C’est la dernière année pour Paul sur le campus de l’Aigle et ce ne sera pas la plus reposante.
Après des retrouvailles inattendues, Paul doit poursuivre et terminer ses études, mais Thomas, son responsable des études, va avoir à nouveau besoin de son jeune coéquipier pour une mission périlleuse en Écosse dans le but de déjouer les plans d’une famille de terroristes.
Entre ses études, sa mission et de nouvelles surprises réservées par son école, Paul va vouloir parachever sa scolarité tout en composant avec ses amis et ses sentiments.
Cependant, la mission la plus compliquée pour Paul sera peut-être d’accepter de quitter le campus et son quotidien, pour découvrir une vie différente, qu’il n’aurait jamais imaginée.
– Amusez-vous bien !
Paul répondit à sa mère par un grand sourire et salua ses parents. Ils rentraient à Paris.
Paul rentra à nouveau dans le château, la maison de vacances de Thomas.
C’était une immense bâtisse blanche. Le rez-de-chaussée soutenait les deux premiers niveaux qui s’étendaient sur la moitié est. Les petits toits s’enchainaient sur les différentes parties du château, encadrant une petite tour, surélevée par un toit plus haut, abritant la seule pièce du troisième étage, une chambre entièrement ronde.
Au rez-de-chaussée, il y avait le hall d’entrée qui était desservi par un grand escalier derrière lequel on trouvait un immense salon aux larges baies vitrées donnant sur le lac et, derrière, les Alpes. Le salon était séparé en deux. D’un côté, un petit salon avec un grand écran de télévision, de l’autre la salle à manger qui donnait sur une grande cuisine à l’Américaine bien aménagée. Dans la continuité, un autre petit salon aux murs rouges et aux boiseries sombres. C’était là où, après le repas, Thomas aimait boire un café ou, pendant l’après-midi, lire ou se reposer. Les fenêtres donnaient sur le jardin, légèrement occulté par de grands arbres dans lesquels des oiseaux avaient établi résidence. Lorsque l’on montait au premier étage, on trouvait les suites. Celle de Thomas aux murs blancs et au parquet clair était immense. La cheminée au centre de la pièce ainsi que le grand lit à baldaquin paraissaient minuscules. Deux portes menaient à un dressing et à une grande salle de bains avec baignoire ancienne. La seconde chambre, là où avaient dormi les parents de Paul, avait une forme plus arrondie. Les murs blancs étaient soutenus par des boiseries sombres et une cheminée au marbre vert. Le parquet, couleur noisette, faisait ressortir les meubles, eux aussi en bois, de la même couleur que les meubles. La grande fenêtre donnait sur le jardin, contrairement à celle de Thomas qui donnait sur le lac, depuis un grand balcon. Là encore, une porte menait sur un petit dressing et une salle de bains. La troisième chambre, celle où Paul dormait était aussi claire que celle de Thomas, bien que plus petite. L’étudiant avait appris que c’était celle qu’avait occupé Thomas dans son enfance. Une immense porte fenêtre donnant sur un large balcon illuminait le parquet d’un bois clair, presque blanc comme les murs. Il n’y avait pas de cheminée mais, comme pour les autres suites, un dressing et une salle de bains. Le lit était confortable et Paul avait pu profiter de la vue sur le lac et les montagnes. Depuis sa chambre, il pouvait apercevoir le jardin et ses hauts arbres qui cachaient une belle piscine à débordement. C’était aussi la chambre la plus proche de l’escalier menant au deuxième étage, auquel se trouvait deux bureaux que Thomas n’utilisait que peu et la salle de jeux. Un autre escalier reliait le premier étage au quatrième, que l’on trouvait uniquement dans la tour centrale de la maison. En haut, une petite chambre ronde était pourvue de quatre fenêtres permettant une vue complète des alentours. Cette pièce était la seule de la tour, dans le toit et, si elle était la pièce la plus intrigante, n’était pas la plus pratique. Il fallait descendre un escalier en pierre pour atteindre l’une des salles de bains.
A l’extérieur, un grand garage abritait quatre voitures. Celle de Thomas avec laquelle il était venue, une voiture de sport, une de collection et une plus banale mais ancienne, celle utilisée par ses parents.
Si le garage était accessible par l’extérieur, on pouvait aussi, par mauvais temps, préférer s’y rendre grâce au passage sous-terrain. On y accédait après avoir traversé une grande salle dans laquelle on trouvait billard, jeux vidéo et un bar ancien puis une autre pièce dont Paul avait profité à loisir, la piscine intérieure chauffée avec, à côté, son grand jacuzzi et son sauna.
Paul n’avait pas attendu longtemps après le départ de ses parents pour y descendre.
Il se rendit dans la petite salle de bains, prit sa serviette et se mit en maillot de bains avant de se laisser glisser dans l’eau tiède.
Il fit quelques longueurs et s’arrêta. Il regarda Thomas s’approcher et s’asseoir sur l’un des bancs en bois. L’étudiant demanda :
– Tu es sûr que ça ne te dérange pas ?
Thomas releva les sourcils :
– De ?
– Que je reste ici avec toi ? Je veux dire, tu voulais peut-être profiter de tes vacances.
L’ainé s’amusa :
– La maison est assez grande pour deux, et ça me fais plaisir que tu sois là.
– Je ne t’imaginais pas dans ce genre de maison.
– C’était surtout celle de mes parents, mais maintenant j’aime bien y rester quelques jours pour me reposer. Tu m’imaginais dans quel type de maison ?
– Je ne sais pas, quelque part avec plus d’action.
– Il faut parfois savoir rester au calme.
Paul sourit :
– Sans doute.
Il retira ses mains du bord et se laissa dériver :
– Comment ça se fait que…
Paul chercha ses mots :
– Enfin c’est une grande maison, ça doit valoir pas mal.
Thomas fit la moue :
– Lorsque mes grands-parents l’ont acheté, ça devait être moins cher, et ils avaient les moyens.
– Comment c’est arrivé… L’accident ?
Thomas parut gêné. Il n’évoquait jamais sa famille ou ses parents. Pendant les deux semaines, lorsque Frank l’avait fait, Thomas avait rapidement changé de sujet. Paul s’aperçut de son indiscrétion :
– Pardon, ça ne me regarde pas.
Thomas se leva et s’approcha de la piscine. Il s’assit, laissant ses jambes entrer dans l’eau :
– Officiellement un accident de voiture, mais j’étais jeune, j’y ai cru un temps puis, lorsque j’ai grandi, j’ai compris que ce n’avait pas été le cas.
Paul se montra curieux :
– Ha bon ?
– C’est rare qu’un accident fasse des trous dans la carrosserie et dans les vitres d’une voiture au point de cribler ses passagers de balles.
– Comment tu l’as su ?
– Mon père était à l’Aigle, j’ai eu accès au dossier concernant son décès. Je n’en ai jamais parlé.
– Pardon…
– Ne t’en fais pas, le passé est le passé. Je ne le changerai pas.
– Et celui qui a fait ça ?
– Mort, il s’est fait arrêter quelques heures plus tard et condamné pour meurtre. Il est décédé quelques semaines plus tard en prison.
– Comment ?
– Comment il est mort ? Dans la cour, pendant la promenade, d’un arrêt cardiaque provoqué par un produit glissé à son insu dans sa nourriture du déjeuner.
– Un règlement de compte ?
Thomas sembla pensif :
– On peut dire ça.
– L’Aigle ?
L’ainé sourit et se redressa :
– Je vais faire le déjeuner. Tu me rejoins ?
Paul comprit qu’il n’aurait pas de réponse :
– Attends-moi, je vais t’aider.
Le jeune espion sortit de l’eau et se changea. Les deux garçons remontèrent dans la cuisine. Au menu, une purée et des steaks.
Vevey était une ville sympathique, proche de Montreux. Le soleil brillait en cette fin de matinée et donnait des reflets éblouissants sur le lac Léman. Une vue impressionnante, soutenue par le London Philarmonic Orchestra qui jouait Stairway to Heaven dans l’autoradio.
La Ferrari California s’arrêta sur une place de parking d’une ruelle proche du lac. Paul ouvrit sa portière et descendit. Thomas verrouilla la voiture et désigna un bâtiment :
– C’est juste là.
Les deux garçons passèrent devant le musée historique et entrèrent dans un restaurant.
Thomas avait réservé une table pour deux personnes à laquelle le maître d’hôtel les installa.
Le lieu était chaleureux, aux murs rouges et blancs.
Le menu était copieux et les plats fins se succédèrent. Paul passa un agréable moment pendant lequel il put échanger avec Thomas. La discussion commença avec les habitudes de l’ainé, lorsqu’il était plus jeune et se poursuivit sur des discussions de musique et cinéma. Paul et Thomas se retrouvèrent, y compris sur d’autres sujets, comme la philosophie, dont ils parlèrent longuement.
Le repas terminé et les garçons repus, Thomas invita Paul à monter en voiture.
Le moteur ronronna puis s’emballa lorsque le conducteur accéléra.
Paul demanda :
– On va où ?
Sans détourner le regard de la route, l’ainé répondit :
– Tu verras, je suis sûr que ça va te plaire.
Paul n’insista pas. Il profitait des vacances, sans doute parmi les meilleures qu’il n’avait jamais passées.
Ils roulèrent près de trois quart d’heure, en grande partie sur l’autoroute et passèrent Lausanne. La voiture s’engagea sur des voies plus petites jusqu’à retrouver un lac et un parking.
Ils marchèrent ensuite quelques minutes jusqu’à atteindre une petite guérite, proche d’un port.
Thomas s’approcha et salua celui qui semblait être un vendeur. Paul était resté à distance, comme Thomas le lui avait demandé.
L’ainé revint et tint une clé au jeune espion :
– Suis-moi.
Ils s’avancèrent vers le lac.
Thomas prit deux gilets de sauvetage et en laissa un à Paul qui l’enfila.
L’ainé montra ensuite du doigt deux jet-ski noir et rouge :
– Tu en prends un ou tu montes avec moi ?
Paul s’amusa :
– Je devrais pouvoir me débrouiller, ça doit ressembler un peu à ceux sur la neige.
Thomas s’amusa puis précisa :
– Vas-y doucement.
Paul s’installa sur l’engin. Devant lui, Thomas s’était éloigné de quelques mètre.
Paul accéléra timidement, le jet-ski se mit en mouvement. Thomas précisa :
– Ils sont très puissants, n’exagère pas trop sur l’accélération. On va y aller tranquillement.
– Ça va à combien ?
– Ça dépasse les 120.
Paul suivit Thomas sur le lac. Ils s’éloignèrent doucement du rivage et entamèrent une promenade agréable.
Petit à petit, Thomas accéléra. Paul se sentit rapidement à l’aise.
La promenade dura près de deux heures que Paul ne vit pas passer. Il était presque déçu que cela se termine.
Thomas rendit les clés au propriétaire puis, les deux espions reprirent la route en direction de Montreux et de la maison de Thomas.
Ils s’engagèrent sur l’autoroute. Paul remarqua les regards réguliers du conducteur dans son rétroviseur :
– Il y a un problème ?
– Sûrement rien, j’ai l’impression qu’une voiture nous suit, elle réagit bizarrement.
– Comment ça ?
– L’autoroute est vide, elle est partie en même temps que nous du lac, on aurait dû à un moment ne plus être l’un derrière l’autre. Elle n’est jamais passée devant nous.
– Ce serait qui ?
– Aucune idée.
Thomas laissa la voiture décélérer :
– Ne te retourne pas, je ne veux pas qu’ils voient qu’on les a repérés, pas tout de suite.
Paul continua de regarder devant lui. Thomas commenta :
– Ils ont ralenti aussi. Ils doivent penser qu’on ne les a pas remarqués. Accroche-toi.
Paul agrippa la portière. La voiture s’élança et slaloma dans la circulation.
Thomas sortit de l’autoroute et s’engagea dans des routes plus petites. Ils traversèrent des villages, passant rapidement devant des maisons et des champs. La Ferrari était agile et Thomas pilotait parfaitement bien pour être rapide et perdre les poursuivants.
Ils mirent plus de temps qu’à l’aller à rejoindre Montreux. Thomas s’assura qu’il n’y avait pas de voiture derrière eux et gara la Ferrari dans le garage.
Les deux garçons passèrent par le sous-terrain pour rentrer dans la maison.
Ils s’assirent dans le salon. Paul demanda :
– Tu sais qui c’était ?
– Non, mais ils ne nous ont pas suivi longtemps.
– J’espère qu’on ne les reverra pas.
– Je ne pense pas, ils cherchaient à nous suivre, ce qui indique qu’ils ne savent pas où on habite, sinon ils nous auraient attendus ici.
La logique était implacable.
Les deux garçons restèrent dans le château ce mercredi soir. Thomas voulait éviter d’être imprudent. La voiture rouge resterait au garage jusqu’à la fin du séjour, le lundi.
Les jours suivants, Paul et Thomas passèrent du temps près du lac ou en montagne. Thomas resta vigilant et vérifiait régulièrement que personne ne les suive.
Paul jetait lui aussi un œil autour de lui, tentant d’imprimer les personnes qui se trouvaient à proximité ainsi que les véhicules.
Le jeune espion ne vit pas passer ce dernier weekend suisse. S’ils étaient allés pendant un après-midi se promener dans les terres, dans un parc naturel, Paul avait surtout passé du temps dans les piscines du château, dans le jardin, ou avait profité des grandes pièces pour s’occuper.
Il avait retrouvé l’ambiance des missions avec son coéquipier, le stress en moins. Le responsable des études s’était effacé pour laisser place à un ami. Un ami que Paul connaissait de mieux en mieux. Ces trois semaines de vacances ensemble dont une uniquement tous les deux les avaient rapprochés.
Frank avait eu une bonne idée d’accepter la proposition de Thomas et de venir en vacances chez lui.
Paul avait mis quelques temps à intégrer ce que lui avait dit Thomas sur leurs deux familles. Il n’avait pas compris pourquoi on ne lui avait rien dit et caché l’amitié de son père avec son responsable des études. Il l’avait finalement accepté et était persuadé qu’on ne lui cachait plus rien.
Il avait aussi découvert la vie de Thomas, d’où il venait, le passé et la perte de ses parents, sa volonté d’intégrer l’Aigle.
Les deux espions discutèrent aussi du parcours scolaire de Thomas, un parcours exceptionnel, premier de sa classe chaque année, entrée deux ans plus tôt que les autres élèves sur le campus, engagé d’abord comme professeur, puis, un an plus tard, promu en tant que responsable des études. L’un des plus beaux parcours de l’Aigle.
Le weekend se termina par une soirée de discussion dans le jardin. Il faisait bon, le lac reflétait quelques lumières de la ville et les étoiles couvraient les formes des montagnes endormies.
Paul regrettait de partir. Il avait réellement passé un bon moment avec Thomas, bien qu’il sût que son ainé appréciait la solitude. C’est pourquoi il le remercia en s’assurant de ne pas avoir été le seul à apprécier ce temps loin du campus :
– J’ai passé de superbes vacances. Merci de nous avoir invités. J’espère que je n’ai pas été trop encombrant.
Thomas le regarda avec un sourire amical :
– J’ai aussi passé de bonnes vacances. Ça m’a fait plaisir de les partager avec tes parents et toi. Si tu m’avais dérangé je te l’aurais dit. Je suis heureux que tu ne te sois pas ennuyé ici et que tu aies apprécié. Tu peux revenir quand tu veux, tu seras le bienvenu, comme tes parents.
– Merci, ça peut être une bonne idée.
Paul était décidé à revenir, il regrettait de partir mais la perspective de connaitre à nouveau des vacances avec Thomas le séduisait.
Le lundi matin, c’est avec une pointe de regret que Paul monta aux côtés de Thomas, dans la Mercedes Classe E bleue nuit. Ils prirent la route vers Paris dès dix heures du matin. Après un arrêt sur une aire d’autoroute pour déjeuner, Paul arriva chez ses parents à dix-sept heures.
Il remercia et salua Thomas chaleureusement. Ils se revoyaient quelques jours plus tard.
Paul profita de sa dernière semaine de vacances pour se reposer et voir Louis. Il avait hâte de retrouver le campus de l’Aigle pour une dernière année de cours et d’apprentissage de l’espionnage.
Paul entra dans le hall du campus. Comme chaque année, il commença par déposer sa valise et son sac à dos dans la pièce appropriée. Une dizaine d’élèves étaient déjà arrivés.
Paul repassa par le hall, l’horloge affichait dix heures et quarante minutes. Cette année, Louis n’avait pas fait le trajet avec eux, il était attendu à quatorze heures et déjeunait avec ses parents avant d’arriver.
Le jeune espion traversa la cour, éclairée par le soleil de septembre. Tout était calme, les élèves de cinquième année étaient les premiers à entrer. Paul remarqua un groupe d’élèves dans près de la fontaine, c’était Ethan, Aymeric, Sophie et Léa, quatre de ses camarades. Il les salua et leur demanda s’ils allaient bien.
L’étudiant ne s’attarda pas et se dirigea vers le bâtiment face à lui.
Il descendit l’escalier à sa gauche et arriva dans le long couloir aux murs gris. Il retrouva l’odeur caractéristique de cet endroit, un mélange de caoutchouc et de produit nettoyant.
Il avança jusqu’à la petite table devant la porte. Thomas Duchesne était là et l’accueillit :
– Salut Paul, comment vas-tu ?
Le jeune espion sourit :
– Bien, et toi, depuis la semaine dernière ?
– Très bien. Antoine et Arthur sont arrivés, ils sont déjà entrés.
Paul remercia Thomas et entra dans l’auditorium. Les lumières étaient tamisées, un calme régnait sur les sièges rouges.
Un groupe de quatre garçons étaient assis au milieu de la pièce, d’autres camarades de Paul, qui descendit jusqu’à ses amis. Arthur le salua :
– Bonjour Paul !
Repris par Antoine qui lui tendit la main.
Paul s’assit à côté d’Antoine :
– Ça va ?
– Super et toi ?
– Oui, je suis content de reprendre. C’est la dernière année.
– Ça fait bizarre hein ? Il y a quatre ans on se retrouvait là, complétement perdus, et aujourd’hui on est les plus âgés du campus.
– Oui.
Arthur intervint :
– Il parait que c’est l’année la plus dure.
Une voix féminine se fit entendre derrière eux :
– Salut les garçons !
C’était Lucy, souriante comme à son habitude. Elle tenait par la main Damien. Le groupe était au complet.
Ils n’eurent pas le temps de discuter au-delà des banalités habituelles. L’ensemble des élèves étaient arrivé et l’équipe pédagogique n’attendit pas plus longtemps pour entrer sur la scène.
Thomas, leur responsable d’études pour cette année, fut le premier à parler :
– Bonjour à tous, c’est un plaisir de vous retrouver pour votre dernière année ici. Avant de faire la fête et de nous séparer en juin, dix mois intenses vous attendent. Pendant les deux semestres à venir, vous allez être préparés à votre vie future. Certains d’entre vous savent probablement déjà ce qu’ils souhaitent pour les années à venir et ce sera notre rôle que de vous accompagner, de vous aider à vous réaliser. Je n’ai aucun doute sur votre réussite. Bien entendu, il faudra valider vos examens mais vous êtes un groupe sérieux et je ne vois personne qui pourrait échouer. Cette année est aussi importante car, en dehors de vos cours, vous serez amenés à faire vivre ce campus. Les années précédentes, vous avez dû remarquer que les élèves de cinquième année étaient engagés dans la vie de notre école. Vous avez été accueillis par eux chaque année, ils s’occupaient de vous servir au foyer, de vous orienter parfois lorsque vous erriez sur le campus, organisaient les évènements importants. Cette année, c’est vous, la cinquième année. C’est donc à vous de faire vivre cette école et d’être présents pour vos camarades. Vous vous inscrirez donc dans les différents ateliers dès la sortie de l’auditorium. Votre travail commencera pour certains dès aujourd’hui.
Thomas marqua une pause et reprit :
– Mais revenons à votre année scolaire. Je vous le disais, elle sera décisive et sera notamment marquée par un évènement qui suivra vos examens de premier semestre. Des personnes des différents services de renseignement français viendront vous présenter leur travail et vous recevront ensuite en entretien individuels. Ces entretiens seront un premier contact pour vous et vous aideront dans vos choix. Vous avez tous le niveau pour intégrer chacune de ces entités qui travaillent au service de notre pays. Je me permets aussi de vous rappeler que l’Aigle ne s’arrête pas à la fin de vos études. Nous avons visité l’an passé nos bureaux et vous avez découvert nos services. Si notre nom est moins connu que d’autres du grand public, nous n’en restons pas moins un service d’espionnage et, nous aussi, nous avons besoin d’éléments pour continuer à progresser. Vous avez votre place chez nous, que ce soit sur le campus ou dans nos locaux, voire en tant qu’agent de terrain. N’hésitez pas à venir me parler si vous voulez en savoir plus sur les postes qui peuvent vous être ouverts.
Le responsable des études observa les élèves. Paul sentit que Thomas arrêta son regard un instant sur lui. L’an dernier, il l’avait encouragé à poursuivre à l’Aigle afin de continuer à partir ensemble en mission. Paul était décidé à poursuivre dans cette voie, tout comme l’avaient fait son père et son grand-père.
Thomas reprit :
– Je ne vais pas monopoliser la parole plus longtemps. Je sais que vous avez hâte de sortir d’ici et de commencer votre année.
Il se tourna vers les professeurs et demanda si l’un d’entre eux souhaitait prendre la parole. Tous répondirent par la négative et Thomas conclut :
– Nous vous souhaitons une très belle année et nous espérons que vous la garderez longtemps en mémoire. N’oubliez pas de récupérer votre dossier et de vous inscrire à l’un des groupes d’organisation.
Les élèves remercièrent leur responsable des études et se dirigèrent vers la sortie. Damien s’adressa à Paul :
– Ça promet comme année.
– Comment ça ?
– Ça va être chargé !
Paul s’amusa :
– Comme tous les ans, non ?
Damien éclata de rire :
– Oui, c’est vrai !
Le groupe d’amis passa la porte de l’auditorium. Dans le couloir, une table avait été installée avec des dossiers rouges, sur lesquels avaient été apposé des étiquettes aux noms des élèves. Paul trouva rapidement le sien et, avec ses amis, s’écarta pour l’ouvrir. C’était la première année qu’il n’y avait aucun numéro sur le dossier, celui qui indiquait leur chambre.
La première feuille reprenait l’état civil des élèves. Paul y trouva le numéro recherché : 442.
Les élèves de cinquième année retournaient dans le bâtiment où ils avaient passé leurs premières années, au dernier étage.
Les quatre garçons comparèrent leur numéro de chambre. Damien et Arthur avaient la chambre 444, Antoine partageait celle de Paul.
C’est lui qui remarqua :
– On sera peut-être à nouveau avec Ethan !
Arthur rectifia :
– Pas en cinquième année, ce sont des chambres de deux.
– Super ! Paul, on sera juste tous les deux, c’est cool non ?
Paul sourit. Il appréciait Antoine et être son colocataire avait toujours été un plaisir.
Damien et Arthur s’entendaient eux-aussi très bien et cette disposition leur convenaient.
Lucy apprit qu’elle était avec Léa. C’était une camarade qu’elle appréciait, joviale et sympathique. Elle était soulagée.
Le groupe d’amis ne s’attarda pas. Ils s’approchèrent de la deuxième table et découvrirent les feuilles sur lesquelles ils devaient apposer leur nom pour choisir ce qu’ils feraient sur le campus pendant l’année.
Une feuille indiquait qu’ils devaient s’inscrire au moins sur l’une d’elles mais qu’ils pouvaient tout à fait en choisir plusieurs.
Paul regarda les descriptions. La première était l’organisation des évènements de l’année, la seconde était consacrée à la vie du campus, en particulier le foyer, la troisième concernait l’orientation des élèves pendant les moments importants de leur année et la dernière concernait le soutien scolaire. Paul hésita mais s’inscrivit sur la troisième.
Antoine choisit le foyer, Arthur le soutien scolaire, Damien et Lucy se chargeaient de l’organisation d’évènements.
C’était la première fois qu’ils choisissaient délibérément de ne pas être ensemble. Ils avaient convenu qu’ils se placeraient là où ils avaient envie, sans tenir compte des autres.
Thomas Duchesne arriva et prit la liste sur laquelle était inscrit Paul :
– Osinski, Laouen, Peiser, Hernandez et Fellous-Hansen, vous me suivez ?
Le groupe de Paul, avec Aymeric, Ethan, Léa et Yanis traversèrent le couloir. Chaque groupe était pris en charge par un référent de l’équipe pédagogique. Le groupe du soutien scolaire était encadré par Monsieur Guyot, le directeur, Mike s’occupait du groupe de la vie du campus et Alexandre, l’un des surveillants, était parti avec le groupe de l’organisation d’évènements.
Paul suivit Thomas jusqu’à une salle de cours. Les cinq étudiants prirent place derrière des bureaux et Thomas s’assit sur celui du professeur. Il leur expliqua brièvement leur rôle, comment ils devaient orienter les étudiants, en particulier ceux qui arrivaient en première année.
Pour cette journée de rentrée, Paul serait celui qui accueillerait chacune des classes, avec Ethan, devant l’auditorium. Son rôle était de vérifier que l’élève qui se présentait était bien attendu. Ensuite, il aiderait à donner les dossiers à la sortie de chacune des classes de l’auditorium et expliquerait, si nécessaire, aux élèves les informations qu’ils contenaient.
Yannis s’occuperait des valises avec Léa, quant à Aymeric, il orienterait les élèves dans la cour pour leur indiquer l’auditorium, les chambres, et répondre aux éventuelles questions.
C’était le seul groupe à être actif en ce jour de rentrée, ils le seraient à chaque évènement sur le campus de l’Aigle, y compris lorsqu’il fallait réveiller les élèves les jours d’examens surprise.
Le programme de la journée débuterait après le déjeuner. A quatorze heures les élèves de quatrième année, à quinze heures ceux de troisième, seize heures les deuxième et dix-sept heures, les élèves qui entraient pour la première fois sur ce campus.
Le responsable des études les prévint que plus la journée avancerait et plus ils seraient sollicités. Il les libéra ensuite, leur demandant d’être à leur poste à treize heures trente, heure à laquelle les premiers élèves arriveraient.
Paul se rendit au self avec son groupe. Ils étaient les premiers, tous les autres étaient encore dans leurs groupes respectifs pour préparer l’année.
Il croisa Arthur qui arriva au moment où Paul repartait vers l’auditorium pour prendre son poste.
Paul et Ethan se postèrent derrière la table d’accueil de l’auditorium. Il n’y avait aucune feuille d’appel ni dossier. Ethan demanda :
– Tu crois qu’on doit aller les chercher ?
Paul haussa les épaules :
– Aucune idée. On attend encore un peu, il est tôt.
Mike apparut quelques minutes plus tard. Pour la première fois, il était responsable des études, remplaçant Miss Maillard qui était partie en fin d’année passée.
Il salua les deux élèves de cinquième année et posa une vingtaine de dossiers bleus sur la table :
– Merci les garçons ! Vous verrez, c’est super d’aider les autres.
Ethan répondit :
– Oui, c’est bien et ça permet de les connaitre.
– Et à eux d’avoir des repères. Bon, les élèves de troisième et quatrième année n’en ont pas vraiment besoin mais ça peut arriver. Quand j’étais élève, on pouvait s’engager dès la troisième année sur volontariat, je crois que ça s’est un peu perdu. Dommage.
Il regarda la liste et les dossiers :
– Je vous laisse tout ça. N’oubliez pas de mettre les dossiers sur l’autre table à la sortie. Je vous vois ce soir.
– Ce soir ?
Mike répondit d’un simple sourire et disparut dans l’auditorium.
Paul plaça les dossiers bleus sur le côté et plaça les deux feuilles d’élèves devant lui.
Il repéra deux noms qu’il connaissait, celui d’Anselme Dumont, l’ex-petit-ami d’Antoine et celui le Louis Jacobs, son meilleur ami.
Il proposa à Ethan :
– Tu t’occupes des lettre M à Z ? C’est la deuxième moitié des élèves.
– Ça marche.
Paul gardait ainsi l’accueil de ses deux amis.
Trois premiers élèves arrivèrent, deux garçons et une fille. Paul vérifia les noms et les laissa entrer.
Anselme arriva dans les premiers. Il salua Paul avec un large sourire :
– Tu vas bien ?
– Oui et toi ? Content de rentrer ?
– Oui ça va. J’ai croisé Louis en haut, il m’a dit qu’il arrivait, je vais lui garder une place.
– Pas de problème, bonne rentrée !
Anselme disparut, d’autres élèves arrivèrent puis, un peu après, Louis, visiblement ravi de retrouver l’école et Paul :
– Salut Paul, ça s’est bien passé ta rentrée ?
– Oui, super. Prêt pour la quatrième année ?
– Oui, enfin on va se concentrer sur les matières intéressantes !
– Ce n’est pas plus simple.
– Je sais. On se voit tout à l’heure ?
– Oui, j’ai un peu de temps entre deux classes, je serai là.
Louis sourit et entra à son tour dans l’auditorium.
Cinq minutes avant l’heure prévue, tous les élèves étaient arrivés, sans aucun problème sur les listes.
Paul et Ethan attendirent quelques minutes puis prirent la pile de dossiers bleus et se dirigèrent vers la seconde table qui les attendaient à la seconde porte de l’auditorium.
Une demi-heure plus tard, les élèves de quatrième année sortirent.
Paul et Ethan distribuèrent les dossiers et observèrent les réactions. Anselme et Paul semblaient contents de leur emploi du temps.
Paul les regarda s’éloigner et vérifia qu’il ne restait rien sur la table.
La classe de troisième année allait bientôt arriver et les deux élèves de cinquième année retrouvèrent la table de l’entrée.
La responsable des études de la classe de troisième année déposa les dossiers verts aux deux garçons.
Paul n’y connaissait qu’un élève, parfaitement intégré, Axel Eder, qu’il avait rencontré deux ans plus tôt et qui semblait avoir pris Paul comme modèle pour ses études. Il arriva dans les premiers et discuta quelques minutes avec Paul avant d’entrer pour sa rentrée. Paul fut heureux de savoir que, malgré ses interrogation deux ans plus tôt, Axel passait une bonne scolarité.
La rentrée des élèves de première année fut plus chaotique.
Tous arrivaient simultanément. Paul gardait les yeux rivés sur la feuille de la première partie de la liste alphabétique des noms des élèves, de Lisandru Agostini à Jie Huang. Il entendit à ses côtés un garçon répondre à Ethan :
– Je m’appelle Antoine Kowalewski.
Paul se laissa distraire et regarda celui qui s’était annoncé. Il avait les cheveux châtain clair, les sourcils fins surplombant des yeux noisette en amande. Il avait un nez fin et arrondi et une bouche fine qui affichait un sourire timide révélant une certaine inquiétude. Paul avait l’impression de retourner cinq ans plus tôt, il avait dû avoir ce même air perdu.
Ethan répondit :
– Parfait, entrez et bonne rentrée !
Paul releva la tête vers une jeune fille qui s’annonça :
– Je m’appelle Constance Lefebvre. Désolé je ne sais pas si je suis au bon endroit.
Paul lui sourit :
– Si, tu es bien sur la liste. Bienvenue et bonne rentrée !
Paul reprit sa liste et demanda à un autre élève de s’annoncer. Il vit à peine, à quelques centimètres de lui, la forme du garçon s’avancer devant Ethan. Le camarade de Paul demanda :
– Bonjour, quel est votre nom ?
Il y eut un moment d’hésitation puis Paul entendit une voix timide :
– Osinski, Maxime Osinski.
Paul releva la tête tandis qu’Ethan tourna la sienne vers lui.
Un garçon se tenait devant eux, les cheveux courts, blonds, les yeux bleus.
Ethan demanda :
– Il y a un lien entre vous ?
Paul ne cacha pas son sourire :
– Salut Maxime, bienvenue sur le campus !
Il se tourna ensuite vers Ethan :
– Je te présente Maxime, mon cousin.
– Mais… Vous saviez que vous alliez vous retrouver ici ?
– Pas du tout ! Maxime, on te l’avait dit ?
L’élève de première année répondit :
– Non ! Si on me l’avait dit j’aurais pas autant stressé !
– Je te présenterai quelques personnes plus tard, si tu as besoin de nous, tu pourras venir nous voir !
– Merci Paul !
– Allez, file, il y a du monde derrière.
Maxime entra dans l’auditorium. Paul et Ethan terminèrent de vérifier les entrées et allèrent disposer les dossiers blancs sur la seconde table.
Ethan remarqua :
– C’est marrant que ton cousin soit là !
– Oui, je m’étais dit qu’il ferait un bon élève à l’Aigle mais on ne m’avait pas prévenu.
– Vous vous ressemblez ! On dirait toi avec cinq ans de moins !
– Tu trouves ?
Paul et Ethan attendirent quarante-cinq minutes la sortie des élèves de première année. Ils distribuèrent ensuite les dossiers.
Comme il avait terminé, Paul fit visiter le campus à son cousin et l’accompagna jusqu’à sa chambre. Il le savait, Maxime se ferait rapidement au campus. Un mois plus tard, il partirait pour sa première mission, celle qui marquerait le début de sa scolarité et par laquelle tous les élèves de première année devaient passer.
Paul regarda l’heure, il avait un peu de temps pour aller découvrir sa chambre avant le diner et retrouver Louis.
Il monta jusqu’au dernier étage du bâtiment des chambres, qu’il avait quitté ces dernières années.
Il arriva devant la chambre sur laquelle était inscrit le numéro 442 en calligraphie dorée. Il ouvrit la porte.
Il se trouva dans un petit couloir couvert d’une moquette noire aux motifs blancs. Les murs étaient de couleur grises.
Paul regarda les trois portes, qui tenaient dans un si petit espace. Il se tourna vers celle de droite et découvrit une salle de bains au carrelage gris au sol et marrons clairs aux murs. Il y avait une petite douche, un lavabo, un meuble en bois clair contenant les affaires de toilette et une baignoire.
Paul se tourna vers la porte de gauche et trouva un petit salon. En face de la porte, un petit bureau noir laqué et une chaise rouge qui semblait confortable.
Dans la pièce, deux fauteuils et un canapé blanc encadraient une petite table sur laquelle on trouvait un petit plateau avec une bouteille d’eau et des verres.
Deux grandes fenêtres éclairaient la pièce. D’épais rideaux blancs permettaient d’avoir un noir complet.
Au mur face à Paul, deux armoires étaient encastrées dans le mur et une porte donnait sur une autre pièce. Paul s’y avança.
Il monta trois marches et arriva dans une grande chambre.
Sur sa gauche, une petite commode en bois permettait de ranger ses vêtements. Il y avait, entre les deux grandes fenêtres du mur de gauche, un petit bureau similaire à celui que Paul avait trouvé dans la pièce précédente.
Au centre de la pièce un grand lit double avec un haut matelas semblait particulièrement confortable. Deux grandes armoires étaient encastrées dans le mur du fond.
Paul entra par la porte de droite. C’était une nouvelle salle de bains, similaire à la première, mais il y avait une autre porte. Paul l’ouvrit et découvrit une nouvelle chambre, en tous points similaire à la première. Antoine était assis sur le lit :
– Ça te plait ?
Paul acquiesça :
– C’est pas mal comme chambre !
– Oui, une vraie chambre d’hôtel !
Paul reconnut que l’espace où il passerait ses nuits sur le campus était en effet proche d’une chambre d’un bel hôtel. L’Aigle soignait ses étudiants, en particulier ceux de dernière année.
Ils seraient à l’aise dans ce petit appartement.
Les affaires de Paul avaient été déposées dans le petit salon. Il demanda à Antoine :
– Tu prends cette chambre-là ?
– Si ça te convient, ce sont les mêmes alors ça m’est égal.
– Oui, c’est parfait.
– En tous cas, on a vraiment nos pièces, c’est sympa.
Paul acquiesça et regarda l’heure :
– Je range mes affaires et on va diner ?
– Oui, ça va être l’heure.
Paul et ses amis s’étaient installés autour d’une des tables du réfectoire. Ils discutèrent de leur journée puis Paul leur présenta Maxime, installé à quelques tables de là. Lucy ne put s’empêcher de remarquer :
– Mince, un mini-Paul !
Elle éclata de rire.
Les cinq amis changèrent de sujet et discutèrent de leurs vacances d’été, maintenant terminées.
C’est Damien et Lucy qui commencèrent. Ils avaient passé deux semaines ensemble à Barcelone, au début du mois d’août. La chaleur ne les avait pas empêchés de visiter la ville et de se forger de beaux souvenirs. Cette expérience avait continué à souder leur couple. Ils semblaient ravis de leur voyage et avaient chacun des lieux qui les avaient marqués.
Arthur était parti à Londres avec ses parents. Son séjour avait été plus reposant que lorsque Paul y était parti, avec Thomas, pour sa première mission. Arthur avait passé du temps dans les musées, des lieux qu’il appréciait, tout comme ses parents. Lorsqu’il évoqua le National Gallery, Paul demanda :
– Tu as vu le Festin de Balthazar ?
Arthur répondit :
– Oui, j’aime beaucoup Rembrandt, difficile de passer à côté.
Paul eut un sourire en coin :
– Dire qu’il a failli être volé.
Arthur acquiesça :
– J’ai entendu parler de cette histoire, il paraît que le tableau a été décroché mais que le voleur n’a pas réussi à emporter le tableau, c’est amusant. Depuis la sécurité a été renforcée. C’était il y a quatre ans je crois.
– Oui, il me semble aussi.
Arthur reprit la description de son voyage, ce qu’il avait vu et ce qu’il aurait aimé voir mais qu’il n’avait pas pu, faute de temps.
Antoine poursuivit. Il était parti dans le sud de la France, lui aussi avec ses parents et son frère. Il avait passé des vacances reposantes et agréables. S’il n’avait que peu visité, il avait pu avoir des moments de discussion avec son frère et ses parents, ce qui avait été important.
Antoine et ses parents avaient toujours eu du mal à se comprendre. Les parents d’Antoine étaient durs, peu intéressés et repliés sur eux-mêmes, l’inverse de leur fils. Pendant ces quelques semaines où Antoine était chez lui, et plus particulièrement pendant leur voyage, les liens s’étaient ressoudés.
Lucy se tourna ensuite vers Paul :
– Et toi ? Tu as fait quoi pendant ces deux mois ? Tu as vu Louis ? Tu es parti un peu ?
Paul répondit :
– J’ai passé pas mal de temps avec Louis, oui. Je suis parti trois semaines en Suisse avec mes parents.
Paul avait décidé d’éviter de parler de Thomas. Il savait que ses amis n’y accorderaient aucune importance, mais il ne voulait pas que cela le place en avant.
Lucy demanda :
– Où ça en Suisse ?
– Montreux.
– Ça a l’air bien là-bas. Vous avez loué une maison ?
– Non, on nous l’a prêté, un ami de mes parents.
– C’est pratique. Tu as fait quoi là-bas ?
Paul raconta son voyage et ses expériences. Il parvint à garder pour lui le fait qu’il avait passé une semaine avec Thomas.
Antoine sembla captivé par le récit de Paul, en particulier son expérience en jet ski. Lui qui était sportif et qui aimait l’eau, c’était une activité à laquelle il aurait aimé participer.
Lorsqu’ils terminèrent leur repas, le groupe d’amis remonta dans la cour. Ils croisèrent Thomas qui discutait avec Mike. Les deux responsables d’études les saluèrent :
– Ha, vous tombez bien. Vous pouvez prévenir votre classe qu’on vous attend dans une heure au foyer ?
Antoine répondit par l’affirmative.
Le groupe d’amis retrouva les autres élèves pour les avertir.
Une heure plus tard, ils étaient tous au foyer, avec les deux responsables des études.
Antoine prit place derrière le bar, accompagné de Lucas et Clarence. C’était une de leurs tâches pour cette année et ils servirent des boissons à leurs camarades.
Cette soirée de rentrée, qui leur était réservée, fut l’occasion pour Paul de discuter avec l’ensemble de ses camarades. L’ambiance était chaleureuse et ils profitèrent de ce moment avant les premiers cours qui débutaient le lendemain.
Les étudiants se séparèrent à minuit, après avoir rangé le foyer.
Antoine et Paul entrèrent dans leur chambre et passèrent dans le petit salon. Antoine s’assit sur le grand canapé :
– Tu veux un verre d’eau ?
– Oui, merci.
Paul s’assit à son tour, sur un fauteuil face à Antoine qui remarqua :
– C’était sympa comme soirée, j’ai l’impression que l’année va être vraiment tranquille.
– Profitons-en, pas sûr que ça dure !
– Tu as raison, on ne sait jamais avec l’Aigle.
Antoine marqua une pause et demanda :
– Comment ça se passe avec Thomas ?
– C’est-à-dire ?
– En fin d’année dernière, tu me disais qu’il t’avait dit bien connaitre ta famille et que vous étiez amis.
– Ha oui, ça se passe bien. C’est chez lui que j’ai passé mes vacances.
Paul savait qu’il pouvait tout dire à Antoine, il n’irait rien répéter sans l’accord de son ami. Sur le campus, Antoine et Paul avaient noué une relation de confiance qu’ils n’avaient pas trouvé avec le reste du groupe d’amis.
Antoine répondit :
– C’est super ça ! C’est bien chez lui ?
– C’était la maison de ses parents, il l’a récupéré comme maison secondaire mais oui, c’est super, tu adorerais, un grand château avec deux piscine, proche du lac Léman, et de belles voitures. Tu serais parfaitement à l’aise là-bas !
– Je vais être jaloux ! Il n’a plus ses parents ?
– Non, ils sont décédés quand il était jeune.
– Ha mince…
– Ouais.
Antoine regarda les grandes fenêtres et revint à la discussion :
– Dernière année… Tu sais où tu iras l’an prochain ? Toutes les portes te seront ouvertes.
– Oui, je reste à l’Aigle.
– Sur le campus ?
– Non, en tant qu’agent. Thomas m’a conseillé de refuser les propositions des autres agences pour continuer à l’Aigle. On a déjà fait équipe ensemble et il m’a proposé que l’on reste coéquipier de manière officielle ensuite. C’est aussi là où travaille mon père. Mon grand-père était aussi à l’Aigle, alors j’imagine que c’est logique.
– Oui. Ça veut dire que Thomas ne sera plus sur le campus ?
– Ne le répète pas, ce n’est pas encore officiel, mais oui, il retourne sur le terrain donc c’est sa dernière année ici.
– Ce sera bien gardé.
Paul demanda :
– Et toi ? Tu sais ce que tu vas faire ?
– J’hésite. La DGSE c’est quand même tentant, mais il y a la DRSD qui me plait, surtout en agent de renseignement.
– Et l’Aigle ?
– C’est encore un peu opaque pour moi, c’est vrai que c’est le service le plus secret, mais aussi le plus petit. Ce sont des missions d’élite et ça permet de travailler avec les autres services mais j’ai peur de ne pas avoir beaucoup de mission.
– Pourquoi ?
– La DGSE et la DGSI ont l’air d’être plus actifs, tu ne penses pas ?
Paul réfléchit :
– Je suis parti en mission presque une fois par an, et normalement ils n’en donnent pas aux étudiants, j’imagine donc qu’ils doivent en avoir pas mal. Mais tu sais qui te renseignera ?
– Non ?
– Thomas. Il connait très bien tout ça.
– Oui, tu voudrais qu’on aille le voir ?
– Ça peut être intéressant, et si tu restes à l’Aigle on travaillera ensemble !
Antoine sourit :
– C’est un argument de poids, c’est vrai.
– Allez, demain on va voir Thomas et on verra ce qu’il te conseille.
Antoine sembla se résigner :
– On verra bien s’il arrive à me convaincre.
Antoine termina son verre d’eau :
– On va se coucher ? Demain ça va être dur la rentrée.
– Oui, bonne nuit !
Antoine se leva :
– Bonne nuit à toi aussi.
La journée de cours fut épuisante. Paul retrouva ses professeurs, qui entamèrent sans attendre les cours de l’année. Bien que les thèmes étudiés soient passionnants, à l’image des descriptions des opérations extérieures ou de l’étude de missions spéciales de l’espionnage français, se remettre au rythme des cours après les vacances n’était pas une chose facile.
Après la fin des cours, à dix-sept heures, Paul proposa à Antoine :
– On va voir Thomas ?
Antoine répondit :
– Oui, on a le temps, je pense que c’est le moment.
Les deux amis s’excusèrent auprès d’Arthur, Damien et Lucy qui allaient profiter du soleil dans la cour, où ils attendraient les deux garçons.
Paul et Antoine se dirigèrent vers le bureau de Thomas et frappèrent. Leur responsable des études était disponible et les fit s’asseoir sur le canapé de son bureau. Il semblait ravi de cette visite :
– Votre première journée se passe bien ?
Antoine répondit :
– Pas facile de s’y remettre mais oui, l’année commence bien.
– Parfait. Qu’est-ce que je peux faire pour vous ?
– Vous nous avez dit hier qu’on allait avoir une présentation des services français et qu’on serait sans doute amené à faire un choix de carrière.
– Oui, en effet, même si vous pouvez toujours aller autre part.
– Je veux rester dans les services français et j’hésitais entre la DGSE et la DRSD.
– Ce sont de très bons choix. Différents mais dans lesquels tu devrais te plaire.
– Sûrement. Vous avez aussi dit qu’on pouvait continuer à l’Aigle et Paul m’a fait penser que je pourrais aussi être intéressé mais j’ai l’impression que ce n’est pas pour moi.
Thomas regarda Paul puis demanda à Antoine :
– Tu préfères que nous en parlions tous les deux ou Paul peut rester avec nous ?
– Il peut rester, ça ne me dérange pas, de toutes façons je lui aurai raconté après.
– Bien. Je vais être tout à fait franc avec toi, je pense que tu seras mieux à l’Aigle que dans les autres services. Pour tout te dire, je comptais t’en parler, vous êtes quelques-uns dans votre classe que nous aimerions voir continuer dans notre service. Tu es un garçon qui a besoin de bouger, tu es intelligent et sans doute le plus physique de ton niveau. Nous avons une différence majeure avec les autres services français, en particulier la DGSE. Là où les autres sont dans l’observation, le renseignement et parfois la manipulation, l’Aigle est dans l’action. Nous restons discrets, nous ne sommes ni l’armée ni une milice, mais nous utilisons l’intelligence pour agir et la plupart de nos missions comportent à la fois une phase d’espionnage et d’infiltration ainsi qu’une phase d’action où nous sommes amenés à l’arrestation voire, parfois malheureusement, à la neutralisation. Je pense que tu es tout à fait à même d’accomplir ces missions.
Paul crut voir une lueur briller dans les yeux d’Antoine qui commençait à s’intéresser à cette perspective de carrière.
Thomas continua :
– Si cette école existe, c’est aussi pour pouvoir former des étudiants que nous ne trouverions pas ailleurs. Il n’y a pas besoin d’école particulière pour entrer dans les autres services. Ici, nous vous préparons à l’analyse mais aussi au terrain. C’est un vrai besoin pour l’Aigle.
Antoine demanda :
– J’ai l’impression que l’Aigle est plus petit et qu’il n’y a pas beaucoup de mission.
– C’est vrai que nous sommes le service le plus secret de l’état et l’un des moins grands en termes d’effectif. Nous sommes un peu plus de deux cents dont quarante agents de terrain. Ça peut paraitre peu mais pourtant, nous croulons sous les missions. Tous les agents sont régulièrement sur le terrain, parfois des missions de plusieurs mois. A leur retour, ils ont besoin de repos, ce serait inconscient de les envoyer immédiatement sur une autre opération. Nous avons de nombreux dossiers et les agents ne s’ennuient pas, je peux te l’assurer. D’ailleurs, je peux te donner un exemple, je connais un agent qui est parti sur trois missions l’an dernier, soit un peu plus de six mois au total. C’est la norme chez nous et c’est parfois plus qu’un agent de la DGSE. Rassure-toi, nous aurons du travail pour toi et nous avons de nombreuses missions chaque année.
– Vous pensez que j’y aurai ma place alors ?
– J’en suis persuadé, oui.
– Bien, je vais réfléchir un peu alors.
