul entendit un bruit d’eau qui ruisselait. Une petite cascade était formée à même la pierre. Dans cet endroit, au milieu de la forêt, un petit pavillon de quelques mètres trônait. Le chapiteau, soutenu par des colonnes en pierre recouvertes de lierre, abritait un petit espace surélevé, recouvert d’un pavement en damier.

Thomas monta les trois marches, suivi de Paul. Ils s’accoudèrent à la rambarde qui courait autour du petit édifice.

Après quelques secondes, Thomas brisa le silence :

– Ça te plais comme endroit ?

Paul acquiesça :

– Oui, c’est calme et beau.

– Je venais ici quand j’étais plus jeune déjà. Tu étais encore enfant.

Paul fut intrigué :

– Tu m’as connu quand j’étais enfant ?

– Oui, tu n’es pas le seul à suivre les traces de ton père…

– Comment ça ?

Thomas fixa la petite cascade et répondit d’une voix basse :

– Mon père était aussi un ami de ton père et de ton grand père. L’histoire entre nos deux familles est bien plus liée que tu ne le penses.

– Comment ça ? Il y a encore des choses que je ne sais pas ?

– Oui, rien d’important, c’est surtout pour cela que tu ne le sais pas, ça s’est fait comme ça.

– Dis-moi.

Thomas assura :

– Paul, ce n’est vraiment rien.

Il laissa ensuite passer quelques secondes avant de reprendre :

– Nos deux familles ont toujours travaillé dans le même domaine, en particulier sur le campus. Les générations entre ta famille et la mienne ont toujours été décalées et à chaque fois, l’un était professeur ou responsable des études de l’autre. Très souvent par le passé, ils ont travaillé ensemble. Quand tu es né, le meilleur ami de ton père… mon père, est venu pour l’évènement. J’étais venu avec lui, je m’en souviens très bien.

Paul resta sans voix :

– Alors… Tu m’as toujours connu ?

– Oui, mais j’étais enfant, c’était il y a longtemps.

– C’est pour ça que tu t’entends bien avec mon père ?

Thomas répondit d’une voix plus basse encore, dans laquelle Paul crut ressentir une certaine peine :

– Ton père a fait beaucoup pour moi.

L’étudiant hésita :

– Comment ça ?

Thomas inspira avant de répondre :

– Lorsque mon père est décédé, j’ai pu compter sur lui, j’ai pu vivre ici, seul, abrité par l’école. Ton père s’est assuré que je ne manque de rien. Il voulait même que je vienne vivre chez vous, mais c’était impensable pour moi. J’ai ensuite travaillé dès la fin de mes études pour continuer à pouvoir faire ce que j’aimais. Je lui dois énormément.

Paul ne sut quoi répondre, c’est Thomas qui brisa le silence :

– C’est comme ça. Ton père est quelqu’un de bien, comme toi tu peux l’être, c’est pour ça que ça me fait plaisir d’être ton responsable des études.

– Ça explique beaucoup de choses en effet.

Thomas s’étonna :

– Comment ça ?

– Ton amitié avec mon père, déjà, mais certaines choses que tu as faites sans t’en rendre compte ou sans vouloir m’expliquer.

– Je ne comprends pas…

– Lorsque tu étais avec moi dans les Alpes, tu t’es mis dans une colère qui ne te ressemble pas et tu as tué sans en avoir la nécessité. Quand on est en mission tu es différent, presque paternel. Antoine m’avait fait la remarque que tu ne me traitais pas comme les autres, même s’il n’y a que lui qui s’en rendait compte, je pense qu’il a raison. Même le fait qu’on se retrouve ici, ce n’est pas habituel.

– Tu as raison. Tu veux qu’on retourne là-bas ?

– Non. Je crois juste que parfois, tu n’es pas tout à fait un responsable des études comme les autres.

Thomas haussa les épaules :

– Surement.

Le silence s’installa. Thomas le brisa à nouveau :

– Tu veux que je te donne ma réponse ?

– A quel sujet ?

– Lors de notre entretien de fin d’année, tu m’as demandé quel était mon avis à ton sujet, je t’ai répondu en tant que responsable des études et, quand tu as voulu savoir à titre personnel, je ne t’ai pas répondu. Tu veux que je te dise ce que je pense ?

– Oui.

– Et bien, je t’apprécie. Je ne veux pas parler de tes études, mais je te trouve sympathique et c’est agréable de passer des moments comme celui-ci avec toi. Bien sûr, que ce soit en mission ou sur le campus, tu restes mon élève, mais je crois que maintenant, je veux dire à cet instant, je ne te considère plus vraiment comme tel. Je suis content que Frank ait eu un fils qui suive ses traces, qui soit en plus particulièrement doué. Je te trouve prévenant et agréable, mesuré et, même si tu as des défauts, je trouve que tu fais partie des personnes avec qui j’apprécierai de travailler. Tu sais, lorsqu’on était en entretien, je t’ai demandé de ne pas accepter de contrat professionnel avec un des services.

– Oui ?

– Je mettrai un terme à ma carrière ici en fin d’année prochaine, j’aimerai que l’on puisse travailler ensemble.

Paul ne sut quoi répondre et bafouilla :

– Je… ça me parait bien oui, mais tu crois que je serais assez bon ? Je veux dire, je suis encore dans les études, on ne sait pas comment ça se passera.

– Tu es déjà un bon espion, meilleur que beaucoup de ceux dont c’est déjà le métier. Tu as ça dans le sang. Les missions qu’on a faites ensemble m’ont permis de me redonner envie de partir, et si cela peut être autrement qu’en tant qu’encadrant, ce n’en sera que mieux.

– D’accord.

Thomas tourna la tête vers Paul :

– D’accord ?

– Oui, j’accepte. Je veux continuer à faire équipe avec toi, même après le campus.

Le visage de Thomas laissa apparaitre un sourire :

– Je ferai la demande l’an prochain.

Paul répondit enthousiaste :

– Ça sera sympa.

– Ho, je n’ai pas terminé ce que je voulais te dire !

– Pardon, continue.

– Je pense que depuis cette année, avec ce qu’il s’est passé ces derniers mois, je te considère comme… un ami. Bien sûr, ce ne sera pas le cas pendant les périodes de cours, mais je pense qu’on sera amené à se revoir même en dehors.

Paul ne put s’empêcher d’afficher un large sourire :

– Moi aussi, c’est ce que je pense depuis quelques temps, mais je voulais t’entendre le dire. C’est pour cela que je t’ai posé cette question.

Thomas laissa passer un instant. A son sourire, Paul savait qu’il préparait une phrase pour le taquiner, ça ne tarda pas :

– En plus tu es souriant.

Paul ne put retenir un léger rire :

– Tu aimes bien m’embêter avec ça hein ?

– Plus tu diras que tu ne l’aime pas et plus je te le ferai remarquer.

– Je ne le dirai plus alors !

Thomas se tut, il avait gardé son sourire en coin. Paul, lui baissa d’un ton :

– Merci Thomas.

L’ainé tourna la tête vers l’étudiant :

– Pour ?

– De m’avoir dit tout ça et de me soutenir.

– Ce n’est pas compliqué.

– Parfois pour moi, si.

– Arrêtes de te mettre la pression, tu verras que tu réussiras quand même de grandes choses.

Paul hocha la tête :

– Mouais, pas gagné.

– On y va ?

– Si tu veux.

– Certains risquent de se demander pourquoi tu as disparu.

Paul et Thomas marchèrent vers la pelouse. Le jeune espion retrouva ses amis. Lucy demanda :

– Paul ! Où tu étais passé ?

– Ho, rien je me baladais et j’ai croisé Thomas, on a discuté un peu.

– Tu restes avec nous maintenant !

Paul sourit :

– Oui, t’inquiète pas.

La soirée se termina à trois heures du matin.

Fatigué, Paul s’assit sur son lit. Antoine apparût :

– Je peux te poser une question ?

– Oui ?

– Il s’est passé quoi ce soir ?

– Comment ça ?

– C’est indiscret mais quand tu t’es absenté, tu es revenu avec un air bizarre. Thomas a eu l’air de t’avoir dit quelque-chose d’important et qui t’a fait plaisir.

– C’est vrai. Disons qu’on a fait le point sur certaines choses.

– Tu peux m’en parler ?

– Tu l’as déjà compris, non ?

Antoine sourit :

– Oui. C’est amusant quand même.

– Ça ne doit pas se savoir.

– T’en fais pas, je ne dirais rien. Mais… il y a une chose pas claire.

– Laquelle ?

– C’est Thomas Osinski ou Paul Duchesne ?

Paul s’intrigua :

– Quoi ? Comment ça ?