– N’hésite pas à revenir me voir si tu as d’autres questions. En milieu d’année, tu risques d’avoir des propositions, je te conseille de ne pas les accepter immédiatement, il sera toujours temps de les recontacter par la suite après y avoir réfléchi. Tu pourras aussi venir me voir à ce moment-là pour que nous en discutions. Nous sommes obligés d’attendre la fin de l’année pour proposer nos contrats à nos élèves, c’est une de nos conditions pour garder l’école, que les autres services soient prioritaires sur le recrutement. Cela ne nous empêche pas de prévenir un peu avant les élèves qui nous intéressent pour qu’ils patientent jusqu’à la fin de l’année, même si un autre service propose de les engager avant la fin de l’année. Je te conseillerais donc d’attendre notre proposition avant de t’engager quelque-part.
Paul intervint :
– Qui sont les autres élèves à qui vous allez proposer d’entrer à l’Aigle ?
Le responsable des études sembla gêné :
– Je ne suis pas censé en parler mais je vous fais confiance. Ce n’est pas une liste définitive. Nous allons approcher Ethan, Arthur, Lucy, Damien, Aymeric, Mathieu, Yanis, Lucas et Léa. Avec vous deux, cela représente une bonne moitié de votre classe, c’est assez rare mais vous avez un très bon groupe.
– Et les autres ?
– Ils pourront faire leur candidature, une bonne partie serait prise, voir la totalité, mais ce ne sont pas nos cibles prioritaires.
Antoine demanda :
– Tous en agent de terrain ?
– Non, comme vous l’avez vu lors de notre visite de l’an dernier, il y a de nombreuses professions au sein de l’Aigle, et pour certains, nous savons qu’ils seront très utiles à certains postes. Arthur, par exemple, serait parfait à un poste de coordinateur.
Les deux étudiants hochèrent la tête. Thomas leur demanda :
– Vous gardez tout ça pour vous ? Vous aviez d’autres questions ?
Antoine répondit :
– Non, je crois que j’ai tout ce que je voulais savoir. Finalement, l’Aigle a l’air d’être un bon choix aussi. Je vous le confirmerai.
– Prends ton temps.
– Merci.
Les deux étudiants sortirent du bureau. Ils s’arrêtèrent dans le hall avant de rejoindre leurs amis.
Antoine se tourna vers Paul :
– Merci, tu avais raison, je pense que l’Aigle vient de monter en premier dans ma liste.
Paul sourit :
– Cool, on travaillera peut-être ensemble !
Antoine lui rendit son sourire :
– Oui, tu ne vas pas te débarrasser de moi !
Les deux amis retrouvèrent leurs trois camarades dans la cour. Comme ils n’avaient pas de travail à faire ce jour-là, ils restèrent près de la fontaine pour discuter jusqu’à l’heure du repas.
Si les matières étaient les mêmes que l’année passée, le niveau était plus élevé. Les professeurs, estimant que les élèves avaient acquis l’ensemble des notions vues par le passé, ne revenaient pas dessus pour continuer à avancer dans leur programme. Paul, comme d’autres, devait parfois passer du temps pour se replonger dans les notions de l’année précédente afin de ne pas se perdre.
Les différentes matières étudiées plaisaient toujours autant au jeune espion qui les suivaient avec attention. Ses premières notes furent déjà très bonnes, parmi les meilleures de la classe.
La douceur de ce mois de septembre permit aux élèves du campus de l’Aigle de passer la plus grande partie de leur temps dehors, y compris lorsqu’il s’agissait de travailler.
Paul, Lucy, Antoine, Damien et Arthur, parfois rejoints par Louis, alternaient entre la fontaine, les gradins du stade, les pelouses parfaitement entretenues et l’orée de la forêt. Des endroits calmes où peu d’élèves se massaient, le campus étant assez grand pour accueillir la grande centaine d’élèves – cent-six exactement – sans qu’ils ne se gênent.
Paul ne les connaissait pas tous, mais il lui semblait que beaucoup savaient qui il était. Les professeurs semblaient l’avoir parfois pris en exemple, à l’image d’Axel, que Paul avait retrouvé à la rentrée, qui connaissait le bon niveau de son ainé avant même de l’avoir rencontré.
Certains élèves de première année connaissaient aussi le jeune espion, mais c’était grâce à Maxime, que Paul croisait parfois et saluait chaleureusement. Les deux cousins n’avaient pas les mêmes horaires ni les mêmes amis, il était donc finalement très rare qu’ils aient du temps pour discuter. Paul, lorsqu’il croisait Maxime, prenait des nouvelles et s’assurait que tout se passe bien mais ne s’attardait pas, laissant son cousin retrouver des amis.
Paul eut tout de même l’occasion de connaitre trois des amis de Maxime, avec qui il était le plus souvent, Antoine, Jie et Martin.
Les élèves de première année, dont Maxime, découvraient à peine le campus et ses habitudes, tous avaient peur de ne pas pouvoir rester au-delà du mois de septembre, après les premières épreuves qui les attendaient, comme tous les élèves de première année.
Paul s’amusait de cette appréhension, qu’il avait lui aussi vécue, cinq ans plus tôt. Aujourd’hui, il savait que tous les élèves de première année seraient bien présents en octobre et que cette mission, dont ils n’avaient pas encore connaissance, n’avait pour but que de les souder en les mettant à l’épreuve. Une première découverte de ce que pouvait réserver l’Aigle à ses élèves pendant les cinq années de leur scolarité.
Comme il dormait dans le même bâtiment que les élèves de première année, Paul entendit l’appel qui était fait en pleine nuit pour que les plus jeunes élèves du campus se rendent dans la cour. C’était pour eux le début de leur mission et Paul ne voulut pas rater le départ de son cousin.
Il assista donc au cours discours du responsable des études de la classe de première année avant que chaque élève, par groupe de trois ou quatre, ne soit lâché dans la nature.
Les élèves de première année avaient, sans surprise, tous été admis pour poursuivre leurs études au sein de l’Aigle. L’année avait bel et bien débutée pour tous.
Paul débuta le mois d’Octobre en forme. L’année débutait pour le mieux et l’atmosphère tranquille du campus lui avait donné un rythme idéal. Sa classe était soudée et rien ne gâchait ce tableau idyllique.
Le soir, il poursuivait après l’heure du couvre-feu sa soirée en ayant de longues discussions avec Antoine, son camarade de chambre et ami, dans le petit salon de leur chambre. Ils le savaient tous deux, il fallait profiter de cette année, leur dernière sur le campus et sans doute, pour le moment, la plus agréable.
Le premier lundi du mois, c’est donc avec entrain que Paul débuta une nouvelle semaine.
Le cours commença doucement, comme chaque lundi matin, comme une machine qui se réveille et se met en route.
Quelques minutes à peine après le début du cours, on frappa à la porte.
Sans attendre de réponse, Thomas Duchesne apparut. Il salua le professeur et s’avança pour se tenir devant les élèves. Paul remarqua qu’il avait les traits tirés, il semblait soucieux et fatigué. Il s’adressa à la classe :
– Bonjour à tous, je dois interrompre votre cours quelques minutes. Il est toujours difficile d’annoncer ces nouvelles et de trouver les bons mots. Cette nuit, votre camarade Clément Le Gall a dû être transféré à l’hôpital après une importante blessure. Malgré les efforts déployés par les secours et les médecins, il nous a malheureusement quitté tôt ce matin.
Le responsable des études marqua une pause. L’atmosphère avait changée. Paul pouvait sentir le poids peser sur la salle de classe. Les visages s’étaient fermés, certains yeux s’étaient humidifiés. Paul regarda Antoine, à ses côtés. Il était devenu livide, les yeux écarquillés, la bouche légèrement ouverte. La surprise autant que son état de choc se lisaient sur son visage. Ils avaient eu une histoire ensemble, quelques années plus tôt, et leur séparation s’était bien passée. Ils étaient restés bons amis et Antoine avait confié à Paul qu’il profitait parfois de moments de calme pour le voir et discuter.
Thomas reprit :
– Je partage bien entendu votre tristesse et je tiens à vous assurer que tout l’équipe pédagogique, vos professeurs, la direction, le personnel de soin et moi-même, serons vigilants. Nous sommes à votre écoute et serons là pour vous soutenir. Notre psychologue, monsieur Villa, pourra aussi vous recevoir quand vous le souhaitez.
Le responsable des études reprit sa respiration et poursuivit :
– Nous avons pris la décision ce matin avec l’ensemble des responsables des études d’annuler les cours de mercredi après-midi et nous nous retrouverons après le déjeuner, à quinze heures, pour rendre hommage à votre camarade. Je vous souhaite à tous le courage nécessaire. Si l’un d’entre vous souhaite me parler, s’il a des éléments importants à nous partager, il peut venir me voir et sera écouté sans jugement ni reproche.
Thomas inclina la tête en signe de salut et demanda :
– Antoine, peux-tu venir avec moi s’il-te-plait ?
Paul regarda son camarade se lever doucement et se diriger vers l’avant de la salle de classe. La tête baissée, il accusait le coup sans savoir comment réagir.
Antoine et Thomas sortirent de la salle. Un silence pesait sur la classe. Henri Crevoisier, le professeur d’histoire de l’espionnage, laissa passer quelques secondes. Il avait les yeux emplis de larmes qu’il tentait de retenir. Il brisa le silence d’une voix faible, contrôlant son débit pour calmer ses émotions :
– Je pense qu’il va être compliqué de poursuivre ce matin. Je ne peux pas vous laisser libre mais je vous propose que nous prenions un moment pour faire autre chose, pour suspendre le cours. Lorsque vous serez prêts, si vous le souhaitez, nous reprendrons.
La porte de la salle de classe s’ouvrit à nouveau et le responsable des études passa la tête par l’encolure de la porte :
– Paul, peux-tu nous rejoindre aussi ?
Paul s’étonna mais se leva et sortit de la classe.
Antoine était adossé au mur, les mains dans les poches, la tête baissée. Thomas expliqua à Paul :
– Ton camarade aimerait que tu nous accompagnes, je sais que ce n’est pas simple mais j’ai besoin de vous parler un moment.
Paul hocha la tête. Le trio se mit silencieusement en marche vers le bureau du responsable des études. Ils s’assirent sur les fauteuils, devant la table basse. Là où Thomas se mettait toujours pour les discussions importantes, là où il avait annoncé à Paul le décès de son grand-père.
Le responsable des études prit une inspiration et s’adressa au camarade de Paul :
– Antoine, je sais que ce n’est pas le moment mais je dois te parler de ce qu’il s’est passé cette nuit. Je sais que Clément et toi avaient été proches, vous étiez toujours amis n’est-ce pas ?
Antoine acquiesça :
– Oui, on est sortis ensemble et on s’est séparés. Ça avait été un peu difficile au début mais on était redevenus amis et on discutait parfois ensemble. On s’était un peu rapprochés à nouveau l’année dernière mais ce n’était pas comme avant.
– Il lui arrivait parfois de se confier ? Tu sais s’il avait des problèmes ?
– Non… Non je ne crois pas, il ne m’en avait pas parlé s’il en avait.
– Tu sais, si c’est le cas, il faut que tu m’en parles, c’est important.
– Si je savais quoi que ce soit, je vous le dirais.
– Merci Antoine, surtout, si la moindre chose te revient ou si tu penses que ça peut avoir une importance, il faut que tu m’en parles.
– Je le ferai. Je ne comprends pas trop, il avait l’air heureux.
– C’est pour cela que nous tentons de comprendre.
Thomas regarda Paul :
– Il va falloir, vous deux, que vous veilliez sur vous et vos camarades.
Antoine hésita :
– Comment ça s’est passé ?
Thomas s’étonna :
– Ce qu’il s’est passé ?
– Oui.
– Tu veux vraiment le savoir ? Je ne suis pas sûr que ce soit très important…
– Oui, ça l’est pour moi.
– On l’a retrouvé cette nuit dans la cour, c’est un élève de première année qui a entendu le bruit vers une heure du matin.
– Il a…
Antoine ne termina pas sa phrase. Paul regarda son ami, ses yeux étaient grands ouverts, sa tête partit en arrière.
Thomas se leva d’un bon et le retint de tomber :
– Paul, va me chercher un verre d’eau dans ma cuisine.
Le jeune espion se hâta de se rendre dans l’appartement de Thomas accessible par son bureau. Il trouva rapidement un verre posé sur le bord de l’évier et le remplit.
Lorsqu’il revint, Antoine, livide, était revenu à lui.
Paul lui tint le verre qu’il but à petite gorgée.
Thomas s’assura :
– Ça va ?
Antoine hocha la tête :
– C’est de ma faute…
– Comment ça ?
– Si Clément a fait ça, c’est à cause de moi.
– Non, tu n’as pas à t’en vouloir, Antoine, personne ne pouvait le prédire.
– Si, j’aurais pu, j’aurais dû le voir et lui parler…
– S’il n’a rien dit, tu ne pouvais pas savoir. Ne te culpabilise pas.
Antoine resta silencieux, les yeux dans le vague. Thomas poursuivit :
– Les obsèques auront lieu jeudi. Je représenterai le campus mais si vous souhaitez vous y rendre, je vous y accompagnerai.
– Oui.
Paul hésita. Il ne ressentait pas ce besoin, il connaissait finalement peu Clément. Il proposa :
– Antoine, tu veux que je t’y accompagne ?
Antoine tourna la tête vers son ami :
– J’aimerai bien, si ça ne te dérange pas…
– Je viendrais.
Paul et Antoine sortirent du bureau de Thomas Duchesne. Ils restèrent silencieux dans le couloir et descendirent dans le hall. Ils rejoignirent leurs camarades toujours en cours.
Personne ne les questionna, le cours avait repris sur un rythme qui n’en était pas un. Personne n’avait la tête sur les études, pas même leur professeur.
Yanis, qui partageait sa chambre avec Clément, était lui-aussi sous le choc. S’ils n’avaient pas été proches, ils s’appréciaient. Personne n’avait pu prédire ce qu’il s’était passé et ce qui avait conduit au geste de Clément.
La cour centrale était silencieuse. Les élèves étaient tous alignés, par classe, assis sur des chaises installées pour l’après-midi.
Les élèves de cinquième année avaient décidé de porter leur uniforme, imité par leur responsable des études. Tout le personnel du campus était présent, ainsi que les parents de Clément.
L’hommage devait être court et solennel, comme le voulait la tradition de l’Aigle. Le directeur commença par un discours avant de laisser la parole au responsable des études. Thomas fut, comme à son habitude, d’une grande justesse dans ses propos. Il parla quelques minutes de Clément pendant ses années sur le campus et fit l’éloge de ses qualités.
Lorsqu’il eut terminé, il demanda si des élèves voulaient prendre la parole.
Timidement, Antoine leva la main puis s’avança vers la scène.
Les parents de Clément connaissaient l’existence d’Antoine et les liens qu’ils avaient eu.
Antoine se plaça devant le micro, encouragé par une tape amicale de Thomas sur l’épaule.
L’étudiant regarda le parterre d’élèves :
– Bonjour à tous. Clément était un camarade agréable et sympathique. Je pense que tout le monde ici qui l’a connu peut en témoigner. Nous nous sommes connus en première année et avons sympathisés. Clément et moi étions différents, lui était sans doute un peu plus sensible, un peu plus réfléchi, mais nous nous étions rapidement bien entendus. Après quelques mois…
Antoine s’arrêta. Paul le vit déglutir et contenir un sanglot. D’une voix assurée, il reprit :
– Après quelques mois, Clément et moi avons été amoureux. Je sais que cela avait été pour lui une libération. Nous sommes restés presque un an ensemble avant de nous séparer. Cela ne nous a pas empêcher de rester amis et il arrivait régulièrement que nous échangions ensemble. Je peux le dire, Clément était un ami, sincère. Il était toujours compréhensif et était capable de trouver les mots justes dans toutes situations. Sur ce campus, je sais qu’il avait des amis, autre que moi et que, même si parfois, en première année, on pouvait avoir l’impression qu’il n’était pas à sa place, qu’il aurait du mal, cela n’a pas été le cas. Clément va nous manquer. Il va me manquer. Cruellement.
La voix d’Antoine changea, il luttait pour ne pas fondre en larmes mais cela lui était de plus en plus difficile :
– Clément, tu es celui que j’ai aimé puis que j’ai porté dans mon cœur, autrement. Aujourd’hui, tu nous as laissé. Tu laisseras une place vide en classe, dans ta chambre et dans nos cœurs. Clément, nous t’aimons. Je t’aime.
Antoine s’écarta du pupitre et descendit de l’estrade en fondant en larme.
Lorsqu’il s’assit, Paul ne put résister à tenter de le consoler en l’enlaçant.
Le directeur s’approcha du micro et demanda si d’autres élèves voulaient prendre la parole. Après l’allocution d’Antoine, cela semblait compliqué et aucun élève ne se proposa.
Une minute et vingt secondes de silence furent observées. Une minute et une seconde par année de vie, comme il en était la coutume au sein de l’Aigle.
Les élèves furent invités à se séparer et chacun discutait en restant dans la cour.
Paul resta avec Antoine :
– Ça va ?
Les yeux encore humides, Antoine répondit :
– Oui, merci.
– Ton discours était très beau.
– Merci Paul. C’est pas vraiment mon fort les discours.
– Pour personne, surtout comme celui-là, mais tu as dit ce que nous pensions tous.
Les deux amis furent coupés par une voix féminine :
– Antoine ?
Ils se retournèrent et virent la mère de Clément. Antoine répondit :
– Oui ?
– Je voulais te remercier pour ce que tu as dit. Ton discours était très touchant. Je sais que Clément et toi vous aimiez beaucoup et je comprends pourquoi il était tant attaché à toi. Les obsèques auront lieu demain et nous aimerions que tu prennes la parole, si cela ne te dérange pas.
Antoine hésita mais, devant le regard de la mère de son ami, accepta.
Le lendemain, Paul et Antoine se rendirent avec Thomas à la cérémonie religieuse en hommage à leur camarade. Antoine fit le même discours que la veille.
La cérémonie fut belle, la famille de Clément était sympathique. Paul regrettait de ne pas pouvoir plus les connaitre.
Sur le chemin du retour, Thomas, Antoine et Paul discutèrent de Clément puis de la vie sur le campus.
Le soir, Antoine et Paul retrouvèrent leur chambre. Ils s’assirent sur le canapé. Ils ne discutèrent que peu de temps avant de se coucher, éprouvés par ce début de semaine mais, ne trouvant ni l’un ni l’autre le sommeil, décidèrent de se relever et de continuer d’échanger. C’était un moyen pour Antoine de faire passer sa peine.
Le souvenir de Clément resta vif malgré la vie qui reprit ses droits sur le campus.
Les élèves de cinquième année avaient eu du mal à garder leur rythme mais, les jours passants, le travail reprit. Beaucoup étaient fatigués et les vacances étaient devenues nécessaires.
Antoine avait eu plus de difficultés. Comme tous les autres, il pensait à Clément, mais il mit plus de temps à vivre sans la présence de son camarade. Paul l’avait aidé comme il avait pu, comprenant que cela serait dur.
Les deux semaines de vacances permirent à chacun de se recentrer sur les études. Paul voyait régulièrement Louis et téléphonait souvent à Antoine, quand ils n’échangeaient pas des SMS.
Le dimanche de la rentrée, lorsque Paul arriva, il retrouva dans la cour Lucy et Damien qui semblaient pressés. Paul les salua et demanda à Lucy :
– Qu’est-ce que vous faites ?
– On organise le gymnase pour ce soir !
– Pourquoi, qu’est-ce qu’il se passe ce soir ?
– Paul, c’était Halloween cette semaine, faut quand même qu’on fête ça !
– Vous avez besoin d’aide ?
– Alors… Léa est en bas avec Julien et Aurélien s’occupe des costumes mais je pense qu’il s’en sort. Va voir dans le gymnase, je pense qu’il y a des choses à installer encore. Nous on va chercher les cartons à l’accueil et on vous les apporte.
Paul hocha la tête en souriant :
– Parfait cheftaine !
Il se dirigea ensuite vers le gymnase qui était déjà bien décoré.
Léa était en haut d’un escabeau pour attacher des décorations tandis que Julien déplaçait des tables. Paul se dirigea vers lui :
– Salut Julien, Lucy m’a dit que vous pourriez avoir besoin d’aide.
La venue de Paul eut l’air de soulager son camarade :
– Ah merci Paul, c’est sympa ! Oui je veux bien, il faut qu’on mette quelques tables pour le buffet, qu’on installe la sono puis lorsque Damien et Lucy arriveront, il faudra installer le reste.
Paul s’empressa d’aider Julien à tout installer. Avant le diner, le gymnase était fin prêt pour le soir. L’ensemble des élèves étaient convié.
Cette première soirée organisée par le groupe de cinquième année était une réussite. Les élèves s’amusaient, dansaient et discutaient.
Damien et Lucy s’occupaient de l’organisation avec les autres élèves de leur groupe. Paul, Antoine et Arthur passèrent la plus grande partie de la soirée ensemble à discuter. Ils furent rejoints pour quelques minutes par Maxime. Lui aussi se sentait bien dans cette école qu’il découvrait encore. Il avait de bons résultats et sa classe était sympathique.
Paul appréciait le croiser et, pour Maxime, la présence de son cousin était rassurante.
Paul était aussi content de voir qu’Antoine avait retrouvé le sourire. Avant les vacances, cela avait été compliqué et il était devenu sombre et triste. Ce soir-là, Paul retrouvait enfin son ami.
Louis vint aussi discuter avec eux pendant quelques temps. Antoine et lui n’avaient plus d’animosité, au contraire, ils semblaient s’apprécier particulièrement bien à en croire l’humour qu’ils partageaient parfois.
Après un quart d’heure, Louis fut rejoint par trois garçons, Anselme, Jules et Issa qui saluèrent les élèves de cinquième année et demandèrent à leur camarade de classe s’il voulait les rejoindre. Louis s’excusa auprès d’Antoine, Arthur et Paul et se leva.
Antoine et Anselme échangèrent un regard. L’ainé s’adressa à son camarade de quatrième année :
– Anselme, tu as deux minutes ?
– Oui, qu’est-ce qu’il y a ?
Antoine se leva :
– Viens, je veux te parler.
Les deux garçons s’éloignèrent, tout comme les autres élèves de quatrième année. Paul resta avec Arthur qui commenta :
– Il a l’air d’aller mieux Antoine.
– Oui, ça me fait plaisir.
– Ça se passe bien avec lui ?
– Oui, on s’entend bien, c’est sympa qu’on soit dans la même chambre. Et toi avec Damien ?
– Oui c’est cool, c’est marrant qu’on soit devenus amis, on n’était pas vraiment pareil quand on est arrivés ici, mais ça s’est fait petit à petit. Je préfère être avec lui dans la chambre plutôt qu’avec d’autres.
– Comment ça ?
– C’est pas méchant, il y en a juste avec qui je n’ai pas d’affinité. Ils sont sympas mais ce ne sont pas des amis.
– Oui je vois. Je suis content que ça se passe bien pour vous deux.
– Ça a l’air de bien tenir entre lui et Lucy !
Paul sourit :
– Oui, c’est bien pour eux.
– Et toi ?
Paul s’étonna :
– Comment-ça, moi ?
– Depuis qu’on est ici, on ne t’a jamais vu trop t’intéresser à quelqu’un. Je veux dire… Dans la classe on a eu quelques couples, Damien et Lucy sont ensemble, Antoine était avec Anselme, la plupart des autres ont au moins eu une aventure ou se sont un peu dragués. Toi tu n’en parles jamais, pourtant t’es quelqu’un qui plait en général. Ou alors tu ne dis rien.
Paul haussa les épaules, il n’avait jamais vraiment pensé à cela, jamais il n’avait eu un coup de foudre ni même une grande attirance pour quelqu’un de son école :
– Je ne sais pas, peut-être qu’ici il n’y a pas la bonne personne, c’est tout. Je ne suis pas aussi sûr que toi que je plaise tant en plus.
Arthur éclata de rire :
– Arrête, même moi qui ne suis pas trop dans les ragots, je peux te citer quatre ou cinq personnes qui ont eu des vues sur toi depuis cinq ans.
Paul eut un sourire gêné. Il n’avait jamais entendu cela mais était curieux :
– Qui ?
– Lucy déjà, en deuxième année, il suffisait que tu t’éloignes pour qu’elle ne parle que de toi. Il parait que Sophie et Laura avaient un petit faible aussi, tout comme Antoine, mais ça tu le savais.
Paul s’amusa :
– Antoine ? Tu rigoles ? C’est juste un ami, rien de plus.
– Je ne dis pas que c’est encore le cas, mais fut un temps où il n’aurait pas été contre un autre type de relation avec toi.
– Et pour les filles, oui, j’avais compris pour Lucy. Sophie et Laura, je n’ai peut-être pas fait attention mais ce n’est pas mon style.
Paul laissa passer un instant et demanda :
– Et toi ? Tu ne nous en dis pas beaucoup non plus.
Arthur sourit :
– Lian.
– Liane ?
– Lian Wang, elle est en quatrième année.
– Ha, Lian, oui je vois qui c’est je crois. Elle te plait ?
– On est ensemble.
Paul crut mal entendre :
– Quoi ? Mais tu ne nous as rien dit ! Depuis quand ?
Arthur s’amusa :
– Février dernier.
– Mais… ça fait huit mois ! Tu ne nous as rien dit ?
– On le garde pour nous, on n’est pas trop du genre à faire étalage de ça.
Paul exulta :
– Mais c’est génial ! Dis-lui de se joindre à nous de temps en temps !
– Mouais, je lui proposerai mais elle est discrète.
– En tous cas je suis content pour toi. Tu as quand même battu un record côté discrétion…
– Merci.
Antoine arriva :
– Désolé, il fallait que j’aie une discussion avec Anselme.
Paul s’inquiéta :
– Rien de grave ?
– Non, juste m’assurer qu’il aile bien, depuis notre séparation on n’a pas trop eu le temps de discuter et ça m’énervait d’être dans cette situation à ne pas savoir s’il m’en voulait.
– Et alors ?
– Non, tout va bien.
Paul comprit que le spectre de Clément était toujours vif pour son ami.
Antoine demanda :
– Vous parliez de quoi ?
Paul garda le silence, il ne voulait pas annoncer la nouvelle à la place d’Arthur qui répondit :
– De Lian.
– De lianes ? Vous avez des discussions étranges entre intellos.
Arthur éclata de rire :
– Non, de Lian, ma copine.
Antoine, toujours expressif, bégaya :
– Quoi ? Tu as une copine ? Depuis quand ?
– Février.
– Et je n’avais rien vu ? Mais… pourquoi on n’était pas au courant ?
– Je ne sais pas, ça s’est fait comme ça.
– Faut que tu nous la présente !
– Je le ferai.
Les trois amis continuèrent de discuter avant d’être rejoints en fin de soirée par Damien et Lucy. La fête se termina.
Ceux qui organisaient devaient ranger. Arthur, fatigué, ne tarda pas à regagner sa chambre.
Paul et Antoine, à leur tour, sortirent du gymnase maintenant presque vide.
Dehors, Antoine proposa :
– On fait un tour avant de rentrer ?
– Si tu veux.
Les deux garçons marchèrent dans la cour. Antoine confia :
– Je sais que c’est idiot mais j’avais peur pour Anselme, c’est pour cela que j’ai voulu lui parler.
– J’avais compris… Mais il a l’air d’aller bien. Tu n’as pas à t’en vouloir pour ce qu’il s’est passé…
– Clément était encore amoureux, je crois que c’est pour ça…
– Tu n’y es pour rien, tu ne peux pas sortir avec tous ceux qui sont amoureux de toi et ce qu’il a fait n’est sans doute pas dû seulement à ça, ça faisait longtemps que vous n’étiez plus ensemble.
– Pas tant que ça.
Paul s’étonna :
– Comment ça ?
– On se voyait depuis quelques temps, on ne sortait pas ensemble mais c’était un peu pareil. Quelques jours avant qu’il se tue, il m’avait avoué qu’il était amoureux, qu’il n’imaginait personne d’autre que moi, ce genre de conneries. Je lui avais dit que ce n’était pas mon cas et il l’avait mal pris, mais je n’imaginais pas que ce soit à ce point-là.
Paul fut embêté :
– Antoine… On ne se tue pas car on est amoureux.
– Lui, si.
Paul ne sut quoi répondre. La discussion fut coupée par une voix forte :
– Paul ?
Les deux amis se retournèrent vers l’endroit d’où venait le bruit. Deux personnes étaient dans l’ombre, devant le bâtiment d’accueil. Antoine demanda :
– C’est qui ?
Paul répondit :
– J’en sais rien, je ne vois pas.
– Ça pue, viens, on rentre.
Paul fut curieux :
– Pourquoi ? On va voir qui c’est.
– C’est pas des gens du campus ça, comment ils sont entrés ?
– Arrête, ça doit être d’autres élèves ou des profs.
Paul et Antoine s’approchèrent. Paul remarqua qu’il n’avait jamais vu l’homme devant eux. Il sentit soudain une vive douleur au crâne et sa vue fut occultée. Quelqu’un avait placé un sac sur sa tête et lui serrait autour du cou.
Il se sentit agrippé puis trainé sans pouvoir réagir.
Il entendit un homme dire :
– Toi ta gueule ou on t’emmène aussi, va te coucher.
Un coup partit puis un second, suivi du bruit d’un corps qui tombe au sol.
Paul était tiré en arrière et entendit Antoine crier :
– Paul !
Paul n’arrivait pas à résister à la fatigue. Sans pouvoir réagir, il s’endormit, comprenant qu’on l’avait drogué.
Paul se réveilla avec la bouche pâteuse. On lui avait enlevé le sac mais il était bâillonné. Il regarda autour de lui, il était dans une pièce sans fenêtre aux murs métalliques et sentait du mouvement. Il comprit qu’il était à l’arrière d’une camionnette. Impossible de voir l’extérieur.
Il tenta de bouger la main mais il était attaché par des menottes à une barre en métal. Il ne pouvait rien faire. Il n’avait aucune notion du temps. Il avait été enlevé vers une heure du matin et avait dormi.
Le véhicule roulait sans cesse. Paul avait faim. Il tenta de frapper contre la carrosserie mais cela n’eut aucun effet, la camionnette continuait de rouler sans réaction.
Paul se rassura, Antoine avait assisté à la scène et avait visiblement été laissé sur le campus. Il n’y avait eu aucun coup de feu, les ravisseurs avaient dû laisser son ami tranquille.
Il regretta de ne pas l’avoir écouté. Antoine lui avait dit de faire demi-tour. La curiosité venait de lui jouer un mauvais tour.
Antoine sur le campus, il avait dû immédiatement donner l’alerte, la police devait déjà être à la recherche du jeune espion.
Ce se serait qu’une histoire de temps.
Paul sentit son estomac crier famine. Il tenta de frapper à nouveau contre la paroi qui devait le séparer du conducteur.
Toujours aucune réaction. Il était inutile d’insister.
Paul sentit le véhicule décélérer. Ils arrivaient à destination.
Après quelques virages, la camionnette se stoppa. Paul espéra qu’on lui ouvre mais il n’entendit aucun bruit. Il frappa contre la carrosserie.
Soudain, la portière arrière s’ouvrit, assez pour que Paul distingue des arbres.
Un homme d’une quarantaine d’années, le cheveu rare, monta et ferma la porte. Il avait un sourire en coin qui se terminait sur une balafre sur la joue gauche. Il était laid. Il s’assit face au jeune espion :
– Se colpisci di nuovo ti uccido.
Paul resta un moment sans voix. Il ne comprenait pas un mot. Il tenta :
– Désolé, je suis français, je ne comprends pas.
Le sourire de l’inconnu s’agrandit, faisant danser sa balafre sur sa joue :
– Hai fame ?
Paul ne répondit pas, son interlocuteur ne changerait pas de langue. Le jeune espion savait qu’il était inutile de l’attaquer, sa main attachée l’empêcherait d’être libre de ses mouvements et, même s’il mettait l’homme K.O, il ne parviendrait pas à s’enfuir. Il déclara :
– J’ai faim.
L’homme sembla comprendre :
– Sì, sta arrivando.
Paul comprit qu’il allait enfin pouvoir manger, on n’allait pas le laisser mourir de faim. Il continua :
– Qui êtes-vous ?
L’inconnu ne répondit pas. Paul tenta :
– Moi, Thomas. Vous ?
– Thomas ? Ti chiami Paul.
– Paul ? Ti Paul ?
– No.
L’homme désigna le jeune espion :
– Paul.
– No, Thomas.
L’inconnu parut perplexe. La stratégie de Paul faisait son effet.
Comme il avait été appelé par son prénom sur le campus, il se doutait que c’était lui spécifiquement que cherchaient ses ravisseurs. Il allait tenter de leur faire croire qu’ils se trompaient. Cela semblait fonctionner.
La porte s’ouvrit à nouveau, un autre homme, qui paraissait plus jeune, portait un sac plastique. Il en sortit une bouteille d’eau et deux sandwiches qu’il posa à côté de Paul :
– Mangiare. Arriviamo tra cinque ore.
Les deux hommes ressortirent. Paul se rua sur le premier sandwich. Il mangea doucement, repensant à la phrase de l’inconnu. S’il avait bien compris, il leur restait cinq heures de route. Il se demanda où on l’emmenait. Ses ravisseurs semblaient prendre soin de lui malgré tout. Ils devaient aussi, à en croire leur langue, aller en Italie.
Paul espérait un moyen de prévenir son école mais cela semblait compromis.
La camionnette avait redémarré, le voyage reprenait.
Maintenant que Paul en savait plus sur la durée restante du trajet, il arrivait à être plus détendu. Il se doutait qu’on lui avait donné à manger pour le midi. Il avait donc passé une nuit correcte de sommeil.
Ce qui l’inquiétait, c’était la distance. Si ses calculs étaient bons, il était parti vers une heure du matin du campus, il était midi et ils allaient rouler encore cinq heures, soit seize heures de route. Il en était de plus en plus persuadé, il était emmené en Italie.
Le jeune espion n’eut d’autre choix que de prendre son mal en patience.
Le temps lui sembla long et, sans aucune indication, il fut rapidement incapable de savoir combien de temps s’était écoulé depuis le déjeuner.
Après ce qui lui parut être une éternité, la camionnette roula plus doucement puis, après quelques minutes, s’arrêta.
La portière arrière s’ouvrit sur les deux hommes qui montèrent auprès de Paul.
Pendant que le premier détachait les menottes, le second surveillait le jeune espion.
Paul savait qu’il ne pouvait pas fuir, ce n’était pas le moment.
Il fut conduit à travers une cour dans laquelle était garée la camionnette. Une odeur agréable régnait, Paul ne devait pas être loin de la mer.
On le fit entrer dans un grand bâtiment, une vieille maison délabrée en forme de cube.
Il fut conduit à l’étage et jeté dans une pièce.
L’homme à la balafre ferma la porte puis un verrou.
Paul observa la pièce, il était dérouté.
Habituellement, on l’enfermait dans des cellules sécurisées, dans lesquelles il n’avait qu’un lit, lorsqu’il n’était pas fermement attaché à une chaise.
Cette fois, c’était une pièce tout à fait convenable. Les murs décrépits par le temps avaient un côté chaleureux, tout comme le parquet au sol.
Une fenêtre laissait entrer la lumière et, malgré les barreaux, donnait une vue agréable sur la mer.
Le mobilier n’était pas récent et était rudimentaire. Paul passa le regard sur une vieille commode vide, un lit étroit qui n’avait pas dû servir depuis un long moment et un petit bureau avec une chaise en bois.
Paul s’assit sur le lit, il n’était pas inconfortable bien qu’il ait connu mieux.
L’espion reconnut qu’il n’était finalement pas nécessaire d’avoir des pièces hautement sécurisées pour le tenir enfermé. Il avait beau chercher, impossible de sortir.
Paul remarqua qu’il n’était pas inquiet, comme si ses ravisseurs avaient tout fait pour le mettre à l’aise et le rassurer. C’était peut-être pour cela que Paul avait envie d’en savoir plus sur eux et qu’il était décidé à ne pas s’enfuir pour le moment.
Il se leva tout de même pour observer la porte. S’il voulait la briser, il devrait y parvenir sans trop de difficulté. Cependant, pour cela, il était préférable de savoir ce qu’on pouvait trouver derrière.
Paul décida d’attendre.
Le soir, on vint lui servir son repas, visiblement préparé sur place. C’était bon, un plat de pâtes et une viande qui devait être du veau.
Paul profita de ce moment pour demander :
– Qu’est-ce que je fais là ?
L’homme qui lui avait servi à manger fit un signe avec les mains que Paul comprit comme une invitation à attendre. L’inconnu ajouta :
– Resta qui fino a domani.
Paul acquiesça. Il avait compris qu’il ne fallait rien espérer avant le lendemain.
Pour combler l’ennui, il décida de se coucher rapidement et se perdit dans ses pensées. Au moins, il pourrait dormir et être le plus reposé possible le lendemain.
Paul fut réveillé par le bruit de la porte qui s’était ouverte. L’un des Italiens lui apportait un café et du pain.
Le jeune espion se leva et mangea.
Une demi-heure plus tard, la porte s’ouvrit à nouveau. C’était un jeune homme qui semblait nerveux, les cheveux châtains et courts. Il salua l’espion :
– Bonjour Paul, cela fait longtemps qu’on ne s’est pas vus.
Paul reconnut son interlocuteur :
– Bonjour Enzo. Alors c’est toi qui m’as enlevé.
Enzo n’avait pas changé depuis que Paul l’avait connu dans les Alpes, pendant l’une de ses missions qui l’avait conduit à être kidnappé par les frères Ruggieri, l’oncle et le père d’Enzo, tués par Thomas qui avait mis fin à la croissance de la Camorra sur le sol français.
Enzo répondit :
– Si on veut. J’avais quelques questions à te poser.
Le ton était calme. Paul ne se sentait pas en danger :
– Je ne sais pas si je pourrais y répondre.
– Je suis sûr que tu pourras, la question est très simple, qui es-tu ?
Paul reprit l’identité qu’il avait dans les Alpes, la seule que connaissait Enzo, en imaginant les études qu’il pouvait maintenant suivre :
– Je m’appelle Paul Beeckman, je suis en deuxième année d’étude de géopolitique. Et toi ? Qu’est-ce que tu deviens ?
Enzo sourit :
– Après l’assassinat de mon père et de mon oncle, il a fallu que je reprenne l’affaire familiale, pas besoin d’étude pour cela.
– Tu diriges la famille, c’est bien.
– Qui a tué mon père ?
Paul haussa les épaules :
– Aucune idée, la police ?
– Pourquoi tu as disparu ? Comment tu as réussi à t’enfuir ?
Paul comprit qu’Enzo n’avait aucune idée de ce qu’il s’était passé lorsque les frères Ruggieri l’avaient kidnappé. Il pensait toujours que Paul était un adolescent sans histoire, qui avait mal fait l’une des tâches qu’on lui avait demandées et que, pour cela, il aurait dû être puni. Le jeune italien ne savait pas que c’était Thomas qui avait descendu les deux parrains ni même que la couverture de Thomas avait été découverte. Une chance.
Paul mentit :
– Je n’ai pas disparu, j’étais blessé, je suis allé à l’hôpital et en sortant, mon frère m’a dit qu’on déménageait.
– Ton frère, c’est vrai. Comment va-t-il ?
– Bien, j’imagine.
– J’ignorais que vous aviez passé la frontière pour vous installer en Suisse, c’est un joli château que vous avez.
Paul fit le rapprochement avec ses vacances avec Thomas. C’est là où la mafia les avait repérés. Contrairement à ce que les espions avaient pensé, ils n’avaient pas semé leurs poursuivants et avaient été repérés et observés. Paul voulut s’assurer que sa théorie était la bonne :
– C’était vous qui nous suiviez ?
– Oui, un curieux hasard, l’un de mes hommes qui était près du lac Léman t’a repéré. J’avais justement fait circuler une photo de toi après la mort de mon père. C’est une maison de vacances, c’est ça ?
– Oui.
– Et ton frère, où vit-il ?
– Je ne sais pas.
Enzo s’étonna :
– Tu ne sais pas où vit ton frère ?
– Non, j’ai ma chambre sur mon école, je ne vois pas mon frère tous les jours et quand je suis en vacances on va souvent en Suisse. Comment vous avez trouvé mon école ?
– Grâce à ton frère, justement. On vous a suivi depuis la Suisse. On a d’abord été surpris qu’il te dépose quelque-part, dans un immeuble, avant qu’il n’aille autre part. C’était étonnant de savoir que vous ne viviez pas ensemble. On a perdu sa trace mais toi, on t’a suivi jusqu’à ton école. D’ailleurs, qui sont les personnes qui t’accompagnaient ? Je pensais que tu n’avais pas de parents.
La couverture de Paul était de plus en plus compliquée à préserver. Il inventa :
– Mon oncle et ma tante, je vais parfois chez eux.
– Intéressant. Donc si je résume, tu es un adolescent sans histoire, qui fait des études de géopolitique, passe ses vacances avec son frère, vit dans son école et voit parfois son oncle et sa tante ? Rien d’autre ?
– Non, rien d’autre.
– Qui a tué mon père ?
Paul insista :
– Je t’ai dit que je ne le savais pas. J’étais blessé et je suis parti avant qu’il soit tué.
– Comment tu t’es blessé ?
– Un des hommes de ton père m’a tabassé.
Enzo sourit :
– Je devrais peut-être faire pareil.
Paul s’agaça :
– Pourquoi je suis là ? Qu’est-ce que tu me reproches en fait ?
– Je te reprochais d’avoir tué mon père. Tu es le dernier à l’avoir vu en vie.
– Moi ? Pourquoi j’aurais fait ça ?
– Je me suis toujours méfié de toi, tu aurais pu être un infiltré.
– C’est tordu.
– Tu es peut-être innocent, c’est vrai. Mais maintenant tu es à moi et je compte bien en profiter.
Paul s’inquiéta :
– Comment ça ?
– Je ne vais pas te laisser partir si facilement, pas gratuitement. Nous allons envoyer un petit message à ton oncle pour qu’il paye ta liberté.
Paul pensa à ses parents. S’ils recevaient cette demande, ils mourraient d’inquiétude. Il fallait à tout prix empêcher ça :
– Ils n’ont pas d’argent.
Enzo sembla déçu :
– Ha. Ton frère alors, s’il n’en a pas non plus, il revendra son château et sa Ferrari !
Paul sourit, il avait réussi à faire en sorte de protéger ses parents :
– Ça dépend de la somme.
– Mais il y a un problème, nous ne savons pas où il vit.
Paul savait qu’il devait faire en sorte que Thomas soit prévenu et le seul endroit était le campus. Il répondit :
– Pourquoi vous ne prévenez pas mon école ?
– C’est pas ton école qui paiera.
– Non, mais ils transmettront à mon frère. En plus, ça mettra un peu plus la pression de savoir qu’un élève a été enlevé dans une école, vous pourriez jouer là-dessus.
Enzo ne comprit pas où Paul voulait en venir :
– Comment ça ?
– Envoyez leur une lettre, dites-leur que vous avez enlevé un élève et que vous demandez une rançon et insistez sur le fait que s’ils ne le font pas, vous annoncerez publiquement qu’un élève a été enlevé dans leur établissement. Ça leur fera une mauvaise publicité et plus personne ne voudra aller chez eux, moins d’argent et l’école coulera. Ils ne laisseront pas faire ça. Ajoutez que vous voulez que mon frère paye la rançon. C’est le plan idéal.
Enzo s’amusa :
– C’est pas bête ! Mais attend, pourquoi tu nous aiderais ?
Paul haussa les épaules :
– J’aime pas cette école, et si tu me donnes un pourcentage…
– Finalement, je me suis peut-être trompé sur ton compte, tu as l’air d’être fait pour bosser avec nous.
– Je te l’avais dit.
– Pourquoi tu as trahi mon père dans ce cas ? Il parait que tu n’as jamais tué le directeur du casino.
– Il s’était enfui, je n’ai rien pu faire.
– Tu avais alerté quelqu’un ?
Paul se défendit :
– Non ! C’est un hasard.
Enzo était en confiance, au-delà de ne pas être très réfléchi. Il crut Paul sur parole et conclut :
– Je te laisse, on va préparer cette lettre. Je repasserai te voir de temps en temps, j’aime bien discuter avec toi.
Paul avait fait ce qu’il fallait.
Enzo avait envoyé sa demande de rançon directement à l’Aigle et nul doute que Thomas avait été alerté.
Cependant, le temps paraissait long. La pièce était agréable mais Paul commençait à en avoir assez de regarder la mer à longueur de journée. Il enviait les baigneurs qui se risquaient à entrer dans l’eau qui devait être fraiche en plein mois de novembre.
Heureusement, il faisait beau, une petite consolation pendant ce quatrième jour d’enfermement.
Paul était bien traité. Trois repas par jour, du linge propre et il n’était quasiment jamais dérangé.
C’est ce quatrième jour qu’il revit Enzo, visiblement satisfait en entrant dans la pièce :
– Bon, Paul, nous avons déposé la lettre hier. C’est amusant cette école au bout d’un long chemin et fermée par une grille. On dirait une prison mais pour personnalités importantes. Un peu comme ici !
Paul n’avait pas envie de rire :
– Tu y es allé ?
– Pas moi, j’ai envoyé quelqu’un là-bas, il a pris des photos. Mais il n’a pas pu entrer, simplement déposer la lettre à l’entrée.
– Tu as demandé quoi ?
– Je me suis dit que tu valais cinq cent mille euros, j’imagine que ton frère devra se passer de sa belle voiture. Mais, il n’avait pas une Mercedes avant ?
– Si, il l’a toujours.
Enzo sembla déçu :
– J’aurais dû demander plus. Enfin bon, de toutes manières, c’est juste un cadeau.
– Comment ça ?
– Tu ne vas pas vraiment partir.
Paul sentit son cœur s’accélérer :
– Pourquoi ?
Enzo sembla surpris :
– C’est toi qui m’as dit que tu n’aimais pas ton école, je te donne une partie des gains et tu restes avec moi.
– Quoi ? Mais j’ai juste dit qu’elle ne me plaisait pas, pas que je voulais partir pour vivre une vie de mafieux en Italie !
Enzo haussa les épaules :
– C’est ce que j’avais compris. Je vais devoir te libérer alors ?
– J’y compte bien !
Devant l’agacement de Paul, Enzo se résigna :
– Bien, bien.
Le jeune espion pensa que son ravisseur n’avait pas encore tout d’un chef mafieux. Il s’inquiéta cependant :
– Et s’il ne paye pas ?
Enzo se mit à réfléchir un instant, il n’avait visiblement pas envisagé cette option :
– S’il ne paye pas… Je vais te garder et tu travailleras pour moi jusqu’à ce que tu puisses me rembourser. Ça te parait juste ?
Le fait qu’Enzo inclue Paul dans toutes ses décisions et lui demandait son avis montrait son peu d’assurance. Paul en profita pour tenter de paraitre plus crédible encore :
– Ça pourrait être une bonne idée mais il y a un problème, tu as bien vu que je ne suis pas bon en homme de main. Par contre, je ne suis pas mauvais pour réfléchir et j’ai remarqué que tu hésitais parfois. Je serai plus utile en tant que ton conseiller, sans compter que cela me permettra de gagner un peu plus et de te faire gagner plus.
Enzo regarda le gardien de Paul qui était entré dans la pièce et lui fit signe de sortir.
Lorsqu’il fut seul avec Paul, Enzo s’assit sur le lit :
– C’est vrai, tu n’es pas bête. Mais un prisonnier qui devient consigliere, c’est du jamais vu, il faut monter les échelons pour cela.
Paul n’eut pas de mal à argumenter :
– Au contraire, cela te permettra d’asseoir ton autorité en te démarquant, tu m’auras enlevé en sachant que j’étais bon et tu m’auras recruté pour mon talent, pas pour mon mérite.
– Non, je suis déjà mal vu ici, beaucoup pensent que je suis là uniquement car j’ai pris la place de mon père alors que certains capos étaient mieux placés. Ce serait risqué.
– Ou ça permettrait de faire le ménage.
– Comment ?
– Si certains de tes propres capos en ont après toi, je pourrais savoir de qui il s’agit et te les signaler.