– Ben, vous êtes frères, non ?

Paul éclata de rire :

– Non, pas du tout !

Il poursuivit à voix basse :

– C’est juste un ami de la famille, il a été assez présent ces derniers temps, surtout avec le décès de mon grand-père, alors on a discuté un peu. On a été d’accord pour dire qu’il ne me considérait pas vraiment comme les autres élèves. On est amis, c’est tout.

Antoine s’amusa :

– Ha, comme quoi, je ne peux pas avoir raison à tous les coups !

Paul hocha la tête en signe d’approbation :

– Même les meilleurs peuvent se tromper…

– Oui, bon, je vais aller me coucher, on se réveille bientôt.

– Moi aussi. Bonne nuit !

– Merci, à toi aussi !

Paul repensa à la discussion qu’il avait eue avec Thomas. Il était heureux de le compter parmi ses amis et, surtout, de savoir qu’ils travailleraient ensemble. Cette fin d’année était meilleure encore que ce qu’il avait pu imaginer.

Paul monta dans la voiture de ses parents. Ils accompagnèrent Louis chez lui. Les deux étudiants se promirent de se revoir rapidement.

Une fois chez lui, Paul n’eut pas envie de s’enfermer dans sa chambre. Il posa ses affaires et échangea avec ses parents. Il était particulièrement content de son année. Bien entendu la mémoire de son grand-père était encore vive et la tristesse bien présente mais il s’assura qu’il devait être fier de lui.

Paul avait déjà envie de retourner sur le campus. Pourtant, il avait besoin de vacances.

Quelques jours plus tard, il fêta la réussite de Louis au bac. Ils passèrent un long moment à discuter de leurs études, de l’Aigle et du nouveau responsable des études de Louis. Ils en étaient persuadés, l’année qui viendrait serait meilleure que la précédente.

Paul passa la première semaine à Paris. Le dimanche soir, lors du dîner, ils eurent un invité bien connu. Thomas Duchesne se joignit à eux.

Les discussions furent amicales et animés. Paul avait plaisir à voir Thomas et le sentiment était réciproque. Ils discutèrent aussi de l’année à venir, de leurs attentes.

En fin de repas, Thomas demanda à Frank :

– Vous partez un peu cet été ?

– Oui, mais nous ne savons pas encore où et quand. Cette année, le boulot est un peu prenant, je pense avoir deux semaines début août. J’en serai sûr que deux ou trois semaines avant et nous verrons où nous partirons.

– Pourquoi vous ne viendriez pas au château ? Je peux vous le laisser pendant deux semaines.

Frank parut gêné :

– Je ne veux pas abuser, et puis… je ne savais pas que tu l’avais gardé.

– J’ai refusé d’y aller pendant longtemps mais le passé appartient au passé, j’y suis retourné il y a deux ans, quelques travaux ont été fait et il est parfait pour vous !

Frank regarda Maude qui répondit :

– C’est adorable, Thomas, tu es sûr ?

Thomas insista :

– Oui, certain, ça me fait plaisir.

Frank reprit :

– Et toi ?

– Je serai à Paris, peut-être à Montpellier. Je n’ai rien de prévu pour le moment.

– Viens avec nous.

– Non, je ne veux vraiment pas vous déranger.

Frank haussa le ton :

– C’est chez toi ! Et ne me dis pas qu’on se marchera dessus !

Thomas abdiqua :

– Bien, bien, j’accepte, mais vraiment parce que tu me le demandes et aussi un peu car cela me fait plaisir.

Paul intervint :

– Désolé mais… Le château, c’est ?

Frank et Thomas se regardèrent. Ce dernier se tourna vers Paul :

– La maison de mes parents, à Montreux, en Suisse. On a une magnifique vue sur le lac et les montagnes. C’est un ancien château magnifique que j’ai gardé à leur décès.

– On partirait ensemble alors ?

– Si cela convient à tous, oui. Je ne veux pas que tu sois gêné non plus.

– Ça sera génial !

Thomas répondit d’un sourire. Pendant les minutes qui suivirent ils discutèrent ensemble de ce château qui semblait immense et que Paul avait hâte de découvrir.

Thomas repartit un peu avant une heure du matin. Paul s’endormit, pensant déjà aux vacances qu’il allait passer. Il imagina un grand château, au cœur de la montagne, avec une vue sur le lac Léman.

Il se sentait heureux.