– Ils ne te feront pas confiance, surtout si tu es consigliere. Par contre, ça m’intéresse de savoir qui ils sont. Ta posture de prisonnier est parfaite, ils penseront que tu es forcé de travailler pour moi et tenteront de te retourner contre moi. Pas bête !
– Tu as raison, mais j’accepterai uniquement à une condition.
– Laquelle ?
– Seulement si mon frère ne paye pas.
Enzo fit la moue :
– Bon, bon d’accord. Mais il n’a pas beaucoup de temps. Il doit m’appeler demain.
– T’appeler ?
– Oui, j’ai donné un numéro de téléphone pour qu’il me donne sa décision. Mais je ne suis pas traçable, ne t’inquiètes pas.
Paul sourit :
– Il t’appellera.
– On verra. Bon, je dois y aller. A très bientôt, Paul.
Le jeune espion retint Enzo :
– Attends.
– Oui ?
– Tu pourrais me laisser me balader de temps en temps ? J’en peux plus de cette pièce.
– Ok, mais pas longtemps. Dix minutes par jour maximum.
– Vingt ?
– Quinze.
– Va pour quinze. J’irai dans l’après-midi.
Enzo quitta la pièce. Paul était soulagé de pouvoir sortir. Il n’allait pas tenter de s’évader, il aurait quoi qu’il arrive de nombreuses occasions de le faire si Thomas ne venait pas ou ne payait pas. Le simple fait qu’Enzo lui ait promis une pseudo-liberté pour travailler lui suffisait.
Plus il y pensait et plus Paul s’amusait d’Enzo, il était tellement peu à l’aise qu’il allait donner à son prisonnier l’occasion de travailler pour lui et, dans une certaine mesure, lui faire assez confiance pour l’aider.
Enzo entra dans la chambre de Paul :
– Il va payer ! On a rendez-vous samedi prochain. Bon, toi tu vas être libéré, ce qui ne m’arrange pas, mais moi, je vais me faire cinq cents magnifiques billets.
Paul regarda Enzo ahuri :
– Tu as eu mon frère au téléphone ?
– Oui, il m’a dit qu’il paierait et qu’il ne préviendrait pas la police. J’aime quand ça se passe comme ça !
Paul sourit devant l’inconscience d’Enzo :
– Bon, c’est une bonne nouvelle, et moi je serai libre dans quelques jours.
– Oui, si tout se passe bien et que j’ai mon argent.
L’espion ne répondit pas, laissant Enzo continuer :
– J’allais oublier, il m’a dit de te dire bonjour, d’être patient et de ne pas s’inquiéter, qu’il s’occupait de tout.
Paul fut soulagé de cette nouvelle qui était aussi un moyen de savoir qu’il n’aurait rien à tenter en attendant sa libération. Il se demanda tout de même si Thomas comptait payer ou s’il allait venir accompagné pour s’occuper d’Enzo et de la petite famille mafieuse.
Enzo était de plus en plus aux yeux de Paul comme une personne jouant à faire semblant d’être ce qu’il n’était pas, un chef de la mafia.
Enzo quitta Paul et ne revint que le samedi suivant :
– C’est l’heure, on y va.
Paul s’étonna :
– Ce n’est pas lui qui vient ?
– On s’est donné rendez-vous, on n’allait pas le laisser venir ici.
Paul se laissa guider jusqu’à la camionnette dans laquelle il avait été conduit. Cette fois, les mafieux ne prirent pas la peine de l’attacher. Enzo était monté à l’avant, à côté du chauffeur, tandis que deux autres mafieux étaient avec Paul.
Le rendez-vous avait été fixé à vingt-deux heures près de la ville d’Amalfi, près de Naples, à une demi-heure de route de l’endroit où Paul était détenu. Les mafieux arrivèrent une demi-heure avant afin de voir Thomas arriver.
Les phares de la Mercedes les éclairèrent avant que la voiture ne se gare.
Thomas coupa le moteur et descendit de la voiture. Il semblait détendu. Il prit un sac sur le siège passager et s’avança.
Deux hommes de main entourèrent Paul, derrière Enzo.
Thomas tendit la main :
– Bonjour, je suis Thomas, le frère de Paul.
Enzo se méfia :
– Tu es venu seul ?
– Oui, comme prévu.
– Tu as l’argent ?
– Dans le sac.
– Il y a combien ?
– Cinq cent mille. Vous pouvez libérer mon frère maintenant ?
Enzo voulut se montrer plus ferme :
– Pose le sac et écarte toi.
L’atmosphère s’était tendue. Thomas posa doucement le sac et recula de quelques pas.
Un des hommes de main s’avança et le prit. Paul se sentit doucement écarté de la scène.
Soudain, Enzo sortit une arme qu’il pointa vers Thomas :
– Bouge pas.
Paul fut conduit à l’arrière de la camionnette. Tous remontèrent sans un bruit. Enzo gardait Thomas dans sa ligne de visée. Il monta le dernier et la camionnette démarra.
Enzo avait pris le sac et voulait maintenant garder Paul.
Le jeune espion ne pouvait pas voir ce qu’il se passait dehors. Il était assis à côté d’un des hommes de main, un second face à lui. Le seul indice était la vitesse de la camionnette qui tentait de fuir. Paul trouva cela idiot. Thomas, avec sa voiture puissante, n’aurait aucun mal à les suivre.
Soudain, la camionnette tangua. Paul crut qu’elle allait se renverser mais elle retrouva l’équilibre. Elle avait juste été déstabilisée un instant.
Enzo ordonna par une petite trappe que Paul n’avait pas encore remarquée, sur la paroi entre lui et les passagers :
– Uccidilo.
L’homme face à Paul ouvrit soudain la porte arrière en sortant son arme. Caché par la seconde porte, Paul ne pouvait pas voir ce qu’il se passait.
L’homme visa tant bien que mal et s’apprêta à tirer.
Paul, dans un réflexe, lança son pied en avant et déséquilibra le tireur qui tomba sur le sol du camion.
Paul sentit l’étreinte du second garde autour de sa taille. En une fraction de seconde, le jeune espion fut menotté comme lors de son enlèvement, les jambes elles-aussi entravées. Il n’avait rien pu faire tant la force de son adversaire était supérieure à la sienne.
Le tireur s’était relevé. Cette fois, il prit moins de temps pour viser et tira.
A son visage agacé, Paul comprit qu’il avait raté sa cible.
Une deuxième balle fusa, visiblement sans plus de succès.
L’homme n’eut pas le temps de tirer une troisième fois. Son visage changea soudain d’expression et passa de la concentration à la surprise. Un claquement retentit et l’homme fut projeté en arrière.
La tête du tireur avait été traversée par une balle qui avait coupé court à ses tentatives de tir.
Quelques gouttes de sang avaient éclaboussé la paroi entre les places avant et Paul.
L’autre garde, installé à côté du jeune espion, sembla tétanisé. Il reprit ses esprits et s’arma lui aussi. Il ouvrit l’autre portière arrière de la camionnette et s’assit derrière Paul, l’arme braquée vers l’extérieur.
Paul put enfin voir ce qu’il se passait à l’extérieur. Thomas était au volant de sa voiture, arme à la main. Il semblait déterminé.
Le jeune espion le vit à nouveau pointer son arme vers la camionnette.
Thomas tira pour la deuxième fois.
La camionnette fit une embardée et sortit de la route.
Impossible pour les calabreses de continuer. Ils descendirent du véhicule.
Paul fut détaché. Enzo le maintenait fermement et le fit descendre.
Thomas s’était arrêté. Il pointa son arme en avant.
L’homme de main qui avait été à côté du jeune espion leva la sienne vers Thomas qui fut plus rapide et le tua d’une balle dans le torse.
Il ne restait que deux mafieux, Enzo et son conducteur.
Thomas visa Enzo qui tenait encore Paul :
– C’est fini, lâche-le où tu y passes aussi. Tu es tout seul.
Enzo regarda son chauffeur. Désarmé, ce n’était pas lui qui allait l’aider, il ne semblait pas en avoir envie non plus.
Enzo tenta :
– Et si Paul n’en a pas envie ? S’il préfère rester ici ?
– Si c’était le cas, tu n’aurais pas besoin de le tenir comme ça.
– C’est ce qu’il va se passer, Paul reste avec nous.
La fenêtre de tir était limitée, Enzo était entièrement protégé par Paul. Malgré toute la précision de Thomas, tirer reviendrait dans la plupart des cas à tuer Paul.
Le jeune espion profita cependant de ne plus avoir les menottes. Il saisit le bras d’Enzo qui l’enserrait et le plia, surprenant Enzo. En une demie seconde, Paul s’était libéré de l’étreinte, tenant toujours le bras d’Enzo dans sa main. Il avait le choix. Dans cette position, il pouvait le mettre à genoux ou lui casser le bras. Il fit le choix de la première option. Enzo était maitrisé et à genoux. Paul ne fit pas l’erreur que son agresseur avait commise et lui passa les menottes.
Enzo brailla quelques mots en italien à l’intention de son chauffeur qui regarda la scène et s’enfuit en courant. Cette fois, Enzo était seul.
Thomas s’avança et s’adressa au mafieux :
– C’est terminé.
La rage pouvait se lire dans les yeux d’Enzo.
Thomas s’approcha de la camionnette et récupéra le sac qu’il avait apporté et qui contenait l’argent pour la libération de Paul. Il s’approcha à nouveau :
– Tu vois, c’était un mauvais calcul, tu pouvais repartir avec le sac, tu as perdu les deux.
Thomas se tourna vers Paul :
– Viens, on s’en va.
Paul regarda le mafieux et demanda :
– Et lui ?
Thomas eut un sourire satisfait :
– Lui ? La liberté sera bien plus humiliante que la prison. De toutes manières, il n’a pas grand-chose à son actif.
Sur ces mots, Thomas s’éloigna d’Enzo, menotté et à terre, puis monta dans sa voiture. Paul le suivit.
La Mercedes Classe E bleu nuit démarra, longeant le Vésuve et la côte Amalfitaine.
Paul demanda :
– On a combien de temps de route ?
– Quinze ou seize heures.
C’était long. Paul hésita à évoquer son kidnapping mais c’était sans doute le meilleur moment :
– Merci d’être venu.
Thomas haussa les épaules :
– Je n’allais pas te laisser te faire kidnapper sans agir. Heureusement que c’est moi qui ai reçu la lettre avec la demande de rançon.
– Ha ? Comment ils ont su ton nom ?
– C’était mon nom de couverture, mais comme l’accueil ne le connaissait pas, ils ont laissé la lettre en évidence en espérant que quelqu’un se reconnaisse.
– Tu as prévenu l’Aigle quand même ?
– Non, ça aurait pris du temps et je ne voulais pas les inquiéter. Seulement une partie du campus est au courant et m’a laissé faire en gardant le silence.
Paul comprit où Thomas voulait en venir :
– Tu ne voulais pas inquiéter mon père ?
– Oui, entre autres.
Paul laissa passer un instant puis demanda :
– Tu crois qu’il reviendra ?
Thomas s’amusa :
– Enzo ? Il est défait. Le peu d’hommes de main qu’il avait vont le fuir après ce qu’il s’est passé et les autres familles le considéreront comme un moins que rien. Son père avait l’air au moins d’être respecté, Enzo lui n’a plus qu’à changer de carrière ou travailler pour un autre… Si personne ne profite de l’occasion pour le supprimer.
– Pourquoi tu ne l’as pas arrêté ? Il y avait quand même quelques preuves.
– Ça n’aurait servi à rien, dans sa condition actuelle, il n’est plus rien. S’il allait en prison, cela lui aurait donné du crédit et, une fois sorti, il aurait sans doute eu plus de pouvoir encore. Là, il ne le retrouvera jamais.
– C’est Antoine qui t’a prévenu ?
– Oui, on a tenté de te rattraper mais c’était impossible on ne savait pas où vous étiez partis.
– Comment ils sont entrés sur le campus ?
– Je crois que c’est leur seul coup de génie, ils ont réussi à déjouer la surveillance et à profiter d’une faille du parking pour entrer dans le hall puis dans la cour sans être vus. Ils n’auraient pas pu aller beaucoup plus loin mais tu es arrivé à ce moment-là, ils ont eu de la chance.
– Ok. Du coup tu allais payer ?
– Non, le sac ne contient pas un seul billet. C’était pour gagner du temps mais je ne pensais pas qu’ils réagiraient comme ça. Finalement ce n’était pas si mal.
Paul resta silencieux.
Des haut-parleurs sortaient de la musique en espagnol.
Thomas, comme s’il avait vu que Paul écoutait, demanda :
– Tu veux que je baisse le son ?
– Non, ça ne me dérange pas. Ça raconte quoi ?
– C’est un peu compliqué, l’histoire d’un damné et du pécher. Le refrain dit qu’il est l’inverse de ce qu’on voit.
Paul taquina son ainé :
– Ha oui, un peu comme toi ? Tu as l’air gentil mais tu assassine des gens.
D’une voie lasse, Thomas répondit :
– C’est ça… Un peu comme moi.
– Désolé, c’était une blague.
Thomas sourit :
– Je sais, ne t’inquiète pas, je suis juste un peu fatigué.
– Tu veux t’arrêter ?
– Non, on s’arrêtera plus tard, j’aimerais bien ne pas arriver dans trois jours.
Paul se laissa bercer. Il se réveilla lorsque le soleil pointait au loin sur la campagne toscane :
– On est près de Florence ?
– Oui.
– J’aime bien cette ville.
– Moi aussi.
– On arrivera vers quelle heure ?
– Vers vingt et une heure en comptant les pauses.
– Ça ira tu es sûr ?
– Oui, je vais m’arrêter prendre un petit déjeuner.
Malgré la fatigue, Thomas fit la route jusqu’au campus. Ils arrivèrent après diner, le soir.
Epuisé par la route, Paul préféra retrouver sa chambre plutôt que ses amis. Il aurait bien le temps de les voir le lendemain.
Il n’entendit même pas Antoine rentrer. Paul s’était endormi rapidement.
Le lendemain matin, Paul fut questionné par son ami Antoine à qui il raconta ce qu’il s’était passé. Il raconta cette histoire aussi à ses amis, en particulier lors de la pause déjeuner.
Paul était content de retrouver les cours, sa captivité avait eu beau être confortable, cela avait été une expérience stressante et il parvint, au fil de la semaine, à retrouver sa sérénité.
Il fut tout de même moins précis dans son récit avec Maxime, préférant une version plus sympathique d’un repérage pour une mission. Il ne voulait pas l’inquiéter et lui faire penser que sa scolarité pouvait être ponctuée d’expériences comme celle qu’il avait vécue. Les risques étaient de plus assez minimes pour son cousin.
La classe de Paul s’était inquiétée de son absence et tous étaient soulagés de le voir revenir.
Paul eut le plaisir, deux jours plus tard, alors qu’il était au foyer avec Antoine, Damien et Louis, d’être rejoint par Arthur.
Leur ami était accompagné d’une jeune fille au visage fin. Ses cheveux longs et noirs étaient noués derrière sa tête. Ses sourcils fins surplombaient deux yeux en amande grands ouverts, révélant sa curiosité.
Son nez fin terminait sur un philtrum à peine creusé et une bouche légèrement pincée, indiquant une légère appréhension.
Paul regarda le chemisier impeccablement blanc de la jeune fille et son pantalon d’un noir profond qui faisait une dualité remarquable.
Arthur la présenta :
– Voici Lian.
L’intéressée s’inclina en avant en signe de salut, reprit par les trois autres étudiants.
Louis reprit :
– Re-bonjour Lian !
La jeune fille eut un sourire :
– Re-bonjour Louis.
Arthur réalisa :
– C’est vrai, vous vous connaissez déjà, vous êtes dans la même classe !
Arthur invita Lian à s’asseoir et lui commanda un thé. Paul en profita pour faire connaissance avec cette nouvelle arrivante :
– Ça se passe bien sur le campus ?
La voix Sotto-voce et légère de Lian, encore timide, se fit entendre :
– Oui, très bien. Les cours sont intéressants.
Elle ajouta :
– Je suis heureuse d’enfin vous connaître. Arthur m’a beaucoup parlé de vous et nous n’avons pas eu l’occasion encore de nous voir.
Doucement, Lian était plus à l’aise avec les autres étudiants. Ils furent rejoints par Lucy qui l’accueillit aussi chaleureusement que ses autres amis.
Paul remarqua, pendant la discussion, que son ami Arthur avait changé. Il n’était plus l’étudiant parfois agaçant qu’il avait été. Plus calme et posé, il avait évolué au fil des années.
Il restait bien entendu un excellent élève en classe, sans doute le meilleur dans un grand nombre de matières, mais il le montrait moins qu’auparavant.
Physiquement, il n’était plus le même et Paul voyait les changements qui opéraient lentement. Plus épanoui, il avait délaissé les cheveux courts pour une coiffure mi-long. Ses cheveux raides se terminaient par des pointes, tombant parfois sur son visage, lorsqu’il ne les remontait pas. Ses cheveux roux clairs avaient laissé place à un rouge plus profond faisant ressortir ses yeux verts et ses taches de rousseurs qui s’étaient faites plus discrètes. Le changement s’était opéré doucement au fil des années. Son physique d’adolescent chétif avait aussi évolué vers celui d’un jeune homme sportif, grand et assuré.
Dans le groupe d’amis, c’est sans doute lui qui avait le plus changé en cinq ans. Lian et lui formaient un beau couple.
Lian, qui, après quelques minutes, était devenue plus à l’aise, était dotée d’un esprit fin et réfléchi. Ses traits d’humours étaient toujours juste et jamais dans l’attaque d’une personne. Toujours discrète, Paul l’apprécia dès ses premiers échanges avec elle, en particulier pour la sérénité et la gentillesse qu’elle dégageait. Elle n’avait aucun besoin de se forcer pour cela.
Lian s’intégra rapidement dans le groupe d’amis. Les jours suivants, il n’était pas rare de la voir et, lorsque ce n’était pas le cas, c’était Arthur qui partait la rejoindre.
C’est aussi naturellement que Lian se joignit à eux pour la fête de Noël organisée par les élèves de la classe de Paul, dont Damien et Lucy.
C’est à ces occasions que les élèves de cinquième année réalisaient que le campus leur manquerait. C’était la dernière fête de Noël à laquelle ils participeraient.
Les organisateurs avaient tout préparé au mieux. Le temps froid de l’hiver ne leur permettait pas de profiter des extérieurs, ils décidèrent donc, comme chaque année, de faire le repas au self. Cependant, plutôt qu’un repas traditionnel à table, ils avaient préféré un grand buffet qui eut l’air de ravir certains élèves.
Ces soirées étaient toujours pour les élèves l’occasion de faire une parenthèse dans leur vie étudiante. Il était plus simple pour eux d’en profiter pour discuter de sujets divers, et apprendre à mieux se connaitre.
Au cours de la soirée, le groupe d’amis profita du dessert pour apprendre à connaître Maxime.
Il s’était rapidement intégré à sa classe et s’était habitué au campus malgré sa timidité qui rappelait celle de Paul à ses débuts dans cette école.
Pour Antoine, les deux cousins étaient presque des copies conformes.
Maxime était doué en cours et en sport, s’entendait bien avec tout le monde mais avait un côté craintif qui le rendait, selon Lucy, plus humain que son cousin.
Régulièrement, il s’adressait à ses ainés au sujet de ses cours, de ses examens, ou de ce qui l’attendrait pendant sa scolarité.
Sa présence auprès des élèves de cinquième année lorsqu’il en avait l’occasion, lui avait permis de connaitre les camarades de Paul qui l’appréciaient et en avait presque fait leur mascotte.
Cette fête de Noël était une réussite. Tous les élèves du campus passèrent un bon moment. Seul Antoine eut un moment de tristesse que Paul remarqua et réussit à estomper. L’absence de Clément était encore vive chez lui.
Les cinq amis de cinquième année, Lian, Louis et Maxime discutèrent ensemble même après que la plupart des élèves eurent rejoint leur chambre.
Les élèves de cinquième année avaient voulu veiller un peu plus longtemps et Thomas fut bienveillant à leur égard, tout comme Mike concernant Lian et Louis.
C’est donc fatigué que tous se retrouvèrent le lendemain matin pour partir en vacances.
Sur le parking, un groupe de quatre personnes discutaient. Paul s’approcha de ses parents, de son oncle et de sa tante et les salua. Ils attendirent Louis et Maxime.
Les deux élèves de cinquième année montèrent dans la voiture de Frank afin de rejoindre Paris.
Une fois arrivé, Paul profita d’un moment où sa mère s’était éloignée pour demander à son père :
– Tu savais pour Maxime ?
Frank eut l’air étonné que son fils lui pose la question :
– Oui, mon frère m’en avait parlé.
– Vous auriez pu me prévenir.
Frank haussa les épaules :
– Je n’y ai pas pensé, je l’ai su quelques jours avant la rentrée. Au moins ça t’a fait une belle surprise !
Paul ne sut si cet argument était réellement valable mais n’insista pas.
Les vacances furent reposantes. C’était la première fois que la famille Osinski fêtait Noël sans Pawel, le grand-père de Paul décédé quelques mois plus tôt. Pourtant, les deux fêtes de fin d’années furent joyeuses et belles.
Paul discuta plus que d’ordinaire avec son cousin Maxime. Ils partageaient maintenant un peu plus qu’auparavant. Paul trouvait que son cousin était plus mature et que leurs discussions étaient plus intéressantes que par le passé.
Bien sûr, Paul vit Louis plusieurs fois pendant les vacances dont une fois accompagné de Maxime qui se joignit à eux, n’habitant pas loin de chez Paul.
Si le mois de janvier avait toujours été celui que Paul appréciait le moins, les examens qui se tenaient dès la deuxième semaine du retour des élèves aidaient à ne pas y penser.
Les professeurs avaient insisté sur l’importance de ces épreuves et d’aller au bout de l’année sans relâcher ses efforts.
Paul avait toujours terminé premier de sa classe. Il se souvint que dès le début de son entrée à l’Aigle, certains avaient pariés sur une scolarité parfaite de sa part, qu’il resterait premier tout au long de ses études sur le campus. S’il n’y avait jamais vraiment porté attention, c’était maintenant plus envisageable et il ferait de son mieux pour y arriver.
Les examens se tenaient du mardi au vendredi. Les deux premiers jours étaient les plus chargés avec des évaluations de l’ensemble des connaissances dans les matières enseignées en cinquième année.
Paul n’eut pas de difficulté pour rendre une bonne copie. Il était attentif en cours, participait et avait eu de bons résultats. Un début d’année bien meilleure que le début de sa quatrième année où ses résultats avaient été en deçà de ses capacités.
Il fallut attendre deux semaines pour que les élèves de cinquième année aient leurs résultats. Ils leur étaient remis pendant leur première heure de cours du mercredi. Leur professeur de géopolitique, madame Girard, leur laissa quelques minutes pour les découvrir.
Paul avait une moyenne, pour ses examens, de dix-sept. Il était talonné par Arthur d’un demi-point et Ethan suivait quasiment à égalité.
Pendant ce cours, lorsque chacun des élèves s’était reconcentré sur la matière, ils eurent la visite de leur responsable des études qui les salua et s’adressa à eux :
– Vous venez de terminer votre premier semestre de votre dernière année. Dans moins de six mois maintenant, vous aurez terminé votre scolarité. Je ne doute pas que vous réussirez tous vos examens et que vous serez tous diplômés à la fin de cette année. Aujourd’hui, il va cependant falloir prévoir l’après. Vous avez échappé, pendant votre classe de troisième année, au choix d’une école supérieure ou d’une université. Il va maintenant falloir que vous sachiez quelle carrière vous voulez faire. Je sais que certains ont déjà une idée précise de leur avenir, je sais aussi que d’autres n’en ont aucune idée. Comme chaque année, nous allons recevoir sur le campus des personnes qui seront là pour vous orienter. Ils viennent des différents services de l’espionnage ou de la défense pour se présenter et vous rencontrer. Cette rencontre, qui aura lieu le vendredi avant les vacances de février, sera l’occasion pour vous d’avoir des entretiens individuels avec ces professionnels de la défense. Ce sera un premier contact qui vous permettra peut-être d’intégrer l’un de ces services dès la fin de l’année.
Thomas Duchesne marqua une pause avant de reprendre :
– Si aujourd’hui vous avez des doutes, n’hésitez pas à venir me voir, je vous aiderai à y voir plus clair. Il est possible aussi que certains parmi vous se réoriente vers le civil ou une poursuite d’étude. Dans ce cas, il faudra aussi que nous nous voyions. Vous êtes une très bonne classe, je suis certain que vous saurez rapidement l’orientation qui vous conviendra le mieux. Pour préciser la visite de nos intervenants, vous serez attendus à neuf heures à l’auditorium Victor Hugo. Ne soyez pas en retard bien entendu. En attendant, j’aimerai que quelques-uns d’entre vous viennent me voir ce soir. Ethan, Arthur, Damien, Lucas, Léa et Lucy, vous vous organisez pour avoir un quart d’heure à tour de rôle à partir de dix-sept heures ?
Le responsable regarda la classe de Paul :
– Y a-t-il des questions ?
Personne ne réagit. Thomas Duchesne adressa un sourire à madame Girard et souhaita une bonne journée aux élèves de cinquième année avant de quitter la pièce.
Le silence laissa rapidement place à un murmure qui se fit plus présent.
Antoine se tourna vers Paul :
– Alors, tu vas faire quoi ? Tu es décidé à rester à l’Aigle ?
Le jeune espion répondit en toute franchise :
– Oui, même si j’écouterai ce qu’on nous dira, je sais qu’en fin d’année je signerai mon contrat avec l’Aigle. Et toi ?
Antoine sourit :
– Moi aussi, Thomas et toi m’avez convaincu.
Paul fut satisfait de cette réponse. Bien qu’ils ne travailleraient peut-être pas directement ensemble, savoir qu’Antoine resterait lui aussi à l’Aigle leur permettra sans doute de ne pas perdre contact et de continuer à se croiser. C’est ce qu’ils espéraient tous les deux.
Antoine demanda :
– Pourquoi tu crois qu’ils sont convoqués chez Thomas les autres ?
Paul haussa les épaules :
– Ils font partie des meilleurs et Thomas nous avait dit qu’il leur proposerait de rester aussi. On leur demandera ce soir, en attendant, on ne leur dit rien.
– Ça doit être ça, tu as raison.
Leur professeur coupa toute discussion :
– Bon, on reprend ? Vous discuterez de tout ça après le cours.
Le silence se fit presque instantanément et tous les élèves se reconcentrèrent.
Le soir, Damien, Lucy et Arthur, qui faisaient partie des six élèves appelés, se rendirent à tour de rôle dans le bureau de leur responsable des études. Ils n’eurent pas l’occasion de croiser les trois premiers élèves qui s’y étaient rendus, Lucas, Léa et Ethan. Damien fut le premier à entrer dans le bureau de Thomas Duchesne, accompagné par Lucy qui attendait dans le couloir.
Damien revint auprès de ses amis qui l’attendaient dans le foyer après une vingtaine de minutes. Tous étaient impatient d’avoir la confirmation de la raison de cette convocation, en particulier Arthur qui avait son rendez-vous quelques minutes après.
Il ne lui laissa pas de répit :
– Ça s’est bien passé ?
Damien se laissa tomber dans un grand fauteuil devant ses amis :
– Très bien.
– Pourquoi on nous a convoqué ?
– Je ne sais pas si je te le dis ou si je te laisse le découvrir par toi-même.
Arthur n’était pas amateur de surprises :
– Dis-le moi.
Damien se défendit :
– Mais je ne sais pas si on est convoqué pour la même chose.
– On est convoqué dans le même groupe. Evidemment que c’est pour la même chose !
– Bon, bon. Il m’a demandé si je savais ce que je voulais faire plus tard.
– Et ?
– Il m’a dit que je pouvais continuer à l’Aigle et qu’il préférait que je n’accepte pas de contrat autre-part car il aurait besoin de moi.
Paul se tendit. Il était content pour son ami mais, sans pouvoir l’expliquer, il était soudain agacé que Thomas propose à d’autres élèves de sa classe de continuer à l’Aigle en leur demandant de refuser les autres offres. Pour Antoine, c’était différent, c’est lui qui avait insisté mais si Thomas proposait cela à tous ses amis, bien que ce soit une bonne nouvelle de les retrouver, il avait l’impression que cela remettait en doute ses capacités ou plutôt le fait qu’il soit meilleur que les autres. Le jeune espion argumenta sèchement :
– Tu crois que tu en es capable ?
Damien s’étonna :
– S’il me le propose, j’imagine que oui. Ce n’est pas très différent d’un autre service.
Antoine regarda Paul puis se tourna vers Damien :
– Tu sais ce que tu y feras ?
Damien hocha la tête :
– Il me propose d’être dans le service de recherche générale. Je m’occuperai de collecter des informations et d’enquêter à distance.
Paul eut du mal à desserrer les dents :
– Service Général des Renseignements.
– Oui, c’est ça. C’est bizarre que tu n’aies pas été convoqué toi, Paul.
C’était la phrase de trop. Paul répondit sans aucune sympathie dans sa voix :
– Je n’ai pas été convoqué car Thomas m’en a parlé l’année dernière. Je serai surement sur le terrain et ferai équipe avec lui.
Il avait lâché cette information sans faire attention. Arthur réagit immédiatement :
– Attends… T’es en train de nous dire que Thomas retournera en mission et qu’il t’a choisi comme coéquipier ? Et tu ne nous as rien dit ?
Paul se rendit compte de son erreur et tenta de se rattraper :
– Il n’y a rien de sûr. Il m’a demandé de refuser d’autres contrats pour rejoindre l’Aigle. Il n’a rien annoncé pour le moment sur sa carrière. Je ne voulais rien dire sans qu’il y ait d’annonce officielle. Ça reste entre nous hein ?
– Oui, on ne dira rien, mais ça aurait été sympa de nous prévenir quand même.
Paul argumenta :
– Ça s’est fait en fin d’année, rien d’officiel, c’était pendant la soirée de fin d’année… On s’est baladé et il m’a proposé ça.
Arthur se tourna vers Antoine :
– J’imagine que toi aussi tu vas te balader avec Thomas ?
Antoine se défendit :
– Ha non, j’ai pas cette chance, j’ai dit à Paul que je voulais aller à la DGSE et je suis allé voir Thomas en début d’année. C’est là où il m’a dit que je pourrais rester à l’Aigle.
– Et toi non plus, tu n’as rien dit.
– Je ne savais pas si vous alliez être pris. Ça n’aurait pas été sympa s’il me proposait à moi et pas à vous.
– On verra bien ce qu’il me dit. A tout à l’heure.
Arthur se leva et se dirigea d’un pas décidé vers la sortie du foyer. Damien remarqua :
– Il est vraiment fâché parce que vous avez préféré ne rien dire pour l’Aigle ?
Antoine acquiesça :
– Visiblement. Ça lui passera, je crois surtout qu’il aurait préféré être à la place de Paul.
– Pour se balader avec Thomas ?
– Non, qu’on lui propose en premier. Il a toujours son côté un peu jaloux finalement.
Lucy arriva quelques secondes plus tard. Elle s’assit sur l’accoudoir à côté de Damien. Antoine demanda :
– Alors, toi aussi tu es encouragée à continuer ta carrière à l’Aigle ?
Lucy sourit :
– Oui, au SGR !
Damien se tourna vers elle :
– On travaillerait ensemble !
– Ho toi aussi ? C’est génial ! On va accepter hein ?
Damien sourit et posa sa main sur le genou de Lucy :
– Moi oui, toi tu fais comme tu veux !
– Tu voudrais que je travaille autre-part ?
– Mais non, c’était une blague. Bien sûr qu’on travaillera ensemble !
Lucy se tourna vers Paul et Antoine :
– Et vous ?
Damien répondit pour ses amis :
– Eux aussi, mais pas au SGR. Thomas leur a déjà proposé un peu plus tôt dans l’année.
– On travaillera peut-être ensemble ! Ça me parait évident que vous serez tous les deux sur le terrain… Vous imaginez, ce sera peut-être grâce à nous que vous aurez des informations pendant vos missions !
Paul et Antoine hochèrent la tête. Lucy continua :
– J’ai croisé Arthur, il avait l’air fâché, il s’est passé quelque-chose ?
Antoine répondit :
– On n’a pas trop compris, ça lui passera.
Arthur revint plus d’une demi-heure plus tard. Il se laissa tomber lourdement sur le canapé. Damien demanda :
– C’était si fatiguant que ça pour toi ?
Arthur redressa la tête :
– Ouais, c’est parfois dur de négocier.
Antoine s’étonna :
– T’as négocié avec Thomas ?
– Ouais.
– Mais… Pourquoi ?
– Il voulait que je reste à l’Aigle, ce n’est pas une surprise, mais il voulait que je sois au CREA.
– Et ?
– J’ai argumenté pour lui prouver que je serai mieux autre part.
Lucy parut choquée par cette dernière phrase :
– Tu ne restes pas à l’Aigle ?
Arthur répondit avec un sourire malicieux :
– Mais si, évidemment, mais je lui ai montré que je serai mieux dans un autre service. Il a fallu de lourds arguments mais je savais déjà ce que je voulais faire depuis plus d’un an.
– Alors, lequel ?
Arthur se tourna vers Paul :
– J’ai dit que je serai bien mieux à un poste qui s’était libéré en début d’année.
Paul réagit :
– Attends, tu vas vraiment… ?
– Oui, au suivi des agents, Direction des Ressources de l’Aigle ou DRA, j’assisterai le directeur du service.
Paul ne put savoir pourquoi mais il vivait cette situation comme un affront personnel. Lucy lui infligea un coup supplémentaire en demandant naïvement ce que tous avaient compris :
– Mais le directeur du service, ce n’est pas le père de Paul ?
Innocemment, Arthur répondit :
– Exactement. Frank Osinski lui-même.
Paul garda son calme :
– Je te souhaite bien du courage.
– Pourquoi ?
– Parce que moi, je le connais.
– Tu es son fils, Thomas m’a dit beaucoup de bien de ton père, tu sais.
Paul ne répondit pas. Arthur eut l’air inquiet :
– Ça va Paul ? J’ai l’impression que ça te dérange, je ne veux pas que ça soit le cas. Je… Je m’étais dit que tu serais content pour moi et que je travaille avec ton père. J’ai demandé ça car le poste me plait, mais si j’avais su que ça te dérangerait je ne l’aurai pas fait… Si tu veux je retourne voir Thomas.
Paul réalisa qu’il n’avait aucune raison de se fâcher avec Arthur. Il avait demandé ce poste car c’était la carrière qu’il voulait. Paul savait que son père et Arthur travailleraient sans doute très bien ensemble et il n’avait aucune raison de lui en vouloir. Au contraire, cela aurait dû être une bonne nouvelle. Constatant son erreur et les regards interrogateurs de ses amis, Paul se rattrapa auprès d’Arthur :
– Désolé, je ne sais pas ce qui m’a pris, je suis un peu tendu. Ça me fait plaisir que Thomas t’ait proposé de rester et je suis content que tu aies le poste que tu veux. Je suis sûr que mon père est un bon directeur en plus.
Arthur fut rassuré par ces mots. Finalement, tous étaient ravis de continuer à l’Aigle dans leurs services respectifs.
Ils apprirent dans la soirée que Thomas avait proposé à Léa de rejoindre le Centre de Recherche pour l’Equipement des Agents, le CREA. Lucas et Ethan étaient pressentis pour être agents de terrain.
Paul entra dans le grand auditorium du campus, au sous-sol du bâtiment des chambres.
Il s’assit avec ses amis au deuxième rang, au centre.
Sept personnes étaient déjà sur scène, derrière des tables blanches. Thomas Duchesne et Samuel Guyot étaient aussi présents sur le côté.
Les sept inconnus s’étaient placés derrière des petites pancartes que Paul déchiffra. Aucun nom n’était inscrit mais des acronymes que les étudiants commençaient à connaitre. De gauche à droite, il y avait un représentant de la DRSD, la DGSI, la DRM, la DGSE, la DNRED, le Tracfin et l’ANSSI.
Le directeur de l’Aigle, Samuel Guyot, resta silencieux et laissa la parole au responsable des études qui accueillit les élèves et présenta rapidement l’ensemble des services.
Chacun leur tour, les trois hommes et les quatre femmes qui étaient chargés de présenter leur service prirent la parole, à raison d’un quart d’heure par personne.
La dernière intervenante, de l’ANSSI, termina à onze heures sa présentation. Les élèves avaient ensuite une heure pendant laquelle ils purent poser leurs questions.
Les élèves de cinquième année étaient libres pendant deux heures pour déjeuner, heures pendant lesquelles Thomas Duchesne et Samuel Guyot discutaient avec les intervenants en privé.
A quatorze heures, les élèves étaient invités à se présenter dans le couloir du deuxième étage des salles de classe pour des entretiens individuels. Les entretiens étaient choisis par les services et une feuille avec les noms des élèves avait été placardé.
Paul chercha le sien et lut :
OSINSKI | 14h15 – 3 | 14h45 – 2 | 15h30 – 4 |
Il avait un quart d’heure devant lui. Lucy et Antoine avaient des rendez-vous dès quatorze heures. Paul patienta avec Arthur, convoqué à la même heure avec la DGSE et Damien, qui attendait quinze minutes de plus pour rencontrer la personne qui représentait la DNRED.
Damien engagea la conversation :
– Alors vous êtes sûrs de vous ?
Arthur répondit :
– Oui, on peut me proposer de diriger la DGSE, je resterai à l’Aigle.
– Tu exagères un peu là.
– On ne me proposera pas de diriger la DGSE en même temps.
Paul en profita :
– Au fait Arthur, je voulais te présenter mes excuses pour la dernière fois, je n’ai pas été sympa. C’est juste que…
Arthur ne le laissa pas terminer :
– Tu n’as pas à te justifier, c’est déjà oublié, ne t’inquiète pas. Moi non plus je n’étais pas de bonne humeur.
– Parce qu’on ne t’avais rien dit pour l’Aigle ?
– Oui, mais ce n’est pas grave, j’ai compris. Maintenant on sait tous où on sera, c’est cool de continuer dans le même service.
– Tu ne m’enverras pas n’importe où, hein ?
Arthur s’amusa :
– Je doutes que ton père me laisse faire.
– D’ailleurs, Mike n’a pas été remplacé ?
– Si, mais par quelqu’un qui va être muté. Ils recruteront cet été et Thomas me recommandera.
– C’est sympa de sa part.
– Ouais. Je crois que ça va être à nous.
Paul leva la tête vers l’horloge. Il était bientôt l’heure de son rendez-vous avec la DRM.
Lorsqu’il fut appelé, le jeune espion entra dans la salle qui portait le numéro trois.
L’homme qui leur avait présenté la DRM l’invita à s’asseoir. Il avait devant lui une petite pile de dossiers. Il garda les yeux rivés sur sa feuille reprenant les noms des élèves qu’il devait rencontrer :
– Paul Osinski ?
– Oui.
L’homme prit un des dossiers qu’il ouvrit. Il prit quelques secondes pour lire les deux feuilles qu’il contenait et s’adressa à Paul sans relever la tête de ses feuilles :
– Impressionnant. Vous savez ce que vous voulez faire l’an prochain ?
– Oui, je souhaite rester à l’Aigle.
Cette réponse eut l’air d’étonner l’intervenant qui releva les yeux vers Paul :
– A quelle poste ?
– Agent.
– Vous savez que vous pourriez avoir mieux avec vos résultats. A la DRM nous pourrions vous proposer un poste de responsable de mission, après quelques mois seulement parmi nous. Vous connaissez déjà le terrain en plus.
– On m’a fait une proposition difficile à refuser.
– C’est une question d’argent ?
– Non.
– Vous pensez que vous y serez à votre place ?
Paul n’hésita pas :
– Oui.
L’homme sourit, l’air satisfait :
– Il n’y a pas de meilleur espion qu’un espion heureux et à sa place et il n’y a pas plus malheureux qu’un espion qui pense ne pas être à sa place. Je suis ravi de vous avoir rencontré jeune homme. La DRM sera toujours là pour vous accueillir le jour où vous le souhaiterez. J’espère que nous aurons la chance de travailler avec vous un jour.
– Merci monsieur.
– Bonne fin d’année.
– Merci pour votre temps.
Paul se leva et retrouva le couloir dans lequel Antoine attendait seul son prochain rendez-vous.
Les deux amis s’assirent côte à côte. Paul demanda :
– Ça s’est bien passé ?
– Horrible.
– Comment ça ?
– J’étais avec la DGSI qui voulait me faire signer un contrat dès aujourd’hui.
– Et ?
– Ça a été le pire ‘non‘ de ma vie.
Paul sourit :
– Décidé à rester à l’Aigle ?
– Ouais, maintenant plus que jamais. Et toi ?
– Je viens de dire non à la DRM, je continue à l’Aigle aussi.
Le rendez-vous avec la représentante de la DGSI fut avancé de cinq minutes. C’était une femme au visage souriant. Le physique large, elle avait des cheveux roux tombant sur de petites lunettes carrées, du même pourpre que son rouge à lèvre. Elle adressa un sourire amical au jeune espion :
– Paul Osinski, asseyez-vous, je vous en prie !
Paul prit place :
– Bonjour.
– Je suis l’une des chargées de recrutement pour la DGSI. J’ai eu beaucoup de plaisir à lire votre dossier. Vous semblez être un élève remarquable ! Il est mentionné que vous êtes déjà parti sur le terrain. Je n’ai pas le droit de vous demander d’information sur ces premières missions mais sachez que c’est exceptionnel de partir à votre âge. Je vais être directe, je veux vous proposer un contrat dès aujourd’hui, qui vous assurera un travail après l’été. Vous profiterez de vos vacances et vous serez un agent de la DGSI en septembre. Cela vous convient ?
Paul prit une seconde pour intégrer l’information et répondit :
– C’est une proposition intéressante, mais j’ai déjà fait mon choix.
La femme eut l’air surprise et déçue :
– Ho, c’est dommage pour nous mais j’imagine que si vous me dites cela c’est que je ne vous ferai pas changer d’avis. J’ai vu l’un de vos camarades juste avant qui était bien décidé également.
– Antoine, oui, c’est un ami.
– Vous travaillerez ensemble je suppose ?
– Oui, je l’espère.
La femme n’avait pas perdu son sourire :
– C’est super de garder ces liens après vos études. Je suis persuadée que vous vous amuserez bien tous les deux ! Dans ce cas, vous me confirmez votre refus ?
– En effet…
– Bien Paul, je te souhaite un beau parcours professionnel, même si je suis persuadée que tu n’auras aucun problème. Si tu as des questions sur notre service, je suis à ta disposition.
– Merci beaucoup.
Le jeune espion prit quelques secondes de réflexion et demanda :
– J’ai en effet une question à vous poser.
– Je vous écoute.
– Est-ce que la DGSI et l’Aigle ont des ententes, des missions communes ?
La représentante de la direction générale des services intérieurs répondit après un temps de réflexion :
– Parfois. C’est rare mais il peut arriver qu’un agent de l’Aigle travaille pour nous et inversement. Nous avons aussi des interventions communes parfois.
– Merci.
La femme sembla hésiter mais poursuivit :
– Je peux à mon tour vous poser une question ?
– Bien sûr.
– C’est un peu indiscret mais, Frank Osinski, c’est votre père ?
Paul sourit :
– Oui, vous le connaissez ?
– J’ai eu l’occasion de travailler avec lui il y a quelques années. Ce fut une très belle expérience, votre père est un professionnel avec qui il est bon de travailler. Je comprends mieux votre choix maintenant.
– Ce n’est pas seulement pour cette raison.
Face à la réponse de Paul, la représentante de la DGSI sembla intriguée :
– Ha bon, comment ça ?
Elle se rattrapa immédiatement :
– Pardon, les raisons vous appartiennent, je suis d’un naturel curieuse, certainement une déformation professionnelle… et une qualité pour le métier.
Paul trouva son interlocutrice sympathique et sincère. Il répondit :
– Je sais déjà avec qui je ferai équipe, c’est une personne de confiance avec qui je suis déjà parti, je pense que ça a beaucoup joué dans mon choix.
La femme eut un large sourire qui rapprocha le violet du coin de ses lèvres de celui de ses lunettes :
– Je vous comprends… Thomas Duchesne évidemment.
Paul acquiesça sans dire un mot, la femme reprit :
– Vu votre dossier cela me semble logique. C’est un très bon espion aussi, vous avez de la chance s’il vous a choisi. Je ne peux que vous conseiller de poursuivre dans votre idée. Il ne choisirait pas son coéquipier au hasard et vous devez être particulièrement doué. Jeune et doué, comme lui, vous savez ce qu’on dit, qui se ressemble s’assemble…
Paul écarquilla les yeux :
– Vous le connaissez aussi ?
La femme s’amusa :
– Je suis à la DGSI, je connais théoriquement tout le monde… et plus sérieusement, l’espionnage est un petit monde ou les agents passent parfois d’un service à l’autre et où les noms circulent souvent. Je sais que j’entendrai à nouveau parler de vous dans l’avenir.
Paul sourit :
– Je vois.
– Si tu n’as pas d’autres questions, je vais passer à l’élève suivant.
La femme s’excusa immédiatement :
– Pardon je vous ai tutoyé… Enfin nous sommes presque collègues. Bon après-midi Paul.
– Merci, à vous aussi.
Paul se leva et sortit de la pièce. Il avait apprécié cet échange qui donnait une image différente de l’espionne que celle qu’il avait pu se faire par le passé.
Il profita de la demi-heure avant son dernier entretien pour échanger avec ses amis. Tous appréciaient ces échanges avec des personnes connaissant parfaitement leur métier et leurs agences respectives.
Paul entra dans la salle 4. Une femme d’une quarantaine d’années l’invita à s’asseoir avec un sourire accueillant :
– Bonjour Paul, ravi de te rencontrer. J’ai étudié ton dossier, tu es un élève impressionnant. J’imagine que tu connais la DGSE.
Paul répondit par l’affirmative. La femme reprit :
– Nous sommes sans doute le service le plus prestigieux en France et le plus connu. Mais cela tu le sais déjà. Comme tu sais aussi que nous voulons te recruter.
Paul répondit :
– Je ne sais pas vraiment.
– Nous allons jouer franc-jeu. Tu sais qu’on est ici pour trouver des jeunes pour rejoindre nos équipes, tu es intelligent, tu es le meilleur de ta classe, il semble évident que tu savais déjà qu’on te proposerait de te recruter, il est aussi évident que tu vas accepter car c’est le mieux pour toi. Le reste n’est qu’une question de prix. Quarante-cinq mille par ans sans compter les avantages et primes. C’est un bon salaire pour un jeune.
– Je suis désolé mais je ne vais pas accepter.
La femme devint livide mais se ressaisit rapidement :
– Nous ne pourrons pas aller au-delà de cinquante mille.
Paul resta sûr de lui :
– Ce n’est pas une question d’argent.
– Quelle est la raison ?
– Ce n’est pas ce que je souhaite.
– Quel est ton souhait ?
– Je veux rester à l’Aigle.
La représentante de la DGSE eut un rire timide :
– Mais Paul, ton avenir n’est pas dans une petite agence, l’Aigle c’est surtout une école qui permet de former des jeunes à l’espionnage et donc à nous rejoindre. Pense à ton père, à ton grand-père, ils seraient ravis de te savoir à la DGSE.
– Ils étaient à l’Aigle.
– Et de très bons espions, mais ils méritaient mieux.
– Je suis désolé mais ma décision est prise.
– Si ce n’est que cela, nous pourrons toujours nous arranger pour t’avoir les mêmes conditions. Quelles sont-elles ?
– Un coéquipier en qui j’ai confiance.
– Mais Paul… Tu peux avoir confiance en nos agents, ce sont les meilleurs et tu auras une indépendance que tu n’auras nulle part ailleurs. Si vraiment c’est une nécessité, nous recruterons l’agent avec qui tu dois faire équipe.
L’insistance de la femme mit mal à l’aise le jeune espion qui se braqua :
– Non, je suis désolé mais je resterai à l’Aigle.
L’interlocutrice de Paul s’agaça :
– Si rien ne te fera changer d’avis je ne comprends pas ce que tu fais là.
Paul répondit sèchement :
– Il me semblait que c’était l’occasion de connaitre des services grâce à des intervenants qui connaissent bien leur sujet. Je peux m’en aller si ce n’est pas le cas.
– Parfait Paul, je te souhaite une belle carrière à l’Aigle. Mais si tu confirmes ton souhait, je doute que tu puisses revenir en arrière.
Paul se releva :
– Je ne souhaiterai pas revenir en arrière. Merci pour votre temps.
La femme ne répondit pas, Paul sortit de la pièce.
Une heure plus tard, les amis étaient réunis.
Tous étaient restés sur leur idée d’avoir leur poste à l’Aigle.
Ils croisèrent leur responsable d’études le soir. Il resta quelques instants avec eux pour leur demander comment s’étaient passé leurs entretiens. Tous étaient ravis, même Paul malgré la piètre qualité de son dernier entretien.
Thomas leur confia qu’il était content d’avoir pu les prévenir qu’ils seraient pris à l’Aigle avant les recruteurs extérieurs, même si cela n’était pas en accord avec les habitudes du campus. En fin d’année, les cinq amis auraient une proposition officielle et un contrat, tout comme Ethan et Léa. Lucas avait eu une proposition de la DGSI et prenait le temps de réflexion, Thomas allait faire son possible pour le convaincre de rester à l’Aigle.
Le soir, les amis se couchèrent après avoir discuté de longues heures. Le lendemain matin, ils repartaient chez eux pour les vacances.
Paul passa les premiers jours de ses vacances avec Louis. Les deux amis n’avaient eu que peu de temps depuis la rentrée pour se voir. Louis avait passé ses examens de semestre, tout comme Paul qui avait rapidement enchainé avec la présentation des agences d’espionnage.
Le mercredi soir, Frank, le père de Paul, arriva en annonçant que Paul, Maude et lui se rendaient le samedi à un diner familial chez la grand-mère de Paul.
Depuis le décès de Pawel, ces diners étaient plus réguliers.
Ils arrivèrent les premiers, à dix-neuf heures, le samedi.
Paul profita d’un moment où sa grand-mère était disponible pour lui demander :
– Le bureau de Dziadek, vous allez en faire quoi ?
Dziadek, la traduction en polonais pour “grand-père”, était le nom affectif que Paul donnait au père de son père. Il appelait aussi sa grand-mère Babcia pour les mêmes raisons. Elle l’appelait parfois Kochanie, ou “chéri” en polonais.
Sa grand-mère répondit avec son sourire chaleureux que Paul lui avait toujours connu :
– Je n’y ai pas encore touché. C’était son bureau et je n’y entrais presque jamais. Dieu sait quels secrets il gardait là-dedans. Il faudrait que je me décide à tout vider, je pense que je vais en faire une bibliothèque, il y a déjà les meubles.
Devant le silence de son petit-fils, elle poursuivit :
– Ne t’inquiète pas, je ne jetterai pas toutes ses affaires. Je pense que ton père voudra en récupérer certaines. Peut-être que toi aussi. Tu veux aller voir ?
Paul répondit avec une pointe d’hésitation dans la voix :
– J’aimerais bien.
– Va y avec ton père alors.
Elle n’attendit pas pour appeler Frank et lui demander d’accompagner Paul dans le bureau de Pawel. Paul poussa la porte et redécouvrit ce bureau qu’il n’avait vu qu’une seule fois, un soir de Noël pendant lequel Pawel lui avait offert un briquet et un paquet de cigarettes contenant des micro-caméras.
Le jeune espion se demandait si d’autres objets du même acabit se trouvaient encore dans cette pièce.
Frank le prévint :
– Ne touche pas à tout et préviens-moi si tu trouves quelque chose qui t’intéresse.
D’un peu plus loin, la grand-mère de Paul ajouta :
– Prenez ce que vous voulez, ça vous sera bien plus utile qu’à moi et ça me débarrassera !
Paul regarda les imposantes bibliothèques couvertes de livres anciens. Une rangée de tiroirs coupait les bibliothèques à un mètre du sol. Il en ouvrit un qui contenait des papiers qui semblaient avoir été entassés au fil des années.
Le jeune espion s’approcha ensuite du bureau qui trônait au milieu de la pièce. Il y avait en son centre un ordinateur portable fermé. Quelques stylos et crayons avaient été déposés dans une tasse sur le côté droit. Juste derrière l’ordinateur, posé sur un petit trépied, Paul découvrit ce qui ressemblait à un œuf, d’une couleur bleu sombre avec quelques reflets verts. Il demanda à son père :
– C’est quoi ?
Frank haussa les épaules :
– Un œuf de Fabergé.
– Ça sert à quoi ?
– A décorer, je crois que je l’ai toujours vu celui-là.
Paul regarda l’autre côté du bureau, quelques cadres étaient orientés vers le fauteuil. Il y en avait un avec l’ensemble de la famille Osinski. Paul se souvint du moment où la photo avait été prise, quelques années auparavant, à Pâques.
Il y avait aussi une photo du mariage de ses grands-parents, une autre de leurs enfants et des cadres plus petits pour chacun des petits enfants.
Paul prit sa photo, dans un cadre un peu plus grand que celui de ses cousins. Elle avait été prise cinq ans plus tôt, à Noël. Par réflexe, il tourna le cadre et découvrit en son dos une petite étiquette sur laquelle était inscrit :
“Ouvre le cadre – 3570“
Paul hésita à prévenir son père mais se ravisa. Le mot semblait lui être destiné. Il ouvrit délicatement le cadre et regarda l’arrière de la photo sur lequel il découvrit une nouvelle note écrite au crayon :
“Prend mon cadeau et contemple l’œuvre de celui qui est né à deux ans.“
Paul relut la phrase plusieurs fois sans la comprendre. Cela ressemblait à une énigme mais il ne voyait pas pourquoi son grand père aurait caché un jeu de piste dans son bureau.
Soudain, on sonna à la porte. La famille de Paul arrivait. Le jeune espion referma le cadre et nota la phrase sur son téléphone.
Frank demanda :
– Tu as trouvé quelque chose ?
– Non, mais j’aimerais bien revenir avant que tout soit parti.
– Il faut voir ça avec ta grand-mère, mais elle n’a pas l’air pressée de vider la pièce.
Paul remercia son père et sortit rejoindre les nouveaux arrivés.
Le diner était, comme d’habitude, très bon. La grand-mère de Paul avait préparé un lapin chasseur.
Après le repas, Paul sortit de table avec ses cousins. Maxime et lui n’eurent pas l’occasion de parler de l’Aigle, chacun évitant ce sujet devant leurs autres cousins pour qui leur école n’était qu’un lycée comme les autres. Pourtant, Paul se doutait que Maxime ne serait pas le dernier de la famille à fouler le sol du campus.
Le soir, Paul relut la phrase trouvée derrière le cadre dans le bureau de son grand-père. Il se demanda si chacun des cadres avait à l’arrière un mot similaire. Il voulait en avoir le cœur net et se décida à retourner chez sa grand-mère dans la semaine.
Il en profita pour faire quelques recherches. Cela parlait d’une œuvre à contempler, ce pouvait être n’importe laquelle. Il y avait trois tableaux dans le bureau de son grand-père. Il lui restait à définir celui qui était né “à deux ans“. Ce devait être le peintre ou la personne représentée. Pourtant, il n’y avait aucun enfant sur les tableaux.
Paul ouvrit un navigateur de recherche et entra “né à deux ans“. Hormis quelques articles sur la motricité des enfants en bas âge et d’autres sur le développement des enfants, Paul ne trouva rien d’intéressant.
Il cessa rapidement ses recherches infructueuses. Il allait devoir trouver la solution par lui-même ou avec l’aide de ses amis.
Il envoya dès le lendemain un message à Antoine, lui racontant brièvement sa découverte et cette énigme. Son ami lui répondit quelques minutes plus tard :
“Salut Paul. C’est marrant comme histoire ! Tu as essayé de demander à Arthur ? Il en saura peut-être plus“.
Antoine était de bons conseils. Paul envoya un message à Arthur mais ce dernier n’eut pas d’idée sur la signification de cette phrase.
Le soir, pendant le diner, Paul en profita pour demander à ses parents :
– J’ai vu une énigme mais je ne trouve pas la réponse. Vous voulez essayer ?
Ses parents furent enthousiastes et Paul ressortit son téléphone et lut :
– Contemple l’œuvre de celui qui est né à deux ans.
Frank sembla réfléchir mais Maude le devança :
– Et déjà Napoléon perçait sous Bonaparte ?
Paul regarda sa mère, interloqué :
– Quoi ?
– Victor Hugo est né en 1802 et l’un de ses poèmes commence par “Ce siècle avait deux ans“. Il a aussi écrit les Contemplations. Ça colle, non ?
– Oui en effet ! Merci !
Maude se vanta en s’amusant ;
– Ça m’étonne que vous n’ayez pas trouvé. C’était facile.
Frank s’amusa et complimenta sa femme sur sa déduction.
Paul, quant à lui, était décidé à retourner chez sa grand-mère pour élucider ce mystère.
Il y retourna le mercredi, prétextant vouloir déjeuner avec elle.
Il arriva à midi et décida de ne pas paraître trop impatient. Il prit le temps de déjeuner et de discuter.
Ce n’est qu’après le dessert qu’il demanda :
– J’aimerai bien retourner dans le bureau de Dziadek.
La grand-mère de Paul n’opposa aucune réticence :
– Oui bien sûr, tu sais où c’est.
Paul se leva et se dirigea vers le bureau.
Il regarda les bibliothèques. Il y avait un nombre de livre considérable. Il les observa un moment, cherchant à savoir si son grand-père avait eu une logique pendant le rangement. Il trouva rapidement que certains livres étaient classés par thème, ce qui facilita ses recherches. De plus, à l’intérieur de ce classement, les auteurs avaient été rangés par ordre alphabétique.
Le jeune espion trouva la section poésie, particulièrement bien fournie. Il chercha ensuite Victor Hugo puis les Contemplations.
Paul ressenti soudain un doute. Il se demanda ce qu’il allait trouver dans ce recueil. Il sentit son cœur s’accélérer et les battements devenir plus puissants. Il se trouva idiot, c’était son grand-père, il devait être en confiance.
Paul prit une grande inspiration et sortit le livre de la bibliothèque. Il le laissa s’ouvrir dans sa main.
Il s’ouvrit sur un poème appelé Le Pont, premier du sixième livre.
Paul feuilleta, cherchant un signe qui lui permettrait d’avancer.
Soudain, il s’aperçut que des lettres avaient été mises en valeur sur l’un des poèmes du livre quatre. Il s’agissait de Veni, vidi, vixi.
Il prit un morceau de papier et reporta les lettres :
“Tourne la tête et prends ton héritage“
Paul passa le regard dans la bibliothèque. Il trouva cinq petites statuettes.
Il entendit soudain sa grand-mère approcher et demander :
– Tout va bien ? Tu trouves ton bonheur ?
Paul répondit :
– Oui, j’ai presque terminé.
Les pas de sa grand-mère s’éloignèrent.
Paul saisit l’une des statuettes et tenta d’en tourner la tête. C’était impossible. Il n’eut pas plus de succès avec les quatre autres.
Le jeune espion regarda la pièce. Il en était pourtant certain, il lui faudrait dévisser une tête, son grand-père aimait les énigmes et il était trop facile de simplement avoir à regarder sur le côté.
Le jeune espion se retourna. Sur le mur d’en face, une autre bibliothèque mais aucune statuette. Il s’avança et parcourut les livres qui traitaient de l’histoire et des sciences sociales.
Il tomba soudain sur un livre fin dont le nom de l’auteur lui était familier, Pawel Osinski. Il ignorait que son grand-père avait écrit un livre. Il regarda le titre :
“Ton héritage“
Paul ne put s’empêcher de sourire. Pour une fois, il fallait prendre la phrase au sens premier du terme. Il saisit l’ouvrage et l’ouvrit. Les pages étaient toutes blanche. Il sentit une déception et se demanda si ce n’était pas un message.
Paul regarda le trou formé par le livre manquant dans la bibliothèque et remarqua que le bois était surélevé.
Il prit son téléphone et éclaira l’interstice. C’était un petit décrochage dans le bois, comme une pièce en plastique.
Paul l’observa attentivement. Il y avait ce qui ressemblait à un capteur, un rectangle de quelques centimètres seulement.
Le jeune espion l’effleura et une petite lumière rouge se déclencha, qui s’éteignit presque immédiatement après que son doigt ne se soit éloigné.
Paul toucha à nouveau l’objet, posant le doigt de manière plus ferme.
Un petit son sortit de l’appareil. Un pan de l’arrière de la bibliothèque s’ouvrit légèrement dans un claquement.
Paul l’ouvrit un peu plus et découvrit une petite loge avec un coffre-fort et une enveloppe qu’il ouvrit.
Il déplia la lettre et lut :
“Bonjour Paul,
Je sais que seul toi pourra trouver cette lettre car tu as pu ouvrir ce casier qu’avec tes empreintes digitales.
Si jamais la personne qui lit ça n’est pas mon petit-fils Paul, merci d’arrêter votre lecture et de lui rendre son doigt.
Mon état de santé se dégrade et, au moment où j’écris ces mots, je sais qu’il ne me reste que quelques mois pour profiter de la vie.
Paul, je suis ravi que tu aies suivi les traces de ton père et les miennes. Surtout, continues sur cette voie pour laquelle je sais que tu es fait. Ne crois que ton instinct et non les sollicitations que tu recevras. Tu es une grande fierté pour ton père et moi, l’ensemble de ta famille et ceux qui t’entourent. Ton père m’a dit que Thomas était ton instructeur, c’est une chance d’avoir quelqu’un comme lui comme référent.
Ton cousin Maxime va rentrer dans ton école. Sois patient et guide le dans ce monde que tu commences tout juste à découvrir.
Prends soin de lui et de tes amis.
Il y a tellement de choses que j’aurais aimé te dire. C’est seulement maintenant que je m’aperçois que, quoi que l’on fasse, le temps nous manquera toujours.
Je sais que lorsque tu trouveras ce mot, les souvenirs commenceront déjà à être lointains.
J’ai aimé te connaitre, Paul. Tu es un petit-fils formidable. Continue à être ce que tu es, caractérisé par ta gentillesse, ta prévenance et ton humanité. Sois toi-même.
Il est déjà temps que je te quitte une nouvelle fois. Je regrette de ne pas assister à ton diplôme, à ta première mission et à tant d’autres moments de ta vie.
Prends soin de ceux qui t’entourent et, surtout, prends soin de toi.
Sois qui tu es, Paul.
J’espère que c’est agréable, là-haut. On dit que la fin est aussi le début d’autre chose. Plus facile à dire quand on n’y est pas encore.
Au revoir Paul. J’espère que, d’où que je sois, je continuerai à te voir et à veiller sur vous tous. “
Paul essuya une larme qui coulait sur sa joue gauche. Il replia la lettre et la remit dans l’enveloppe avant de la glisser dans une de ses poches.
Il regarda le coffre-fort protégé par un code.
Il appuya sur les touches 3, 5, 7 et 0. Il s’ouvrit.
Le coffre était presque vide. Seuls quelques objets s’y trouvaient. Un petit appareil photo, une montre à gousset et plusieurs petits carnets.
Il commença par l’appareil photo. Il était petit et ancien, dans un métal doré.
L’objectif était minuscule et Paul comprit rapidement que, même s’il prenait des photos, l’objet était surtout destiné au souvenir plutôt qu’à être réellement utilisé dans le cadre d’une mission.
Paul se saisit ensuite de la montre à gousset. Elle était en argent avec un motif doré, une branche à sept feuilles.
Paul ouvrit l’objet. La montre n’était plus à l’heure mais le mécanisme fonctionnait encore.
Il rangea les deux objets avec la lettre et prit un carnet.
Il l’ouvrit aux premières pages. Il était rempli de textes manuscrits. Paul reconnut l’écriture de son grand-père.
C’était un carnet de note dans lequel Pawel Osinski avait noté ses pensées pendant plusieurs années. Tous les carnets étaient constitués de ces notes, une vie entière d’espionnage. Paul se demanda si cela pouvait être utile à l’Aigle mais se ravisa. Si son grand-père les avait réservés, ce n’était pas pour les redonner ensuite.
Paul sortit tous les carnets et ferma le coffre puis la trappe. Il savait que plus personne n’y aurait accès avant un long moment.
Il demanda ensuite à sa grand-mère un sac dans lequel il rangea les carnets.
Sa grand-mère ne lui posa aucune question et ne fit aucune remarque.
Paul repartit un peu plus tard.
Chez lui, il rangea soigneusement tous les objets et la lettre dans un tiroir.
Frank et Paul profitèrent d’un moment, le soir même pour discuter de Pawel et de l’Aigle. Paul ne parla pas des souvenirs laissés par son grand-père, il préférait d’abord lire les carnets.
Paul retrouva sa chambre à minuit. Lorsque ses parents furent couchés, il sortit les carnets. Chacun portait un numéro sur la première page, permettant d’en connaitre l’ordre. Le jeune espion les classa puis prit le premier qu’il commença à lire.
Pawel avait commencé à écrire alors qu’il était encore étudiant, à “l’Académie de l’Aigle“. C’était en réalité l’équivalent du campus, mis à part que l’école n’était pas au même endroit. C’était un établissement dans Paris, près de Montparnasse, un immeuble discret qui, selon les carnets, cachait une belle surface avec les salles de classe, les chambres, des cours de récréation, un gymnase et un court de tennis. C’était bien plus petit que le campus que connaissait Paul et l’éducation semblait plus sévère, à en croire les quelques passages où Pawel décrivait certains professeurs qui, bien qu’en avance sur l’éducation, n’hésitaient pas à punir les élèves pour le moindre écart de comportement. Cependant, le grand-père de Paul était bon élève et semblait avoir la sympathie de son directeur au nom de famille que Paul connaissait bien, Charles Duchesne, grand-père de Thomas Duchesne, son responsable des études.
Pawel parlait aussi de son père, immigré polonais mais qui officiait comme espion pour le compte de la France.
Les années suivantes, Pawel parlait de ses premières missions, sa rencontre avec celle qui deviendrait sa femme puis la naissance de ses enfants. Des passages emplis d’émotion.
Alors qu’il ne restait que quelques carnets, Paul commença à lire une histoire dont il n’avait entendu que quelques mots, la mort de Bertrand et Marie Duchesne, sur une route de Suisse.
Paul releva la tête pour prendre quelques secondes avant de découvrir le point de vue de son grand-père sur le décès de celui qu’il présentait comme le fils de son mentor mais aussi de son ami.
La lumière du jour commençait à poindre par la fenêtre. Paul n’avait pas dormi de la nuit. La faim commençait à le gagner. Il bailla et regarda les quelques carnets qui lui restaient. Il avait lu sans se rendre compte des heures qui étaient passées.
Il entendit un bruit. Son père venait de se lever.
Paul hésita et cacha les carnets sous sa couette. Il se leva de son lit et ouvrit la porte de sa chambre.
Il se rendit dans la cuisine et trouva son père étonné :
– Déjà debout ?
– Oui… Je n’ai pas dormi.
Frank s’inquiéta :
– Pourquoi ? Quelque chose te tracasse ?
– Non, je n’étais pas fatigué.
Frank sourit :
– Tu avais envie de jouer quoi… C’est beau les vacances !
Paul répondit par un sourire entendu puis osa :
– Tu l’as connu, toi, le père de Thomas ?
Frank répondit sans hésiter :
– Oui.
Paul comprit que son père n’avait pas envie de s’étendre sur le sujet, surtout de bon matin. Pourtant, c’est Frank qui reprit :
– Tu as l’air de beaucoup t’intéresser au sujet en ce moment…
– Non, je demandais ça comme ça, ça me passait par la tête.
Frank hocha la tête et but une gorgée de café.
Paul préféra un chocolat chaud, un jus d’orange et des céréales. Il était décidé à vite retourner dans sa chambre pour continuer sa lecture.
S’il avait eu un coup de fatigue avant le petit-déjeuner, Paul sentait que l’excitation de découvrir la suite des carnets lui permettait de ne pas sentir la fatigue.
Il reprit sa lecture :
“J’ai parlé à Bertrand hier. Il était parti en Suisse une semaine plus tôt pour des vacances qu’il avait méritées. Il n’était pas parti depuis longtemps et ses missions en Iran pour les élections puis sa participation au retour au calme en Albanie l’avaient fatigué.
J’ai appris sa mort ce matin. Je ne sais plus quoi penser. La version officielle raconte un accident de voiture dans la forêt mais tout le monde sait ici qu’il a été abattu avec Marie. On sait qui a fait ça, la voiture est criblée de balle mais le président ne veut pas attiser les tensions avec l’Allemagne. Je ne sais pas ce que va devenir le dossier de Thomas sur les derniers nazis, j’ai peur qu’ils arrivent à leurs fins si on ne fait rien.
Pauvre Thomas. Il a vu ses parents se faire tuer devant ses yeux et ils l’ont épargné. Je n’ose imaginer comment il va se développer avec cette image qui le poursuivra toute sa vie. Il risquerait de mal tourner, il faudra faire quelque-chose. C’est le fils de nos amis. J’aimerai tant venger la mort de Bertrand et Marie. Je le ferai. Je demanderai à Frank de s’occuper du petit Thomas. Après tout, il a des chambres de disponible sur le campus, il peut même l’accueillir chez lui pendant les vacances, Maude a toujours voulu un fils. “
Paul posa le carnet. Il savait enfin ce qu’il s’était réellement passé, ce que Thomas comme ses parents lui avaient caché.
Il poursuivit sa lecture qui changeait de sujet.
Il revivait l’histoire depuis un point de vue unique, inconnu du grand public et qui devait rester caché.
Pawel parlait régulièrement de Thomas et semblait y être attaché, il évoquait régulièrement sa manière de suivre les cours. Thomas avait fait toute sa scolarité à l’Aigle, depuis ses cinq ans. Frank avait fait en sorte qu’il ait des cours tout au long de son enfance et de son adolescence, sans être inscrit officiellement dans une école. Puis, un nouveau texte attira l’attention de Paul :
“Ça y est, il est né. Frank et Maude ont eu un fils. Un formidable petit garçon qui ravi ses parents… mais aussi ses grands-parents !
Ils l’ont appelé Paul, comme moi, ou presque. Je suis sûr que ce sera un garçon formidable !
Je ne sais pas ce que Frank va décider pour Thomas, si Paul aura un grand frère, s’il lui expliquera ce qu’il s’est passé. De l’eau coulera sous les ponts avant que Paul ne comprenne et ce n’est pas le moment d’y penser. Frank m’a dit que Thomas irait vivre sur le campus. C’est une mauvaise idée je pense. Il est comme son fils, on n’abandonne pas son enfant de huit ans. Mais je n’ai rien à dire.“
Le carnet se terminait ici. Paul eut un sentiment étrange. Son père avait eu un choix difficile à faire et il avait préféré laisser Thomas sur le campus dès ses huit ans plutôt que de le garder avec eux. Si Thomas était resté Paul l’aurait sans doute considéré comme son frère. Leur relation aurait été différente sans doute.
Paul préféra ne porter aucun jugement sur son père, il ne pouvait pas lui en vouloir et pourtant, il se sentait en colère.
Il restait deux carnets. Paul ouvrit le premier d’entre eux :
“Cela fait un moment que je n’ai pas repris la plume. Lorsque je relis mes derniers écrits, je vois comme le temps passe et change les choses. Frank et Maude sont heureux, Frank vient de quitter l’éducation à l’Aigle. Il a jugé que son travail était terminé. Il a été exceptionnel pour ces jeunes. Je sais qu’il voulait partir depuis un moment mais qu’il est resté pour Thomas. Il n’en parle jamais mais il le considère comme son fils adoptif, c’est évident. Il ne s’est jamais pardonné de l’avoir laissé au campus à la naissance de Paul, Thomas ne lui en a jamais tenu rigueur, mais je crois que Frank s’en est assez voulu pour deux. Frank s’est assuré de terminer la formation de Thomas jusqu’au bout, jusqu’à lui laisser une place de responsable des études l’an prochain, il aura les élèves de première année. C’est aussi pour cela que Frank s’en va. Paul va entrer dans cette école et il ne veut pas qu’il ait connaissance qu’il n’est pas le premier de la famille. C’est ridicule. Je ne dirai rien à Paul mais il le saura forcément un jour. Je ne sais pas comment Thomas va faire avec lui, mais j’ai confiance.
Paul a bien grandi, il a tout d’un bon Aigle et le recruter sera une bonne décision pour nous. Il nous surpassera tous, il est malin et intelligent. C’est une fierté pour son père et pour moi aussi.“
Le grand-père de Paul avait ensuite régulièrement écrit sur sa vie, sa retraite et son quotidien tranquille, loin de sa vie passée et mouvementée.
Il était un peu plus de onze heures du matin lorsque Paul lut les derniers mots que son grand-père avait écrit :
“Nous y sommes. C’est la fin de la route et de ces carnets. Tout est rangé comme l’on fait ses cartons avant un déménagement. Je vais profiter de ces dernières semaines pour faire ce que j’ai fait de mieux, vivre. Je n’ai aucun regret. Tout est passé vite et n’a été qu’un formidable voyage. Vous me manquerez sans doute mais soyez assuré que je vais bien et que tout se passera bien.
Paul, j’ai décidé de te confier l’ensemble de ces carnets car je sais que tu prendras la bonne décision les concernant. Un homme est éphémère, tout comme le seront peut-être ces carnets. Tu es un homme libre, libre d’en faire part à qui tu voudras si c’est ton désir, libre de les détruire. J’espère cependant que tu seras arrivé à lire ces lignes et que tu seras allé jusqu’à ces derniers mots.
Adieu. “
Paul ne retint pas un sourire timide et tendre en lisant ces derniers mots.
Il ferma le carnet et le posa avec les autres.
Il regarda autour de lui, l’image de son grand père lui revint en tête. Il avait l’impression d’avoir passé ces quelques heures avec lui, à l’écouter raconter sa vie.
Il prit la moitié des carnets et les rangea délicatement dans un sac à dos noir avant d’y placer la seconde moitié.
Il s’assit sur son lit et prit son téléphone. Il ouvrit son répertoire et y trouva le numéro d’Antoine. Il voulut l’appeler pour lui raconter mais continua de faire défiler ses contacts. Il arriva au nom de son responsable des études et fit glisser le contact vers la gauche pour envoyer un SMS.
Il prit quelques minutes pour réfléchir à ses mots et écrivit un long texte.
Il l’effaça finalement et préféra faire court :
“Je sais ce qu’il s’est passé lorsque tu étais enfant et avant que j’arrive. Je sais aussi ce qui aurait pu se passer. Merci“.
Paul verrouilla son téléphone et le posa sur sa table de nuit. Il s’habilla et sortit de sa chambre. Ses parents étaient partis travailler.
Lorsqu’il revint dans sa chambre, Paul avait un nouveau message de Thomas :
“Bonjour Paul, j’espère que tout va bien, ton message à quelque chose… de bizarre. Souhaites-tu qu’on en parle à la rentrée ?“
Cette fois, Paul n’eut pas à réfléchir :
“Tout va bien, oui, je passerai te voir à la rentrée, bonne fin de semaine !“
Thomas posa le petit carnet sur son bureau. Il joignit les mains devant sa bouche et resta pensif.
Paul voulut briser le silence mais se ravisa. Ce n’était pas le moment de faire un faux pas. Il avait au fond de lui peur de la réaction de son responsable des études, il l’avait imaginé s’emportant de colère ou, au contraire, resté comme à son habitude d’un grand calme. La réponse n’allait pas tarder.
Les mains de Thomas se détachèrent de sa bouche qu’il entrouvrit un instant avant de briser le silence, d’une voix calme, posée, plus encore que d’habitude :
– Merci Paul de m’avoir apporté ce carnet. Je ne sais pas quoi te dire de plus.
Paul hésita :
– Il n’y a rien à dire… Je voulais simplement que tu sois informé que mon grand-père avait écrit cela.
– Ton grand-père était un homme d’une grande valeur, comme ton père. Ce qui est écrit est vrai, j’étais présent lorsque mes parents ont été assassinés par un commando néo-nazi. Ton grand-père les a retrouvés et a en quelques sorte vengé mes parents avec l’aide d’amis allemands. Il n’en parle pas dans ses mémoires.
– Non, mais il y a quelques années pendant lesquelles il n’a pas écrit, entre ma naissance et le moment où mon père a quitté l’Aigle.
– C’était pendant cette période.
– Alors… On a failli grandir ensemble. Tu sais, je ne comprends pas trop pourquoi mon père n’a pas voulu que tu vives avec nous.
Thomas fit la moue :
– Il t’avait toi, ce n’était pas évident pour lui. J’étais déjà grand et surtout, je n’étais pas son fils.
– Tu avais huit ans…
– Ton père, je le voyais ici presque tous les jours et il venait aussi pendant les vacances, je n’étais jamais seul. Frank m’a énormément aidé mais… Ce n’est pas mon père.
– Tu lui en a voulu ?
Thomas n’eut aucune hésitation :
– Non. Je ne vois pas comment j’aurais pu. Il a tout fait pour moi. Sans lui, sans autre famille, qui sait ce que je serais devenu ?
– Thomas…
Paul s’arrêta. Il trouva que toutes les phrases qui pouvaient lui venir étaient vides de sens. Il sentit de la compassion pour Thomas, ses sentiments se mêlaient devant son ainé, touchant comme rarement il avait pu l’être. Tout s’imbriqua doucement dans l’esprit de Paul. Pourquoi Thomas l’avait toujours défendu, pourquoi il avait été dès les premiers jours si différent avec lui, pourquoi il était allé jusqu’à tuer et sortir des habitudes de mission pour lui. Tout était très clair, Thomas avait toujours eu un regard que Paul n’avait jamais soupçonné. Maintenant, le jeune espion n’avait plus envie qu’on lui cache le passé, qu’on tente de le protéger. Il avait passé cinq ans à découvrir la vérité, depuis la première année où il avait failli être tué par un professeur jaloux qui avait permis à Paul de savoir que son père était un espion, tout comme son grand-père.
Maintenant, tout était précis, tel un engrenage qui s’assemble. Il demanda :
– Il y a autre chose que je devrais savoir ?
– Non, je crois que tu sais tout sur le sujet.
Paul avait envie de se lever de sa chaise, de faire tomber la barrière invisible qui existait entre Thomas et lui. Les écrits de Pawel avaient réveillé d’ancien souvenirs pour Thomas qui paraissait encore sonné. Paul avait envie de lui exprimer son soutien, d’une manière ou d’une autre mais ne trouva pas ses mots et préféra rester assis. Pourtant, il avait une dernière requête :
– Est-ce que tout ça, ça remettra en cause notre équipe ?
Thomas ne comprit pas :
– Notre équipe ?
– Tu as dit que l’année prochaine, on ferait équipe tous les deux.
– Ha, non, si ça ne te pose pas de problème, ça sera bon pour moi.
– Pour moi aussi alors. S’il n’y a rien d’autre.
– Non. Enfin presque.
Paul se redressa :
– Presque ?
Thomas eut un sourire malicieux :
– Tu as vraiment envie d’attendre l’an prochain ?
Paul retrouva lui aussi le sourire :
– Sérieusement ?
Thomas hocha la tête de haut en bas, Paul reprit enthousiaste :
– Quand ?
– On part lundi.
– Où ?
– Attend, je ne suis pas censé t’en parler avant mercredi… Rendez-vous quatorze heures ici avec le directeur pour les détails de notre mission écossaise.
– Je serai là !
Paul jubilait. Il avait attendu de repartir en mission et cette nouvelle lui avait presque fait oublier les carnets de son grand-père. Thomas lui tint celui posé sur son bureau :
– Tiens, garde-les précieusement.
Paul le prit et se leva de sa chaise. Il salua Thomas et lui confirma sa présence le mercredi.
Il s’avança vers la porte mais, avant de l’ouvrir, se retourna une dernière fois :
– Puisqu’on va sans doute devoir bientôt reprendre l’habitude… Merci… “Grand frère“.
Thomas ne répondit pas mais son regard et le sourire tendre qu’il n’avait pas pu retenir parlaient pour lui. Paul posa la main sur la poignée et sortit.
Dans le couloir, il eut l’impression d’être dans un autre monde, comme planant, il était heureux, heureux de partir, d’avoir enfin la vérité et d’avoir pu, même à demi-mot, dire à Thomas qu’il lui devait beaucoup.
Il retrouva sa chambre et rangea le carnet. Ses amis l’attendaient au foyer où ils avaient prévu de jouer avant le diner, il n’avait pas envie de les faire plus attendre.
Paul frappa à la porte du bureau de Thomas à quatorze heures précises en ce mercredi agréable de mars.
La voix de Thomas lui indiqua d’entrer.
Paul découvrit le directeur, Samuel Guyot, assis sur le canapé dans la partie gauche de la pièce, face à Thomas, assis de l’autre côté de la petite table basse, sur l’un des deux fauteuils club.
Paul s’avança et salua les deux hommes avant de s’asseoir sur le deuxième fauteuil.
Le directeur ajusta ses petites lunettes rondes :
– Bonjour Paul, vous allez bien ?
Le jeune espion hocha la tête :
– Je vais bien et vous ?
– Très bien. J’imagine que vous savez pourquoi nous t’avons demandé de venir ?
– Oui, du moins je le pense.
– Parfait. Vous avez été un formidable élément lors de vos missions passées et nous souhaiterions que vous partiez à nouveau. Cependant, nous savons que la dernière a pu être difficile voire un peu traumatisante, c’est pourquoi je veux m’assurer que vous êtes bien prêt à repartir.
Paul n’hésita pas à couper son directeur :
– Je suis prêt, j’ai hâte de partir.
– Bien… Vous serez épaulé par votre directeur des études, vous faites un bon duo et vous avec déjà travaillé ensemble. Cela vous convient ?
Paul regarda Thomas qui lui sourit et repassa son regard sur Samuel Guyot :
– Oui.
– Vous partirez en Ecosse. Comme vous le savez depuis votre deuxième année ici, les renseignements britanniques n’ont pas la possibilité d’avoir de jeunes espions disponibles et font appel à nous dans ces cas précis. La mission sur laquelle nous vous envoyons est tout à fait à votre portée et vous avez le profil idéal.
Le directeur marqua une pause avant de reprendre :
– Nous avons été alerté sur une organisation du nom de Scottish Boys for Freedom and Independance, aussi appelé SBFI. Comme leur nom l’indique, ils souhaitent l’indépendance de l’Ecosse et se détacher de la couronne britannique. Vous imaginez bien qu’ils ne comptent pas faire cela pacifiquement et nous avons des raisons de croire qu’ils préparent une première attaque de grande envergure à Londres. Ils ont les moyens et cela pourrait être l’une des plus grosses attaques terroristes que la capitale ait connues. Malheureusement nous n’en savons pas beaucoup plus. Celui qui est à la tête du SBFI s’appellerait Kyle Mathieson, un homme d’une cinquantaine d’années sans passé criminel mais particulièrement engagé dans la politique indépendantiste. Il aurait recruté une trentaine de personnes, en particulier dans la jeunesse écossaise, plus encline à chercher des causes à défendre. Il a un très bon point de recrutement grâce à son fils, Fillan. Lui est âgé de vingt ans et semble particulièrement convaincant pour rallier ses camarades à cette cause. Vous aurez d’ailleurs la photo du père et du fils à disposition avant de partir.
Le directeur regarda Thomas puis reprit :
– Votre mission est d’infiltrer les SBFI, d’observer leur fonctionnement et nous faire part de vos observations. Il ne sera pas difficile pour vous de vous faire recruter, il suffit de montrer votre engagement pour leur cause. Ce sera sans doute plus facile que d’intégrer la mafia. C’est une organisation assez jeune mais qui a énormément de moyens, sans doute bien plus que nous l’imaginons. Vous serez à votre arrivée un étudiant français en visite linguistique à l’université d’Edimbourg pour une durée de trois mois, j’imagine que ce sera bien suffisant. Je laisse nos services dédiés vous transmettre toutes les informations au sujet de votre identité sur place. Vous aurez quelques maigres informations à votre arrivée, comme l’adresse des Mathieson qui se situe à quelques rues de l’appartement que vous occuperez. Je ne veux pas vous mettre une pression inutile mais cette mission est d’une importance cruciale, à la fois pour la sécurité de nos alliés mais aussi car la réussite de cette mission aura un impact politique, sur les liens entre la France et l’Ecosse mais aussi avec le Royaume-Uni et l’ensemble des partis politiques écossais. Avez-vous des questions ?
Paul répondit par la négative. Samuel Guyot conclut :
– Bien, vous partirez lundi. Monsieur Osinski, vous pouvez disposer, je dois m’entretenir avec votre responsable des études en privé.
Paul salua les deux hommes et sortit de la pièce. Il était ravi de cette mission qui semblait particulièrement intéressante. Il n’avait aucune appréhension pour le moment et était content de faire à nouveau équipe avec son responsable des études.
Il retrouva ses amis qui l’attendaient au foyer.
Paul s’assit sur le vieux fauteuil club qui était devenu sa place habituelle depuis son arrivée sur le campus.
Damien, Antoine, Lucy, Arthur et Louis se turent à son arrivée. Paul les regarda :
– Qu’est-ce qu’il y a ?
Lucy répondit :
– Bah racontes ! Tu pars où ? Tu vas faire quoi ?
– Comment vous savez que je pars ?
– Arrêtes, ça marche plus avec nous, quand tu nous dis que t’as rendez-vous avec Duchesne et que tu as ton petit sourire satisfait pendant plusieurs jours avant, on se doute que tu ne vas pas jouer à la belotte…
Paul sourit, Lucy ajouta :
– Voilà, exactement ce sourire là !
Le jeune espion reprit :
– Ecosse, je pars lundi.
– Et tu y vas pour quoi ?
– Je ne penses pas avoir le droit d’entrer dans les détails mais ce sera de l’infiltration.
Louis intervint :
– Trop cool ! Tu vas infiltrer quoi ?
– Une organisation, je n’en sais pas beaucoup plus.
– Ça va être sympa !
– Sans doute. Vous faisiez quoi ?
Damien répondit :
– On allait jouer au tarot et j’allais aller chercher à boire. Tu veux quoi ?
– Un thé s’il te plait.
Damien se tourna vers Lucy :
– Tu m’accompagnes ?
Lucy et Damien se levèrent et se dirigèrent vers Valentin et Clarence qui s’occupaient de servir au foyer.
Arthur se leva à son tour :
– Je dois rejoindre Lian à la bibliothèque, on se voit plus tard !
Paul demanda :
– Ça se passe toujours bien avec elle ?
Son camarade ne cacha pas son sourire :
– Oui, super !
Il sortit ensuite du foyer. Paul se retrouva avec Louis et Antoine qui remarqua :
– Il a changé Arthur, tu ne trouves pas ?
– Oui, il est un peu moins je-sais-tout qu’avant.
– Et puis il fait attention à lui, ça change !
Damien et Lucy arrivèrent avec les boissons. Les cinq amis discutèrent tout en jouant au tarot, leur occupation favorite depuis leur première année sur le campus.
Paul profita de la fin de semaine, en particulier du weekend, pour avoir du temps libre. Il le passait en grande partie avec ses amis, mais aussi parfois avec son cousin Maxime ou seul, à la piscine ou dans le parc.
Le dimanche, il retourna pour la première fois à l’endroit que Thomas lui avait fait découvrir en fin d’année passée, le kiosque, au milieu de la petite forêt. Il s’y assit et profita du calme et du bruit de l’eau qui coulait juste à côté.
Il n’y resta pas longtemps, une vingtaine de minutes, avant de laisser cet endroit en espérant qu’il resterait toujours aussi calme.
Le dimanche soir, il se coucha un peu avant minuit, après avoir discuté avec Antoine. Paul avait hâte de partir pour une nouvelle mission.
Paul retrouva Thomas dans le hall du campus. Ils descendirent au parking et Paul fut étonné de ne pas voir la Mercedes habituelle de Thomas. Il avait changé de voiture pour une autre voiture allemande, une BMW série 7, elle aussi de couleur bleue nuit.
Paul rangea sa valise dans le coffre et monta à la place du passager.
L’ainé prit le chemin de Paris, où ils arrivèrent une heure plus tard, dans l’hôtel particulier que Paul connaissait pour y être passé à chaque début de mission.
Les deux espions s’annoncèrent au comptoir d’accueil où une jeune femme passa un appel et leur indiqua de monter jusqu’à la pièce où les attendait celle qui les équiperait.
En quatre ans de mission, Paul avait toujours rencontré cette femme qui l’avait impressionné lors des premières rencontres.
Aujourd’hui, Paul avait l’habitude et savait exactement comment se comporter avec elle.
Celle qui était chargée d’organiser leur mission vérifia leurs valises et ouvrit une petite mallette afin d’en sortir quelques objets qu’elle posa devant elle, sur la table métallique qui la séparait des espions :
– Voici ce que nous avons pour vous. Vous partez bien équipés avec cinq outils. Le premier est un couteau suisse, ce n’est pas celui que vous achetez dans le commerce ou que votre grand père prend avec lui pour couper le saucisson, sauf si ledit grand-père est passé par chez nous. Cinq accessoires dans ce couteau, une lame, classique, une mini lampe de poche, mais ne vous fiez pas à sa taille, elle éclaire bien mieux qu’une grande. Nous avons ensuite des ciseaux capables de couper presque tout, un petit crochet et une épingle métallique. Je ne m’étends pas sur le sujet, je pense que vous savez comment fonctionnent chacun de ces objets. Gardez bien à l’esprit simplement qu’ils sont plus résistants que la normale.
Elle prit ensuite un briquet, ressemblant à n’importe quel briquet :
– Celui-là je l’aime bien. C’est un briquet à deux flammes, on choisit celle que l’on veut avec la petite mollette à l’arrière. Vers la gauche, flamme normale, vers la droite, on est plutôt sur du chalumeau à zone réductrice de trois mille degrés Celsius. Autant ne pas vous tromper en allumant votre cigarette. Grâce à ce briquet, vous pourrez fondre à peu près n’importe quoi.
Elle posa le briquet et saisit de sous la table un parapluie noir :
– Celui-ci, c’est un classique, souvent imité dans les films, jamais égalé. Deux boutons pour l’ouvrir. Le noir permet de faire une chose extraordinaire, le gadget ultime lorsque l’on part pour l’Ecosse, ouvrir le parapluie pour une fonction des plus utiles, se protéger de la pluie. Le bouton vert maintenant vous étonnera sans doute un peu plus puisqu’il permet d’éjecter le mât du parapluie tout en gardant la toile fermée. Votre parapluie partira donc à cinquante kilomètres par heure en déployant instantanément une lame. Il vous restera dans la main le pommeau ainsi qu’une fine lame aiguisée pour les amateurs de fleuret.
Celle qui présentait les différents objets rangea le parapluie et sortit un paquet de cartes :
– Voici cinquante-quatre cartes. Si vous pouvez jouer avec, n’oubliez pas que les quatre coins sont en métal acérés. Vous savez, il y en a qui plantent des cartes dans des pommes, vous n’aurez aucun mal à les imiter, si votre truc est de découper les pommes. Sinon, cela fonctionne très bien avec le corps humain.
Elle dévoila enfin le dernier objet, une petite boite qu’elle ouvrit et qui contenait quatre balles de golf :
– Ce n’est pas pour profiter des greens de l’Ecosse. Chacune de ces balles contient un produit différent qui se libère lorsque la balle est jetée au sol. On les différencie grâce à un point de couleur. La balle jaune crée un épais brouillard persistant. La verte vous permettra d’endormir vos adversaires, veillez à ne pas rester à proximité bien entendu, et c’est valable pour toutes les balles. La rouge est une balle sonore, ça assourdira les personnes autour de l’explosion. Enfin, la balle noire, je vous conseille de ne l’utiliser que lorsque vous n’avez plus d’autre possibilité…
Paul demanda :
– Pourquoi ?
– Elle crée une explosion qui n’est pas seulement sonore.
– Ha, je vois…
– Je crois que c’est tout. Vous partez en avion ce soir à 20h35.
Elle tint un dossier à chaque espion :
– Et voici vos histoires. Je vous laisse les découvrir et revenir chercher vos pièces d’identité ensuite.
Les deux espions sortirent de la pièce pour se rendre dans un bureau vide, le même que lors de leurs départs passés, ne contenant qu’une table et deux chaises.
Paul s’assit et ouvrit le dossier pour découvrir sa nouvelle identité.
Paul Colin était en deuxième année de licence de géographie et aménagement à la Sorbonne. Ses deux parents, François et Sandrine étaient professeurs à l’université, l’un en littérature, l’autre en mathématiques. Paul avait un demi-frère, Thomas, issu du premier mariage de son père et qui vivait en Ecosse depuis plus d’un an pour son travail au sein d’une petite entreprise spécialisée dans les nouvelles technologies. Paul avait choisi de profiter d’une période avec peu de cours pour partir en vacances chez son frère afin de découvrir l’Écosse.
Paul feuilleta les autres pages de son dossier, les détails de son passé et de son actualité. C’était un exercice qui lui paraissait maintenant presque habituel et il n’avait plus aucun problème pour entrer dans la peau de son personnage.
Lorsque les deux espions eurent terminé leur lecture, ils retrouvèrent la femme chargée de les préparer pour leur mission. Elle leur donna de nouveaux passeports avec leurs nouveaux noms.
Thomas et Paul prirent ensuite la direction de l’aéroport, malgré le temps d’attente important avant de décoller.
Leur avion partit à l’heure prévue et se posa sur le sol écossais à 21h30, heure d’Edimbourg.
Ils sortirent de l’aéroport sous le ciel gris de la capitale écossaise. Ils montèrent dans un taxi et Thomas indiqua leur destination au chauffeur.
Ils arrivèrent au 94 Georges Street rapidement. La circulation était fluide.
Paul vit d’abord la boutique qui occupait le rez-de-chaussée. L’immeuble était fin, d’une pierre ocre. Il semblait écrasé par les deux bâtiments voisins.
L’immeuble dans lequel ils allaient s’installer semblait être un immeuble de bureaux. Il n’y avait qu’un seul appartement, celui qu’ils allaient occuper.
L’appartement n’était pas très grand mais suffisant pour les deux espions.
L’entrée donnait sur un salon avec un grand canapé et une belle bibliothèque. Le sol en parquet clair menait, de l’autre côté de la pièce à une petite cuisine. Elle n’était pas très grande et meublée avec le strict nécessaire, un petit four, un four à micro-ondes, deux plaques chauffantes, un évier et un petit lave-vaisselle.
A côté de la cuisine, une porte donnait sur un couloir avec quatre autres portes.
La première menait à une salle d’eau avec un lavabo et une douche. La seconde donnait sur les toilettes.
Les deux dernières pièces étaient les chambres, petites, contenant chacune un lit et un bureau. Ce n’était pas le plus bel appartement que l’Aigle avait réservé à Paul et Thomas mais ils s’en contenteraient.
Il était déjà tard et les deux espions dinèrent dans un petit restaurant au nom français non loin de leur appartement. Le lendemain, Thomas irait faire des courses.
Ils terminèrent peu avant minuit et ne tardèrent pas à rentrer.
Avant d’arriver à l’appartement, Paul remarqua un petit attroupement devant l’immeuble voisin. Une demi-douzaine d’hommes en costume discutait et semblait sortir d’un agréable diner. Paul et Thomas les saluèrent en les croisant et entrèrent dans leur immeuble.
Rapidement, Paul se prépara et se coucha. Il entendit des bruits lointains de Thomas dans l’appartement et s’endormit.
Paul se réveilla et se leva sans attendre. Il se sentait énergique, avec l’envie de commencer sa mission. Il allait aussi découvrir une université écossaise, ce qui l’enchantait.
Thomas était déjà réveillé et habillé. Il était sorti faire des courses pour la journée, en particulier pour le petit-déjeuner.
Paul prit un café et un jus d’orange puis prépara ses affaires. Le but de la journée était de repérer Fillan Mathieson et de commencer son approche.
Avant que le jeune espion ne sorte, Thomas fit un briefing de la matinée :
– Les Mathieson n’habitent pas loin d’ici, je pense que tu devrais aller là-bas et attendre la sortie de Fillan. Vue l’heure, tu as largement le temps mais il est préférable de ne pas le rater. Tu pourras ensuite le suivre jusqu’à l’université et voir s’il rencontre du monde sur son chemin. Il te prendra pour un étudiant et ne devrait pas s’occuper de toi. S’il te demande, tu pourras toujours dire que tu es un étudiant français venu passer quelques mois dans l’université d’Édimbourg. Ça te parait être une bonne idée ?
C’était sans doute la première fois que Thomas demandait à Paul son avis pour une stratégie. Paul pensa que cela était dû au fait qu’ils feraient sans doute à nouveau équipe ensemble dans les années à venir et que Thomas tenait à l’inclure le plus possible dans les décisions. Bien entendu, sa question avait été rhétorique et son idée avait été réfléchie et bonne. Paul n’avait aucune raison de refuser :
– Oui, parfait. Je vais prendre mes affaires et je te tiens au courant par téléphone.
– Super. Moi je vais aller me balader un peu pendant que tu vas en cours.
– Tu as de la chance.
– Il faut bien des avantages !
Paul répondit par un sourire, prit son sac et sortit de l’immeuble.
Il ne mit que sept minutes, sans se presser, à traverser le quartier huppé dans lequel il se trouvait pour rejoindre l’appartement des Mathieson.
Il passa devant sans s’arrêter et trouva un endroit plus reculé et discret pour attendre la sortie de Fillan.
Paul sortit son téléphone et se rendit dans la galerie d’images. L’Aigle avait enregistré la photo du père et du fils écossais. Le jeune espion regarda un instant la photo de Fillan Mathieson. Il avait un visage fin et amical. Il devait être de grande taille. Ses cheveux clairs étaient légèrement roux, un peu comme ceux d’Arthur, quelques années plus tôt, avant qu’ils ne deviennent presque d’un rouge profond. Repenser à ses amis de l’Aigle fit sourire Paul. Il avait hâte de les retrouver, bien qu’il soit heureux d’être en mission dans un pays étranger.
L’attente commençait à être longue. Cela faisait près de vingt minutes que Paul était posté, le regard fixe vers la porte d’entrée de l’immeuble duquel Fillan devait sortir. La lumière à l’intérieur de l’immeuble laissait à penser qu’il était bien occupé et le jeune espion espérait que ce fut bien l’appartement des Mathieson, que Fillan allait bientôt apparaitre.
La porte s’ouvrit enfin. Un jeune homme en sortit, un sac à dos sur les épaules.
Le jeune espion ne pouvait pas se tromper, c’était bien Fillan Mathieson.
Paul sortit de sa cachette et lui emboita le pas.
Fillan attendit un bus quelques mètres plus loin. Paul se mit à côté de lui, faisant mine d’attendre. L’écossais n’avait aucune idée de qui il était et sa couverture n’était pas en danger. Dans le pire des cas, s’ils se retrouvaient régulièrement à cet endroit, ce serait un prétexte pour engager la conversation. Fillan et Paul montèrent dans le premier bus. L’université n’était qu’à deux arrêts et ils descendirent tous deux, comme trois autres étudiants.
Des écouteurs dans les oreilles, Fillan n’avait pas porté une seule seconde son attention sur Paul qui se demandait même si l’écossais avait remarqué qu’ils avaient attendu le bus côte à côte.
Après quelques mètres de marche, le grand bâtiment gris fit face à Paul. C’était l’université d’Édimbourg.
Fillan Mathieson retrouva un groupe d’étudiants qui semblaient avoir le même âge que lui et rangea ses écouteurs. Paul hésita à s’approcher pour se présenter mais pensa que ce n’était pas une bonne idée. Un élève étranger, arrivant pour la première fois, n’irait pas aborder des élèves au hasard.
Il s’approcha cependant discrètement et profita du grand nombre d’élèves devant l’établissement pour se placer proche du groupe d’étudiants et tenter d’écouter les conversations sans en avoir l’air.
Il ne put entendre que quelques bribes de ce que se disaient les étudiants. Ils discutaient d’une émission de télévision de la veille. Fillan portait l’attention sur lui, il était plus grand que ses amis et appréciait visiblement être écouté.
Soudain, les élèves se mirent en mouvement. Ils regagnaient les bâtiments. Dans la cohue, Paul put s’approcher un peu plus de Fillan. D’une main agile, il plongea les doigts dans la poche du jeune écossais et se saisit de son Smartphone qui dépassait légèrement. Il s’écarta rapidement. Il regarda discrètement l’écossais qui continuait sa discussion. Il n’avait rien remarqué. Paul avait quelques minutes avant que le vol ne soit repéré. Il ralentit et marcha à un mètre de sa cible, tentant toujours d’entendre les éléments de conversation.
Au moment d’entrer dans le bâtiment, le jeune espion fit volte-face et laissa Fillan continuer de discuter. Malgré les espoirs de Paul d’entendre une conversation susceptible de l’intéresser, cela n’avait pas été le cas.
Tous les élèves étaient maintenant entrés dans le bâtiment. Paul s’éloigna de l’université et s’assit sur un banc à quelques mètres de l’établissement. Il ouvrit le téléphone et le déverrouilla. Par chance, aucun mot de passe ne le protégeait. Il regarda les contacts et prit en photo l’ensemble du carnet d’adresse. Il s’occupa ensuite du journal d’appel puis des SMS. Il en profita aussi pour regarder l’agenda mais rien n’était noté. Curieux, il se rendit dans la galerie d’image puis dans le répertoire de musique. Rien d’intéressant, le jeune écossais semblait surtout écouter du rock, de la techno et des musiques traditionnelles écossaises.
Paul retourna à l’Université. Il entra par la grande porte et s’approcha de l’accueil.
Une femme leva la tête et demanda dans un anglais au fort accent écossais :
– Je peux vous renseigner ?
Paul tint le Smartphone de Fillan :
– J’ai trouvé ça devant l’entrée. Il est peut-être à l’un de vos étudiants.
Un sourire illumina le visage de la femme :
– C’est très gentil de votre part. J’espère que la personne qui l’a perdu viendra le récupérer. Je le garde avec moi au cas où il appellerait. Merci beaucoup !
Paul n’avait plus rien à faire dans le secteur. Fillan était en cours et il ne ressortirait pas avant plusieurs heures. Le jeune espion retourna à pieds jusqu’à l’appartement. Cela lui permettait de découvrir un peu plus la ville, en particulier son centre.
Lorsqu’il arriva, Thomas était absent. Paul se servit un café et le but en regardant les photos qu’il avait prises du carnet d’adresse de Fillan.
Thomas arriva, portant deux sacs de courses que Paul l’aida à ranger dans les placards ou le petit réfrigérateur. L’ainé s’étonna :
– Déjà rentré ?
– Oui, il est en cours, je ne vois pas trop quoi faire de plus pour aujourd’hui. Cependant, j’ai réussi à lui prendre son téléphone. J’ai fait des photos de son répertoire, son journal d’appel et ses SMS puis j’ai rendu le téléphone à l’accueil. J’étais en train de regarder les photos. Tu veux les voir ?
Thomas s’assit à côté de Paul :
– Bien sûr !
Les deux espions mirent un moment à éplucher les photos prises par Paul. Il n’y avait aucune information intéressante, si ce n’est quelques SMS échangés avec Kyle, le père de Fillan. A plusieurs reprises, ils parlaient d’un lieu où passer le weekend, du nom de “Sallachy”.
La piste était maigre mais Thomas chercha sur Internet des informations. Il annonça :
– Voilà, Sallachy ! Mais il y en a deux…
Paul regarda à nouveau les SMS :
– Tu en as un du côté de Lairg ?
– Attends…
Thomas chercha quelques secondes de plus :
– Oui, pourquoi ?
– Il y a un message qui parle de la ville de Lairg, ça doit avoir un lien.
– Oui, c’est juste à côté ! Mais Sallachy n’est pas une ville, ça doit être un lieu-dit.
Thomas montra l’écran de son Smartphone à Paul :
– Tu vois, juste une route, et aucune indication de “Sallachy”. J’ai trouvé uniquement avec la recherche.
– Ils y vont ce weekend. Tu crois que ce serait intéressant d’y aller ?
– Oui. Au fait, je ne serais pas là ce soir.
Paul s’étonna :
– Ah bon ?
Thomas sembla hésiter :
– J’ai un ami ici à Édimbourg, je vais diner avec lui. De toutes manières, nous n’aurons pas grand-chose à faire d’ici notre départ. Je vais regarder combien de temps on met pour aller à Sallachy.
Paul patienta pendant que Thomas effectua sa recherche et annonce :
– Un peu plus de quatre heures. On part jeudi et on passera la fin de semaine là-bas. Ce sera plus sûr.
Paul hocha la tête.
Les deux espions ne parlèrent pas de la mission pendant la journée, ils s’occupèrent en attendant le soir.
A dix-huit heures, Thomas se prépara. Il sortit en costume. Paul demanda :
– C’est un ami important ?
Thomas hocha les épaules :
– Non, pourquoi ?
– Je ne sais pas… Je ne vois pas souvent mes amis en étant habillé comme ça.
– On ne s’est pas vu depuis longtemps, je veux quand même faire bonne impression.
Thomas laissa passer quelques secondes et ajouta :
– Ne t’inquiètes pas, je ne vais pas rentrer tard, et non, je ne t’abandonne pas. Je ne serai pas loin.
Paul sourit :
– J’espère bien !
Thomas sortit quelques minutes plus tard.
Paul se prépara à manger, des pâtes et un morceau de jambon. Il n’avait jamais été un grand cuisinier.
Un peu après minuit, alors qu’il était prêt à aller se coucher, il entendit du bruit dans la rue. Par réflexe, il regarda par la fenêtre. Un groupe d’hommes étaient sur le trottoir, tous vêtus d’un costume.
Soudain, Paul repéra Thomas, en grande discussion. Le jeune espion hésita à descendre mais, alors qu’il allait se décider, il vit Thomas saluer les autres personnes et se diriger vers la porte de l’immeuble.
Paul s’assit à la table du salon. Quelques secondes plus tard, il entendit la clé dans la serrure, Thomas entra :
– Salut Paul.
Le jeune espion fixa son coéquipier :
– Ça s’est bien passé ?
– Très bien, et toi ?
– Oui, même si je ne suis pas sûr que ce soit vraiment réglementaire de me laisser tout seul ici.
– Pourquoi ?
– On est en mission.
– Tu ne risquais rien et puis je n’étais pas loin.
– Ça je sais.
L’ainé eut l’air soucieux :
– Comment ça ?
– Quand tu me dis que tu vas voir un ami, évite de te retrouver dans un groupe bruyant juste en bas des fenêtres. Bref, je vais me coucher. A demain.
Paul se leva et regagna sa chambre. Il se changea, se coucha et pris son téléphone. Il était déçu que Thomas lui ait menti, il ne savait pas pourquoi il lui en voulait tant mais il se sentait trahi. Pourtant, ce n’était pas grave, Thomas n’était pas réellement son frère et il était libre de faire ce qu’il souhaitait. Surtout, il n’y avait eu aucun risque pour la mission.
Soudain, la porte de la chambre s’ouvrit, Thomas apparut et demanda d’une voix calme :
– Je peux rentrer ?
Paul se redressa :
– Oui.
L’ainé s’avança et s’assit sur le bord du lit :
– Ok, je n’étais pas chez un ami.
Paul se calmait, comme si le fait que Thomas vienne le voir avait apaisé sa colère :
– Tu étais où ?
– J’étais à une réunion, je ne voulais pas t’en parler car j’avais peur que tu prennes mal le fait que j’y aille alors que tu étais là.
Paul ne sut quoi répondre. Thomas posa sa main sur la couette, sur la jambe de son coéquipier :
– C’est un peu particulier tout ça, je n’aurais pas dû y aller mais ça me permettait de décompresser. Je me suis dit que ça te ferait aussi du bien d’être seul ce soir.
Thomas paraissait sincère. Paul répondit :
– Pourquoi tu ne m’as pas dit la vérité ?
– Comme je te l’ai dit, pour que tu ne te vexes pas, c’était idiot. Je crois que c’était aussi pour éviter les questions.
– Ce n’est pas grave, et puis je n’ai rien à dire. Tu es grand et tu fais ce que tu veux.
Thomas sourit :
– Ça arrive à tout le monde d’avoir besoin d’une soirée pour se ressourcer.
Paul retrouva doucement son sourire :
– Je comprends, ne t’inquiète pas, j’ai un peu sur-réagit.
Thomas eut un air malicieux :
– L’important c’est que tu retrouves ton sourire.
– Tu te moques encore ? Tu sais que je ne l’aime pas !
– C’est dommage, il te va très bien !
Paul n’insista pas, il n’aimait pas le sourire qu’il avait lorsqu’il n’arrivait pas à le contrôler, et Thomas ne manquait jamais une occasion pour le lui faire remarquer. C’était devenu une plaisanterie habituelle et Paul s’en amusait.
Thomas reprit :
– Bon, je vais te laisser dormir, je vais aller me coucher aussi. Bonne nuit !
Il se leva et se dirigea vers la sortie de la pièce. Paul lui répondit :
– A demain Thomas, et merci quand même.
L’ainé se retourna :
– Pourquoi ?
– Je ne sais pas, d’être un bon demi-frère quand même.
Thomas hocha la tête :
– Pour l’Écosse seulement.
Sur ces mots, il sortit de la pièce et ferma la porte derrière lui.
Les deux espions préparèrent leurs affaires.
Thomas appela pour réserver une chambre d’hôtel à Lairg, proche du lieu présumé où devaient se rendre les Mathieson.
Ils sortirent de l’appartement à onze heures du matin. Thomas se dirigea vers la droite. Paul demanda :
– On va où ?
– A Lairg, pourquoi ?
– On y va comment ?
– En voiture. Tu as déjà perdu les bonnes habitudes ?
Thomas commença à traverser la route, suivi de Paul qui n’était pas encore habitué à regarder à droite avant de traverser.
L’ainé s’arrêta devant la rangée de voiture garées qui séparaient les deux voies et indiqua un Range Rover. Il s’approcha, glissa la main sous le moteur et sortit une clé qui lui permit d’ouvrir le véhicule.
Les deux espions prirent place à l’intérieur et la direction de leur destination.
Il leur fallut un peu plus de quatre heures ainsi qu’une pause d’une demie heure pour le déjeuner, avant d’arriver à Lairg.
Paul et Thomas profitèrent du trajet pour discuter. Ils parlèrent de la vie sur le campus, des camarades de Paul et de ses attentes pour les années suivantes. Thomas parla aussi de ce qu’il espérait lorsqu’ils feraient officiellement équipe ensemble.
Paul réalisa qu’au fil de ces cinq années, il avait noué avec Thomas un lien particulier et indescriptible. C’était encore son responsable des études, mais, dans quelques mois, il serait son coéquipier. Maintenant, il connaissait aussi le passé de Thomas, ses liens avec sa famille. Paul le considérait depuis quelques semaines comme un ami à qui il savait qu’il pouvait parler en toute franchise.
Dans la manière de parler de Thomas, Paul savait que, pour lui non plus, il n’était plus un simple élève. Il ne l’avait jamais réellement été.
Thomas gara la voiture devant l’hôtel. Le village semblait agréable.
Après avoir posé leurs valises, et comme il n’était que seize heures, ils sortirent visiter et trouvèrent notamment un marchand de vélo. Ils se firent la réflexion qu’ils pourraient en avoir besoin pour rejoindre Sallachy plus discrètement qu’avec le Range Rover. Ils achetèrent deux VTT. Le choix de Paul se porta sur un de couleur noir et bleu, celui de Thomas était gris foncé.
Ils ressortirent ensuite du magasin et retournèrent à l’hôtel ranger leurs nouveaux véhicules. Ils marchèrent ensuite dans le village puis rentrèrent un peu avant dix-neuf heures. La salle commune de l’hôtel était vide. Ils étaient les seuls clients et prirent le temps de diner. Paul commanda un steak accompagné de frites.
Ils retournèrent ensuite dans leur chambre. Elle n’était pas très grande et comprenait deux lits simples séparés par les tables de nuit et une salle de bain rudimentaire. C’était suffisant pour les quelques jours qu’ils passeraient dans ce village.
La nuit fut agréable et Paul n’eut pas de mal à s’endormir malgré la lumière allumée de Thomas qui préféra lire quelques temps avant de s’endormir à son tour.
Le brouillard couvrait la petite ville de Lairg lorsque Paul se réveilla. Il était encore tôt mais Thomas était déjà réveillé. Il accueillit son coéquipier :
– Bien dormi ?
Paul sourit discrètement :
– J’ai la dalle.
Thomas éclata de rire :
– Habille toi, je t’attendais pour le petit déjeuner.
Paul n’attendit pas pour se lever et se préparer.
La salle était aussi calme que la veille. Thomas et Paul prirent un petit déjeuner anglais avant de sortir à vélo pour se rendre à Sallachy.
Ils roulèrent une vingtaine de minutes. Le brouillard s’était dissipé et le temps était exceptionnellement beau pour la saison.
Ils se trouvèrent devant une barrière blanche, doublée par un grand grillage. A travers, on apercevait une grande demeure, ressemblant à un château en pierres grises. Entourée par une forêt, elle donnait aussi sur un grand terrain, descendant jusqu’à un lac s’étendant à perte de vue. L’ensemble semblait désert, les Mathieson ne devaient pas être arrivés.
Les deux espions commencèrent à faire le tour du domaine, entièrement entouré du grillage. Ils s’arrêtèrent lorsqu’ils trouvèrent un endroit à l’écart. Thomas regarda Paul en souriant. Il savait que son coéquipier serait ravi d’utiliser l’un de ses équipements.
Le jeune espion sortit son couteau suisse, déplia les ciseaux et créa un passage à travers les mailles du grillage. Il demanda sur un ton provocateur :
– Ce sera assez grand pour toi ?
Thomas fit mine d’être exaspéré :
– On en reparlera dans huit ans.
Le trou était visible, et la grille extraite par Paul était impossible à remettre. Mais, comme c’était dans un endroit peu accessible, les espions misaient sur le fait que personne ne passerait par là.
Pour atteindre le domaine, ils avaient une pelouse à traverser, entièrement à découvert. Paul regarda une fois de plus la maison. Elle était visiblement vide. Doucement, baissés comme si cette position les rendait plus discrets, seuls au milieu du tapis vert et humide que formait les herbes tondues récemment, les deux espions s’avancèrent.
Ils arrivèrent devant la grande demeure. Une porte vitrée laissait voir l’intérieur, meublé avec goût. Le propriétaire avait vraisemblablement les moyens.
Thomas sortit son couteau suisse et en sortit le crochet et la tige métallique :
– Je t’apprends ?
Paul ne cacha pas son plaisir :
– Sérieux ?
– On peut en avoir besoin, la preuve. En plus il n’y a l’air d’y avoir personne.
Thomas expliqua patiemment à son coéquipier comment crocheter une serrure. Celle qu’ils avaient face à eux n’était pas résistante et le jeune espion y parvint sans mal.
Thomas commenta :
– Bien joué. Tu apprends vite.
Il baissa la poignée et entra.
Comme ils l’avaient deviné, ils étaient seuls dans la maison. Thomas avait été bien inspiré de partir le jeudi d’Édimbourg.
Bien qu’elle fût décorée avec goût, la demeure était très sobre. Dans le grand salon, Paul ne trouva qu’une grande table entourée de chaises, un grand canapé ancien d’un vert passé, des fauteuils, un bar et deux grandes commodes. L’espion commença par les fouiller. Il n’y avait que de la vaisselle, des verres et quelques plats.
Les espions montèrent ensuite l’escalier en pierres. Ils y trouvèrent une trappe dans le mur, à mi-chemin entre les deux niveaux, mais celle-ci ne contenait qu’un interrupteur blanc. Ils préférèrent ne pas savoir à quoi il servait bien qu’il y ait de grandes chances pour que ce soit l’interrupteur de la lumière de l’escalier et cela ne leur servirait à rien.
L’escalier menait à un étage composé de quatre chambres et deux salles de bains. Ils se partagèrent le travail et chacun était chargé de fouiller deux chambres et une salle de bains. Ils ne trouvèrent pas plus d’information.
Au dernier étage, ils firent face à une porte fermée. Paul l’ouvrit et trouva un grand bureau. L’espion commençait à désespérer mais il savait que ce serait aussi le meilleur endroit pour trouver des indices. Il entra, accompagné de Thomas puis referma la porte derrière lui.
Thomas s’étonna :
– Pourquoi tu fermes ?
– On ne sait jamais, si quelqu’un arrive il ne saura pas qu’on est entré.
– Tu ne penses pas que la serrure crochetée leur donnera un bon indice ?
Thomas avait raison, il était ridicule de fermer la porte. Cependant, ils la laissèrent close le temps de fouiller la pièce.
Dans le bureau, Paul commença ses recherches dans une grande bibliothèque. Quelques bibelots étaient exposés mais rien qui pouvait les aider à poursuivre leur mission. Le petit bureau au milieu de la pièce avait trois tiroirs. Deux d’entre eux n’étaient pas fermés à clef mais ne contenaient que quelques feuilles, des enveloppes vides et des fournitures de bureau. Paul tira sur le dernier tiroir. Il était fermé à clef. Il sortit son couteau suisse et parvint à crocheter la serrure, grâce à la technique qu’il avait apprise de Thomas quelques minutes plus tôt.
Cette fois, il trouva deux dossiers. Le premier contenait surtout des factures et des documents que Mathieson devait garder précieusement. Le second dossier était plus mystérieux. C’était un ensemble de document sur un sous-marin. Le nom du dossier était “Caledonia” et avait comme sous-titre “Gloup”. Paul appela Thomas qui feuilleta le dossier à son tour. Paul observa :
– Je ne vois pas ce que ça nous apporte.
Thomas fut plus nuancé :
– Que font des plans de sous-marin dans une maison au nord de l’Écosse ?
Il avait à nouveau vu juste, ces plans étaient mystérieux en partie car il n’y avait aucune raison qu’il se trouvent dans ce tiroir.
Paul prit des photos du document, comme Thomas le lui avait demandé, puis referma le tiroir. Il remarqua à cet instant sur le bureau une maquette d’un grand sous-marin gris :
– C’est peut-être un passionné. Il n’y a rien dans cette maison.
Thomas répondit :
– On le saura plus tard, tu as peut-être raison. Pour un passionné il a quand même une collection un peu maigre.
Ils ne trouvèrent rien de plus dans cette dernière pièce de la maison et se résignèrent à rebrousser chemin.
Paul prit les devants et posa la main sur la poignée pour ressortir du bureau. Un claquement se fit entendre. Les deux espions s’arrêtèrent un instant, rien n’avait bougé. Ils refermèrent soigneusement la porte du bureau et descendirent les escaliers.
Arrivé au rez-de-chaussée, Paul s’aperçut que toutes les fenêtres étaient maintenant condamnées par un épais rideau métallique, y compris la porte-fenêtre par laquelle ils étaient entrés. Les portes étaient fermées et les serrures couvertes par des plaques grises et robustes.
Thomas observa les issues condamnées :
– Bon.
Si la maison était si bien protégée, il ne serait pas étonnant que quelqu’un arrive rapidement pour les trouver. Les fenêtres n’étaient pas fermées à l’étage, ils pourraient sans doute sauter. Paul remonta. Il n’avait pas remarqué en redescendant quelques minutes plus tôt les barreaux qui étaient tombés devant chacune des fenêtres. Impossible de sortir par là.
Paul redescendit les quelques marches et réfléchit avec Thomas. Grâce à son briquet, il pourrait venir à bout du métal sur les serrures ou même des plaques de métal sur les fenêtres. Paul se rapprocha d’une des fenêtres. Chacun des panneaux de métal avaient sur sa partie inférieure une poignée. Paul s’en saisit et tenta de remonter le panneau. Il bougeait légèrement mais était retenu. Un mécanisme devait le bloquer.
Thomas se dirigea vers la cuisine :
– J’ai vu un panneau électrique tout à l’heure, avec un peu de chance ça désactivera le système de sécurité.
Paul approcha et vit Thomas appuyer sur un bouton rouge, sans doute destiné à couper l’électricité de la maison. Ils entendirent les quelques appareils électriques s’éteindre et retournèrent dans le salon plongé dans le noir. Paul se rapprocha d’un des panneaux. Il tira dessus. Il ne bougea pas plus que la première fois.
Le plus jeune se souvint que, dans l’escalier, il avait vu une trappe dans le mur. Il n’avait rien à perdre et l’interrupteur serait sans doute désactivé. Il monta les quelques marches, ouvrit la trappe et appuya. Rien ne se produisit. Il appuya à nouveau, sans autre effet. La fonction de cet interrupteur n’était pas plus que celle qu’avait imaginé Paul la première fois. Dépité, il appuya à nouveau. Il lui sembla entendre un léger bruit, comme si une porte coulissait dans la pièce à vivre.
Il appuya une fois de plus, le bruit recommença. Il recommença et entendit à nouveau le même bruit. Paul redescendit. Thomas, qui était retourné dans la cuisine, avait lui aussi entendu le bruit et retrouva Paul dans le salon.
Une petite partie du mur s’était ouverte laissant apparaitre un bouton. Il était protégé par des barreaux, fins et ne laissant pas la place de passer sa main au travers. Paul sortit son couteau suisse. Il passait à travers les barreaux mais n’allait pas assez loin pour atteindre le bouton. Sous le regard satisfait de Thomas, il se saisit de son jeu de carte. Il en sortit une qu’il prit à deux doigts, visa entre les barreaux et la lança. La carte toucha le bouton. Mieux encore elle se ficha dedans. Mais, par sa légèreté, elle ne parvint pas à exercer une pression suffisante pour l’activer.
Cependant, elle permettait d’avoir une plus courte distance à atteindre. Paul, avec l’aide de son couteau suisse, pu exercer une pression suffisante sur la carte qui poussa le bouton.
Une seconde passa puis, un bruit résonna dans la pièce. Paul relâcha le bouton et parvint à faire tomber la carte en la bougeant avec le couteau suisse. Il la récupéra tant bien que mal avant de retourner devant un des panneaux métalliques.
Thomas avait gardé son air satisfait et observait Paul à l’œuvre. Le jeune espion posa la main sur la poignée d’un des pans qui cachait la porte-fenêtre et tira. Il réussit à le remonter entièrement.
Les deux espions pouvaient maintenant sortir.
Thomas indiqua à Paul qu’avant tout, ils devaient masquer les traces de leur passage.
Ils fermèrent la trappe du bouton qui leur avait permis de s’enfuir. En ressortant, Thomas baissa le rideau de métal et ferma la porte fenêtre. Si les Mathieson habitaient en effet dans cette maison, ils croiraient sans doute à un dysfonctionnement électrique.
Paul s’arrêta net :
– Et le bureau ? On a fermé le tiroir ?
Thomas s’amusa :
– Toi, non, moi j’y ai pensé.
Paul fut soulagé d’avoir un coéquipier aguerri qui pensait à tout.
Soudain, un bruit lointain mais reconnaissable se fit entendre. Thomas commenta :
– C’est une voiture, faut qu’on file.
Les deux espions ne s’attardèrent pas et ne prirent pas garde à être discrets. Ils coururent jusqu’au trou dans le grillage et sortirent.
D’ici, ils virent deux hommes sortir d’une voiture et entrer dans la maison. Ils ne remarqueraient peut-être pas que la maison avait été visitée mais il ne fallait prendre aucun risque et Thomas indiqua à Paul qu’il était temps de partir. Ils enfourchèrent leurs vélos et repartirent vers l’hôtel.
Les espions s’assirent sur l’un des lits pour regarder les photos des documents que Paul avait prises. Un détail leur avait peut-être échappé.
Paul trouvait que le mot “Gloup” allait bien avec un sous-marin et Thomas précisa que “Caledonia” était l’ancien nom de l’Écosse. Cela pouvait être un indice dans la mesure où Mathieson avait une philosophie indépendantiste. Cependant, cela était loin de constituer une preuve ou même un indice tangible.
Ils allaient devoir continuer les recherches.
Paul profita du moment pour remarquer :
– Ce n’était pas les Mathieson qui sont arrivés quand on est parti. Je n’ai pas reconnu Fillan.
Thomas sembla songeur :
– L’alarme doit prévenir automatiquement quelqu’un proche de la maison pour les moments où les Matheson ne sont pas ici.
– Tu crois qu’ils viendront ce weekend ?
– Le message était clair, je pense qu’ils seront là demain.
– Ils peuvent arriver ce soir.
– C’est possible. Il n’y a qu’une route qui mène au domaine, on ira la surveiller, mais on ne saura jamais s’ils arrivent tard dans la nuit et je préfèrerai qu’on ne se fatigue pas si on doit intervenir samedi.
– On ne fait pas d’observation ?
– Si, mais on sera peut-être amené à changer nos plans, tu sais bien que l’imprévu fait partie de notre métier.
Paul avait eu l’occasion à plusieurs reprises de s’en rendre compte lors des missions passées.
Les deux espions observèrent donc la route menant à la maison pendant l’après-midi et le début de soirée.
A vingt-deux heures, ils rentrèrent à l’hôtel sans avoir observé le moindre mouvement. Ils espéraient que les Mathieson n’arriveraient pas dans la nuit.
Ils enfourchèrent leurs vélos dès sept heures le lendemain matin. Ils en été persuadés, c’était le bon jour pour que leurs cibles les rejoignent.
Grâce à la forêt et au brouillard matinal, ils n’eurent aucun mal à contourner discrètement la demeure pour se poster non loin de l’endroit où ils avaient percé le grillage. De cette place, ils pouvaient voir de loin les allers et venues devant la demeure et étaient difficilement repérables.
Les fenêtres n’étaient plus cachés par les rideaux de fer. Paul espérait que ce n’était pas les Mathieson qui étaient déjà arrivés.
Comme s’il avait lu dans ses pensées, Thomas commenta :
– Il n’y a aucun véhicule, je pense qu’il n’y a personne.
Rien ne bougea pendant un long moment. Cela faisait près de deux heures qu’ils étaient arrivés sur leur position. Paul, assis sur l’herbe, secoua la main sur laquelle s’était posé un insecte. Il observa :
– S’ils partaient d’Édimbourg ce matin, ils ne sont pas arrivés.
Thomas répondit sans conviction :
– On n’a pas le choix.
Le brouillard s’était levé. Le temps était long mais Thomas avait raison, s’ils voulaient être sûr de voir les Mathieson, il fallait qu’ils gardent leur position. De plus, ils n’avaient rien d’autre à faire. Paul proposa :
– On pourrait retourner fouiller la maison.
– Non, on risquerait d’activer à nouveau l’alarme et puis on l’a déjà fait jeudi, ça ne nous donnera rien de plus. Ça nous mettrait aussi en danger s’ils arrivaient.
Une heure de plus passa. Paul se sentait fatigué de ne rien pouvoir faire. Il regarda, comme souvent, le bout du chemin, espérant apercevoir quelqu’un arriver. Il plissa les yeux. Un point noir apparut, grossissant progressivement. Il agrippa le bras de son coéquipier :
– Regarde !
Thomas tourna la tête et resta silencieux. Paul distingua une voiture, puis fut capable de dire que c’était une Volkswagen noire.
Elle s’avança jusqu’à la demeure. Deux hommes en sortirent, c’était ceux qui avaient failli les surprendre lors de leur visite du jeudi.
Les deux inconnus entrèrent dans la maison. Paul était certain que ce n’étaient pas les personnes attendues et commenta :
– Ce n’est pas eux.
Grâce aux fenêtres, les espions les distinguaient ranger et préparer la maison comme pour une visite importante.
Thomas indiqua :
– Ils ne vont pas tarder.
Une autre voiture arriva une heure plus tard. C’était un 4×4 Mercedes qui datait des années 1990. Il y avait trois personnes dans le véhicule. Le jeune espion reconnut rapidement Fillan Mathieson et son père qui conduisait le véhicule. Ils étaient accompagnés d’une femme, fine, de petite taille et aux cheveux roux bouclés. Par son attitude, on devinait qu’elle devait être la compagne de Kyle Mathieson, la mère de Fillan.
Les deux hommes arrivés un peu plus tôt accoururent et leur réservèrent un accueil chaleureux à grandes embrassades.
Ils entrèrent ensuite. Par la fenêtre, les espions observèrent le fils se laisser tomber dans le canapé et sortir son Smartphone. Il avait dû le récupérer à l’université.
Kyle, quant à lui, monta à l’étage. Rapidement, il fut hors du champ de vision des deux espions qui se doutèrent que l’Écossais avait retrouvé son bureau qui n’avait qu’une fenêtre, donnant sur le lac, à l’opposé de leur point d’observation.
Celle qui devait être la femme de Kyle avait ouvert une fenêtre au premier étage et semblait installer des draps sur un lit. Paul se tourna vers son coéquipier :
– Ils resteront au moins une nuit.
Thomas ironisa :
– Élémentaire mon cher Watson.
Après quelques secondes, Thomas ajouta :
– Mais nous n’apprendrons rien de plus ici, c’est une famille ordinaire qui arrive dans sa maison de campagne. Je pense qu’on va devoir trouver un moyen de savoir ce qu’il se trame réellement ici. Surtout, nous ne savons même pas s’ils préparent vraiment leurs plans, ils sont peut-être seulement en weekend et dans ce cas, nous aurons perdu notre temps. On va peut-être devoir retourner à Édimbourg pour que tu te fasses recruter.
Paul sentit une pointe d’agacement dans la voix de son coéquipier mais entendit au loin un nouveau bruit de moteur :
– Peut-être pas, regarde.
Un camion s’avançait sur le chemin. Paul poursuivit :
– Je ne penses pas que ce soient leurs affaires pour le weekend.
Thomas se redressa :
– Peut-être que si, mais on sort du weekend en famille pour quelque chose de plus intéressant. Regarde, c’est un vieux camion militaire.
En effet, Paul voyait maintenant la bâche de couleur kaki surplombant le véhicule ancien qui semblait peiner à freiner.
Un deuxième véhicule, identique, le suivit quelques secondes plus tard.
Malheureusement, personne n’avait visiblement prévu de décharger les deux camions et les deux chauffeurs étaient rentrés dans la maison.
Paul demanda :
– On fait quoi ?
– On attend.
Les deux espions restèrent en poste toute la journée sans que rien ne se passe. Le soir, épuisés et déçus, ils rentrèrent à l’hôtel.
Thomas sembla préoccupé. Paul demanda :
– Qu’est-ce qu’il y a ?
– Rien, je n’arrive pas à comprendre pourquoi il y a ces camions.
– Tu crois qu’on a raté quelque chose ?
– Non, mais ce n’est pas logique.
– Qu’est-ce qui n’est pas logique ?
– Les deux camions sont arrivés aujourd’hui, quasiment en même temps que les Mathieson. Ils ont eu la journée entière et ne s’en sont pas occupé. S’ils avaient dû charger les camions, ils l’auraient fait aujourd’hui pour pouvoir partir au plus vite. Donc, soit les camions sont encore vide et ne se rempliront pas ici, soit ils sont pleins et dans ce cas, c’est la même logique, pourquoi ne pas les avoir déchargés directement en arrivant ?
– Il attendent peut-être du monde.
– Sans compter les Mathieson, il y a quatre personnes, même pour une cargaison lourde, ils auraient pu essayer, non, il y a un autre détail.
– Ils les vident autre part ?
– Dans ce cas, pourquoi passer par ici ? Ce ne sont pas des camions discrets, ils ne craignent pas les contrôle. Cependant, il fallait que les chauffeurs voient Mathieson.
Paul laissa passer quelques secondes :
– Ce sont des camions militaires, avec une autorisation même copiée, la police n’insistera pas.
– Oui… Ce n’est pas si bête.
– Mais ils ont quand même une chambre visiblement.
– Je pense qu’on devrait aller se coucher. Si ce n’est qu’une escale, ils partiront tôt demain. On va s’occuper des camions, les Mathieson n’ont pas l’air précautionneux et on arrivera toujours à les retrouver.
Paul grommela. Il ouvrit un œil, puis le second. Thomas l’avait réveillé. Il demanda :
– Il est quelle heure ?
– Six heures.
Paul s’extirpa de son lit et s’habilla.
Les deux espions prirent un petit déjeuner rapidement et sortirent de l’hôtel pour se rendre à Sallachy.
Alors qu’ils allaient enfourcher leurs vélos, ils entendirent un bruis qui se rapprochait. La forme du camion militaire fendit l’épais brouillard matinal.
Thomas sortit Paul de ses pensées :
– Bon, on a de la chance, on va chercher nos affaires dans la chambre.
Paul suivit Thomas qui se hâtait de remonter chercher ses affaires. Ils mirent leurs vêtements dans leurs valises sans prendre le temps de les plier puis quittèrent la chambre, Thomas insista auprès de la responsable de l’hôtel pour payer rapidement.
Les deux espions sortirent et rangèrent leurs valises dans le coffre du Range Rover avant de démarrer.
Les camions n’étaient déjà plus à portée de vue mais il n’y avait que peu de chance qu’ils soient sortis de la route principale qui traversait la ville de Lairg.
Une vingtaine de minutes plus tard, l’arrière d’un camion était en vue. Il n’était pas compliqué de deviner que le second le précédait.
La route était déserte et les camions roulaient lentement, ce qui embêta Thomas :
– Si on se rapproche trop, on sera obligé de les doubler. Il ne faut pas qu’ils nous repèrent mais avec cette route déserte, ce ne sera pas simple.
– Tu veux faire comment ?
– Pour le moment je vais ralentir, on va espérer qu’ils ne fassent pas attention à nous.
Les camions paraissaient petits grâce à la distance que Thomas avait laissée entre eux et leur véhicule. Ce n’est que lorsque les camions prirent un virage au loin que Paul et Tomas purent voir le convoi. Il y avait bien les deux camions, mais ils étaient séparés par un 4×4 noir. Paul demanda :
– Tu crois que c’est celui des Mathieson ?
– Les Mathieson ou leurs hommes de main. Si ce sont eux, ça nous arrangera, on aura tout le monde en même temps.
Le long trajet se poursuivit. Il n’y avait que peu de risque que le convoi repère les deux espions, Thomas prenait soin de n’être que très rarement visible.
Soudain, l’ainé remarqua :
– Je crois qu’on est repéré.
Paul s’étonna, aucun signe ne pouvait laisser penser à cette éventualité :
– Pourquoi tu dis ça ? Les camions n’ont pas l’air d’avoir changé d’habitude ni d’avoir fait de manœuvre de sécurité.
– Ce n’est pas devant qu’est le problème.
Paul regarda dans le rétroviseur. Sur la grande ligne droite, il distinguait une voiture au loin :
– La voiture derrière nous ?
– Oui, elle nous suit depuis un moment.
– Elle peut juste partir en vacances.
– Elle roule aussi doucement que nous. La voici leur sécurité.
– Tu veux faire comment ? Décrocher ?
– Non, on les perdrait et il serait impossible de les retrouver. On va faire avec, mais on risque d’être accueilli à un moment ou à un autre.
– C’est une S60.
– Une S60 ?
Paul précisa :
– La voiture derrière, c’est une Volvo S60, ou S90 mais je ne pense pas, elle paraît plus petite.
Thomas sembla admiratif :
– Tu arrives à voir ça d’ici ?
– Je m’intéresse aux voitures au moins autant qu’Antoine s’intéresse aux armes…
– C’est impressionnant.
– Je peux quasiment tout dire sur ta voiture.
– En même temps tu es monté dedans.
– Oui, mais peu de personnes pourraient te dire que c’est une 730d de 286 chevaux avec transmission…
Thomas la coupa :
– Ok, tu t’y connais en voiture.
Paul n’insista pas, Thomas reprit :
– Ils ralentissent.
Les camions bifurquèrent, suivis par le Range Rover des espions.
Paul regarda dans le rétroviseur, la voiture que les suivaient était derrière eux. Thomas avait eu raison, ils étaient sans doute repérés.
Les camions s’arrêtèrent devant la mer, avec quelques voitures déjà sur place. Un ferry arriva. Tomas observa :
– On va devoir oublier la discrétion.
– Pourquoi ?
– On va monter sur le même ferry, visiblement ils vont traverser.
– Il y a d’autres voitures.
– De toutes manières, la Volvo est encore derrière nous.
Thomas s’avança dans la file de voiture attendant d’embarquer dans le ferry. Le 4×4 des Mathieson et les deux camions étaient en début de file, séparés des espions par une demi-douzaine de voitures.
La traversée était courte et les emmena sur une île qu’ils traversèrent en suivant le convoi.
Un autre ferry attendait de l’autre côté de l’île. Moins de véhicule embarquèrent. La traversée était plus longue. Paul en profita pour demander :
– C’est quoi le plan ?
– On voit jusqu’où ils nous mènent et on dira qu’on part en vacances dans les îles.
– Ils ne nous croiront pas.
– Non, mais on gagnera du temps. On va essayer de rester à distance et se faire discret. Ils ne devraient pas nous retrouver.
Arrivés sur une nouvelle île, les camions reprirent leur route jusqu’à ce qui pouvait apparaitre comme une petite ville, ou plutôt quelques maisons traversées par une route. C’est le GPS qui affichait la ville que Paul lut à haute voix :
– Gloup.
– Au moins on est au bon endroit.
Thomas gara la voiture et laissa les camions partir devant eux. Paul demanda :
– Tu fais quoi ?
– Je les laisse partir.
– Pourquoi ?
– On sait qu’on est au bon endroit, le coin n’est pas très grand, on les retrouvera facilement. Je redémarrerai dans un quart d’heure.
– Tiens, la Volvo a la même idée.
La voiture des poursuivant s’arrêta derrière la voiture des deux espions. Thomas indiqua à son coéquipier :
– Si on te demande, on cherche un hôtel.
Un homme athlétique d’une soixantaine d’années aux cheveux grisonnants sortit de la Volvo. Il semblait calme mais sur ses gardes. Paul remarqua qu’un autre homme était resté dans le véhicule, à la place du passager.
L’inconnu s’approcha de la fenêtre de Thomas qui descendit sa vitre. L’homme commença en anglais :
– Bonjour, coupez le moteur.
Thomas obéit et l’homme poursuivit :
– Je peux savoir ce que vous faites ici ?
Thomas joua l’innocent :
– Je suis avec mon frère en Ecosse, on vient visiter les îles du nord.
L’inconnu dévisagea Paul :
– Ce n’est pas votre frère.
Thomas se défendit :
– Je vous assure que si.
– Il est blond.
– Bon, c’est mon demi-frère. On a le même père.
– Je peux voir vos identités ?
– Non.
L’homme haussa le ton :
– Vous avez le choix, je peux vous contrôler ou vous arrêter.
– Vous êtes de la police ?
L’inconnu sortit un petit portefeuille qu’il déplia. Paul et Thomas découvrirent le logo de la police britannique. Il sortit son passeport, imité par Paul.
Celui qui les contrôlait les regarda attentivement puis les rendit aux deux espions :
– Où allez-vous dormir ?
– Dans un hôtel.
– Il n’y a pas d’hôtel ici.
– On rentre ce soir. On ne va pas dormir ici.
Le policier britannique se méfia :
– Je pense que vous ne me dites pas la vérité. Je vais devoir vous arrêter, sortez du véhicule.
Thomas protesta :
– Vous n’avez aucun motif !
– Sortez, on verra ça après.
Thomas ouvrit sa portière et obtempéra. Celui qui était resté dans la Volvo était sorti et se plaça devant la portière de Paul qui descendit de voiture.
On leur passa les menottes et Thomas indiqua à Paul :
– Question discrétion on a vu mieux.
Le policier empêcha Paul de répondre :
– Parlez anglais.
Thomas reprit :
– Quel est le motif de cette arrestation ?
Celui qui interrogeait les espions répondit :
– Terrorisme et réunion en bande organisée en vue de commettre un attentat sur le sol britannique.
Cette fois, Thomas et Paul étaient persuadés que les deux hommes étaient bien de la police. L’ainé tenta :
– Vous faites erreur, on travaille ensemble.
Le policier fronça les sourcils :
– Comment ça ?
– Nous sommes des services français.
Le policier éclata de rire :
– Mais bien sûr !
Thomas s’expliqua :
– Thomas Duchesne, instructeur de l’Aigle, avec moi Paul Osinski, c’est mon élève. Nous enquêtons en Écosse pour une mission en lien avec le MI-6. J’ai dans ma poche un Smartphone, vous pouvez appeler ma hiérarchie.
Les explications de Thomas firent perdre le sourire au policier britannique. Il sortit son téléphone et composa un numéro. Paul l’entendit demander :
– J’ai besoin d’informations sur un français…
Quelques secondes passèrent puis il reprit :
– Thomas Duchesne. Non, je n’ai pas son passeport.
Le policier écarta son téléphone pour s’adresser à Thomas :
– Votre coéquipier, son nom ?
– Paul Osinski.
Le policier indiqua le nom au téléphone puis le relâcha à nouveau :
– Vos dates de naissance ?
Thomas répondit, l’officier les répéta au téléphone. Il raccrocha quelques secondes plus tard et indiqua au policier qui maintenait Paul :
– Libère-le.
Les deux espions furent détachés, l’officier britannique précisa, d’un air déçu :
– Ok, vous auriez dû avoir vos véritables pièces d’identité.
Thomas haussa les épaules :
– On est censé être sous couverture.
– Vous enquêtez sur les Mathieson ?
– Nous ne sommes pas autorisé à répondre par l’affirmative à vos questions.
– Vous êtes en vacances ?
– Non.
– Nous sommes aussi chargés de les observer.
– Nous ne pouvons pas être deux équipes, c’est trop risqué.
Le policier répondit, l’air provocateur :
– Nous avons la priorité, nous sommes sur le sol écossais.
– Mais nous sommes en mission sous la direction du MI-6. Nous sommes prioritaires.
Le policier prit son téléphone et composa un numéro. Il eut une discussion de quelques secondes puis raccrocha et se tourna vers les espions :
– Nous allons rester sur place. Si vous avez besoin d’aide, je vais vous donner mon numéro. Bon courage.
Le policier tint une carte à Thomas puis tourna les talons pour remonter en voiture.
Les deux espions prirent place dans leur véhicule et Thomas démarra. Paul demanda :
– Tu crois que notre couverture tient encore ?
– C’étaient de vrais policiers, si personne n’a entendu la discussion ou a vu la scène, oui, c’est plutôt une bonne nouvelle de savoir qu’ils n’étaient pas avec les camions.
Paul et Thomas n’eurent aucun mal à retrouver les camions. Gloup était traversé par trois rues, Kirks qui traversait toute l’île et était la rue principale puis deux autres rues qui étaient des culs-de-sac.
Les camions s’étaient arrêtés au bout de la deuxième petite rue.
Thomas avait visiblement son plan bien en tête :
– Je vais te laisser y aller. Si on y va tous les deux avec le 4×4, on sera vite repérés. Je vais aller me garer plus loin et je te rejoins.
Paul se retrouva seul au milieu des quelques maisons constituant le village. Il n’y avait aucun commerce. Seules quelques brebis étaient en train de paître devant lui.
Paul se fit le plus discret possible pour rejoindre les quelques maisons qui semblaient appartenir aux Mathieson mais il n’y avait que peu d’endroit où se cacher.
Il fur rejoint par Thomas après une dizaine de minutes.
Le soleil se couchait et il ne faisait pas chaud. Paul demanda :
– On dort où ce soir ?
– Ici.
Le jeune espion n’insista pas. Il observa les bâtiments devant lui.
Il y avait un grand entrepôt, une maison et une grange qui semblait désaffectée. Derrière l’entrepôt, un grand bâtiment était à cheval entre terre et mer. Paul ne parvint pas à voir l’intérieur.
Thomas, qui avait dû faire ses repérages plus rapidement, l’entraina vers la grange.
Les deux espions profitèrent des trous dans le mur pour s’assurer qu’il n’y avait personne puis, Thomas poussa une petite porte sur le côté qui s’ouvrit sans résister. Ils entrèrent.
Thomas remarqua :
– On pourra dormir ici, visiblement ils n’utilisent pas cette grange.
Paul acquiesça :
– Et pour manger ?
– Suis-moi.
Les deux espions sortirent de leur cachette le plus discrètement possible. Paul regarda les bâtiments dans lesquels l’équipe de Mathieson s’était installée. Ils ne semblaient pas se préoccuper de ce qu’il pouvait se passer autour d’eux.
Thomas s’approcha de quelques arbres :
– Ce sera fruits ce soir, j’espère que tu n’es pas contre un régime.
Les deux espions cueillirent ce dont ils avaient besoin. Le diner serait frugal mais Paul s’en contenterait.
Depuis leur cachette, Paul et Thomas observèrent régulièrement la maison. Malheureusement, malgré les fenêtres, personne n’était visible.
Sous la direction de Thomas, ils attendraient le lendemain pour agir.
Paul dormit tant bien que mal à même le sol, derrière une ancienne palissade. Il faisait froid.
Le jeune espion se réveilla plusieurs fois et passa une nuit difficile. Il rêva que Thomas et lui étaient découverts, qu’ils devaient se battre pour se sortir de la grange mais que leur mission les soldait par un échec.
Le petit-déjeuner fut composé des mêmes denrées que le dîner de la veille. Thomas avait l’air d’avoir mieux dormi que son jeune coéquipier :
– Il va falloir qu’on avance aujourd’hui.
Thomas s’arrêta de parler. Un bruit l’avait coupé.
Les deux espions se cachèrent derrière la palissade qui les avaient cachés pendant la nuit, la porte de la grange s’était ouverte.
Paul et Thomas se turent, arrêtant même de bouger. Une voix de femme, en anglais, se fit entendre :
– Je sais que vous êtes là, messieurs, nous vous avons aperçu hier soir ! Nous avons l’habitude d’accueillir les personnes qui visitent la région et qui n’ont pas d’hôtel où dormir. Pourquoi ne viendriez-vous pas déjeuner avec nous ce midi ?
Les deux espions ne bougèrent pas, la voix repris :
– Nous pouvons vous offrir l’hospitalité le temps de votre passage dans la région et même vous faire visiter, les repas seront bien mieux que les quelques fruits que vous avez cueillis. Qu’en dites-vous ?
Thomas commença à se relever. Paul l’arrêta :
– Tu es fou ? C’est surement un piège !
Thomas s’amusa :
– Evidemment que c’est un piège ! Mais on est repéré, autant profiter d’un ticket d’entrée dans la maison.
Paul avait du mal à suivre la logique de son coéquipier mais l’imita lorsqu’il se dévoila.
La femme était aisément reconnaissable, c’était celle qui accompagnait Kyle Mathieson et qui devait être sa femme. Son visage était accueillant :
– Bonjour messieurs, suivez-moi.
Les deux espions furent conduits dans la maison et suivirent leur hôte à l’étage puis dans une chambre :
– Ce n’est pas un château mais au moins vous serez au chaud. Vous avez une salle de bains juste à côté. Je ne vous ai pas demandé d’où vous veniez.
Thomas répondu :
– De France. Je vis à Édimbourg et mon frère m’a rejoint pour quelques semaines.
La femme répondit en français :
– Soyez les bienvenus. Vous resterez déjeuner avec nous ce midi ? Cela nous ferait très plaisir de vous avoir à table.
– C’est gentil et nous acceptons avec plaisir.
La femme répondit par un sourire entendu et ferma la porte de la chambre en repartant.
Paul regarda Thomas :
– Tu crois qu’elle est au courant ?
– Bien sûr, mais nous avoir avec eux leur permettent de contrôler nos déplacements et ce qu’on peut voir.
– On n’est pas enfermés, ils nous offrent à manger, c’est bizarre. Peut-être qu’elle croit vraiment qu’on est des touristes.
– C’est possible mais je n’y crois pas. Le problème c’est qu’en étant dans cette chambre, on ne peut pas visiter la maison comme on le voudrait, dehors, on pouvait aller à l’entrepôt ou dans l’autre bâtiment et voir ce qu’il s’y passait. Ici ils sauront quand nous sortirons. Il faudrait que ce midi, nous insistions pour visiter la propriété.
Paul regarda par la fenêtre :
– C’est quand même joli comme paysage.
La fenêtre donnait sur la grange et une partie du village. Thomas remarqua :
– Oui, c’est dommage qu’on ne puisse pas voir l’arrière de la maison et les deux autres bâtiments.
Les deux espions s’assirent chacun sur un lit quand la porte s’ouvrit à nouveau. Les deux hommes de main des Mathieson apparurent, Kyle à leur suite.
Il regarda les deux espions et les salua en français :
– Bonjour messieurs.
Thomas répondit :
– Bonjour.
– Je vais aller droit au but, pourquoi êtes-vous ici ?
– Drôle de manière d’accueillir vos invités. C’est votre femme qui nous a proposé l’hospitalité.
– Je le sais, mais pourquoi êtes-vous ici, à Gloup, où aucun touriste ne met jamais les pieds ?
– Justement, nous si, nous avions envie de visiter la région.
Mathieson prit le sac de Paul et le vida sur le lit. Il fut surpris de voir qu’il ne contenait que des affaires que tout jeune aurait eu dans son sac. Il se tourna à nouveau vers les espions :
– Je n’aime pas qu’on fouille dans mes affaires.
Thomas répondit :
– Ce n’est pas le cas, je travaille à Édimbourg et mon frère est venu passer quelques jours avec moi.
– Vous me prenez pour un idiot, je sais que vous êtes entrés par effraction chez moi.
– Je vous assure que c’est votre femme qui nous a invité.
– Et à Sallachy aussi, elle vous y a invité ?
Paul remarqua que Thomas ne sut quoi répondre, laissant à Kyle Mathieson la possibilité de poursuivre :
– Vous avez été assez doué pour ressortir mais je sais que c’était vous.
Thomas garda son calme :
– Je ne sais pas de quoi vous parlez, nous n’avons jamais mis les pieds à Sallachy.
– Vous avez l’air intelligents mais vous avez perdu. Maintenant, c’est moi qui vous tiens.
Mathieson fit un signe à ses sbires qui se saisirent de Paul. Kyle regarda Thomas :
– Tu vas parler où il y passe.
Paul savait que Mathieson avait sans le vouloir mit le doigt sur le point faible de Thomas, un point faible qui pouvait le transformer en machine à tuer, et ce point faible c’était lui. Paul intervint :
– On n’a rien fait, mon frère ne peut pas vous inventer une histoire juste pour vous faire plaisir.
Thomas allait se redresser lorsque celui qui les interrogeait sortit une arme :
– Tu restes assis. Soit tu me dis ce que je veux savoir, soit tu verras ton frère se faire torturer et tuer devant tes yeux avant de subir le même sort.
Thomas reprit sa place et resta silencieux.
L’un des hommes de main sortit un couteau de sa poche et découpa le haut du tee-shirt de Paul. Mathieson expliqua :
– Bien, il portera à vie une cicatrice en forme de chardon. Tu sais que c’est long à dessiner, un chardon ?
Thomas resta stoïque alors que la lame acérée s’approchait du torse de Paul.
La lame se posa doucement sous le regard de Mathieson.
Soudain, Thomas se leva :
– Arrêtez !
Mathieson fit un geste de la main pour que son sbire s’arrête. Paul lâcha un soupir de soulagement. Il avait eu peur que Thomas ne le laisse se faire torturer sans broncher.
Celui qui tenait son arme en joue vers Thomas eut un rictus :
– Prêt à parler ?
Thomas avança d’un pas, il n’était pas en situation de force devant Mathieson qui était armé mais Paul connaissait les talents de son coéquipier pour se sortir de situations périlleuses. A deux contre trois, la manœuvre semblait délicate. L’ainé des deux espions se rassit :
– Vous avez raison, nous ne sommes pas juste des touristes.
Paul entendit le petit bruit de la balle qui roulait aux pieds de Thomas. Personne ne l’avait remarqué sauf lui. Thomas l’avait laissée tomber délicatement et le jeune espion espérait que cela suffirait à la déclencher.
Une légère fumée en sortit, une fumée jaunâtre et épaisse qui prit rapidement de l’ampleur et se propageait de plus en plus rapidement.
Mathieson ne s’en aperçut qu’après quelques secondes, juste assez pour qu’il ne puisse plus rien faire :
– Qu’est-ce que c’est que ça ?
Profitant de la surprise, Thomas s’élança en avant et sauta au cou de son interrogateur. Il lui tourna le poignet et Paul le vit disparaitre dans le brouillard.
Le jeune espion distinguait la forme de l’homme de main qui s’était retourné, essayant d’agiter les bras pour dissiper la fumée.
Paul se jeta sur lui et lui frappa le poignet à deux reprises. Des coups bien placés qui permirent de désarmer l’homme de main. Le bruit du couteau qui tomba par terre alerta Thomas qui cria :
– Paul ! La porte !
Paul s’avança vers l’entrée de la pièce et posa la main sur la poignée au même moment que son coéquipier. Ils l’abaissèrent et sortirent.
Thomas ferma la porte derrière lui. Des bruits de pas se rapprochèrent par un escalier au bout du couloir dans lequel ils se trouvaient.
Thomas remarqua :
– On n’a pas été très discrets. Autant finir le travail.
Tomas prit la balle rouge et la lança en avant. Il se boucha immédiatement les oreilles, imité par Paul. Malgré cette protection, le bruit fut assourdissant.
Il prit ensuite la boule verte et la lança dans l’escalier. Le lancer ne fut suivi d’aucune détonation mais une légère fumée blanche indiquait qu’elle avait bien fonctionné. Il s’agissait maintenant de ne pas se laisser piéger par le produit qui les endormirait rapidement.
Paul regarda Thomas qui indiqua :
– On va sauter.
– Comment ça ?
Thomas se retourna. A l’autre bout du couloir, une fenêtre donnait sur l’extérieur.
Les deux espions s’en approchèrent et Thomas l’ouvrit alors que Mathieson apparut à son tour. Il avait retrouvé la porte.
Thomas sortit une arme et la pointa vers leur ennemi :
– Désolé, je n’ai pas de couteau, je ne vous ai pris que ça.
Paul entendit la détonation. Mathieson s’écroula en se tenant la jambe.
Thomas se tourna à nouveau vers la fenêtre et s’élança. Il disparut.
Une sirène au bruit rauque retentit, Trois coups fort qui résonnèrent dans le bâtiment. L’alerte avait dû être donnée.
Paul s’élança en avant et sauta par la fenêtre. Il savait qu’il était au premier étage et qu’une chute douloureuse était à prévoir. Il se protégea de son coude et fit une roulade en atterrissant pour éviter de se blesser.
Thomas l’attendait :
– L’alarme vient du bâtiment au fond, on va aller voir ce qu’il s’y passe.
Les deux espions approchèrent et profitèrent d’un interstice pour regarder à l’intérieur du bâtiment qui continuait au-dessus de l’eau.
Ils virent un énorme sous-marin gris se laisser lentement submerger.
Des cris retentirent de la maison :
– Stop, stop !
Thomas regarda Paul :
On n’a pas beaucoup de temps. J’ai vu deux groupes de trois hommes à l’intérieur, je vais ouvrir la porte, tu lanceras ta balle rouge à l’intérieur puis on entrera. Tu ne t’arrêtes pas jusqu’au sous-marin, on sautera dessus.
Paul acquiesça et Thomas précisa :
– Et enlève ton tee-shirt, ça fait négligé.
Paul s’aperçut qu’il portait encore son vêtement déchiré par l’homme de main de Mathieson lors de leur captivité. Il le retira et prit la balle rouge.
Thomas était déjà prêt. Il entrouvrit la porte du bâtiment, Paul lança la balle. La détonation sembla plus forte encore que dans la maison. Thomas ouvrit en grand l’accès au bâtiment et les deux espions s’élancèrent.
Surpris, les six personnes présentes dans le bâtiment les regardèrent médusés.
Thomas sauta sur le sous-marin, suivi de Paul. Deux hommes entrèrent dans le bâtiment, c’étaient les hommes de main de Mathieson qui restèrent impuissants.
Thomas ouvrit l’entrée du sous-marin et entra :
– Dépêche-toi, on est attendus.
Paul suivit Thomas et referma l’entrée. Il faisait sombre à l’intérieur.
Doucement, les deux espions descendirent dans l’appareil. Ils entendaient des bruits de pas. Thomas chuchota :
– Passe-moi ta balle jaune.
Paul sentit dans sa poche les balles restantes. Il en sortit une, c’était la verte. Il retenta sa chance avec plus de succès et tint la balle à Thomas, le plus délicatement possible.
L’ainé la lâcha par terre. La balle rebondit au sol et la fumée commençait à se dégager. Les deux espions entendirent une voix au loin, en anglais :
– On a potentiellement deux intrus à bord. On ne remonte pas à la surface mais on est chargé de les retrouver. Attention, ils sont dangereux et l’un d’eux est armé.
Une autre voix intervint :
– On n’y voit plus rien près des machines !
Thomas termina de descendre l’échelle, suivi de Paul.
Une fois en bas, le jeune espion sentit une main sur son épaule, suivi de la voix de Thomas :
– Avance lentement et fais attention de ne bousculer personne.
Paul s’exécuta. A en croire par le bruit métallique qu’il venait d’entendre, une porte avait été ouverte un peu plus loin. Il n’y voyait plus rien.
Le couloir était exigu et, lorsqu’ils croisèrent un membre de l’équipage, Paul et Thomas durent faire preuve de contorsion pour ne pas l’effleurer.
Ils passèrent la porte, le brouillard était au moins aussi intense mais commençait doucement à se dissiper. Par une pression sur l’épaule de son coéquipier, Thomas lui indiqua de s’arrêter. Il passa devant :
– Tiens-toi à moi, je passe devant.
Paul posa la main sur l’épaule de son ainé qui reprit sa marche. Quelques secondes plus tard, il l’entendit :
– Attention, des escaliers, on va descendre.
Paul et Thomas descendirent quelques marches puis tournèrent. Là, il n’y avait plus de fumée.
Ils étaient sous l’escalier, cachés par des caisses en métal. Une petite fente leur permettait de voir ce qu’il se passait devant eux. Thomas précisa :
– On est à l’arrière, normalement personne ne devrait passer ici.
– Comment tu le sais ?
– Tu n’as pas regardé la maquette chez Mathieson ?
Paul s’en voulait d’être passé à côté de cette indication. Il regarda derrière lui, il n’y avait en effet aucune porte. Il demanda :
– On pourrait les endormir ?
– Trop risqué, on risquerait d’être victimes de notre propre piège et la fumée mettrait trop de temps à s’échapper.
Une porte face à eux s’ouvrit. Un homme d’une trentaine d’année sortit et se dirigea vers l’escalier en demandant :
– Qu’est-ce que vous faite ? Ce n’est pas en me laissant seul en bas que l’on va avancer ! Vous n’avez pas besoin d’être quatre pour trouver deux gamins !
Thomas regarda Paul en souriant :
– Lui, ça doit être le plus idiot de la bande. Viens, on y va !
Thomas sortit de sa cachette et s’élança vers la porte qui était restée ouverte, suivi de Paul.
Une fois la porte passée, Thomas la referma et la coinça comme il le put, avec une chaise bloquant la poignée.
Paul regarda autour de lui. Il était dans ce qui devait être une salle de commandes, avec plusieurs écrans et des nombres défilant sur plusieurs d’entre eux. Il regarda Thomas :
– Tu savais qu’il n’y avait personne ?
– Oui, c’est celui qui est sorti qui nous l’a dit, c’est pour cela que je t’ai dit que c’était le plus idiot. Il a dit qu’on l’avait laissé seul en bas et il est monté. Il a aussi dit qu’ils étaient cinq dans le sous-marin, on devrait arriver à les maitriser sans trop de problème.
– Ils ne sont pas très bons.
Thomas s’assit devant l’un des écrans et observa la pièce :
– D’un autre côté, Mathieson n’allait pas envoyer ses meilleurs éléments se faire tuer.
– Comment ça ?
– On est en train de rejoindre Gloups Voe pour aller en mer. La trajectoire annoncée va vers Londres. A en croire ces écrans, nous transportons deux missiles qui seront lancés à distance vers la capitale.
– Tu peux faire quelque-chose ?
– On va essayer. Tu sais nager ?
– Ben oui. Je suis élève à l’Aigle, tu sais ?
A cet instant, on tambourina à la porte :
– Ouvrez ! Qui que vous soyez, ne touchez à rien !
Thomas se leva et s’adressa à Paul :
– Donne-moi la balle verte.
Paul s’exécuta. Thomas s’approcha de la porte :
– Attention, ça va être chaud.
L’ainé des espions sortit son briquet et choisit le chalumeau.
Une flamme de cinq centimètres en sortit. Il l’avança vers la porte. Le métal commença à fondre.
Soudain, un bruit vint de l’autre côté de la pièce. Une porte s’était ouverte sur deux hommes qui regardaient les espions sans comprendre.
Thomas fit volte-face mais il était trop tard. Les deux hommes avaient compris que les deux espions étaient des intrus.
Thomas et Paul tournèrent autour de la pièce, face aux deux inconnus qui les imitaient.
Arme au poing, ils n’allaient pas avoir de mal à descendre les deux espions maintenant bloqués dans le fond de l’appareil.
L’un des deux hommes ouvrit la porte et les trois autres accoururent.
Paul regarda Thomas :
– On fait quoi ? On ne pourra pas les battre.
– Je sais… On doit réaliser notre mission avant tout.
Paul regarda la main de Thomas. Il tenait une balle de golf avec une marque noire. Il se souvint des mots de celle qui leur avait présenté leur équipement au sujet de cette balle “Je vous conseille de ne l’utiliser que lorsque vous n’avez plus d’autre possibilité…“. Le jeune espion savait que sauver Londres était plus important que leur incertaine survie.
Thomas murmura :
– Je vais faire ce que je peux. Ne t’inquiète pas. Retiens ta respiration… Si j’y reste, je suis désolé de cet échec et j’ai aimé passer ces moments avec toi…
L’ainé lança la balle en avant. Sans que Paul ne pût réagir, Thomas avait fondu sur lui et plaqué au sol.
Une détonation retentit. Paul sentit le souffle de l’explosion qui le fit trembler et une forte chaleur.
Le jeune espion eut le souffle coupé. Thomas était allongé sur lui et lui cachait le visage avec les bras. Paul avait survécu mais il était conscient que cela avait sans doute été au détriment de son coéquipier.
Le corps de Thomas se souleva légèrement. Il releva la tête et regarda Paul en souriant :
– Ça va ?
Paul hocha la tête. Thomas semblait aller bien.
Les deux espions se relevèrent et découvrirent un spectacle apocalyptique. Les corps gisaient au sol, baignant dans un liquide qui se tintait de plus en plus du rouge de leur sang et s’approchait à grand flots des deux espions.
Un trou béant laissait entrer l’eau dans l’appareil qui piquait du nez vers le fond de la mer.
Thomas s’avança :
– On y va, j’espère qu’on n’est pas encore trop profond.
Les deux espions passèrent l’un après l’autre dans le trou de la carcasse.
Il faisait sombre. Au loin, au-dessus de lui, Paul distinguait la surface. Il se remobilisa pour ne pas paniquer et nagea vers le haut. Thomas était à sa hauteur, concentré lui aussi pour être le plus rapidement possible hors de l’eau.
Il faisait froid. Petit à petit, la lumière se fit plus nette, il voyait la surface et put la rejoindre en près de deux minutes. Sa tête sortit de l’eau. Il prit une grande inspiration et regarda autour de lui. Il ne vit que de l’eau.
Au moins, ils étaient vivants. Thomas et Paul ne savaient pas vers où nager ni la distance qui les séparaient de la côte.
Un groupe d’oiseau passa au-dessus d’eux. Thomas s’adressa à son coéquipier :
– On a de la chance, on n’est pas loin du rivage. On va nager lentement pour ne pas se fatiguer ni se faire de crampe. Tout va bien ?
Paul hocha doucement la tête :
– Oui, je pense.
A cet instant, le jeune espion vit la fine trainée rouge couler derrière son coéquipier :
– Tu saignes.
Thomas passa la main dans son dos. Cela semblait superficiel :
– Ça va, rien de grave, j’y survivrai. Viens, on y va.
Paul et Thomas nagèrent en direction du groupe d’oiseaux.
Il leur fallut quelques minutes seulement pour distinguer la terre au loin et près de quarante-cinq minutes de nage pour atteindre le rivage.
Les deux espions s’allongèrent sur la plage, épuisés.
Après quelques seconde, l’ainé reprit ses esprits :
– Allez, on n’a pas encore terminé. On se remet en route.
Ils étaient au milieu de nulle part.
Thomas observa les alentours et sourit :
– Au moins, on a retrouvé la civilisation, on est sur un golf !
Paul regarda au loin, l’herbe fraichement coupée ne laissait aucun doute, ils étaient bien sur le rough d’un golf.
Les deux espions remontèrent les trous du sixième au premier et trouvèrent une petite route qui les conduisit jusqu’à un club house où ils entrèrent.
L’homme derrière le comptoir eut un mouvement de recul :
– Vous n’avez pas la tenue adéquate ! Que vous est-il arrivé les amis ?
Thomas répondit d’un ton las :
– On ne vient pas jouer, on s’est perdus. Vous pouvez nous dire où nous sommes ?
L’homme retrouva le sourire, voyant que la situation n’appelait pas à panique :
– Vous êtes à Skaw, en Écosse.
Thomas sortit son téléphone :
– Merde. Il a pris l’eau.
Il la rangea immédiatement et s’adressa à nouveau à l’homme :
– Est-ce que vous auriez une carte ?
L’homme sortit son Smartphone et montra l’endroit à Thomas qui réagit :
– J’aurais besoin d’un téléphone, vous pourriez me prêter le votre ?
– Bien-sûr.
Thomas composa un numéro. Peul écouta la conversation :
– C’est Thomas, on est à Skaw. Il y a un sous-marin au large avec des missiles qui avaient pour cible Londres. Mathieson est à Gloup, au nord, une balle dans le genou mais il a déjà dû partir. Toutes les preuves sont dans le sous-marin qui a pris l’eau, il doit être par le fond maintenant… Oui… D’accord.
Thomas laissa passer quelques secondes :
– Il va bien, est-ce qu’on pourrait aussi avoir des vêtements ? Les nôtres ont sale mine. Merci.
Thomas raccrocha et rendit le Smartphone à l’employé du golf :
– Merci beaucoup. Comment pouvons-nous rejoindre la piste d’aviation ?
– C’est juste derrière, vous sortez du bâtiment, vous continuez sur la route et il est sur votre gauche.
– Merci encore pour votre aide !
Les deux espions sortirent du bâtiment. Comme on leur avait annoncé, la piste d’aviation était juste à côté.
Paul demanda :
– On va prendre l’avion ?
Oui, mais il n’arrivera que dans une trentaine de minutes.
– Pour Mathieson, on fait quoi ?
– On n’a plus rien à faire, la police est en chemin pour le retrouver, d’autres vont chercher le sous-marin. On a réussi notre mission.
– Ha.
Paul ne savait pas quoi répondre de plus. Il était soulagé que ce soit terminé. Les dernières heures avaient été stressantes. Il ressentait une grande fatigue et avait froid.
Sur le petit aérodrome de Skaw, les deux espions s’assirent sur l’herbe en bout de piste.
Une demi-heure plus tard, un Piper PA-32 se posa. Thomas et Paul s’en approchèrent et furent accueillis en français par un homme d’une soixantaine d’années, habillé comme un aviateur militaire :
– Bonjour messieurs, je suis l’Air Commodore Brown. J’ai été missionné pour venir vous chercher et vous raccompagner à bon port.
Il dévisagea Paul :
– Embarquez, des vêtements vous attendent à l’intérieur. Une fois changés, on décollera.
Paul suivit Thomas dans le petit avion. Ils se changèrent avec les vêtements apportés par le commodore Brown qui embarqua quelques minutes plus tard et se mit aux commandes :
– Vous m’excuserez, j’ai préféré prendre un avion civile disponible plutôt que d’avoir un avion militaire et vous faire attendre.
Thomas répondit :
– Vous avez bien fait. Au fait, où allons-nous ?
– Je vous emmène à Paris, l’avion est capable d’y aller et je pense que vous avez hâte d’y arriver. Vous avez de quoi manger dans la glacière, faites vous plaisir. On a six heures de vol, je ne vous en voudrais pas si vous faites la sieste.
– Merci mon commodore.
– Appelez moi Jeff, ça me fait plaisir.
Thomas et Paul mangèrent les sandwichs et les chips au goût de vinaigre apportés par Jeff Brown. Paul but une cannette de coca puis, lorsqu’il eut terminé, demanda à Thomas :
– Ça te déranges si je dors un peu ?
Thomas répondit d’un sourire compatissant :
– Non, au contraire. Tu l’as bien mérité.
Paul ferma les yeux et entendit son coéquipier ajouter :
– Tu as très bien travaillé.
Thomas changea de place et s’assit à l’avant de l’appareil. Paul entendit quelques bribes de conversations entre Thomas et Jeff mais n’y prêta pas attention, il s’endormit.
A son réveil, Paul dut prendre quelques minutes afin d’émerger. Il se sentait encore fatigué.
Thomas, remarquant le réveil de son coéquipier, revint auprès de lui :
– Ça va ?
– Oui… Mais j’aurais bien aimé retourner à Gloup. On aurait pu s’occuper de Mathieson.
– Oui, on aurait pu, mais on n’aurait mis trop de temps. Autant laisser la police s’en charger. Et puis, tu es déjà assez fatigué comme ça.
Paul hésita :
– Thomas ?
– Oui ?
– Tu veux toujours faire équipe avec moi ?
Thomas sembla étonné :
– Bien sûr ! Pourquoi ce ne serait pas le cas ?
– Je ne sais pas, désolé, je crois que je suis encore un peu fatigué.
Thomas sourit :
– Et toi ?
Paul n’eut pas à réfléchir :
– Bien sûr !
Les deux garçons discutèrent ensemble avec Jeff jusqu’à leur arrivée au Bourget.
Là, ils remercièrent leur pilote et embarquèrent dans une voiture en direction de Paris.
Ils durent passer quelques minutes à expliquer où étaient resté leurs affaires à la personne chargée de leur retour puis, ils ressortirent à vingt-et-une heures, après avoir récupéré leurs vraies identités.
Thomas proposa :
– Paul, j’aimerais t’inviter au restaurant ce soir.
Paul sourit :
– Avec plaisir ! J’ai la dalle !
Thomas s’amusa :
– Parfait. Ho, tu as encore eu ton sourire, maintenant j’arrive même à savoir quoi dire !
– Vraiment ?
– Oui, suffit de te dire quelque-chose qui te fasses vraiment plaisir !
– Démasqué… On va au coin de la rue ?
– Pas cette fois, je veux te faire découvrir un restaurant que j’apprécie particulièrement.
Thomas invita Paul à monter en voiture. Ils s’arrêtèrent dans un petit bistro en proche banlieue parisienne. Paul reconnu parfaitement l’endroit, à quelques mètres seulement de chez lui. Pourtant, il n’avait jamais remarqué ce restaurant discret. C’était vraisemblablement un lieu d’habitués.
La salle de restaurant était agréable et les plats particulièrement bons. Thomas semblait bien connaitre le lieu.
Ils ne repartirent qu’après minuit et arrivèrent une heure plus tard sur le campus silencieux.
Cette fois, Paul était bel et bien revenu à sa vie d’étudiant.
Il quitta Thomas dans le hall, non sans une certaine nostalgie déjà présente.
Paul regagna sa chambre. Il prit soin de ne pas réveiller Antoine qui dormait déjà. Ils auraient bien le temps d’échanger le lendemain.
Paul se coucha et s’endormit rapidement, épuisé par sa mission et bercé par le calme du campus.
Le cours de la vie étudiante de Paul reprit ses droits. Il raconta à ses amis une partie de ce qu’il avait vécu pendant sa mission. Sur le campus, rien n’avait bougé et les cours se poursuivirent. Paul put rattraper rapidement ceux qu’il avait manqué et se remettre à niveau juste avant les vacances de Pâques.
Les vacances furent salvatrices mais avec un arrière-goût amer. Comme ces moments que l’on devrait apprécier pour ce qu’ils sont mais où un élément nous manque pour qu’ils soient complètement parfaits, comme une randonnée dans des paysages fabuleux mais que l’on serait obligé de faire avec un caillou dans sa chaussure. Paul n’arrivait pas à dire quel était ce caillou, surtout que Louis n’avait pas cette impression.
Il comprit la veille de son retour au campus, le vendredi, vers vingt-deux heures, seul, devant son ordinateur. Les vacances qu’il venait de passer, il s’était ennuyé. Il avait vu sa grand-mère deux fois, Louis quasiment un jour sur deux, mais il avait ressenti un manque. Il savait que ce manque allait être décuplé à l’avenir. Devant lui se tenaient les deux derniers mois de sa scolarité à l’Aigle et il aurait voulu en profiter un peu plus. Il aurait voulu que cette cinquième année dure deux ans, au moins. Après son diplôme, il serait loin de ses amis. Il les recroiserait sans doute pendant sa carrière, parfois, mais ce ne sera plus pareil. Terminé les longues soirées au foyer, les discussions tardives avec Antoine, les cours et les examens. Dans deux mois, tout serait terminé et il savait déjà qu’il regretterait ce temps.
Il se raccrocha à l’avenir. Il travaillerait avec Thomas, on lui confierait sans doute des missions plus importantes, plus variées. Il restait deux mois et il avait déjà envie d’y être, tout en souhaitant reculer l’échéance le plus possible.
Le retour sur le campus fut un moment particulier et plaisant.
L’équipe de l’organisation des évènements sur le campus, en particulier Damien et Lucy, avaient prévu une soirée sur le thème de Pâques, tombé cette année au beau milieu des vacances.
La soirée était douce et, après le dîner, une grande partie des élèves de l’Aigle terminèrent à l’extérieur.
Antoine et Paul retrouvèrent Louis, Arthur et Lian sur la pelouse près du stade.
Tous les élèves de cinquième année avaient la même impression, celle d’être bientôt à la fin de leur scolarité et contraints d’aller vers de nouveaux horizons.
Ils se promirent cependant de garder le contact, même en dehors de leur travail.
Louis était le seul qui avait un sentiment différent. Il lui restait un peu plus d’un an dans cette école et, si les élèves de dernière année lui manqueraient certainement, cela ne semblait pas pour lui un problème majeur.
Comme souvent pendant ces soirée-là, Thomas faisait le tour de ses élèves. Il s’approcha du groupe de Paul :
– Belle soirée ?
Devant la mine déconfite du groupe, Thomas s’assit avec eux :
– Qu’est-ce qu’il vous arrive ?
Antoine répondit :
– On se disait qu’il nous restait que deux mois et le campus serait plus qu’un souvenir.
Thomas fit la moue :
– C’est vrai, mais de belles choses vous attendent.
– On ne se verra plus.
– L’Aigle est une petite structure, vous travaillerez ensemble et vous vous recroiserez souvent, vous n’avez pas à vous inquiéter. Plutôt que de broyer du noir, vous devriez en profiter.
Paul intervint :
– Et toi ?
– Je ne vais pas vous dire que c’est facile, ni même que c’est plus difficile que pour vous, mais les changements sont importants.
Antoine demanda :
– Alors vous allez quitter le campus aussi ?
Thomas acquiesça :
– Oui, je vais reprendre le terrain.
– Toujours à l’Aigle ?
– Oui.
– Je comprends alors. Je peux vous poser une question ?
– Bien sûr.
Antoine regarda Paul puis Thomas :
– On va travailler avec vous alors ?
– C’est ça, je ne serai plus votre responsable mais nous travaillerons ensemble.
– Ça sera… bizarre. Enfin pour certains plus qu’à d’autres.
– Que veux-tu dire ?
Antoine sourit et regarda Paul :
– Certains ont déjà l’habitude.
Thomas ne répondit pas. Antoine lui demanda :
– Je peux vous parler en privé ?
– Oui, viens.
Antoine et Thomas s’éloignèrent, laissant Paul avec Arthur, Lian et Louis.
Ils reprirent une discussion sans lien avec la précédente.
Antoine revint un quart d’heure plus tard. Arthur lui demanda :
– De quoi vous discutiez ?
Antoine haussa les épaules :
– Si je voulais lui parler en privé, ce n’est pas pour vous raconter après.
L’interrogateur sembla déçu mais n’insista pas. Antoine ajouta :
– Rien d’important, je voulais lui demander quelque chose pour l’an prochain.
Les étudiants changèrent de sujet pour discuter de leur fin d’année.
A une heure du matin, chacun regagna sa chambre. Comme souvent, Paul et Antoine prirent le temps de discuter avant de se coucher. Un moment agréable où l’agitation de la soirée laissait place au calme de la nuit.
Les deux amis se couchèrent une heure plus tard, fatigués mais motivés pour la fin d’année qui les attendaient avec, un mois plus tard, les dernières épreuves de leur scolarité.
Le mois de mai était studieux. Le beau temps n’empêchait pas les élèves de cinquième année de se préparer aux derniers examens de l’Aigle qui se tiendraient à la fin du mois de juin.
Pour la première fois, Paul trouva que l’organisation n’était pas d’aussi bonne qualité que d’ordinaire. Paul et ses camarades avaient demandé à plusieurs reprises quel était le modèle d’examen qui leur serait proposé et aucun professeur, censé préparer les sujets, n’était en mesure de leur répondre.
Un seul d’entre eux leur dit qu’ils pourraient avoir les informations au début du mois de juin, après un conseil des professeurs exceptionnel.
Lors du troisième jeudi de mai, alors que les étudiants écoutaient avec attention leur professeur d’histoire leur parler de l’importance de l’espionnage pendant les guerres du vingtième siècle, on frappa à la porte.
Thomas Duchesne, leur responsable des études entra et salua le professeur avant de se tourner vers la classe :
– Bonjour à tous. Comme vous le savez, vos examens de fin d’année se tiendront dans un mois. Ce seront les derniers de votre scolarité et, pour cela, nous tenons à évaluer vos compétences, mais aussi à ce que vous gardiez un souvenir de vos derniers examens sur le campus. Il n’y aura pas d’examen écrits. Vous vous souvenez sans-doute tous de votre première épreuve sur le campus, votre mission de test lors de votre premier mois, il y a bientôt cinq ans. Cette fois, même si le modèle pourra s’en rapprocher, vous ne jouerez pas votre intégration mais votre année. Ce sera difficile, il faudra vous surpasser et je ne veux pas vous en dire plus. Gardez en tête que c’est votre test pour savoir si vous serez de bons espions. Oubliez les derniers examens que vous avez pu faire, celui-ci n’aura rien de comparable. Je dois aussi vous annoncer qu’il commence dès aujourd’hui puisque vous allez devoir former des équipes. Il y aura deux équipes de quatre et quatre équipes de trois. Le nombre de membre par équipe n’influera pas sur la difficulté de la mission. Ce n’est pas moi qui vais les former mais vous. Je veux que vous inscriviez sur une feuille chacune des équipes et que vous me les remettiez d’ici ce soir, à l’heure du dîner, à mon bureau. Y a-t-il des questions ?
Paul regarda autour de lui, Aurélien demanda :
– Avez-vous des conseils pour nous préparer ?
Thomas répondit sans détour :
– Non. Faites ce qui vous semblera le mieux.
Le responsable des études ne sembla pas enclin à donner plus d’information à ses élèves. Aucun autre ne se risqua à poser de question.
Thomas salua les élèves :
– Je vous souhaite une bonne journée et surtout, n’oubliez pas de former vos équipes. Si je ne les ai pas ce soir, je considérerai que vous êtes éliminé du test. Ce serai dommage, vous aurez bien le temps d’échouer lorsque vous y serez.
Thomas quitta la pièce. Un léger brouhaha se fit entendre. Paul tourna la tête vers Antoine qui l’avait appelé pour lui demander :
– On se met ensemble ?
Paul acquiesça :
– Oui bien sûr ! Et qui sera le troisième ?
Antoine regarda autour de lui. Leur professeur, devant l’agitation, annonça :
– Bon, cinq minutes de pause, faites vos équipes puis nous reprendrons.
C’est à cet instant que chacun mesura l’importance du test. Leur professeur d’histoire n’était en général pas de ceux qui acceptait les bavardages ni de suspendre son cours.
Damien et Lucy avaient commencé eux-aussi à former un groupe, rejoints par Arthur puis par Léa. Ils formaient l’un des deux groupes de quatre élèves.
Sophie, Clarence, Mathieu et Nicolas formèrent le second.
Ethan s’approcha de Paul :
– Tu es déjà avec Antoine j’imagine ?
Paul répondit par l’affirmative :
– Exact, tu veux nous rejoindre ?
Le sourire d’Ethan trahissait sa joie face à cette proposition :
– Ce serait super !
Paul jeta un regard à Arthur. S’il n’était plus aussi jaloux qu’auparavant, voir Paul, Ethan et Antoine ensemble ne sembla pas le réjouir. Tous savaient que ce serait l’équipe la plus redoutable, par leurs aptitudes physiques, leurs connaissances des cours et l’expérience de Paul en mission.
Les groupes s’étaient formés. Pauline, Aymeric et Laura s’étaient entendus, tout comme Baptiste, Lucas et Yanis. Le dernier groupe était composé de Julien, Valentin et Aurélien.
Ethan se chargea de noter les groupes. Il irait déposer la feuille dès la fin du cours dans le bureau de leur responsable des études.
Tous les camarades de la classe de cinquième année avaient hâte de connaitre leur dernière épreuve.
Il restait deux semaines aux élèves de cinquième année pour se préparer. Les deux dernières semaines du mois de mai. Leurs professeurs avaient insisté pour qu’ils continuent à travailler leurs cours théoriques mais une grande partie des élèves préféraient les entrainements sportifs aux sessions de révision à la bibliothèque.
Chaque groupe avait planifié des heures d’entrainement. Antoine, Ethan et Paul se retrouvaient tous les soirs pour travailler pendant près de deux heures. Ils avaient choisi de ne pas délaisser les révisions qui seraient de toutes manières utiles pour leur carrière, tout en augmentant progressivement les entrainements sportifs. Antoine était un bon entraineur et avait rapidement pris les choses en main pour motiver ses deux camarades et planifier leurs entrainements. Paul n’était pas mauvais, tout comme Ethan. Ils étaient probablement les trois meilleurs sportifs de la classe.
Si Antoine n’était pas dans les cinq élèves de tête en moyenne générale, Paul et Ethan, eux, se disputaient souvent avec Arthur les trois premières places. Ils en étaient conscients, leur groupe était sans doute le plus efficace et celui qui avait le plus de chance de réussir.
Depuis son intervention en classe, Thomas Duchesne n’avait pas réapparu. Les élèves de cinquième année n’avaient eu aucune information sur leur test à venir et les professeurs arguaient qu’ils n’avaient eu aucune information de leur côté.
Pendant leur troisième semaine de préparation, le trio de Paul augmenta le niveau de préparation. Ils ne voyaient presque plus leurs autres camarades en dehors des cours et avaient préféré commencer à vivre ensemble. Ils prenaient leurs repas ensemble, s’entrainaient ensemble, révisaient ensemble et Ethan dormait même sur le canapé dans la chambre de ses camarades. Un moyen selon Antoine de renforcer la cohésion du groupe au cas où ils seraient obligés de rester un moment en test. La fin de l’année était prévue à la fin du mois de juin, ce qui laissait théoriquement un mois d’épreuve devant eux.
Le samedi de cette troisième semaine, un bruit courut parmi les élèves de cinquième année. Certains pensaient que leur test pourrait commencer plus tôt que prévu et que leur dernière semaine de préparation serait annulée au profit d’un départ anticipé. Paul préféra ne pas prêter attention aux bruits de couloir. Si le test commençait dès le lundi, son groupe serait prêt.
Ce soir-là, après que Paul et son groupe aient rejoint celui de Lucy, Damien et Arthur pour s’accorder une soirée de repos, ils retrouvèrent leur chambre à vingt-trois heures, l’heure la plus tardive à laquelle ils s’autorisaient à se coucher, pour ne pas être fatigués et ne pas commencer leur test avec un handicap.
Ils se préparèrent puis s’apprêtèrent à se coucher lorsqu’on frappa à la porte de leur chambre.
Ethan, qui était le plus proche, alla ouvrir. Paul et Antoine se tournèrent vers l’entrée de la chambre.
C’était leur responsable des études :
– Bonsoir, vous pouvez vous habiller en costume officiel et rejoindre l’auditorium. Vous y êtes attendus dans dix minutes.
Thomas referma la porte. Les trois garçons se préparèrent et descendirent. Ils croisèrent leurs camarades, tous vêtus de l’uniforme de l’Aigle. Paul repensa à la dernière fois où ils s’étaient habillés de cette manière, c’était pour l’hommage à leur camarade Clément.
Il chassa cette pensée de son esprit et se concentra sur sa soirée.
A vingt-trois heures passées de vingt minutes, tous les élèves étaient dans l’auditorium, impatients de savoir ce qui les attendaient.
Thomas Duchesne monta sur la scène, seul, et commença d’une voix solennelle :
– Bonsoir à tous. Je vous remercie d’avoir été ponctuels et d’avoir respecté le code vestimentaire. Ce soir, vous allez partir pour votre mission de fin d’année. Chaque groupe est indépendant et aura sa propre mission, tirée au hasard. Elles sont toutes de difficultés égales. Votre programme est le suivant. Pendant que je suis en train de vous parler, des enveloppes métalliques sont en train d’être disposées dans vos chambres. Inutile de regarder celles des autres, elles sont toutes protégées pour que seuls les concernés puissent les ouvrir. Vous préparerez chacun un sac à dos avec les éléments qui vous seront indiqués. Puis, vous sortirez dès que votre groupe sera prêt pour rejoindre le point qui vous aura été indiqué. A partir de ce moment, vous ne serez plus des élèves de l’Aigle mais des agents en mission. Plus d’amusement, plus de distraction, vous serez dédiés à votre objectif.
Le responsable des études marqua une pause avant de reprendre :
– Voici mes recommandations. Posez-vous toujours les bonnes questions, recherchez toujours dans votre mémoire des situations similaires, ne faites confiance qu’à vous-même. Vous avez les aptitudes et les connaissances et vous parviendrez à réussir si vous arrivez à vous mobiliser. Sur ces mots, je vous souhaite bonne chance et nous nous revoyons bientôt.
Le groupe d’élève sortit de l’auditorium. Paul retrouva sa chambre en compagnie d’Antoine. Sur la table de leur petit salon, deux enveloppes noires avec un nom sur chacune d’elle. Paul prit celle qui lui était destinée. Un petit carré sur le centre de l’enveloppe contenait un dessin d’un doigt. Paul posa son index, la lettre s’ouvrit.
Il en sortit une feuille noire sur laquelle était écrit en lettre blanches :
“Monsieur Osinski,
Vous avez été choisi, avec vos camarades, pour une mission d’une importance capitale. Selon nos informations, un étudiant de l’université de Columbia, à New-York, aurait projeté un acte terroriste. Le FBI nous a demandé de fournir des agents pour palier à leur manque de ressources.
Votre mission est de repérer l’étudiant et de connaitre le lieu et la date prévue de son passage à l’acte. Nous vous donnerons nos instructions lorsque vous nous aurez fourni ces informations.
Rendez-vous immédiatement dans la salle 022, dans le hall d’accueil, avec votre équipe. Vous n’avez le droit d’emporter qu’un sac à dos avec uniquement des vêtements.
Bon courage.“
Paul referma l’enveloppe et se tourna vers Antoine :
– Bon, ça promet !
– Tu crois qu’on va nous faire partir à New-York ?
Paul haussa les épaules :
– C’est un examen, je pense qu’on va aller dans un lieu en France pour une simulation.
– Mouais, on verra. Faut qu’on se prépare maintenant.
Les deux garçons préparèrent leurs affaires. Ils ne savaient pas quels vêtements emporter mais évitèrent de s’encombrer. Ils n’avaient droit qu’à un sac à dos, ce qui leur laissait peu de choix.
A peine eurent-ils terminé que la porte de leur chambre s’ouvrit et qu’Ethan entra :
– Vous êtes prêts ?
Antoine répondit :
– Oui, on peut y aller.
Le trio croisa celui de Damien, Lucy et Arthur dans le couloir. Damien demanda :
– Vous avez quoi comme mission ?
Ethan répondit :
– On doit empêcher un attentat à New-York.
Lucy s’écria :
– Quoi ? Mais c’est génial !
– Et vous ?
– On va protéger un ambassadeur à Chypre.
– C’est sympa aussi ! Vous croyez qu’on va vraiment dans des pays étrangers ?
Arthur intervint :
– Il y a peu de chance, mais ce sont nos derniers examens et Duchesne veut qu’on s’en souvienne alors j’imagine que ce sera bien fait.
Les six étudiants descendirent ensemble dans la cour qu’ils traversèrent pour atteindre le hall d’accueil. Par la porte vitrée, Paul repéra plusieurs voitures garées et qui semblaient en attente.
Le trio entra dans la salle 022. Un homme était assis sur une table. Il portait un costume noir, une cravate noire et une chemise blanche sur laquelle était suspendue une paire de lunette de soleil.
Paul le dévisagea. Il devait avoir un peu moins de quarante ans, les cheveux courts et frisés, la peau couleur café et des yeux marrons. Ses traits tirés laissaient à penser qu’il n’avait pas dormi depuis un moment.
L’inconnu les regarda :
– C’est vous qu’on m’envoie ? Bon, je ne m’attendais pas à mieux. Asseyez-vous.
Les trois jeunes espions, décontenancés, obéirent. L’homme continua :
– Je suis l’agent spécial Mason Williams, du FBI. Je suis venu ici en France pour demander l’appui de l’Aigle et avoir des jeunes pour cette mission délicate. Inutile que je vous la rappelle, je sais qu’elle vous a été transmise par écrit. Je suis là pour les aspects organisationnels.
Il marqua une pause et fixa les trois garçons avant de reprendre :
– Vous prendrez le vol de demain, à dix heures trente du matin. Vous y êtes attendus pour sept heures. Il est déjà une heure, ce qui va vous laisser peu de temps pour rejoindre l’aéroport. Vous arriverez à New-York à treize heures. Là, vous prendrez un taxi pour rejoindre votre appartement, au 424 West 110th Street. Je vais vous donner les clés. Votre appartement est au deuxième étage, numéro 205. Vous trouverez là-bas de quoi commencer votre enquête. Je vais vous confier une carte bleue, ne la perdrez pas et soyez raisonnables. Il y a un numéro de téléphone en cas de besoin à l’arrière mais je ne pense pas que vous atteindrez le plafond. Si besoin, je vais aussi vous donner mon numéro. Appelez-moi lorsque vous aurez des informations. Vous êtes attendus dans la voiture numéro trois devant le bâtiment, bon courage.
Les trois garçons regardèrent l’agent Williams, interloqué par son discours. Ils se demandaient s’ils allaient réellement partir aux Etats-Unis.
Ils quittèrent la pièce et sortirent sur le parking. Antoine repéra la voiture qui devait les emmener, une Peugeot 5008 noire.
Ils embarquèrent à l’arrière. Deux personnes étaient à l’avant, le chauffeur se présenta :
– Bonjour messieurs, je suis Tom Silva, agent de police nationale et voici mon collègue Samuel Vasseur. Nous sommes chargés de vous emmener à l’aéroport Charles de Gaulle.
La voiture démarra et sortit du campus. Il était près de deux heures du matin.
Samuel Vasseur ouvrit la fenêtre et sortit un petit boitier rond qu’il posa sur le toit. La lumière bleue éclaira la campagne.
Paul fut impressionné par les moyens mis en œuvre pour cet ultime examen. C’était la première fois qu’il se retrouvait dans un véhicule de police, escorté à une vitesse bien supérieure à celle autorisée sur ces routes de campagne.
Les deux policiers étaient sympathiques et discutèrent avec les espions. Ils n’étaient pas sous couverture et le trio pu parler librement de leurs études, les deux hommes à l’avant déjà informés de leur qualité de jeunes espions.
Ils arrivèrent avant trois heures du matin à l’aéroport. Il leur restait quatre heures à attendre et ils décidèrent de se reposer sur les bancs, dans le hall de Charles de Gaulle.
L’agitation matinale dans d’aéroport était difficilement supportable pour Paul qui, fatigué, aurait préféré le calme de sa chambre. Il réveilla Antoine qui émergea rapidement :
– Il est quelle heure ?
– Six heures. On va prendre un petit déjeuner ?
– Ok.
Les deux espions réveillèrent Ethan puis trouvèrent une boulangerie. Ils commandèrent un café et un jus d’orange chacun. Paul prit aussi un pain au chocolat, Antoine un croissant.
Ils payèrent avec la carte bleue confiée par l’agent Williams. C’était aussi un moyen de l’essayer avant de partir à New-York et de s’assurer qu’elle fonctionne bien.
Les trois garçons s’enregistrèrent dès sept heures du matin, trois heures avant l’heure du décollage.
Ils furent placés au premier rang de l’appareil, un A330 de la compagnie Delta. S’ils n’avaient pas le droit aux sièges les plus luxueux, l’Aigle leur avait pris des sièges “comfort plus“.
Antoine s’assit place A10, côté hublot et demanda à Paul :
– Tu veux ma place où tu préfères le couloir ?
Paul regarda le couloir, ils avaient devant leur siège un grand espace vide. L’intérêt de la place couloir était relatif :
– Je vais surtout dormir, ça ne me dérange pas.
– Tant mieux, je préfère le hublot !
Paul s’assit dans son siège. Il attendit le décollage pour s’endormir. Antoine était ravi car à leur place, ils n’avaient qu’un seul grand écran devant eux et il serait libre de jouer avec et regarder le film qu’il voulait. Ethan, lui, était assis derrière eux.
Le bruit des moteurs berça Paul qui s’endormit.
Ils arrivèrent à New-York huit heures et trente minutes plus tard, à l’aéroport JFK. Il était treize heures.
Les trois amis gagnèrent du temps car ils n’avaient pas de valise à récupérer. Ils passèrent la douane et sortirent du bâtiment.
Ils n’eurent aucun mal à trouver un taxi à qui Paul indiqua l’adresse de l’appartement.
Une trentaine de minutes plus tard, à quinze heures, ils étaient devant le grand immeuble en pierres rouges.
Ils montèrent au deuxième étage et trouvèrent l’appartement 205.
Antoine entra derrière Paul :
– Ça a l’air bien !
Ils visitèrent leur nouvel appartement. Ce n’était pas le plus grand que Paul ait vu pendant ses missions mais il semblait confortable.
On entrait directement dans un petit salon moderne avec un grand canapé. Il donnait sur une petite cuisine et, à côté, une salle de bains.
Trois petites chambres étaient aussi accessibles par la pièce principale. Elles donnaient toutes sur une petite cour intérieure très calme.
Ethan choisit la chambre de gauche, Antoine celle de droite.
Paul s’installa dans celle du milieu.
Comme ils avaient tous trois profité du vol pour se reposer, ils ne se sentaient pas épuisés. Ils se retrouvèrent dans le salon pour discuter de leur mission. Ethan suggéra :
– Paul, tu es déjà parti, je pense que tu seras le meilleur pour nous dire quoi faire.
Paul était flatté de cette attention, cependant, il avait toujours été guidé par Thomas pendant ces cinq dernières années. Se retrouver leader était inhabituel. Il tenta de récapituler :
– Alors, nous n’avons pas grand-chose. On sait seulement qu’un étudiant de l’université de Columbia projette une attaque terroriste. On ne sait pas qui, ni quand, ni où, ni comment. Je pense qu’on devrait déjà se rendre là-bas et repérer les lieux.
Antoine et Ethan acquiescèrent.
Leur appartement était très proche de l’université de Columbia où ils arrivèrent après une dizaine de minutes de marche seulement, après être passé devant la cathédrale St John the Divine.
Ils firent d’abord le tour du quartier et de l’université sans voir réellement l’intérieur ni par où commencer.
Ils se décidèrent enfin à entrer sur le campus.
Il semblait plus grand que l’Aigle, plus imposant et les trois espions ne savaient pas par où commencer.
Un homme s’approcha d’eux et demanda en anglais :
– Je peux vous aider ?
Paul répondit :
– Nous visitons, nous sommes des touristes.
– Suivez-moi.
Intrigué, le trio suivit l’inconnu à l’intérieur d’un bâtiment jusqu’à un beau bureau. L’homme s’assit derrière et les invita à prendre place face à lui. Il demanda :
– Vous êtes français, envoyés pour ce qui pourrait être une attaque sur notre campus ? On m’a envoyé vos photos.
Antoine remarqua :
– C’est dommage qu’on ne nous ait pas prévenu.
L’inconnu ne releva pas :
– Je suis Aaron Miller, le président de Columbia. C’est à moi qu’on a rapporté l’objet de notre soupçon, un carnet trouvé par un élève dans un couloir. Impossible pour nous de savoir à qui il appartient mais on m’a dit que vous étiez des personnes aptes à enquêter et observer. J’imagine que votre jeune âge vous aide dans ces missions. Pour être franc, je m’en remets à vous car c’est ce que les autorités ont prévues. Je ne vous demande qu’une chose, trouvez le propriétaire de ce carnet et faites en sorte qu’il ne nuise à personne.
Aaron Miller sortit d’un tiroir fermé à clé un petit carnet à la couverture en cuir noir. Il le posa devant les espions.
Paul le prit et le feuilleta rapidement :
– On va l’étudier plus en détail dans la journée. Merci pour cet indice, nous vous tiendrons informé dès que nous aurons trouvé quelque chose.
– Merci. Surtout, soyez prudents.
Le trio quitta le bureau du président de Columbia. Antoine remarqua :
– Très mauvais comédien.
Ethan s’étonna :
– Pourquoi ?
– Pour un soi-disant président d’une université réputée qui pourrait subir une attaque terroriste, il n’avait pas l’air d’avoir peur.
– Tu sais que ce n’est pas vraiment le président de Columbia ?
– Oui, je sais bien que tout ça est joué pour nous mettre en situation, mais je dis juste qu’ils auraient pu prendre de bons comédiens.
– On est quand même à New-York, tu es un peu exigeant non ?
Antoine haussa les épaules. Paul savait que son ami ne pouvait pas s’empêcher de voir tous les signes du langage corporel d’une personne. Il pouvait dire lorsque son interlocuteur n’était pas à l’aise, lorsqu’il mentait ou avait peur. Un atout dans la vie quotidienne mais qui devait s’avérer moins amusant lorsqu’il fallait, comme dans la situation présente, en faire abstraction.
De retour dans leur appartement, les trois jeunes espions découvrirent le carnet. Il contenait une cinquantaine de pages écrites à l’encre bleue. La calligraphie était soignée mais peu compréhensible pour la plupart des pages. On y trouvait des séries de chiffres, des dessins qui ressemblaient à des plans, des phrases qui n’avaient aucun rapport les unes avec les autres et parfois des séries de points qui n’avaient de prime abord aucun sens. Sur toutes les pages du carnet étaient écrit en anglais “je vais tous les tuer”.
Après avoir lu tant bien que mal les cinquante pages, Antoine demanda :
– Je peux revoir les premières pages ?
Paul lui confia le carnet et Antoine fixa plusieurs secondes le texte. Il était écrit sur la première page que, si quelqu’un trouvait ce carnet, il ne devait pas le lire et le brûler, sous peine d’être tué par son auteur.
Antoine ignora l’avertissement et lut plusieurs secondes :
– En fait, les deux premières lignes semblent être une indication sur un itinéraire. Ça commence par un point géographique, mais sans le dire clairement. Ça doit être le tout début de ses écrits, il s’entrainait à coder ce qu’il écrivait. En fait, ce carnet ne nous apprend pas grand-chose sur ce qu’il compte faire. Cependant, je pense que ces deux lignes peuvent nous en dire beaucoup.
Il posa le carnet sur la table et les trois garçons cherchèrent une signification :
“Uni. Metro Stat. L00001, R01, L01, R1, GW Bridge, R1, PIP E11, R1, L000000000001, R01, Go to 25.“
Les trois garçons se mirent d’accord pour dire que “Uni. Metro Stat.” Correspondait à la station de métro de l’université et que “GW Bridge” devait être le pont Georges Washington. Le reste était pour eux toujours mystérieux.
Paul et Ethan arrêtèrent rapidement leurs recherches, admiratif devant la ténacité de leur coéquipier qui était décidé à trouver la signification de l’ensemble de la ligne. Il demanda même à ses camarades de le laisser seul quelques minutes.
Il ferma fièrement le carnet après une demi-heure :
– Trouvé ! C’est bien une adresse !
Paul et Ethan s’approchèrent, Ethan demanda :
– Alors ? Qu’est ce que ça dit ?
– J’ai d’abord cherché la signification de “PIP E11“, mais sans succès, je ne pouvais pas savoir de quoi il s’agissait. En revanche, j’avais la station de métro et le pont. J’ai regardé où ils se trouvaient l’un par rapport à l’autre et j’ai regardé comment les joindre. Je me suis ensuite dit qu’il y avait souvent ces séries de zéros et de uns, ça codait forcément quelque-chose en binaire, zéro pour non, un pour oui. Puisqu’on est dans un itinéraire, les lettres “R” et “L” devaient certainement correspondre à right et left, droite et gauche en anglais. Je suis donc parti de la station de métro vers le pont en prenant la cinquième à gauche, la deuxième à droite, la deuxième à gauche et la première à droite. Si on compte qu’il a fait quelques erreurs avec les petites rues, on arrive sur le Georges Washington Bridge.
Paul fut admiratif :
– Génial. Tu as pu trouver le reste ?
– Un jeu d’enfant, surtout avec un plan à côté. Après avoir traversé le pont, la première à droite mène sur “Palisades Interstates Pkwy“, soit les initiales “PIP“. Je me suis creusé la tête pour le E11, mais en fait c’était très simple, E pour exit. Il n’a juste pas pris la peine de compter le nombre de croisement pour écrire directement où sortir. Ensuite, on reprend le même code de gauche et droite, première à droite, douzième à gauche, deuxième à droite. S’il n’a pas fait d’erreur, on tombe sur Roslyn Lane.
Ethan demanda :
– Et le 25 ?
– C’est le 25 de la rue.
– Bravo. Donc on doit aller au 25, Roslyn Lane ?
– A New-City, oui.
Ethan se tourna vers Paul :
– Ça te parait correct ?
– J’ai confiance en Antoine pour ce genre de choses, je pense que ça vaut le coup d’aller jeter un œil là-bas. Mais pas maintenant, il commence à être tard et rien ne presse. On passe la nuit ici et on ira demain matin.
– Peut-être qu’on peut partir tôt, on verra si du monde vit là-bas et s’ils sortent de chez eux.
– Bonne idée. On part d’ici vers cinq heures. Ça vous va ?
Antoine et Ethan indiquèrent leur accord.
Le soir, ils dinèrent dehors et se couchèrent tôt. Ils étaient fatigués par le décalage horaire et leur journée.
Le réveil à quatre heures trente du matin fut assez facile pour Paul qui avait déjà rattrapé son sommeil et s’était rapidement adapté à l’heure américaine. Il frappa à la porte des chambres de ses camarades qui eurent plus de difficulté à se réveiller.
A cinq heures passées de dix minutes, le trio était prêt à sortir.
Alors qu’ils s’approchaient de la porte, Ethan remarqua :
– On a du courrier.
Une enveloppe avait été glissée sous la porte de leur appartement.
Celui qui l’avait repérée la prit. Il n’y avait pas d’adresse sur l’enveloppe mais simplement leurs trois prénoms. Antoine demanda :
– Des indications de l’Aigle ?
Ethan l’ouvrit et lut à haute voix :
– Rejoignez-moi au Suite à onze heures ce matin.
Paul demanda :
– C’est tout ?
Ethan lui montra la lettre. Il n’y avait en effet que cette phrase inscrite sur la lettre. Antoine demanda :
– On fait quoi ? On va quand même à New-City ?
Paul réfléchit quelques secondes :
– Non, cette lettre est plus importante. On ira demain.
Ses deux camarades furent d’accord avec lui. Ils cherchèrent ce qu’était le Suite et trouvèrent un bar de ce nom proche de leur appartement. Ce devait être le lieu de leur rendez-vous.
Ils sortirent un peu avant onze heures. Paul mit ses camarades en garde :
– On ne connait pas l’expéditeur de cette lettre, soyez sur vos gardes. Notre chance est que c’est un lieu public.
Ils arrivèrent un peu avant l’heure du rendez-vous devant le Suite qui semblait fermé. Un petit établissement recouvert de bois.
Antoine s’approcha et frappa à la porte.
Ethan remarqua :
– On s’est peut-être trompé.
A cet instant, la porte s’ouvrit. Un homme d’une trentaine d’année au physique fin les dévisagea et leur indiqua :
– Vous êtes attendu dans le fond.
Le trio entra. Le bar était en effet fermé et il n’y avait aucun client.
Celui qui leur avait ouvert ferma à clé derrière eux.
Paul prit la tête et avança vers le fond de la salle où une personne était assise. Un jeune homme aux cheveux blonds, un peu plus grand que Paul. Le jeune espion fixa les yeux verts entourés de tâches de rousseur de celui qui les attendaient. Il l’avait immédiatement reconnu et s’approcha :
– Sacha ?
Le jeune garçon sourit :
– Ça me fait plaisir de vous revoir tous les trois. Asseyez-vous.
Sacha avait été leur camarade de classe en deuxième année. Il avait tenté de recruter Paul pour la CIA avant de se faire exclure de l’Aigle bien que la version officielle ait été un retour aux Etats-Unis avec son père. Lucy, qui avait été en couple avec Sacha, en avait voulu à Paul, persuadée que son petit-ami avait été renvoyé par sa faute.
Antoine s’assit et demanda à l’américain :
– Qu’est-ce que tu fais là ?
– Je pense que c’est plutôt à moi de vous poser cette question. Que font trois espions français sur le sol américain, dans un appartement en plein centre de New-York ?
Paul comprit rapidement que Sacha n’avait rien à voir avec leur test et que l’Aigle ne devait même pas être informé de cette rencontre. Il répondit :
– On est en vacances. On a terminé notre année et on a voulu en profiter pour venir ici.
– Je ne te crois pas, Paul. Tu as toujours été un menteur.
Ethan, persuadé que Sacha avait retrouvé les Etats-Unis pour suivre son père, demanda :
– Excuse-moi, Sacha, mais je ne comprends pas trop en quoi ça t’intéresse. Tu as quitté l’Aigle pour venir ici.
L’intéressé fut surpris de cette remarque et sembla commencer à s’emporter :
– Quitté l’Aigle ? C’est Paul qui m’a fait virer !
Ethan se tourna vers son camarade :
– C’est vrai ?
Paul s’expliqua :
– Sacha travaille pour les américains, il était venu en France dans le but de recruter des français. Il m’avait proposé de les rejoindre tout en restant en France pour faire de l’espionnage en interne. J’ai refusé, il a été renvoyé ici. C’est d’ailleurs pour cela qu’il sait qu’on est là. J’imagine que les noms de tous les étudiants de l’Aigle ont été soigneusement divulgués aux services secrets américain et, dès que nous avons posé le pied ici, une petite alerte est apparue. Désolé Sacha mais ce coup-ci, nous sommes vraiment là en touriste. Nous n’aurions pas perdu de temps avec une lettre si nous étions en mission.
Sacha demeurait sceptique :
– Où sont Damien et Arthur ?
Paul savait qu’Ethan avait sans doute les moyens de vérifier où étaient ses camarades et décida de dire la vérité sur leur destination :
– En vacances, eux-aussi. Ils partaient à Chypre avec Lucy.
– Comment elle va ?
– Lucy ? Bien.
– Je n’ai même pas pu lui dire au revoir par ta faute.
– Tu sais, je n’ai jamais considéré être le fautif dans cette histoire. Concernant Lucy, elle est avec quelqu’un d’autre maintenant.
– Damien ?
– Oui.
– Comment ça se fait que vous n’êtes pas partis ensemble ? Vous étiez très amis.
– On est toujours ami, mais c’était plus simple ainsi.
– Paul, je sais que tu me caches la vérité, encore une fois. Je vais cependant te rassurer sur un point. Ici, tout le monde sait qui tu es, ils n’avaient pas besoin de moi, tu es fils et petit-fils d’espion. Cependant, je n’ai rien divulgué concernant les autres. La seule chose que j’ai faite, c’est de demander à toujours savoir lorsque tu arriverais aux Etats-Unis. Simplement pour connaitre les intentions de l’Aigle sur notre territoire.
– Nous sommes des pays alliés, nous n’avons aucune raison d’être ici dans un but de mission, sauf si l’état nous le demande.
– L’espionnage d’allié a toujours existé.
– Tu es bien placé pour le savoir en effet…
La remarque de Paul agaça Sacha :
– Je sais que je ne suis pas le seul. Tant que vous serez ici, sachez que j’observerai tous vos faits et gestes, j’interrogerais les personnes que vous côtoyez, je serai toujours sur votre dos. Soyez prudents, au moindre faux pas de votre part, je n’hésiterai pas à prévenir ma hiérarchie.
Paul se leva :
– Ce ne sera pas nécessaire. Ravi de t’avoir revu Sacha.
Ethan et Antoine imitèrent leur ami, saluèrent Sacha et sortirent du bar. Une fois dehors, Antoine réagit :
– Putain, une journée de perdue pour ce mec !
Paul calma son ami :
– On sait qu’on est observé. Ça ne fait que décaler d’une journée nos prévisions mais ce n’est pas grave, je ne pense pas qu’on soit à deux jours près.
– Burgers ?
– Il est onze heures et demie.
Ethan intervint :
– J’ai faim aussi.
– Bon ok, burger.
Antoine ajouta :
– Et Central Park. Quitte à devoir jouer les touristes, autant en profiter.
Paul sourit :
– Tu as raison.
Les trois amis passèrent donc l’après-midi en visite. Conscients qu’ils seraient surveillés, cette difficulté supplémentaire ne leur posa pas de problème particulier. Ils seraient juste plus prudents.
Le soir, ils se couchèrent à nouveau tôt pour se réveiller à cinq heures trente du matin le lendemain.
La rue était calme en ce mardi matin. Les trois garçons durent marcher un peu avant de trouver un taxi pour les emmener à destination.
Ils roulèrent une petite demi-heure avant de se retrouver devant l’adresse déduite du carnet que leur avait confié le président de l’université de Columbia.
C’était une petite maison blanche avec un garage et un étage. Une demeure sans rien de particulier comparée aux autres maisons qui l’entouraient.
Les trois espions trouvèrent un endroit à l’abri des regards, à distance, pour observer la maison. Elle était calme.
Une première lumière s’alluma à six heures trente, à l’étage, suivie d’une seconde au rez-de-chaussée. La maison était habitée.
Pendant une heure environ, les fenêtres s’allumèrent les unes après les autres.
A sept heures trente, deux personnes sortirent, une mère et sa fille. Une jeune fille d’une quinzaine d’années qui ne pouvait pas être celle qui avait écrit le carnet. Ils passèrent par le garage et sortirent en voiture.
Un quart d’heure plus tard, un jeune homme sortit, une vingtaine d’années, les cheveux courts et un ventre bedonnant. Il se dirigea vers le bout de la rue et disparut.
Les lumières de la maison s’éteignirent avant qu’un homme âgé d’une cinquantaine d’années ne sorte, en voiture, du garage de la maison.
Il n’y avait plus de lumière. Antoine demanda :
– On y va ?
Paul acquiesça :
– Faut espérer qu’il n’y ait personne d’autre.
Ils s’avancèrent et firent le tour de la maison. Par les fenêtres du rez-de-chaussée, les trois espions ne virent pas âme qui vive.
Ils s’approchèrent de la porte d’entrée et Ethan demanda :
– On entre ?
Antoine intervint :
– Comment ? C’est surement fermé à clé et les fenêtres sont fermées…
Paul s’approcha de la serrure. Il fit demi-tour et regarda autour de l’entrée. Il détacha un petit morceau de métal sur le numéro de la maison, à côté de la porte, et descendit du perron. Il ouvrit une des petites lumières au bas des marches et retira un petit fil métallique. Devant les yeux étonnés de ses amis, il les inséra dans la serrure et la déverrouilla en quelques secondes.
Antoine fut admiratif :
– Où tu as appris ça ?
Sans cacher sa fierté, Paul répondit :
– Ça aide de faire équipe avec Thomas.
Le trio poussa doucement la porte qu’ils refermèrent après être entrés. Il n’y avait visiblement personne dans la maison.
Le trio d’espion fouilla le rez-de-chaussée qui ne leur apporta aucun indice. Le grand salon était celui d’une famille ordinaire, tout comme la cuisine ouverte et la salle de bains.
Dans la buanderie, quelques affaires sales avaient été déposées en tas près d’une grande machine à laver.
Dans le garage, des outils et du matériel d’entretien pour voiture ainsi qu’un grand frigo.
A l’étage se trouvaient quatre pièces, trois chambres et un bureau quasiment vide.
Les trois espions commencèrent par la chambre qui devait être celle des parents. Quelques bijoux avaient été posés sur la table de nuit, à côté d’un roman et d’un réveil. Dans les placards, ils ne trouvèrent rien de plus que quelques vêtements.
La deuxième chambre était celle d’une adolescente. Ils découvrirent son nom, Tiffany, quelques photos avec des amies, quelques affaires qui n’étaient rien de plus que celles d’une adolescente comme toutes les autres.
Les trois espions attendaient beaucoup de la dernière pièce, la chambre de celui qui devait étudier à Columbia. Ils espéraient ne pas s’être trompés de maison.
Sur la porte, une pancarte avertissant de ne pas entrer avait été suspendue. Antoine poussa la porte.
La chambre dégageait une odeur nauséabonde de sueur et de renfermé.
Ethan se boucha le nez :
– On ne peut pas ouvrir la fenêtre ?
Paul regarda les volets fermés :
– Non, évitons toutes traces de notre passage.
La chambre n’était pas rangée. Des vêtements trainaient par terre, le lit en mezzanine n’était pas fait et le bureau en dessous semblait servir de stockage à paquets de chips et bouteilles de soda vides.
Antoine remarqua :
– Bon, on dirait la chambre de mon ex. Génial.
Paul réagit :
– Il mangeait des paquets de chips dans sa chambre ?
– Pas loin. Il était plutôt gâteaux. Il restait enfermé à longueur de journée dans sa chambre à jouer. Pas ma plus grande réussite amoureuse.
– Il ne prévoyait pas un attentat par hasard ? Au moins on saurait où chercher.
– Non mais il avait ses secrets aussi. Va falloir remuer tout ça, y compris sous le matelas et dans l’ordinateur.
Ethan répondit :
– Je vous laisse le matelas, je m’occupe des placards.
Antoine s’approcha du lit et, aidé de Paul, souleva le matelas. Ils ne trouvèrent que deux caleçons et deux chaussettes venant de deux paires différentes. Ils laissèrent retomber le matelas qui dégagea une volute de poussière.
Paul ouvrit des tiroirs et Antoine alluma l’ordinateur.
Paul trouva plusieurs livres qu’il sortit. Leur point commun était leur sujet, les armes à feu. Entre deux d’entre eux, Paul trouva une note manuscrite qu’il montra à ses camarades :
“SR-25 + M16-A4“
Antoine commenta :
– Un fusil de précision et un fusil d’assaut. De quoi faire un vrai carnage.
Paul reposa les livres et saisit une petite carte. C’était une carte de bibliothèque au nom de Steven Jones :
– Au moins on a son nom.
Antoine acquiesça et se retourna vers l’ordinateur qui demandait un mot de passe. Il en tenta deux sans succès et fut interrompu par Ethan :
– Venez voir, dans l’armoire.
Paul et Antoine s’approchèrent. Au fond de l’armoire, ils identifièrent aisément un double fond. Ils tentèrent de le forcer mais la paroi était bien fixée. Paul s’écarta pour réfléchir. Il regarda autour de lui :
– Il y a forcément un moyen de l’ouvrir.
Antoine commenta :
– Si c’est par l’ordinateur, ça ne va pas être simple. Je ne pense pas qu’on puisse trouver facilement son mot de passe.
Ethan les coupa :
– Non, c’est sur le mur, il y a un truc bizarre.
Paul s’approcha du pan de mur qu’Ethan désignait. Il y avait en effet une petite trappe qui s’ouvrait facilement. A l’intérieur plusieurs petits miroirs et un laser qui partait du côté gauche.
Antoine les rejoignit :
– Mécanisme rudimentaire et trivial.
Paul se tourna vers son ami :
– Comment ça ?
– Il y a un capteur à droite. Les miroirs servent à orienter le laser qui, bien dirigé vers son récepteur, servira d’interrupteur. C’est plus un jeu qu’une vraie sécurité. Je pense que je peux le résoudre assez vite.
– Il faudrait être sûr de ce que ça déclenchera.
– C’est à la fois trop tordu pour être un piège et trop simple pour avoir une fonction plus avancée que l’ouverture d’une porte.
Antoine commença à bouger les différents miroirs puis commenta :
– J’y suis presque.
Quelques secondes plus tard, il s’écarta du mécanisme, un bruit se fit entendre au fond de l’armoire, le mur se mit en mouvement et glissa pour dévoiler un petit espace.
Les trois espions s’en approchèrent, c’était un petit escalier. Ils n’hésitèrent pas et descendirent.
La descente était profonde, plus bas que le niveau du rez-de-chaussée.
Ils arrivèrent dans une petite pièce sans fenêtre. Antoine appuya sur un interrupteur qui alluma un néon. La lumière blafarde éclaira la petite pièce souterraine. Il n’y avait qu’un bureau avec un ordinateur portable et une armoire fermée par une clé.
Ethan chercha un moyen de l’ouvrir mais sans y parvenir. Antoine commenta :
– Armoire typique pour ranger des armes. Je pense qu’on est au bon endroit.
Il s’approcha de l’ordinateur et l’alluma. Il était lui aussi protégé par un mot de passe.
Paul regarda autour de lui. Quelques papiers étaient posés sur le côté du bureau, d’autres trainaient par terre.
Il les fouilla. Certains étaient griffonnés, des dessins d’armes, des personnes se faisant tuer et, dans d’autres, un symbole qui arracha une grimace au jeune espion, une croix gammée avec en dessous l’inscription “Heil Hitler – HH”.
Antoine regarda à nouveau l’écran de l’ordinateur :
– Bon, je sais au moins dans quel registre on se trouve. Je vais essayer un mot de passe au hasard et j’espère avoir une indication.
Quelques secondes plus tard, il s’écria :
– Je l’ai, l’indice de mot de passe c’est 88.
Ethan intervint :
– Heil Hitler.
– Comment ça ?
– 88, deux fois la huitième lettre de l’alphabet. Vu le personnage ça ne m’étonnerait pas. C’est un code assez courant chez les néo-nazis.
– Je vais essayer.
Antoine écrivit les deux mots et valida. L’écran afficha un chargement puis changea, le mot de passe avait été le bon. L’écran de fond – tiré d’un meeting d’Adolf Hitler – apparut. Antoine commenta :
– Charmant.
Paul se tourna vers Ethan :
– Comment tu as deviné pour le 88 ?
– Je me suis intéressé à eux il y a deux ans, pas par passion, je vous rassure, mais je me suis toujours demandé comment on pouvait infliger une guerre et une idéologie aussi radicale à un pays. Sujet intéressant mais qui donne aussi une vision très pessimiste de notre monde. La manipulation est assez simple dans le cas d’Hitler.
Antoine le coupa :
– On ne va peut-être pas parler de ça. Enfin, si tu as fait ça dans un but d’études.
– Antoine, tu crois vraiment que je veux exterminer des gens car ils sont… différents ? Si c’était le cas, je n’aurais pas insisté pour faire équipe avec toi.
– Ouais, j’espère.
– Bref, qu’est-ce que tu trouves sur l’ordinateur ?
– Un dossier et deux fichiers. Voyons déjà le dossier.
Antoine l’ouvrit et s’écarta :
– Là je ne comprends plus rien. Ce sont des photos de la Gay Pride, pas vraiment en lien avec l’idéologie du bonhomme.
Ethan répondit :
– Tu es un peu fatigué Antoine, non ?
– Pourquoi ?
– On est dans une pièce secrète d’un extrémiste armé et qui a des photos de la Gay Pride, la provocation ultime pour ce genre de mecs. Tu ne fais pas le lien ?
– Putain… Tu crois qu’il veut faire un massacre pour le défilé ?
– Quand est-ce qu’il a lieu ?
Antoine chercha sur son téléphone :
– Dans deux semaines.
Paul intervint :
– Avant de tirer des conclusions, regardons les deux autres fichiers.
Antoine ouvrit le premier, c’était un fichier texte. Il y avait une liste de noms, certains en rouge et d’autres en noir. En face de chacun des noms en rouge, un commentaire, insultant ou raciste, souvent basé sur une religion, une couleur de peau ou une orientation sexuelle.
Paul demanda :
– Le deuxième fichier, qu’est-ce que c’est ?
Antoine ouvrit le deuxième fichier texte. C’était une liste qui reprenait un déroulé d’un plan des plus macabres.
Le garçon avait prévu de louer un appartement le jour de la Gay Pride, chez une personne du nom de Josie Smith, afin de voir le défilé depuis une fenêtre. Là, il tirerait dans la foule. Un plan simple mais qui, bien préparé, ferait de nombreux morts.
Le plan d’action terminait par une phrase que Paul lut à voix haute :
– Il faut rendre à l’Amérique sa grandeur et éradiquer les bêtes.
Antoine se redressa. Il était particulièrement tendu. Ethan lui posa la main sur l’épaule :
– T’en fais pas, on l’a trouvé, on va faire en sorte d’éviter ce massacre. N’oublie pas, c’est un test et on est à l’Aigle, ils ne vont pas nous faire de cadeau et frappent là où ça fait mal pour nous déstabiliser.
Antoine reprit ses esprits :
– Tu as raison, j’aurai forcément à composer avec ce genre de situation plus tard, il faut que je garde un peu de recul.
Paul intervint :
– On a toutes les infos, on ne va pas s’éterniser. Antoine, prend les écrans en photo, on les transmettra à l’Aigle. Notre mission touche à sa fin.
– Déjà ?
– On a fait ce qu’on nous avait demandé.
Paul, Antoine et Ethan arrivèrent à leur appartement new-yorkais.
Paul composa le numéro de l’Aigle. Il y eut une tonalité étrange puis un message automatique :
– Bonjour, nous ne sommes pas disponibles pour le moment. Merci de réessayer ultérieurement.
Ethan demanda :
– Tu ne veux pas essayer d’appeler Mason Williams ? Il nous avait demandé de l’appeler lorsqu’on avait des informations.
– Tu as raison.
Paul composa le numéro américain de l’agent spécial Mason Williams qui leur avait fait leur briefing avant de partir en mission. Il y eut deux tonalités puis la voix de l’agent se fit entendre :
– Mason Williams.
– Bonjour, c’est Paul, c’est vous qui…
L’agent le coupa :
– Je sais qui vous êtes. Vous avez trouvé quelque chose ?
Décontenancé par le ton sec de son interlocuteur, Paul dû reprendre ses esprits quelques secondes :
– Oui, il s’appelle Steven Jones, étudiant à Columbia. Il veut tirer sur la foule pendant la Gay Pride.
– C’est dans deux semaines. Vous savez où il vit ?
– Oui, on a trouvé sa maison à New City.
– Je suis à l’autre bout du pays pour une mission au moins aussi importante. Voyez ce que l’Aigle peut faire.
– On a essayé de les contacter, ils ne répondent pas.
– C’est d’un sérieux… Bon, en deux semaines, j’espère qu’ils pourront vous aider sinon… débrouillez-vous. Vous êtes des agents non ?
– Oui mais…
Mason ne laissa pas à Paul le temps de répondre :
– Vous êtes sous mon commandement sur le territoire américain. Obéissez. Si vous n’arrivez pas à joindre votre agence d’ici la Gay Pride, je vous donne l’ordre d’intervenir. Je veux un flagrant délit. Ne faites pas de connerie.
– Bien reçu.
Paul raccrocha le téléphone et se tourna vers ses amis :
– Il ne peut pas nous aider, il faut qu’on arrive à joindre l’Aigle, sinon on a l’ordre d’intervenir pendant la Gay Pride.
Ethan remarqua :
– On parie qu’ils ne vont pas nous répondre ?
Antoine s’étonna :
– Pourquoi ?
– On a trouvé trop facilement, ça sent le test à plein nez. Antoine, tu as bien pris les photos chez Steven ?
– Oui, pourquoi ?
– On a l’adresse de l’appartement qu’il veut louer ?
– Oui, c’était marqué.
Ethan se tourna vers Paul :
– Tu ne penses pas qu’on devrait aller jeter un œil ?
Paul prit quelques secondes de réflexion :
– Ça peut être une bonne idée, mais à condition d’être discrets. J’espère déjà que Sacha ne nous a pas pisté ce matin.
Antoine regarda par la fenêtre :
– En tous cas, en ce moment, il attend qu’on sorte.
Paul s’approcha de la fenêtre mais ne vit pas son ancien camarade :
– Pourquoi tu dis ça ?
– Il est dans la voiture en face.
Paul plissa les yeux pour mieux voir l’intérieur des voitures garées en contrebas. Il remarqua une forme humaine dans l’une d’elles. Elle pouvait tout à fait correspondre à celle de Sacha.
Paul s’écarta de la fenêtre :
– On va s’amuser un peu ?
Ethan voulut en savoir plus :
– C’est-à-dire ?
– On va se promener, jouer les touristes et lui faire faire un peu de visite.
Les trois amis passèrent l’après-midi à déambuler dans les rues de New-York et visitèrent le MET, l’un des plus grands musées au monde. Ils y restèrent trois heures afin de tromper au mieux Sacha.
Pendant les jours suivants, Paul essaya plusieurs fois de joindre l’Aigle mais sans plus de succès que la première fois. Le campus ne répondait pas.
Antoine demanda :
– On devrait peut-être essayer d’appeler le standard.
– Tu as le numéro ?
– Sur le site Internet il devrait y être.
Paul se rendit sur le site de présentation du campus de l’Aigle, destiné aux familles des nouveaux élèves. Rien ne laissait penser à une école de jeunes espions.
Il chercha un numéro de téléphone et trouva enfin un lien appelé “Contact“.
Après un formulaire pour envoyer un email, Paul trouva le numéro recherché. Il le composa.
Une jeune femme prit la communication après quelques secondes :
– Aigle, bonjour.
– Bonjour, je souhaiterais parler à Monsieur Thomas Duchesne.
L’interlocutrice laissa passer quelques secondes :
– Qui est à l’appareil ?
– Paul Osinski.
– Patientez.
Paul attendit que l’hôtesse joigne le responsable des études des trois espions. Elle revint après une vingtaine de secondes :
– Monsieur Duchesne n’est pas disponible. Souhaitez-vous lui laisser un message ?
– Il peut me rappeler au plus vite ?
– Cela va être compliqué, il m’a dit hier qu’il partait en vacances et il me semble l’avoir vu partir avec du matériel de pêche.
– Il n’aime pas la pêche.
– Il faut croire qu’il s’y est mis. Bon séjour à New-York monsieur Osinski.
L’hôtesse raccrocha.
Paul resta bouche-bée un instant et se tourna vers ses amis :
– Au moins c’est clair, on se débrouille.
Le trio d’espion décida de visiter l’appartement qu’utiliserait Steven Jones le lundi suivant, six jours avant la date de l’évènement.
Les garçons arrivèrent devant un grand immeuble après le déjeuner. Antoine regarda autour d’eux :
– Vous croyez que Sacha nous suit ?
Paul haussa les épaules :
– On dira qu’on vient voir un ami. J’espère qu’il n’ira pas fouiller ici dimanche.
Antoine ouvrit la porte du grand immeuble face à Central Park. Ils s’approchèrent d’une liste de noms affichés sur le mur du hall d’entrée.
Ils repérèrent le nom de Smith, au vingt-huitième étage, appartement 2812.
Le trio s’approcha des ascenseurs modernes qui desservaient les étages. Ils montèrent dans le premier qui s’ouvrit et Antoine appuya sur le bouton de l’étage où ils souhaitaient se rendre.
Paul observa Ethan. Il semblait stressé et se tenait à une barre contre la paroi de l’ascenseur. Il lui demanda :
– Tout va bien ?
– Oui… oui oui, ne t’inquiète pas, ça va.
Paul n’insista pas.
Au vingt-huitième étage, l’ascenseur s’ouvrit sur un grand couloir.
Le trio chercha l’appartement 2812 qu’ils trouvèrent quasiment au bout du couloir. Ethan demanda :
– On sonne ?
Paul répondit :
– Oui. Si on nous répond, on dira qu’on s’est trompé d’étage.
Antoine appuya sur la sonnette.
Quelques secondes passèrent sans qu’il n’y ait de réaction. Paul regarda la serrure :
– Je ne pourrai pas l’ouvrir.
Antoine demanda :
– Alors on est venu là pour rien ?
– Si on ne peut pas rentrer, je pense qu’il sera impossible d’avoir plus d’informations oui.
Soudain, une porte s’ouvrit et un homme sortit. Il portait une chemise en jean sur un tee-shirt blanc. Son bermuda laissait entrevoir des jambes entrainées. Il s’adressa en anglais aux trois garçons :
– Elle n’est jamais là. Vous cherchez quelque-chose ?
Paul répondit :
– On voulait visiter avant de louer l’appartement.
– Vous pouvez y accéder depuis mon balcon si vous voulez.
– C’est gentil…
Paul regarda ses camarades. Il trouvait cette proposition étrange. Quel voisin permettrait à trois jeunes de s’introduire chez une voisine sans vérifier la raison de leur visite ?
Antoine termina la phrase de son ami :
– Si ça ne vous dérange pas, on veut bien voir à quoi il ressemble.
– Venez.
Le trio entra chez l’inconnu qui ferma la porte derrière lui. Paul entendit le verrou se fermer et se retourna vers la porte. L’homme se voulut rassurant :
– Je ferme toujours à clé, c’est un réflexe. Suivez-moi je vous conduis à la terrasse.
Les garçons sortirent sur le balcon et regardèrent l’inconnu dévisser une petite plaque de plexiglas qui séparait les deux appartements. Paul passa en premier et regarda à l’intérieur de l’appartement voisin. C’était un petit salon avec un canapé en cuir ancien, une petite télévision sur laquelle était posée une broderie, un vieux meuble en bois et des tableaux qui semblaient d’une époque lointaine.
La moquette au sol termina de convaincre les espions que la personne qui vivait ici devait être restée dans un style des années soixante.
Le trio retourna dans l’appartement de l’inconnu qui n’était plus dans son salon.
Paul s’avança doucement. Les volets se fermèrent violemment derrière eux. Plus aucune lumière n’entrait dans la pièce.
Ethan osa :
– Il y a quelqu’un ?
Aucune réponse. Le noir complet empêchait leurs yeux de s’habituer à l’obscurité.
Une lumière s’alluma enfin et l’homme revint. Il s’approcha des trois garçons :
– Videz vos poches.
Antoine répondit :
– Qui êtes-vous ?
– Peu importe qui je suis. Je vous conseille de m’obéir si vous voulez ressortir d’ici. N’essayez rien, les portes ne peuvent s’ouvrir seulement si je le veux. Vous serez sortis avant ce soir en un seul morceau si vous m’obéissez. Vos poches.
Les trois garçons n’eurent d’autre choix que de sortir les affaires qu’ils avaient avec eux. L’inconnu garda leurs pièces d’identité et laissa le reste dans un sac. Il regarda les trois passeports :
– Asseyez-vous.
Les trois garçons prirent place sur des chaises dans un coin de la pièce. L’inconnu regarda le trio, un sourire aux lèvres, puis pointa Ethan du doigt :
– Suis-moi.
Ethan se leva et suivit l’homme dans un couloir où il disparut. L’homme revint seul quelques secondes plus tard et s’adressa à Paul :
– A ton tour.
Paul suivit l’inconnu qui le fit entrer dans une chambre avec comme seul meuble un lit.
Sous la direction de l’inconnu, Paul y entra. La porte se ferma derrière lui, la serrure se ferma.
Soudain, la lumière s’éteignit. Il était à nouveau plongé dans le noir complet.
Paul tâtonna pour trouver le lit où il s’assit.
Son cœur accéléra, sa respiration devint plus compliquée. Il tenta de se calmer en respirant lentement, tentant de faire ralentir son rythme cardiaque. Il savait exactement ce que c’était. Depuis tout petit, il n’avait jamais pu supporter l’obscurité. La nuit, il gardait toujours un volet légèrement ouvert pour éclairer sa chambre.
Sur le campus, il avait toujours choisi le lit le plus proche de la fenêtre ou, à défaut, celui qui lui permettrait de s’éclairer sans déranger ses camarades.
Le calme fut difficile à trouver. Paul s’allongea et sentit sa tête tourner. Il se raisonna à haute voix :
– Ce n’est rien. C’est juste le noir. Ça ne change rien, je ne vais pas faire de malaise car je suis dans le noir.
Doucement, il se força à penser à autre chose. Il se concentra sur sa mission :
– Il a dit qu’on ressortirait. Dimanche, il faudra venir ici, on va arrêter un criminel, un terroriste. Antoine et Ethan comptent sur moi.
Il avait oublié l’obscurité. Il ne se préoccupait plus du temps qui passait mais uniquement de sa mission et de ce qu’il avait à faire.
Soudain, un filet de lumière apparut sous la porte de la pièce. Un bruit sembla indiquer que la porte avait été déverrouillée.
Paul s’en approcha. Ses yeux distinguaient la pièce. Il posa la main sur la poignée et l’abaissa. La porte s’ouvrit.
Il passa la tête par le couloir. Il semblait n’y avoir personne. Paul s’avança vers le salon. Antoine était assis et le regarda arriver :
– Ça va ?
– Heu… oui. Il est où ?
– Il m’a dit de vous attendre. Tes affaires sont dans le sac, tu peux les reprendre.
Paul s’approcha du sac, récupéra ses effets personnels qu’il rangea dans sa poche. Ethan arriva :
– Vous êtes là ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
Antoine répondit :
– J’ai eu une petite discussion avec lui. Visiblement, notre nazi en herbe ne travaille pas seul.
– Comment ça ?
– Celui qui habite ici voit pas mal de passage ces derniers temps. La semaine dernière, une personne est venue chez la voisine, il l’aurait forcé à louer son appartement en l’insultant. Du coup, Sam, c’est le prénom du propriétaire d’ici, pensait qu’on était avec lui et comptait appeler la police. Je lui ai expliqué et ça l’a rassuré. Je lui ai juste dit qu’on était en vacances et qu’on cherchait un appartement à louer.
Une porte s’ouvrit et l’inconnu apparut. Il regarda les trois espions :
– Je suis désolé, je vous ai pris pour des amis de ce jeune qui vient ici depuis trois semaines. Je ne le sens pas, il a l’air instable. J’ai été un peu rude avec vous mais… on ne sait jamais à qui on a à faire. J’ai préféré assurer de ne pas me faire agresser le temps que votre ami m’explique que vous n’étiez que des touristes. Si je peux vous aider en quoi que ce soit, n’hésitez pas, je ne voulais pas vous faire peur.
Paul répondit :
– Non, tout va bien, vous ne faites que votre travail. Enfin, si, dimanche, vous êtes chez vous ?
– Oui.
– Nous aurons peut-être besoin de votre balcon.
– Bien. Je vous attendrai.
Sam termina ensuite la conversation :
– Je vais vous accompagner à la porte. Encore désolé pour ce malentendu.
Les trois garçons sortirent et appelèrent l’ascenseur.
Une fois à l’intérieur, Paul regarda Ethan :
– Ça va aller ?
– Oui, ça va. Mais je n’ai pas compris, pourquoi tu lui as dit qu’il ne faisait que son travail ?
– Je vous expliquerai si ma théorie est bonne.
Les deux camarades de Paul n’insistèrent pas.
Ils rentrèrent à l’appartement et passèrent le reste de la semaine entre visites et préparatifs pour leur intervention du dimanche. Leur plan était simple, observer l’entrée de l’immeuble pour repérer quand Steven entrerait et le suivre de quelques minutes. Paul se posterait dans l’appartement de Sam avec Ethan et Antoine resterait sur le palier. Les deux espions qui étaient sur le balcon observeraient la position du tireur et, s’ils le pouvaient, entreraient discrètement pour l’arrêter.
Antoine était là au cas où Steven tenterait de s’échapper.
Comme chaque jour, Paul tenta d’appeler l’Aigle le vendredi après-midi. A sa grande surprise, on lui répondit.
Le jeune espion fit état de la situation. Il entendit son interlocuteur réfléchir avant de répondre :
– Je vois. Nous ne savons pas si nous arriverons à temps pour vous aider mais vous avez notre accord pour obéir à l’agent spécial Masson Williams. Nous allons vous envoyer un équipement que vous recevrez dès demain. Bon courage.
Le samedi, comme convenu, ils reçurent une livraison, un coli particulièrement lourd.
Paul le posa sur la table du salon et l’ouvrit. Il contenait trois pistolets Smith & Wesson M&P40 et une lettre que Paul lut à ses camarades :
– Les armes sont déjà chargées. Merci de ne pas tirer sauf réel danger immédiat. Inutile d’ouvrir l’arme. La sécurité est sur le côté droit.
Antoine observa avec minutie l’une des armes :
– Ce sont des vrais.
Ethan s’étonna :
– Comment ça ?
– Ce sont de vrais Smith et Wesson.
– C’est forcément une réplique. On n’est pas en vraie mission.
Antoine fit la moue :
– Soit on est vraiment en mission sans qu’on nous le dise, soit nos balles sont factices. Dans les deux cas, on va éviter de les essayer maintenant.
– Tu as raison. Concentrons-nous sur notre objectif, peu importe si c’est toujours un test.
Les trois garçons rangèrent leurs armes. Ils terminèrent leur journée à l’appartement, restant le plus calme possible avant de partir tôt le lendemain matin.
A cinq heures du matin, ils étaient réveillés et sortirent une demi-heure plus tard. Ils traversèrent Central Park et se tenaient devant l’immeuble où Steven devait se cacher pour tirer sur les participants.
La rue était calme. Dans quelques heures, une foule se presserait pour célébrer le mois des fiertés.
Là où ils se trouvaient, ils étaient indétectables. A tour de rôle, ils surveillèrent les allers et venues de l’immeuble en face d’eux. La parade passerait en début d’après-midi.
Ils espéraient ne pas se tromper.
Le temps était lent, cela faisait plus de cinq heures qu’ils attendaient sans nouvelle de Steven. Les passants étaient de plus en plus nombreux, certains se massaient déjà près de la voie.
Le temps continua à passer mais hors de question pour les espions d’aller déjeuner.
Steven apparut. Il portait sur le dos un grand sac noir. Il ne tarda pas et s’engouffra dans le hall de l’immeuble. La parade n’allait plus tarder. Le quartier avait été fermé par la police.
Paul, Ethan et Antoine traversèrent la rue. Steven n’était plus dans le hall.
Les trois espions entrèrent et appelèrent l’ascenseur.
Il arriva quelques secondes plus tard.
Antoine appuya sur le bouton du vingt-huitième étage. Ils restèrent silencieux, concentrés sur ce qu’ils avaient à faire. Paul vérifia que son arme soit bien à portée de main.
L’ascenseur s’arrêta. Paul regarda l’écran des étages. Ils étaient au dix-neuvième. La porte ne s’ouvrit pas.
Antoine réagit :
– Fait chier.
Paul regarda Ethan. Il était rouge, une goutte de sueur sur son front :
– Assieds-toi, ça va aller. C’est prévu.
Ethan se laissa tomber :
– Je… suis un peu claustrophobe.
– Je sais, je l’avais deviné. Ne t’en fais pas, la panne était prévue.
Paul se tourna vers Antoine :
– Tu peux gérer et appeler les secours ?
Antoine hocha la tête en guise d’approbation et appuya sur le bouton d’alarme.
Ethan redressa la tête vers Paul :
– Pourquoi tu dis que c’était prévu ?
– Lundi, quand on est venu, tu te rappelles, j’ai dit à Sam qu’il n’avait fait que son travail.
– Oui et ?
– Il t’a enfermé dans une pièce, dans le noir, toi aussi ?
– Non, j’avais de la lumière. Toi tu étais dans le noir ?
– Oui, le noir complet.
– Je ne vois pas le rapport.
Paul avoua :
– Je déteste le noir, c’est comme une phobie. J’ai dû prendre sur moi pour ne pas paniquer.
– Tu crois qu’on teste nos limites ?
– Exactement. Pour Antoine pareil, la mission elle-même est faite pour le déstabiliser. Lorsqu’on a trouvé le projet de Steven, il a failli paniquer aussi. On essaye de nous faire craquer, mais on ne leur fera pas ce plaisir.
La voix en anglais retentit dans la cabine depuis un petit haut-parleur :
– Bonjour, que se passe t’il ?
Antoine répondit :
– L’ascenseur est bloqué.
– Quel est son identifiant s’il vous plait ? Il est inscrit sur l’étiquette en dessous des étages.
– BV33980ZZ.
– Patientez je vous prie.
Paul regarda à nouveau Ethan :
– Tu vas voir, ça va aller.
– Merci Paul, je me sens un peu mieux… J’ai un peu peur mais ça va aller.
La voix américaine reprit :
– Ce n’est rien de grave, je vais pouvoir vous faire repartir à distance. C’est l’histoire de quelques minutes tout au plus. Je vous laisse, si vous avez un problème, appelez-moi à nouveau.
Paul se redressa, imité par Ethan :
– Ça va mieux, je crois que je vais arriver à prendre sur moi. Il faut juste que j’oublie que je suis dans une cage à dix-neuf étages au-dessus du sol.
Antoine commenta :
– Soutenu par des câbles métalliques qui ne peuvent pas casser.
– Oui, aussi.
Un bruit se fit entendre. Doucement, l’ascenseur reprit son ascension jusqu’au vingt-huitième étage.
Antoine resta dans le couloir, devant la porte de l’appartement où devait se trouver Steven.
Paul et Ethan frappèrent à la porte de Sam qui leur ouvrit. Il les laissa entrer :
– J’ai retiré le plexiglas. Je ne comprends pas trop ce que vous êtes venu faire mais je me doutais que ça avait un rapport.
Paul répondit :
– Vous pouvez nous rendre un service ?
– Bien sûr.
– Restez dans une autre pièce, nous viendrons vous prévenir lorsque l’on aura terminé.
– A condition que vous m’expliquiez.
– Ecoutez, vous aviez raison de vous méfier de la personne qui a loué l’appartement voisin. Nous sommes là pour l’empêcher de faire une bêtise. On a vraiment besoin que vous nous fassiez confiance.
Sam abdiqua :
– Bien, ne soyez pas trop long.
– On va essayer.
Paul s’approcha de la fenêtre et sortit doucement sur le balcon.
L’air naturel, il s’appuya sur la rambarde et regarda la foule en bas. Il tourna la tête vers l’appartement voisin. La fenêtre du balcon était fermée, contrairement à la suivante. Paul remarqua qu’elle était légèrement ouverte. Il regarda le plus discrètement possible dans le salon de l’appartement loué. Il n’y avait personne.
Paul fit signe à Ethan de le rejoindre. Ils passèrent par la trappe entre les balcons et s’approchèrent de la baie vitrée. Paul posa ses mains dessus et tenta de l’ouvrir. Elle résista quelques secondes mais n’était pas verrouillée. Paul et Ethan avaient accès à l’appartement.
Paul et Ethan se faufilèrent dans la pièce principale. Ils entendirent un bruit dans la pièce voisine. Des bruits métalliques.
Paul sortit son arme quand il entendit un léger bruit vers l’entrée.
Antoine apparut. Steven n’avait pas verrouillé l’entrée. Ils étaient trois contre un, armés.
Paul regarda ses amis. Il fit signe à Ethan de rester posté dans le salon et à Antoine de garder l’entrée.
Il s’avança doucement dans un petit couloir menant à la pièce voisine. Il inspira un grand coup, serra son arme et pivota pour faire face à Steven.
Paul fut surpris. Il n’y avait personne dans la pièce, seulement une arme de précision montée sur un trépied, sans doute prêt à tirer dans la foule.
Soudain, il sentit une main sur sa bouche et fut tiré en arrière. Il sentit le canon d’une arme sur sa tempe. On lui cria en anglais dans l’oreille :
– Lâche ton arme !
Paul ne résista pas. Il laissa son arme tomber à terre.
Paul était maintenu par son agresseur qui lui cria :
– Qu’est-ce que tu fais là ?
Une main toujours sur sa bouche, Paul ne put répondre. Il regardait le couloir et le salon dans lequel ses amis devaient se tenir prêts à intervenir.
Ethan apparut, arme à la main :
– C’est fini Steven. Lâche-le ou ce sera pire que prévu. Tu ne tueras personne aujourd’hui.
Steven répondit :
– Toi lâche ton arme ou je le tue.
– Tu es prêt à mourir maintenant, sans avoir tué personne ? Sans réussir ce que tu avais prévu ?
– Il paiera pour les autres.
– Ça ne sert à rien. Rends-toi.
– Jamais sans me battre.
– Alors on va rester comme ça ?
– Laissez moi partir et je ne le tuerai pas.
Ethan resta un moment sans réagir avant de répondre :
– Relâche-le, nous verrons ce qu’on peut faire ensuite.
Steven éclata de rire :
– Si je le relâche, je n’aurais plus de moyen de pression. Voilà ce que je te propose. Tu lâche ton arme, comme ça je saurai que tu ne me tireras pas dessus. Ensuite je relâche ton petit ami et j’avance vers toi. Si tu prends ton arme, je vous tue tous les deux. Si tu ne bouges pas, je ne vous tue pas et je sors. Personne ne sera mort et je resterai libre. Je n’aurais rien fait de mal.
– Qu’est-ce qui me prouve que, quand je serais désarmé, tu ne nous tueras pas tous les deux ?
– Tu peux me faire confiance, non ?
– Tu t’apprêtais à tuer des centaines de personnes.
– Si je vous tue, j’aurais raté ma mission, ça n’a aucun intérêt.
– Ta mission ?
– Ouais, ma mission divine, éradiquer ces pédés.
– Tu sais que les tuer ne changera rien ? Il y en aura toujours et ça aura même l’effet inverse.
– Ils salissent ma race.
– Ecoute, Steven, on ne sera pas d’accord. Je ne comprends même pas ta pensée. Tout ce que je vois, c’est qu’on est dans une impasse. Tu as une arme pointée sur mon ami, moi j’ai la mienne sur toi. Si personne ne cède, on restera dans cette position pendant longtemps. Je peux te laisser partir mais je veux être sûr que personne ne soit tué. Tu pourras sortir libre d’ici.
– Je n’ai aucun intérêt à le tuer si tu me laisses sortir. Faut que je puisse te faire confiance.
– Tu peux, Steven.
– Voilà ce qu’on va faire, tu vas t’écarter du chemin, arme vers le bas. Je vais avancer avec ton copain jusqu’à la sortie de l’appartement et je le relâcherai à ce moment-là. Ça te va ?
– Ok, je garde mon arme et je ne tire pas. Tu relâches Paul dès que tu es à la porte.
– Ok. Je vais y aller. Écarte-toi.
Ethan baissa lentement son arme et s’écarta.
Paul était toujours maintenu et avança avec Steven qui le tenait toujours fermement. Ils arrivèrent dans le salon.
Steven se tourna pour faire face à Ethan et recula lentement vers la porte d’entrée.
La tension était palpable. Paul espérait que Steven tiendrait parole. Ensuite, ils n’auraient qu’à lui courir après. Steven le savait aussi bien que les espions, personne ne devait engager le feu. Si Steven tirait, les espions pourraient répliquer. Si les espions faisaient feu, ils étaient hors de leurs prérogatives.
Pour Paul, les ordres avaient bon dos. S’il en avait la possibilité, il neutraliserait Steven, arme ou non.
Ils arrivèrent à la porte d’entrée. Steven l’ouvrit lentement et glissa à l’oreille de Paul :
– Maintenant regarde ton amoureux crever comme un chien.
Steven retira son arme de la tempe de Paul et la pointa en avant. La déflagration fit siffler l’oreille de Paul qui vit Ethan s’écrouler sur le sol.
Paul se jeta en avant vers son ami en criant.
Steven était déjà sorti de l’appartement.
Paul arriva devant Ethan. Il avait les yeux clos.
Le jeune espion tenta :
– Ethan, réveille-toi ! Réveille-toi !
Ethan ouvrit un œil :
– J’ai l’impression d’avoir été électrisé. J’ai mal…
Une larme coula sur sa joue. Paul reprit :
– Ça va aller on… va appeler les pompiers, ça va aller.
– Paul, il m’a touché en plein dans le ventre. Il y a plein d’organes là-dedans. Je ne sens pas de douleur mais je le sais.
Paul regarda le ventre de son ami. Une tâche rouge s’était formée sur son vêtement :
– Ce n’est rien… Ça ne saigne pas beaucoup.
– Je peux plus bouger. Je vais mourir… C’était… pas un test.
Paul sentit les larmes lui monter aux yeux :
– Si c’est un test. C’est juste un test et tu ne vas pas mourir.
Paul entendit une voix derrière lui :
– Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
Paul se retourna. Antoine tenait Steven fermement. Il avait pu intervenir dans le couloir, où il s’était placé après avoir entendu le pacte entre Steven et Ethan.
Trois hommes cagoulés et armés entrèrent dans la pièce, fusil à pompe en main. Deux retirèrent Steven sous les yeux médusés d’Antoine.
Le troisième approcha d’Ethan et cria dans sa radio une phrase que Paul ne comprit pas.
Steven fut exfiltré.
Paul regardait la scène, impuissant. Il avait envie de retenir Steven, de prendre une arme et de le tuer.
Il se releva et regarda Antoine resté sans voix devant son ami au sol.
Quelques secondes plus tard, trois pompiers entrèrent dans l’appartement et se mirent au chevet d’Ethan. Ils semblaient le rassurer. Ils le placèrent sur un brancard et sortirent.
Le troisième homme cagoulé, resté avec les deux espions, les regarda :
– Quittez les lieux. Je ne veux plus de trace de vous.
Paul et Antoine sortirent sans un mot. Avant de monter dans l’ascenseur, Paul fit volte-face. Il sonna à l’appartement voisin de celui qu’ils venaient de quitter. Sam ouvrit et s’étonna :
– Vous avez terminé ?
Paul acquiesça et se retourna. Il rejoignit Antoine.
Dans la rue, la parade passait. Paul repéra les secours et se précipita vers eux. A l’intérieur, par les vitres opaques, Paul vit deux secouristes qui s’affairaient. Paul s’approcha de l’arrière du camion.
Un pompier sortit du côté du camion et s’adressa aux deux espions :
– C’est votre ami ?
Paul acquiesça. Le secouriste leur sourit :
– Ne vous inquiétez pas.
Sur ces mots, il ouvrit la porte du camion.
Ethan était assis sur le brancard. Deux secouristes à ses côtés.
Il avait retiré son tee-shirt, son ventre était intact.
Paul soupira.
L’un des secouristes termina d’ausculter le ventre d’Ethan et commenta :
– Parfait, tu auras peut-être un petit bleu mais rien de grave. Ton tee-shirt ne s’en remettra surement pas…
Ethan répondit :
– Merci.
– Vous pouvez y aller.
Ethan se releva et adressa un sourire à ses amis avant de se retourner vers l’un des secouristes :
– Vous ne m’avez pas répondu… Qu’est-ce que c’était ?
– Une balle factice, elle a des effets proches de ceux qu’on peut ressentir lorsqu’on s’est pris une vraie balle, engourdissement, effet électrisant, si vous y ajoutez la peur ça vous donne un aperçu de ce que vous pouvez ressentir si vous en preniez une vraie. Si vous étiez resté calme, en sachant ce que c’était, l’effet aurait été très supportable. L’arrière de la balle est rempli d’un liquide très concentré qui tâche l’endroit qu’elle touche. Heureusement, elle n’a aucun risque de transpercer la peau, elle ne part pas assez vite et sa pointe n’en est pas vraiment une.
– C’est… Bien fait.
– Merci. Au fait, profitez bien de votre soirée, votre avion part demain à dix-neuf heures trente. Vos billets sont dans votre appartement.
Ethan remercia le sauveteur et descendit du camion. Il fut accueilli par Antoine :
– Et bah… Je crois qu’on a terminé.
Ethan répondit :
– Ils n’avaient pas mentis.
– A quel sujet ?
– C’est vraiment un test impressionnant.
– Oui, je ne sais pas si j’espère que les autres ont eu les mêmes expériences ou si je ne leur souhaite pas.
– Un peu les deux ?
– Sans doute.
Antoine se tourna vers Paul :
– Ça va ?
Paul sortit de son mutisme :
– Oui… Désolé, il fallait le temps que je me remette de ce qu’il s’est passé.
Ethan ajouta :
– Paul… Merci.
– Pourquoi ?
– Là-haut, quand j’étais persuadé que j’allais y passer… Tu as été formidable.
– Merci, j’ai juste raté Steven.
– Antoine était là. Je suis content d’avoir passé ce test avec vous, vous êtes vraiment de supers amis.
A cet instant, Paul sentit son téléphone vibrer. Il le sortit, c’était un nouveau message de Thomas :
“Félicitation pour cette réussite. Ce soir, vous avez une réservation pour le diner au Per Se pour que vous fêtiez votre dernière soirée new-yorkaise. Profitez-en bien ! Bonne soirée et bon retour demain soir !“
Paul esquissa son premier sourire de la journée. Il réalisa que Thomas lui aurait sans doute fait remarquer. Il fit part de la nouvelle à ses amis, ravis de cette invitation.
Les trois amis ne s’attardèrent pas dans la parade malgré les regards d’Antoine vers le défilé et ceux des participants envers Ethan.
Arrivés à l’appartement, Paul s’assit, épuisé. Il avait besoin de récupérer.
Ethan passa un tee-shirt puis servit trois verres d’une limonade achetée dans la semaine.
Antoine se joignit à eux :
– Bon, on débriefe ?
Ethan répondit :
– Maintenant ? Ça ne peut pas attendre demain ?
Paul fut en accord avec Antoine :
– C’est mieux de le faire maintenant. On va simplement lister ce qu’on aurait pu améliorer, les ratés et les réussites.
Ethan répondit immédiatement :
– Je crois que dans les ratés on peut citer ma mort.
– Elle était imprévisible, je pense que l’idée de le laisser partir était bonne mais qu’il manquait un moyen de nous protéger. Dans l’absolu, il aurait pu aussi me tuer avant de partir.
Antoine intervint
– Par contre, le fait de se séparer dans l’appartement était une bonne chose, j’ai pu ressortir pour l’intercepter lorsqu’il s’enfuyait.
– C’est vrai. Je pense qu’en deux semaines, on a fait ce qu’on devait faire. On a rapidement su déchiffrer les indices, on a pu intervenir, on a fait des repérages et le tout en gardant Sacha à distance.
– Oui, je pense qu’on a été assez bons, et on a tous dû faire face à nos peurs ou des situations particulièrement délicates. Moi lorsqu’on a découvert le plan de Steven, Ethan dans l’ascenseur et Paul dans le noir.
Paul réagit :
– C’est vrai, on va dire que ça restera entre nous ?
Ethan alla dans le sens de Paul :
– Oui, je pense que c’est une bonne idée.
Antoine conclut :
– On fera le reste du débriefing si besoin à l’Aigle, je pense qu’on est bon pour une sieste avant ce soir.
Les trois amis se séparèrent. Chacun regagna sa chambre où ils restèrent deux heures. Paul ne dormit pas, il repensa à son année et à ce test particulièrement éprouvant.
Lorsqu’ils se retrouvèrent à dix-huit heures passées, les trois amis décidèrent de sortir pour aller dans Central Park une dernière fois avant de diner.
Ils se promenèrent en reparlant de leur mission, de la manière dont l’Aigle avait tout organisé, des intuitions de Paul et des épreuves qu’ils avaient traversées.
Le Per Se était un restaurant magnifique. Les trois garçons avaient une vue imprenable sur Central Park.
Ils commencèrent par un apéritif puis ne se privèrent d’aucun plaisir.
A la fin de leur repas, Paul regarda ses deux amis en souriant :
– Je pense que c’est la plus belle soirée que l’Aigle nous ait offerte.
Ses deux camarades acquiescèrent. Antoine semblait pensif et Paul s’assura :
– Tout va bien Antoine ?
Son ami releva la tête en souriant :
– Oui, un petit coup de fatigue.
Paul paya l’adition avec la care bleue qu’on leur avait confiée. Il n’avait jamais mangé pour un repas aussi onéreux et était ravi d’y être invité.
Les trois espions rentrèrent ensuite à pied, faisant un détour par la cathédrale proche de leur appartement.
Une fois rentré, Ethan salua ses amis :
– Je suis fatigué, je vais me coucher. Passez une bonne nuit !
Paul et Antoine lui répondirent puis s’assirent autour de la table du salon. Antoine proposa à Paul :
– Café ?
– Non, merci. Un verre d’eau.
Antoine servit deux verres d’eau et s’assit face à Paul :
– C’était une belle soirée.
Paul hocha la tête :
– Oui, très belle.
Antoine sembla encore pensif. Paul le remarqua :
– Toujours fatigué ?
– Ce n’était pas vraiment le problème.
Paul s’étonna :
– Ha ? Tu veux m’en parler ?
– Justement… Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée.
– On est amis, Antoine, tu peux tout me dire.
– Ça remettrait peut-être en cause cette amitié justement.
Cette fois, Antoine en avait déjà trop dit aux yeux de Paul qui s’inquiéta :
– Je ne vois pas ce qui pourrait briser cette amitié, on passe du temps ensemble, on partage plein de choses, quand tu as eu des problèmes j’étais là et inversement… Tu peux tout me dire.
Antoine inspira et posa ses mains à plat sur la table qui les séparaient :
– Ok. Tu as raison, on a partagé beaucoup de choses ensemble, on a passé cinq ans de notre vie dans le même internat, en grande partie dans la même chambre, près de vingt-quatre heures sur vingt-quatre ensemble. Je suis venu plusieurs fois chez toi, on est devenus au fil du temps de supers amis. Tout ça, ça va bientôt se terminer. Enfin on va rester amis mais ce ne sera pas pareil. On vient de passer un merveilleux voyage ici à New-York. En dehors de notre mission, on a visité, on s’est bien amusé.
Antoine marqua une pause. Paul l’écouta attentivement sans intervenir. Il reprit :
– Tout ça jusqu’à ce soir. La dernière balade et le diner dans un restaurant magnifique. Ça fait quelques mois que je me prépare au moment où je devrais t’annoncer ce que je vais te dire, je crois que l’occasion est bien choisie.
Antoine prit une gorgée d’eau et poursuivit :
– Après cette soirée formidable, je pense qu’elle peut l’être encore plus.
Cette fois, il semblait avoir terminé. Paul le regarda :
– C’est-à-dire ?
Antoine avança un peu ses mains sur la table :
– Paul, ce que j’essayes de te dire avec le moins d’assurance que je n’ai jamais eu de ma vie c’est… que j’espérais qu’on pourrait terminer cette belle soirée ensemble.
Paul resta sans voix.
Il était incapable de répondre à son ami. Il ne savait plus quoi penser. Il réalisa que pendant ces cinq dernières années, il n’avait à aucun moment pensé à sa vie sentimentale. Il n’en avait jamais ressenti le besoin. Autour de lui, ses amis avaient eu leurs aventures, des couples s’étaient formés, Damien et Lucy, Arthur et Lian, Antoine avait été avec Clément puis avec Anselme. Paul, lui, n’avait pas une seule seconde eut une attirance ou des sentiments pour quiconque. Il regarda Antoine à nouveau. Bien sûr, il était mignon, sympathique, ils s’entendaient bien mais il n’y avait qu’un problème, c’était justement son ami. Au-delà du fait qu’il n’ait jamais ressenti de désir pour un autre homme, cette proposition le laissait sans voix. Il était trop proche d’Antoine pour envisager de terminer cette soirée avec lui, sans compter que leur amitié s’en trouverait certainement modifiée. Il ouvrit finalement la bouche et tenta, d’une voix la plus calme possible :
– Antoine… Je suis désolé.
Son ami se leva :
– Je comprends.
Paul le regarda se diriger vers la sortie de l’appartement. Antoine était parti.
Paul regarda son verre d’eau. Ce n’était pas sa faute. Il comprenait la déception de son ami mais il ne pouvait pas accepter cette proposition dans le seul but de lui faire plaisir. Il regarda la porte d’entrée, se leva et sortit.
Paul dévala les escaliers et sortit du bâtiment. Il n’avait aucune idée de ce qu’il faisait mais il savait qu’il devait retrouver Antoine. Soudain, il eut peur.
Paul marcha vers le bout de la rue et eut une idée. Il tourna vers la cathédrale et s’arrêta. Sur un banc, il repéra la silhouette de son ami, la tête entre ses mains.
Il s’approcha et s’assit à côté de lui. Il posa sa main sur le genou d’Antoine :
– Antoine, je suis désolé que la soirée ne se termine pas comme tu l’avais espéré. Je sais que ce n’était pas la réponse que tu attendais. C’est juste que, si j’acceptais, rien n’aurait été pareil entre nous ensuite. On ne pourra pas former un couple. Tu n’y es pour rien, tu es beau, agréable, sympathique, drôle et je pourrais t’énumérer tes qualités pendant des heures, mais seulement car je n’ai pas les mêmes sentiments. Accepter pour que tu passes une bonne soirée ruinerait notre amitié. Je suis désolé. J’aurais vraiment aimé qu’on soit sur la même longueur d’onde.
Antoine redressa la tête et laissa passer quelques secondes avant de répondre :
– Merci Paul. Merci d’être comme tu es. Je suis déçu c’est vrai, mais dans cette déception je sais que j’ai aussi un ami merveilleux qui saura être franc et qui, j’espère, ne changera pas pour ce qu’il s’est passé. Je ne voulais pas que tu te forces, j’espérais seulement qu’on aurait eu les mêmes envies. Ce n’est pas le cas, c’est comme ça. Tu sais, je t’aime, ça passera, en attendant, fais comme si ce n’était pas le cas. Reste mon ami.
– Je resterai ton ami mais je ne ferai pas comme si tes sentiments n’existaient pas. Rien ne changera, ne t’en fais pas.
Les deux amis restèrent assis en silence sur le banc. Paul regarda la cathédrale éclairée dans la nuit new-yorkaise.
Après un temps, Antoine demanda :
– On rentre ?
Paul regarda son ami, qui avait retrouvé le sourire :
– Oui, bonne idée.
Antoine et Paul se relevèrent. Antoine commença à marcher, Paul l’arrêta et lui fit face :
– Antoine, ne prend pas ce que je vais faire pour une avance, simplement un geste amical envers quelqu’un que j’estime et que j’apprécie énormément.
Antoine hocha la tête sans vraiment avoir l’air de comprendre.
Paul avança sa main droite et saisit celle d’Antoine. Il s’avança et posa ses lèvres sur celles de son ami. Ils échangèrent un baiser pendant quelques secondes puis Paul décolla ses lèvres.
Sans un mot, Paul s’avança et commença à marcher aux côtés de son ami, main dans la main.
Arrivés à l’appartement, Antoine regarda Paul :
– Merci Paul, je sais que tu as fait ça pour moi et je n’y reviendrai pas.
Paul sourit. Antoine changea de visage et fronça légèrement les sourcils :
– Mais il y a une chose qui m’étonne, pourquoi tu ne m’as pas dit simplement que tu n’étais pas homo ?
Paul s’aperçut que cela avait été en effet le cas. Il réfléchit, il réalisa qu’il ne s’était jamais posé la question :
– Je crois que ce n’est pas comme cela que je me définis.
– Oui… Et tu as ce quelqu’un d’autre.
Paul s’étonna :
– Quelqu’un d’autre ? Non, je n’ai personne, je te l’aurais dit.
– Pour l’instant… N’oublie pas que je sais parfois voir des choses que d’autres ne voient pas.
Paul s’amusa :
– Tu peux aussi te tromper !
Antoine ne répondit que par un sourire :
– Bonne nuit Paul.
Paul salua son ami :
– Bonne nuit Antoine.
Paul repensa à cette soirée alors qu’il s’endormait pour une dernière nuit new-yorkaise. Il espérait en particulier que cette fin de soirée ne changerait pas sa relation avec son ami Antoine.
Ce ne fut pas le cas. Dès le lendemain matin, les deux amis semblaient plus proches encore que la veille.
Les trois espions montèrent dans l’avion le soir pour atterrir le lendemain matin à Paris, aéroport de Charles de Gaulle à neuf heures du matin, après avoir dormi dans l’avion.
Ils sortirent de l’aéroport, un homme avec un brassard de police s’avança vers eux :
– Vous allez à l’Aigle ?
Paul répondit pour ses amis :
– Oui.
– Suivez-moi.
Paul, Ethan et Antoine montèrent dans une Peugeot 5008 avec deux hommes et furent conduits sur le campus, toutes sirènes hurlantes.
Ils arrivèrent sur le campus à onze heures.
Ils descendirent de voiture. A l’entrée, l’agent spécial Mason Williams et leur responsable des études Thomas Duchesne les attendaient. Ce dernier les accueilli :
– J’imagine que vous êtes fatigués mais je vais devoir vous demander de nous suivre.
Les trois jeunes espions se plièrent aux ordres et suivirent les deux hommes à travers le hall d’entrée puis dans une salle de classe.
Mason Williams s’assit sur le bureau et indiqua aux trois espions de s’asseoir face à lui. Thomas resta debout près du bureau.
L’agent américain esquissa un sourire :
– Bon retour sur le campus. Nous sommes là pour débriefer votre mission. Je vais être direct, je sais que vous avez hâte d’en avoir terminé avec cela. Votre mission est une réussite. Vous avez atteint l’objectif après avoir enquêté un peu plus rapidement que ce que nous avions prévu. Cela dit, ce n’est pas plus mal, vous avez pu profiter de la ville de New-York. Monsieur Duchesne va d’abord vous faire un point personnel puis je donnerai mes conclusions en tant qu’examinateur de cette mission.
Le responsable des études s’avança :
– Ethan, nous t’avons mis la note de dix-huit. Tu as été proactif dans cette mission et tu as parfois su te dépasser. Nous avons apprécié ton observation à certains moments et ton sens de l’organisation.
Thomas se tourna ensuite vers Paul :
– Paul, tu as été fidèle à toi-même. Tu as pris les choses en main quand il le fallait, en laissant tes camarades prendre les devants mais toujours en gardant un œil critique. Tu sais reconnaitre les bonnes décisions et faire confiance, mais tu sais aussi prendre les décisions quand cela s’impose et les assumer. Nous t’avons aussi mis la note de dix-huit.
Le responsable des études se tourna ensuite vers le dernier membre du trio :
– Antoine… J’ai été très impressionné par ta capacité à faire face à des situations particulièrement délicates, en particulier lorsque tu as dû intervenir seul face à un ennemi. Tu as fait preuve d’une grande intelligence pendant ces deux semaines. Comme tu l’auras deviné, nous t’avons aussi mis la note de dix-huit sur vingt. Je n’aurais qu’une seule remarque, à titre personnel. Je sais que tu as dû parfois prendre sur toi, quitte à cacher ce que tu pensais réellement. L’abnégation dont tu as su faire preuve pour mener à bien ta mission était sans doute ton défi le plus compliqué mais tu n’as pas laissé tes convictions prendre le dessus et tu as su avoir les réactions justes face à un sujet qui aurait pu te dépasser. Félicitations.
Il termina ensuite par un mot général pour le trio :
– Félicitations à vous trois pour avoir su garder votre calme et votre esprit, même dans des moments de doute ou face à vos peurs.
Thomas se tourna vers Mason Williams qui continua :
– Comme je vous l’ai dit, votre mission est une réussite. En guise de dernier mot, je souhaite vous adresser mes sincères félicitations. Bravo pour votre réussite tout au long de vos études qui se terminent en beauté. J’ai aussi le plaisir de vous annoncer que vous serez, lors de la soirée de fin d’année, diplômés de l’Aigle et apte à poursuivre votre carrière. Bravo.
Les trois garçons ne masquèrent pas leur sourire. Thomas termina l’entrevue :
– Allez vous reposer maintenant. Certains de vos camarades sont déjà rentrés.
Les trois garçons remercièrent Thomas et Masson Williams.
Ils se dirigèrent vers les chambres. Arrivés devant celle d’Antoine et de Paul, Ethan les salua :
– Reposez-vous bien. On se revoit peut-être ce soir !
Antoine remercia Ethan et confia :
– C’était un plaisir de faire équipe avec toi. J’espère qu’on se retrouvera un jour en mission.
– J’espère aussi ! A plus tard.
Ethan avança vers sa chambre. Antoine ouvrit la porte de la leur et entra, suivi de Paul.
Les deux amis posèrent leur sac dans le salon de leur chambre et se regardèrent. Antoine s’assit sur le canapé :
– Ça fait bizarre de se retrouver tous les deux ici.
Paul s’assit à côté d’Antoine :
– Ouais. Mais ça ne va pas durer… Dans moins de deux semaines, ce sera la dernière soirée de l’Aigle. Le lendemain, on repartira chez nous et ce sera terminé.
– Tu veux qu’on se voie cet été ?
Paul sourit :
– Ce serait super ! On voit ça pendant la première semaine pour partir quelque part ensemble ?
– Ouais. Mais pas New-York !
– Ça ne risque pas !
Les deux amis s’amusèrent puis, fatigués, décidèrent de se séparer pour quelques heures.
Paul dormit jusqu’au midi où il retrouva Antoine avec qui il se rendit au self.
Damien, Lucy et Arthur étaient déjà assis à table. Ils leur racontèrent leur mission et les épreuves qu’ils avaient dû subir pour arrêter un criminel sur un Yacht au large de Chypre. Une mission éprouvante mais qui les avaient passionnés.
Le dernier dimanche avant leur dernière semaine, les élèves de dernière année reçurent chacun une lettre.
Paul déplia la sienne avec Antoine :
“Monsieur Osinski,
Nous vous félicitons pour votre réussite tout au long de vos études sur le campus. Cette dernière semaine ne sera cependant pas celle du repos. Si vos cours sont suspendus, nous avons en effet le plaisir de vous convier à trois rendez-vous qui ponctueront cette dernière année :
Mercredi, 11h – Proposition de contrat en salle du conseil – M. Thomas Duchesne
Vendredi, 17h – Remise officielle des diplômes dans l’auditorium Victor Hugo – M. Samuel Guyot
Vendredi, 20h – Soirée de fin d’année, parc de l’Aigle.
En espérant que vous passerez une belle semaine, nous vous adressons à nouveau nos plus chaleureuses salutations.
L’équipe pédagogique“
Antoine avait la même lettre en dehors de son heure de proposition de contrat.
Le mercredi, quelques minutes avant l’heure de son rendez-vous, Paul se présenta devant la salle du conseil. Il croisa Arthur qui avait eu rendez-vous juste avant lui. Il avait un grand sourire :
– Paul ! Ça y est, c’est signé !
– Félicitations Arthur, alors, tu travailleras avec mon père ?
– Oui. Ça ne te dérange pas ?
Paul adressa un sourire à son ami :
– Non, je suis sûr que vous vous entendrez très bien.
– Merci, et félicitations !
Thomas Duchesne sortit la tête par la porte de la salle :
– Paul, on y va ?
Paul adressa un signe de tête à Arthur et entra dans la salle du conseil. Il s’assit sur la chaise qui lui était réservée, face au directeur de l’Aigle, son directeur des études et une troisième personne, monsieur Serge Abbad, récemment nommé à la direction du conseil des Sages. C’est lui qui prit la parole :
– Monsieur Osinski, tout d’abord, je vous félicite pour votre diplôme. C’est un plaisir d’accueillir un si bon élève au sein de notre service. Comme convenu, nous souhaitons vous faire une proposition pour devenir agent à part entière des services de l’Aigle et vous serez, à sa demande, coéquipier de Monsieur Thomas Duchesne. Nous vous avons préparé un contrat qui, nous l’espérons, sera à la hauteur de vos attentes.
Le directeur de l’Aigle tint une série de feuilles à Paul :
– Nous vous laissons le découvrir et sommes là si vous avez des questions à nous poser.
Paul lut le document. Il reprenait les conditions de son engagement, le nombre de jours de repos qu’il aurait, son salaire et le nom de son coéquipier. Plusieurs conditions lui parurent abstraites mais il préféra ne pas poser de question. Cette fois, c’était concret. Il quittait les études et s’engageait dans sa vie professionnelle.
Paul regarda Thomas avec qui il échangea un sourire puis il prit le stylo posé près de lui.
Il posa la mine en bas de la dernière page et signa.
Le premier septembre, il serait un agent de l’Aigle.
Paul reçut de chaleureuses poignées de main de la part du directeur du conseil des Sages, du directeur du campus et de son directeur des études et futur coéquipier.
Il quitta la salle le sourire aux lèvres.
Antoine attendait son tour. Paul lui raconta l’échange rapide qui venait d’avoir lieu et ils se félicitèrent mutuellement.
Antoine fut appelé et Paul quitta le couloir de la salle du conseil.
Le mercredi soir, chacun des élèves de la classe de Paul avaient signé leur contrat avec l’un des services de renseignement français. Ce n’était pas encore le soir de la fête de fin d’année mais une ambiance particulière régnait entre eux. Le diner fut chaleureux et ils se retrouvèrent tous dans le parc ensuite pour discuter tous ensemble.
Ils se retrouvèrent le vendredi après-midi dans l’auditorium, tous vêtus de leur tenue officielle.
Thomas Duchesne monta sur la scène :
– Bonjour à tous.
Il marqua une pause et regarda l’assemblée. Une émotion se sentit dans sa voix :
– Je tenais à vous féliciter à nouveau et à vous remercier. Je vous ai suivi ces cinq dernières années, je vous ai vu évoluer, j’ai vécu avec vous vos épreuves. Aujourd’hui est un jour particulier pour nous tous. C’est votre dernière journée sur ce campus, marquant la fin de vos études et le début d’une nouvelle aventure que vous saurez tous maitriser au mieux. Pendant ces cinq ans, j’ai eu la chance de travailler avec vous et de connaitre de belles personnes, motivées, sérieuses et unies. Je vous remercie à nouveau pour cela.
Thomas marqua une nouvelle pause et prit une grande inspiration :
– C’est aussi un jour particulier pour moi car, comme vous, je vis aujourd’hui ma dernière journée sur ce campus. A l’issue de cette remise de diplôme, j’aurai terminé mes obligations à l’Aigle. J’aurai sans doute, je l’espère, le plaisir de vous retrouver un jour dans vos carrières, mais j’ai décidé de quitter mon poste sur le campus pour retrouver le terrain. Alors c’est aussi un moment particulier de partager cela avec une classe aussi… sympathique. Je vais maintenant vous appeler un par un. Vous viendrez sur scène pour récupérer des mains du directeur votre diplôme.
Les élèves furent appelés à tour de rôle par ordre alphabétique. Lorsque Thomas appela Paul, ce dernier se leva et se dirigea vers la scène sous les applaudissements de ses camarades, comme chacun des lauréats.
Thomas profita que Paul soit sur scène pour lui adresser un mot au micro :
– Félicitations Paul, pour ce diplôme et ta place de major pour la cinquième année de suite et donc un grand chelem.
Les applaudissements furent un peu plus nourris.
Paul récupéra son diplôme et serra la main du directeur du campus qui le félicita. Il reprit ensuite sa place.
Les derniers élèves récupérèrent leur diplôme. Thomas s’approcha à nouveau du micro :
– Je souhaite maintenant qu’un diplôme d’honneur soit décerné à un dernier élève. Le diplôme sera encadré et affiché à l’entrée de cet auditorium. Je vais appeler maintenant Monsieur Clément Le Gall.
Les élèves de la classe de Paul applaudirent la décision de leur responsable des études qui, symboliquement, récupéra le diplôme de leur camarade décédé.
Il laissa ensuite la parole au directeur du campus, Samuel Guyot :
– Chers élèves, je pense que les mots de votre responsable des études prouvent à quel point votre classe fut agréable. Je suis ravi de voir votre classe aujourd’hui devant moi, prêt à affronter de nouvelles aventures.
Il se tourna ensuite vers le directeur des études :
– Thomas, tu vas nous manquer, tu vas leur manquer aussi et saches que tu auras toujours ta place ici si tu le souhaites. Merci pour ce que tu as donné pour cet établissement.
Il s’adressa à nouveau aux élèves de cinquième année :
– Profitez bien de votre avenir et passez une bonne fin de journée.
La classe de Paul se leva et, comme un seul homme, applaudirent les deux hommes sur scène. Tous savaient que les applaudissements étaient particulièrement adressés à leur responsable des études qui sembla particulièrement ému.
Après plus de sept minutes d’applaudissements, les élèves s’arrêtèrent et sortirent de l’auditorium. Ils remarquèrent une agitation particulière devant le bâtiment. Intrigués, ils se pressèrent et découvrirent de nombreux élèves présents, une grande partie en costume officiel. Paul repéra Mike qui discutait avec d’autres élèves qu’il reconnut immédiatement. Il les avait côtoyés quelques années plus tôt. Paul remarqua que de nombreux anciens élèves, diplômés les années précédentes, étaient présents. Il s’approcha de Mike :
– Qu’est ce qu’il se passe ? Je ne me souviens pas avoir vu ça les dernières années.
– En effet, c’est un peu particulier, ils ont souhaité rendre hommage à Thomas pour sa dernière journée.
Les élèves formèrent deux colonnes. Paul et ses camarades les imitèrent en se plaçant au bout des deux lignes partant des portes du bâtiment abritant l’auditorium.
La haie d’honneur continuait jusqu’au hall d’accueil en traversant la cour principale. Quelques élèves plus jeunes avaient rejoint l’évènement, parfois sans même en connaitre la raison.
De loin, Paul repéra la porte du bâtiment de l’auditorium s’ouvrir. Les applaudissements commencèrent, en rythme.
Thomas sortit et s’arrêta, surprit de cet accueil.
Paul regarda les bâtiments. Aux fenêtres, les élèves plus jeunes qui étaient encore en cours s’étaient massés avec leurs professeurs et regardaient la scène, calquant les applaudissements.
Thomas commença sa marche au milieu des élèves, les regardant, les saluant un par un. Il approcha de la classe de Paul qui remarqua l’émotion de Thomas Duchesne qui ne cachait pas ses larmes. Cet honneur pour son parcours malgré son jeune âge était un témoignage touchant. Paul n’avait jamais vu Thomas si ému.
Le responsable des études passa devant les élèves de cinquième année et leur serra la main, un par un. Il passa devant Paul :
– Merci Paul. Bravo encore.
Il disparut ensuite dans le hall du campus pour remonter dans son bureau.
Les anciens élèves ne restèrent pas plus longtemps sur le campus.
Déjà, la soirée se préparait.
Le barbecue de fin d’année était parfait. Paul ressentit tout au long de la soirée une pointe d’émotion et, déjà, une certaine nostalgie. Il avait passé cinq ans sur ce campus, ses cinq plus belles années.
Les discussions entre le groupe d’amis étaient détendues, emplies de leurs souvenirs de ces cinq dernières années.
Louis et Lian les écoutaient avec passion. Ils savaient que, l’année suivante, ils seraient à leur place.
Ils furent aussi parfois rejoints par d’autres élèves de leur classe, en particulier Ethan qui resta un long moment avec eux.
Damien et Lucy passèrent un moment à danser, tout comme Arthur et Lian.
Un peu après minuit, Paul se retrouva seul avec Antoine qui lui confia :
– On a passé de beaux moments quand même.
Paul répondit :
– Oui. Très.
– On continuera à se voir ?
– Évidemment ! On va même travailler dans le même service. C’est sûr qu’on continuera à se voir.
Antoine sourit :
– Merci Paul. C’est important de t’avoir en ami.
– Et réciproquement.
– Tu sais… Pour ce qu’il s’est passé le dernier soir à New-York…
Paul coupa son ami :
– On n’est pas obligé d’en reparler.
Antoine sourit :
– Je sais, ne t’en fais pas, je ne vais pas recommencer. Je me demandais juste si tu avais su lire entre les lignes par rapport à quelqu’un d’autre.
– Comment ça ?
– Si tu avais fait le point… sur toi.
Paul réfléchit. Ce n’avait pas été le cas et il se sentait toujours dénué de tout sentiment :
– Pas vraiment. Ça viendra en temps voulu j’imagine. Mais tu parlais de qui lorsque tu évoquais “quelqu’un d’autre” ?
– Rien, laisse, ça n’a pas d’importance.
– Dis-moi.
– On en parle tout à l’heure, dans la chambre. Damien et Lucy arrivent.
En effet, Antoine et Paul furent rejoints par leurs amis et reprirent une autre discussion.
A deux heures, les rangs commençaient à se clairsemer et, à trois heures trente, seuls les élèves de cinquième année étaient encore sur la pelouse du parc. La nuit était fraiche mais aucun d’eux n’avait envie d’aller se coucher. Ils passeraient la nuit dehors, profitant des restes de boisson et de nourriture.
Quelques autres personnes étaient encore présentes, Mike, Thomas et un groupe d’élèves de quatrième année qui n’allaient plus tarder à se coucher.
Paul s’écarta du groupe des élèves de cinquième année et se servit une tasse de thé. L’eau était presque froide maintenant.
Il sentit une présence à côté de lui et se retourna, c’était Thomas. Paul lui demanda :
– Ça va ?
Son ancien directeur des études et futur coéquipier répondit en souriant :
– Ça va. Et toi ?
– Oui.
– Cette dernière soirée te plait ?
– J’ai du mal à croire que c’est la dernière.
– Moi aussi…
Thomas se servit lui aussi un thé et reprit :
– Je vais aller au kiosque, tu veux m’accompagner ?
Paul se souvint de cet endroit caché dans la forêt, un kiosque en bois à côté d’un petit ruisseau :
– Avec plaisir.
Paul et Thomas marchèrent vers la forêt et retrouvèrent le kiosque. Ils s’appuyèrent à la rambarde, côte à côte.
Ils regardèrent la petite cascade. Thomas brisa le silence :
– C’est calme.
– Oui, c’est agréable.
– Paul, j’avais besoin de te parler d’une chose en particulier concernant l’année prochaine.
– Oui, je t’écoute.
– J’aimerai que tu sois au courant d’une chose que je ne t’ai pas dite avant que l’on fasse équipe afin qu’il n’y ait aucun problème entre nous.
– Bien sûr.
– Tu sais, pendant ces missions que nous avons faites ensemble, il y a eu certains moments où je n’ai pas pu retenir certaines actions, que ce soit en Angleterre lorsque tu n’étais pas en forme, dans les Alpes quand… je suis un peu sorti de mes fonctions.
– En effet mais je ne t’en veux pas, tu as toujours été protecteur et professionnel.
Thomas se tourna vers Paul qui l’imita. L’ainé poursuivit :
– Paul, nos familles se connaissent depuis longtemps. Ça a été particulier de nous côtoyer et cela va être d’autant plus vrai lors des prochaines années si nous faisons équipe ensemble.
Paul le coupa :
– On fera équipe ensemble.
– Oui, bien sûr. Paul, ce soir j’aimerai simplement te dire que je suis heureux de te connaitre, que tu aies accepté le passé. Depuis quelques heures maintenant, je ne suis pus ton responsable des études et je peux avoir une discussion un peu plus profonde avec toi.
Paul sentit la main gauche de Thomas se poser sur sa hanche droite. Un frisson parcourut le jeune espion qui pensa que ce n’était pas possible. Pas maintenant.
Thomas s’avança un peu plus. Paul sentit son cœur s’emballer. Il tenta de faire le point sur la situation, sur sa relation avec Thomas. Il comprit ce qu’il se passait. Thomas n’était soudain plus la même personne. Il n’était plus son supérieur, il n’était plus que Thomas Duchesne. Paul baissa les yeux sur le costume de son ami et releva la tête. Il regarda les yeux de Thomas. A son tour, Paul s’avança. Il savait ce qu’il ressentait maintenant. Il sentit les lèvres de Thomas contre les siennes et ferma les yeux.
Paul se sentit transporté, il entrouvrit la bouche pour poursuivre ce baiser. Tout se chamboulait dans son esprit mais tout s’imbriquait parfaitement. Il n’avait eu de cesse d’attendre, il avait repoussé les avances de Lucy puis d’Antoine car il avait été incapable de sentiments. Depuis des années, il avait été amoureux, ce sentiment étrange qu’il avait enfoui se décuplait. Lors des missions, il avait vécu avec Thomas, s’était inquiété. Pendant les dernières vacances, ils avaient noué une amitié qui ne pouvait exister qu’en dehors du campus. Thomas avait tenté plusieurs fois de lui faire comprendre sans jamais dépasser les limites de sa fonction. Ce soir, la barrière était tombée et Paul en était certain. Il avait depuis des années été amoureux de Thomas. Ce soir, c’est lui qui lui faisait comprendre.
Thomas écarta ses lèvres de celles de Paul. Il avait gardé ses mains sur les hanches du jeune espion qui le regardait dans les yeux.
Paul ne savait quoi dire. Comme s’il avait lu dans ses pensées, Thomas demanda :
– On pourra quand même faire équipe malgré ça ?
Paul ne chercha pas à retenir son sourire, celui qui plaisait à Thomas :
– Je pense que ça devrait faciliter les choses, non ?
Thomas précisa :
– Faudra juste changer notre couverture.
– En effet. Ce sera sans doute plus facile de jouer le jeu.
Thomas sourit. Paul le regarda à nouveau :
– On devrait peut-être…
Thomas termina la phrase :
– Retourner là-bas ? Oui, ça me parait être une bonne idée.
Paul s’avança :
– Un dernier ?
Ils échangèrent un nouveau baiser puis retournèrent dans le parc.
Paul s’assit avec ses amis. Antoine le regarda en souriant et l’accueilli :
– Qu’est-ce que tu faisais ?
Paul hésita. Il se demanda si son ami avait compris. Il répondit :
– Je discutais avec Thomas.
– Je m’en doutais, finalement les lignes deviennent plus claires.
– Attends… Tu avais vu ? C’est de lui dont tu me parlais tout à l’heure ?
– Oui.
Paul ressentit un sentiment étrange. Il s’inquiétait pour son ami qui lui avait avoué ses sentiments peu de temps avant :
– Antoine… Tu sais ce n’est pas…
Son ami le coupa :
– Je sais, ne t’en fais pas, je suis content pour vous. Je le savais déjà à New-York que tu t’intéressais à un autre.
– Ce n’était pas le cas.
– C’est ce que tu crois.
Paul savait que son ami était capable de voir des signes imperceptibles pour les autres. Il était aussi content qu’il ne réagisse pas mal à cette nouvelle.
Les élèves de cinquième année terminèrent la nuit ensemble. Lorsque le soleil se leva, ils se dirent au revoir chaleureusement puis retrouvèrent leurs chambres.
Paul préféra faire un détour. Il frappa au bureau de Thomas après s’être assuré que la lumière était allumée. Thomas lui indiqua d’entrer. Il était assis à son bureau, la pièce était vide.
Deux valises étaient posées près de l’entrée.
Paul s’avança :
– Je voulais te dire au revoir.
Thomas sourit :
– C’est gentil.
– Tu crois que… il y aurait une place en Suisse cet été ?
– Evidemment !
– On se retrouve là-bas ?
– Promis. Quand tu veux.
Paul salua Thomas d’une manière différente de leurs habitudes passées puis retrouva sa chambre.
A dix heures, tous les élèves étaient dehors et retrouvèrent leurs parents. C’était un moment émouvant.
Tous se promettaient de se revoir rapidement.
Paul embarqua avec Louis dans la voiture de ses parents.
Frank, son père, était en discussion avec Thomas. Paul ne pouvait pas entendre ce qu’ils se disaient. Il les vit se faire une accolade puis Frank monta en voiture. Il démarra et s’adressa à son fils :
– Moment particulier, hein ?
– Oui…
– Tu en verras d’autres. Je discutais avec Thomas, je suis certain que vous formerez un super binôme.
– Oui, je suis content d’être avec lui.
Paul posa sa tête contre la vitre. Ce n’était pas le moment de parler de ses sentiments et de son nouveau compagnon à ses parents. Le campus s’éloignait déjà. Il repensa à ses amis puis à Thomas.
Cette fois, les études étaient vraiment terminées.